Sara,+38348 103149 1 CE
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Simon Levy
How to cite this article: Levy, Simon. (1998). Parlers arabes pré-hilaliens
traits et tendances. Langues et Littératures, 16, 185-198.
Simon LEVY
Faculté des Lettres - Rabat
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théoriquement "bédouin", mais qui semble bien s'être formé sur un substrat
arabisé pré-hilalien<6l.
Ajoutons qu'au fur et à mesure que la description des parlers avance,
des trouvailles viennent compliquer, voire démentir, les éléments des classi
fications "établies". Ainsi, pour William Marçais (1) les dialectes bédouins
d'Algérie ont un pronom affixe de 3 ème pers. sing. en ah, oh ; or,
Grand'Henry signale - ah (3ème pers. fém.) à Cherchell, comme en andalou,
non bédouins.
Plus récent (1977) le travail de Philippe Marçais "Esquisse grammati
cale de l'arabe maghrébin"O), tout en donnant d'intéressantes observations
sur les parlers "sédentaires" et "nomades", leur répartition et leur interpéné
tration (parlers "intermédiaires') se gardent d'un recensement - classement
systématique des traits que l'on peut relever dans les chapitres de synthèse
consacrés à la phonétique, à la morphologie - et aux particules et adverbes
"véritables certificats d'origine dialectale, tels le daba marocain pour
"maintenant", le bJaf algérien pour "aussi, également", le barsfi tunisien
pour "beaucoup" (p. 247).
Le traitement affriqué [tS] de /t/ et f!/ semble certes dominer dans les
parlers citadins. Mais les choses se compliquent lorsque l'on observe le
maintien des interdentales il/ et /g/ dans les parlers bédouins (surtout de
l'Algérie) et dans de vieilles cités comme Ténès, Cherchell, Dellys,
Constantine. Au Maroc septentrional, nous l'avons vu, c'est plutôt d'une
spirantisation, sans rapport avec la consonne classique, qu'il s'agit.
Par contre, Ph. Marçais note pour certains mots une articulation sourde
de içl! emphatique > fr/. C'est aussi le cas au Maroc chez les Jbala (cço,
"lumière") à Sefrou et au Tafilalt juifs (sporadiquement à Fès juif (motae
"lieu"), autrement dit dans des parlers pré-hilaliens. Il note également les
avatars de /k/ dans les parlers "montagnards" du Maroc et d'Algérie : Jbala,
Y
Trara, Djidjelli: "soit une mouillure de ken k , soit une affrication en k', soit
une mutation en t·'"· Ajoutons que la réalisation [t5] /é/ était largement repré
sentée dans les parlers juifs d'Oranie et dans une moindre mesure à Debdou
juif (dik > ,lié "sur toi")(8)_
(6) Simon Lévy, "A propos du parler des paysans du Tadla: Dialectologie et arch"éologie
linguistique", in Tadla, Histoire, Espace, Culture, Publ. Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines de Béni-Mellal, 1993, pp. 11-16.
(7) Philippe Marçais, Esquisse grammaticale de l'arabe maghrébin, Maisonneuve, Paris,
1977.
(8) Simon Lévy, Parlers arabes des juifs du Maroc: particularités et emprunts. Thèse
pour le Doctorat d'Etat, Paris VIII, 1990, 1815 p. (à paraître aux Pub\. de la Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines de Rabat).
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Rappelons que ce /k/ peut être légèrement spirant (type ich, "je" de
l'allemand) dans certains points du nord jebli (klo "il l'a mangé" ; $rema,
Wargha), et plus systématiquement, en positions médiane et finale, à Ms;ik,
dans les Beni Itteft (Rif central) où le substrat riffain spirant semble avoir
influé sur les occlusives (sauf /q/) dik ; ihErr;'Jb/:;um "il vous détruira"(9). Le
/KI final peut aussi passer à hamza /'/ (voir infra).
