Duflo - La Science de L'aide

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Mali

Rompre avec la logique


de la division
Numéro 106
Bimestriel
avril, mai 2012
ne paraît pas en janvier UE & Afrique

défis sud
Rue aux Laines, 4 Les agrocarburants
1000 Bruxelles
sur la sellette
Bureau de dépôt
Bruxelles X
N° d’agrément : P307409

Dossier
Coopération au développement :
Les temps changent
Somma i r e
actualités Présidentielles au Sénégal p 4-6
Les Sénégalais viennent de changer de chef d’État, en élisant M. Macky Sall à la place
d’Abdoulaye Wade, qui a passé douze ans à la tête du pays. Parmi les urgences dont le
nouveau président devra se saisir, il y a la situation du monde rural, dont une partie
souffre de l’insécurité alimentaire.

Dossier p 7-30
Coopération au développement :
Les temps changent
De nos jours, les acteurs qui se targuent de faire de l’aide au développement, comme
Bill Gates, qui est à l’honneur sur notre photo de couverture, se sont multipliés,
sans toujours suivre les mêmes objectifs. Face à la diversité des bailleurs, l’accent
doit être mis sur plus de cohérence et de coordination. Dans le contexte actuel de
crise budgétaire, de nombreux observateurs craignent un recyclage de l’aide au dé-
veloppement. Les perspectives de l’aide aux pays les plus pauvres changent aussi
radicalement avec la montée en puissance des pays émergents. Les sociétés civiles
des pays aidés sont au milieu du gué. Pourront-elles, sur base de leur expérience de
terrain, orienter l’avenir des politiques de coopération au développement ?
  Une aide au développement de plus en plus diffuse 7-9
  Plaider la cohérence c’est bien la mettre en œuvre c’est encore mieux 10-13
  L’équation Fonds climat + Coopération 14-16
  La science de l’aide selon Esther Duflo 17-19
  Les perspectives des économies à revenus moyens 20-22
  Quand l’aide chinoise et belge se croisent 23-25
  Vers une privatisation du développement ? 26-29
  Un marché du développement très libéral 30

Directeur de la publication : Jean-Jacques Grodent. Rédac-


Analyse les agrocarburants sur la sellette p 31-34 teur en chef : Pierre Coopman. Conseil éditorial : Laurent Biot,
Christophe Brisme, François Cajot, Pierre Coopman, Thierry De-
Un récent rapport d’ONG accuse l’UE d’avoir involontairement contribué à l’accapa- fense, Freddy Destrait, Jelle Goossens (invité), Jean-Jacques
Grodent, Marine Lefebvre, Marc Mees, François Vandercam.
rement de terres et à l’insécurité alimentaire en Afrique, en encourageant la consom- Collaborateurs : Charline Cauchie, Patrice Debry, Emmanuel De
Loeul, Mohammed Gueye, Inoussa Maïga, François Misser, Patrick
mation de carburants d’origine végétale dans le secteur des transports. Faut-il ava- Veillard. Couverture : Bill Gates/ Reporters. Rédaction-Bel-
gique : Rue aux Laines, 4, 1000 Bruxelles. tél. 32 (0)2 511 22
liser ou nuancer ce réquisitoire ? 38 Rédaction-Luxembourg : Rue Victor Hugo, 88, 4141 Esch/
Alzette. Tél. 352 49 09 96 21 Réalisation : Studio Marmelade.
Impression : Arte Print. Défis-Sud est une publication de SOS
agir p 35 Faim. Défis-Sud est un forum où des auteurs d’horizons divers
s’expriment sur les thèmes du développement. Tous droits de
Action urgente pour le Sahel. Des ateliers pour les leaders paysans congolais. reproduction réservés. Les articles n’engagent que leurs au-
teurs. Les titres et les sous-titres sont parfois de la Rédaction.
Les manuscrits envoyés spontanément ne sont pas rendus.
E-mail : [email protected]
Site web : www.sosfaim.org

Imprimé sur papier recyclé. Éditeur responsable : Freddy Destrait


rue aux Laines, 4 - 1000 Bruxelles.
Défis Sud bénéficie du soutien de la Direction générale de la
coopération au développement (DGCD) et d’un apport du Ministère
des Affaires étrangères luxembourgeois (MAE).
éditorial

Mali : rompre avec la logique


de la division
L’éditorial de Freddy Destrait Secrétaire général de SOS Faim Belgique
et de Thierry Defense Directeur de SOS Faim Luxembourg

Le Mali est coupé en deux : au Nord, un nouvel État a été auto proclamé par
le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), mais qui n’est pas
reconnu par la communauté internationale. Le MNLA doit en outre composer
avec un autre mouvement, Ansar Dine, dont l’objectif avoué est très diffé-
rent : instaurer la charia sur l’ensemble du territoire malien (il refuse donc
la scission du pays). Au Sud, après le putsch du « sans grade », le capitaine
© Mihnea Popescu.

Sanogo, une timide sortie de crise s’amorce grâce à la démission officielle du


président de la République et à la nomination du président de l’Assemblée
nationale comme chef de l’État ad interim. Au balcon, une communauté inter-
nationale qui, hormis la suspension progressive de son aide et ses appels au
Freddy Destrait retour de l’État de droit, se cantonne dans un rôle d’observateur. Au centre,
une population aux abois : on dénombre plus de 268 000 déplacés depuis jan-
vier (dont près de la moitié à l’intérieur du Mali).
En revisitant l’histoire récente –plus particulièrement celle du début de la
Troisième République maliennne, en 1991– 1, on s’étonne un peu moins de ce
qui s’y passe : le « problème » du Nord, trop facilement ethnicisé, a longtemps
© Etienne Delorme/ Paper Jam.

été oublié par Bamako et par la communauté internationale.


De surcroît, une crise alimentaire sévère frappe à nouveau à la porte du Sahel.
La crise politique a encore aggravé la situation d’une population sahélienne
déjà très vulnérable. « Le conflit a fait grimper les prix sur les marchés alimen-
taires régionaux et a provoqué un mouvement majeur de pasteurs venus des
zones où l’eau et le fourrage sont extrêmement limités », s’inquiètent le Rop-
Thierry Defense pa2, le Réseau Billital Maroobé et Oxfam dans une note d’information récente3.
Tout en craignant que les décisions prises par la Communauté économique des
États de l’Afrique de l’Ouest (fermeture des frontières, restrictions financières)
risquent d’avoir un effet dramatique sur les populations.
Dès lors, comment sortir de l’ornière ? Dans le dossier de cette édition de
Défis Sud, que nous consacrons à l’avenir de la coopération au développe-
ment, Mamadou Goïta, le secrétaire exécutif du Roppa, s’inquiète : « Il est
de plus en plus compliqué aujourd’hui de mobiliser des ressources. Nous avons
des difficultés à nous projeter dans l’avenir, au-delà des 5 ou 10 ans, les appuis
deviennent très étriqués (…) »
Si, à court terme, l’accès à l’aide humanitaire des populations du Nord Mali
et le dépôt des armes semblent être un préalable, le dialogue politique entre
toutes les parties concernées est la seule issue possible. Pas en quarante
jours : on ne règle pas des frustrations d’un demi-siècle en un coup de cuillère
à pot ! Pas non plus entre les élites politiques et les chefs rebelles uniquement.
La société civile dont parle Mamadou Goïta - les organisations paysannes, de
pasteurs, d’éleveurs en premier lieu - doit être appuyée et étroitement asso-
ciée à un long et difficile processus de paix.
Car n’est-ce pas elle qui paie à nouveau le prix fort de ce chaos ?
1 : À cet égard, nous vous invitons à lire ou à relire le très intéressant Cahier d’Etudes Africaines n° 137
(paru en 1995) de Claude Fay « La démocratie au Mali, où le pouvoir en pâture ».
2 : Réseau des organisations paysannes et des professionnels agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa).
3 : « Crise alimentaire dans le Sahel : Cinq étapes pour rompre le cycle de la faim en 2012 »,
note d’information du 9 avril 2012, Oxfam-ROPPA-RMB.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 3


actualités Présidentielles au Sénégal

Macky Sall et le monde paysan

Vers la continuité ou la rupture


des politiques agricoles ?
monde agricole et rural», en l’occur-
rence, ceux qui aspiraient à diriger le
Les Sénégalais viennent de changer de chef d’État en élisant pays. Il s’agissait aussi de rappeler l’im-
M. Macky Sall à la place d’Abdoulaye Wade, qui a passé douze portance de la question foncière dans
le développement agricole et rural du
ans à la tête du pays. Parmi les urgences dont le nouveau pré- Sénégal. Au moment du forum, les par-
sident devra se saisir, il y a la situation du monde rural, dont une ticipants furent informés qu’une dizaine
de paysans avaient été interpellés à Dio-
partie souffre de l’insécurité alimentaire. koul, dans le département de Kébémer, à
environ 120 km au nord-ouest de Dakar.
« Les autorités doivent élaborer une poli- Leur crime ? Avoir démoli l’enclos d’une
tique agricole nationale », affirment les ferme établie sur des terres que les auto-
producteurs membres du Conseil natio- rités locales avaient décidé «d’offrir» à
nal de concertation et de coopération un particulier, qui voulait y développer
des ruraux (Cncr). Dès la mi-mars 2012, de l’agriculture intensive. La cession de
le coordonnateur de la cellule technique ces 3 000 ha privait environ une centaine
du Cncr, Marius Dia, a interpellé Macky de paysans et leurs familles de leur res-
Sall, qui n’était encore qu’un candidat source la plus sûre.
à la présidence parmi d’autres. Les col-
laborateurs de Macky Sall se sont mon- Huit candidats à l’élection s’étaient
trés ouverts aux idées des paysans et ont présentés au forum afin d’y soumettre
accueilli leurs préoccupations avec inté- leurs propositions aux leaders paysans
Mohamed Gueye rêt, assurant qu’ils allaient leur consa- ainsi qu’aux acteurs du monde rural. Au
est le chef du « desk » économie crer toute l’attention nécessaire. Mais terme des débats avec ces candidats, un
au journal sénégalais Le Quotidien. le nouveau président a-t-il vraiment une chercheur de l’Ipar déclarait aux jour-
Il est le correspondant de Défis vision pour l’avenir du monde rural séné- nalistes : «Si c’est tout ce que nos poli-
Sud au Sénégal depuis quatre ans. galais, qui se démarquerait réellement ticiens ont comme propositions pour le
L’ensemble des articles rédigés par des politiques de son prédécesseur ? monde rural, je me demande si c’est une
Mohamed Gueye est accessible sur bonne chose pour les paysans de changer
Un forum à enjeux de régime. Au moins le régime de Wade
www.sosfaim.org
Pour les représentants du Cncr, ainsi met beaucoup d’argent dans l’agricul-
que pour les chercheurs de l’Initiative ture, même si ces sommes ne sont pas
prospective agricole et rurale (Ipar), toujours utilisées à bon escient et par les
cette ouverture augure peut-être des personnes qu’il faudrait». À écouter les
lendemains différents de ceux qu’ils ont engagements des différents challengers
connus. Car les conclusions du forum du président Wade, il y avait en effet de
organisé en février dernier à Dakar, par quoi rester dubitatif.
le Cncr, en collaboration avec l’Ipar et le
Collectif des ONG d’appui au développe- Propositions fourre-tout
ment (Congad), n’incitaient pas à l’opti- Certains parlaient d’organiser ce qu’ils
misme. Ce forum, qui se déroulait avant appelaient, des États généraux de l’Agri-
le premier tour de l’élection présiden- culture, «pour avoir un tableau de bord
tielle, avait pour objectifs de «dégager des réalisations et des défis à accom-
des perspectives d’avenir pour le secteur plir». S’accordant tous sur la «nécessité
agricole et rural, à l’occasion des élec- de faire de l’agriculture une priorité» de
tions de 2012». Il s’agissait notamment leur «gouvernance», ces divers aspi-
de «partager les enjeux, les difficultés rants dirigeants divergeaient néanmoins
et les perspectives du monde rural avec quelque peu sur les aspects pratiques
les acteurs intéressés par le devenir du de leurs ambitions. Le candidat socia-

4 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


actualités Présidentielles au Sénégal

© Rebecca Blackwell/ Reporters.


Lors d’un meeting de soutien à Macky Sall.

liste, dont le parti avait dirigé le Sénégal lutionnaire… On restait là dans la droite tour. Marius Dia explique que cette forme
quarante ans durant, avant l’arrivée du ligne de la conception des tenants du de collaboration était nécessaire, et
libéral Wade, ne suggérait pas moins que pouvoir qui allait perdre les élections. qu’elle a, sans préjuger de l’avenir, per-
le «retour aux filières interprofession- mis de modifier le discours de campagne
nelles, l’intégration des activités agri- Rapprochement paysans-politiques du candidat Macky Sall au second tour.
coles et d’élevage, pour aller vers plus de Il faut par ailleurs signaler que le pré-
cohérence ». Un autre, sans doute servi sident de la République sortant, en
par ses nombreuses années de gouverne- conflit non déclaré avec le Cncr, n’avait Le foncier laissé à
ment auprès du président Wade, promet- pas jugé utile d’envoyer de représentant,
tait l’électrification rurale globale, tout ni de s’excuser. Sur les quatorze candi- l’appréciation
en assurant vouloir mettre l’accent sur dats à la présidentielle, seuls huit avaient de la nation.
«les agropoles», qui devraient concen- pris la peine de répondre à l’invitation
trer les activités agricoles dans des qui leur avait été faite. Sans chercher à
centres équipés d’infrastructures rou- comprendre les raisons des absences des Le présidentiable a reconnu la néces-
tières nécessaires, où les paysans trou- autres candidats, les organisateurs ont sité de prendre des mesures d’urgence,
veraient des structures médicales adé- néanmoins estimé que, dans l’hypothèse une fois qu’il serait au pouvoir, pour
quates, avec des équipements agricoles d’une collaboration plus grande avec de «enrayer la famine qui menace le nord
des plus performants à leur disposition. nouveaux dirigeants, il était nécessaire du Sénégal». Depuis 2007, le président
de les accompagner dans l’élaboration Abdoulaye Wade a toujours refusé de
d’une politique qui tienne compte des reconnaître un quelconque risque de
En contrepartie, on pourrait faire en réalités du monde rural sénégalais. famine au Sénégal. La politique officielle
sorte qu’une exploitation agricole digne en matière de sécurité alimentaire a été,
de ce nom couvre au moins 30 ha. Ce qui, C’est ainsi qu’après les résultats du pre- depuis mai 2008, que, grâce à la Grande
dans un pays où les dimensions moyennes mier tour, le Cncr s’est rapproché du offensive agricole pour la nourriture et
d’une exploitation familiale sont de camp du candidat Macky Sall, le seul l’abondance (Goana), le Sénégal était
moins de 1 hectare, serait vraiment révo- opposant qui se soit retrouvé au second non seulement préservé de l’insécurité

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 5


actualités Présidentielles au Sénégal

alimentaire, mais avait en plus atteint la


capacité d’exporter ses excédents de cé-
réales et d’autres produits alimentaires
dans d’autres pays. Cette ligne était res-
pectée même quand le pays recourait aux
aides du Programme alimentaire mondial
(PAM) et de la FAO pour pouvoir secou-
rir les couches les plus vulnérables de la
population. Même le déficit céréalier de
cette année, qui atteint environ 35 % du
taux normal, n’était nullement évoqué
par les autorités.
Les leçons à Macky Sall
M. Macky Sall ayant été, depuis 2001,
tour à tour ministre de l’Hydraulique et
de l’Energie, Premier ministre et pré-

© Tack Julian / Reporters.


sident de l’Assemblée nationale dans le
régime libéral du président Wade, avant
que ce dernier ne le pousse dans l’oppo-
sition, on ne s’est pas trop étonné au sein
du Cncr, de l’Ipar et du Congad, de voir
que sa conception de l’Agriculture ne Vote en banlieue de Dakar.
différait pas énormément de ce qui s’est
fait durant les douze dernières années. millions d’euros) tirés «de la réduction trouvaient rien de mieux à déclarer que :
du train de vie de l’État», ce fonds devait «Nous allons de réformer le foncier ru-
permettre de financer environ 30  000 ral.» L’un déclarait qu’il allait accorder
Le président Wade projets tournés vers le monde rural, pour des titres fonciers à tous les paysans,
n’avait pas envoyé de créer, au bout de cinq ans, un minimum l’autre promettait de mettre en place un
représentant. de 500 000 emplois et ainsi fixer dans leur cadastre rural, tandis qu’un troisième
terroir une bonne partie des ruraux tentés avouait qu’il s’agissait de permettre aux
par l’exode ou par l’émigration. paysans de pouvoir hypothéquer leurs
Le secrétaire général du Cncr, M. Baba terres pour lever des crédits, comme sou-
Ngom raconte qu’interpellé sur le besoin Un chercheur de l’Ipar a très vite remar- haitait le faire le président Wade.
pour le pays de se doter d’une politique qué que, à l’image des politiques actuel-
agricole, le nouveau président, alors lement conduites, ces projets brillants Il n’est pas certain que beaucoup de ces
candidat à la magistrature suprême, n’a faisaient peu de cas de la capacité des politiciens présents au forum se soient
trouvé rien de mieux à répliquer que le ruraux sénégalais de se nourrir et de ralliés à la proposition du président
pays avait déjà une politique agricole, nourrir le reste de leurs compatriotes. d’honneur du Cncr, M. Mamadou Cisso-
à travers la Loi d’orientation agro-syl- Le scientifique a noté que la plupart des kho. En prenant la parole à la clôture du
vo-pastorale (Loasp). «Il a fallu qu’on projets présentés, comme celui de Macky forum, M. Cissokho a exprimé la reven-
lui explique que la Loasp constitue l’un Sall, avaient tendance à considérer les dication, au nom des paysans, que les
des instruments pour l’élaboration d’une ruraux comme des poids inertes inca- questions du foncier rural soient lais-
politique agricole, mais ne saurait pas en pables de s’émanciper, et pour lesquels sées à l’appréciation de la nation tout
constituer une. Ce fut d’ailleurs l’occa- il fallait que l’État fasse tout. Cette entière. Pour lui, il fallait que la décision
sion de lui rappeler la nécessité de faire manière de faire a été celle en vigueur de céder une portion de terre agricole à
prendre rapidement les différents dé- pendant les douze années de pouvoir du une entreprise ou à un groupe d’individus
crets d’application de cette loi d’orien- président Abdoulaye Wade, et elle n’a puisse faire l’objet d’un référendum, et
tation», rapporte M. Ngom. pas donné de résultats probants.
ne dépende pas d’un gouvernement qui,
Référendum sur le foncier au bout d’un mandat limité, n’aura plus
Parmi les «brillants projets» que les nou- à rendre compte des conséquences de
veaux dirigeants se préparaient à mettre Marius Dia a constaté, quelques jours ses décisions.
en œuvre au bénéfice des producteurs après le forum, que les politiciens étaient
sénégalais, il y avait notamment, la venus à cette session, non pas pour
création de ce qu’ils avaient appelé un échanger, mais dans l’espoir de se gagner Cette proposition de Mamadou Cissokho
Fonds de garantie et d’investissement des électeurs. En matière de foncier, face n’avait reçu aucun écho lors du forum.
prioritaire. Financé, selon ses concep- aux questions d’accaparement de terres, On verra à l’épreuve des faits si Macky
teurs, à partir des ressources de l’ordre de illustrées par les cas de Diokoul, beau- Sall en tiendra compte, d’une manière ou
120 milliards de francs CFA (environ 180 coup de politiciens, dont Macky Sall, ne d’une autre.

