Duflo - La Science de L'aide
Duflo - La Science de L'aide
Duflo - La Science de L'aide
défis sud
Rue aux Laines, 4 Les agrocarburants
1000 Bruxelles
sur la sellette
Bureau de dépôt
Bruxelles X
N° d’agrément : P307409
Dossier
Coopération au développement :
Les temps changent
Somma i r e
actualités Présidentielles au Sénégal p 4-6
Les Sénégalais viennent de changer de chef d’État, en élisant M. Macky Sall à la place
d’Abdoulaye Wade, qui a passé douze ans à la tête du pays. Parmi les urgences dont le
nouveau président devra se saisir, il y a la situation du monde rural, dont une partie
souffre de l’insécurité alimentaire.
Dossier p 7-30
Coopération au développement :
Les temps changent
De nos jours, les acteurs qui se targuent de faire de l’aide au développement, comme
Bill Gates, qui est à l’honneur sur notre photo de couverture, se sont multipliés,
sans toujours suivre les mêmes objectifs. Face à la diversité des bailleurs, l’accent
doit être mis sur plus de cohérence et de coordination. Dans le contexte actuel de
crise budgétaire, de nombreux observateurs craignent un recyclage de l’aide au dé-
veloppement. Les perspectives de l’aide aux pays les plus pauvres changent aussi
radicalement avec la montée en puissance des pays émergents. Les sociétés civiles
des pays aidés sont au milieu du gué. Pourront-elles, sur base de leur expérience de
terrain, orienter l’avenir des politiques de coopération au développement ?
Une aide au développement de plus en plus diffuse 7-9
Plaider la cohérence c’est bien la mettre en œuvre c’est encore mieux 10-13
L’équation Fonds climat + Coopération 14-16
La science de l’aide selon Esther Duflo 17-19
Les perspectives des économies à revenus moyens 20-22
Quand l’aide chinoise et belge se croisent 23-25
Vers une privatisation du développement ? 26-29
Un marché du développement très libéral 30
Le Mali est coupé en deux : au Nord, un nouvel État a été auto proclamé par
le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), mais qui n’est pas
reconnu par la communauté internationale. Le MNLA doit en outre composer
avec un autre mouvement, Ansar Dine, dont l’objectif avoué est très diffé-
rent : instaurer la charia sur l’ensemble du territoire malien (il refuse donc
la scission du pays). Au Sud, après le putsch du « sans grade », le capitaine
© Mihnea Popescu.
liste, dont le parti avait dirigé le Sénégal lutionnaire… On restait là dans la droite tour. Marius Dia explique que cette forme
quarante ans durant, avant l’arrivée du ligne de la conception des tenants du de collaboration était nécessaire, et
libéral Wade, ne suggérait pas moins que pouvoir qui allait perdre les élections. qu’elle a, sans préjuger de l’avenir, per-
le «retour aux filières interprofession- mis de modifier le discours de campagne
nelles, l’intégration des activités agri- Rapprochement paysans-politiques du candidat Macky Sall au second tour.
coles et d’élevage, pour aller vers plus de Il faut par ailleurs signaler que le pré-
cohérence ». Un autre, sans doute servi sident de la République sortant, en
par ses nombreuses années de gouverne- conflit non déclaré avec le Cncr, n’avait Le foncier laissé à
ment auprès du président Wade, promet- pas jugé utile d’envoyer de représentant,
tait l’électrification rurale globale, tout ni de s’excuser. Sur les quatorze candi- l’appréciation
en assurant vouloir mettre l’accent sur dats à la présidentielle, seuls huit avaient de la nation.
«les agropoles», qui devraient concen- pris la peine de répondre à l’invitation
trer les activités agricoles dans des qui leur avait été faite. Sans chercher à
centres équipés d’infrastructures rou- comprendre les raisons des absences des Le présidentiable a reconnu la néces-
tières nécessaires, où les paysans trou- autres candidats, les organisateurs ont sité de prendre des mesures d’urgence,
veraient des structures médicales adé- néanmoins estimé que, dans l’hypothèse une fois qu’il serait au pouvoir, pour
quates, avec des équipements agricoles d’une collaboration plus grande avec de «enrayer la famine qui menace le nord
des plus performants à leur disposition. nouveaux dirigeants, il était nécessaire du Sénégal». Depuis 2007, le président
de les accompagner dans l’élaboration Abdoulaye Wade a toujours refusé de
d’une politique qui tienne compte des reconnaître un quelconque risque de
En contrepartie, on pourrait faire en réalités du monde rural sénégalais. famine au Sénégal. La politique officielle
sorte qu’une exploitation agricole digne en matière de sécurité alimentaire a été,
de ce nom couvre au moins 30 ha. Ce qui, C’est ainsi qu’après les résultats du pre- depuis mai 2008, que, grâce à la Grande
dans un pays où les dimensions moyennes mier tour, le Cncr s’est rapproché du offensive agricole pour la nourriture et
d’une exploitation familiale sont de camp du candidat Macky Sall, le seul l’abondance (Goana), le Sénégal était
moins de 1 hectare, serait vraiment révo- opposant qui se soit retrouvé au second non seulement préservé de l’insécurité
% APD
0,7
n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 7
0,6
0,5
Dossier Coopération au développement : Les temps changent
intéressantes, certaines prenant en les priorités européennes sont focalisées tale, on constate que dès le 2e semestre
considération les parlements nationaux, sur les problèmes internes. On constate 2008 et surtout après l’effondrement de
qui peuvent évidemment jouer un rôle par exemple que Karel De Gucht, l’actuel Lehman Brothers, fin 2008, il y a eu un
d’évaluation de la cohérence des poli- commissaire au Commerce, a une vision effondrement des investissements privés
tiques de leur gouvernement. La Belgique très stratégique de la politique commer- « de type portefeuille » sur les marchés
a été pointée du doigt lors de la revue ciale en fonction des intérêts des entre- des capitaux, donc des investissements
par les pairs de l’OCDE en 2010, pour son prises européennes. C’était déjà une les plus liquides. La cause est évidente :
absence de dispositif en faveur de la priorité auparavant, qui a clairement c’est parce que les fonds d’investisse-
cohérence. C’est la raison pour laquelle été renforcée depuis que l’Europe est en ment privés ont rapatrié tous leurs avoirs
le nouveau ministre a déclaré que la mise
en place de ce dispositif fait partie de
ses priorités.
DS : Ne faut-il pas également veiller à
harmoniser les politiques internes et ex-
ternes de l’Union européenne ? Mobiliser l’argent des migrants,
AZ : Bien sûr. C’est un enjeu important. une utopie ?
Les accords commerciaux vont de plus en
plus être gérés au niveau de l’Union eu- Les transferts financiers Arnaud Zacharie. « J’ai de personne envoie systé-
ropéenne. Les Commissaires européens des migrants attisent sérieux doutes concer- matiquement une partie
au Commerce ont déjà depuis un certain des convoitises énormes nant la mise en œuvre de son salaire mensuel
temps la compétence pour négocier au puisqu’ils représentent de ce genre de projets », vers sa famille d’origine.
nom de l’Union européenne des accords trois fois les montants de poursuit le secrétaire « Penser qu’on va pouvoir
commerciaux en tout genre : au sein de l’aide au développement. général du CNCD, « parce mobiliser tout cet argent
« Il peut être tentant de que quand on analyse ce pour des investissements
l’Organisation mondiale du commerce, tout vouloir harmoniser, qui constitue cette masse via des fonds plus harmo-
mais aussi dans le cadre d’accords régio- de rationaliser les inves- de 300 milliards de dol- nisés en faveur d’acti-
naux, les accords de partenariat écono- tissements, en les faisant lars de transferts de mi- vités plus productives,
mique avec les pays du Sud, par exemple. transiter par des struc- grants, l’on constate qu’il implique qu’il y ait des
L’Union européenne a d’énormes compé- tures qui peuvent être, s’agit en fait d’un système systèmes de protection
tences en matière agricole à travers la dans le meilleur des cas, informel de protection sociale formelle dans les
Politique agricole commune (PAC). des systèmes coopéra- sociale internationale, de pays en développement,
tifs, dans le pire des cas, mécanismes essentiel- ce qui n’est pas encore
des banques privées qui lement intrafamiliaux. » du tout le cas actuelle-
Certains pays émergents collecteraient toute cette
épargne pour la redis-
On envoie tel membre de
la famille en Europe ou
ment. », conclut Arnaud
Zacharie.