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parlers : citadins, montagnards, bédouins, juifs ; mais finalement il regroupe
"les principaux faits qui sont communs au groupe de parlers citadins
montagnards et le distinguent du groupe bédouin"02). En fait, les parlers
"pièce (de toile)", nukhkhwal "son"; par ailleurs, des groupes mw et fw où le w corres
pond à un waw classique sont ramenés à mm et ff; ex.: !emmwida' "le (petit) endroit";
leff"'ad "les entrailles".
Le maintien de l'accent sur la première syllabe amène des structures syllabiques
"ressautées": ydktrib "il écrit", pl. ydkkritbu ; mrlghgh,:)rrbi "marocain" mukkahla
"fusil", brlggdrti "ma vache".
Le suffixe personne de la 3e personne masc. sing. est -ah. La préposition dialectale
traduisant "de" est nta' ou ta', dérivés du classique mata'; selon que son antêcédcnt est
féminin ou pluriel, cette préposition peut devenir nta't (ta't) ou nraw' (taw').
Il ne semble pas que les parlers bédouins connaissent l'usage du préfixe verbal
marquant l'indicatif présent. Aux personnes plurielles des verbes défectueux, il y a
réduction de la diphtongue : glû-yeglü, de verbe gla "frire", nsü-yensü, du verbe nsa
"oublier".
A noter aussi l'emploi d'une préposition U- "à": gal-)îna "il nous a dit".
Au point de vue du vocabulaire, quelques mots sont caractéristiques des parlers
bédouins: ba-ibî "vouloir", yames "hier", dharwek, dhurk "maintenant", du classique
d.ha 1-wakt», Colin, Encyclopédie de l'Islam, p. 1 I96.
(N.B. La remarque portant sur l'absence de préfixe verbal du présent est valable pour la
bassaniya, mais ne se vérifie pas pour nombre de parlers hilaliens au nord de ]'Atlas qui
utilisent ta).
(12) Traits citadins-moontagnards décrits par G.-S. Colin:
«- perte des interdentales classiques;
- prononcition k ou hamza du kaf (et non g comme chez les bédouins);
- tendance au groupement syllabique R 1, R2 ;:i R3, quand R3 n'est ni laryngale, ni
sonnante;
- rareté de l'état construit;
- affixe de la 3e persan. masc. sing; en -u, -o (et non -ah, comme chez oertains
bédouins) ;
- rareté relative de la suffixation des affixes personnels, mais emploi courant de la tour
nure analytique avec dyal, ed-dar dyal-i "ma maison";
- diminutif de RI, R2 d R3 ou Rl;:;i, R2 R3 en RI, R2 iyy d R3 : kliyy;;ib "petit chien" ;
- diminutif des adjectifs des types R 1, R2 ;;i R3 ( <class, 'af'al) et RI, R21 R3 en R 1 R2;:i
R3: hmimer "un peu rouge", kbibdr "un peu grand" ;
- pluriel des adjectifs Rl R2 ;:;i R3 (< class. 'af'al) en RI o R2 ;:;i R3: kühel "noirs";
- réduction des pluriels Cl C2 a C3 i C4 il Cl C2 a C3;:, C4: mfat;:,f "clefs";
- emploi d'un préfixe verbal caractéristique de l'indicatif présent : ka- ou tsa- dans les
villes et la-, ka-, a, dans la montagne;
- au singulier de l'accompli, la personne féminine sert en général pour le masculin : ex.
: kt;:,bti "tu as écrit (homme)", d'où l'apparition. à Rabat, pour le pluriel, d'une forme
analogique ktdbtiw "vous avez écrit" ;
- dans le vocabulaire shbal "combien?", daba "maintenant" lka (rka, kka) "faire", sont
caractéristiques ;
- à l'imparfait des verbes défectueux, les personnes plurielles sont tirées analogique
ment du singulier : y;_'.)bkâw "ils restent", ydbkiw "ils pleurent")>, Encyclopédie de
l'Islam, p. 1195.