6 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Coopération au développement :
Dossier
Les temps changent
Introduction et statistiques

Une aide au développement


de plus en plus diffuse
Mesurer et quantifier l’aide au développement est devenu de effectuées dans le pays donateur, ou
même liées à des activités militaires,
plus en plus difficile. Les manières de calculer diffèrent selon la etc.). L’apparition de nouveaux acteurs,
définition que l’on donne de l’aide. Et les acteurs qui se targuent secteur privé et pays émergents en tête,
complexifie encore un peu plus la donne.
de faire de l’aide au développement, comme Bill Gates, qui est à
Quelques chiffres clefs du développement
l’honneur sur notre photo de couverture, se sont multipliés, sans Pour des raisons historiques, le concept
toujours suivre les mêmes objectifs. de référence majoritairement utilisé dès
que l’on parle d’aide est l’aide publique
au développement (APD) des pays de
La définition et la mesure de l’aide au l’OCDE2. La définition y correspondant
développement restent l’objet de nom- donnée par le Comité d’aide au dévelop-
breux débats. En cause, l’hétérogénéité pement (CAD) de l’OCDE est la suivante :
des flux d’aide  (prêts, dons, assistance l’APD est constituée par les apports
technique, etc.1), et la propension de de ressource  publics fournis aux pays
certains donateurs à « gonfler » leur en voie de développement (PVD) listés
comptabilité à l’aide de formes d’aide comme bénéficiaires, dans un objec-
pour le moins douteuses (annulations tif de développement économique et
de dettes – peu coûteuses, dépenses assortis de conditions favorables1. Par
conditions favorables, le CAD entend un
1 : Jacolin L., Guérineau S., Marty D. Décembre 2011. « L’aide élément de libéralité (ou concessionnel)
internationale est-elle affectée par les cycles économiques égal à au moins 25 %. Un prêt respectant
et les politiques budgétaires des pays donateurs ? » Tech-
niques financières et développement, no 105, p. 35-48.
ces conditions peut donc être considéré
comme une aide, même s’il est ensuite
Graphique 1 remboursé jusqu’au dernier centime par
le pays bénéficiaire. À noter également
Variation des flux d’APD des 50 dernières années que les prêts bilatéraux liés (c’est-à-
dire que le pays destinataire doit utiliser
Total APD en milliards de dollars APD en % du Revenu National Brut l’aide pour l’achat de produits du pays
140 0,6 prêteur) et les annulations de dette font
aussi partie de l‘APD.
120 0,5
100 L’aide ainsi définie est mesurée depuis les
0,4 années 60 par l’OCDE (graphique 1). L’or-
80 ganisme se félicite dans son dernier rap-
0,3
60 port annuel du volume absolu de l’aide au
0,2 développement, qui a atteint en 2010 un
40 record historique : 128,7 milliards de dol-
20 0,1 lars, ce qui représente une augmentation
de 6,5 % par rapport à 2009. Le satisfecit
0 0 de l’OCDE est néanmoins vite nuancé par
1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 un second constat : rapportée sous forme
Source : CAD Statistiques, OCDE 2011.
2 : Organisation de coopération et de développement
APD : Aide publique au développement économiques.

% APD
0,7
n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 7
0,6

0,5
Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

d’effort consacré à l’aide, c’est-à-dire


en % du produit national brut (PNB),
l’APD n’atteint que 0,32 %3. Un chiffre Les développements historiques
largement inférieur aux engagements de
0,7 % pris par les donateurs en l’an 2000,
de la coopération
à l’occasion du lancement des Objectifs
du millénaire pour le développement1. La coopération au déve- est alors le plus souvent une lutte consensuelle
loppement a connu son considéré comme de la contre la pauvreté. Des
Sur ce total,  l’aide européenne repré- essor après les décoloni- croissance économique, résultats ont été engran-
sations et l’indépendance dopée par des exporta- gés, mais pas à la hauteur
sente 70,2 milliards de dollars, soit des pays du Sud. Dans la tions et la conquête des des objectifs planifiés.
0,46 % du produit national brut des pays foulée, cette coopération marchés du Nord. Ap- Surtout, si des miséreux
concernés, une augmentation de 6,7 % devint également une puyée par des institutions ont été sortis de leur état,
par rapport à 2009 et plus de la moitié question de rivalité Est- internationales telles que les rapports d’inégalité
(54 %) de l’aide mondiale totale4. Ouest. la Banque mondiale, le (entre les mieux et les
Fonds monétaire interna- moins bien nantis) n’ont
La fin de la Guerre froide,
tional et l’Organisation cessé de croître.
à partir de 1989, fit vacil-
La définition de l’aide ler les modèles sociaux-
mondiale du commerce,
La crise financière
cette approche échouera
reste l’objet de nombreux démocrates et les modèles
à jeter les bases d’un
actuelle semble débou-
étatiques communistes. cher sur une attention
débats. Les budgets de l’aide pu-
tissu économique solide
plus grande accordée aux
et durable dans les pays
blique au développement marchés intérieurs, à la
du Sud.
chutèrent. C’était l’époque consommation intérieure
La Belgique se positionne quant à elle du « Trade not aid » qui Les années 2000 sont et aux revenus réels, plus
plutôt bien, puisqu’avec un montant de s’imposait à la fois pour celles de la proclama- seulement aux expor-
3 milliards de dollars, elle atteint 0,64 % des raisons idéologiques tion des Objectifs du tations. Les variantes
de son PNB, ce qui représente une des et face à une série de dé- millénaire. Valorisant d’une «démondialisation»
hausses les plus importantes par rapport rives de l’aide publique au une approche pragma- constitueront-elles le
à 2009 (+19,1 %). Néanmoins, cette aide développement : détour- tique, ceux-ci tentent champ des tensions et
reste en dessous de l’objectif légal5 des nements, collusion avec de constituer un cadre compromis de demain en
0,7 % en 2010 (graphique 2). En outre, des régimes corrompus, général pour l’ensemble matière de conception du
une grande partie provient d’une annu- etc. Le développement des intervenants dans développement ?
lation récente de dette en faveur de la
RDC4(graphique 3).
Crise de l’APD européenne
Plus inquiétant, le gouvernement belge a la crise économique. Mais leur sensibilité cacité de l’aide, tenue à Busan en Corée
décidé, suite au dernier conclave budgé- au solde budgétaire combinée à la crise en décembre dernier, a ainsi consacré
taire, de réduire de 50 millions le budget de la dette souveraine apparaît dans ces l’idée d’un cadre large de développe-
de la Coopération belge6. Même si cette premières baisses, signes d’un déclin qui ment, et non plus seulement d’aide,
coupe concerne principalement le finan- s’annonce lourd1. D’aucuns prédisent intégrant le secteur privé et les partena-
cement de l’Office national du Ducroire7, une période similaire aux années 90, qui riats public-privé (PPP) comme sources
l’annonce est symptomatique d’une avait vu une forte baisse, notamment essentielles du financement10. Un suivi
crise de l’APD européenne, des mesures dans le contexte de fin de guerre froide8 des différents flux de ressources vers les
similaires ayant été prises sur tout le (graphique 1). PVD effectué par la Banque mondiale
continent. Les budgets européens d’APD (graphique 4) permet à ce titre de voir la
avaient jusqu’à maintenant bien résisté à Au-delà des effets conjoncturels, on nette progression entre 2002 et 2007 des
assiste également à une mutation struc- investissements du secteur privé, sous
turelle du régime de l’aide. Elle devient forme d’investissements directs étran-
3 : OECD. 2011. « Development Cooperation Report 2011:
50th Anniversary Edition. » OECD Publishing.
ainsi de plus en plus complexe, avec gers (IDE), d’investissements en por-
http://dx.doi.org/10.1787/dcr-2011-en. l’apparition de nouveaux acteurs et une tefeuille (IP) ou de dette privée (DP)11.
4 : CNCD. 6 avril 2011. « L’aide au développement a atteint
frontière entre public et privé qui s’es- Même si cette croissance exponentielle
un record en 2010 mais reste inférieure aux engagements des tompe9. La dernière conférence sur l’effi- a été stoppée nette par la crise, les vo-
donateurs. » Communiqué de presse. http://www.flickr.com/ lumes restent importants et tendent à
photos/atelier_tee/152808185/.
5 : L’objectif est inscrit dans la loi belge depuis la conférence 8 : Les phénomènes de cyclicité de l’aide sont très complexes
de Monterrey en 2002. et multifactoriels, mais la crise économique et la réduction 10 : CNCD. 1er décembre 2011. « Efficacité de l’aide : le
des intérêts stratégiques liée à la fin de guerre froide consti- Sommet de Busan, théâtre des nouveaux rapports de forces
6 : CNCD. 15 mars 2012. « 50 millions en moins pour la coopé- tuent probablement les deux principaux facteurs explicatifs Nord-Sud. » Communiqué de presse. http://www.cncd.be/
ration : " Regrettable mais pas surprenant "». Communiqué de la diminution de l’APD observée dans les années 90. Efficacite-de-l-aide-le-Sommet-de.
de presse. http://www.cncd.be/50-millions-en-moins-
pour-la. 9 : Gabas J.J., Vernières M. Décembre 2011. « Les transforma- 11 : Ratha D., Mohapatra S., Silwal A. Banque mondiale.
tions dans le système de l’aide internationale. » Techniques « Recueil de statistiques 2011 sur les migrations et les envois
7 : Assureur crédit à l’exportation public belge. financières et développement, no. 105, p. 5-12. de fonds. » 2ème edition. www.worldbank.org/migration.

8 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


80
100
120 0,5
0,4
0,3
60
80
100
0,4
0,3
0,2
40
60
80
0,3
0,2
20
40 0,1
60
Dossier  Coopération au développement : Les temps changent
0,2
200 0,1
0
40
1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010
200 0,1
0
19602
Graphique 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 marginaliser l’APD. Il est par ailleurs pro-
0 0
bable qu’ils redécollent assez vite, sous
APD belge1965
1960en % du
1970Revenu
1975 National
1980 Brut 1990
1985 1995 2000 2005 2010
l’effet de différents facteurs tels que les
% APD investissements des pays émergents (liés
0,7 à leur forte croissance et au renchérisse-
% APD ment des matières premières).
0,6
0,7
% APD
0,5
0,6
0,7
L’apparition
0,4
0,5
0,6
de nouveaux acteurs
0,3
0,4
0,5 complexifie encore
0,2
0,3
0,4 la donne.
0,1
0,2
0,3
Des données du CAD indiquent par ail-
0,20
0,1
leurs que les dons (ressources propres
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
0,10 des fondations et des ONG) sont en nette
2001 2002 2003 2004 2005 2006
Source : CAD Statistiques, OCDE 2011.
2007 2008 2009 2010 progression et auraient atteint 22  mil-
0 liards de dollars en 2009, principale-
Graphique 32001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 ment de par la croissance des grandes
APD belge totale en millions de dollars, et remise fondations américaines du type Gates
$ millions Remise de dette de dettes
Autres sources d’aide
ou Ford9. Enfin, les envois de fonds de
3$500
millions Remise de dette Autres sources d’aide migrants, estimés à 307 milliards de dol-
3 000
500
lars en 2009, se révèlent être la source
$ millions Remise de dette Autres sources d’aide majeure de flux financiers vers les PVD
323 000
500
500 (sans même compter les flux informels,
23 000
500
non comptabilisés, et doublant proba-
000
blement ces flux) (graphique 4).
212 000
500
500
12 000
500
Malgré un léger creux en 2008, ils appa-
000
raissent beaucoup plus résilients que les
500
11 500
000 flux privés. La Banque mondiale avance
0000
1 500
quelques explications, entre autres  la
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 faible proportion en volume monétaire
5000 des envois par rapport aux revenus des
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 migrants, une durée des séjours d’immi-
0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Source : CAD Statistiques, OCDE 2011.
2008 2009 2010
gration prolongée du fait du durcisse-
ment des politiques migratoires ainsi que
Graphique 4
$ milliards IDE APD Envois de fonds DP & IP l’inertie des flux migratoires et donc des
envois11.
Flux
680 de ressources vers les pays en voie de développement
$ milliards IDE APD Envois de fonds DP & IP
580
680
IDE APD Envois de fonds DP & IP
Les fonds transférés par les migrants, fi-
$ milliards
480
580
nanciers ou en nature, constituent donc
680 pour de nombreux pays bénéficiaires une
380
480
580 source croissante de capitaux, qui plus
280
380
est peu influencée par la conjoncture
480
économique.
180
280
380
80
180
280
-20
80
180 e
91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10
19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20
-20
80 e
91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10
19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20
-20
e
91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10
19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20
source : Banque Mondiale.
Un article rédigé par Patrick Veillard.
IDE : Investissements directs étrangers - APD : Aide publique au développement
IP : Investissements en portefeuille - DP : dette privée

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 9


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Plaider la cohérence c’est bien


la mettre en œuvre c’est encore mieux
Un entretien avec Arnaud Zacharie ment au niveau national, tandis que la
coordination entre les acteurs est éga-
En matière de coopération au développement, et face à la mul- lement un sujet très important, mais qui
tiplication des bailleurs, l’accent doit-il être mis sur plus de provient plutôt d’une fragmentation de
l’aide par une prolifération d’acteurs. De
cohérence et de coordination ? Et trop de cohérence pourrait- plus, à l’intérieur d’un seul pays, dans le
elle nuire, comme d’aucuns l’affirment, à l’efficacité de l’aide ? cas de coopération gouvernementale, il y
a souvent aussi des problèmes de coordi-
La question est posée à Arnaud Zacharie. nation entre les différentes « agences ».
Pour prendre l’exemple de la Belgique :
Défis Sud : Dans le numéro de décembre entre la Direction générale du dévelop-
2011 de la revue française Techniques fi- pement (DGD), la Coopération technique
nancières et développement, l’on estime belge (CTB) et de la Société belge d’in-
que les coûts de coordination de l’Aide vestissement pour les pays en dévelop-
publique au développement peuvent être pement (B.I.O.).
supérieurs au laisser-aller. D’autant
plus que la cohérence se joue au niveau DS : En matière de cohérence, l’Union
de chaque projet de développement, en européenne a recentré son action autour
aval des déjà très nombreux donateurs et des cinq thèmes que vous citez. Estimez-
intervenants de la coopération. Quel est vous que ce recentrage est pertinent ?
votre avis à ce propos ?
AZ : Le cadre politique créé va dans le bon
Arnaud Zacharie : La coordination est un
sens puisqu’il parle de cohérence et non
Arnaud Zacharie problème. Mais il faut prendre garde à de coordination. Il cite ces cinq thèmes
est le secrétaire général du
ne pas confondre ce que l’on appelle laqui ont déjà des impacts très impor-
Centre national de la coopération
cohérence des politiques pour le déve- tants pour les pays en développement.
au développement (CNCD). Il
loppement et la coordination entre les Le problème réside plutôt dans la mise en
analyse l’avenir de la coopération
différents acteurs, qui concerne plus œuvre de ce cadre politique. La Commis-
et insiste sur la nécessité d’un
l’efficacité de l’aide. En matière de sion européenne a publié un rapport à ce
modèle de « cohérence à la belge »,
cohérence, un cadre existe à l’Organi- sujet en décembre 2011 (EU 2011 Report
qui reste à concevoir. Cette
sation de coopération et de développe- on Policy Coherence for Development). Il
évolution au niveau de la Belgique
ment économiques (OCDE), qui est reprisfait un état des lieux de ce que les États
n’aurait évidemment de sens que
par l’Union européenne dans le Traité de
membres communiquent comme initia-
si l’Europe et les institutions
Lisbonne. Il contient cinq thèmes : l’ali-
tives. Mais il n’y a pas d’analyse critique
internationales revoient leurs
mentation, le changement climatique, leet pas une ligne qui mettrait en évidence
stratégies, notamment face au rôle
commerce et les investissements, l’im- un problème d’incohérence. On est clai-
croissant des pays émergents dans le
migration et la sécurité. Ce cadre dit tout
rement face à un rapport qui flatte les
développement des pays du Sud.
simplement que l’aide au développement États membres de l’UE. Si on regarde ce
n’est qu’un canal parmi d’autres et quequi se passe dans chaque État membre,
les avancées positives en termes de coo-
on se rend compte qu’il y a des initiatives
pération au développement peuvent être isolées, de natures très différentes. Par
annihilées par d’autres politiques inter-
exemple aux Pays-Bas, une initiative
nationales comme les subventions agri- porte sur la création d’un service pour la
coles à l’exportation, qui peuvent réduire
cohérence des politiques de développe-
à néant les efforts de soutien à l’agricul-
ment à l’intérieur de l’administration de
ture familiale. la Coopération au développement, tan-
dis que l’Allemagne a créé une initiative
Cette cohérence des politiques dépasse interministérielle déjà plus ambitieuse.
clairement les compétences d’un mi- Dans les pays scandinaves membres de
nistre de la Coopération au développe- l’UE, il y a toute une série d’initiatives

10 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

intéressantes, certaines prenant en les priorités européennes sont focalisées tale, on constate que dès le 2e semestre
considération les parlements nationaux, sur les problèmes internes. On constate 2008 et surtout après l’effondrement de
qui peuvent évidemment jouer un rôle par exemple que Karel De Gucht, l’actuel Lehman Brothers, fin 2008, il y a eu un
d’évaluation de la cohérence des poli- commissaire au Commerce, a une vision effondrement des investissements privés
tiques de leur gouvernement. La Belgique très stratégique de la politique commer- « de type portefeuille » sur les marchés
a été pointée du doigt lors de la revue ciale en fonction des intérêts des entre- des capitaux, donc des investissements
par les pairs de l’OCDE en 2010, pour son prises européennes. C’était déjà une les plus liquides. La cause est évidente :
absence de dispositif en faveur de la priorité auparavant, qui a clairement c’est parce que les fonds d’investisse-
cohérence. C’est la raison pour laquelle été renforcée depuis que l’Europe est en ment privés ont rapatrié tous leurs avoirs
le nouveau ministre a déclaré que la mise
en place de ce dispositif fait partie de
ses priorités.
DS : Ne faut-il pas également veiller à
harmoniser les politiques internes et ex-
ternes de l’Union européenne ? Mobiliser l’argent des migrants,
AZ : Bien sûr. C’est un enjeu important. une utopie ?
Les accords commerciaux vont de plus en
plus être gérés au niveau de l’Union eu- Les transferts financiers Arnaud Zacharie. « J’ai de personne envoie systé-
ropéenne. Les Commissaires européens des migrants attisent sérieux doutes concer- matiquement une partie
au Commerce ont déjà depuis un certain des convoitises énormes nant la mise en œuvre de son salaire mensuel
temps la compétence pour négocier au puisqu’ils représentent de ce genre de projets », vers sa famille d’origine.
nom de l’Union européenne des accords trois fois les montants de poursuit le secrétaire « Penser qu’on va pouvoir
commerciaux en tout genre : au sein de l’aide au développement. général du CNCD, « parce mobiliser tout cet argent
« Il peut être tentant de que quand on analyse ce pour des investissements
l’Organisation mondiale du commerce, tout vouloir harmoniser, qui constitue cette masse via des fonds plus harmo-
mais aussi dans le cadre d’accords régio- de rationaliser les inves- de 300 milliards de dol- nisés en faveur d’acti-
naux, les accords de partenariat écono- tissements, en les faisant lars de transferts de mi- vités plus productives,
mique avec les pays du Sud, par exemple. transiter par des struc- grants, l’on constate qu’il implique qu’il y ait des
L’Union européenne a d’énormes compé- tures qui peuvent être, s’agit en fait d’un système systèmes de protection
tences en matière agricole à travers la dans le meilleur des cas, informel de protection sociale formelle dans les
Politique agricole commune (PAC). des systèmes coopéra- sociale internationale, de pays en développement,
tifs, dans le pire des cas, mécanismes essentiel- ce qui n’est pas encore
des banques privées qui lement intrafamiliaux. » du tout le cas actuelle-
Certains pays émergents collecteraient toute cette
épargne pour la redis-
On envoie tel membre de
la famille en Europe ou
ment. », conclut Arnaud
Zacharie.
ont davantage de marge tribuer dans des projets ailleurs pour qu’il ait un
de manoeuvre. productifs. », explique emploi rémunérateur et la

