Jane Sloan Le Coloc - 2024 - 1001ebooks - Club
Jane Sloan Le Coloc - 2024 - 1001ebooks - Club
Jane Sloan Le Coloc - 2024 - 1001ebooks - Club
COLOC
JANE SLOAN
Eden
New romance
© EDEN 2024, une département de City Éditions
Photo de couverture : Shutterstock / Studio City
ISBN : 9782824639208
Code Hachette : 48 8456 6
Collection dirigée par Christian English et Frédéric Thibaud
Catalogues et manuscrits : city-editions.com
Conformément au Code de la Propriété Intellectuelle, il est interdit
de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage, et ce,
par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation préalable de l’éditeur.
Dépôt légal : Janvier 2024
Avertissement de contenu
Violences physique et verbale, abus d’alcool,
enlèvement.
Ce roman est une œuvre de fiction et peut contenir des scènes heurtant la
sensibilité de certains lecteurs.
1
Ruby
Ruby
Cela faisait trois bonnes heures que nous dansions frénétiquement. Avec
les cinq Cosmos que nous avions engloutis, la seule chose que nous
voulions faire était de danser.
— On va s’asseoir ? hurlai-je à l’attention de ma cousine.
— Quoi ?
— On va s’asseoir ?
— Bonne idée, articula-t-elle avant de me prendre la main et de me diriger
vers le bar.
Alors que je regardais les personnes danser, j’eus un flash, comme si
j’avais oublié une chose vitale. Je fouillai alors dans ma pochette et trouvai
tout sauf une chose essentielle.
— Merde, mes clés !
Ma cousine me regarda et, espérant un quelconque réconfort de sa part, je
fus rapidement déçue en la voyant éclater de rire.
— Je sens qu’il y en a une qui va dormir dehors aujourd’hui.
Je réfléchissais alors à un moyen d’entrer dans ma chambre, mais n’ayant
ni le numéro de Ralph ni celui de Nathan, je ne pouvais contacter aucun des
deux pour m’ouvrir. J’étais définitivement maudite.
— Bah, écoute, je pense que je suis prête à dormir devant la porte jusqu’à
ce que l’autre se réveille.
— Tu peux venir dormir chez moi sinon, me proposa-t-elle.
— C’est gentil, mais je ne pense pas avoir la foi de faire le retour demain
matin.
— Je comprends.
— J’essayerai de toquer et puis avec un peu de chance, il est sorti donc il
arrivera peut-être après moi.
— Tu veux rentrer maintenant alors ?
— Ah non ! Comment pourrais-je rentrer alors que la soirée ne fait que
débuter ?
On s’installa à une table et on parla de tout et n’importe quoi. Alors que
j’éclatais de rire à l’une de ses blagues, un homme d’une trentaine d’années
s’assit à côté de moi. Je soupirai et lui fis clairement comprendre qu’il
n’était pas le bienvenu.
— Oh, ça va poupée, on peut s’amuser, non ?
— Très clairement pas, donc partez, fis-je poliment.
— Dégage, sale porc, hurla cependant ma cousine.
Et alors que j’espérais que l’inconnu ne l’ait pas entendue pas avec le
bruit de la musique, son expression faciale montra le contraire. Il se leva.
— Tu viens de dire quoi, là ?
— On se calme.
Je me levai à mon tour afin de me mettre devant ma cousine.
— Elle m’a insulté de sale porc là, ma beauté, donc non, elle ne va pas
partir sans un mauvais souvenir.
— Alors, pour information, mis-je les choses au clair, cette fille est ma
cousine, donc tu ne vas rien lui faire.
— Tu te crois à la hauteur, ma jolie ?
— Il va être servi celui-ci, entendis-je ma cousine dire derrière moi.
Alors qu’il allait tout simplement me bousculer, je lui donnai un coup de
pied dans le tibia. Il hurla de douleur. Il est vrai que se prendre des
chaussures pointues dans le tibia ne devait pas être une partie de plaisir.
— Tu veux que je continue ou tu as compris ?
Il s’en alla sans me répondre, tout en boitant.
— Ça va ? me demanda ma cousine.
— Oh oui, t’inquiète, je vais plus que bien. On va danser ?
— Bien évidemment, voyons !
Au bout de quelques heures, nous décidâmes de nous arrêter pour la
soirée. J’attendais qu’elle entre dans son Uber pour ensuite commander le
mien. Mes oreilles étaient complètement bouchées à cause de la musique
dans la boîte de nuit. De ce fait, je ne comprenais aucune des conversations
qui avaient lieu autour de moi alors que tout le monde attendait son Uber ou
un taxi. Une fois dans le véhicule, je vérifiai l’heure et vis qu’il était déjà
5 h 30 du matin. Quelle soirée cela avait été ! En marchant vers mon
bâtiment, j’espérais que quelqu’un allait me laisser y entrer. Avec chance,
un groupe de jeunes y pénétrait en même temps, me laissant passer dans
l’immeuble. Cependant, arrivée devant ma chambre, dont le couloir était
presque plongé dans le noir, je n’eus pas la même chance et n’essayai même
pas d’ouvrir la porte, me doutant bien qu’il l’avait fermée à clé. Je m’assis
donc contre cette dernière, la tête entre les mains. Après avoir soupiré
bruyamment, je m’allongeai devant, usant de ma pochette comme oreiller et
me forçai à rester éveillée jusqu’à ce que Ralph m’ouvre. Un groupe de
jeunes passa devant moi. Une fille s’arrêta à mon niveau, s’agenouilla près
de moi et se présenta.
— Salut, moi c’est Charlotte. Tu vas bien ?
— Oui, oui. J’ai seulement oublié mes clés à l’intérieur et mon colocataire
doit probablement dormir.
— Oh mince. Tu veux venir dormir dans ma chambre ? Je sais qu’on ne se
connaît pas, mais c’est seulement que j’aurai du mal à dormir en me disant
que j’ai laissé une fille passer la nuit dans le couloir.
— Tu es vraiment adorable pour le coup, mais non merci. Je suis sûre
qu’il ne va pas tarder à se réveiller donc ne t’inquiète pas, mais c’est très
gentil de ta part en tout cas.
— Très bien, mais au cas où tu changerais d’avis, je suis dans la
chambre 25.
— Merci Charlotte.
Elle me fit un dernier sourire avant de se relever et de suivre ses amis.
Quelques secondes plus tard, à ma plus grosse peur et ma plus grande joie,
la porte de ma chambre s’ouvrit. Ralph se tenait debout, vêtu de ce qui
semblait être un bas de pyjama. Étant dans le noir, je ne pus admirer ses
tatouages. Sans poser de questions, je me levai, pris ma pochette et entrai
dans la chambre. Je la verrouillai derrière moi et me retournai pour le
remercier, mais il s’était déjà réinstallé dans son lit, dos à moi. Je ramassai
alors mon pyjama et, trop fatiguée pour aller jusqu’à la salle de bain,
l’enfilai en m’assurant que Ralph ne se retournait pas. Passant un rapide
coup de démaquillant afin d’enlever mon eye-liner et mon mascara, je mis
mon téléphone à charger, et vérifiai qu’Ema était bien rentrée chez elle. Je
finis par me faire assommer d’un violent coup de fatigue.
8
Ruby
Dès que le directeur de la licence dont je n’avais pas retenu le nom finit sa
présentation, tout le monde se leva aussi vite que possible et se précipita
vers la sortie. D’habitude, j’aurais fait comme eux, mais étant bien trop
fatiguée, je décidai de me lever lentement, tout comme Charlotte, et nous
quittâmes la salle après avoir laissé la meute passer devant.
— Ça te dit de déjeuner dans une petite brasserie au coin de la rue ? me
proposa-t-elle.
— Bien sûr, tu connais bien les alentours ?
— Non, j’ai seulement vu l’endroit hier lorsque je marchais avec des
amis, donc j’ai prévu d’aller y manger ce midi.
— Toute seule ?
— Oui, la solitude ne me dérange pas. Au contraire, j’aime bien passer du
temps toute seule aussi, ça me permet de respirer et de me retrouver, me dit-
elle en m’ouvrant la porte d’entrée.
— Oui, je comprends.
Sur ce, alors que le soleil tapait dans les rues, nous allâmes à la brasserie
en question.
Ce fut épuisée que je rentrai dans ma chambre aux alentours de 21 heures.
Malgré le fait que Ralph était là, je m’effondrai sur mon lit telle une masse
géante.
— Longue journée ? me demanda-t-il.
— Trop longue avec beaucoup trop de marche.
Après avoir passé le peu de temps que j’avais pour moi à réfléchir sur les
échanges que j’avais eus avec Ralph, j’avais fini par me dire que je pouvais
faire une croix sur sa remarque. Il m’avait peut-être traitée de meuf à deux
balles, mais sachant qu’il avait pu faire en sorte que Pierre arrête de me
toucher en retirant la main de ce dernier, je décidai de lui pardonner. Et
puis, ce n’était pas comme si nous allions devenir amis ou autre, nous
devions seulement à peu près bien nous entendre pour cohabiter
correctement pendant quelques mois, donc autant rendre ces mois
agréables.
— Tu t’es promenée en ville ? continua-t-il étonnamment en posant son
téléphone.
Par respect, je me retournai sur le dos afin d’avoir un minimum de contact
visuel avec mon colocataire.
— Oui, initialement, je devais seulement accompagner une amie à une
boutique près du Champ-de-Mars, mais on a fini par s’y asseoir et discuter,
puis on s’est promenées pendant des heures. Je ne pense pas avoir autant
marché de ma vie. Mais enfin, as-tu des plans pour ce soir ?
— Non.
— D’ailleurs, je m’excuse d’avoir été froide hier.
Il me regarda brièvement comme s’il fut surpris par mes propos, mais
tourna rapidement la tête comme si de rien n’était et reprit son activité sur
son portable. J’allais lui faire remarquer que ne pas répondre sur des choses
comme celles-ci allait compliquer la tâche entre nous lorsque je reçus un
message de ma cousine.
Je voulais t’appeler, mais j’ai été hyper occupée et là je suis
crevée ! Tu m’en veux si on s’appelle un autre jour ???? :(
Oh, mais non, ne t’inquiète pas du tout !
Appelle-moi dès que tu peux !
Ne sachant trop quoi faire, je me douchai et m’installai confortablement
dans mon lit avec mon ordinateur sur les genoux. Je sursautai en entendant
mon téléphone sonner et me dis qu’après tout, peut-être qu’Ema avait pu se
libérer pour m’appeler. En regardant l’écran, je me rendis compte que
c’était Charlotte.
— Je te manque déjà ?
— Oui, rit-elle, donc je voulais te proposer de venir à une soirée.
— Quand ça ?
— Dans trois mois, plaisanta-t-elle. Bah maintenant, voyons.
— Ah non, mais je suis installée dans mon lit tout douillet, je sors pas.
— Allez ! Sinon je viens te chercher moi-même.
— Tu peux toujours essayer, dis-je pour rire.
Je l’entendis respirer au combiné pendant quelques secondes et
m’attendais à ce qu’elle me redemande de la rejoindre quand je me rendis
compte qu’elle venait de raccrocher. Je repris mon activité sur mon
ordinateur tout en secouant la tête lorsque je fus interrompue quelques
minutes plus tard par des tocs à la porte. Pensant que c’était Nathan qui
voulait voir Ralph, je restai assise, le laissant se lever.
— T’es qui ? l’entendis-je dire.
En me retournant par curiosité, je m’aperçus que c’était Charlotte. Elle
était vêtue d’une robe noire avec des escarpins à talons noirs et était
légèrement maquillée. A priori, elle était prête à sortir.
— Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
Je me relevai brusquement sans manquer de faire glisser mon ordinateur.
Elle sourit légèrement à Ralph en entrant dans la chambre.
— Eh bien, tu m’as dit que je pouvais venir te chercher, donc me voilà !
— Mais je plaisantais !
— Pas moi, alors tu te changes et tu viens.
— Mais je suis morte là.
— Absolument pas, dit-elle en ouvrant mon armoire.
Elle en sortit un haut à manches longues en dentelle, un bandeau et un
pantalon en cuir.
— Va te changer, cette tenue sera parfaite !
— Bon, d’accord. Mais c’est où la soirée ?
— Chez Tim, un gars de troisième année qui a un énorme appartement pas
très loin et chez qui y a quasiment toutes les grosses soirées.
— Bon, bah, je reviens.
Je pris le tout ainsi que ma trousse de maquillage avant de me diriger vers
la salle de bain.
J’avais acheté ces vêtements à part et n’avais jamais pensé à les mettre
ensemble, par peur que cela donne quelque chose de trop osé, mais
finalement cela rendait plutôt bien. En rentrant dans la chambre, je vis que
les deux levaient leur tête de leur écran.
— T’es canon, putain ! s’écria Charlotte. Pourquoi est-ce que tu as caché
ce corps de rêve dans une veste ample aujourd’hui ?
J’enfilai alors rapidement une veste de costume noire cintrée, consciente
que Ralph me fixait.
— Et ce trait d’eye-liner, siffla-t-elle. Bon, je t’attends devant.