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juifs s'intègrent parfaitement dans le groupe historique des parlers de forma
tion pré-hilaliens - tout en présentant des traits et tendances permettant
d'élargir l'éventail des points de repères. En définitive, sur les quatorze indi
cations sélectionnées par Colin, celles qui se rapportent à la constitution
syllabique, à la 2e pers. en ti de l'accompli, aux diminutifs .. ne sont pas
exclusives du groupe, tandis que des études récentes plus minutieuses,
portant précisément sur des variantes sociologiques des parlers pré-hilaliens
ont permis de faire avancer la problématique.
(13) Abdelaziz Hilili, Phonologie et morphologie de l'ancien fassi, thèse de 3ème cycle,
dactylographiée, Paris III, 1979 (403 p.).
(14) Simone Elbaz, Parler d'Oujda. Application de la théorie fonctionnelle. Phonologie,
inventaire, syntaxe, thèse d'Etat, datylographiée, Paris V, 1980.
(15) A. Norman Stillman, "Sorne notes on the Judeo-Arabic Dialect of Sefrou", in Studies in
Judai"sm and Islam, The Magnes Press, The Hebrew University, Jérusalem, 1981, pp.
231-251.
(16) Voir Jeffrey Heath et Moshé Bar Asher, "A Judeo-Arabic Dialect of Tafilalt (South
Eastern Morocco", in Zeitschrift fiir Arabische Linguistik - 9 (1982), pp. 32-78. Voir
également Moshe Bar Asher, "Le diminutif dans les dialectes judéo-arabes du
Tafilalet", Massorot Il, 1986, p. 1-14 (en français) et "A propos des éléments
hébraïques dans l'arabe parlé des juifs du Maroc" (en hébreu), in Leshonenu, vol. XLII,
n° 3-4, avril, juillet 1978, pp. 163- 189.
Sur l'intéressant parler juif du Tafilalet, voir textes in Simon Lévy, Parlers arabes, op.
cit., et aussi, Simon Lévy, "Problèmes de géographie dialectale: strates et buttes
témoins", in Dialectologie et Sciences humaines au Maroc, Publications de la Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat, 1995, pp. 51, 60.
(17) Lou id Brunot et Elie Malka, Textes judéo-arabes de Fès, Rabat, 1939, 408 p.;
Glossaire judéo-arabe·de Fès, Rabat, 1940, 145 p.; Louis Brunot, "Notes sur le parler
arabe des juifs de Fès", Hespéris, 1936., pp. 1-32.
(18) Charles Pellat, "Nemrod et Abraham dans le parler arabe des juifs de Debdou",
Hespéris, \ 952, pp. 121-145.
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Pour ma part, j'ai pu mener en 1972-1974 une enquête linguistique de
terrain et recueillir des textes auprès des communautés juives de Fès, Sefrou,
Tafilalet, Midelt, Debdou, Meknès, Rabat-Salé, Azemmour, El Jadida, Safi,
Essaouira, Marrakech et recueillir des informations hors-terroir sur les
parlers juifs du Draa, de Beni-Mellal etc. Cela m'a permis de décrire ces
parlers tout en les comparant entre eux et avec les parlers des musulmans,
géographiquement proches ou historiquement apparentés. L'objectif était de
classer ces parlers et de les situer dans la genèse et la distribution des parlers
arabes marocains. Or il est vite apparu que des traits supposés être· "typiqu<è,
ment juifs" se retrouvaient dans des parlers musulmans, à l'état de fait, ou de
tendance. Ainsi le zézaiement (/s/>[s] et /zi>[z]) se retrouve chez les musul
mans vieux meknassis, les paysans Beni Emir du Tadla, et les femmes
musulmanes de Fès, Rabat...Par contre, ce trait phonétique est absent du·
parler juif de Debdou.