ont davantage de marge tribuer dans des projets ailleurs pour qu’il ait un
de manoeuvre. productifs. », explique emploi rémunérateur et la
DS : Mais les fonds privés subiraient un Durant le troisième sommet des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en Chine, en avril 2011.
effondrement plus spectaculaire que
l’aide publique au développement. L’APD
serait-elle plus contra-cyclique, c’est- On a constaté que certains pays émer- (la crise asiatique et les crises finan-
à-dire qu’elle résisterait mieux aux cycles gents ont eu davantage de marges de cières successives des années 90, la crise
de crise et de croissance ? Est-ce audible manœuvre pour maintenir leurs straté- de la dette du tiers monde des années
aujourd’hui par les pouvoirs publics ? gies de développement, essentiellement 80), c’est évidemment parce que les pro-
pour deux raisons : d’abord certains de blèmes ont démarré dans les pays riches,
ces pays ont profité, durant les années mais aussi parce que toute une série de
2000, de la conjoncture internationale, pays pauvres avaient une situation bud-
La grâce à une augmentation des prix des gétaire plus saine.
cohérence matières premières et à une diminution
des politiques des taux d’intérêts internationaux, pour DS : À Busan, en Corée, lors du dernier
dépasse les compétences accumuler des réserves de change. Ils sommet sur l’efficacité de l’aide, il est
se sont ainsi créé un bas de laine qu’ils apparu que des pays émergents, qui sont
d’un seul ministre. ont pu utiliser pour mener des politiques pourtant d’importants contributeurs,
contra-cycliques dans le cadre de la rechignent à considérer qu’ils font de la
crise financière. C’est pourquoi des pays «coopération».
AZ : L’aide publique devrait être contra- asiatiques, mais aussi des pays comme
cyclique, mais à partir du moment où il y le Brésil, l’Argentine, ou d’autres pays
a une crise dans les pays riches et que ce AZ : Ils appellent ça des partenariats.
émergents, ont disposé de marges de C’est très intéressant parce qu’ils sont
sont les pays riches qui sont les sources manœuvre. Constatant qu’il n’y avait pas
de l’aide au développement, c’est un vœu prêts à se mettre autour de la table pour
de nouvelle architecture internationale, dialoguer. Mais ils refusent d’entrer dans
pieu difficile à défendre face à son opi- comme on le claironnait partout début
nion publique qui subit des coupes dans le cadre du Comité d’aide au dévelop-
des années 2000, ils se sont dit qu’ils pement (CAD) de l’OCDE, c’est-à-dire
les budgets sociaux. Le seul pays à ne allaient constituer des réserves en cas de
pas réduire aujourd’hui l’aide publique d’intégrer des critères créés par les pays
problème futurs. occidentaux pour les pays occidentaux.
au développement est le Royaume-Uni.
On verra combien de temps ça durera ...
L’idéal serait de garantir des marges de D’autres pays plus pauvres, ont bénéficié Ils insistent sur le fait que, dans leurs
manœuvre aux pays en développement d’un allégement de leur dette durant les partenariats, ils veulent s’enrichir au-
afin qu’ils puissent mener eux-mêmes années 2000, ce qui leur a permis aussi tant que les pays bénéficiaires. Ils y
des politiques contra-cycliques, c’est- d’avoir des marges de manœuvre accrues mêlent clairement leurs entreprises qui
à-dire rompre avec les conditionnalités et de mener des politiques contra-cy- sont essentiellement des entreprises pu-
du Fonds monétaire international et de la cliques. Si l’impact de la crise financière bliques : les gouvernements ont de ce fait
Banque mondiale qui étaient clairement actuelle a été moins important que les de véritables marges de manœuvre pour
pro-cycliques. crises financières mondiales précédentes les intégrer dans des partenariats for-
L’équation
Fonds climat + Coopération
climatique vis-à-vis des PVD. Les pays
Où placer les fonds de lutte contre le réchauffement climatique développés du Nord sont en effet respon-
par rapport aux mécanismes de financement classiques de la sables de 80 % des émissions accumulées
de GES, alors même que les PVD sont à la
coopération ? Dans le contexte actuel de crise budgétaire, de fois plus affectés et moins résilients face
nombreux observateurs craignent un recyclage de l’aide au dé- au réchauffement. Alors, Fonds climat
+ Coopération = équation magique qui
veloppement. permettrait de renforcer l’aide aux PVD ?
Au final, lorsque des gouvernements procédé non seulement injuste – « Cela en termes de biodiversité ou vis-à-vis
annoncent fièrement qu’ils consacrent revient à prêter de l’argent pour réparer une des droits populations autochtones, ou
une part importante de leur APD à des voiture que l’on a soi-même emboutie », les mécanismes dits de levier – dont le
objectifs climat, ils ne font rien d’autre mais constituant également un nouveau fonctionnement est largement sujet à
que déshabiller Pierre pour habiller Paul. piège de la dette, les projets d’adaptation caution, comme l’a récemment montré
L’exemple de la Belgique à ce niveau est étant le plus souvent non rentables5. le cas de B.I.O.8 en Belgique. Conclu-
particulièrement éloquent : l’ensemble du Selon B. Gloire, « il est vital que ces sion du chercheur du CNCD: « Nous ne
budget fédéral ‘Fast Start’ 2010 et 2011, fonds soient fournis sous formes de dons, sommes pas contre ces financements
soit 62 millions d’euros, est repris dans la au sein de programmes nationaux, en privés mais toutes ces dérives montrent
comptabilisation de l’APD belge. » majorité d’adaptation, et bénéficiant qu’ils doivent être mieux encadrés,
d’une bonne représentation de la société avec notamment des critères environ-
Adaptation versus atténuation civile, en particulier des organisations nementaux les plus clairs possible. »
Le chercheur du CNCD reconnaît cepen- paysannes ». Pour A. Gambini, l’expli Les mécanismes innovants préconisés
dant, « qu’il est parfois difficile de dis- cation des déséquilibres entre projets entre autres par le CNCD sont d’une autre
tinguer les projets de développement des d’atténuation et d’adaptation est nature : taxes sur les transactions finan-
programmes d’adaptation. Lorsque l’on simple. « L’adaptation, ce n’est pas cières, taxes carbone, ou taxes sur le
finance une réfection de systèmes d’irri- rentable. Cela revient la plupart du temps transport, qu’il soit aérien ou maritime,
gation par exemple, l’infrastructure ainsi à revenir à un état pré-réchauffement. etc. Les solutions à tester seraient donc
réparée sert à la fois des objectifs de Alors que l’atténuation, sous forme par encore très nombreuses...
développement – productivité agricole exemples de centrales moins polluantes,
accrue et lutte contre l’insécurité ali- peut se révéler très profitable. Or, les La forte opposition récemment ren-
mentaire, et des objectifs d’adaptation gouvernements du Nord ont tendance à contrée par la Commission européenne
au réchauffement climatique – protec- tout miser sur le privé, qui s’oriente par dans la mise en place de sa taxe sur les
tion contre les sécheresses, montées des essence vers le profit ». transports aériens, notamment de la
eaux, etc. » part de la Chine et de l’Inde, leur promet
Mécanismes innovants cependant un avenir quelque peu agité9.