Les politiques migratoires sont de plus en


plus harmonisées à l’échelle européenne.
On n’a pas encore de politique euro-
péenne de Défense, mais le projet revient
de façon récurrente sur la table. crise : on cherche par tous les moyens à des pays en développement pour tenter
augmenter ses revenus pour tenter de de boucher les trous créés par la crise fi-
L’Union européenne a donc un rôle impor- sortir de cette crise. nancière. Puis au début 2009, ce sont les
tant à jouer. Il ne suffit pas d’inscrire ce
rôle dans le traité de Lisbonne et de pu- investissements directs étrangers (IDE)
blier ensuite des rapports peu critiques DS : L’aide privée peut-elle compen- qui furent touchés. Il s’agit d’investis-
sur les États membres. Il faut évidem- ser l’aide publique ? L’on constate au- sements privés, mais plus solides car ils
ment insister pour que la cohérence des jourd’hui que l’aide privée semble plus correspondent souvent à des délocali-
politiques de l’Union soit intégrée par les sensible à la crise économique que l’aide sations d’entreprises ou à des prises de
institutions européennes elles-mêmes. publique. participation dans des entreprises exis-
C’est une des priorités de concord, la tantes, dont il est moins simple de se re-
plateforme des ONG européennes, qui AZ : La réalité c’est que la sensibilité des tirer parce que les investissements sont
produit quasi chaque année un rap- différents canaux d’aide est différée plus concrets. On voit clairement que les
port sur la cohérence des politiques à dans le temps. Quand on analyse l’im- IDE se sont maintenus avant de commen-
l’échelle européenne. Bien sûr, pour le pact de la crise financière internatio- cer à chuter à partir de fin 2009… L’aide
moment, avec la crise de la zone euro, nale, qui est surtout une crise occiden- au développement n’arrive qu’après.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 11


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Avant cela, il y a encore eu l’impact sur


le commerce. En 2009, le commerce s’est
effondré, avec une diminution assez
conséquente de plus de 10 % à l’échelle
mondiale. La chute importante des prix
des matières premières, du fait de la
crise mondiale, provoque une réduction
de la demande, même si certains prix
ont pu remonter assez rapidement début
2011, notamment les prix alimentaires,
parce que les pays émergents ont réussi à
sortir la tête de l’eau et que les importa-
tions ont repris.

Donc l’aide au développement n’est affec-


tée que quand la crise financière s’est muée
en crise économique et puis en crise budgé-

© Ren Chenming/ Reporters.


taire avec les plans d’austérité qui en dé-
coulent. C’est maintenant que l’on assiste
à des coupes assez importantes dans les
budgets d’aide au développement.

DS : Mais les fonds privés subiraient un Durant le troisième sommet des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en Chine, en avril 2011.
effondrement plus spectaculaire que
l’aide publique au développement. L’APD
serait-elle plus contra-cyclique, c’est- On a constaté que certains pays émer- (la crise asiatique et les crises finan-
à-dire qu’elle résisterait mieux aux cycles gents ont eu davantage de marges de cières successives des années 90, la crise
de crise et de croissance ? Est-ce audible manœuvre pour maintenir leurs straté- de la dette du tiers monde des années
aujourd’hui par les pouvoirs publics ? gies de développement, essentiellement 80), c’est évidemment parce que les pro-
pour deux raisons : d’abord certains de blèmes ont démarré dans les pays riches,
ces pays ont profité, durant les années mais aussi parce que toute une série de
2000, de la conjoncture internationale, pays pauvres avaient une situation bud-
La grâce à une augmentation des prix des gétaire plus saine.
cohérence matières premières et à une diminution
des politiques des taux d’intérêts internationaux, pour DS : À Busan, en Corée, lors du dernier
dépasse les compétences accumuler des réserves de change. Ils sommet sur l’efficacité de l’aide, il est
se sont ainsi créé un bas de laine qu’ils apparu que des pays émergents, qui sont
d’un seul ministre. ont pu utiliser pour mener des politiques pourtant d’importants contributeurs,
contra-cycliques dans le cadre de la rechignent à considérer qu’ils font de la
crise financière. C’est pourquoi des pays «coopération».
AZ : L’aide publique devrait être contra- asiatiques, mais aussi des pays comme
cyclique, mais à partir du moment où il y le Brésil, l’Argentine, ou d’autres pays
a une crise dans les pays riches et que ce AZ : Ils appellent ça des partenariats.
émergents, ont disposé de marges de C’est très intéressant parce qu’ils sont
sont les pays riches qui sont les sources manœuvre. Constatant qu’il n’y avait pas
de l’aide au développement, c’est un vœu prêts à se mettre autour de la table pour
de nouvelle architecture internationale, dialoguer. Mais ils refusent d’entrer dans
pieu difficile à défendre face à son opi- comme on le claironnait partout début
nion publique qui subit des coupes dans le cadre du Comité d’aide au dévelop-
des années 2000, ils se sont dit qu’ils pement (CAD) de l’OCDE, c’est-à-dire
les budgets sociaux. Le seul pays à ne allaient constituer des réserves en cas de
pas réduire aujourd’hui l’aide publique d’intégrer des critères créés par les pays
problème futurs. occidentaux pour les pays occidentaux.
au développement est le Royaume-Uni.
On verra combien de temps ça durera ...
L’idéal serait de garantir des marges de D’autres pays plus pauvres, ont bénéficié Ils insistent sur le fait que, dans leurs
manœuvre aux pays en développement d’un allégement de leur dette durant les partenariats, ils veulent s’enrichir au-
afin qu’ils puissent mener eux-mêmes années 2000, ce qui leur a permis aussi tant que les pays bénéficiaires. Ils y
des politiques contra-cycliques, c’est- d’avoir des marges de manœuvre accrues mêlent clairement leurs entreprises qui
à-dire rompre avec les conditionnalités et de mener des politiques contra-cy- sont essentiellement des entreprises pu-
du Fonds monétaire international et de la cliques. Si l’impact de la crise financière bliques : les gouvernements ont de ce fait
Banque mondiale qui étaient clairement actuelle a été moins important que les de véritables marges de manœuvre pour
pro-cycliques. crises financières mondiales précédentes les intégrer dans des partenariats for-

12 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

pauvres envers l’exportation de leurs


matières premières, qui peut s’avérer
très désavantageuse quand les prix des
matières premières chutent.

Néanmoins, les pays occidentaux ont


acquis une certaine expérience de la
coopération au développement suite à
leurs erreurs passées, dont ils ont tiré
les leçons. C’est sur cette base qu’il faut
mener des dialogues avec les pays émer-
gents, mais le plus horizontalement pos-
sible ! Par exemple, en termes d’infras-
tructures, je pense que sur les marchés
publics internationaux, on ne pourra pas
s’aligner sur les prix et délais offerts par
la Chine. Donc il faut faire jouer les spé-

© Jean-louis Brocart / SOS Faim.


cificités, les complémentarités.

Il faut remettre à plat les politiques


de coopération internationale : nous
sommes face à des enjeux de crises glo-
bales, que ce soit l’instabilité financière,
A quand des politiques de développement pour lutter efficacement contre la faim ? l’insécurité alimentaire, les change-
ments climatiques, l’accès à l’énergie ou
mels «win-win», comme ils les appellent. ter une critique unanime de l’Occident aux ressources naturelles. On ne devrait
C’est une nouvelle forme de coopération. vers ces pays émergents. Je pense au donc plus réfléchir en termes de coo-
contraire qu’il faut revoir notre logiciel pérations internationales verticales où
On parle beaucoup de la Chine parce que pour adapter la coopération internatio- ceux qui ont de l’argent dictent la voie à
ce pays a plus de moyens et qu’il avait nale à ce monde qui devient de plus en suivre, la main sur le portefeuille. Il faut
lancé un forum Chine-Afrique en 2006. plus multipolaire. passer à des partenariats globaux où
Mais depuis lors, il y a d’autres pays qui différents types de pays coopèrent pour
montrent la direction : le Brésil, la Corée apporter des réponses à des problèmes
du Sud, la Turquie, la Russie, l’Inde. On La Belgique pointée qui sont communs.
est face à un autre type d’acteurs qui du doigt pour son absence
ont, eux aussi, des approches parfois Il est évident que dans les pays les plus
de cohérence. pauvres il y a des problèmes d’accès aux
différentes : le Brésil privilégie la coopé-
ration triangulaire, en matière agricole services sociaux de base comme la santé,
notamment, il cherche à nouer des par- Cela dit, d’une part, il est évident que l’éducation, l’eau, l’alimentation. Mais
tenariats avec des pays africains mais des partenariats entre émergents et on sait maintenant que les pays qui s’en
aussi avec des pays occidentaux ; quant pays plus pauvres sont imparfaits, du sont sortis le plus durablement sont ceux
à la Chine, elle vient de décider d’allouer fait entre autres que la motivation des qui ont évacué la dépendance envers les
à son fonds souverain 30 milliards d’eu- émergents repose notamment sur l’accès matières premières et l’aide au dévelop-
ros pour des investissements en Europe aux matières premières. C’est la même pement. Ils ont construit une économie
et des achats d’entreprises ! Cela veut motivation que les pays occidentaux diversifiée, avec un secteur privé qui a
dire que ces pays ont une stratégie de avant eux. Le risque est donc de mainte- créé des emplois décents, ce qui a permis
diversification de leurs avoirs et de prise nir les pays les plus pauvres dans un rôle des recettes fiscales et le financement
de participation dans les économies ex- de fournisseur de matières premières à par les États des services sociaux de base
térieures, que ce soit dans des pays plus faible valeur ajoutée. de manière durable sur leurs propres
pauvres, comme en Afrique, ou dans des budgets. C’est ce que l’on observe par
pays plus riches, comme en Europe. exemple en Corée du Sud, à Taïwan, et
Néanmoins, il y a un regain d’intérêt progressivement dans d’autres pays,
pour le financement d’infrastructures, comme en Malaisie et au Brésil.
DS : Ces nouveaux acteurs représentent- ce qu’avaient abandonné les pays occi-
ils un danger ? dentaux suite à l’échec des «éléphants
blancs». Or, sans infrastructure éco-
AZ : L’émergence de ces nouveaux acteurs nomique, il n’y a pas de diversification
ne doit certainement pas être l’occasion possible, donc il n’y a pas de sortie pos- Propos recueillis par Emmanuel De Lœul et
de créer de nouveaux clivages, de repor- sible de la dépendance des pays les plus Pierre Coopman le 7 mars 2012

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 13


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

L’équation
Fonds climat + Coopération
climatique vis-à-vis des PVD. Les pays
Où placer les fonds de lutte contre le réchauffement climatique développés du Nord sont en effet respon-
par rapport aux mécanismes de financement classiques de la sables de 80 % des émissions accumulées
de GES, alors même que les PVD sont à la
coopération ? Dans le contexte actuel de crise budgétaire, de fois plus affectés et moins résilients face
nombreux observateurs craignent un recyclage de l’aide au dé- au réchauffement. Alors, Fonds climat
+ Coopération = équation magique qui
veloppement. permettrait de renforcer l’aide aux PVD ?

Décembre 2009, Copenhague. Dans le Déshabiller Pierre pour habiller Paul


fiasco général de la COP151 sur le climat, Pas si simple selon Antonio Gambini,
les observateurs optimistes relèvent, chargé de recherche au CNCD (Centre
parmi les points positifs, la création d’un national de coopération au développe-
Fonds vert pour le climat (FVC). Fusionnant ment) sur les questions de financement
les fonds existants, ce fonds est conçu du développement : « Le principal pro-
comme une structure de financement blème est le caractère additionnel des fi-
pérenne, permettant d’aider les pays en nancements. Et il faut bien avouer que la
voie de développement (PVD) à réduire bataille a été complètement perdue dans
leurs émissions de gaz à effet de serre ce domaine. En théorie, les promesses de
Une « écologisation » financements climat se veulent nouvelles
(GES) et de s’adapter aux dérèglements
de la coopération ? climatiques. Exemples : le financement et additionnelles par rapport à l’Aide
Le nouveau ministre de la de la protection des forêts tropicales ou publique au développement (APD) car
Coopération belge, Paul Magnette, bien le partage des technologies vertes2. ses objectifs sont différents : elles visent
déclarait dans un récent entretien Les pays développés s’engagent par ail- à financer les efforts d’atténuation et
que son expérience comme ministre leurs, pour un fois serait-on tenté de d’adaptation dans les PVD, et non leur
du Climat lui serait très utile dans dire, de manière chiffrée : 30 milliards développement per se, ce qu’ambitionne
son nouveau poste1. Ces paroles de dollars, « nouveaux et additionnels », l’APD, notamment au travers des Objec-
pourraient être prophétiques sont promis pour la période de 2010 à tifs du millénaire.
et annoncer une profonde 2012 (financement dit ‘Fast Start’),
« écologisation » de la coopération, portés à 100 milliards annuels à partir
notamment dans le cadre des de 2020. Le tout à l’aide de « diverses Les gouvernements
différents fonds de lutte contre le sources, publiques et privées, bilaté- déshabillent Pierre
réchauffement climatique. rales et multilatérales » ainsi que des pour habiller Paul.
« formes innovantes de financement ».
1 : Paul Magnette, nouveau ministre de la Coopération Des commentateurs analysent la créa-
au développement. Février 2012. Dimension 3, N° 1 / tion de ces fonds comme l’aboutisse- La légitimité n’est pas non plus la même
2012, p. 11.
ment d’un long processus, entamé en puisque les fonds climat doivent rem-
1992 lors du sommet de la Terre à Rio, bourser une dette, climatique, et ne
obligeant les pays riches à rembour- peuvent donc en aucun cas être consi-
ser de manière structurelle leur dette dérés comme une forme d’aide. Mais
concrètement, une grande partie des
1 : La 15e conférence des parties de la Convention-cadre financements climat est comptabilisée
des Nations unies sur les changements climatiques a été
considérée comme un échec par une majorité d’observateurs.
dans l’APD. Cela permet de gonfler les
Litanie de « bonnes intentions », par ailleurs non signée chiffres et de se rapprocher à bon compte
par les différentes « parties », le document final ne donne des engagements des 0,7 %3 !
aucune contrainte légale vis-à-vis des engagements de
réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
2 : Voir l’étude du CNCD : Van der Straten A. Février 2012. 3 : Objectifs définis à la conférence de Monterrey en 2002,
« Le transfert de technologies climat : vers une " révolution visant pour les pays développés à consacrer 0,7 % de leur
bleue " ? » Point Sud no. 5. revenu national brut à l’aide au développement.

14 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Au final, lorsque des gouvernements procédé non seulement injuste – « Cela en termes de biodiversité ou vis-à-vis
annoncent fièrement qu’ils consacrent revient à prêter de l’argent pour réparer une des droits populations autochtones, ou
une part importante de leur APD à des voiture que l’on a soi-même emboutie », les mécanismes dits de levier – dont le
objectifs climat, ils ne font rien d’autre mais constituant également un nouveau fonctionnement est largement sujet à
que déshabiller Pierre pour habiller Paul. piège de la dette, les projets d’adaptation caution, comme l’a récemment montré
L’exemple de la Belgique à ce niveau est étant le plus souvent non rentables5. le cas de B.I.O.8 en Belgique. Conclu-
particulièrement éloquent : l’ensemble du Selon B. Gloire, « il est vital que ces sion du chercheur  du CNCD: « Nous ne
budget fédéral ‘Fast Start’ 2010 et 2011, fonds soient fournis sous formes de dons, sommes pas contre ces financements
soit 62 millions d’euros, est repris dans la au sein de programmes nationaux, en privés mais toutes ces dérives montrent
comptabilisation de l’APD belge. » majorité d’adaptation, et bénéficiant qu’ils doivent être mieux encadrés,
d’une bonne représentation de la société avec notamment des critères environ-
Adaptation versus atténuation civile, en particulier des organisations nementaux les plus clairs possible. »
Le chercheur du CNCD reconnaît cepen- paysannes ». Pour A. Gambini, l’expli­ Les mécanismes innovants préconisés
dant, « qu’il est parfois difficile de dis- cation des déséquilibres entre projets entre autres par le CNCD sont d’une autre
tinguer les projets de développement des d’atténuation et d’adaptation est nature : taxes sur les transactions finan-
programmes d’adaptation. Lorsque l’on simple. « L’adaptation, ce n’est pas cières, taxes carbone, ou taxes sur le
finance une réfection de systèmes d’irri- rentable. Cela revient la plupart du temps transport, qu’il soit aérien ou maritime,
gation par exemple, l’infrastructure ainsi à revenir à un état pré-réchauffement. etc. Les solutions à tester seraient donc
réparée sert à la fois des objectifs de Alors que l’atténuation, sous forme par encore très nombreuses...
développement – productivité agricole exemples de centrales moins polluantes,
accrue et lutte contre l’insécurité ali- peut se révéler très profitable. Or, les La forte opposition récemment ren-
mentaire, et des objectifs d’adaptation gouvernements du Nord ont tendance à contrée par la Commission européenne
au réchauffement climatique – protec- tout miser sur le privé, qui s’oriente par dans la mise en place de sa taxe sur les
tion contre les sécheresses, montées des essence vers le profit ». transports aériens, notamment de la
eaux, etc. » part de la Chine et de l’Inde, leur promet
Mécanismes innovants cependant un avenir quelque peu agité9.
Même avis du côté de Brigitte Gloire, Comme dans le domaine de la coopéra-
chargée de plaidoyer chez Oxfam Solida- tion, l’heure est clairement aux méca-
rité, pour qui « il ne faut pas réinventer la nismes (sous-entendu ici de marché) Néanmoins, ces efforts semblent indis-
roue, les critères entre les deux types de innovants. Les plus connus sont les pensables tant la mise en place d’un
programmes sont souvent similaires ». Mécanismes de développement propre cadre efficace de structuration des fi-
Un autre problème vient selon elle de la (MDP), ou plus globalement le marché nancements climat vers les PVD se fait
répartition actuelle des financements du carbone. « Les MDP sont en théorie sentir. Il est clair que les organismes de
climats, « beaucoup trop axés sur l’atté- séduisants car ils permettent de finan- coopération, de par leur large expérience
nuation et pas assez vers l’adaptation ». cer à bas coût, en échange de crédits (technique, capacitation des autorités
d’émission, des technologies à bas car- locales, etc.), pourraient dans ce cadre
bone dans les PVD. Mais il y a des dérives beaucoup contribuer à cet objectif.
Le problème hallucinantes, par exemple la surproduc-
est le caractère tion artificielle de GES dans le seul but
additionnel de capter des financements… On est en Article rédigé par Patrick Veillard
plein Far West ! », selon A. Gambini.
des financements.
Près des trois quarts des pro-
Une récente étude d’Oxfam montre par 4 jets de MDP seraient de plus locali-
ailleurs un faible niveau d’appropriation sés en Chine, en Inde ou au Brésil6.
par les PVD de ces programmes, les De nombreux problèmes sont également
fonds et donateurs bilatéraux ignorant constatés avec les autres mécanismes,
souvent les Plans d’action nationaux que ce soient le REDD7 – peu regardants
d’adaptation (PANA) et transitant le plus
souvent par des structures financières 5 : Gambini A. Novembre 2011. « Financer la lutte contre le
réchauffement global : les marchés financiers au secours du
distinctes de celles mises sur pied par Sud ? » Point Sud no.11. 8 : BIO est la Société belge d’investissement pour les PVD.
les gouvernements locaux. De plus, les Financée par la Coopération belge, elle est chargée de soute-
6 : Kill J., Ozinga S., Pavett S., Wainwright R. Août 2010. nir le développement du secteur privé dans les PVD.
financements d’adaptation seraient « Trading carbon. How it works and why it is controversial. » Voir l’enquête du journal Le Soir: http://www.lesoir.be/
souvent effectués sous forme de prêts, un FERN, p. 79. http://www.fern.org/sites/fern.org/files/tra- actualite/economie/2012-02-28/des-aides-publiques-dis-
dingcarbon_internet_FINAL.pdf. paraissent-dans-des-paradis-fiscaux-899743.php.
4 : Pearl Martinez R. Juin 2011. « Owning adaptation. 7 : Reducing emissions from deforestation and forest degra- 9 : L’intégration du secteur aérien au marché européen des
Country-level governance of climate adaptation finance.» dation: programme de réduction des émissions provenant de quotas d’émission de CO2, mise en place en janvier de cette
Oxfam. http://policy- practice.oxfam.org.uk/publications/ la déforestation et de la dégradation des forêts. Mis en place année, est perçue comme une comme une barrière protec-
owning-adaptation-country-level-gover- nance-of-cli- par l’ONU en 2008, il s’appuie sur des incitations financières tionniste déguisée par beaucoup de partenaires commer-
mate-adaptation-finance-134050. indirectement liées au marché du carbone. ciaux de l’UE.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 15