Dès lors, il était légitime de penser - l'histoire prouvant que les parlers
juifs s'étaient formés bien avant l'apparition des hilaliens - que certaines
tendances ou évolutions propres à des parlers pré-hilaliens avaient•pu se
cristalliser en traits stables dans des parlers de minorités religieuses, dans
des conditions qui pouvaient, ou non, se reproduire ailleurs, et que, à l'abri
des "frontières 11 linguistiques communautaires, tel trait pouvait se conserver
ou bien évoluer plus ou moins librement. Ainsi les parlers juifs de Tafilalet
et du Coude du Dra ont conservé une forme archaïque de-le "qui est à moi"
alors qu'ailleurs elle semble avoir d onné dya/i( 19). Ces deux parlers réali
sent J /qi>[k] - comme les Trara d'Oranie et Debdou juif - mais le /k/ S se
palatalise, sporadiquement en [c] (tch) à Debdou (qui ne zézaie pas) et, plus
largement en [\] (affriqué tS) au TafilaletC20)_ En définitive, ces évolutions,
outre qu'elles relativisent le "conservatisme" des parlers de minorités,
semblent bien renvoyer à des phénomènes observés dans des parlers pré
hilaliens, non plus "citadins", mais "montagnards", jebli ou à substrat riffain,
(19) Voir Simon Lévy, Parlers arabes des juifs du Maroc, op. cit., chap. "Tafi!alt, Dra,
Debdou juif'.
(20) Au Tafilalet, les exemples abondent, che z les hommes et davantage chez les femmes:
rkdb> rÇeb "monte en voiture"; sdtçar "sucre" ; ÇO!o "mange-le" ; le processus est
phonologiquement bloqué en cas de rencontre K-t: ktdb "écris". A Debdou juif. l'évo
lution K>[é] (tS) est sporadique, en diverses positions: Koltelè "je t'ai dit"; àif-dl-ma
(Kdj-dl-ma, non d'une grotte). Pellat, pour un texte recueilli parmi les dbddba de
Missour, décrivait plutot un [k] spirant. On retrouve ce [k] à Msdk, village arabo
phone du Rif - les parlers riffains avoisinants ont la même spirantisation ([k] ·comme
/ch/ de ich "je" de l'allemand). Colin, Notes... p. 41, notait chez les Branes et Tsoul un
/KI toujours "moui/ié", "la palatale dépassant ce stade d'atténuation s'accompagne
parfois de la chuintante /SI et donne approximativement le complexe [KSy]".
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décrits par Colin ou, plus récemment, par des étudiants de mon séminaire de
quatrième année de licence.
En l'absence de département de· dialectologie marocaine dans nos
universités, et en attendant mieux, des collègues de divers départements de
langues acceptent de diriger thèses et monographies dont la matière
enquêtée, arabe ou berbère, est recueillie, tant qu'il en est temps, dans notre
terroir national. C'est ainsi que mon séminaire de dialectologie marocaine au
département d'espagnol de la Faculté de Rabat a pu, à travers une série de
monographies, basée sur des textes dialectaux transcrites et étudiées en
commun, augmenter le volume des matériaux nécessaires aux études dialec
tales. Nous disposons aujourd'hui de textes, de-relevés lexicaux, de
remarques phonétiques et morphologiques permettant une connaissance
concrète des parlers de Casablanca, Lacyun (Hassaniya), Azemmur, des
vocabulaires maritimes, du football, des jeunes de tel quartier...
Mais ce qui intéresse directement notre sujet ce sont les monographies
concernant les parlers de Meknès, Marrakech, citadins fortement marqués
d'influence bédouine, les parlers jebli de Wazzan, Srema (Sanhaja de
l'Wergha de Ms;,k, dans le Rif central, les parlers féminins de Salé et Rabat -
y compris celui des femmes du quartier bhira -, le parler juif d'Inezgane,
celui des Beni Emir dans le Tadla, paysans qui se disent hilaliens, mais dont
le parler présente des traits qui font penser à un substrat pré-hilaliens de
berbères arabisés Mostacrabin<21 l.