Même avis du côté de Brigitte Gloire, Comme dans le domaine de la coopéra-
chargée de plaidoyer chez Oxfam Solida- tion, l’heure est clairement aux méca-
rité, pour qui « il ne faut pas réinventer la nismes (sous-entendu ici de marché) Néanmoins, ces efforts semblent indis-
roue, les critères entre les deux types de innovants. Les plus connus sont les pensables tant la mise en place d’un
programmes sont souvent similaires ». Mécanismes de développement propre cadre efficace de structuration des fi-
Un autre problème vient selon elle de la (MDP), ou plus globalement le marché nancements climat vers les PVD se fait
répartition actuelle des financements du carbone. « Les MDP sont en théorie sentir. Il est clair que les organismes de
climats, « beaucoup trop axés sur l’atté- séduisants car ils permettent de finan- coopération, de par leur large expérience
nuation et pas assez vers l’adaptation ». cer à bas coût, en échange de crédits (technique, capacitation des autorités
d’émission, des technologies à bas car- locales, etc.), pourraient dans ce cadre
bone dans les PVD. Mais il y a des dérives beaucoup contribuer à cet objectif.
Le problème hallucinantes, par exemple la surproduc-
est le caractère tion artificielle de GES dans le seul but
additionnel de capter des financements… On est en Article rédigé par Patrick Veillard
plein Far West ! », selon A. Gambini.
des financements.
Près des trois quarts des pro-
Une récente étude d’Oxfam montre par 4 jets de MDP seraient de plus locali-
ailleurs un faible niveau d’appropriation sés en Chine, en Inde ou au Brésil6.
par les PVD de ces programmes, les De nombreux problèmes sont également
fonds et donateurs bilatéraux ignorant constatés avec les autres mécanismes,
souvent les Plans d’action nationaux que ce soient le REDD7 – peu regardants
d’adaptation (PANA) et transitant le plus
souvent par des structures financières 5 : Gambini A. Novembre 2011. « Financer la lutte contre le
réchauffement global : les marchés financiers au secours du
distinctes de celles mises sur pied par Sud ? » Point Sud no.11. 8 : BIO est la Société belge d’investissement pour les PVD.
les gouvernements locaux. De plus, les Financée par la Coopération belge, elle est chargée de soute-
6 : Kill J., Ozinga S., Pavett S., Wainwright R. Août 2010. nir le développement du secteur privé dans les PVD.
financements d’adaptation seraient « Trading carbon. How it works and why it is controversial. » Voir l’enquête du journal Le Soir: http://www.lesoir.be/
souvent effectués sous forme de prêts, un FERN, p. 79. http://www.fern.org/sites/fern.org/files/tra- actualite/economie/2012-02-28/des-aides-publiques-dis-
dingcarbon_internet_FINAL.pdf. paraissent-dans-des-paradis-fiscaux-899743.php.
4 : Pearl Martinez R. Juin 2011. « Owning adaptation. 7 : Reducing emissions from deforestation and forest degra- 9 : L’intégration du secteur aérien au marché européen des
Country-level governance of climate adaptation finance.» dation: programme de réduction des émissions provenant de quotas d’émission de CO2, mise en place en janvier de cette
Oxfam. http://policy- practice.oxfam.org.uk/publications/ la déforestation et de la dégradation des forêts. Mis en place année, est perçue comme une comme une barrière protec-
owning-adaptation-country-level-gover- nance-of-cli- par l’ONU en 2008, il s’appuie sur des incitations financières tionniste déguisée par beaucoup de partenaires commer-
mate-adaptation-finance-134050. indirectement liées au marché du carbone. ciaux de l’UE.
La science de l’aide
selon Esther Duflo
Jeune et brillante économiste française, Esther Duflo a renouve- si et dans quelle mesure un projet fonc-
tionne, tout en fournissant des réponses
lé l’économie du développement à l’aide de méthodes aléatoires pragmatiques et adaptées à chaque
similaires aux essais utilisés en médecine pour tester l’efficacité situation. « On aborde les problèmes
de manière beaucoup plus spécifique et
des médicaments. Ses nombreuses études d’évaluation menées concrète, en s’attaquant à ce que j’ap-
sur le terrain lui ont permis de développer une profonde com- pelle les 3 i : inertie, ignorance et idéolo-
gie. On dépasse notamment les grandes
préhension des mécanismes de lutte de pauvreté. Son objectif : lancées conceptuelles, souvent unidi-
changer la perspective même de l’aide aux plus pauvres. mensionnelles »1.
Dépolitiser l’économie du développement
Des méthodes de charlatan, compa- L’économiste fait référence aux deux
rables à la méthode des sangsues du grandes théories de la pauvreté glo-
Moyen-âge. C’est à l’aide de cette image bale. La première, défendue par l’éco-
plutôt crue que l’économiste française nomiste américain Jeffrey Sachs, émet
Esther Duflo, récemment lauréate du l’idée d’une « trappe de la pauvreté »
prix Clark Medal de la meilleure éco- dans laquelle les pays pauvres seraient
nomiste de moins de 40 ans, décrit les enfermés, et de laquelle ils ne pourraient
méthodes actuelles d’étude de la pau- sortir qu’à l’aide d’envois de fonds mas-
Esther Duflo vreté. « D’innombrables programmes sifs. La seconde, portée par l’américain
d’assistance aux populations pauvres William Easterly, récuse l’idée de toute
Née en 1972, Esther Duflo est sont mis en place sans savoir s’ils sont forme d’aide, responsable selon lui de
professeur d’économie au vraiment efficaces. Comme les sang- corruption généralisée, d’infantilisation
Massachusetts Institute of sues sur les malades au Moyen-âge
»1. des pauvres et d’affaiblissement de la
Technology (MIT) de Boston. En E. Duflo s’est fait un nom en développant gouvernance locale1.
2003, elle a cofondé le Poverty des méthodes à l’opposé de ce « charla-
Action Lab (J-PAL), laboratoire de tanisme » : les méthodes dites d’évalua-
recherche consacré à l’évaluation tion d’impact par essai aléatoire. Des recherches qui
des programmes de lutte contre la
pauvreté, selon une méthode d’essais Derrière cette formule alambiquée se cassent le mythe du
aléatoires qu’elle a contribué à cache une petite révolution dans le do- pauvre dépendant.
formaliser. Avec son collègue Abhijit maine. « Cette méthode, appelée égale-
Banerjee, elle vient de publier ment méthode randomisée, est adaptée
« Repenser la pauvreté » qui fait la des essais cliniques utilisés en méde- Les ‘randomistas’, comme sont appelés
synthèse des travaux d’évaluation cine pour tester les médicaments. Elle E. Duflo et ses collègues, veulent dépas-
menés avec les 70 chercheurs du permet de s’assurer que la seule diffé- ser ce type de cadre idéologique et dé-
Poverty Action Lab. rence entre deux populations est bien politiser l’économie du développement.
l’aide reçue du programme que l’on veut Une approche de terrain en somme, en
tester. Dans le cas du soutien scolaire provenance directe de la clinique ou de
à une école par exemple, on peut sup- l’école plutôt que du ministère des fi-
primer les différences liées au niveau nances. « Il y a beaucoup de problèmes
général des professeurs ou des élèves »2 sans réponse, pour lesquels il n’existe pas
Une méthode scientifique et rigoureuse de solution toute faite. La randomisation
donc, qui permet d’établir précisément fournit des outils d’innovation perma-
nente, permettant de s’adapter à la com-
1 : R. Verrycken. 17 décembre 2011. « Esther Duflo sauvera-t- plexité des situations », ajoute E. Duflo2.