Je ne comprenais pas vraiment pourquoi elle avait décidé de sortir, mais
peut-être se sentait-elle trop oppressée dans une chambre de cette taille à
trois dedans. J’enfilai rapidement mes Converse, pris un sac en bandoulière
noir, le remplis des choses dont j’aurais besoin pour la soirée avant de sortir,
sans jeter un seul regard à Ralph, et cette fois-ci en prenant soin d’emporter
mes clés.
La fête battait son plein lorsque nous arrivâmes sur place une vingtaine de
minutes plus tard. Il fallait avouer que Charlotte ne mentait pas en disant
que l’appartement était immense.
— Un verre ? nous proposa un garçon alors que l’on venait à peine
d’entrer.
— Ça ira, merci, dis-je tout en détaillant les personnes présentes dans
l’immense salon.
Il y avait environ une cinquante de personnes qui discutaient, buvaient et
fumaient. Sans parler des couples qui ne pouvaient a priori pas se trouver
une chambre pour faire leurs trucs.
— Ça va ? hurla mon amie au-dessus de la musique.
— Oui, oui, on va se servir à boire ? Je voulais pas accepter le verre d’un
inconnu.
— Suis-moi.
Nous arrivâmes alors à un comptoir où étaient posées toutes sortes de
boissons.
— Bonne dose de vodka à ce que je vois, rit-elle.
— Tu en veux aussi ?
— J’en veux bien, mais un peu moins que toi, s’il te plaît.
Une fois nos boissons diluées, Charlotte me suivit alors que je me frayais
un passage parmi la foule. Nous étions installées sur un canapé lorsque des
amis à Charlotte nous rejoignirent.
— Ravie de vous rencontrer, leur dis-je alors que chacun me donnait son
prénom tout en m’embrassant.
Ses amis me racontaient des histoires drôles sur Charlotte alors que cette
dernière tentait désespérément de les empêcher d’en dire plus. À ce que
j’entendais, quelques-uns étaient des amis de longue date. Au bout d’une
bonne heure, je décidai d’aller chercher un verre d’eau. Le nombre d’invités
avait doublé sans même que je m’en aperçoive. Je me mis à la recherche de
la cuisine quand je croisai le garçon de la bibliothèque. Il venait de traverser
un couloir pour venir dans le salon lorsqu’il s’arrêta après m’avoir vue.
— Je vois que tu as fait des efforts vestimentaires ce soir.
— Je te demande pardon ?
— Bah, ton haut transparent révèle quand même une bonne partie de ton
corps et puis ce bas serré, j’aimerais bien que tu enlèves cette veste et que je
me retrouve derrière toi.
— Je te jure que si tu oses redire une chose pareille, tu te retrouveras avec
mon poing à la figure.
Il allait rétorquer lorsqu’un garçon cria derrière lui.
— La coloc !
Nathan s’approcha pour me faire la bise.
Je fus instantanément soulagée de savoir qu’il était là. Je ne lui faisais
peut-être pas entièrement confiance, mais il était beaucoup plus gentil, poli
et respectueux que celui que j’avais en face de moi.
Il posa son bras autour de mes épaules de façon protectrice.
— Tout va bien ? Il te cherche des problèmes ?
Le garçon en face de nous était sur le point de rétorquer lorsqu’il fut
perturbé à la vue de quelqu’un derrière moi.
— Non, non, tout roule, dit-il en s’éloignant rapidement.
Surprise, je me retournai pour comprendre et ne vis personne sauf Ralph
qui s’éloignait de nous.
— Ralph ? criai-je.
Il se retourna doucement au bout de quelques secondes. Je pus admirer
son magnifique visage sur lequel reflétait la lumière bleuâtre installée pour
instaurer un mood de soirée.
— Que fais-tu ici ? Je pensais que tu n’avais rien de prévu pour ce soir.
— J’ai décidé de venir à la dernière minute.
Je hochai la tête afin de faire comprendre que je l’avais entendu avant de
me retourner vers Nathan pour papoter. Ralph s’éloigna de nous dès que je
m’adressai à son ami. Au bout d’une trentaine de minutes à papoter avec
Nathan qui me parla surtout de ses études et de son enfance, j’en demandai
plus quant à Ralph.
— Il étudie le droit, comme toi.
— Oh, je sais à qui voler des notes de première année si besoin alors.
— Il n’est pas très prise de notes en général.
— Il apprend comment, alors ?
— Hum… Il est assez spécial, il a une mémoire très avancée qui fait qu’il
retient beaucoup de choses très facilement et très rapidement, donc ses
notes ne sont pas très fournies.
— Mais il révise comment, dans ce cas-là ?
— Il se souvient de ses cours pendant des mois, donc il réussit très bien
sans réviser. Il est assez intéressé par quelques matières spécifiques pour
lesquelles il fera des recherches un peu plus poussées, mais sinon c’est tout.
Fascinant. Nous continuâmes un peu la conversation lorsque je me rendis
compte que je devais rejoindre Charlotte.
— T’inquiète, j’ai été ravi d’apprendre à te connaître un peu plus en tout
cas.
Je lui souris, et sur le point de me retourner, il me retint par le poignet.
— Tu t’appelles comment, au fait ?
— Ah, ris-je. Je m’appelle Ruby.
— Joli ! Eh bien, à la prochaine. Et si ce con retente quoi que ce soit,
appelle-moi. Il est connu pour faire des choses bizarres.
— Vraiment ? Eh bien, merci, je te le dirai.
Il me demanda alors mon portable pour enregistrer son numéro.
— Merci beaucoup, dis-je en appelant le numéro pour vérifier que c’était
bien le sien.
Je raccrochai après la sonnerie, mais son portable sonna de nouveau.
— Euh… ce n’est pas moi, précisai-je alors que je le vis froncer des
sourcils.
Il répondit au téléphone et je pus entendre une voix paniquée hurler au-
dessus d’une musique similaire à la nôtre. En observant la réaction de
Nathan, je compris que c’était mauvais à la seconde où il expira longuement
et s’éloigna rapidement. Par pur réflexe, je le suivis en lui demandant ce
qu’il se passait.
— C’est Ralph, il est en train de se battre.
10
Ruby
Ralph
Ruby
J’errai dans les couloirs pendant une dizaine de minutes. J’étais entrée
dans la chambre et quand je l’avais vu avec une autre, j’avais ressenti un
pincement au cœur pour je ne savais quelle raison. Cela n’était pas supposé
m’affecter, mais mon cœur ne sembla pas être du même avis. Cependant,
j’étais douée pour ce qui était de cacher mes sentiments, donc je restai
impassible. Malgré la douleur ressentie, je ne pouvais pas nier que mon
regard s’était attardé sur son corps svelte avant de fermer la porte. Ses
tatouages étaient à tomber par terre. Je n’avais pas eu le temps de les
détailler, mais j’avais aperçu le contour fin d’un serpent partant de son cou à
son épaule droite ainsi que le contour un peu plus épais d’une rose qui
semblait fanée le long de son biceps gauche. Avant de fermer la porte,
j’aperçus aussi brièvement un as de pique fin et décoré sur ses côtes
gauches.
Alors que je marchais, j’arrivai devant la porte de la chambre de Nathan.
Quelques secondes après avoir toqué, je m’étais dit que je n’aurais pas dû le
réveiller parce qu’il devait probablement dormir à cette heure-ci, crevé par
sa semaine de cours, mais alors que je m’apprêtais à partir, quelqu’un
m’ouvrit la porte : Nicolas, son colocataire.
— Ruby, c’est ça ?
— Oui, Nathan est là ?
— Oui, tu peux entrer.
J’obéis et vis Nathan dormir. Quand j’ai demandé si Nathan était là,
c’était Nathan réveillé, non pas endormi.
— Euh, je pense que je vais y aller, étant donné qu’il dort.
Je me retournai pour repartir quand je sentis une main me frôler la cuisse.
— Merde, Nathan, désolée, je ne voulais pas te réveiller, dis-je en le
distinguant tentant d’ouvrir ses paupières.
— Non non, Ruby, dit-il d’une voix endormie, qu’est-ce qu’il y a ?
— Oh rien, je cherche un endroit où dormir, mais je pense que je vais
sortir finalement.
— Pourquoi est-ce que tu ne dors pas dans ta chambre ?
— Ralph est avec une fille dans la chambre.
— Ah, viens par là alors, me dit-il en soulevant la couverture et en se
décalant dans son lit.
Même si j’étais anxieuse à l’idée d’entrer dans le lit d’un garçon, je me dis
que c’était probablement l’endroit le plus sûr où je pouvais être à cette
heure-là, si ce n’était dans ma chambre. En repensant à la semaine passée
avec Nathan, je me dis que ce n’était pas le genre de personne à profiter
d’une situation.
— Je n’ai pas de pyjama et je n’arriverai pas à dormir en jean, lui dis-je,
gênée par le fait que je le dérangeais.
— Nico, tu peux sortir deux minutes s’il te plaît, demanda Nathan à son
colocataire en se levant.
Il prit alors un t-shirt et un short de son armoire et me les tendit. Je me
retournai après m’être assurée qu’il ne regardait pas pour me changer.
— Je peux me retourner ?
— Oui, c’est bon, souris-je en posant mes habits sur sa chaise avant de
m’installer dans son lit.
— Ah bah, je vois que ça fait comme chez soi, dit-il en souriant.
— Eh bien, écoute. Si tu veux, je peux te faire une petite place dans le lit
pour que tu puisses fermer les yeux sur un matelas et non sur le parquet, lui
proposai-je en levant la couette pour qu’il puisse se mettre dessous.
— Voilà une lady digne du nom, rit-il alors que je lui donnai une légère
tape sur l’épaule.
Il me regarda, faussement choqué.
— Tu n’as pas osé faire ça quand même ! Attention, dit-il en s’approchant
pour me chatouiller.
Je hurlai de ne pas le faire, craignant extrêmement des guilis. Cependant,
il prit sa vengeance et les chatouilles durèrent plus de quinze secondes.
Nous finîmes par nous regarder dans les yeux et alors que je comptais
détourner mon regard, Nathan sembla entièrement plongé dans le mien. Je
n’avais jamais eu d’idées vis-à-vis de Nathan, il avait toujours été qu’un
ami sans plus. Cependant, il semblerait que la fatigue ait pris le dessus. Je
voulais détourner la tête, mais en le voyant s’approcher, je n’eus pas la
force de faire quoi que ce soit.
13
Ruby
T’es prête ?
J’arrive dans deux minutes.
Je reposai mon téléphone sur le lit et enfilai rapidement mes chaussures,
étant donné que Charlotte m’attendait à l’entrée de la résidence. Je
m’inspectai rapidement dans le miroir avant de partir ; maquillée, un haut
noir légèrement transparent, un pantalon en cuir et mes Converse, il fallait
dire que j’étais drôlement à l’aise dans une tenue pareille. J’enfilai mon
manteau et attrapai mon sac avant de sortir précipitamment de la chambre,
sans oublier de la verrouiller derrière moi.
— Cha ! m’écriai-je en la voyant pianoter sur son téléphone près de
l’entrée.
Elle avait un style d’enfer : robe noire assez décontractée avec des
bottines.
— Ah, t’es là ! s’exclama-t-elle en se dirigeant vers moi. Ouah, j’adore
ton outfit. On y va ?
— Oui et j’adore ta tenue aussi, trop chou la combinaison robe-bottines !
Au bout d’une vingtaine de minutes en transport, nous arrivâmes dans une
maison remplie d’étudiants. Même si l’appartement où la soirée avait eu
lieu deux semaines auparavant était plutôt sympa et spacieux, c’était bien
mieux et plus grand ici. Cependant, il y avait plus de personnes présentes
que la dernière fois, donc la maison était pleine à craquer.
— On va se servir à boire avant de se poser quelque part ? me demanda-t-
elle en entrant au sein de la demeure.
— Je te suis comme d’hab.
Nous nous servîmes alors deux verres ainsi que de la nourriture. Il y avait
des parts de pizza qui semblaient si bonnes. J’avais manqué de déjeuner à
cause de deux cours qui avaient eu lieu pendant ma pause déjeuner donc je
n’hésitai pas à me goinfrer.
— D’ailleurs, la bande est ici aussi, mais je me suis dit qu’on pouvait
passer un peu de temps ensemble avant de les rejoindre.
Elle était si gentille d’avoir passé des semaines à m’inviter partout que
j’avais fini par me sentir faire partie intégrante du groupe d’amis.
— Parfait, franchement tout me va, ris-je.
La musique battante, nous dansâmes et rîmes tout le long de l’heure qui
suivit. Nous avions une telle complicité que dès que nous étions ensemble,
ne nous savions pas nous arrêter. Après tout, nous avions le même sens
d’humour. Alors que je m’apprêtais de nouveau à rire à une de ses blagues,
mon regard entra en contact avec celui de Ralph, auquel je répondis par un
figement physique. Pour tout dire, je ne m’attendais pas à le voir. Mais
comment se faisait-il qu’il allait aux mêmes soirées que moi ?
— C’est la soirée de qui au juste ?
— Un gars en troisième année il me semble, pourquoi ?