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

La Coopération belge face aux mutations internationales


Quelles perspectives tracent le gouver-
nement actuel et le ministre de la Coo-
pération, le socialiste Paul Magnette ?
D’emblée, le ministre fait de la lutte
contre la pauvreté un moyen au service
d’un objectif plus général de dévelop-
pement humain durable1. Mais, crise
oblige, le trajet vers l’objectif de 0,7 %
du PNB à consacrer à l’aide au dévelop-
pement est suspendu. La Belgique avait

© Geert Vanden Wijngaert / Reporters.


atteint 0,64 % en 2010. Les prévisions
donnent un budget de la Coopération
à 0,50 % du PNB en 2013. Celui-ci sera
gelé en 2012 et 2013 à hauteur de  
1,476 milliards d’euros.
À l’intérieur de ce budget, un message
politique fort de la note : le maintien
des parts consacrées à la coopération Des étudiantes se tiennent devant le drapeau congolais,
non gouvernementale (17 %) - malgré à l’occasion de la dernière visite du roi Albert II en RDC.
sa proportion deux fois supérieure à de soutenir des investissements privés en 2009 visant à soutenir des actions
la moyenne des pays de l’OCDE – et à productifs dans les pays en développe- de lutte contre les effets du réchauffe-
l’humanitaire (10 %). ment, cette agence est sous le feu de ment climatique dans les pays les plus
Concentrations à tous les étages critiques lui reprochant d’avoir placé pauvres et les plus vulnérables.
des fonds dans des paradis fiscaux). Un
La stratégie consistant à concentrer cadre organique sera créé pour l’aide Face aux enjeux alimentaires, le
l’aide publique (belge) dans un nombre humanitaire, revenue dans le giron gouvernement confirme son ambi-
limité de pays les plus pauvres sera exclusif du ministre de la Coopération. tion d’atteindre 15 % des budgets de
poursuivie. Ce choix est aussi justi- l’aide affectés au soutien de l’agricul-
fié par le constat qu’une plus grande En réponse au soutien plus critique de ture dans le Sud et à l’alimentation.
part des populations les plus pauvres l’opinion publique envers la coopéra- Le Fonds belge d’aide alimentaire
vivraient désormais dans des pays tion (voir « La coopération à l’épreuve concentrera en outre ses interventions
aux revenus moyens (Brésil, Inde), des sondages » p.29), les budgets 2012-2013 au Burundi, au Mozambique
capables de mieux répartir par eux- de communication et sensibilisation au Mali et en Éthiopie.
mêmes les richesses. Priorité donc aux seront consolidés et affectés de façon
États fragiles, principalement afri- moins dispersée. Concernant le soutien à l’initiative pri-
cains, avec une attention toute parti- vée, la note reconnaît les bienfaits sur
culière au renforcement des capacités Continuités thématiques le développement de l’émergence d’un
institutionnelles et des acteurs de la tissu de PME dans les pays du Sud. Elle
L’attention transversale accordée précise néanmoins qu’elle accordera
société civile. au renforcement des capacités des dans ce domaine une attention toute
D’une manière plus générale, rationa- femmes au service du développement particulière à l’économie sociale et que
lisation, synergies, efficience, concen- sera renforcée et articulée autour de la Belgique soutiendra les coopératives
tration seront les maîtres mots de la quatre priorités : la santé et les droits et les mutualités.
législature. Ils imprégneront la révision sexuels ; les situations de post-conflit ;
de la loi de 1999 sur la Coopération l’enseignement et la formation ; la Enfin, face à l’absence d’initiative en
au développement, la négociation participation à l’économie en particulier matière de cohérence des politiques en
du nouveau contrat de gestion de la agricole. faveur du développement, pointée par
Coopération technique belge (CTB) et, la «revue des pairs de l’OCDE» en 2010,
Au niveau climatique, la Belgique se la note affirme l’intention du gouver-
sans doute, les suites politiques de contentera de veiller à respecter ses
l’évaluation externe de B.I.O. (chargée nement de mettre en place une confé-
engagement internationaux vis-à-vis rence interministérielle sur le sujet.
1 : Note de politique générale, 23 décembre 2011, Chambre du financement à mise en œuvre ra-
des représentants de Belgique, DOC 53 1964/021 pide, un engagement pris à Copenhague Emmanuel De Lœul, 2 avril 2012

16 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

La science de l’aide
selon Esther Duflo
Jeune et brillante économiste française, Esther Duflo a renouve- si et dans quelle mesure un projet fonc-
tionne, tout en fournissant des réponses
lé l’économie du développement à l’aide de méthodes aléatoires pragmatiques et adaptées à chaque
similaires aux essais utilisés en médecine pour tester l’efficacité situation. « On aborde les problèmes
de manière beaucoup plus spécifique et
des médicaments. Ses nombreuses études d’évaluation menées concrète, en s’attaquant à ce que j’ap-
sur le terrain lui ont permis de développer une profonde com- pelle les 3 i : inertie, ignorance et idéolo-
gie. On dépasse notamment les grandes
préhension des mécanismes de lutte de pauvreté. Son objectif : lancées conceptuelles, souvent unidi-
changer la perspective même de l’aide aux plus pauvres. mensionnelles »1.
Dépolitiser l’économie du développement
Des méthodes de charlatan, compa- L’économiste fait référence aux deux
rables à la méthode des sangsues du grandes théories de la pauvreté glo-
Moyen-âge. C’est à l’aide de cette image bale. La première, défendue par l’éco-
plutôt crue que l’économiste française nomiste américain Jeffrey Sachs, émet
Esther Duflo, récemment lauréate du l’idée d’une « trappe de la pauvreté »
prix Clark Medal de la meilleure éco- dans laquelle les pays pauvres seraient
nomiste de moins de 40 ans, décrit les enfermés, et de laquelle ils ne pourraient
méthodes actuelles d’étude de la pau- sortir qu’à l’aide d’envois de fonds mas-
Esther Duflo vreté. « D’innombrables programmes sifs. La seconde, portée par l’américain
d’assistance aux populations  pauvres William Easterly, récuse l’idée de toute
Née en 1972, Esther Duflo est sont mis en place sans savoir s’ils sont forme d’aide, responsable selon lui de
professeur d’économie au vraiment efficaces. Comme les sang- corruption généralisée, d’infantilisation
Massachusetts Institute of sues sur les malades au Moyen-âge… »1. des pauvres et d’affaiblissement de la
Technology (MIT) de Boston. En E. Duflo s’est fait un nom en développant gouvernance locale1.
2003, elle a cofondé le Poverty des méthodes à l’opposé de ce « charla-
Action Lab (J-PAL), laboratoire de tanisme » : les méthodes dites d’évalua-
recherche consacré à l’évaluation tion d’impact par essai aléatoire. Des recherches qui
des programmes de lutte contre la
pauvreté, selon une méthode d’essais Derrière cette formule alambiquée se cassent le mythe du
aléatoires qu’elle a contribué à cache une petite révolution dans le do- pauvre dépendant.
formaliser. Avec son collègue Abhijit maine. « Cette méthode, appelée égale-
Banerjee, elle vient de publier ment méthode randomisée, est adaptée
« Repenser la pauvreté » qui fait la des essais cliniques utilisés en méde- Les ‘randomistas’, comme sont appelés
synthèse des travaux d’évaluation cine pour tester les médicaments. Elle E. Duflo et ses collègues, veulent dépas-
menés avec les 70 chercheurs du permet de s’assurer que la seule diffé- ser ce type de cadre idéologique et dé-
Poverty Action Lab. rence entre deux populations est bien politiser l’économie du développement.
l’aide reçue du programme que l’on veut Une approche de terrain en somme, en
tester. Dans le cas du soutien scolaire provenance directe de la clinique ou de
à une école par exemple, on peut sup- l’école plutôt que du ministère des fi-
primer les différences liées au niveau nances. « Il y a beaucoup de problèmes
général des professeurs ou des élèves »2 sans réponse, pour lesquels il n’existe pas
Une méthode scientifique et rigoureuse de solution toute faite. La randomisation
donc, qui permet d’établir précisément fournit des outils d’innovation perma-
nente, permettant de s’adapter à la com-
1 : R. Verrycken. 17 décembre 2011. « Esther Duflo sauvera-t- plexité des situations », ajoute E. Duflo2.
elle le monde ? » L’Echo. Une étude récemment publiée par le
2 : http://www.dailymotion.com/video/xnmm0u_esther-du- laboratoire cofondé par l’économiste
flo-economiste-du-developpement_tech. française, le Poverty Action Lab (J-PAL),

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 17


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

© Xing Guanghi / Reporters.


Aide humanitaire de la Croix-Rouge chinoise en partance pour l’Afrique.

illustre l’efficacité de la méthode3. Cette à ceux-ci. À l’inverse, l’étude du J-PAL sont trois fois plus susceptibles de faire
étude s’attaque au problème de la légiti- montre, à l’aide de dix évaluations d’im- vacciner leurs enfants si dans le pro-
mité et de l’efficacité des stratégies dites pact aléatoires menées dans quatre pays cessus, elles sont récompensées par
de partage des coûts avec les utilisateurs. différents, que ces politiques de «cost- un kilogramme de lentilles. Un résultat
Selon de nombreux chercheurs, il est sharing» seraient largement contre-pro- concret mais déroutant : pourquoi une
nécessaire de recouvrer, même partiel- ductives. « Imposer une participation incitation aussi modeste (moins de 50
lement, les coûts de fonctionnement des aux frais, même faible, limite souvent cents en valeur) fait-elle une si grande
services fournis aux populations pauvres. fortement l’accès à ces produits et ser- différence ? Avec d’autres méthodes, ce
vices sans en promouvoir l’utilisation, ni résultat aurait pu être mis en doute. Mais
favoriser un meilleur ciblage », déclarent la randomisation valide scientifiquement
D’innombrables les auteurs3. Un exemple est donné au les résultats et oblige les économistes
programmes sont Kenya : lorsqu’un programme de dépa- à se poser la question du pourquoi5.
rasitage, qui traitait au départ gratui- Et c’est là que le bât blesse, ou du moins
inefficaces. tement les enfants, est devenu payant que les critiques fusent. Les randomistas
(à hauteur de 30 centimes de dollars sont en effet accusés « d’athéorisme »,
Simplement parce que l’aide publique ne chaque traitement), le taux de pénétra- c’est-à-dire de manquer d’explication
peut fournir assez de financements, ce tion a chuté de 75 % à 19 %. théorique, ou de modèle structurel, pour
qui limite in fine le volume à des services Athéorisme utiliser un terme cher aux économistes.
essentiels4 et donc l’accès des pauvres Un essai randomisé peut ainsi prouver
Dans une autre étude, E. Duflo et ses qu’une solution fonctionne mais sans né-
collègues ont également montré que des cessairement montrer la mécanique sous-
3 : Bates M.A., Glennerster R., Gumede K.; Duflo E. Janvier mères de l’état du Rajasthan, en Inde,
2012. « Pourquoi payer ? » Field Actions Science Reports,
Special issue 4 - 2012, p. 28-33.
5 : December 30th 2008. « International Bright Young Things. »
4 : Ménascé D. 5 mars 2012. « Donner ou faire payer, l’éternel débat de l’aide au développement. » Le Monde. The Economist.

18 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

jacente. Quel est le lien de cause à effet efforts pour diminuer la fréquence des de méthodes neutres et objectives. Ces
entre un outil d’aide ou un programme et arrêts de travail dans leur hôpital. méthodes se trouvent en effet relati-
les résultats obtenus ? Comment d’autres vement hors d’atteinte de leurs leviers
populations réagiront-elles ?6 Autre anecdote, la manière dont des politiques d’action ; et de nombreux tra-
emprunteurs indiens ont exploité un vaux d’économistes montrent que l’aide
Une première réponse à ces critiques est trou juridique dans leur contrat de publique au développement (APD) est
l’idée selon laquelle ces études pour- crédit pour éviter de payer une assu- sous-tendue par des objectifs politiques
raient être systématisées, à l’aide de rance santé, assurance leur étant ou commerciaux propres aux pays dona-
différents partenaires et des budgets par ailleurs extrêmement bénéfique8. teurs10. Le contexte de l’aide est cepen-
plus étroits, ce afin d’extraire une théo- Selon E. Duflo, « c’est ce type de compor- dant beaucoup moins politisé que par le
rie plus générale2. D’autre part, le der- tement qui explique pourquoi le concept passé (notamment en comparaison de la
nier ouvrage d’E. Duflo « Repenser la de microcrédit, l’innovation la plus vi- période de guerre froide) et l’APD affiche
pauvreté », corédigé avec son collègue sible des vingt dernières années et grand aujourd’hui des objectifs d’efficacité
Abhijit Banerjee, fournit de nombreux espoir de la lutte contre la pauvreté, ne cadrant parfaitement avec la rigueur
éléments de réponse qualitative à ces donne pas les résultats escomptés ». scientifique prônée par la chercheuse.
questions. Le livre répertorie en effet une La chercheuse se positionne, comme
série d’expériences de terrain au cours souvent, au milieu du débat, très pola- Il est néanmoins probable qu’E. Du-
desquelles les chercheurs ont énormé- risé, entre les enthousiastes et les cri- flo rencontre de nombreux obstacles
ment collaboré avec les partenaires lo- tiques de la microfinance. « Le micro- lorsqu’elle émet le souhait de passer
caux pour mieux comprendre les popula- crédit n’est pas un échec : il est utile et « l’aide internationale au crible, pro-
tions pauvres. Pour E. Duflo, « l’idée est aide beaucoup d’entrepreneurs. C’est en gramme par programme », afin de « pré-
ici de vraiment combiner randomisation tant que solution globale qu’il déçoit »9 . ciser quels sont les programmes qui
et réflexion des acteurs dans un aller-re- La Française est plus favorable à la micro marchent et ceux qui ne marchent pas ».
tour permanent »2. épargne, plus difficile d’accès pour les D’après elle, de nombreuses agences
plus pauvres que l’emprunt. « Les gens telles que l’ONU, l’USAID (l’agence
Casser les mythes n’ont actuellement pas le choix, ils ne américaine pour le développement) ou
Ces recherches cassent ainsi de nom- peuvent qu’emprunter, l’épargne pour de l’AFD (Agence française de développe-
breux mythes et idées reçues à propos des petites sommes étant très difficile à or- ment) sont de « véritables  nébuleuses,
populations pauvres. Le mythe du pauvre ganiser. Le risque de voir le gestionnaire mêlant intérêts privés et publics »11.
dépendant par exemple. « Les pauvres partir avec la caisse est notamment très
vivent dans un environnement global pré- grand. Il faudrait une réglementation
caire, qui explique pourquoi ils prennent plus stricte »1. La chercheuse voudrait également, au-
des décisions qui nous apparaissent mau- delà de la notion d’efficacité, changer
vaises ou incompréhensibles, comme ne L’aide publique comme laboratoire la perspective même de l’aide. Selon
pas vacciner leurs enfants ou ne pas faire d’expérimentation elle, « l’aide extérieure ne représente
bouillir l’eau. Ils manquent d’informations Devant les nombreuses démonstrations quantitativement pas grand-chose et un
pour prendre leurs décisions de chaque d’efficacité des méthodes défendues par meilleur usage serait de s’en servir pour
jour et vivent dans un stress très impor- E. Duflo et le J-PAL, on peut se demander expérimenter de nouvelles politiques, à
tant. Ils ne sont pas entourés comme nous quels sont les facteurs freinant leur gé- fort potentiel mais un peu risquées, sur
de systèmes de sécurité – assurances, néralisation. Probablement le coût tout une petite échelle et de manière rigou-
retraites, hospitalisation, etc. – qui d’abord, même si, comme mentionné reuse », de manière à « fournir aux pays
constituent autant de filets de protection plus haut, des efforts sont entrepris pour en développement des informations pour
face aux risques de la vie. Ils manquent les diminuer. mieux définir leurs politiques »11. De par
également de perspectives, alors que leur flexibilité, leurs valeurs et leur indé-
nos études montrent que quand les per- pendance, les ONG ne constitueraient-
sonnes ont la perspective de s’en sortir, Dépasser l’idéologie elles pas l’acteur idéal pour jouer ce rôle
cela leur donne de l’énergie pour agir »7. et dépolitiser l’économie d’éclaireur / laboratoire d’expérimenta-
À l’opposé, la plupart des pauvres ne sont du développement. tion des nouvelles formes d’aide ?
pas de courageux et infatigables entre-
preneurs. Beaucoup se contenteraient
Article rédigé par Patrick Veillard
bien volontiers d’une vie de fonction- Au-delà de ces problèmes de coût, une
naire / consommateur. Les deux auteurs autre question est de savoir si tous les
de « Repenser la pauvreté » relatent ainsi acteurs de l’aide au développement
comment des infirmières en Inde ont dé- ont intérêt à voir se développer ce type
joué de manière systématique tous leurs 10 : Berthélemy J.C. Janvier 2012. « La lutte contre la pau-
vreté entre altruisme et marché : un point de vue d’écono-
8 : April 20th 2011. Untying the knot. « New ideas about an old miste. » Field Actions Science Reports, special issue 4 - 2012,
6 : April 21st 2011. « Fiesta de los randomistas. » The Economist. problem ». The Economist. p. 130-133.
7 : 13 février 2012. Maurot E. « Nous devons comprendre 9 :http://www.dailymotion.com/video/xbu1fs_esther-duflo- 11 : Schwartzbrod A. 6 janvier 2012. « Je voudrais changer la
comment les pauvres raisonnent ». La Croix. l-efficacite-du-microc_news#. perspective même de l’aide aux plus pauvres ». Libération.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 19