elle le monde ? » L’Echo. Une étude récemment publiée par le
2 : http://www.dailymotion.com/video/xnmm0u_esther-du- laboratoire cofondé par l’économiste
flo-economiste-du-developpement_tech. française, le Poverty Action Lab (J-PAL),
illustre l’efficacité de la méthode3. Cette à ceux-ci. À l’inverse, l’étude du J-PAL sont trois fois plus susceptibles de faire
étude s’attaque au problème de la légiti- montre, à l’aide de dix évaluations d’im- vacciner leurs enfants si dans le pro-
mité et de l’efficacité des stratégies dites pact aléatoires menées dans quatre pays cessus, elles sont récompensées par
de partage des coûts avec les utilisateurs. différents, que ces politiques de «cost- un kilogramme de lentilles. Un résultat
Selon de nombreux chercheurs, il est sharing» seraient largement contre-pro- concret mais déroutant : pourquoi une
nécessaire de recouvrer, même partiel- ductives. « Imposer une participation incitation aussi modeste (moins de 50
lement, les coûts de fonctionnement des aux frais, même faible, limite souvent cents en valeur) fait-elle une si grande
services fournis aux populations pauvres. fortement l’accès à ces produits et ser- différence ? Avec d’autres méthodes, ce
vices sans en promouvoir l’utilisation, ni résultat aurait pu être mis en doute. Mais
favoriser un meilleur ciblage », déclarent la randomisation valide scientifiquement
D’innombrables les auteurs3. Un exemple est donné au les résultats et oblige les économistes
programmes sont Kenya : lorsqu’un programme de dépa- à se poser la question du pourquoi5.
rasitage, qui traitait au départ gratui- Et c’est là que le bât blesse, ou du moins
inefficaces. tement les enfants, est devenu payant que les critiques fusent. Les randomistas
(à hauteur de 30 centimes de dollars sont en effet accusés « d’athéorisme »,
Simplement parce que l’aide publique ne chaque traitement), le taux de pénétra- c’est-à-dire de manquer d’explication
peut fournir assez de financements, ce tion a chuté de 75 % à 19 %. théorique, ou de modèle structurel, pour
qui limite in fine le volume à des services Athéorisme utiliser un terme cher aux économistes.
essentiels4 et donc l’accès des pauvres Un essai randomisé peut ainsi prouver
Dans une autre étude, E. Duflo et ses qu’une solution fonctionne mais sans né-
collègues ont également montré que des cessairement montrer la mécanique sous-
3 : Bates M.A., Glennerster R., Gumede K.; Duflo E. Janvier mères de l’état du Rajasthan, en Inde,
2012. « Pourquoi payer ? » Field Actions Science Reports,
Special issue 4 - 2012, p. 28-33.
5 : December 30th 2008. « International Bright Young Things. »
4 : Ménascé D. 5 mars 2012. « Donner ou faire payer, l’éternel débat de l’aide au développement. » Le Monde. The Economist.
jacente. Quel est le lien de cause à effet efforts pour diminuer la fréquence des de méthodes neutres et objectives. Ces
entre un outil d’aide ou un programme et arrêts de travail dans leur hôpital. méthodes se trouvent en effet relati-
les résultats obtenus ? Comment d’autres vement hors d’atteinte de leurs leviers
populations réagiront-elles ?6 Autre anecdote, la manière dont des politiques d’action ; et de nombreux tra-
emprunteurs indiens ont exploité un vaux d’économistes montrent que l’aide
Une première réponse à ces critiques est trou juridique dans leur contrat de publique au développement (APD) est
l’idée selon laquelle ces études pour- crédit pour éviter de payer une assu- sous-tendue par des objectifs politiques
raient être systématisées, à l’aide de rance santé, assurance leur étant ou commerciaux propres aux pays dona-
différents partenaires et des budgets par ailleurs extrêmement bénéfique8. teurs10. Le contexte de l’aide est cepen-
plus étroits, ce afin d’extraire une théo- Selon E. Duflo, « c’est ce type de compor- dant beaucoup moins politisé que par le
rie plus générale2. D’autre part, le der- tement qui explique pourquoi le concept passé (notamment en comparaison de la
nier ouvrage d’E. Duflo « Repenser la de microcrédit, l’innovation la plus vi- période de guerre froide) et l’APD affiche
pauvreté », corédigé avec son collègue sible des vingt dernières années et grand aujourd’hui des objectifs d’efficacité
Abhijit Banerjee, fournit de nombreux espoir de la lutte contre la pauvreté, ne cadrant parfaitement avec la rigueur
éléments de réponse qualitative à ces donne pas les résultats escomptés ». scientifique prônée par la chercheuse.
questions. Le livre répertorie en effet une La chercheuse se positionne, comme
série d’expériences de terrain au cours souvent, au milieu du débat, très pola- Il est néanmoins probable qu’E. Du-
desquelles les chercheurs ont énormé- risé, entre les enthousiastes et les cri- flo rencontre de nombreux obstacles
ment collaboré avec les partenaires lo- tiques de la microfinance. « Le micro- lorsqu’elle émet le souhait de passer
caux pour mieux comprendre les popula- crédit n’est pas un échec : il est utile et « l’aide internationale au crible, pro-
tions pauvres. Pour E. Duflo, « l’idée est aide beaucoup d’entrepreneurs. C’est en gramme par programme », afin de « pré-
ici de vraiment combiner randomisation tant que solution globale qu’il déçoit »9 . ciser quels sont les programmes qui
et réflexion des acteurs dans un aller-re- La Française est plus favorable à la micro marchent et ceux qui ne marchent pas ».
tour permanent »2. épargne, plus difficile d’accès pour les D’après elle, de nombreuses agences
plus pauvres que l’emprunt. « Les gens telles que l’ONU, l’USAID (l’agence
Casser les mythes n’ont actuellement pas le choix, ils ne américaine pour le développement) ou
Ces recherches cassent ainsi de nom- peuvent qu’emprunter, l’épargne pour de l’AFD (Agence française de développe-
breux mythes et idées reçues à propos des petites sommes étant très difficile à or- ment) sont de « véritables nébuleuses,
populations pauvres. Le mythe du pauvre ganiser. Le risque de voir le gestionnaire mêlant intérêts privés et publics »11.
dépendant par exemple. « Les pauvres partir avec la caisse est notamment très
vivent dans un environnement global pré- grand. Il faudrait une réglementation
caire, qui explique pourquoi ils prennent plus stricte »1. La chercheuse voudrait également, au-
des décisions qui nous apparaissent mau- delà de la notion d’efficacité, changer
vaises ou incompréhensibles, comme ne L’aide publique comme laboratoire la perspective même de l’aide. Selon
pas vacciner leurs enfants ou ne pas faire d’expérimentation elle, « l’aide extérieure ne représente
bouillir l’eau. Ils manquent d’informations Devant les nombreuses démonstrations quantitativement pas grand-chose et un
pour prendre leurs décisions de chaque d’efficacité des méthodes défendues par meilleur usage serait de s’en servir pour
jour et vivent dans un stress très impor- E. Duflo et le J-PAL, on peut se demander expérimenter de nouvelles politiques, à
tant. Ils ne sont pas entourés comme nous quels sont les facteurs freinant leur gé- fort potentiel mais un peu risquées, sur
de systèmes de sécurité – assurances, néralisation. Probablement le coût tout une petite échelle et de manière rigou-
retraites, hospitalisation, etc. – qui d’abord, même si, comme mentionné reuse », de manière à « fournir aux pays
constituent autant de filets de protection plus haut, des efforts sont entrepris pour en développement des informations pour
face aux risques de la vie. Ils manquent les diminuer. mieux définir leurs politiques »11. De par
également de perspectives, alors que leur flexibilité, leurs valeurs et leur indé-
nos études montrent que quand les per- pendance, les ONG ne constitueraient-
sonnes ont la perspective de s’en sortir, Dépasser l’idéologie elles pas l’acteur idéal pour jouer ce rôle
cela leur donne de l’énergie pour agir »7. et dépolitiser l’économie d’éclaireur / laboratoire d’expérimenta-
À l’opposé, la plupart des pauvres ne sont du développement. tion des nouvelles formes d’aide ?
pas de courageux et infatigables entre-
preneurs. Beaucoup se contenteraient
Article rédigé par Patrick Veillard
bien volontiers d’une vie de fonction- Au-delà de ces problèmes de coût, une
naire / consommateur. Les deux auteurs autre question est de savoir si tous les
de « Repenser la pauvreté » relatent ainsi acteurs de l’aide au développement
comment des infirmières en Inde ont dé- ont intérêt à voir se développer ce type
joué de manière systématique tous leurs 10 : Berthélemy J.C. Janvier 2012. « La lutte contre la pau-
vreté entre altruisme et marché : un point de vue d’écono-
8 : April 20th 2011. Untying the knot. « New ideas about an old miste. » Field Actions Science Reports, special issue 4 - 2012,
6 : April 21st 2011. « Fiesta de los randomistas. » The Economist. problem ». The Economist. p. 130-133.
