RÉSUMÉ
Aprés avoir distingué magie et sorcellerie à l’aide de conventions empruntées à différents spécialistes dont il a
éprouvé l’opportunité sur d’autres terrains d’étude, l’auteur décril les principales méthodes d’envofifemenf, d’agression
et de thérapeutique par manipulation du sacré caractérisant l’évolution culturelle des Arabes d’Afrique Centrale
soumis aux influences de diverses civilisations noires de la zone soudanienne. L’état de vassalité, la tendance à la
sédeniarisation ainsi que la mulfiplicafion conséquente des contacts avec un environnement ethnique hétérogène
déterminent chez ces populations 1’enchevCtremenf de données culturelles p’ropres à la tradition arabo-musulmane avec
des rites d’origine africaine.
Ce1 article pose, en conclusion, le. problème de l’identité arabe au sud du Sahara.
ABSTRACT
The author first makes the distinction befween magie and sorcery, on fhe basis of conventional definitions taken
frorn a number of specialists, and whose applicability ke has fesfed in other fields. He then describes the principal
method of casting spells, and of aggression and therapy by manipulation of fhe sacred, which characferize the cultural
evolufion of Central African Arabs, roho arp exposed fo the various Black civilizations of the Sudan region.
The vassal condition, the fendency to adopt a non-migrafory way of life, and fhe resulting extension of contact
roifh heterogeneous ethnie environment, a11 lead fo an interweaving? in fhese population groups, between the cultural
background of the Arab/Moslem fradifions and rites of African origin.
In conclusion, this article presenfs the problem of Arab identify soufh of fhe Sahara.
(1) Auteur d’un (1dictionnaire infernal u qui connut six Editions différentes entre 1818 et 1863.
3
2.64 F. HXGENBUCHER-SACRIPAnTTI
totalitk, dans son 0 dfkoulrrncnt~ social », depuis les et 0 sorties » flfb la krre, l’autwrr ajout,e : (( On ren-
premiers soupSons jusqu’ti la condamnation du contre ailleurs cn -4frique ces ctorrespondancea (3)
coupable. Encore faut-il, ainsi que le rappelle qui loin d’$tre simplement. des formulations du sché-
Lucy bf.AIR (1969j, que l’enquéteur s’intégré. il wt.t.c ma actuel des relat.ions sociales entre les groupements
sociétk : a il doit parler le langage de ses membres, humains, plongent. leurs racines dans I’int\onsc.ient
participer 4 son esist.enw d’une maniére t,elle qu’il des liommes où elles s’agencent. aut,our des concepts
connaisse tout de chaque individu : intér<ts, amis, d’ordre et, d’harmonie que refltt e, partout en Afrique,
réputation et aptit-udes personnelles O.Cet~terncit,hodr l’organisation sociale des peuples. Entendue dans c.e
poussée d’observation part.iripant,e, dont, EVANY- sens, la 4 créat.ion » de l’Gt,re humain c.onstit.ur selon
PRITCHAHD fut effect,ivenlent, (1) l’un des pionniers, les Africains, la démarche par excellence de l’rùprit.