— Je me demandais quel genre de soirées c’était pour que Ralph et ses
amis viennent aussi.
— Ils étaient déjà là quand on est arrivés. Tu ne les avais pas vus ?
Pourtant, il t’observait beaucoup, je pensais que tu le regardais aussi.
— Quoi ? Ah, mais pas du tout, je n’en avais aucune idée !
Elle me sourit en réponse tandis que j’essayais de ne plus croiser les yeux
de mon coloc.
Je me levai subitement après avoir fini mon deuxième verre.
— On va rejoindre les autres ?
— Oui !
Charlotte termina le sien et me suivit. Nous les trouvâmes au bout d’une
vingtaine de minutes. Ils étaient tout près de Ralph. J’avais fait en sorte que
nous évitions cette zone jusqu’à ce que nous nous rendions compte qu’ils
étaient juste derrière lui. J’allais chercher un troisième verre lorsque l’un
d’eux, Matthieu, m’invita à m’asseoir à côté de lui sur le canapé. Il faisait
partie des amis de Charlotte avec qui je m’entendais le mieux.
— Alors, comment s’est passée ta semaine ? C’est dommage qu’on n’ait
pas trop eu l’occasion de se voir.
— Oui, j’ai été assez occupée cette semaine, désolée ! Mais ne t’inquiète
pas, je n’ai pas oublié le café qu’on doit prendre ensemble. Un jour dans la
semaine à venir, ça te va ?
— C’est parfait, me sourit-il.
— D’ailleurs, alors, t’en es où avec Chloé ? lui demandai-je en me
penchant vers lui.
Je lui avais murmuré la question à l’oreille malgré le bruit, étant donné
que l’objet de notre discussion se situait à seulement quelques mètres de
nous.
— Je sais pas trop, on s’est parlé hier vis-à-vis de… disait-il lorsque mon
cerveau se brancha sur une autre fréquence.
La conversation dans laquelle était impliqué le groupe de Ralph.
— Ralph, prends trois shots ou déshabille-toi, lui dit une fille qui le collait
de très près.
Au vu des shots qu’il engloutissait, celui-ci refusa la deuxième option.
J’allais me reconcentrer dans ce que me racontait Matthieu lorsque mon
sang se glaça à l’entente du commentaire de Pierre.
— Tu bois autant pour pouvoir ensuite utiliser l’excuse de l’alcool pour
toucher ta coloc même si elle veut pas ? rit-il.
Je fus stupéfaite et, en observant la réaction de Ralph, je vis qu’elle fut la
même que la mienne. Il allait répliquer, mais Nathan le devança. Il se leva
de sa chaise.
— Tu viens de dire quoi là ?
— Bah, c’est vrai non ? Sa coloc est bonne, mais elle lui résiste donc il
peut la toucher et utiliser le prétexte de l’alcool pour se justifier auprès
d’elle si elle l’accuse de l’agresser sexuellement. J’ai déjà fait ça avec des
filles et ça passe tranquille.
Je ressentis comme un coup de poignard à l’entente de ces horreurs.
— Répète un peu pour voir, dit Nathan qui commençait à s’énerver.
Mes oreilles commencèrent à bourdonner alors que ma tête tournait
légèrement. Ses propos sur l’agression me laissèrent complètement bouche
bée. Les yeux écarquillés, j’essayais de traiter ces informations. J’étais sur
le point de me lever pour le confronter quand la vue de Ralph me cloua sur
place. Il avait viré au rouge et ses phalanges ne pouvaient être plus
blanches. Je comptais sur Nathan pour le calmer, mais ce dernier était trop
préoccupé à demander des comptes à Pierre. J’attendais alors que les autres
retiennent Ralph, mais ils semblèrent vraiment tous si choqués par ce que
Pierre venait de dire qu’aucun ne réagissait à la colère de Ralph. Dès que je
vis mon coloc se lever, je me précipitai vers lui pour l’arrêter. Une fois
arrivée devant lui, il me regarda froidement.
— Ruby, dégage.
— Hors de question. Ce qu’il a dit me vise moi, donc je vais lui parler et
je vais régler ça, je ne veux pas que tu t’en mêles.
— Je ne sais pas si tu as entendu, mais en plus du fait qu’il me pense
capable de t’agresser, il l’a déjà fait à des filles, et ça me met hors de moi.
— Tout comme moi Ralph, c’est dégueulasse, mais tu dois te calmer. Ça
peut dégénérer à tout moment, il ne semble pas avoir de limites.
— Ça tombe bien parce que moi non plus. Maintenant, laisse-moi faire.
— Oh, comme c’est mignon, la coloc vient d’arriver, entendis-je Pierre
derrière moi. Tu nous montres un peu tes nichons, que tout le monde en
profite.
J’écarquillai les yeux face à ses propos. Comme Ralph, je commençai à
bouillir. Alors que j’allais me retourner vers Pierre, je sentis une main se
poser sur ma fesse droite. Sachant d’avance que c’était lui, je l’agrippai de
toutes mes forces et enfonçai mes ongles dans sa chair avant de me
retourner pour lui faire face.
— Oh putain, lâche-moi, fit-il avec une grimace.
— T’as vraiment osé agresser des filles et utiliser le prétexte de l’alcool
pour que « ça passe » ou j’ai rêvé ?
— Lâche-moi putain, je vais saigner à cause de toi ! hurla-t-il en fixant
son poignet qui virait au bleu.
Me rendant compte de l’ampleur de sa stupidité, je lui donnai un coup
dans les bijoux à l’aide de mon genou. Ayant mis toute mon énergie dessus,
il se pencha excessivement tout en hurlant de douleur. Son hurlement
dépassant l’intensité du brouhaha ambiant, tout le monde s’arrêta et se mit à
nous observer dans un silence total, seulement rompu par la musique. Sans
réfléchir deux fois à mes actions, alors que sa tête était baissée au niveau de
mon coude, j’en profitai pour lui asséner un coup de poing au visage qui
nous arracha à tous les deux un cri de douleur, même si sa douleur devait
être beaucoup plus importante que la mienne. Il tomba alors et se tint le nez
qui se mit à saigner au bout de quelques secondes.
— Ose t’approcher une nouvelle fois de moi et je te jure que je te fais ta
fête, sale merde.
Sur ce, je m’enfuis aussi vite que je pus en direction de la salle de bain
que j’avais trouvée un peu plus tôt dans la soirée. Heureusement pour moi,
elle était vide ; j’y entrai et verrouillai immédiatement la porte derrière moi
avant de me laisser glisser le long de cette dernière, la respiration saccadée.
17
Ruby
Ruby
Après être restée bloquée pendant une minute sur le visage de Ralph, je
me ruai vers ce dernier. Il venait de recevoir un gros coup de poing lorsque
j’allai passer entre les cordes. Cependant, un garçon immense du staff
m’attrapa comme si je ne pesais pas plus de quelques kilogrammes et me
retint d’une facilité déconcertante pendant que j’essayais de me libérer de sa
prise.
— Mais lâche-moi ! hurlai-je de toutes mes forces en regardant Ralph se
battre.
Ce dernier, par miracle, entendit ma voix et se tourna vers moi. Il fronça
les sourcils et sa bouche s’entrouvrit par surprise.
— Tu n’as pas le droit de passer et tu vas te faire mal ! me répondit le
colosse.
— Je connais celui qui se bat, laisse-moi passer, le suppliai-je en le
regardant dans les yeux.
— Je suis désolé, mais pour la sécurité de tout le monde tu ne peux pas,
me dit-il en m’éloignant du ring.
Je tournai alors la tête vers Ralph et le vis se faire frapper alors qu’il me
regardait partir, ne comprenant pas la situation. Je voulais lui dire d’arrêter,
mais qui étais-je pour lui demander cela ? Je lui criai alors une seule chose
avant qu’il ne puisse plus m’entendre.
— Défends-toi !
Le garçon continua de m’éloigner de la foule et je me laissai faire. Au
bout de cinq minutes à essayer de le convaincre de me lâcher alors qu’il
m’avait ramenée à un coin de la pièce, je le vis regarder derrière moi.
— Tu peux la lâcher maintenant, dit une voix que je reconnus
instantanément.
Le géant me lâcha alors et finit par s’en aller après vérification auprès de
Ralph. Mon regard se dirigea ensuite vers ce dernier qui avait du sang séché
sur les arcades sourcilières et qui ne tenait pas très droit ; il avait le dos
légèrement courbé.
— Non, mais qu’est-ce que t’es venue foutre ici ? me demanda-t-il en
colère alors que je me massais les poignets et le bras droit. Il t’a fait mal ?
— Quoi ? Non, non, c’est seulement moi qui me débattais, donc je me
suis fait mal toute seule.
— Mais pourquoi est-ce que tu as des bleus pareils, alors ?
Il les toucha sur mes poignets.
Je fus assez déconcertée par son action et vis que lui aussi, lorsqu’il retira
brusquement sa main en fronçant des sourcils.
— Parce que je marque assez facilement. Mais donc, tu oses me demander
ce que je fais ici ? C’est plutôt à toi que je pose la question.
— Je fais ce que je veux, aux dernières nouvelles.
— Et moi donc.
— Tu m’as suivi, Ruby ! cria-t-il, attirant l’attention de certaines
personnes.
— Pourquoi est-ce que tu es si énervé, pour commencer ? Tu devrais pas
être épuisé après ce combat ?
— Je le suis, mais bon, j’ai été assez dérangé par ton apparition
inattendue. En plus, ça m’a coûté quelques bleus.
— Désolée, déclarai-je en baissant les yeux.
Je n’étais pas de nature à m’excuser rapidement, mais il était vrai qu’il
s’était pris plusieurs coups sans pouvoir se défendre à cause de ma venue.
— T’as mal ? me demanda-t-il en me voyant encore me masser les
poignets.
— Non, non, ça va, lui dis-je en arrêtant. Et toi ?
— Ça va, faut juste que je m’allonge. On rentre ?
— T’as fini ?
— Il me reste deux combats, mais vu que tu es là, je compte pas rester.
— Mais ce n’est pas déclarer forfait ?
— Si.
— Bah, fais-les alors, je vais juste rentrer.
— Non.
— Comment ça « non » ?
— J’ai pas envie que tu rentres toute seule, surtout que ce quartier craint
énormément. Je vais juste rentrer avec toi.
— Mais non, Ralph, si tu as des combats à faire, je n’ai pas envie que tu
déclares forfait à cause de moi.
— T’aimes bien le fait que je fasse des combats de boxe illégaux ?
— Absolument pas, mais qui suis-je pour t’en empêcher ?
— J’ai pas envie de rester dans tous les cas, on y va.
Je n’allais pas plus le contredire et décidai donc de le suivre vers la sortie.
Alors que nous allions l’atteindre, une forme humaine vint s’interposer sur
notre chemin.
— Alors, beau gosse, on me présente pas sa copine ?
Je reconnus la carrure imposante de l’adversaire de Ralph. En jetant un
coup d’œil vers mon colocataire, je vis son corps tout entier se crisper.
— C’est pas ma copine, mais t’en approche pas.
— Tu m’étonneras toujours. Je pensais que c’était une autre de tes putes,
mais tu t’en foutais quand je me les faisais aussi.
— Ouais, bah t’as pas intérêt à poser tes mains sur elle, c’est… une amie.
Je ressentis une pincette au cœur à l’entente du mot « amie », mais après
tout, c’était mieux qu’il l’interdise de me toucher qu’autre chose. Le garçon
me jeta un regard malsain que Ralph interrompit rapidement.
— On va partir, annonça-t-il brusquement avant de me garder près de lui
alors que nous passions devant l’individu.
Une fois dehors, Ralph accéléra ses pas en sombrant dans ses pensées.
— Wouhou, l’interpellai-je. Tu pourrais marcher moins vite, s’il te plaît ?
Il ne répondit rien, mais s’ajusta à ma vitesse.
— Pourquoi est-ce que tu fais ces combats au juste ?
— Un moyen de me défouler.
J’expirai alors fortement et trop fatiguée pour discuter, je me demandai
seulement quel était son bagage émotionnel pour vouloir se défouler avec
des combats de boxe illégaux.
Une fois rentrés, je pris une bonne douche, mis de la pommade sur les
bleus qui s’étaient formés et m’allongeai sur le lit, épuisée. Ralph entra dans
la chambre, vêtu seulement d’un jogging gris, ce qui me laissa admirer ses
beaux tatouages. Il enfila ensuite un t-shirt gris en guise de pyjama et s’assit
sur son lit, un bouquin en main. Je me sentais trop exposée avec mon short
court, allongée comme je l’étais au-dessus de ma couette pour supporter le
chaud. Je m’apprêtais donc à couvrir mes jambes à l’aide de la couette
lorsque j’entendis une inspiration brusque de la part de Ralph. Je regardai
en sa direction et le vis fixer le haut de ma cuisse, plus particulièrement mes
cicatrices.
— C’est quoi, cette putain de merde ?
— Pardon ?
— Tu m’as entendu, c’est quoi cette merde, Ruby ?
Il se leva du lit. Je recouvris alors immédiatement cette partie-là de la
couette et l’interrompis dans son élan vers moi.