7 : 13 février 2012. Maurot E. « Nous devons comprendre 9 :http://www.dailymotion.com/video/xbu1fs_esther-duflo- 11 : Schwartzbrod A. 6 janvier 2012. « Je voudrais changer la
comment les pauvres raisonnent ». La Croix. l-efficacite-du-microc_news#. perspective même de l’aide aux plus pauvres ». Libération.
1 : En 2000 à Pékin, en 2003 à Addis-Abeba, en 2006 à Pékin et en 2009 à Charm El-Cheikh. La 5e rencontre aura lieu en juillet 2012 à Pékin.
engendrent un accroissement de la pol- nement, élargissent considérablement sions. D’autres défis à relever sont l’éra-
lution et de la pression sur les ressources les possibilités et la marge de manœuvre dication de la pauvreté et des inégalités,
naturelles. Les MICs ont donc également de ces derniers. l’amélioration du niveau technologique
comme point commun des préoccupa- et des infrastructures, et la maîtrise des
tions écologiques grandissantes. Sur le plan politique, tandis que les MICs crises climatiques et alimentaires. Bien
asiatiques ont toujours maintenu une que ces pays ne soient pas responsables
Une multitude de défis forte présence étatique, se refusant à de ces crises, il est nécessaire qu’ils
Au niveau économique, la première céder à la pression du libéralisme, plu- adoptent une approche de développe-
source de financement des MICs sont les sieurs MICs latinos-américains ont enta- ment verte et à faibles émissions de car-
investissements et les prêts privés. Sur le mé un virage à gauche et renouent avec bone. En effet, si la totalité des habitants
plan commercial, les échanges des MICs les expériences antérieures de l’« État de ces États adoptait le mode de vie de la
connaissent une importante croissance, développementaliste ». Les gouverne- population des économies à haut revenu,
mais une large part de leurs exportations ments de ces pays introduisent des me- notre planète serait, à brève échéance,
restent des matières premières, des pro- sures de protection sociale, comme le condamnée. Enfin, les MICs devraient re-
duits manufacturés bas de gamme ou de programme Fome Zero au Brésil, lancent voir, tout comme les HICs, leur politique
faible technologie. En termes de com- des initiatives vertes et mettent en place d’investissement en termes d’impact so-
merce Sud-Sud, d’aide et d’investisse- des mécanismes d’intégration régionale cial et écologique sur les LICs.
ments, les flux émanant des MICs sont basés sur la complémentarité, tels que
l’Alba au Vénézuela. MICs et aide au développement
déterminés, à l’instar de ceux des États
riches, par des intérêts stratégiques, Le rapport de Vredeseilanden présente,
politiques et économiques. Cependant, Face à ces constats, les défis qui se posent dans sa deuxième partie, une perspective
les investissements de la Chine, de l’Inde pour les MICs sont nombreux. Ceux-ci d’évolution de l’aide au développement
et du Brésil dans les pays en développe- doivent tout d’abord stabiliser leur crois- à destination des MICs, centrée sur la
ment, bien que n’étant pas toujours res- sance économique afin que celle-ci soit pauvreté et l’environnement. Apporter de
pectueux des travailleurs et de l’environ- à même de résister aux chocs et aux ten- l’aide aux économies à revenu moyen et
terme fait dire aux auteurs de l’étude que non-interférence dans la politique inté- lité de leurs projets. Les donateurs tra-
l’aide chinoise en RDC se trouve dans une rieure d’un pays et par leur volonté de se ditionnels sont plus concernés par cette
phase encore transitionnelle et qu’elle se distinguer ainsi des ex-puissances colo- problématique de viabilité et s’attellent
débat, comme d’autres donneurs occi- niales qui feraient encore de l’Afrique à ce renforcer les capacités, une entre-
dentaux, avec la complexité et les pro- leur terrain d’influence, dominée par prise plus lente et moins spectaculaire
blèmes structurels propres à la RDC. leurs intérêts stratégiques. Là où l’UE se que celle menée par la Chine.
présenterait comme « protectrice », la
Aide liée et pas liée à la fois Chine serait « dans un rapport de parte-
nariat d’égal à égal ». Par ailleurs, de nombreux observateurs
Autre particularité souvent soulignée relèvent que l’aide chinoise est une aide
de l’aide chinoise, elle n’est pas liée par liée puisque la plupart des contrats ré-
des conditionnalités telles que la bonne L’aide chinoise sultant d’accords sino-africains sont
gouvernance ou le respect des droits
humains ; même si en dehors de confron- est moins importante attribués à des firmes chinoises. Pour
tations rhétoriques parfois retentis- qu’on ne le croit. autant, une aide déliée n’empêcherait
santes, le choix des projets belges ou pas cette attribution du fait du rapport
occidentaux ne se trouve guère entravé coûts-efficacité proposé par ces firmes.
par des manquements dans un domaine Mais cette « neutralité » et ce refus de De plus, en dépit d’une perception te-
où le pragmatisme l’emporte souvent toute politique à plus long terme de nace, 85 à 95 % de l’emploi est attribué
sur les principes proclamés. Les Chinois renforcement des capacités publiques aux populations locales, même si ce sont
justifient cette politique par un souci de locales, obèrent bien souvent la durabi- les postes manuels les plus déconsidérés.
Et quant à l’implication locale, facteur d’une idéologie encore marquée par le pération belge se base plus sur une ap-
hautement pris en compte dans les pro- colonialisme ou la Guerre froide. Aussi, proche méthodologique, avec un ancrage
jets belges mais quelque peu négligé par mettent-ils en question la légitimité du local plus appuyé dans des projets tels
les chinois, l’étude conclut que les pro- CAD (Comité d’Aide au Développement) que les routes de desserte, ou les livres
jets chinois en bénéficient aussi, de par de l’OCDE en tant que plate-forme de dis- scolaires. Malgré cette optique, le talon
leur forte visibilité et leur impact direct cussion relative à l’efficacité de l’aide. d’Achille des projets réside dans leur via-
sur le quotidien des populations. bilité lors de leur cession aux adminis-
trations locales.