(21) Les monographies de licence d'espagnol sont évidemment traitées dans cette langue.
Elles portent sur les parlers berbères, le judéo-espagnol du Maroc (Hakitiya) .. Dans le
domaine arabophone, les travaux suivants ont été réalisés
-Parler de Casablanca :
Tarik Chakir, El habla maritima de Casablanca (année universitaire 1989-1990);
Nezha Gadri, El hablajuvenil en Derb Chorfa (1990-1991); Asma Kertaoui, La mujer
en los proverbios marroquies (1991-1992); Abdenbi Intissar, Lenguajefutbolfstico en
Casablanca (1992-1193).
- Parlers des Jbala :
Aziz Khoukh, El hablajebli de la ciudad de Wazzan (1992-1993); Amal Maghdad, El
habla ârabe en el aduar de Msdk (1992-93) ; f:{akima Abou El 1:Iaja, Habla tirabe en
duwwar $rea(tribu bni Qorra, prov. de Tawnat), 1994-1995.
- Parlers féminins :
Sana Cherkaoui, El habla femenina en la antigua medina de Rabat (1992-1993) ;
Asma Rachid, El hablafemenina de Salé (1993-1994).
- Parler juif: Abdess�mad Essaoui, Dialecto de los hudéos en lnezgane ( 1989-1990).
- Azemmour : Abdelmajid Moutanna, El habla ârabe de la antigua medina de
Azemmaur (1991-92).
- Meknès : Kaltoum Bellakhal, El 'rabe de la antigua medina de Mequinez (1994-95).
- Marrakech : Latifa Otite, El habla de los artesanos de Marrakech ( 1994-95).
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Il en résulte une moisson d'informations permettant d'actualiser notre
vision des traits et tendances pré-hilaliens, en attendant d'autres données.
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Ce relâchement dans la prononciation aurait, dans ce cas, été corrigé, chez
les hommes à Fès (à Rabat il apparaît encore sporadiquement) sous l'effet
d'une norme classicisante, tandis que ce souci "puriste" ne se serait pas fait
sentir dans des secteurs moins sensibles au prestige de la fosba : femmes,
juifs, paysans à Tadla et dans une ville comme Meknès, dont l'accès au rang
de capitale a été tardif (]Se siècle).
Un irait "fautif" apparu chez les enfants peut être corrigé par la norme
des adultes, ou par un langage à prestige. C'est fréquent. Beaucoup de Jbala
prononcent hamza pour qaf dans leur jeune âge, avant de se corriger. Non
corrigée, une variante devient sous-norme : norme du parler féminin par
exemple, dans une société compartimentée, où les femmes n'étaient pas
censées aller à l'école, où la pudeur faisait même naître chez elles la crainte
de passer pour des "précieuses ridicules"...
Parlers non corrigés, parlers de néophytes bilingues aussi voilà qui
repose de façon directe la question de l'influence des substrats dans l'appari
tion - pui_s la durée - de certains traits et tendances phonétiques (spirantisa
tion: assourdissements de /d/; /b/) et morphologiques (calques, emprunts de
morphèmes comme le a préfixé (ex: ag;;,rbi "vent d'ouest" ad;;,qqa "argile")
à côté du ta... t des noms de métiers et de qualité, d'emploi général. Il ne
s'agit cependant pas de tout imputer au substrat - il est des évolutions spon
tanées "universelles" -mais d'ouvrir les yeux sur un bilinguisme vivant
depuis des siècles pour émettre des hypothèses sérieuses.
Le bilinguisme de longue durée permet même de mettre à contribution
le vocabulaire arabe contenu dans le berbère pour tenter de découvrir le
lexique pouvant avoir appartenu à l'arabe pré-hilalien. Ainsi le terme ftor a
le sens de "déjeuner de midi" en tachelhit (l;;,j/urll;;,fç/ur) et en riffain
;;,r;;,fç/or, comme dans les parlers juifs et ailleurs.