— Ne t’avance plus Ralph, lui dis-je froidement.
Il s’arrêta immédiatement, probablement apercevant ma détresse. Je
ressentais une multitude d’émotions, dont de la colère envers moi-même
pour avoir été si négligente dans un moment de fatigue. J’aurais dû
anticiper la visibilité de mes cicatrices.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Rien.
— Ne me mens pas, putain, tu t’es fait ça toute seule ?
Il semblait en colère.
— Tu crois vraiment que je voudrais m’infliger des putains de cicatrices
qui ne vont jamais s’en aller ? lui demandai-je d’un niveau sonore plus
important que je ne le pensais.
— Quelqu’un t’a fait ça ? s’exclama-t-il.
— Ralph, arrête.
— Qui a osé te faire ça, Ruby ?
Je le regardai droit dans les yeux.
— Écoute, Ralph. Je n’ai pas dit que c’était le cas. Je veux seulement que
tu me foutes la paix. Je suis épuisée, il est tard, je n’ai qu’une envie :
dormir. Donc si tu veux bien me laisser tranquille, bonne nuit.
Je me glissai alors entièrement sous la couette et lui tournai le dos. Ma
respiration rapide et irrégulière trahissait ma panique et ma douleur. Je ne
voulais absolument pas rouvrir ces plaies, et encore moins auprès de Ralph.
21
Ralph
Je ne voulais pas que cette soirée finisse comme ça. Pas après tout ce qu’il
s’était passé. Je n’étais pas sûr qu’elle était en train de dormir, alors je
décidai de parler à voix basse, une dizaine de minutes plus tard.
— Ça va mieux tes poignets ?
Son léger mouvement de la tête m’indiqua qu’elle m’avait entendu.
— Oui, répondit-elle doucement.
— Ça t’a vraiment pas plu que je participe à ces combats ?
— Bien sûr que non, Ralph, je pensais qu’on avait passé un bon moment à
parler.
— Ça n’enlève pas ce moment-là, tu sais, me surpris-je à la rassurer.
— Eh bien, quelque part si, vu que tu t’es emballé lorsqu’on a abordé
notre relation, me dit-elle en se retournant vers moi.
Ses yeux rougis et à peine ouverts me hurlaient de la laisser dormir, mais
c’était plus fort que moi. Il fallait que je comprenne.
— Oui, mais ça ne veut pas dire que je regrette quoi que ce soit.
— C’est l’impression que j’ai eue, Ralph, me dit-elle avec une note de
tristesse. Si tu ne veux plus que l’on ait de contact à part le strict minimum,
tu n’as qu’à me le dire et ça sera exécuté parce qu’à présent, j’en ai
vraiment marre de tous ces jeux.
— C’est pas ça, Ruby !
Elle se redressa.
— Alors, qu’est-ce que c’est ?
Assise en tailleur, elle attendait que je réponde à sa question, tout en
agitant son genou droit, signe d’angoisse.
— Je sais pas ce qui se passe, d’accord ? C’est pour ça que je suis allé me
battre.
— Parce que tu étais confus ?
J’hésitai à lui dire la vérité, que c’était parce que j’avais pris peur, et puis
celui qui cache ses sentiments a rapidement pris le dessus.
— Non, parce que j’ai pas l’habitude, finis-je par lui dire.
— De ?
— Que je ne sache pas où caser quelqu’un, avouai-je.
— Comment ça ?
Putain, Ruby…
Je décidai quand même d’être honnête sur ce fait-là.
— Eh bien, que tu sois ni une amie ni une inconnue. Je ne te considère pas
seulement comme ma coloc, mais tu n’es pas comme une amie, donc c’est
bizarre, c’est différent, je n’ai pas l’habitude, d’accord ? dis-je d’un ton un
peu trop agressif.
— Et tu penses que te réfugier dans des activités sombres t’aide ?
— Ça me permet d’oublier temporairement, donc oui.
Elle me regarda, assez perdue. Elle parut réfléchir à quoi répondre, mais
ne sembla rien trouver. Je décidai de la laisser tranquille sur cela et éteignis
la lumière avant de m’installer dans le lit. Après avoir longuement réfléchi,
je conclus de reprendre ma vie d’avant, sans attaches, en espérant éloigner
Ruby. Je ne pouvais pas m’ouvrir de cette façon-là à une fille, c’était juste
impossible. Je ne pouvais pas lui tendre les cartes pour qu’elle puisse me
blesser. Le baiser était beaucoup trop étrange, il était… agréable. Il m’avait
donné envie de la prendre dans mes bras, de lui faire un long câlin et c’était
quelque chose que je n’avais jamais considéré. Depuis quand pensais-je à
autre chose que coucher avec une fille ? Il fallait que j’arrête.
Cependant, pour une raison inconnue, je ne pouvais pas le faire de moi-
même, il fallait que je cause des événements qui allaient la mener à me
repousser, c’était plus fort que moi. Je ne pouvais tout simplement pas
l’affronter directement sur ce sujet-là.
22
Ruby
Les mains sur les hanches, je fixais les habits que j’avais dans le placard
depuis plus d’une trentaine de minutes. La soirée dont Ralph m’avait
informée allait commencer d’ici une heure et je ne savais toujours pas quoi
porter. Il s’avérait qu’elle s’était transformée en une soirée costume et robe.
J’allais en essayer une lorsque mon portable sonna. C’était Charlotte. Je
l’avais invitée à venir avec moi.
— Ma belle ?
— Oui ?
— Tu peux m’ouvrir s’il te plaît, je suis devant ta chambre.
En m’exécutant, je lui demandai pourquoi elle n’avait pas tout simplement
toqué.
— Histoire d’être polie, enfin un minimum, rit-elle.
Sa logique irrationnelle ne cessait de me surprendre.
— T’es magnifique, la robe te va à ravir ! dis-je à la vue de sa robe
blanche moulante à manches courtes lui arrivant à mi-cuisses.
— Merci ! Et toi t’es… naturelle en pyjama, s’esclaffat-t-elle en
m’examinant.
— Je ne sais pas quoi me mettre.
Je sortis les deux robes entre lesquelles j’hésitais le plus : l’une était noire,
me faisait un décolleté plongeant et m’arrivait aux genoux ; tandis que
l’autre était bleu navy et en satin, de fines bretelles se croisaient dans le dos
ouvert. J’hésitais à porter cette dernière, car elle était un peu moulante et je
n’étais habituée qu’à porter des vêtements beaucoup plus larges. En la
voyant, Charlotte s’exclama :
— Oh, mon Dieu, ce bleu t’irait à ravir, enfile-la !
Elle se tourna dos à moi pour que je puisse me changer. Cependant, ayant
gardé mon soutien-gorge, je trouvai que cela faisait extrêmement
disgracieux dans le dos.
— Tu penses que ça ne serait pas choquant si je ne mettais pas de soutien-
gorge ?
Sans qu’elle se retourne, je la vis lever la tête pour réfléchir.
— Mais non !
— Voilà, dis-je après l’avoir enlevé.
— Ouah ! Putain, t’es canon, Ruby ! Ralph va tomber raide dingue de toi.
Quoi ?
— Ralph ?
— Dans les couloirs, tout le monde parle du fameux Ralph qui serait
obnubilé par toi.
— C’est n’importe quoi, il m’ignore à nouveau, esquivai-je rapidement
avant de changer de sujet. Bon, on passe au maquillage ?
J’essayais de ne pas penser à ce qu’elle avait dit, même si cela tournait en
boucle dans ma tête.
— Voilà ! s’écria-t-elle au bout d’une vingtaine de minutes à faire mon
maquillage.
En ouvrant les yeux, je vis qu’elle m’avait appliqué quelques produits sur
le teint, les yeux et les lèvres. Je n’étais pas habituée à m’appliquer du fond
de teint, mais le résultat était à couper le souffle. Je scrutais le miroir en me
demandant comment elle avait fait pour embellir ma peau comme ça.
— Tu sais que je t’aime, toi ? lui dis-je.
Je lui fis son maquillage à mon tour et nous quittâmes ma chambre une
heure plus tard. En arrivant à la fête déjà bondée d’étudiants sur leur trente-
et-un, nous nous dirigeâmes immédiatement vers les boissons et prîmes
deux shots de téquila chacune pour commencer. Il fallait dire que j’étais
plutôt surprise que les jeunes aient respecté la tenue exigée. Je cherchai
rapidement Ralph du regard afin de pouvoir l’éviter, mais ne le trouvai nulle
part.
Ce fut avec une bière en main que nous commençâmes à danser, parmi la
foule qui hurlait les paroles de la chanson que je ne connaissais guère. À un
moment, je sentis une main sur mon épaule. En me retournant, je vis que ce
n’était que Nathan. Je me mis à danser avec ce dernier, en riant, sur le
rythme de la musique, qui ne faisait que s’accélérer. Je vis Charlotte danser
avec un garçon qu’elle semblait connaître. Au bout de deux bonnes heures,
je me sentis soudainement très faible, probablement dû au manque de
nourriture ingérée durant la journée.
— Il faut que je m’arrête, sinon mes jambes vont flancher, dis-je à
l’attention de Nathan.
— Quoi ? cria ce dernier.
— Il faut que... commençai-je à dire quand mes jambes vacillèrent et que
je commençai à basculer en arrière.
J’allais tomber par terre lorsque Nathan me rattrapa. J’essayai de tenir
debout sur mes jambes, en vain. Il me porta, mettant un bras sous mes
épaules et l’autre sous mes genoux et me tint fort contre son torse. En
voyant son regard affolé, je compris qu’il était inquiet.
Il me déposa sur un des canapés qu’il y avait dans le salon et s’assit près
de moi.
— Ça va, Ruby ?
— Oui, désolée, j’ai eu subitement une sensation de malaise.
— Non, t’excuse pas, je vois ça, et puis ça arrive, mais t’aurais pas dû
autant danser alors.
— Je ne sais pas, j’avais la tête ailleurs et je gigotais.
— Mais ça va aller ?
— Bien sûr ! Va t’amuser, Nathan !
— Tu es sûre que ça ne te dérange pas si je te laisse quelque temps ici ?
— Mais non ! Va t’éclater ! Ne t’inquiète pas pour moi, criai-je par-dessus
la musique.
— Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit.
— Bien sûr, lui dis-je avant de le voir se mélanger à la foule.
Je me levai une dizaine de minutes plus tard pour aller aux toilettes. Je
passai aussi par la salle de bain afin de me recoiffer et de nettoyer le
mascara qui avait coulé. La porte s’ouvrit à la volée et alors que je
m’attendais à voir un couple se trompant de pièce, je me retournai et
aperçus la personne que je m’attendais le moins à voir.
Pierre.
24
Ralph
Je me fis réveiller par une petite main qui me secouait. C’était très
relaxant, comme un petit massage à l’épaule. Puis la secousse fut de plus en
plus violente et je sortis brusquement de mon sommeil. Je vis Ruby, tout
sourire, penchée au-dessus de moi. Voyant qu’elle était en pleine forme et
qu’elle n’avait pas l’air de se soucier de ce qu’il s’était passé avec Pierre, je
ne pus m’empêcher de sourire. Me rendant compte qu’elle semblait
déconcertée par ma mine joyeuse, j’y mis fin.
— Allez, réveille-toi Ralph, il est déjà midi.
— Et ?
Elle regarda immédiatement ailleurs, tout en commençant à jouer avec son
chouchou. Je compris rapidement qu’elle allait me dire quelque chose
d’important pour elle. Allait-elle faire une réflexion sur ce qu’il s’était passé
la veille ? Mais en aucun cas cela n’avait un rapport à l’heure…
— Tu veux venir déjeuner avec moi ? me prit-elle d’assaut.
Hein ?
— Qu’on aille déjeuner… ensemble ? demandai-je clarification.
— Oui, confirma-t-elle avant de froncer les sourcils. Je me suis dit qu’on
pourrait faire un truc à deux autre que se voir dans cette chambre ou en
soirée.
Cela ne pouvait pas me faire de mal de manger un repas avec elle. À vrai
dire, je constatais qu’une chaleur apaisante prenait possession de mon
corps, comme si cette idée me plaisait légèrement trop.
— D’accord, allons déjeuner alors.
Je vis qu’elle était habillée d’un débardeur bleu en satin et d’une longue
jupe blanche avec des Converse bleues.
— Mais t’es déjà prête ?
— Oui, enfin je suis déjà sortie faire quelques courses pour la chambre
après m’être réveillée de bonne heure pour bosser un peu, me dit-elle en me
pointant du doigt un sac IKEA et un Carrefour.
Je me levai, m’avançai vers les sacs, y jetai un coup d’œil et vis des
paquets de chips, des biscuits et des boissons tandis que dans l’autre, il y
avait des coussins, un miroir décoré, de nouveaux draps, des cadres photo
ainsi qu’une guirlande de petites lampes.
— Tu comptes redécorer ton espace de la chambre ?
— Oui, je vais commencer maintenant puis finir en rentrant, et tu ferais
mieux de filer te préparer, on descend dans une trentaine de minutes.
Je m’arrêtai en arquant un sourcil.
— Depuis quand est-ce que tu me donnes des ordres ?