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Les perspectives des économies


à revenus moyens
Bolivie, Maroc, Bulgarie, Vietnam, Russie ... Ces pays sont tous Les MICs sont répartis à travers le monde
et présentent une grande diversité, mais
des Middle-Income Countries (MICs), soit des économies à reve- ont certaines caractéristiques écono-
nus moyens. Avec 105 autres États, cette catégorie représente miques et sociales communes. Ils pos-
sèdent tout d’abord une forte croissance
pas moins de 72 % de la population mondiale. économique, avec une moyenne de 6,5 %
de croissance du produit intérieur brut
(PIB) en 2010. Cependant, pour certains
Qu’est-ce qu’un MIC ? États, comme la Chine et le Vietnam, la
Les MIC étaient l’objet d’une journée croissance est rapide et stable, alors
d’étude organisée par l’ONG belge Vre- que pour d’autres, tels que le Mexique et
deseilanden-Veco fin de l’année 2011. l’Argentine, pays vulnérables aux chocs
Le but de cet atelier était d’amener les internes et externes, elle est très vola-
acteurs de la coopération au développe- tile. Par ailleurs, la limite entre revenu
ment, et plus particulièrement les ONG moyen supérieur et revenu moyen infé-
belges, à se questionner sur leur rôle à rieur est ténue. On observe de nombreux
venir vis-à-vis de ces économies à reve- cas de régression de statut, mais peu de
Des pays qui mettent nus moyens. progression. Beaucoup de pays ont ten-
au défi les ONG dance à rester bloqués dans ce que l’on
La Banque mondiale définit quatre caté- a appelé le « piège du revenu moyen »
« NGOs and Development gories de pays en fonction de leur revenu (« Middle Income Trap »).
Cooperation with Middle-Income national brut (RNB) par habitant : les
Countries »1, tel est le titre du économies à faible revenu (Low-Income En matière sociale, les MICs se carac-
rapport rédigé en février 2012 à countries – LICs), les économies à revenu térisent par des inégalités profondes et
suite à la journée d’étude organisée moyen inférieur (Lower Middle-Income tenaces, ainsi que par une pauvreté per-
sur ce thème par l’ONG belge countries – LMICs), tels que l’Inde, le sistante et généralisée. En 2008, 75 %
Vredeseilanden, en décembre 2011. Sénégal et l’Ukraine, les économies à des personnes les plus pauvres à travers
Ce document offre une synthèse revenu moyen supérieur  (Upper Middle- le monde, c’est-à-dire vivant avec moins
des caractéristiques des Middle- Income countries – UMICs), dont le Bré- d’un dollar US par jour, vivait dans un
Income Countries (MICs) et détaille sil, la Chine et la Turquie, et enfin les pays à revenu moyen. En outre, l’urba-
les défis auxquels ceux-ci font face économies à haut revenu (High Income nisation, l’industrialisation et l’intensi-
et devront faire face dans le futur. countries – HICs). fication de l’agriculture dans ces États
Il propose ensuite un agenda pour
la coopération au développement,
dans une perspective « verte » et
« favorable aux plus pauvres ». Enfin, Revenu national brut par habitant en dollars US
il formule une proposition quant
au rôle que peuvent jouer les ONG Variation Moyenne
belges vis-à-vis de ces États.
Pays à revenu élevé $12,276 ou plus $38,658
1 : Johan Rock, NGOs and Development
Cooperation with Middle-Income Countries.
An input for the Vredeseilanden – 11.11.11
Study Day on the Future Role of Belgian NGOs Pays à revenu intermédiaire élevé $3,976 - $12,275 $5,884
in Middle-Income countries, février 2012.
Pays à revenu intermédiaire bas $1,006 - $3,975 $1,658

Pays à bas revenus $1,005 ou moins $510

Source: World Development Report 2012

20 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Les objectifs politiques, économiques


et militaires de l’Inde
Soucieuse de rattraper son retard sur Pékin qui réunit le domaine pétrolier même que puissance émergente, leur
des sommets triennaux du Focac (Forum de coopération si l’Inde, contrairement à la pays doit avoir sur ce conti-
sino-africain) depuis 20001, New Delhi a organisé un pre- Chine, n’est pas intéressée nent une présence militaire
mier Forum Inde-Afrique en 2008 et un deuxième début uniquement par l’achat de pé- et de sécurité proportionnelle
trole. À travers OVL, elle prend à ses ambitions politiques et
2011. L’Inde privilégie aussi l’alliance souple qu’elle économiques. Active depuis
forme depuis 2003 avec le Brésil et l’Afrique du Sud via des participations dans toutes
les phases de la production, du les premières opérations de
le forum de dialogue IBSA (India-Brazil-South Africa). Le maintien de la paix de l’ONU
raffinage jusqu’au transport
but des trois puissances émergentes ? Arriver avec des et ce, dans de nombreux pays en 1960 au Congo Belge, l’Inde
positions communes aux Nations Unies, à l’OMC, ainsi (Côte-d’Ivoire, Egypte, Gabon, est aujourd’hui le troisième
que dans d’autres enceintes multilatérales. Ouganda, Libye, Nigéria, São contributeur mondial aux mis-
sions de l’organisation. À un
Tomé-et-Principe, Soudan et
L’Inde a été le premier pays dans l’exploration et la pro- niveau bilatéral, elle fournit à
Sud-Soudan).
d’Asie à établir en 2007, un an duction pétrolière. Toutefois, ses partenaires africains des
avant la Chine, une représen- l’Inde affirme qu’elle n’est pas Hydrocarbures, minerais, moyens pour accroître leur
tation diplomatique à Juba, la en compétition avec la Chine industries chimiques, soins capacités militaires (Afrique
capitale du jeune Sud-Soudan en Afrique ; ce qui pourrait de santé, potentiel agricole, du Sud, Botswana, Nigeria,
(indépendant depuis juillet être plausible sur le terrain développements d’infrastruc- etc.).
2011). La société indienne diplomatique, mais pas pour tures, télécommunications :
l’Inde ratisse large en Afrique. Charline Cauchie.
d’État OVL (ONGC Videsh les marchés. Les deux pays Source : J. Peter Pham, 
Limited) a déjà investi dans cherchent à conclure les Et, d’autre part, les diplomates Inde-Afrique, un mariage discret, 
le pays 3 milliards de dollars mêmes contrats lucratifs dans indiens estiment qu’en tant Alternatives Internationales, Décembre

1 : En 2000 à Pékin, en 2003 à Addis-Abeba, en 2006 à Pékin et en 2009 à Charm El-Cheikh. La 5e rencontre aura lieu en juillet 2012 à Pékin.

engendrent un accroissement de la pol- nement, élargissent considérablement sions. D’autres défis à relever sont l’éra-
lution et de la pression sur les ressources les possibilités et la marge de manœuvre dication de la pauvreté et des inégalités,
naturelles. Les MICs ont donc également de ces derniers. l’amélioration du niveau technologique
comme point commun des préoccupa- et des infrastructures, et la maîtrise des
tions écologiques grandissantes. Sur le plan politique, tandis que les MICs crises climatiques et alimentaires. Bien
asiatiques ont toujours maintenu une que ces pays ne soient pas responsables
Une multitude de défis forte présence étatique, se refusant à de ces crises, il est nécessaire qu’ils
Au niveau économique, la première céder à la pression du libéralisme, plu- adoptent une approche de développe-
source de financement des MICs sont les sieurs MICs latinos-américains ont enta- ment verte et à faibles émissions de car-
investissements et les prêts privés. Sur le mé un virage à gauche et renouent avec bone. En effet, si la totalité des habitants
plan commercial, les échanges des MICs les expériences antérieures de l’« État de ces États adoptait le mode de vie de la
connaissent une importante croissance, développementaliste ». Les gouverne- population des économies à haut revenu,
mais une large part de leurs exportations ments de ces pays introduisent des me- notre planète serait, à brève échéance,
restent des matières premières, des pro- sures de protection sociale, comme le condamnée. Enfin, les MICs devraient re-
duits manufacturés bas de gamme ou de programme Fome Zero au Brésil, lancent voir, tout comme les HICs, leur politique
faible technologie. En termes de com- des initiatives vertes et mettent en place d’investissement en termes d’impact so-
merce Sud-Sud, d’aide et d’investisse- des mécanismes d’intégration régionale cial et écologique sur les LICs.
ments, les flux émanant des MICs sont basés sur la complémentarité, tels que
l’Alba au Vénézuela. MICs et aide au développement
déterminés, à l’instar de ceux des États
riches, par des intérêts stratégiques, Le rapport de Vredeseilanden présente,
politiques et économiques. Cependant, Face à ces constats, les défis qui se posent dans sa deuxième partie, une perspective
les investissements de la Chine, de l’Inde pour les MICs sont nombreux. Ceux-ci d’évolution de l’aide au développement
et du Brésil dans les pays en développe- doivent tout d’abord stabiliser leur crois- à destination des MICs, centrée sur la
ment, bien que n’étant pas toujours res- sance économique afin que celle-ci soit pauvreté et l’environnement. Apporter de
pectueux des travailleurs et de l’environ- à même de résister aux chocs et aux ten- l’aide aux économies à revenu moyen et

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 21


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

ne pas se concentrer exclusivement sur les


économies à faible revenu reste crucial,
et cela pour de nombreuses raisons. Tout La coopération multilatérale
d’abord, même les MICs les plus perfor-
mants sont très loin d’atteindre le niveau
brésilienne
de richesse des pays à haut revenu. Ils ont
donc besoin de soutien pour faire face Le Brésil insiste sur la relations avec l’Afrique en la continuité des efforts
aux crises alimentaire et environnemen- notion de coopération englobant la concertation entrepris par Lula et par
internationale struc- politique, la coopération plusieurs hauts fonction-
tale. Par ailleurs, en continuant à soute- turante, qu’il conçoit technique, l’investisse- naires de l’Itamaraty (le
nir les MICs, les bailleurs montrent qu’ils comme une alternative à ment et le commerce. ministère des Relations
récompensent ceux qui « font bien », au l’aide traditionnelle, trop Il comporte également extérieures). Mais la
lieu de les priver d’aide brutalement. hiérarchique. Dans ses plusieurs défis dont coopération ne peut se
relations internationales, l’adaptation aux réali- limiter à des incitations
Des raisons d’efficacité doivent égale- il a su adopter un com- tés locales, la création gouvernementales. Pour
ment pousser les pays riches à soutenir portement multifacettes d’économies d’échelle et établir des bases ins-
les MICs. En effet, ces derniers disposent en profitant à la fois des la mise en place de liens titutionnelles solides,
des capacités institutionnelles leur per- opportunités offertes par avec la sphère productive. de nombreux observa-
mettant de faire un usage optimal de le système international Les mécanismes de suivi teurs estiment qu’il est
et en s’imposant progres- et d’évaluation sont néan-
l’aide reçue. Par conséquent, de petits moins quasi inexistants,
nécessaire pour le pays
sivement comme leader de renforcer l’Agence bré-
montants peuvent produire de grands des pays du Sud. les accords bilatéraux ne
effets et avoir un retentissement sur les silienne de Coopération,
Le domaine le plus impor- nécessitant pas de rap- d’accélérer la ramification
États voisins plus pauvres. En outre, les tant de sa coopération ports de résultats. internationale de l’Em-
MICs donnent l’opportunité aux bailleurs avec l’Afrique demeure La coopération brési- brapa (l’institut public
de créer des modèles pouvant constituer l’agriculture, considérée lienne est en plein essor de recherches agrono-
une source d’inspiration pour les autres comme prioritaire depuis et constitue une priorité miques) et d’établir une
pays en développement. Les MICs peuvent le Dialogue Brésil-Afrique de la politique étrangère, nouvelle harmonisation
également servir de laboratoire pour ex- de 2003. On note, en effet, mais, à l’opposé de l’Inde, entre secteurs public et
périmenter de nouvelles formes d’appui une volonté explicite des les liens entre Brésil et privé dans le commerce et
et permettre de contrer la vague gran- autorités brésiliennes l’Afrique sont encore l’agriculture.
d’exporter leur « savoir-
dissante de scepticisme à propos de l’ef- faire » intérieur en
vulnérables et peu auto-
entretenus. Ils dépendent Charline Cauchie.
ficacité de l’aide. Enfin, les HICs peuvent matière de lutte contre la Source : Carolina Milhorance de
tirer des leçons des expériences des MICs, fortement du gouver-
faim et la pauvreté. nement en place. Élue Castro et Frédéric Goulet,
en termes de développement de sources en octobre 2010, Dilma
L’essor des coopérations Sud-Sud : 
d’énergie verte (Chine) et d’agroécologie Le secteur agricole repré- Le Brésil en Afrique et le cas
sente un bon exemple Rousseff s’est montrée dé- du secteur agricole, TFD 105,
(Cuba, Brésil) par exemple. du modèle brésilien de terminée à s’inscrire dans Décembre 2011
La priorité doit être le plaidoyer
Le soutien apporté aux MICs doit notam-
ment se concentrer sur le renforcement de
politiques économiques indépendantes,
sur la répartition des dépenses, la pro- Cette aide peut revêtir diverses formes : place d’États « développementalistes »
tection sociale et la redistribution des financière (prêts, allégement de dette), et de nouveaux organes régionaux et
terres. Pour ce faire, plusieurs stratégies lobby et campagne, appui consultatif et internationaux, ainsi que de soutenir la
doivent être mises sur pied. Il importe assistance technique, coopération scien- transformation des institutions et des
d’encourager le développement d’États tifique, partenariats publique/privé, coo- relations de pouvoir au profit des plus
exerçant un contrôle sur les marchés et pération triangulaire (support à la coopé- défavorisés. Cela doit se faire au travers
les financements, investissant dans les ration Sud-Sud), programmes verticaux, des organisations de la société civile.
infrastructures et les services publics et mais aussi partage d’expériences, travail Enfin, les ONG qui sont présentes sur le
protégeant les personnes vulnérables. Il en réseau et partenariats à long terme terrain au sein de MICs et interviennent
convient également de soutenir un chan- entre HICs, MICs et LICs. à un niveau micro, doivent comprendre
gement institutionnel, avec la mise en que ce type de projet ne possède qu’une
place de politiques macroéconomiques, valeur fonctionnelle. Il peut servir à ga-
de mécanismes de régulation, de régimes En termes de contribution spécifique des gner de la légitimité et de la crédibilité,
de taxation, d’incitants à l’entrepreneu- ONG belges dans la coopération avec les mais il doit toujours être lié à un agenda
riat responsable ... Il est enfin important MICs, la priorité doit être donnée au plai- de plaidoyer.
d’apporter un soutien aux organisations doyer à différents niveaux (pays d’an-
issues de la société civile : unions de crage, pays partenaire, niveau régio-
travailleurs, organisations paysannes, nal et international). Ce plaidoyer doit
mouvements de femmes, etc. avoir pour but de revendiquer la mise en Synthèse rédigée par Aurélie Vankeerberghen

22 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

République démocratique du Congo

Quand l’aide chinoise et belge


se croisent
Présentation d’une étude de l’Institut Hiva
sements ou encore la présence de petits
La présence de plus en plus visible de la coopération chinoise au commerçants chinois installés en RDC.
Congo, et plus largement en Afrique, soulève bien des questions La plupart des projets chinois sont as-
doublées souvent de réticences ou de craintes. Sont-elles fon- sumés et financés par le ministère du
Commerce et par la Exim Bank3. Il n’est
dées, reflètent-elles la réalité sur le terrain ? Une récente étude1 pas toujours facile de distinguer ce qui
menée conjointement par des universitaires chinois, belges et relève de l’aide au développement – un
terme peu apprécié en Chine où la notion
congolais entend éclairer le débat et de corriger certaines idées de collaboration ou de bénéfice mutuel
toutes faites. (win-win) est mise en avant – et de
l’investissement étranger direct (IED).
Les donateurs traditionnels craignent
À partir d’une quinzaine d’études de d’ailleurs que les flux financiers chinois,
cas dans quatre secteurs (agriculture, même octroyés à des taux préférentiels,
infrastructures, éducation et santé) n’entraînent l’Afrique dans un nouveau
où évoluent les aides belge et chinoise, cycle d’endettement.
les chercheurs de l’Institut Hiva se sont
demandés quelle est la pertinence, la
qualité de ces projets, et leur intégration La cohabitation des
aux besoins locaux ? La Chine et les do- donateurs chinois et
nateurs traditionnels se complètent-ils
L’Institut Hiva dans leur vision de l’aide ou s’opposent- belge pose-t-elle de réels
ils ? Pourrait-on imaginer une approche problèmes ?
est un centre de recherche
en sciences sociales né d’une
trilatérale où pays émergents, parte-
naires de l’OCDE et pays bénéficiaires
collaboration entre l’Université
adopteraient une stratégie concertée ? Il importe de rappeler que le Départe-
de Leuven (KUL) et le Mouvement ment chinois de l’Aide étrangère est
ouvrier chrétien. Cet institut Traits distinctifs de l’aide chinoise très réduit puisqu’il se compose d’une
travaille activement avec les Il faut d’abord remarquer que la « coo- centaine de fonctionnaires seulement,
organisations sociales, les pération » chinoise n’obéit pas à la pra- contre plus de 2000 du côté de l’USAID.
gouvernements et les entreprises tique prévalant dans les pays de l’OCDE L’étude menée par Hiva souligne donc un
pour renforcer les bases d’un savoir où celle-ci est gérée par des agences manque apparent de coordination effec-
pratique, partagé par les milieux créées à cet effet et se distingue aisé- tive : peu de programmes d’ensemble
scientifiques, politiques et les ment des autres formes d’intervention. mais plutôt des initiatives dispersées
organisations de la société civile. Pour la Chine, l’aide ne représente qu’une issues de différents ministères ou d’en-
composante très partielle d’un ensemble treprises publiques et administrées par
incluant le commerce et l’investissement. l’Exim Bank. Ces programmes se carac-
L’aide proprement dite est bien moins térisent par une recherche de résultats
importante en volume2 qu’on ne le croit rapides dirigés essentiellement vers les
généralement, quand on la confond avec infrastructures économiques, là où les
les contrats commerciaux, les investis- donateurs de l’OCDE poursuivent une
approche stratégique plus large, privi-
légiant les capacités à long terme et les
1 : Neither conflict, nor comfort. The co-habitation of infrastructures sociales. Cette absence
Chinese and Belgian aid in the D.R.Congo. Publié en 2011 par
le HIVA – Research Institute for work and Society, KU. de cadre général et de stratégie à long
http://hiva.kuleuven.be/en/publicaties/publicatie_detail.
php?id=3355
3 : Banque d’import-export intégralement détenue par l’État
2 : En 2009, 2,5 à 3,5 milliards de dollars pour la Chine, chinois ; elle joue un rôle majeur dans le développement
2,6 pour la Belgique, 12,6 pour la France, 28,8 pour les USA économique et commercial de la Chine à l’étranger.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 23


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

© François Cajot / SOS Faim.