Quid des perversités de l’aide chinoise Les projets chinois
(salaires dérisoires, contrats temporaires sont assumés Cette faiblesse du secteur public rend tout
même pour de longues périodes, hosti- partenariat inégal et c’est dans cette di-
lité à l’égard des syndicats, participation par le ministre rection que devraient s’engager conjoin-
locale déficitaire) régulièrement dénon- du commerce. tement tous les donateurs. Ce qui facili-
cées par la société civile ? Les auteurs de terait l’appropriation congolaise réelle,
la recherche voient dans ces pratiques le sans qu’elle ne reste qu’un vœu pieux.
fait de sociétés chinoises privées et non Il faut aussi remarquer qu’en l’absence
des défauts inhérents à l’aide proprement d’agence dédiée au développement ou Si tant les projets belges que chinois
dite, objet de cette étude. d’une classe institutionnelle d’experts en répondent à des besoins effectifs, ces
ce domaine, la politique d’aide chinoise derniers sont plus isolés dans leur appli-
Cohabitation ou antagonisme de l’aide obéit bien plus que les autres donateurs cation. Là où les Belges recherchent une
belge et chinoise ? aux impératifs de sa politique étrangère. vision commune et un mécanisme ins-
Les études de cas montrent, qu’à ce Mais les pays de l’UE sont aussi parfois titutionnel, les Chinois tendent plutôt
stade, la cohabitation des donateurs oc- tentés par ce genre de considérations… à une logique contractuelle, avec des
cidentaux et chinois ne pose pas de réel interactions structurelles limitées.
problème car ils se concentrent sur des Pour l’heure, il semble donc que des
secteurs différents et que leur approche, programmes trilatéraux d’envergure ne Utilités réciproques
sans être semblable, n’est pas pour soient pas envisageables dans un futur Les auteurs de la recherche souhai-
autant conflictuelle. Pourrait-on alors proche. Même si, dans un domaine en teraient que d’autres études soient
imaginer une forme de collaboration tri- particulier, celui du suivi et de l’évalua- menées dans des pays africains où la
latérale (entre les donateurs tradition- tion de programmes, très négligé par les présence chinoise est plus importante
nels, ceux des pays émergents et les pays Chinois, ceux-ci pourraient tirer grand (Éthiopie, par exemple) qu’en RDC.
bénéficiaires) appuyée sur une harmoni- profit d’une coopération mutuelle. Car une approche basée sur les regards
sation accrue entre les donateurs et des croisés de chercheurs africains, chinois
processus d’apprentissage mutuel ? Projets axés résultats et occidentaux permet de dégager une
Bien que l’agenda et les rapports des compréhension plus large des projets
Elle pourrait certes représenter un bo- projets d’aide chinoise ne soient pas en cours et des politiques qui les sous-
nus dans le domaine des stratégies de accessibles, force est de constater que tendent.
développement de la RDC. Pour autant, le nombre de projets déployés en RDC
l’intérêt de la RDC et de la Chine pour ce est extrêmement réduit. Les sept pro- La problématique de l’aide au dévelop-
type de coopération n’est pas évident. jets chinois retenus pour cette étude pement est d’une extrême complexité, en
La RDC risquerait d’y perdre une faculté couvraient en fait, sans que cela ne butte à bien des écueils, des approxima-
de négociation flexible avec les diffé- soit intentionnel, une part majeure de tions maladroites ou des effets pervers.
rents partenaires, quitte même à jouer l’aide chinoise alors que les huit projets Africains comme Occidentaux pourraient
sur leur mise en concurrence. Du point de belges retenus, dotés de budgets plus s’inspirer d’un modèle chinois basé sur
vue chinois, une coopération trilatérale importants, ne couvraient qu’une portion de longs cycles de développement et une
implique des possibilités réduites de dé- congrue de l’aide belge. explosion économique étonnante. Les
velopper un modèle propre de dévelop- expériences et innovations occidentales
pement Sud-Sud qui se poserait en réelle La Chine est convaincue que seule une en matière d’aide peuvent aussi être
alternative à l’aide traditionnelle. Sans croissance économique soutenue est à utiles aux Chinois. Enfin, les premiers
compter leur alignement obligé sur les même de réduire la pauvreté. Aussi, la concernés et les plus proches du terrain
principes de l’aide occidentale (condi- préférence clairement affichée par les visé par l’aide, les Africains eux-mêmes,
tionnalités, aide déliée, collaboration Chinois de s’engager sur des projets axés doivent se faire mieux entendre pour le
avec la société civile) et les risques pos- sur des résultats rapides et à moindre bénéfice de tous.
sibles de bureaucratisation et de ralen- coût conditionne-t-elle le choix mar-
tissement de la mise en œuvre. qué de ceux-ci pour les infrastructures.
Dès que le projet est réalisé, la prise en
De plus, beaucoup d’experts chinois charge est confiée aux administrations
voient, dans la « menace chinoise » en congolaises, dont la fiabilité n’est pas
Afrique agitée par l’Occident, les relents toujours garantie. Pour sa part, la Coo- Article rédigé par Miguel Mennig
Afrique de l’Ouest
Lors de l’élaboration de la politique nos engagements. Mieux, on va même devenu le marché et le marché est de-
agricole de la Cedeao (Communauté vous rendre l’ouvrage avant la date sur venu l’État. C’est un changement impor-
économique des États de l’Afrique de laquelle on s’est engagé. Si vous voulez tant, parce que les politiques publiques
l’Ouest), les principaux participants ont qu’il y ait des travailleurs nigériens, vous d’aujourd’hui sont dictées par le secteur
signé un pacte de partenariat. Au tout devriez alors les prendre en charge vous- privé », fustige le Secrétaire exécutif du
début, on comptait une dizaine signa- mêmes’’. Cela a coupé court au débat et Roppa qui ne décolère pas. « Vous prenez
taires. Aujourd’hui, on en dénombre les Chinois ont livré l’ouvrage presque six n’importe quel processus d’élaboration
trente. Mais les organes sous-régionaux mois avant les délais ». de politique nationale, vous allez trouver
ont encore du mal à canaliser certains derrière les mains d’une entreprise. Cette
pays comme le Japon, la Chine, l’Inde, le Selon Léné Sebgo la cohérence ré- entreprise qui produit le pétrole, ou qui
Brésil, qui ne sont pas dans les disposi- side dans deux faits : « C’est d’avoir est dans la production de l’or, va tout
tifs de coordination. « Cela provoque un un programme de développement faire pour que le code minier du pays soit
vrai problème de cohérence. On retombe à accompagné de politiques sectorielles en sa faveur. »
chaque fois sur la question de la capacité et de plans d’action avec des priorités
“ disciplinante ” des États, des institu- bien définies. Ensuite, le gouvernement Appui budgétaire : la graine de discorde ?
tions régionales. Je ne vois pas comment doit assurer son leadership à travers une De plus en plus de voix s’élèvent, qui
un État comme le Niger peut prétendre coordination efficace. » De ce point de revendiquent le retour de l’État dans « la
discipliner la Chine, et dire : chez nous vue, la multiplication des acteurs de la gestion du développement ». Selon Léné
on fait les choses de telle manière et pas coopération n’est pas mauvaise en soi. Sebgo, il faut que l’État assure son lea-
autrement », soutient Roger Blein. Du moins tant que l’État assume son dership et dispose de ressources. Cela
leadership. Ce qui n’est plus le cas se- suppose que l’on accepte de lui octroyer
« Quand les Chinois construisaient le lon Mamadou Goïta : « Dans la plupart un appui budgétaire. « Je suis pour l’ap-
deuxième pont de Niamey, poursuit-il, le de nos pays, depuis les indépendances pui budgétaire parce que c’est la voie
gouvernement nigérien a voulu imposer jusqu’au milieu des années 80, il y avait par laquelle on donne à l’État les moyens
aux Chinois un quota de travailleurs nigé- une alliance très forte entre l’État et la d’assumer ses responsabilités. On met
riens. Les Chinois ont répondu : ‘‘Nous on société civile. Le marché jouait son rôle, l’argent dans le budget, il investit et il
s’est engagé avec vous sur une date de mais l’État assumait sa fonction de ré- rend compte avec ses propres proces-
livraison. On est organisé pour respecter gulation sociale. Aujourd’hui, l’État est sus », déclare Léné Sebgo, qui explique le
rejet de l’appui budgétaire par certains l’appui budgétaire, avec tous les risques rapports mais pour tirer le meilleur de ce
partenaires de la manière suivante : que ça comporte, est vraiment un élé- qu’elles peuvent donner », assure Léné
« L’appui budgétaire a cette particularité ment clé. Mais après, c’est aux sociétés de Sebgo. « Dans la lutte contre le VIH/Sida,
que pour y aller, il faut que vous y laissiez s’organiser pour travailler sur une transpa- si les associations n’avaient pas été effi-
une partie de vous-même. Le drapeau, rence de l’État, de la gestion financière. » caces, je ne suis pas sûr qu’on aurait pu
c’est fini. Ce qui compte c’est les résul- exhiber les résultats avec beaucoup de
tats que le pays a obtenus. Des résultats La société civile pour parer aux abus fierté. Je ne pense pas qu’au Burkina,
de groupe et non individuels. » Les organisations de la société civile on les prenne pour des figurants, on les
(OSC) jouent un rôle primordial dans le considère effectivement comme les ac-
Mais il est conscient également « qu’il contrôle de la gestion du développement. teurs qui apportent beaucoup dans la re-
faut que l’État fasse en sorte que la ges- Elles sont de plus en plus nombreuses à cherche de solutions aux problèmes que
tion des finances publiques soit la plus se montrer incisives sur le terrain. « À la nous rencontrons ».