Elle, qui s’était penchée vers les sacs, se retourna vers moi, tout en
souriant. Secouant la tête, elle haussa simplement les épaules. Cela me
faisait plaisir de la voir reposée et souriante et d’être en bons termes avec
elle, contrairement au reste de la semaine où nous avions été assez tendus et
nous n’étions pas adressé la parole.
— T’y habitue pas trop, souris-je à mon tour en prenant mes affaires avant
d’aller me doucher.
Ruby
La brise fraîche vint caresser mon visage alors que nous nous tenions
devant le restaurant. Je voyais Anna trembler légèrement à côté de moi et
Ralph qui la fixait, désemparé. Il avait l’air trop perturbé et en colère pour
la consoler avec douceur. J’enroulai alors mon bras autour d’elle et lui
caressai le dos. Ses tremblements cessèrent et elle enfouit sa tête dans mon
épaule.
— Ça va Anna ? demanda Ralph, inquiet.
Elle hocha la tête en guise de réponse.
— Qui étaient ces garçons ? interrogeai-je à mon tour.
Elle leva la tête et planta son regard dans le mien ; elle n’était plus l’Anna
souriante, mais une jeune Anna effrayée.
— Des garçons de mon lycée, en terminale.
— Comment est-ce qu’ils te connaissent ?
— Tu sais, je t’ai dit que je sors avec un garçon en terminale ? Et bah, en
gros il traînait avec ces trois mecs avant qu’on se rencontre et puis quand on
a commencé à se parler, il a arrêté de les fréquenter parce que ce ne sont pas
des gens clean, on va dire. Et donc depuis, ces trois gars, surtout celui qui
me collait, viennent me voir ou me suivent quand je sors des cours.
Mais non… Je regardai alors Ralph qui ferma les yeux tout en crispant sa
mâchoire ; il était donc au courant.
— Et ils t’ont déjà fait du mal ?
— Non, enfin presque, mais non, Charlie est arrivé et a frappé le mec qui
me collait.
— Donc, ton copain est au courant de tout ça ?
Elle hocha la tête.
— Et ils persistent quand même à te pourrir la vie, ces mecs ?
— Oui, dit-elle d’une voix minuscule.
— Je te jure que s’ils continuent, ils le regretteront, commençai-je à
m’énerver en secouant mes mains pour me calmer.
— Non Ruby, tu ne vas pas te mêler de ça, me dit Ralph.
— Écoute mon frère et reste en dehors de tout ça. Ce sont des fumiers ces
gens-là, surtout lui, le soutint Anna.
— Et alors ? Ils doivent se calmer, ils n’ont pas à suivre une jeune fille
quand ça les enchante. Qui sait ce qu’il pourrait t’arriver ? Qui sait jusqu’où
ils pourraient aller ? Ça te bouffe le crâne toute la vie après, lui expliquai-je.
J’avais parlé plus fort que je l’avais voulu.
Alors que je fixais le sol, mes propos me firent repenser à mes années
passées. Ces semaines, mois, années, à y penser et à faire des cauchemars.
— Viens par ici, toi, entendis-je sa voix me dire.
J’enfonçai ma tête dans mes bras et restai au fond de la petite pièce. Il me
tira brusquement le bras et me traîna jusqu’au centre. En prenant le courage
de lever les yeux, je vis qu’il tenait une ceinture à la main. Je ressentais
tellement de peur constamment que j’en étais devenue immunisée.
— T’as pas mangé ! me gronda-t-il.
Alors que je me mis à l’observer, je ne pus m’empêcher de me dire que je
l’aurais trouvé beau dans d’autres circonstances. Il avait un joli visage, mais
des yeux si sombres que c’était le reflet de l’obscurité. Il me regardait ; il
avait l’air fâché.
Il allait me frapper. J’allais encore avoir mal. Ma peau me brûlait. Cela
faisait déjà une semaine que j’étais enfermée ici. J’avais des cicatrices et
des bleus de partout. Je priais pour que mes parents me retrouvent.
— Arrête ton cirque immédiatement, petite peste, dit-il en me jetant un
regard mauvais. Cesse de trembler. Lève la tête.
L’instant où je relevai les yeux, je sentis sa ceinture s’abattre violemment
sur mon épaule droite et tombai en arrière tout en hurlant de douleur. Il
continua de me frapper alors que j’étais allongée sur le dos, hurlant de
douleur. La lanière de cuir s’abattait partout, sur mon torse, mes cuisses,
mon ventre. J’étouffai mon cri en mordant ma main, qui commença à
saigner. Je sentis les picotements s’intensifier et c’est là que je m’évanouis,
encore.
— Ruby ?
Je clignai des yeux, revenant à la réalité, et vis Ralph et Anna me regarder
étrangement. Sentant une larme perler le long de ma joue, je l’essuyai
rapidement.
— Anna, il faut que tu rentres, dit Ralph en rompant le silence.
— Mais je veux passer plus de temps avec Ruby ! répliqua-t-elle.
Je voulais lui répondre, mais j’étais encore secouée par ce souvenir.
— Un autre jour Anna, Ruby doit être fatiguée, elle ne va pas partir, mais
juste rentrer dans sa chambre, répliqua son frère.
Je fis alors un effort pour Anna.
— Je te dépose chez toi et je te promets qu’on restera en contact, lui dis-je
à petite voix. Et puis, tu habites pas loin.
Alors que je m’arrêtai au niveau de ma voiture, Ralph fronça des sourcils.
— C’est la voiture de qui ?
— La mienne, pourquoi ?
— Mais tu me l’as jamais dit et je ne t’ai jamais vue avec une voiture. Tu
n’es pas venue en transport le jour de ton arrivée, non ?
— Ah si, mais mes parents me l’ont envoyée en train jusqu’ici cette
semaine.
— Tu ne me l’avais pas dit.
— Tu ne me l’avais jamais demandé, lui souris-je.
C’était la deuxième fois dans la soirée que nous avions cet échange. Au
bout de quelques minutes, je montai dans ma voiture avec Anna, tandis que
Ralph repartait vers le campus.
— Alors ? Avec mon frère ?
— Eh bien ?
— Tu l’aimes ?
— Aimer est un bien grand mot.
— T’as des sentiments dans ce cas-là ?
Je décidai d’arrêter de me voiler la face.
— Je pense, peut-être, mais je suis pas sûre.
— Il le sait ?
— Je ne le lui ai jamais concrètement dit, mais il doit bien le savoir.
— Il ne le sait pas, Ruby.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Mon frère se considère comme un connard égocentrique et arrogant, ce
qu’il est avec d’autres personnes pour ne pas les laisser entrer dans sa vie,
mais pas avec toi. Et il est persuadé que personne ne l’aime et que personne
ne peut aimer quelqu’un comme lui. Pourtant, t’éprouves bien des
sentiments à son égard ?
— Oui.
— T’attends quoi pour le lui dire ?
— Je sais pas du tout, constatai-je.
Nous arrivâmes chez elle et elle sortit de la voiture en me lançant un
dernier regard.
— J’ai été ravie de passer l’après-midi et la soirée avec toi, j’espère qu’on
se revoit bientôt. Merci de m’avoir aidée avec les gars au restaurant. Et
n’attends pas trop d’ailleurs.
— Euh, pour quoi ?
— Pour le lui dire, à mon frère.
Sur ce, elle referma la porte et entra dans son immeuble. En lançant un
regard pensif dans le rétroviseur gauche, je repris la route. Je regagnai le
campus au bout de quelques minutes.
29
Ruby
Ralph lisait sur son lit lorsque j’entrai dans notre chambre.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda Ralph.
— Quand ? lui demandai-je en posant mon sac sur mon lit.
— T’es fatiguée ?
Il avait changé de sujet.
— Non, pourquoi ?
Je le vis me fixer.
— On doit parler, me dit-il.
Les battements de mon cœur s’accélérèrent instantanément. Le ton qu’il
avait pris me fit frissonner.
— C’est quoi les cicatrices que tu as aux cuisses ? Elles viennent d’où ?
Pourquoi tu fais sans cesse des cauchemars ? La dernière fois, tu as changé
de sujet, maintenant je veux savoir ce qu’il s’est passé, me dit-il sans ciller.
Sous le déluge de ses questions, je fus prise d’un léger tournis. Et puis, je
n’étais absolument pas prête à en parler.
— Je ne peux pas, dis-je, la gorge serrée.
C’était toujours la même chose, à chaque fois que j’y pensais, j’avais mal.
— J’essaye juste de comprendre, Ruby.
— Et moi, j’essaye juste d’enterrer cette histoire ! Et puis, je ne te fais
pas assez confiance pour pouvoir t’en parler, je ne l’ai encore dit à
personne, enfin… directement. Seuls mes parents savent et c’est la police
qui le leur a dit, je n’ai jamais exprimé un seul mot sur ce qu’il s’est passé,
ni à eux, ni même à la psy que je voyais.
— Je rêve ou tu viens de me sortir que tu n’as soi-disant pas assez
confiance en moi ?
Ébahie face à son reproche, je sentis des larmes me picoter les yeux.
— Mais merde, c’est quoi ton problème ? murmurai-je.
Je lui avais simplement dit que je ne lui faisais pas assez confiance, tout
naturellement à la vue de notre relation, et il osait me le reprocher. Il y avait
d’autres choses dans mes propos qui étaient plus importantes que ça.
— Ruby, je t’ai vue chialer dans la rue tout à l’heure, tu prétends que tout
va bien, alors que tout va mal et après tu me demandes quel est mon
problème ?
— Quand est-ce que j’ai pleuré dans la rue ?
— T’es restée pensive quand on est sortis du resto et puis t’as pleuré, me
dit-il d’un air plutôt déplaisant.
Je repensai à cet instant et me rendis compte qu’il faisait allusion à la
larme que j’avais versée dans le flot de mes souvenirs.
— Une larme, ouah, c’est vrai que j’ai extrêmement chialé hein, haussai-
je d’un ton. C’est quoi ton problème, Ralph ? J’ai assez de soucis comme ça
pour que tu me reproches de ne pas te faire assez confiance ? Tu changes
constamment de comportement avec moi, un moment t’es tout gentil et puis
après tu me la fais à l’envers. Comment veux-tu que je fasse confiance à
une personne aussi instable que toi, surtout sur des aspects de mon passé sur
lesquels je ne me suis jamais ouverte à quiconque ?
Il inspira bruyamment avant de prendre sa veste et sortir de la chambre.
Décidée à le suivre encore une fois, je pris les clés ainsi que mon sac et
sortis derrière lui. Je refermai rapidement la porte de la chambre et marchai
vite pour le rattraper alors qu’il se dirigeait vers la sortie du campus et
continua à marcher dans les rues de Paris. J’étais surprise de voir qu’il ne
s’était pas retourné une seule fois pour vérifier que je ne le suivais pas,
comme la dernière fois. Au bout de quelques minutes, je le vis dépasser une
file de personnes, pour entrer dans ce qui me semblait être une discothèque.
Pour que je puisse entrer aussi rapidement, il fallait que j’en montre
beaucoup. Je déboutonnai donc mon chemisier jusqu’en bas de mon
soutien-gorge pour dévoiler ma nouvelle dentelle. Je m’avançai alors
jusqu’aux deux hommes qui se tenaient à l’entrée, ne pensant pas pouvoir
entrer. Ils me regardèrent de haut en bas et me laissèrent étonnamment
passer. Je pénétrai lentement dans un couloir assez sombre. La musique
était tellement forte que les murs tremblaient. Je rejoignis rapidement la
foule qui dansait les bras levés et cherchai Ralph dans chaque recoin de la
salle. Après une bonne dizaine de minutes, j’abandonnai l’affaire en
m’installant au bar. Je commandai ensuite deux shots de vodka et les
descendis en deux gorgées.
— Allez-y mollo demoiselle, me dit le barman, accompagné d’un clin
d’œil.
— Vous inquiétez pas pour moi, répondis-je à son regard sympathique.
— Au contraire, c’est aux jeunes filles comme vous que s’attaquent les
pervers, me dit-il sans l’once d’une plaisanterie dans le regard.
Je le regardai en haussant un sourcil et lui souris tout en le détaillant. Il
devait être dans la cinquantaine, avec la minuscule apparition de cheveux
gris. Je l’observai une quinzaine de minutes avant de me mettre à bavarder
avec ce dernier.
— Ça fait longtemps que vous êtes dans le métier, hein ? demandai-je.
— Observatrice à ce que je vois, me sourit-il. Mais oui, c’est la vingt-
huitième année que je suis barman, et toi ? Étudiante ?
— Exact.
— Et pourquoi cette soudaine envie de boire, si je peux me permettre de
demander ?
— Oh, rien en particulier, je cherche un ami depuis tout à l’heure et je suis
fatiguée de ne pas le trouver.
Il fit une grimace avant de me répondre :
— Ça va être difficile de le trouver dans cette foule, vous vous êtes
disputés ?
— Oui, en quelque sorte.
— Ce n’est qu’un ami ? me demanda-t-il en souriant.
— Non, enfin je ne sais pas trop ce qu’on est.