Coopération médicale chinoise en RDC.

terme fait dire aux auteurs de l’étude que non-interférence dans la politique inté- lité de leurs projets. Les donateurs tra-
l’aide chinoise en RDC se trouve dans une rieure d’un pays et par leur volonté de se ditionnels sont plus concernés par cette
phase encore transitionnelle et qu’elle se distinguer ainsi des ex-puissances colo- problématique de viabilité et s’attellent
débat, comme d’autres donneurs occi- niales qui feraient encore de l’Afrique à ce renforcer les capacités, une entre-
dentaux, avec la complexité et les pro- leur terrain d’influence, dominée par prise plus lente et moins spectaculaire
blèmes structurels propres à la RDC. leurs intérêts stratégiques. Là où l’UE se que celle menée par la Chine.
présenterait comme « protectrice », la
Aide liée et pas liée à la fois Chine serait « dans un rapport de parte-
nariat d’égal à égal ». Par ailleurs, de nombreux observateurs
Autre particularité souvent soulignée relèvent que l’aide chinoise est une aide
de l’aide chinoise, elle n’est pas liée par liée puisque la plupart des contrats ré-
des conditionnalités telles que la bonne L’aide chinoise sultant d’accords sino-africains sont
gouvernance ou le respect des droits
humains ; même si en dehors de confron- est moins importante attribués à des firmes chinoises. Pour
tations rhétoriques parfois retentis- qu’on ne le croit. autant, une aide déliée n’empêcherait
santes, le choix des projets belges ou pas cette attribution du fait du rapport
occidentaux ne se trouve guère entravé coûts-efficacité proposé par ces firmes.
par des manquements dans un domaine Mais cette « neutralité » et ce refus de De plus, en dépit d’une perception te-
où le pragmatisme l’emporte souvent toute politique à plus long terme de nace, 85 à 95 % de l’emploi est attribué
sur les principes proclamés. Les Chinois renforcement des capacités publiques aux populations locales, même si ce sont
justifient cette politique par un souci de locales, obèrent bien souvent la durabi- les postes manuels les plus déconsidérés.

24 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Et quant à l’implication locale, facteur d’une idéologie encore marquée par le pération belge se base plus sur une ap-
hautement pris en compte dans les pro- colonialisme ou la Guerre froide. Aussi, proche méthodologique, avec un ancrage
jets belges mais quelque peu négligé par mettent-ils en question la légitimité du local plus appuyé dans des projets tels
les chinois, l’étude conclut que les pro- CAD (Comité d’Aide au Développement) que les routes de desserte, ou les livres
jets chinois en bénéficient aussi, de par de l’OCDE en tant que plate-forme de dis- scolaires. Malgré cette optique, le talon
leur forte visibilité et leur impact direct cussion relative à l’efficacité de l’aide. d’Achille des projets réside dans leur via-
sur le quotidien des populations. bilité lors de leur cession aux adminis-
trations locales.
Quid des perversités de l’aide chinoise Les projets chinois
(salaires dérisoires, contrats temporaires sont assumés Cette faiblesse du secteur public rend tout
même pour de longues périodes, hosti- partenariat inégal et c’est dans cette di-
lité à l’égard des syndicats, participation par le ministre rection que devraient s’engager conjoin-
locale déficitaire) régulièrement dénon- du commerce. tement tous les donateurs. Ce qui facili-
cées par la société civile ? Les auteurs de terait l’appropriation congolaise réelle,
la recherche voient dans ces pratiques le sans qu’elle ne reste qu’un vœu pieux.
fait de sociétés chinoises privées et non Il faut aussi remarquer qu’en l’absence
des défauts inhérents à l’aide proprement d’agence dédiée au développement ou Si tant les projets belges que chinois
dite, objet de cette étude. d’une classe institutionnelle d’experts en répondent à des besoins effectifs, ces
ce domaine, la politique d’aide chinoise derniers sont plus isolés dans leur appli-
Cohabitation ou antagonisme de l’aide obéit bien plus que les autres donateurs cation. Là où les Belges recherchent une
belge et chinoise ? aux impératifs de sa politique étrangère. vision commune et un mécanisme ins-
Les études de cas montrent, qu’à ce Mais les pays de l’UE sont aussi parfois titutionnel, les Chinois tendent plutôt
stade, la cohabitation des donateurs oc- tentés par ce genre de considérations… à une logique contractuelle, avec des
cidentaux et chinois ne pose pas de réel inter­actions structurelles limitées.
problème car ils se concentrent sur des Pour l’heure, il semble donc que des
secteurs différents et que leur approche, programmes trilatéraux d’envergure ne Utilités réciproques
sans être semblable, n’est pas pour soient pas envisageables dans un futur Les auteurs de la recherche souhai-
autant conflictuelle. Pourrait-on alors proche. Même si, dans un domaine en teraient que d’autres études soient
imaginer une forme de collaboration tri- particulier, celui du suivi et de l’évalua- menées dans des pays africains où la
latérale (entre les donateurs tradition- tion de programmes, très négligé par les présence chinoise est plus importante
nels, ceux des pays émergents et les pays Chinois, ceux-ci pourraient tirer grand (Éthiopie, par exemple) qu’en RDC.
bénéficiaires) appuyée sur une harmoni- profit d’une coopération mutuelle. Car une approche basée sur les regards
sation accrue entre les donateurs et des croisés de chercheurs africains, chinois
processus d’apprentissage mutuel ? Projets axés résultats et occidentaux permet de dégager une
Bien que l’agenda et les rapports des compréhension plus large des projets
Elle pourrait certes représenter un bo- projets d’aide chinoise ne soient pas en cours et des politiques qui les sous-
nus dans le domaine des stratégies de accessibles, force est de constater que tendent.
développement de la RDC. Pour autant, le nombre de projets déployés en RDC
l’intérêt de la RDC et de la Chine pour ce est extrêmement réduit. Les sept pro- La problématique de l’aide au dévelop-
type de coopération n’est pas évident. jets chinois retenus pour cette étude pement est d’une extrême complexité, en
La RDC risquerait d’y perdre une faculté couvraient en fait, sans que cela ne butte à bien des écueils, des approxima-
de négociation flexible avec les diffé- soit intentionnel, une part majeure de tions maladroites ou des effets pervers.
rents partenaires, quitte même à jouer l’aide chinoise alors que les huit projets Africains comme Occidentaux pourraient
sur leur mise en concurrence. Du point de belges retenus, dotés de budgets plus s’inspirer d’un modèle chinois basé sur
vue chinois, une coopération trilatérale importants, ne couvraient qu’une portion de longs cycles de développement et une
implique des possibilités réduites de dé- congrue de l’aide belge. explosion économique étonnante. Les
velopper un modèle propre de dévelop- expériences et innovations occidentales
pement Sud-Sud qui se poserait en réelle La Chine est convaincue que seule une en matière d’aide peuvent aussi être
alternative à l’aide traditionnelle. Sans croissance économique soutenue est à utiles aux Chinois. Enfin, les premiers
compter leur alignement obligé sur les même de réduire la pauvreté. Aussi, la concernés et les plus proches du terrain
principes de l’aide occidentale (condi- préférence clairement affichée par les visé par l’aide, les Africains eux-mêmes,
tionnalités, aide déliée, collaboration Chinois de s’engager sur des projets axés doivent se faire mieux entendre pour le
avec la société civile) et les risques pos- sur des résultats rapides et à moindre bénéfice de tous. 
sibles de bureaucratisation et de ralen- coût conditionne-t-elle le choix mar-
tissement de la mise en œuvre. qué de ceux-ci pour les infrastructures.
Dès que le projet est réalisé, la prise en
De plus, beaucoup d’experts chinois charge est confiée aux administrations
voient, dans la « menace chinoise » en congolaises, dont la fiabilité n’est pas
Afrique agitée par l’Occident, les relents toujours garantie. Pour sa part, la Coo- Article rédigé par Miguel Mennig

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 25


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Afrique de l’Ouest 

Vers une privatisation


du développement ?
Un article de Inoussa Maïga regrette le secrétaire exécutif du Roppa.
« D’ici dix ans, on ne parlera même plus
En Afrique de l’Ouest, les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, de ces appels. On va être dans une autre
Afrique du Sud, Russie) renforcent progressivement leur enga- logique où le développement va être
laissé aux mains des banques », s’alarme
gement ; et les entreprises privées prennent une part de plus en Mamadou Goïta, qui pense que la coopé-
plus active dans la coopération au développement. Face à la ration au développement est de «l’aide
liée» : « Quand une structure aujourd’hui
multiplication des acteurs, la société civile reste sur ses gardes accepte financer un projet de coopéra-
et s’interroge. tion dans un pays, ça veut dire qu’il y a
déjà les pistes pour récupérer plus que
ce qu’elle investit . » Il ajoute : « J’ai dit
« De nature je suis très optimiste, mais un jour lors d’une conférence publique à
pour l’avenir de la coopération au Ottawa que le Mali finance le Canada.
développement je suis pessimiste. » Ma-
madou Goïta, économiste du développe-
ment, secrétaire exécutif du Réseau des Revendiquer
organisations paysannes et des profes-
sionnels agricoles d’Afrique de l’Ouest le retour de l’État
(Roppa) prédit la fin prochaine de la dans la gestion
coopération au développement. Avec les du développement.
crises successives (économique, finan-
Inoussa Maïga cière, alimentaire, etc.) qui secouent
est journaliste et chargé de le monde, l’heure est aux « bouleverse- Les gens ont réagi : Mais comment est-
programme chez Jade productions ments, en termes de volume, de l’accom- ce qu’on peut dire des choses pareilles ?
(Burkina Faso) pagnement des activités qui sont menées Je leur ai répondu : Chaque année, nous
http ://www.jadeproductions.info/ par les organisations paysannes, mais envoyons 2 à 3 milliards pour vous ai-
aussi par rapport aux conditionnali- der ; les entreprises canadiennes qui ex-
tés qui y sont liées ». Mamadou Goïta ploitent l’or du Mali gagnent dix fois plus
reconnaît « qu’il est un peu plus com- que ce que vous envoyez dans le cadre de
pliqué aujourd’hui de mobiliser des res- la coopération.  Si vous dites à vos entre-
sources. Nous avons des difficultés à prises de ne plus piller le Mali, il n’aura
nous projeter dans l’avenir, au-delà des plus besoin de votre aide. »
5 ou 10 ans. Les appuis deviennent très
étriqués, et la durée de mise en œuvre Un peu d’optimisme,
de plus en plus courte ». Des institutions mais avec du réalisme
internationales de coopération comme la Au Burkina Faso, les partenaires tech-
FAO, le Fida, ne sont pas non plus épar- niques et financiers tentent de relativi-
gnées, car de plus en plus dépendantes ser le pessimisme exprimé par Mamadou
des financements de fondations privées. Goïta . L’ambassadeur de Taïwan au Bur-
kina, Monsieur Zhang Ming Zhong affirme :
Aujourd’hui, tout passe par des appels « Mon gouvernement a promis que l’aide
à propositions. « Avant, à tout moment, internationale ne changera pas malgré la
une ONG qui avait une bonne idée avec crise financière. Nous n’allons pas réduire
une organisation paysanne en Afrique, le volume de notre aide. » Assane Moctar
pouvait soumettre son projet et obte- Gansoré, représentant à Ouagadougou,
nir un financement. Maintenant il faut au Burkina, du programme à l’Agence
attendre les appels à propositions », japonaise de coopération internatio-

26 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

nale (JICA) renchérit : « La nature n’a pas


épargné le Japon, mais le Japon a tenu à
maintenir son aide. Au Burkina rien n’a Abdoulaye Ouedraogo :
changé, tous ses engagements sont res-
pectés. » Selon Léné Sebgo, directeur géné-
l’aide vue de Ouagadougou
ral de la coopération du Burkina, « l’aide
publique au développement va continuer nous envoient de jeunes
parce que la solidarité internationale va diplômés qui viennent
nous recracher ce qu’ils
continuer à se manifester de façon struc- ont appris à l’école,
turelle». Mais le contexte mondial actuel de sans avoir l’expérience
crises multiformes oblige le directeur géné- que nous avons. Ils ne
ral de la Coopération du Burkina à un mini- tiennent pas compte de la
mum de réalisme. « Le gouvernement bur- formation ni de la culture
kinabé compte désormais d’abord sur ses des gens et ils demandent
propres forces. La Scadd (ndlr : Stratégie des résultats tout de suite,
de croissance accélérée et de développe- au lieu de réfléchir et de
ment durable) est financée à 63 % sur des rentrer dans un processus
ressources internes et seulement pour un cohérent… Mais d’autre
tiers grâce à nos partenaires techniques au part, de plus en plus de
partenaires reconnaissent
développement et du secteur privé. C’est un que le Sud est assez com-
changement fondamental parce que, dans pétent. »
toutes nos stratégies passées, les finance-

© SOS Faim / APIL.


ments extérieurs atteignaient 70 %. » L’aide fait l’objet, jusque
dans les villages les
plus écartés, de chaudes
Léné Sebgo refuse cependant de voir discussions parmi les
en ces changements une conséquence Abdoulaye Ouedraogo à Bruxelles. paysans (…) « Ceux qui
directe des crises actuelles : « Ce n’est aident ont le sentiment de
pas la peur d’un amenuisement des beaucoup donner, quand
Abdoulaye Ouedraogo est le coordinateur des ceux qui reçoivent ont le
ressources qui fait que nous voulons
associations pour la promotion des initiatives sentiment contraire (…)
compter sur nos propres moyens, mais
locales (Apil) au Burkina Faso, un partenaire de Comment comprendre que
c’est le choix du moment. Aujourd’hui
SOS Faim. Lors d’un récent passage en Belgique, le rééchelonnement de la
le gouvernement est convaincu qu’on dette des pays du Sud ne
il a accordé une interview à Dimension 3, le
ne peut pas compter sur les autres pour génère pas directement
périodique bimestriel de la Direction générale
se développer, même s’il faut admettre d’argent frais, que les
de la coopération au développement. En voici
qu’avec les partenaires techniques et frais de bourses accordés
quelques extraits :
financiers, on a accompli un travail rela- aux étudiants étrangers
tivement important en matière d’éduca- « Chez Apil, nous pensons projet alors qu’on leur soient comptabilisés au
tion, de santé et d’infrastructures.» qu’aider au développe- propose des outils qui ne titre de l’Aide publique ?
ment, c’est appuyer les (…)  » La partie de cette
sont pas indispensables
Arrivée de nouveaux acteurs : initiatives de la société, aide consacrée aux activi-
et coûteux ; pourquoi ils
quelles incohérences ? qui vise à atteindre un tés sur le terrain n’atteint
ne reçoivent qu’une partie
niveau de vie digne ». pas en général la moitié
de l’argent promis. (…)
Longtemps l’apanage des pays de l’OCDE Ce n’est pas une ques- On n’en est certes plus
du montant global de
(Organisation de coopération et de tion de quantité, insiste l’Aide publique, constate
aux années soixante. À Abdoulaye Ouedraogo. Il
développement économiques), la coo- Abdoulaye Ouedraogo. présent, les bailleurs sont conclut que « Les peuples
pération au développement s’ouvre au- « On remarque que les face à des communautés aidés peuvent et doivent
jourd’hui à de nouveaux acteurs. Il s’agit acteurs du Nord visent le exigeantes, critiques et
chercher au quotidien à se
notamment de fondations privées et de quantitatif (…) pendant formées, qui savent faire
ce temps, la population passer de l’aide au déve-
pays nouvellement industrialisés comme des choix. loppement en considérant
a du mal à comprendre
le Brésil, l’Inde, la Chine, etc. Pour l’agro- pourquoi il faut passer Il est important que l’asso- comme atout les potenti-
économiste français Roger Blein, l’entrée par 3 ou 4 intermédiaires ciation locale soit maitre alités locales qui peuvent
des pays émergents dans la coopération avant de recevoir de l’aide de ses résultats et réponde être transformées en
au développement permet aux pays du (…) Les associations qui du succès ou de l’échec de ressources exploitables. »
Sud de retrouver potentiellement un peu touchent des fonds ne son programme avec ses
Pour l’entretien complet, lire
de souveraineté. « Beaucoup de pays en comprennent pas pour- communautés, poursuit l’article dans la revue Dimension 3,
développement se sont tournés vers ces quoi on leur demande de Abdoulaye Ouedraogo. « Il à partir du site :
nouveaux donateurs pour sortir de ce diminuer le budget de leur arrive encore que les ONG http://diplomatie.belgium.be
tête-à-tête un peu étouffant avec les
bailleurs traditionnels », déclare-t-il.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 27


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

© Patrick Mascart / Reporters.


Blaise Compaore, président du Burkina, aux journées européennes du développement.