Autre terme "pré-hilalien" qu'il faut aller chercher... en arabe hispa
nique, arabe pré-hilalien s'il en fut. ç/are : "habitué à", attesté au Tafilalet et
Oujda et Fès musulmans.A Fès juif, on n'emploie pas seulement le participe,
mais, comme en Andalousie, le verbe dra I idri I diire "être habitué à". La
seule différence est l'absence d'emphase alor que P. de Alcala donnait une
forme emphatisée du clas dara.
1902). Pour la distribution s/5 et z/Z à Tunis juif qui dénote le chuintement s>S et z>Z
dans certains mot (me.Skin "pauvre", /si.in "langue" ; faytun "olives", ldi;im "il faut",
etc.), voir l'étude exhaustive de David Cohen, Le parler arabe des juifs de Tunis, tome
II, Mouton, The Hague-Paris, 1975, pp. 20 à 26.
-195-
D'AUTRES TRAITS À ENVISAGER
Au terme de ce tour d'horizon il convient de proposer de nouveaux
traits et tendances "pré-hilaliens", étant entendu qu'aucun trait n'est néces
saire ni suffisant pour caractériser un parler, et qu'il ne suffit pas qu'un trait
apparaisse en un lieu pour en faire une pierre de touche, car - en plus de
mille ans d'histoire linguistique, maints mélanges, emprunts et "contamina
tions" se sont produits.
Tout d'abord la tendance au zézaiement, tendance corrigée ou non chez
les hommes, moins souvent chez les femmes de l'ancienne génération,
jamais chez les juifs ... elle peut, sporadiquement chez certains locuteurs
(juifs) originaires de quelques villages du Sous se traduira par un chuinte
ment des sin neutralisant l'opposition sis en une réalisation en !si.
Les réalisations du /q/ décrites habituellement comme citadines ou
montagnardes sont /q/ et /'/ (hamza). Il faut y ajouter /k/ que Marçais décri
va:it pour les Trara d'Algérie qui était aussi fréquent à Grenade - et qui est
encore marocains, parlers juifs du Draa, Debdou et tafilalet ainsi qu'une
bonne partie des locuteurs juifs d'Essaouira, Jdida, Azemmour) ...
C'est ce que les anciens appelaient h;;,çlra ssg,;ra par opposition à
h;;,dra b;;, lqala (qui, paradoxalement, renvoie au parler à qafhamzé ['].
Le Kaf (/k/ peut être lui aussi affecté, soit dans des parler à/ = q/, par
une palatalisation signalée par Colin (nord Taza : Ksy), soit par spirantisa
tion /KI>[½:] semblable à celle qui frappe le /KI en riffain (parler arabe de
Ms;;,k ; Rif central). Dans les parlers juifs de Debdqu et tafilalet qui articu
lent [k] pour /q/ la tendance à la palatisation - dissimilatoire? - donne une
affriquée /ts/ (tsan = kan; "il était" ; /]ils : Elik "sur toi") à Debdou, et ts<t
au Tafilalet par suite du passage systématique de /si à /s/. On relève aussi
des cas de /KI>['] à Sefrou juif (hado' < haduk "ceux-là" ; 'on<Kun "sois" ;
bnd'om "chez vous") davantage chez les femmes<23l. La même évolution
est relevée jusqu'à présent chez les derniers représentants - ou plutôt repré
sentantes - du parler du quartier Bhira de Rabat, parler de descendants de
juifs convertis à l'Islam vers 1808-1810 (Ex. : Kay;;,]:ikiwli>aya]:i'iwli "on
me raconte 11 )C24).
Toujours dans le domaine phonétique, on peut signaler dans les parlers
jbala et juifs (au nord de Rabat) une tendance à l'assourdissement de Id!
emphatique et /t/ 'modal:> motaé "lieu" ; c;low > tow "lumière"). Plus spora-
(23) Voir Still man, op. cit., et aussi Lévy, Parlers arabes des juifs, op. cit.