fiable possible, la plus transparente Cedeao, le Roppa a su s’imposer jusqu’à
possible, qu’il ait la capacité de rendre participer de façon très active avec l’en- Ce n’est pas le point de vue de Assane
compte de l’utilisation des ressources ». semble des autres acteurs à l’élaboration Moctar Gansoré, du Jica au Burkina : « J’ai
d’un document de politique commune », récemment assisté à une réunion des
Assane Moctar Gansoré, de la Jica, confie : se réjouit Mamadou Goïta. bailleurs internationaux avec le ministre
« S’il n’y a pas une volonté manifeste des de l’économie et des Finances. À cette
autorités de lutter contre la corruption, réunion, les bailleurs ont ressorti le pro-
ça n’encourage pas à aller vers l’appui Au Burkina, blème de la corruption en se basant sur
budgétaire et nous ne sommes pas sur les bailleurs tentent le rapport de l’ONG Renlac (ndlr : Réseau
la voie de faire de l’appui budgétaire au de relativiser. National de Lutte Anti-Corruption), et le
Burkina. ». ministre a essayé de dénigrer ce réseau-
là. Quand ça les arrange, ils sont d’ac-
Roger Blein se veut plus conciliant : « Si Les États impliquent de plus en plus les cord, mais quand ça ne les arrange pas,
l’on pense vraiment qu’il faut réhabiliter OSC dans les processus nationaux et ils trouvent que les OSC ne font pas du
l’État dans ses fonctions régaliennes, no- sous-régionaux de négociation. « On ne bon travail, c’est vraiment dommage »,
tamment “ la gestion du développement ”, les consulte pas juste pour embellir nos témoigne-t-il.
Un marché du développement
très libéral
Le monde de la coopération au développement, comme d’autres représentent ces bénéficiaires peuvent
mieux faire prévaloir leurs agendas. Les
secteurs, est composé d’acteurs qui se livrent à certaines formes donateurs savent en général qu’ils inves-
de concurrence. Cette compétition se déroule selon des règles tissent à long terme et qu’ils ne doivent
pas forcément s’attendre à des résultats
que l’on pourrait qualifier de relativement libérales. C’est une rapides. Ce contexte permet aux dona-
des conclusions du dernier livre du professeur Patrick Develtere, teurs et aux bénéficiaires d’approfondir
leur relation sur le long terme et d’amé-
de l’Université catholique de Leuven (KUL). liorer leurs stratégies communes.
Intitulé « How do we help » (disponible
uniquement en anglais), l’ouvrage passe
notamment en revue les différents types Une
d’intervenants de l’aide, mais précise compétition
que leur nombre augmente tellement relativement libérale.
vite, qu’il semble à présent excéder, en
comparaison, les parts du gâteau dispo-
nible pour fournir de l’aide. Dans cet univers bigarré qu’est devenue
la coopération au développement, tout
Dans ce foisonnement d’acteurs, il existe le monde comprend finalement l’intérêt
finalement peu d’arbitres pour fixer les d’étudier la durabilité de son action afin
règles. L’Organisation de coopération et de prouver son sérieux et sa légitimité.
de développement économiques (OCDE) Responsabiliser les acteurs
n’est pas mandatée pour faire la police,
mais pour négocier des accords, et seu- La diversité est stimulante si elle s’ex-
lement avec ceux qui acceptent les règles prime au travers d’acteurs innovants et
du jeu conventionnel. Peu de pays ont responsables. Qui aurait pu imaginer, il
adopté une loi relative à la coopération y a quelques années, dans l’univers de
au développement. Quant aux ONG, elles la coopération conventionnelle, que le
sont dans une certaine mesure guidées football puisse être un outil de pacifica-
par un socle de valeurs communes. Et tion des conflits et de dynamisation des
quand ces ONG reçoivent des subventions économies locales ? Qui en serait venu à
publiques, elles et les gouvernements imaginer que des multinationales et des
établissent des conditions mutuelles à syndicats négocient un cadre internatio-
respecter. Leurs efforts pour se confor- nal d’amélioration des conditions de tra-
mer à des règles supra-étatiques telles vail dans les pays du Sud (…) ? Qui se se-
« How do we help »,
que la Déclaration de Paris, le Code de rait permis de rêver de voir des produits
Coordonné par Patrick Develtere. conduite européen ou l’Unité d’action du commerce équitable dans les rayons
des Nations unies, ne sont pas contrac- de supermarchés ? Qui aurait pensé que
tuels, mais ont plutôt, à l’origine, des des systèmes solidaires d’assurance san-
motivations politiques, qui sont sur- té deviennent une réalité pour les plus
tout partagées, là aussi, par les acteurs pauvres, ou que l’on irait jusqu’à acheter
conventionnels de la Coopération. des forêts pour les conserver (…) ?
Il reste à vérifier si ce marché du déve-
L’embarras du choix loppement mène vers un véritable déve-
loppement. La communauté du dévelop-
On peut épingler quelques aspects posi- pement a urgemment besoin de définir
tifs à l’augmentation des acteurs four- ce qu’est la bonne coopération, conclut
nissant de l’aide au développement. Pour Patrick Develtere.
les bénéficiaires, il y a manifestement
l’embarras du choix. Les organisations qui Recension rédigée par Pierre Coopman
Les agrocarburants
sur la sellette
Un article de François Misser Incitation à l’accaparement
La politique des agrocarburants encou-
Un récent rapport d’ONG accuse l’UE d’avoir involontairement ragerait le développement de grandes
encouragé l’accaparement de terres et l’insécurité alimentaire exploitations, qui menace le droit à l’ali-
mentation des fermiers africains. Cela
en Afrique, en encourageant la consommation de carburants serait dû à une lacune de la directive dont
d’origine végétale dans le secteur des transports. Faut-il avali- les critères prévoient que les agrocarbu-
rants consommés dans l’UE ne doivent
ser ou nuancer ce réquisitoire ? pas avoir d’impact négatif sur l’environ-
nement, mais n’abordent pas la préven-
Fin février dernier, le consortium Europ tion des impacts sociaux négatifs de ces
Africa regroupant des ONG européennes cultures. Les subventions aux agrocarbu-
et africaines a présenté un rapport en rants constituent une autre incitation à
forme de réquisitoire contre la politique l’accaparement, concluent les ONG, re-
européenne des biocarburants1. Il visait joignant ainsi largement les analyses du
particulièrement les effets de la directive rapporteur de l’ONU pour le droit à l’ali-
européenne sur l’énergie (DER), adoptée mentation, Olivier De Schutter. Selon ce
en 2009, qui fixe un objectif de consom- dernier, la diminution de 13 % des stocks
François Misser mation de 10 % de carburants d’origine mondiaux de céréales entre 2009 et 2011
est correspondant à Bruxelles de
végétale dans le secteur des transports est imputable pour les deux tiers à l’UE et
BBC-Afrique. Il suit l’actualité
à l’horizon 2020. Cet objectif a été défini aux Etats-Unis, notamment à cause de
africaine depuis 1983 et plus
afin de réduire la dépendance vis-à-vis la demande en agrocarburants. De leur
particulièrement les thématiques
des carburants fossiles, dont les prix côté, le Fonds mondial de l’alimentation
intéressant l’économie et la s’envolent, de lutter contre le change- (FAO) et la Banque mondiale ont recom-
conflictualité dans la région ment climatique et de satisfaire la de- mandé l’abandon des subventions aux
des Grands Lacs. Il est l’auteur mande croissante du secteur. Il implique agrocarburants en raison de leur impact
de plusieurs ouvrages, dont une multiplication par trois entre 2009 négatif entraînant une imprévisibilité
« Géopolitique du Congo (RDC) » et 2020 de la consommation européenne des prix des denrées alimentaires.
d’agrocarburants.