— Tu devrais clarifier ça. Les jeunes, vous avez tendance à négliger
l’importance de la communication et l’importance d’être sur la même
longueur d’onde.
— Oui, c’est vrai, dis-je pensive.
— Je reviens, me dit-il avant de se diriger vers des personnes qui
demandaient à être servies.
J’avais ressenti une montée d’adrénaline due à l’alcool ingéré quand je
sentis quelqu’un s’asseoir à côté de moi.
— Salut beauté, dit un garçon dont la voix était complètement éraillée.
— Oh putain, j’ai absolument pas la tête à ça, donc s’il te plaît, pars.
— Tout doux ma belle, tu sais pas à qui tu t’adresses, mais ne t’inquiète
pas, j’aime les sauvages.
Je ricanai et tournai ma tête en sa direction afin de voir son visage. Ce
n’était qu’un garçon qui avait probablement la vingtaine.
— Désolée pour toi, mais je préfère mourir que coucher avec un pervers
dans ton genre.
Je vis immédiatement dans son regard que ça ne lui avait pas plu.
— Redis un truc comme ça et je te frappe, salope, articula-t-il en posant sa
main sur ma cuisse. Joli soutien-gorge que tu as là d’ailleurs.
Il remonta sa main le long de ma cuisse.
Avec l’angoisse de retrouver Ralph, j’avais complètement oublié de
reboutonner mon chemisier une fois entrée. Cependant, je ne tolérai pas
qu’il me touche.
— C’en est de trop, lui dis-je en lui balançant mon poing à la figure.
Je faillis tomber avec la force que j’avais mise, mais je me rattrapai au
dernier moment au bar. Il fallait dire que je n’avais jamais été aussi violente
que ces dernières semaines, mais tout le monde testait mes limites. Quant au
garçon, il tomba à la renverse tout en se tenant le nez. En se relevant, il me
lança un regard noir, mais il fallait dire qu’ainsi il ressemblait à un enfant
qui piquait une crise de colère.
— Dégage, petit merdeux, lui cria le barman.
Ce dernier fit le tour du bar et tira le garçon par l’épaule. Il l’éloigna,
sûrement en direction de la sortie. Je cherchai alors Ralph et ne le trouvant
pas, j’eus une idée, peut-être complètement folle, mais efficace. En à peine
quelques secondes, je fus rapidement debout sur une des tables à danser au
rythme de Pray for me de G-Eazy. J’entendis plusieurs personnes chahuter
en ma direction. Quelques secondes plus tard, je sentis quelqu’un m’attraper
les pieds. Ralph me hurlait de descendre. Mon plan avait bien fonctionné. Je
descendis et il m’entraîna dans un coin plus calme. Il semblait extrêmement
énervé.
— Pourquoi tu m’as suivi et pourquoi est-ce que tu t’es déhanchée devant
tous ces chiens ? Et reboutonne ton chemisier, bordel.
Je baissai le regard et vis en effet que toute ma poitrine recouverte du tissu
en dentelle était apparente.
— Je voulais voir où tu allais, lui répondis-je honnêtement en
reboutonnant mon haut. Et comme je ne te retrouvais pas, eh bien je me suis
dit que tu pourrais me voir facilement. Tu n’as pas à t’enfuir comme ça dès
que nous avons une conversation d’adulte.
— Tu voulais voir où j’allais parce que tu ne me fais pas confiance, c’est
ça ? cria-t-il. Ah bah oui, Madame ne me fait pas confiance, hein ? Normal,
j’suis qu’un connard égocentrique qui se tape des meufs que pour satisfaire
ses propres envies et n’en a rien à foutre s’il les blesse. C’est vrai que j’suis
qu’un salaud à…
— Répète ça encore une fois et je te jure que… lui coupai-je la parole, les
larmes aux yeux face à sa description de lui-même. Comment peux-tu
penser ça de toi-même ? Pourquoi est-ce que tu crois que je me donne
autant de mal à te suivre, te chercher et à m’inquiéter pour toi, merde ?
Il se rapprocha alors de moi et après nous être regardés pendant plusieurs
secondes, maintenant apaisé, il posa sa main sur ma joue et son front contre
le mien. Je pouvais entendre sa respiration qui était aussi saccadée que la
mienne. Cette proximité, même si déconcertante, me sembla une des choses
les plus naturelles au monde, à ma plus grande surprise. Depuis mon
enlèvement, je fuyais le contact physique, mais avec Ralph, à ce moment-là,
j’avais l’impression que nous avions été proches toute notre vie.
— Putain, mais qu’est-ce que j’ai fait de bien dans ma vie pour avoir la
chance de connaître une personne aussi gentille et attentionnée ?
— À toi de me le dire, lui répondis-je. Tu veux pas qu’on rentre pour
qu’on soit un peu plus tranquilles ?
Je lui lançai un regard pour qu’il comprenne à quoi je pensais. Il me rendit
un grand sourire avant de me prendre la main pour que nous sortions de la
boîte.
30
Ruby
J’enlevai mes chaussures à l’entrée et sautai sur mon lit. J’avais fermé les
yeux et commençai à me relaxer sérieusement quand je sentis une tape sur
le dos. Je me retournai et vis Ralph debout près de moi, tout en affichant un
sourire au coin de ses lèvres. Je me demandais comment j’avais fini par
plaire à quelqu’un qui était si beau avec des yeux si craquants. Ces derniers
jours semblaient comme un rêve éveillé.
— Alors ?
Il me tira de ma rêverie.
— Quoi ?
— On devait pas regarder un film ?
Je me levai précipitamment.
— Ah si ! Désolée, j’avais oublié. Qu’est-ce qu’on regarde ?
— À toi de voir, c’est quoi ton film préféré ? me demanda-t-il en
saisissant son ordinateur qui était posé sur sa table.
Je souris face à sa question.
— Oh non, je le sens mal, rit-il.
— Orgueil et préjugés, souris-je.
— La version avec Keira Knightley ?
Tout mon visage s’illumina en voyant qu’il la connaissait.
— Oui ! Tu l’as déjà vu ?
— Quelques bouts parce que ma sœur l’a vu dix fois. Oui, c’est une
dingue, donc quand j’entrais dans sa chambre, bah je voyais des morceaux
du film.
— Et comment sais-tu le nom de l’actrice ?
— Je reconnais l’actrice quand même, c’est pas le seul film qu’elle a fait,
dit-il en cherchant le film sur Netflix.
J’attrapai le chargeur de mon téléphone sous mon lit en voyant qu’il
n’avait plus de batterie. Une fois installé sur le lit de Ralph, les rideaux
tirés, il lança le visionnage. Étant donné que je le connaissais quasiment par
cœur, je me mis à silencieusement dire les dialectes en même temps que les
acteurs.
— Tu l’as vu combien de fois au juste ? me demanda-t-il au bout de dix
minutes.
— Une trentaine peut-être ?
— Et moi qui disais que ma sœur était une folle pour l’avoir vu dix fois.
Nous passâmes les deux heures qui suivirent à regarder le film. Je sentis
son regard se poser sur moi à plusieurs reprises, mais j’étais trop concentrée
pour détourner mon attention de l’écran. Lorsque le générique passa à la fin,
je me retournai et m’allongeai complètement sur le lit.
— Alors, t’as aimé ?
— Oui, ça va, enfin les films romantiques ne sont pas mon genre, mais je
trouve qu’il est plutôt bien joué, et puis t’as l’air de le kiffer, donc ça va.
— Que c’est mignon !
— Oui, mais petit conseil, t’y habitue pas.
— Ah ouais ?
— Bah ouais, et tu vas faire quoi maintenant ?
Je lui sautai dessus et lui fis des guilis. Comme prévu, il se mit à se
tortiller dans tous les sens et à crier.
— Arrête ! Putain, rit-il. Arrête ! Stop ! Je t’en supplie.
— Ah ouais, alors t’es toujours sûr de ton « ne t’y habitue pas trop » ?
— S’il te plaît, je t’en supplie, arrête !
J’arrêtai les chatouilles et le laissai respirer quelques secondes. Je
m’apprêtai à recommencer quand il attrapa mes poignets tout en me
bloquant les chevilles et me fit basculer en arrière.
— Ralph ! C’est de la triche !
— En quoi c’est de la triche, rétorqua-t-il avec un sourire narquois.
— Tu peux pas me faire de chatouilles, je crains plus que tout le monde.
Il réfléchit quelques secondes et je priais intérieurement pour qu’il
abandonne toute tactique de vengeance quand il se mit à sourire.
— C’est bon, allez, va travailler, me dit-il en se levant du lit.
— Attends, quoi ?
— C’est pas toi qui m’as dit que tu devais travailler ?
— Oui, mais donc tu me fais pas de guilis ?
— Non, je te laisse tranquille, t’inquiète.
— Et toi, tu comptes faire quoi en attendant ?
— Je vais faire un tour dehors, appelle-moi quand t’auras fini.
— Très bien, lui dis-je en me faisant un chignon sur le haut du crâne.
Il sortit et, déçue qu’il ne m’ait rien dit d’autre, je me mis au travail.
Après plusieurs heures à revoir mes cours et faire les activités assignées,
je m’étirai le dos sur la chaise. En vérifiant l’heure sur mon téléphone, je vis
un message de la part de Ralph.
T’as toujours pas fini ?
Si, à l’instant.
Sa réponse arriva quelques secondes plus tard.
J’arrive dans 20 minutes, tu veux quelle pizza ?
Depuis quand était-il devenu aussi attentionné comme cela ? Je ne voyais
pas Ralph être comme ceci même si nous sortions officiellement ensemble,
donc qu’il avait fait autant d’efforts alors que nous n’avions pas clarifié ce
que nous étions l’un pour l’autre me surprenait énormément. J’aimais voir
ce côté attentionné sortir, surtout après une séance intense de travail.
Une reine, s’il te plaît :)
Après avoir vérifié mes autres notifications, je fermai mon ordinateur et,
prenant mon pyjama avec moi, filai à la douche. En regagnant ma chambre,
Ralph était rentré et s’était changé en t-shirt et jogging. En voyant ses
cheveux, je m’arrêtai sur place.
— T’as fait quoi à tes cheveux ?
— J’ai décidé que les avoir légèrement plus courts me ferait du bien parce
que m’occuper des cheveux assez longs n’est plus trop mon délire, ça a
commencé à me fatiguer. T’aimes pas ma nouvelle coupe ?
Je le dévisageai en observant attentivement sa coupe. Il avait nettoyé les
côtés de son crâne alors qu’il avait laissé une masse plus importante sur le
haut de sa tête, ses cheveux lui tombant légèrement sur le front. Je devais
avouer qu’il était drôlement beau comme ça ; sa coupe de cheveux le
rendait encore plus âgé, dans le bon sens du terme.
— Si si, j’aime bien, au contraire, ça te va mieux je trouve. Quoique la
masse importante de cheveux sur le haut du crâne, c’était toi quoi, mais là,
ça te va mieux je dirais. Ça fait plus un look clean, si tu vois ce que je veux
dire.
— J’ai compris Ruby, rit-il.
Je secouai de la tête pour arrêter de dire n’importe quoi et le regardai en
souriant. En sentant une délicieuse odeur, je détournai mon regard vers les
boîtes de pizza posées sur mon bureau. Je m’y dirigeai avec hâte et les
ouvris. Les pizzas avaient l’air délicieuses. Je lui tendis sa boîte de pizza
marguerite, pris la mienne et m’assis en face de lui sur son lit. Je le vis
sourire alors que j’étais en train de dévorer une part.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je
— Pourquoi tu t’es rien acheté à grignoter, si t’avais aussi faim ?
— Je sens pas ma faim quand je suis concentrée.
Je me rendis alors compte de la rapidité avec laquelle j’avais dévoré les
deux premières parts.
Nous continuâmes de parler toute la soirée. L’atmosphère était très légère
et nous fûmes pris de fous rires maintes fois. Quelle soirée cela avait été !
Ralph m’avait parlé de son enfance et m’avait montré des photos de lui
ainsi que d’Anna, plus jeunes. Je remarquais que son père n’apparaissait sur
aucune d’entre elles et me demandais ce qu’il s’était passé, mais ce n’était
clairement pas le moment de lui demander. Nous comptions mettre un film,
mais il s’était endormi sur le lit lors de notre conversation. Je ne savais pas
si je pouvais dormir à côté de lui, mais j’étais sûre qu’après la soirée que
nous avions eue, il ne serait pas choqué de me voir près de lui au réveil. Je
restai sur mon téléphone pendant une dizaine de minutes avant de finir par
m’endormir.
Je me réveillai en sursaut en plein milieu de la nuit en sentant le bras de
Ralph m’entourer. J’avais oublié que je m’étais endormie à côté de lui.
J’essayai désespérément de retrouver le sommeil. Je ne pouvais
m’empêcher de vérifier l’heure toutes les dizaines de minutes sur son
téléphone à côté de nous. N’ayant rien d’autre à faire, je restai tout
simplement sur le ventre, à observer Ralph dormir paisiblement, à la
lumière bleutée de la nuit. Des heures passèrent avant que je puisse me
rendormir, un sourire aux lèvres, face à lui.
— Ruby, réveille-toi.