Lors de l’élaboration de la politique nos engagements. Mieux, on va même devenu le marché et le marché est de-
agricole de la Cedeao (Communauté vous rendre l’ouvrage avant la date sur venu l’État. C’est un changement impor-
économique des États de l’Afrique de laquelle on s’est engagé. Si vous voulez tant, parce que les politiques publiques
l’Ouest), les principaux participants ont qu’il y ait des travailleurs nigériens, vous d’aujourd’hui sont dictées par le secteur
signé un pacte de partenariat. Au tout devriez alors les prendre en charge vous- privé », fustige le Secrétaire exécutif du
début, on comptait une dizaine signa- mêmes’’. Cela a coupé court au débat et Roppa qui ne décolère pas. « Vous prenez
taires. Aujourd’hui, on en dénombre les Chinois ont livré l’ouvrage presque six n’importe quel processus d’élaboration
trente. Mais les organes sous-régionaux mois avant les délais ». de politique nationale, vous allez trouver
ont encore du mal à canaliser certains derrière les mains d’une entreprise. Cette
pays comme le Japon, la Chine, l’Inde, le Selon Léné Sebgo la cohérence ré- entreprise qui produit le pétrole, ou qui
Brésil, qui ne sont pas dans les disposi- side dans deux faits : « C’est d’avoir est dans la production de l’or, va tout
tifs de coordination. « Cela provoque un un programme de développement faire pour que le code minier du pays soit
vrai problème de cohérence. On retombe à accompagné de politiques sectorielles en sa faveur. »
chaque fois sur la question de la capacité et de plans d’action avec des priorités
“ disciplinante ” des États, des institu- bien définies. Ensuite, le gouvernement Appui budgétaire : la graine de discorde ?
tions régionales. Je ne vois pas comment doit assurer son leadership à travers une De plus en plus de voix s’élèvent, qui
un État comme le Niger peut prétendre coordination efficace. » De ce point de revendiquent le retour de l’État dans « la
discipliner la Chine, et dire : chez nous vue, la multiplication des acteurs de la gestion du développement ». Selon Léné
on fait les choses de telle manière et pas coopération n’est pas mauvaise en soi. Sebgo, il faut que l’État assure son lea-
autrement », soutient Roger Blein. Du moins tant que l’État assume son dership et dispose de ressources.  Cela
leadership. Ce qui n’est plus le cas se- suppose que l’on accepte de lui octroyer
« Quand les Chinois construisaient le lon Mamadou Goïta : « Dans la plupart un appui budgétaire. « Je suis pour l’ap-
deuxième pont de Niamey, poursuit-il, le de nos pays, depuis les indépendances pui budgétaire parce que c’est la voie
gouvernement nigérien a voulu imposer jusqu’au milieu des années 80, il y avait par laquelle on donne à l’État les moyens
aux Chinois un quota de travailleurs nigé- une alliance très forte entre l’État et la d’assumer ses responsabilités. On met
riens. Les Chinois ont répondu : ‘‘Nous on société civile. Le marché jouait son rôle, l’argent dans le budget, il investit et il
s’est engagé avec vous sur une date de mais l’État assumait sa fonction de ré- rend compte avec ses propres proces-
livraison. On est organisé pour respecter gulation sociale. Aujourd’hui, l’État est sus », déclare Léné Sebgo, qui explique le

28 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

La coopération à l’épreuve des sondages


Une majorité d’Européens (85 %) estimerait que l’aide au l’énergie (6 %) et les trans- 42 % des Européens sondés
développement est importante. Dans l’eurobaromètre de ports (1 %) sont mentionnés suggèrent que l’Union tra-
2010, à la question de savoir quelles sont les deux princi- moins souvent. Le taux de vaille plus étroitement avec
pales motivations des États nantis pour fournir une aide «ne sait pas» est relativement les gouvernements des pays
élevé, à 11 %.  en développement ; 36 % avec
au développement aux pays pauvres, deux Européens sur des pays développés exté-
trois (64 %) citent les intérêts des pays riches : à savoir En 2011, une majorité d’Euro-
rieurs à l’Union comme les
le commerce, le terrorisme, la migration et les relations péens (84 %) estiment que l’UE
Etats-Unis et l’Australie ; et
politiques avec les pays tiers.  devrait exiger des pays en dé-
21 % avec des pays émergents.
veloppement qu’ils respectent
Seul 15 % voient dans les
Les résultats de l’enquête pement ont un impact sur les certains critères en matière
organisations de la société
belge de 2010 vont dans le pays du Sud est bien présente de démocratie, de droits de
civile des partenaires appro-
même sens : la solidarité chez les Européens sondés en l’homme et de gouvernance priés pour améliorer l’impact
arrive certes largement en tête 2011. Bien qu’aucune politique comme condition pour rece- de l’aide européenne. Ils sont
des raisons de se consacrer sectorielle ne se détache fran- voir l’aide au développement 11 % à le penser vis-à-vis des
à l’aide au développement chement, c’est le commerce et de l’UE. entreprises et 9 % vis-à-vis des
(77,8 %), mais viennent en- la finance qui recueillent le plus Dans l’enquête belge de Pulse, fondations privées. 
suite des raisons «instrumen- de suffrages (18 %). Les autres «veiller à un meilleur fonc-
tales» comme constituer un domaines politiques clés de l’UE tionnement des autorités dans Les auteurs de l’enquête Pulse
frein à l’immigration (71,7 %), ayant un impact sur les pays en le tiers-monde» est plébiscité observent une forte dispo-
offrir des débouchés commer- développement sont, d’après les par 89,9 % des sondés parmi sition à la générosité et au
dévouement. La connaissance
ciaux (45,7 %) ou encore être sondés, la construction de la les formes de coopération les approfondie des enjeux leur
un outil de prévention de la paix (16 %), les migrations (16 %) plus utiles.
semble par contre nettement
guerre (42,4 %). et l’agriculture (14 %). plus faible.
En 2011, à la question de
La conscience que d’autres Le changement climatique savoir comment améliorer
politiques que l’aide au dévelop- (9 %), l’environnement (6 %), l’efficacité de l’aide de l’UE, Emmanuel De Lœul

rejet de l’appui budgétaire par certains l’appui budgétaire, avec tous les risques rapports mais pour tirer le meilleur de ce
partenaires de la manière suivante : que ça comporte, est vraiment un élé- qu’elles peuvent donner », assure Léné
« L’appui budgétaire a cette particularité ment clé. Mais après, c’est aux sociétés de Sebgo. « Dans la lutte contre le VIH/Sida,
que pour y aller, il faut que vous y laissiez s’organiser pour travailler sur une transpa- si les associations n’avaient pas été effi-
une partie de vous-même. Le drapeau, rence de l’État, de la gestion financière. » caces, je ne suis pas sûr qu’on aurait pu
c’est fini. Ce qui compte c’est les résul- exhiber les résultats avec beaucoup de
tats que le pays a obtenus. Des résultats La société civile pour parer aux abus fierté. Je ne pense pas qu’au Burkina,
de groupe et non individuels. » Les organisations de la société civile on les prenne pour des figurants, on les
(OSC) jouent un rôle primordial dans le considère effectivement comme les ac-
Mais il est conscient également « qu’il contrôle de la gestion du développement. teurs qui apportent beaucoup dans la re-
faut que l’État fasse en sorte que la ges- Elles sont de plus en plus nombreuses à cherche de solutions aux problèmes que
tion des finances publiques soit la plus se montrer incisives sur le terrain. « À la nous rencontrons ».
fiable possible, la plus transparente Cedeao, le Roppa a su s’imposer jusqu’à
possible, qu’il ait la capacité de rendre participer de façon très active avec l’en- Ce n’est pas le point de vue de Assane
compte de l’utilisation des ressources ». semble des autres acteurs à l’élaboration Moctar Gansoré, du Jica au Burkina : « J’ai
d’un document de politique commune », récemment assisté à une réunion des
Assane Moctar Gansoré, de la Jica, confie : se réjouit Mamadou Goïta. bailleurs internationaux avec le ministre
« S’il n’y a pas une volonté manifeste des de l’économie et des Finances. À cette
autorités de lutter contre la corruption, réunion, les bailleurs ont ressorti le pro-
ça n’encourage pas à aller vers l’appui Au Burkina, blème de la corruption en se basant sur
budgétaire et nous ne sommes pas sur les bailleurs tentent le rapport de l’ONG Renlac (ndlr : Réseau
la voie de faire de l’appui budgétaire au de relativiser. National de Lutte Anti-Corruption), et le
Burkina. ». ministre a essayé de dénigrer ce réseau-
là. Quand ça les arrange, ils sont d’ac-
Roger Blein se veut plus conciliant : « Si Les États impliquent de plus en plus les cord, mais quand ça ne les arrange pas,
l’on pense vraiment qu’il faut réhabiliter OSC dans les processus nationaux et ils trouvent que les OSC ne font pas du
l’État dans ses fonctions régaliennes, no- sous-régionaux de négociation. « On ne bon travail, c’est vraiment dommage »,
tamment “ la gestion du développement ”, les consulte pas juste pour embellir nos témoigne-t-il.

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 29


Dossier  Coopération au développement : Les temps changent

Les conclusions du livre « How do we help »

Un marché du développement
très libéral
Le monde de la coopération au développement, comme d’autres représentent ces bénéficiaires peuvent
mieux faire prévaloir leurs agendas. Les
secteurs, est composé d’acteurs qui se livrent à certaines formes donateurs savent en général qu’ils inves-
de concurrence. Cette compétition se déroule selon des règles tissent à long terme et qu’ils ne doivent
pas forcément s’attendre à des résultats
que l’on pourrait qualifier de relativement libérales. C’est une rapides. Ce contexte permet aux dona-
des conclusions du dernier livre du professeur Patrick Develtere, teurs et aux bénéficiaires d’approfondir
leur relation sur le long terme et d’amé-
de l’Université catholique de Leuven (KUL). liorer leurs stratégies communes.
Intitulé « How do we help » (disponible
uniquement en anglais), l’ouvrage passe
notamment en revue les différents types Une
d’intervenants de l’aide, mais précise compétition
que leur nombre augmente tellement relativement libérale.
vite, qu’il semble à présent excéder, en
comparaison, les parts du gâteau dispo-
nible pour fournir de l’aide. Dans cet univers bigarré qu’est devenue
la coopération au développement, tout
Dans ce foisonnement d’acteurs, il existe le monde comprend finalement l’intérêt
finalement peu d’arbitres pour fixer les d’étudier la durabilité de son action afin
règles. L’Organisation de coopération et de prouver son sérieux et sa légitimité.
de développement économiques (OCDE) Responsabiliser les acteurs
n’est pas mandatée pour faire la police,
mais pour négocier des accords, et seu- La diversité est stimulante si elle s’ex-
lement avec ceux qui acceptent les règles prime au travers d’acteurs innovants et
du jeu conventionnel. Peu de pays ont responsables. Qui aurait pu imaginer, il
adopté une loi relative à la coopération y a quelques années, dans l’univers de
au développement. Quant aux ONG, elles la coopération conventionnelle, que le
sont dans une certaine mesure guidées football puisse être un outil de pacifica-
par un socle de valeurs communes. Et tion des conflits et de dynamisation des
quand ces ONG reçoivent des subventions économies locales ? Qui en serait venu à
publiques, elles et les gouvernements imaginer que des multinationales et des
établissent des conditions mutuelles à syndicats négocient un cadre internatio-
respecter. Leurs efforts pour se confor- nal d’amélioration des conditions de tra-
mer à des règles supra-étatiques telles vail dans les pays du Sud (…) ? Qui se se-
« How do we help »,
que la Déclaration de Paris, le Code de rait permis de rêver de voir des produits
Coordonné par Patrick Develtere. conduite européen ou l’Unité d’action du commerce équitable dans les rayons
des Nations unies, ne sont pas contrac- de supermarchés ? Qui aurait pensé que
tuels, mais ont plutôt, à l’origine, des des systèmes solidaires d’assurance san-
motivations politiques, qui sont sur- té deviennent une réalité pour les plus
tout partagées, là aussi, par les acteurs pauvres, ou que l’on irait jusqu’à acheter
conventionnels de la Coopération. des forêts pour les conserver (…) ?
Il reste à vérifier si ce marché du déve-
L’embarras du choix loppement mène vers un véritable déve-
loppement. La communauté du dévelop-
On peut épingler quelques aspects posi- pement a urgemment besoin de définir
tifs à l’augmentation des acteurs four- ce qu’est la bonne coopération, conclut
nissant de l’aide au développement. Pour Patrick Develtere.
les bénéficiaires, il y a manifestement
l’embarras du choix. Les organisations qui Recension rédigée par Pierre Coopman

30 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Analyse

Union européenne et Afrique

Les agrocarburants
sur la sellette
Un article de François Misser Incitation à l’accaparement
La politique des agrocarburants encou-
Un récent rapport d’ONG accuse l’UE d’avoir involontairement ragerait le développement de grandes
encouragé l’accaparement de terres et l’insécurité alimentaire exploitations, qui menace le droit à l’ali-
mentation des fermiers africains. Cela
en Afrique, en encourageant la consommation de carburants serait dû à une lacune de la directive dont
d’origine végétale dans le secteur des transports. Faut-il avali- les critères prévoient que les agrocarbu-
rants consommés dans l’UE ne doivent
ser ou nuancer ce réquisitoire ? pas avoir d’impact négatif sur l’environ-
nement, mais n’abordent pas la préven-
Fin février dernier, le consortium Europ­ tion des impacts sociaux négatifs de ces
Africa regroupant des ONG européennes cultures. Les subventions aux agrocarbu-
et africaines a présenté un rapport en rants constituent une autre incitation à
forme de réquisitoire contre la politique l’accaparement, concluent les ONG, re-
européenne des biocarburants1. Il visait joignant ainsi largement les analyses du
particulièrement les effets de la directive rapporteur de l’ONU pour le droit à l’ali-
européenne sur l’énergie (DER), adoptée mentation, Olivier De Schutter. Selon ce
en 2009, qui fixe un objectif de consom- dernier, la diminution de 13 % des stocks
François Misser mation de 10 % de carburants d’origine mondiaux de céréales entre 2009 et 2011
est correspondant à Bruxelles de
végétale dans le secteur des transports est imputable pour les deux tiers à l’UE et
BBC-Afrique. Il suit l’actualité
à l’horizon 2020. Cet objectif a été défini aux Etats-Unis, notamment à cause de
africaine depuis 1983 et plus
afin de réduire la dépendance vis-à-vis la demande en agrocarburants. De leur
particulièrement les thématiques
des carburants fossiles, dont les prix côté, le Fonds mondial de l’alimentation
intéressant l’économie et la s’envolent, de lutter contre le change- (FAO) et la Banque mondiale ont recom-
conflictualité dans la région ment climatique et de satisfaire la de- mandé l’abandon des subventions aux
des Grands Lacs. Il est l’auteur mande croissante du secteur. Il implique agrocarburants en raison de leur impact
de plusieurs ouvrages, dont une multiplication par trois entre 2009 négatif entraînant une imprévisibilité
« Géopolitique du Congo (RDC) » et 2020 de la consommation européenne des prix des denrées alimentaires.
d’agrocarburants.
(Complexe, 2006), écrit avec Marie- Estimations difficiles
France Cros et « Les gemmocraties,
l’économie politique du diamant
Le rapport admet que l’impact de la
Les ONG relèvent que cette politique est politique en Afrique est difficile à suivre
africain » (Desclée de Brouwer, 1997), bien intentionnée, mais ils lui reprochent
écrit avec Olivier Vallée.
car beaucoup d’investissements sont
de n’être pas cohérente avec les objectifs récents dans le secteur. Mais il estime
de développement de l’UE, concernant la que les investisseurs étrangers sont en
sécurité alimentaire, l’appui à la produc- train d’acquérir de plus en plus de terres
tion agricole durable de petite échelle et afin de pouvoir produire des agrocarbu-
les aspects sociaux, économiques et en- rants en vue d’une exportation vers l’UE,
vironnementaux qui y sont liés. encouragés par des prix la baisse. Selon
la Banque mondiale, entre 3 et 5 millions
1 : EuropAfrica, “(Bio)fueling injustice ? : Europe’s re-
sponsibility to counter climate change without provok- d’hectares auraient déjà été acquis par
ing land grabbing and compounding food insecurity in des sociétés européennes à cet effet.
Africa”, Bruxelles, février 2012. Ce consortium regroupe les
partenaires suivants : Réseau des organisations paysannes
et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest, Eastern African Le rapport n’exonère toutefois pas les
Farmers Federation, Plate-forme régionale des organisations États africains de leurs responsabili-
paysannes d’Afrique Centrale, Terra Nuova et Centro Interna- tés. À commencer par ceux qui se sont
zionale Crocevia (Italie), Collectif Stratégies Alimentaires et
Vredeseilanden (Belgique), Practical Action (Royaume-Uni) fixé des objectifs ambitieux en matière
et Glopolis (République tchèque). de consommation de carburants d’ori-

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 31


Analyse

gime commercial « tout sauf les armes »


qui exempte de droits de douane et de
quotas les pays moins avancés (PMA),
en leur conférant un avantage face aux
exportateurs de bioéthanol brésilien ou
de biodiesel indonésien.

Les agrocarburants
encourageraient
le développement
des grandes
exploitations.

Ces tendances amènent l’International


Food Policy Research Institute (IFPRI) à
prévoir que l’Afrique subsaharienne sera
l’une des régions les plus concernées par
le développement des agrocarburants,
tandis que l’Agence internationale de
l’énergie (AIE) prévoit une multiplication
par 6 ou 7 de leur production en Afrique
entre 2009 et 2015. Selon les auteurs
d’une étude réalisée pour le compte de
la Commission européenne au début
2012, l’Éthiopie, le Malawi, le Mozam-
bique, le Nigeria, le Soudan, la Tanzanie
© Wiktor Dabkowski, Reporters / UPP.

et l’Ouganda pourraient devenir à terme


d’importants fournisseurs d’agrocarbu-
rants pour l’UE. Mais l’ennui est que dans
certains pays comme le Mozambique,
35 % de la population vivent en état d’in-
sécurité alimentaire. Entre 2007 et 2009,
les investissements dans le secteur agri-
LEn 2009, s’est tenu à Bruxelles un congrès des marchés mondiaux des biocarburants, cole de ce pays ont concerné des projets
en présence de Bob Geldof.
répartis sur une surface de 433 000 hec-
gine végétale dans le secteur des trans- Cela dit, le rapport admet que pour des tares dont 32 000 ha seulement ont été
2
ports. C’est le cas du Mozambique, qui a « raisons techniques » (sic), la quantité consacrés à la production vivrière .
imposé des taux de 10 % d’éthanol et de des importations européennes d’agro-
Tensions sur les marchés
5 % de biodiesel, à atteindre en 2015. La carburants provenant d’Afrique est dif-
stratégie nationale sud-africaine pré- ficile à estimer, concluant néanmoins L’objectif européen des 10 % de biocar-
que la tendance est à l’augmentation.
voit un taux de 4,5 % d’agrocarburants La Commission européenne comme la burants dans le total des carburants
pour 2013. La liste comprend l’Éthiopie, Banque mondiale pensent, elles aussi, utilisés par les secteur des transports à
l’horizon 2020 – comme le mandat améri-
dont la stratégie de développement des que l’UE devrait importer plus de la moi- cain de 36 milliards de gallons à l’horizon
biocarburants ambitionne d’utiliser à tié de ses besoins en agrocarburants au 2022 – provoquent une tension accrue
cet effet une superficie de 23,3 millions cours des prochaines années. sur les marchés, constate l’IFPRI dans
d’hectares. Au total, ce sont 30 pays du son index global de la fin 2011. Ils faci-
continent qui se sont engagés dans la Encouragements divers litent l’imprévisibilité des prix dans un
promotion de ces carburants. La Com- environnement où la production est sou-
munauté économique des États d’Afrique D’autres éléments de la politique euro- mise aux contraintes de temps, relatives
péenne concourent à encourager la pres-
de l’Ouest (Cedeao) n’est pas en reste : sion sur les terres africaines. À côté des à la durée de maturation des cultures,
elle a créé, en novembre 2009, un fonds subventions à ses propres producteurs mais aussi aux ressources limites en eau,
d’investissement dénommé African Bio- d’agrocarburants, l’UE encourage les im- en terres et en nutriments. La demande
en biocarburants est «  inextinguible  »,
fuel & Renewable Energy Company, afin portations dans les pays en développe-
de favoriser les projets dans le secteur. ment, notamment africains, grâce au ré- 2 : Ecofys, Agra CEAS, Chalmers University, IIASA et Winrock

32 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


Analyse

dit Olivier Schutter, alors que l’offre des


produits alimentaires est limitée. En
définitive, à moins que la technologie ne
fasse rapidement des progrès considé-
rables, une pression disproportionnée va
continuer à s’exercer sur la terre.