(Complexe, 2006), écrit avec Marie- Estimations difficiles
France Cros et « Les gemmocraties,
l’économie politique du diamant
Le rapport admet que l’impact de la
Les ONG relèvent que cette politique est politique en Afrique est difficile à suivre
africain » (Desclée de Brouwer, 1997), bien intentionnée, mais ils lui reprochent
écrit avec Olivier Vallée.
car beaucoup d’investissements sont
de n’être pas cohérente avec les objectifs récents dans le secteur. Mais il estime
de développement de l’UE, concernant la que les investisseurs étrangers sont en
sécurité alimentaire, l’appui à la produc- train d’acquérir de plus en plus de terres
tion agricole durable de petite échelle et afin de pouvoir produire des agrocarbu-
les aspects sociaux, économiques et en- rants en vue d’une exportation vers l’UE,
vironnementaux qui y sont liés. encouragés par des prix la baisse. Selon
la Banque mondiale, entre 3 et 5 millions
1 : EuropAfrica, “(Bio)fueling injustice ? : Europe’s re-
sponsibility to counter climate change without provok- d’hectares auraient déjà été acquis par
ing land grabbing and compounding food insecurity in des sociétés européennes à cet effet.
Africa”, Bruxelles, février 2012. Ce consortium regroupe les
partenaires suivants : Réseau des organisations paysannes
et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest, Eastern African Le rapport n’exonère toutefois pas les
Farmers Federation, Plate-forme régionale des organisations États africains de leurs responsabili-
paysannes d’Afrique Centrale, Terra Nuova et Centro Interna- tés. À commencer par ceux qui se sont
zionale Crocevia (Italie), Collectif Stratégies Alimentaires et
Vredeseilanden (Belgique), Practical Action (Royaume-Uni) fixé des objectifs ambitieux en matière
et Glopolis (République tchèque). de consommation de carburants d’ori-
Les agrocarburants
encourageraient
le développement
des grandes
exploitations.
© Demodix / Reporters.
personnes vont être touchées par le pro-
jet. Des compensations aux communau-
tés locales sont prévues, mais, à terme,
l’accès à l’alimentation de la plupart
d’entre eux est menacé. Leurs pâturages Lors d’une manifestation anti-agrocarburants en Angleterre.
vont être transformés en plantations de
canne à sucre. Et selon la Gesellschaft
für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) durabilité. Ruta Baltause, responsable Les ONG reprochent également à l’UE de
allemande, malheureusement, la popu- de la direction générale de l’Énergie à la justifier son inaction face aux abus, en
lation locale n’a pas eu l’occasion de Commission européenne le confirme en invoquant les règles de l’Organisation
participer au processus de décision. rappelant que la directive interdit toute mondiale du commerce, qui interdisent
conversion de terres à haute teneur de les restrictions aux échanges sur la base
carbone (forêts, tourbières, mangroves, de discriminations fondées sur l’origine
L’impact etc.) et à haute valeur en termes de et les techniques d’élaboration des pro-
biodiversité. Mais les ONG déplorent duits. Mais cet argument pose un pro-
des agrocarburants blème de cohérence avec l’article 208
en Afrique est difficile que ces critères ne concernent que les
aspects environnementaux des projets du Traité de Lisbonne de l’UE qui stipule
à évaluer. et ignorent leur impact social. Elles ac- que l’Union doit prendre en compte les
objectifs de développement dans toutes
cusent l’UE et ses États membres de vio- ses politiques, en tête desquels figure la
On rencontre aussi des situations de ce ler les droits de l’homme en n’ayant pas sécurité alimentaire. De façon générale,
genre en Tanzanie, où le gouvernement, mené d’études d’impact de leur politique estime de son côté, Olivier De Schutter,
pour attirer des investisseurs, a déclaré énergétique sur ces mêmes droits dans il faudrait assurer un meilleur suivi de
inoccupées des terres revendiquées par les pays en développement et en n’ayant l’impact de la directive sur l’énergie re-
plusieurs propriétaires locaux. Beaucoup pas suffisamment imposé de règles aux nouvelable.
d’accords sont conclus dans des pays où compagnies productrices d’agrocarbu-
la gestion des affaires publiques est faible rants en Afrique. « Une opportunité s’offrira à la fin de
et où la valeur ajoutée dans les projets l’année de revoir ou de compléter les
d’agrocarburants est captée par des in- critères de la directive », explique Ruta
Face aux critiques, la Commission euro-
vestisseurs étrangers ou par les élites lo- Baltause. Une évaluation des modifi-
cales, comme au Sierra Leone, où la firme péenne se défend en disant que les pays cations indirectes de l’affectation des
helvétique Addax s’octroie généreusement où sont mis en œuvre des projets d’agro- sols entraînés par les projets d’agrocar-
97 % des bénéfices d’un projet de produc- carburants devraient eux-mêmes prendre burants est prévue au cours du premier
tion d’éthanol sur 10 000 hectares financéles dispositions légales pour éviter les semestre 2012, qui pourrait déboucher
par la Banque africaine de développement. abus en matière de répartition de la pro- sur des propositions en vue d’amender
priété foncière. Elle soutient également les directives sur l’énergie renouvelable
Réponse européenne qu’aucun lien direct n’existe entre sa po- et sur la qualité des carburants. Et avant
Les auteurs du rapport prennent note que litique énergétique et les dommages cau- le 1er janvier 2013, est attendu un rap-
la directive européenne sur les énergies sés par certains projets d’agrocarburants port de la Commission au Parlement et
renouvelables impose bien des critères de dans les pays en développement. au Conseil européens sur l’origine des
septembre 2011 n° 26
Dynamiques paysannes
Dynamiques paysannes Une publication consacrée au développement des organisations paysannes, de l’agriculture et
Des plates-formes paysannes d’Afrique de l’Ouest et
des Organisations de solidarité internationale en Europe :
Ensemble pour influencer les politiques à l’Assemblée parlementaire
du monde rural. En raison de l’importance économique et sociale de l’agriculture dans les pays
paritaire UE-ACP
L’Assemblée parlementaire
UE-ACP
du Sud, SOS Faim a toujours privilégié le secteur agricole dans ses actions de soutien.
Un processus dynamique,
collectif et partagé … Derniers numéros parus :
Avec des résultats certains …
Zoom microfinance
Une newsletter consacrée à la présentation d’initiatives en matière de microfinance.
Depuis 15 ans, SOS Faim appuie des programmes de microfinance et souhaite partager ses
expériences.
Derniers numéros parus :
N°33 M
ise en valeur d’une production paysanne : rôle d’Harbu Microfinance
dans la filière soja en région Oromo (éthiopie)
Dajaloo
n° 29 av r i l /m a i 2 0 12
Se rassembler pour faire changer les choses !
Le magazine qui donne cinq fois par an des idées pour agir au Nord et propose des
Rue aux Laines, 4
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