Je sentis quelqu’un me secouer.
Je pris quelques minutes pour ouvrir les yeux avec le soleil qui
m’éblouissait.
— Il est quelle heure ? chuchotai-je, encore endormie.
— 8 h 25.
Je râlai en pensant que je n’aurais pas assez de temps pour manger vu que
le premier cours de la journée commençait à 9 heures.
— Ça ne t’a pas suffi de dormir sept heures ? rit-il.
— Je me suis réveillée en plein milieu de la nuit et j’ai pas pu me
rendormir avant un bon bout de temps, murmurai-je.
— Ah merde, pendant combien de temps ?
— Un peu moins de quatre heures.
— C’est énorme !
— Je sais Ralph, ronronnai-je contre l’oreiller.
— Tu veux rester dormir quelques heures de plus ?
— Non, non.
Je parvins à m’asseoir lentement sur le lit et à ouvrir les yeux. Ralph était
assis près de moi, tout sourire.
— Et toi, as-tu bien dormi ?
— Oui plutôt, approuva-t-il en hochant la tête.
Il avait l’air si mignon avec ses cheveux bouclés aplatis sur son front. Je
lui fis un bisou sur la joue avant de me lever du lit.
— Bon, faut que j’aille me préparer.
— On se voit ce soir ?
— Oui. Enfin, tu prends ta pause déjeuner à quelle heure ?
— 13 heures à 13 h 45.
— Bah, si tu veux, on peut manger ensemble ?
— Je suis supposé manger avec des gens de ma bande, on se voit ce soir ?
— Oui, murmurai-je, déçue.
Cela faisait deux heures et demie que j’assistais à mon cours de droit
constitutionnel quand je vérifiai mon portable pour la énième fois dans
l’espoir de recevoir un message provenant de Ralph.
— T’attends un message de quelqu’un ? me demanda Charlotte.
— Non, non, lui répondis-je avant de me reconcentrer sur le cours.
Dès que le cours prit fin, je sortis rapidement et regagnai ma chambre
pour la pause déjeuner. Je n’avais pas le moral pour manger et préférai donc
rentrer écouter de la musique avant que le prochain cours commence. À la
fin de ma pause, je sortis de ma chambre et me retrouvai nez à nez avec
Ralph, Nathan, Nicolas, deux garçons que je n’avais jamais vus et trois
autres filles que je ne connaissais pas.
— Ruby ? me demanda Nathan. Qu’est-ce que tu fais ici ?
J’enlevai un de mes écouteurs et lui souris brièvement avant de lui
répondre.
— Oh rien, j’étais juste rentrée me reposer, lui souris-je.
Je regardai Ralph, qui avait sa main sur l’épaule d’une des filles qui me
souriait. Je fis un léger sourire avant de marcher vers ma salle. Je
m’attendais à ce que Ralph essaye de me rattraper, mais non… il n’en fit
rien, me laissant le cœur serré.
33
Ruby
Nous reprîmes tous les deux notre respiration après ce qui sembla des
heures d’ébats.
— Ralph ?
— Hmm ?
— Qu’est-il arrivé à ton père ? lui demandai-je délicatement.
J’entendis qu’il arrêta soudainement d’inspirer, comme si je venais de
lâcher une bombe.
— Si tu ne veux pas en parler, je peux tout à fait comprendre, lui dis-je
immédiatement. Je me demande juste ce qu’il s’est passé.
— Il nous a abandonnés quand j’avais 10 ans pour une autre femme.
— Je suis désolée, Ralph.
Je me tournai vers lui pour le regarder.
Je le vis fixer le plafond, les yeux légèrement brillants.
— Ne le sois pas, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée, sourit-il
tristement.
— Quoi ? Pourquoi tu dis ça ?
Il tourna alors la tête vers moi et j’y vis le regard d’un enfant blessé. Il
ouvrit la bouche pour parler, mais la referma pendant quelques secondes de
réflexion.
— C’est compliqué, mais… Je pense que s’il était resté, j’aurais jamais su
respecter ma mère comme il se doit. Il était violent lorsque je grandissais et
je voyais pas la valeur d’une famille. Quand il est parti, j’ai vite compris
que je devais être là pour ma mère et ma sœur, et même si ça m’a pas
entièrement changé, j’ai quand même appris et grandi.
— Ça n’enlève rien au fait que vous n’auriez pas dû passer par ça, ni toi,
ni ta mère, ni ta petite sœur.
— Je sais, mais bon, on peut pas contrôler les choix des autres, seulement
les nôtres.
— C’est vrai… Je suis désolée d’entendre ça en tout cas, avouai-je avant
que le silence règne dans la chambre.
Je me réveillai en sursaut au bruit de mon alarme et me levai pour
l’arrêter. Je me figeai instantanément, sentant la couverture caresser ma
peau nue, puis me détendis en me rappelant ce qu’il s’était passé après que
nous soyons rentrés.
— Salut beauté, l’entendis-je murmurer contre ma nuque.
Je me retournai afin de lui faire face. Ses cheveux étaient comme je les
aimais, aplatis sur son front. Cela lui donnait un air d’enfant on ne peut plus
adorable.
— Salut, chuchotai-je.
C’est à ce moment précis que je me suis rendu compte que je m’étais
attachée à lui. Son sourire illuminait ma journée et un simple bonjour de sa
part me faisait ressentir une sensation que je n’avais jamais éprouvée avant.
Cela faisait plusieurs semaines que je voyais le bon qui était en lui. Celui
qu’il essayait de cacher aux autres. Celui qui s’inquiétait pour sa petite
sœur. Celui qui avait du cœur. Celui que j’appréciais. Je prenais d’énormes
risques en m’attachant à lui, mais que serait la vie si nous refusions tout
attachement à tout être humain ? Cependant, je ne voulais pas risquer d’être
blessée à chaque fois qu’il aurait un changement d’humeur à mon égard,
mais je ne voyais pas d’issue à ce problème à part qu’il travaille dessus avec
le temps.
— Bon, on devrait se lever, décida-t-il soudainement.
Son ton avait changé. J’avais un mauvais pressentiment, c’était comme
avant, quand il changeait soudainement d’attitude envers moi et qu’il
devenait distant.
— On devra parler après, s’il te plaît, lui prévins-je.
Il jeta un regard inquiet vers moi.
— Tout va bien ?
— Oui oui, lui souris-je pour le rassurer.
Au fond, je n’étais pas aussi rassurée que ça. Même si j’étais contente de
travailler sur ses sautes d’humeur, cela ne pouvait pas apparaître de nulle
part à chaque fois qu’il le sentait. Nous venions de passer une superbe
soirée. Il ne pouvait pas jouer avec moi. Et j’avais décidé de faire quelque
chose à propos de cela.
Nous passâmes tous les deux nos journées séparément, mais nous étions
donné rendez-vous au Starbucks pour 15 heures. Je l’appelai pour la
quinzième fois. Pas de réponse.
15 h 43, j’étais encore assise là à espérer qu’il vienne en s’excusant du
retard à cause d’un devoir qui a duré plus longtemps que prévu ou parce
qu’il y avait des bouchons.
16 h 04, je sortis du Starbucks, ahurie. Comment pouvait-il me poser un
lapin de la sorte ? Il m’avait pourtant répondu « Va pour 15 heures », il ne
pouvait pas avoir oublié en à peine trois heures. Des larmes me brûlèrent les
yeux alors que je montais dans ma voiture, garée non loin. J’étais plus que
déçue. Je m’attendais à ce que nous puissions être un vrai… couple. Il
m’avait dit qu’il tenait à moi et même sa mère et sa sœur m’avaient dit qu’il
était différent lorsque nous étions ensemble, mais il s’était moqué de nous
trois, et de moi plus que quiconque. S’il ne prenait pas au sérieux le fait que
nous devions parler, je me demandais s’il prenait toute notre relation au
sérieux.
Sans perdre de temps, essayant de sécher mes larmes, je rentrai au campus
afin de me concentrer sur mon travail.
— On va fermer, dit le bibliothécaire, quelques heures plus tard.
Sur ce, les deux élèves qui restaient se levèrent et s’en allèrent. Je regardai
l’heure et remarquai qu’il était déjà 23 heures alors que je n’avais toujours
pas fini.
Espérant ne pas devoir parler à Ralph, je voulus me faire toute petite en
rentrant dans la chambre. J’essayai d’ouvrir la porte, mais elle était fermée,
ce qui était inhabituel, car elle n’était jamais verrouillée quand il se trouvait
à l’intérieur. Je sortis ma clé et en ouvrant la porte, je remarquai que les
lumières étaient éteintes. J’avais peur de le réveiller, mais il fallait bien que
je puisse arriver jusqu’à mon bureau sans trébucher sur ma valise ou autre
chose.
Alors que je mis la lumière, je ne vis personne. Son lit était exactement
comme ce matin. Ses affaires étaient là, et pourtant, aucun signe de lui.
Cela ne lui ressemblait pas.
Mais qu’est-ce que j’en savais de toute façon, je ne le connaissais peut-
être pas, il faisait peut-être semblant depuis le début.
À cette pensée douloureuse, je me remis à travailler afin d’éviter de
ressasser. Quatre heures plus tard, alors que je finalisais mon devoir,
j’entendis la poignée être manipulée. Je tournai la tête et vis Ralph
apparaître de nulle part. Il portait les habits de ce matin, son téléphone dans
une main et une couverture dans l’autre. Il avait un regard fatigué et un teint
assez pâle.
— Qu’est-ce que tu fais toujours réveillée à cette heure-ci ?
Étant donné que j’étais fatiguée et surtout énervée d’avoir passé une heure
à l’attendre cet après-midi, je décidai de ne pas lui répondre et de continuer
à travailler.
— Je t’ai posé une question, Ruby, insista-t-il.
— Et moi, je t’ai attendu pendant une heure.
J’espérais intérieurement qu’il me dise qu’il avait été retenu ou qu’il
n’avait pas pu venir à cause de quelque chose de grave.
— J’avais pas très envie de venir, finit-il par répondre.
J’eus mal à l’entente de ses propos.
— Tu ne pouvais pas répondre à mes appels et me dire que tu ne viendrais
pas ? Ou dans un premier temps ne pas m’avoir dit qu’on était bon pour
15 heures ?
— J’avais pas mon portable sur moi, déclara-t-il comme si de rien n’était.
Je brûlai de rage face à son expression impassible. C’est là que je me suis
rendu compte qu’il n’en avait absolument rien à faire de ce que je
ressentais.
Mais quelle conne j’avais été.
— Pourquoi avoir perdu tout ce temps à mes côtés et prétendre
m’apprécier ?
— Je n’ai jamais prétendu t’apprécier, c’est juste que là j’avais pas envie
de voir quelqu’un.
J’eus un pincement au cœur tandis que je le voyais prendre un jogging et
un t-shirt.
— Donc je dois m’ajuster aux envies de monsieur ? Quand il ne veut pas
me voir, je suis supposée rester dans mon coin et quand il en a envie, je dois
être à sa disponibilité ?
— Je vais aller me changer, dit-il en ignorant ma question, avant de sortir
de la chambre.
Je réfléchis deux secondes avant de me lever de la chaise et prendre mon
sac qui traînait par terre. J’y mis mon ordinateur, mon portable, quelques
habits, mon portefeuille ainsi que mes clés de voiture. J’enfilai mes
chaussures, mis ma veste et sortis en prenant mon sac. Je courus dans le
couloir afin d’éviter que Ralph me voie. J’arrivai dans le parking, montai
dans ma voiture et sortis du campus. Je conduisais en direction de
l’autoroute quand mon portable sonna.
Sachant de qui provenait l’appel, je le refusai et envoyai un message à ma
cousine.
Tu dors ?
Bien sûr qu’elle dormait. Je continuai de conduire sans savoir où j’allais.
Des larmes coulèrent le long de mes joues alors que je me sentais trahie et
jouée. Il se fichait de mes sentiments. Tout ce qu’il l’importait était ce qu’il
ressentait.
Ralph essaya alors de m’appeler une deuxième fois et, curieuse d’entendre
ce qu’il avait à dire, je décrochai.
— Rentre, Ruby.
— Non, répondis-je après un long moment de silence.
— C’est dangereux de conduire la nuit.
— Si tu n’étais pas un connard, je n’aurais même pas eu besoin de prendre
le volant.
— Déjà, arrête-toi quelque part pour me parler au téléphone.
— Je n’ai pas envie de te parler.
— C’est faux, parce que si tu n’avais pas envie de me parler, tu n’aurais
pas répondu dans un premier temps.
J’inspirai bruyamment. Il m’énervait.
— Écoute, Ruby, j’ai juste passé une sale journée, d’accord ? Et si je ne
t’appréciais pas, je t’aurais insultée comme je l’ai fait avec les autres pour
qu’ils me laissent en paix aujourd’hui, mais je ne l’ai pas fait parce que t’es
pas eux et je ne me permettrais pas de te perdre. Tu te fais un film, je suis
toujours là, j’ai juste pas voulu voir grand monde aujourd’hui.