(24) Sanaa Cherkaoui, El hablafemenina en la antigua medina de Rabat, op. cit.
-]96-
diquement, cet assourdissement peut toucher le /b/ > [p] (parlers jbala et
juifs).
Un vocalisme "fermé" - à défaut d'un terme plus approprié pour
regrouper des manifestations diverses, allant d'une extension du traitement
shwa /c,/ des brèves, à une imala finale [a], au passage de /u/ à [êi] - se mani
feste dans divers parlers pré-hilaliens, tandis que d'autres en sont exempts,
ou moins touchés Ainsi, chez les Jbala on trouvera un pronom enclitique de
3e pers. du pluriel hc,m à côté de shwa "colorés". L'imala finale [a] est l'apa
nage - jusqu'à plus ample informé - de Sefrou et Meknès juifs, ce dernier
parler affectionnant par ailleurs les /a/ et /e/ brefs(ZS)_ Le trait le plus
fréquent est la réalisation (êi] du /u/, généraleme,ü au début ou à l'intérieur
du mot (exceptionnellement à Meknès juif, en finale). Il va sans dire qu'un
envitonnement emphatique annule ce tarqiq.
La réduction des diphtongues (primaires et secondaires) est le cas le
plus fréquent. Mais certains parlers (Jbala, Tétouan, Tanger, Marrakech juif,
Safi juif) tendent à maintenir baait "fil", tawr "taureau", etc.
La morphologie présente des variantes dont certaines sont typique
ment pré-hilaliennes (préverbes du présent ka-, 'a-, la-, daJ26); relatif di;
préposition d- du génitif; pronom sujet de 2° pers. du sing. à un seul genre ;
conjugaison au genre non marqué à la 2e pers. du sing. de l'inaccompli et de
l'impératif). Les parlers é.robi emploient le préverbe ta ; l'usage de cette
particule s'étend dans des villes comme Casablanca, marrakech... , Meknès.
Il n'est pas exclusif des parlers "hilaliens". (ta domine largement dans les
parlers juifs de Marrakech, Safi, El Jadida, Beni Mellal). Au Tafilalet, le
parler juif réalisant /t/ pour /k/, on a naturellement ta, mais en alternance
avec ti (1ère et 2ème pers. du sing.). Cette alternance ta/ti doit être rappro
chée du préverbe ka/ku décrit par Philippe Marçais pour l_e parler de
Djidjelli<27l.
(25) Voir Simon Lévy, "Vocalisme comparé des parlers judéo-marocains", Actes des
premières journées internationales de dialectologie arabe de Paris, INALCO, Paris,
1994, pp. 267-277.
(26) Eabdel Moneim éabdel éal, lahZat Samal al Magreb, Titwan wa ma hawlaha, Le
Caire. 1968, p. 128, signale une particule de .d (? ) dans le nord marocain.
Pellat avait relevé ml à Missour chez des juifs originaires de Debdou (voir note 18) et
suggérait un "emprunt au berbère IQ.al particule de l'asrite intensif dans un certain
nombre de parlers". Chez ses informateurs elle était seule employée "à l'exclusion de m.
ou de fil!". Nous en avons noté l'einploi (avec !a) chez des juifs originaires de Debdou
vivant à Midelt en 1972.
(27) Philippe Marçais, Esquisse grammatica, op. cit., p. 72.
-197-
Ces divers traits et tendances peuvent aider à la classification des
parlers de terroirs, voire à leur histoire. Ils ne sont pas exhaustifs : d'autres
indications apparaîtront avec le déploiement de la recherche dialectale.
Encore faut-il que celle-ci s'étende rapidement à l'ensemble du territoire
national, avant que la tendance dominante - et naturelle - à l'unification n'ef
face, avec la disparition des vieilles générations, les anciennes modalités
locales.
-198-