Cette réalité s’illustre au Mali. La Banque


mondiale, la Banque africaine de déve-
loppement (BAD) et les États membres
de l’UE y financent le projet sucrier de
Markala sur les périmètres de l’Office du
Niger, mené par une co-entreprise créée
par le groupe sud-africain Illovo et le
gouvernement malien, qui a l’ambition
de produire annuellement 190 000 tonnes
de sucre et 15 millions de litres d’éthanol.
Le problème c’est que selon une étude
d’impact et d’environnement, 155  000

© Demodix / Reporters.
personnes vont être touchées par le pro-
jet. Des compensations aux communau-
tés locales sont prévues, mais, à terme,
l’accès à l’alimentation de la plupart
d’entre eux est menacé. Leurs pâturages Lors d’une manifestation anti-agrocarburants en Angleterre.
vont être transformés en plantations de
canne à sucre. Et selon la Gesellschaft
für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) durabilité. Ruta Baltause, responsable Les ONG reprochent également à l’UE de
allemande, malheureusement, la popu- de la direction générale de l’Énergie à la justifier son inaction face aux abus, en
lation locale n’a pas eu l’occasion de Commission européenne le confirme en invoquant les règles de l’Organisation
participer au processus de décision. rappelant que la directive interdit toute mondiale du commerce, qui interdisent
conversion de terres à haute teneur de les restrictions aux échanges sur la base
carbone (forêts, tourbières, mangroves, de discriminations fondées sur l’origine
L’impact etc.) et à haute valeur en termes de et les techniques d’élaboration des pro-
biodiversité. Mais les ONG déplorent duits. Mais cet argument pose un pro-
des agrocarburants blème de cohérence avec l’article 208
en Afrique est difficile que ces critères ne concernent que les
aspects environnementaux des projets du Traité de Lisbonne de l’UE qui stipule
à évaluer. et ignorent leur impact social. Elles ac- que l’Union doit prendre en compte les
objectifs de développement dans toutes
cusent l’UE et ses États membres de vio- ses politiques, en tête desquels figure la
On rencontre aussi des situations de ce ler les droits de l’homme en n’ayant pas sécurité alimentaire. De façon générale,
genre en Tanzanie, où le gouvernement, mené d’études d’impact de leur politique estime de son côté, Olivier De Schutter,
pour attirer des investisseurs, a déclaré énergétique sur ces mêmes droits dans il faudrait assurer un meilleur suivi de
inoccupées des terres revendiquées par les pays en développement et en n’ayant l’impact de la directive sur l’énergie re-
plusieurs propriétaires locaux. Beaucoup pas suffisamment imposé de règles aux nouvelable.
d’accords sont conclus dans des pays où compagnies productrices d’agrocarbu-
la gestion des affaires publiques est faible rants en Afrique. «  Une opportunité s’offrira à la fin de
et où la valeur ajoutée dans les projets l’année de revoir ou de compléter les
d’agrocarburants est captée par des in- critères de la directive », explique Ruta
Face aux critiques, la Commission euro-
vestisseurs étrangers ou par les élites lo- Baltause. Une évaluation des modifi-
cales, comme au Sierra Leone, où la firme péenne se défend en disant que les pays cations indirectes de l’affectation des
helvétique Addax s’octroie généreusement où sont mis en œuvre des projets d’agro- sols entraînés par les projets d’agrocar-
97 % des bénéfices d’un projet de produc- carburants devraient eux-mêmes prendre burants est prévue au cours du premier
tion d’éthanol sur 10 000 hectares financéles dispositions légales pour éviter les semestre 2012, qui pourrait déboucher
par la Banque africaine de développement. abus en matière de répartition de la pro- sur des propositions en vue d’amender
priété foncière. Elle soutient également les directives sur l’énergie renouvelable
Réponse européenne qu’aucun lien direct n’existe entre sa po- et sur la qualité des carburants. Et avant
Les auteurs du rapport prennent note que litique énergétique et les dommages cau- le 1er janvier 2013, est attendu un rap-
la directive européenne sur les énergies sés par certains projets d’agrocarburants port de la Commission au Parlement et
renouvelables impose bien des critères de dans les pays en développement. au Conseil européens sur l’origine des

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 33


Analyse

il faut prendre en compte la corrélation Comparaisons abusives


Sénégal : entre ces mêmes prix et celui des den-
rées alimentaires dont ils ont entraîné la
L’impact dépend du modèle de pro-
duction. Pour Meghan Sapp, secrétaire
les déceptions hausse par le biais de l’augmentation du
coût du transport.
générale de Partners for Euro-African
Green Energy (Pangea), les mégaprojets
du jatropha ne sont pas forcément le modèle le plus
adéquat et sans doute, la transforma-
Les pays du Sud tion des déchets et résidus des industries
Les affaires ne vont pas bien pour
la plantation de 10 000 hectares de devraient prendre existantes (brasseries, usines à café,
jatropha de la firme italienne SBE, des dispositions légales. etc.) est moins controversée. Les projets
à Beude-Dieng, à 120 km au nord de de seconde génération comme les bio-
Dakar. Selon le Conseil national de carburants à base de cellulose (paille,
concertation et de coopération des La Canadian Food Grains Bank avance copeaux, etc.) ou de troisième généra-
ruraux (CNCR), les résultats sont très des conclusions nuancées. Elle prévoit tion (algues, enzymes) en sont encore à
en deçà des espérances et des pro- que dans les pays en développement où leurs débuts.
messes. Sur les quelque 60 hectares beaucoup de petits paysans sont des
seulement où le projet a pu se réali-
ser, la plante s’est développée mais
consommateurs nets de produits alimen- En attendant, Pangea considère abusive
les graines ne produisent pas l’huile taires, les revenus supplémentaires qu’ils la connexion qu’établissent d’autres ONG
nécessaire pour que l’investissement pourraient tirer de la vente de graines de entre accaparement de terres et biocar-
soit viable. Les paysans ont constaté jatropha ou de canne à sucre à des entre- burants. Selon Meghan Sapp, les bio-
que l’ombre des plants de jatropha prises productrices de biocarburant pour- carburants ne représenteraient qu’une
intercalés entre les rangées de plants raient, en fait, dans un premier temps les petite partie de l’intérêt croissant pour
d’arachides ou de millet, en pertur- rendre plus pauvres. Car cette hausse les acquisitions de terres dans les pays
bait le rendement, qui a chuté de ne pourra sans doute pas compenser la en développement. L’ascension des prix
320 kg/ha à 50 kg/ha chez un plan- hausse des prix alimentaires entraînée du pétrole et l’essor démographique
teur d’arachide et de 800 à 160 kg/ha
chez un autre. Un des problèmes est
par l’extension des projets d’agrocar- joueraient un rôle plus important dans
que le projet n’a pas pu se développer burants, s’ils empiètent sur les surfaces l’insécurité alimentaire. Et de rappeler
mais que la terre a été concédée pour autrefois consacrées aux produits agri- que les conclusions d’une étude de la
20 ans, alors que les villageois pen- coles3. Mais à long terme, un prix plus FAO publiée l’an dernier, selon lesquelles
saient que cette concession ne valait élevé des denrées vivrières, parce qu’il l’humanité gaspille chaque année le tiers
que pour cinq ans. rendrait l’activité plus rentable, pourrait de la nourriture qu’elle produit, sans le
transformer les petits paysans en produc- moindre rapport avec les biocarburants4.
teurs nets, à condition que les politiques
et les infrastructures nécessaires soient En définitive, la Canadian Food Grains
mises en place, qu’ils soient soutenues Bank estime qu’il faut s’opposer au dé-
par des organisations paysannes fortes veloppement des agrocarburants là où ils
carburants et les impacts de la politique tout en bénéficiant de services agrono- réduisent l’accès des gens à l’alimenta-
européenne, aussi bien à l’intérieur de miques et financiers. tion, en privant l’agriculture vivrière de
l’Union que dans les pays tiers. terres et d’eau, ou en poussant les prix
Certaines sociétés comme la compagnie alimentaires à la hausse. Mais il devrait
Conclusions nuancées britannique Sun Biofuels, qui développe au contraire être encouragé là où il peut
Au cours de ce processus de révision, le des projets de biodiesel à base d’huile améliorer les conditions de vie des plus
« réquisitoire » des ONG citées devrait de jatropha au Mozambique, octroient pauvres et quand il n’entraîne pas d’ef-
sans doute être pris en compte. Mais une portion des surfaces occupées aux fets négatifs sur l’environnement.
d’autres arguments seront vraisem- cultures vivrières, pour garantir la sé-
blablement examinés, d’autant que le curité alimentaire des ouvriers qu’ils
rapport lui-même concède que  nombre emploient et de leurs familles, explique
d’investissements dans filière des agro- son président Richard Morgan. Mali Bio-
carburants visent la satisfaction des be- carburant S.A. qui, avec le soutien de
soins de la production nationale des pays l’US AID, de KIA et du Fair Climate Fund
en développement et que « dans certains développe un projet d’usine d’une ca-
cas  », cela peut être fait de façon du- pacité annuelle de 9 millions de litres à
rable et sans accaparement de terre. Koulikoro, a associé au capital les orga-
nisations paysannes.
Donald Mitchell, agronome qui a travail-
lé 25 ans pour la Banque mondiale, fait 4 :Selon ce rapport effectué par le Swedish Institute for
remarquer que la production d’agrocar- Food and Biotechnology, la quantité de nourriture gaspillée
burants peut entraîner un effet positif en dans les pays riches équivaut à peu près à la quantité nette
3 :Canadian Food Grains Bank, « Can a hungry world afford produite dans toute l’Afrique subsaharienne (230 millions
limitant la hausse des prix du pétrole, car biofuels ? », octobre 2008 de tonnes).

34 défis sud n° 106- Bimestriel - avril, mai 2012


agir

Action urgente pour le Sahel


La menace d’une nouvelle crise alimen- déjà épuisé leurs réserves alimentaires, Mali qui a déjà provoqué le déplacement
taire pèse sur des millions de personnes tandis que d’autres en disposent en très de plus de 220 000 personnes. La situa-
dans la région du Sahel, en Afrique de faibles quantités. Une réponse urgente tion reste extrêmement instable suite
l’Ouest. Forts de leur expérience et des est donc nécessaire pour préserver la vie au coup d’Etat du 22 mars. Des évalua-
liens qu’ils ont pu tisser de longue date des populations touchées et sécuriser tions font état de besoins humanitaires
avec des partenaires de terrain, l’ONG leurs moyens de subsistance. urgents pour les personnes déplacées
Oxfam, le Réseau des organisations pay- alors que le mouvement des populations
sannes et de producteurs de l’Afrique Oxfam, le Roppa et le Réseau Bilital vers des zones déjà précaires aggrave
de l’Ouest (Roppa) et le Réseau Bilital Maroobé estiment que la mobilisation davantage la crise alimentaire.
Maroobé (qui regroupe des associations rapide de fonds par les bailleurs est en-
de pasteurs et d’éleveurs d’Afrique de courageante, même si la réponse globale Le conflit a également déjà fait grimper
l’Ouest) invitent les gouvernements de reste faible. Début avril 2012, les fonds les prix sur les marchés alimentaires ré-
la région, les institutions régionales, les mobilisés étaient loin d’être suffisants, gionaux, a provoqué un mouvement ma-
ONG et les agences des Nations Unies à un certain nombre de bailleurs n’ayant jeur de pasteurs dans les zones où l’eau
une action urgente. donné aucun appui financier à ce jour, et le fourrage sont déjà extrêmement
tandis que d’autres tardent à contribuer limités, et empêché les gens de migrer
Depuis l’apparition des premiers signes davantage pour honorer leur quote- pour chercher un emploi et des revenus
de sécheresse et de mauvaises récoltes part. En janvier 2012, les Nations unies pour soutenir leurs familles.
au Sahel fin 2011, les systèmes d’infor- estimaient que 724,5 millions de dollars Plus d’infos sur : www.oxfam.org/fr
mation et d’alerte ont clairement indiqué étaient nécessaires pour répondre aux
que de nombreuses communautés vulné- besoins immédiats. Cette estimation qui
rables de cette région seraient menacées risque d’être revue à la hausse à mesure
par une crise alimentaire en 2012. que les besoins seront réévalués dans les
prochaines semaines.
Cette crise est désormais une réalité.
Quinze millions de personnes en su- Oxfam, le ROPPA et le Réseau Bilital
bissent les effets directs dans sept pays Maroobé s’inquiètent également de
sahéliens. Certaines communautés ont l’aggravation du conflit dans le nord du

Des ateliers pour les leaders paysans congolais


cole, approuvée par le président congolais « Depuis trois ans nous avons investi dans
en décembre 2011. Il est en effet urgent et le rassemblement des leaders paysans
crucial pour les mouvements paysans de congolais. C’est la raison pour laquelle
pouvoir influencer la commission chargée ces ateliers constituent un moment char-
dans les prochains mois de la rédaction des nière », selon Lode Delbare, directeur gé-
Les ONG belges renforcent décrets d’application de la loi. néral de Trias, l’ONG belge qui coordonne
l’agriculture familiale en RDC Les ateliers aborderont également l’organisation des réunions.
En 2012 encore, sept congolais sur dix d’autres thèmes, tels que les infrastruc- Les ONG membres d’AgriCongo sont CDI
vivent exclusivement de l’agriculture fami- tures rurales, l’accès aux microcrédits et Bwamanda, Diobass, Oxfam Solidarité,
liale. Au cours des deux prochaines années, l’accaparement des terres. L’insécurité SOS Faim, Trias, Solidarité socialiste, Vre-
à l’initiative de l’Alliance AgriCongo, onze juridique au Congo favorise en effet ce deseilanden et WWF. L’organisation des
ONGs belges collaboreront dans cinq pro- phénomène et les agriculteurs familiaux ateliers est également soutenue par Vété-
vinces du Congo pour organiser, avec leurs se voient spoliés de leurs terres au béné- rinaires sans frontières, Louvain Coopéra-
partenaires locaux, 26 ateliers destinés aux fice de grands propriétaires ou de multi- tion et Caritas.
leaders d’organisations paysannes (OP). nationales de l’agrobusiness. Contacts :
Jean-Jacques Grodent, SOS Faim,
Le premier atelier a lieu du 8 au 10 mai dans Chaque atelier aboutira à la rédaction [email protected] (francophone)
la province occidentale du Bas-Congo. Il d’un plan de plaidoyer provincial, national Jan Aertsen, Vredeseilanden,
est consacré à la première loi-cadre agri- et international à mettre en œuvre. [email protected] (néerlandophone)

n° 106 - Bimestriel - avril, mai 2012 défis sud 35


Publications de SOS Faim
Les jalons de la mobilisation
À côté de Défis Sud, d’autres publications de SOS Faim répondent à la mission d’infor-
mation du public sur les réalités vécues par nos partenaires du Sud. Ces publications
sont les premiers jalons de la mobilisation.

septembre 2011 n° 26

Dynamiques paysannes
Dynamiques paysannes Une publication consacrée au développement des organisations paysannes, de l’agriculture et
Des plates-formes paysannes d’Afrique de l’Ouest et
des Organisations de solidarité internationale en Europe :
Ensemble pour influencer les politiques à l’Assemblée parlementaire
du monde rural. En raison de l’importance économique et sociale de l’agriculture dans les pays
paritaire UE-ACP

L’Assemblée parlementaire
UE-ACP
du Sud, SOS Faim a toujours privilégié le secteur agricole dans ses actions de soutien.
Un processus dynamique,
collectif et partagé … Derniers numéros parus :
Avec des résultats certains …

Mais des faiblesses


et des limites également
N°26 D es plates-formes paysannes d’Afrique de l’Ouest et des Organisations de
© M.Lefebvre-SOS Faim.

solidarité internationale en Europe : Ensemble pour influencer les poli-


L’effet ricochet du plaidoyer
à l’APP

La défense de l’agriculture familiale est au cœur des des débats de l’APP.

Au terme d’une campagne de sensibilisation de trois ans (2006-2008)


appelée « AlimenTerre », cofinancée par l’UE et coordonnée par le CFSI1,
s’est tissée une collaboration particulièrement étroite entre SOS Faim et
quatre plates-formes paysannes (PFP) ouest-africaines : La Confédé-
ration paysanne du Faso (CPF), la Coordination nationale des Organisa-
tiques à l’Assemblée parlementaire paritaire UE-ACP
tions paysannes du Mali (CNOP), la Plate-forme paysanne nationale du
Niger (PFPN), et le Conseil national de concertation et de coopération

N°25 L a FUCOPRI : une organisation paysanne nigérienne précurseur en matière


des ruraux (CNCR), au Sénégal. Reposant sur des séminaires, des visites
de terrain et un partage d’expérience entre Organisations de solidarité
internationale du Nord et représentants paysans du Sud, ainsi qu’avec
des organisations européennes agricoles, des positions et des proposi-
tions communes ont vu le jour pour défendre ensemble une agriculture

d’accès aux services bancaires


familiale, tant au Sud qu’au Nord.
1 : Comité Français pour la solidarité internationale

N°24 C omment les exploitations familiales peuvent-elles nourrir le Sénégal ?


SOS-11-DP-26-FR-2.indd 1 8/09/11 16:54

Zoom microfinance
Une newsletter consacrée à la présentation d’initiatives en matière de microfinance.
Depuis 15 ans, SOS Faim appuie des programmes de microfinance et souhaite partager ses
expériences.
Derniers numéros parus :

N°35 P our des taux d’intérêts justes et transparents en micro finance


N°34 L e système d’appui aux filières porteuses de l’organisation paysanne
camerounaise NOWEFOR

N°33 M
 ise en valeur d’une production paysanne : rôle d’Harbu Microfinance
dans la filière soja en région Oromo (éthiopie)

Dajaloo
n° 29 av r i l /m a i 2 0 12
Se rassembler pour faire changer les choses !
Le magazine qui donne cinq fois par an des idées pour agir au Nord et propose des
Rue aux Laines, 4
bimestriel -
ne paraît pas 1000 Bruxelles
en août et novembre n° d’agrément : P601176

articles abordables sur:

Les grandes questions du petit monde du développement.


p. 3 SOS Faim et les
coopératives, une
longue histoire...
Les prises de position et les projets de nos partenaires.
p. 4-5 Les coopératives,
des entreprises pour

Les actions de mobilisation de SOS Faim.


un monde meilleur ?
p. 6-7 Naranjillo,
une coopérative
péruvienne qui s’est
CO-OPÉRONS !
hissée au top
p. 8 Biolé : belge, bio

Les actes à poser pour faire changer les choses.


et équitable !
p. 9 L’envers du décor...
p. 10-11 Coopératives :
un avenir assuré ?

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