Il avait dû se passer quelque chose de grave pour que Ralph repousse tout
le monde aujourd’hui. En y repensant une deuxième puis une troisième fois,
j’en arrivai à la conclusion qu’il avait peut-être raison. Je m’étais emballée
trop vite. J’avais sauté aux conclusions trop hâtivement.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? lui demandai-je alors que je cherchais un
endroit pour faire demi-tour afin de rentrer.
— J’ai pas envie d’en parler.
J’avisai l’entrée d’un garage de l’autre côté de la route. M’assurant
qu’aucune voiture n’arrivait des deux sens, je la coupai.
— Ralph, je me suis énormément ouverte à toi ces derniers temps, je
pense qu’il est temps que tu me rendes…
Je m’arrêtai en voyant d’énormes phares de camion à ma droite et alors
que j’allais tourner les roues, je sentis la violence de la collision.
Et ce fut le vide.
36
Ruby
Ruby
— Ralph, c’est toi ? entendis-je Ruby crier alors que je refermais la porte
d’entrée de notre appartement derrière moi.
— Qui d’autre aurait les clés pour déverrouiller les trois verrous installés
à notre porte ?
Je me mis à rire tout en enlevant mes chaussures dans le couloir d’entrée
pour ensuite me diriger vers notre chambre.
Ruby avait peur de ne pas être en sûreté dans notre nouvel appartement,
donc j’avais pris le soin d’installer des verrous additionnels lorsque nous
avions emménagé quelques mois plus tôt. Je la vis, assise par terre avec
toutes ses notes éparpillées autour d’elle, comme quand je l’avais quittée
plus tôt dans la journée, comme elle l’avait été durant toute la journée
précédente, ainsi que les deux semaines qui avaient précédé. Elle avait une
série d’examens qui l’attendait la semaine suivante et elle avait énormément
travaillé.
Elle me sortit de mes pensées.
— Tu vas rester là à me fixer longtemps sans me donner un bisou ?
Mes lèvres s’étirèrent pour afficher un énorme sourire et je me penchai
pour planter un long baiser sur ses douces lèvres.
— Alors, comment s’est passé ton repas avec Anna et ta mère ?
— Bien, enfin, tu les connais, toujours là à parler, si tu n’es pas présente, à
dire comme c’est dommage que tu ne sois pas parmi nous et qu’elles
espèrent te revoir vite.
Elle rit face à mon imitation plutôt réussie de la voix de ma sœur.
— Et tu m’as rapporté à manger ? me demanda-t-elle en défaisant son
chignon.
— Oui, j’ai le sac…
Merde.
— Ruby, je suis tellement désolé, je l’ai oublié quand je faisais la bise à
ma mère alors que j’y pensais…
— Mais non, rit-elle, ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave, je me ferai des
pâtes une fois que j’aurai fini de réviser ce chapitre.
— Mince, je suis tellement désolé Ruby, en plus je me disais que j’avais
oublié quelque chose et argh…
Je m’assis sur le lit.
Elle se leva et se dirigea vers moi.
— Mais non, au pire je pourrai commander à manger.
Elle s’assit sur mes genoux et mit son bras droit autour de mon cou. Elle
avait cette douce odeur de cannelle dont je ne pouvais me passer. Ses
cheveux lui retombaient sur ses épaules, formant de fines vagues. Ses yeux
cherchaient les miens et je les vis s’illuminer dès que je lui souris.
— Tu dois aller travailler ce soir ?
Elle fit une moue triste.
— Non, j’ai demandé congé pour la soirée.
J’attendis que son visage s’illumine comme la dernière fois que je lui
avais annoncé ça.
Et ce fut le cas, son sourire s’étira.
— Mais pourquoi ? Tu sais que je dois travailler de toute façon.
— Oui, mais une pause après deux semaines de révision ne peut te faire
que du bien.
Elle se leva de mes genoux avec une rapidité si surprenante que je fus
étonné sur le coup.
— Tu as raison. Donc, je vais arrêter pour ce soir et on va manger !
— J’ai déjà mangé, lui dis-je en me levant à mon tour du lit alors qu’elle
entassait ses notes dans un coin de la chambre.
— Parce que monsieur n’a plus faim ? T’es sûr de cela ? Pourtant, tu as
toujours de la place pour une pizza, notre plat sacré.
Je ne savais pas comment cela s’était fait, mais nous nous étions rendu
compte que c’était devenu le plat à défaut lorsque nous ne savions que
manger. Cependant, Ruby surveillait que nous n’en dévorions pas plus
d’une toutes les trois semaines.
— Bon d’accord, j’ai faim pour ça, lui dis-je en riant. Mais je ne peux pas
en finir une tout seul, donc j’en prends une grande pour nous deux.
— Parfait.
Elle sortit de la chambre en me souriant.
Je commandai rapidement une Reine à la pizzeria d’à côté, avant de la
rejoindre sur le canapé. Elle fixait la télévision, l’air inquiet, et partit dans
ses pensées en transférant son regard sur le sol. Je portai mon attention sur
les informations et je vis une grande banderole rouge au bas de l’écran
annonçant la disparition inquiétante d’une jeune fille de treize ans.
Alors que la journaliste parlait d’enlèvement, Ruby éteignit
immédiatement la télévision, le visage comme figé.
— Ruby ? la questionnai-je en m’asseyant prudemment à côté d’elle.
Son regard était vide, mais elle détourna rapidement la tête à l’opposé de
moi. Je posai ma main sur son avant-bras et me mis complètement face à
elle, en l’obligeant à me regarder.
— Ralph, me dit-elle d’un chuchotement étouffé.
— Tu la connais ?
— Non, pas elle, me répondit-elle en secouant doucement la tête.
— Pas elle ? Tu connais quelqu’un qui s’est fait enlever ?
Elle me regarda droit dans les yeux et je perçus de la peur soudaine,
probablement due à ses souvenirs. Cette personne devait être quelqu’un
d’extrêmement proche d’elle pour qu’elle ait été aussi traumatisée, au point
de ne pas pouvoir en parler. Je vis qu’elle essaya de sortir quelques mots,
mais elle finit par secouer sa tête en se mordant la lèvre.
— Mes cicatrices, finit-elle par me sortir après de longues secondes.
Elle allait enfin me dire la nature de ses cicatrices. Je ne l’avais plus
questionnée depuis la première fois que je les avais vues, l’année
précédente. Ainsi, à chaque fois que je les voyais et les sentais sous mes
doigts, je me contentais de garder toutes ces questions qui me troublaient à
l’arrière de mon crâne, respectant sa décision de ne pas en parler.
Cependant, je ne voyais pas le lien avec ses cicatrices.
— Ruby, il ne fallait pas que tu te fasses du mal, tu n’avais pas à te sentir
coupable, en aucun cas tu pouvais savoir.
Elle continua de secouer la tête avec insistance.
— Ruby, tu n’as pas à te sentir coupable, ce n’est pas ta faute, insistai-je.
Elle ne pouvait pas continuer à vivre avec cette culpabilité qui la rongeait.
Je voyais bien qu’elle faisait des cauchemars, beaucoup trop souvent, où
elle se réveillait effrayée. Je me rappelais qu’une fois, j’étais parti travailler
dans le salon alors qu’elle dormait, et elle avait hurlé et pleuré, puis en la
réveillant, elle m’avait dit qu’elle n’avait pas senti ma présence pour
pouvoir sortir de son cauchemar.
Cependant, les matins, elle n’évoquait jamais ses cauchemars, comme si
c’était une sorte de routine pour elle, alors que cela ne devrait pas l’être.
Mais à ce moment-là, je pouvais faire le lien, enfin, c’était ce que je
croyais.
— Ralph, secoua-t-elle de la tête. Ce n’est pas ça du tout.
Je fronçai des sourcils, ne comprenant pas. Elle prit alors une grande
inspiration et me raconta tout. Elle me raconta comment elle avait été
enlevée et séquestrée, si jeune. Elle avait été battue constamment pendant
deux semaines par un sadique. Elle me raconta que ses cicatrices étaient des
coups de bâton et de ceinture. Elle me raconta qu’elle avait été rançonnée à
ses parents. Elle me raconta qu’il n’avait pas tenu sa promesse après avoir
été payé et l’avait gardée. Elle me raconta qu’un des voisins avait entendu
des cris et avait appelé la police. Elle me raconta que son kidnappeur
n’avait jamais été retrouvé. Elle me raconta qu’elle n’était plus retournée au
collège, mais directement au lycée, en ayant continué son année à la
maison.
Je me rappelai soudain de ces semaines-là, étant donné qu’elle était passée
en boucle sur la télévision, mais elle avait tellement changé depuis, et son
nom était resté anonyme. Je n’avais jamais fait le lien.
Elle n’en avait jamais parlé à quelqu’un. Elle n’avait jamais pu en parler à
ses parents ni à sa psychologue. Elle se souvenait de ses mains grasses sur
sa peau. Elle tremblait.
Je ne comprenais plus rien. Les mots coulaient devant mes yeux. Je pris
quelques minutes pour tout assimiler. Entre-temps, je crus avoir entendu
Ruby récupérer la pizza à la porte. Elle était revenue s’asseoir alors que
j’étais encore dans un état de choc. Je ne pouvais plus bouger.
Comment avait-elle pu souffrir autant, et ne rien dire à personne, ne pas
en avoir parlé une seule fois ?
Comment quelqu’un pouvait passer par tout ça, et réussir à sourire ainsi
alors qu’elle n’avait jamais sorti ce poids, tout expliquer de A à Z, comme
elle venait de le faire ?
J’avais mal pour elle. J’étais bien trop secoué pour pouvoir analyser les
détails. Les grandes lignes étaient déjà de trop. Je sortis brusquement de cet
état et levai petit à petit mon regard vers Ruby. Elle me regardait les yeux
froncés, avec inquiétude, et peur.
— J-Je ne sais pas quoi dire, murmurai-je.
— Peut-être que ça ne changera rien entre nous ? Tu peux me dire que tu
resteras à mes côtés ? Ou peut-être que tu as peur d’être avec quelqu’un qui
a vécu un traumatisme pareil, je comprendrais. Enfin, mes cauchemars, oui
j’en fais tellement et je ne sais même pas comment tu les supportes, et
comment t’es aussi calme. Mais si tu veux partir, dis-le-moi, je…
— Ne dis pas n’importe quoi ! m’exclamai-je.
Peut-être que je n’aurais pas dû hausser le ton, mais je ne supportais pas
de l’entendre raconter de telles âneries. N’avait-elle pas compris à quel
point je l’aimais ?
— Ruby, je suis là pour t’aider à aller mieux. Je t’aime, d’accord ? En
aucun cas je ne partirai et surtout pas pour ça ! Mais tu te rends compte ? La
douleur avec laquelle tu as dû vivre toutes ces années, merde. Putain Ruby,
il fallait en parler, il fallait que ça sorte…
Elle me regarda en esquissant un sourire.
— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?
Elle secoua la tête avant d’abaisser son regard.
— Je n’en ai jamais parlé à mes parents parce qu’ils doivent déjà avoir
assez souffert et ils n’ont pas besoin de savoir ce qu’il m’a fait. Le docteur
qui m’avait auscultée leur avait juste dit qu’il ne m’avait pas violée, mais
qu’il m’avait battue, sinon, ils ne savent pas comment ni quand ni avec
quoi. Et je n’en ai jamais parlé à quelqu’un d’autre parce que je n’ai jamais
fait entièrement confiance à quelqu’un. Enfin, je fais confiance à Rachel,
mais elle n’avait pas besoin de tout savoir. Elle avait vu les infos, et était là
quand j’ai retrouvé mes parents, mais je ne lui en ai jamais parlé, et je pense
qu’elle n’a jamais vraiment voulu savoir, elle avait vraiment eu peur, elle
pensait m’avoir perdue à tout jamais, et je peux te dire que notre lien, c’est
juste un lien imbrisable, donc je n’ose même pas imaginer dans quel état
elle avait pu être. En tout cas, quand je l’ai revue, son visage disait tout :
elle n’avait ni dormi ni mangé. Et pour ma cousine, elle était dans le pire
des états aussi. Je ne peux imaginer ce que mes proches avaient vécu. Et
puis, j’ai appris à vivre avec cette douleur constante, et à avancer en
souriant. Il faut bien continuer de vivre, et j’ai eu raison de le faire, parce
que maintenant, je souris sincèrement. Je t’ai trouvé, et je suis heureuse à
tes côtés, alors que je ne pensais vraiment pas que je pourrais l’être un jour.
Je ne demande rien de plus, je suis heureuse, j’ai survécu à cet enfer, et ça
m’a rendue plus forte que jamais.
Sommaire
1. Avertissement de contenu
2. 1
3. 2
4. 3
5. 4
6. 5
7. 6
8. 7
9. 8
10. 9
11. 10
12. 11
13. 12
14. 13
15. 14
16. 15
17. 16
18. 17
19. 18
20. 19
21. 20
22. 21
23. 22
24. 23
25. 24
26. 25
27. 26
28. 27
29. 28
30. 29
31. 30
32. 31
33. 32
34. 33
35. 34
36. 35
37. 36
38. 37
39. 38
40. 39
41. Épilogue
Landmarks
1. Cover