livre par l’intimité instaurée entre l’anthropologue rt pour situer l’homme en fon&on de certaines (‘oor-
le groupe d’insertion, des rkalit,és idéologiques et données : monde inorganique, n~mde végktal. monde
sociales dont. la complexité originale s’oppose aux animal, univws spirituel, et,, aitirmer ainsi, t\ la fois,
grandes o rubriques o rnerkionniw plus haut, ; cxs son appart.enance ?I tous ces milieux et, sa posit.ion
dernières sont!, en effet;, frkIuemment. étxblirs - S transcendante par rapport 4 t*ux o. Une imbrication
des fins de classific;lt.ion et. d’analyse t.ht.orique - semblable des élkments du cosmos et. des structures
par la différenciation d’activitks multiples, tle riturls sociales du royaume de Loango (HAGENRZIC:HER-
dont la forme ainsi que la fonct,ion sociale réferent. B S.4CRIPz\x~~, 1973) sit.ue l’liomm~ au point de convw-
un m6me ordre ni&tnphysique (2). gence de Forces qu’il subit et oriente dans des mani-
Bien qu’efl”ec.tuée dans une aire politique et, cultu- pulat,ions et des rituels netf.eirient diffkrerwiés par la
relle traditionnellemrnt. homog&ne - et. en wla t.ot.n- terminologie Iiiliongo, mais dont la drscription rk-èle
lement. opposée aux xwiét.tG arabes ti’Xfrique la diffkulté de leur classification selon les concepts
Centrale, caractkG+s tant I~ar la disparilt: de leurs de religion, de magie ou dt: sorcellerie. Les inst.it,ut.ions
emprunts aux ethnies voisines, la diversité des degrts et la eonq&te du pouvoir reposent. sur un ant-ago-
de conservation de leurs st-ructures politiques &i- nisme dialectique (-rj entre le 11t1fo~G(prétre-c.hef de
ginelles que par leur d0pendanc.e vis-&-vis des &a& clan), porte-parole politique, intermédiaire entxe les
noirs dans les limit.es tlrscpls elles ont évolul - vivants f:t. les rrlork dans le groupe de parent& qu’il
not,re étude des fondements spirikicls du pouvoir au prottcel et. le ~~rlofchi (sorcier), manipulateur agressif
royaume de Loangcr (I??f$. Populaire du Gong«) et destructeur d’une force vit.& (Zilirzndu) ainsi rp~
montre la (( fluidit.4 u et. les (<interférences B c’ertaines cl’ausiliaires (mafi ; sing. : hnfi) qu’il nourrit par
des modes d’expression du SacrG communt;ment son antllropophi~~it!. Le premier dfJfenc1 l’ordre du
dkignP,s sous les termes de religion, magie, sorcellerie. corps social tandis que le second en transgresse les
La définition que donne U. ZAHAN de la posit.ion règles, mais tous deux pussèdent les rnhies pouvoirs
occupée par 1’Homm~ dans la pensée afrkaine @‘ils utilisent >i des fins difftkant~es. Nous pouvons
(ZAHAN, 1964) correspond A la mi?taphysique des dom a8irme.r avec Lucy hI.Un (lYii!l, p. 25) que
Bnuili, Baycmbe, Btakug~~i et, autres ethnies politi- « La posit.ion de l’individu qui défend le clan contre
quement, rassembltes dans l’Ét-at de Loango : c L’ado- les sorciers est,... ambigu& car, comment serait.-il a
1escenc.e de 1’Ctre humain par rapport au rest.e du meme de lut.t.er ?I armes égales avec’ eux s’il n’était.
monde tient Sisa position centrale au sein de l’univers. leur semblable? On peut se livrer h des soupc,ons
L’homme est, un microcosme oit about.issent., invisi- identiques h l’encontre des devins, r6put.k neutres,
bles, d’innombrablr~s fils que t.issentBles choses et les qu’on convoque pour élucider Ics causes d’une
iXres ent,re eux... 11 ne S’agit, pas d’un (t Roi )) de la maladie 0. L’auteur @néralise l~)pp(.)rt.unénirnt, cet.te
crGat.ion, mais plutfit d’un é,lément. qui imprime au constatat-ion en citant Trevor HOPER h propos de
système dont. il c.onstitue le noyau une orientation l’attitude f:lc la Rome antique dans ce domaine :
çent.rip&de l)... Rappelant. que dans le nord du (( La punit,ion n’est. applicablr> qu’aux acks délicf.ueus
royaume mossi du Yatenga les deus catégories c*ommis B l’aide de la sorwllrrie, le simple fait tl’étrr:
sociales sont. resprctivenlent. Gdescendues D du ciel un sorciw n’est pas répréhensible B. Cf4.t.t: équivoque
s’accroît cependant chez les Baui~i si l’on sait que ces qui plus esl, dans les limites de la parentéj peut
pouvoirs ne sont, selon la croyance, acquis eL conser- constituer une fatalité dramatique pour le ((sorcier
vés par le prêtre ou le devin-guérisseur qu’à l’issue malgré lui )), poussé à l’anthropophagie par sa seule
de comportements identiques à ceux du véritable force vitale (par exemple le likundu) et dépourvu de
sorcier (ndotchi), c’est-à-dire : desseins répréhensibles, elle est le plus souvent servie
par la haine et constitue une négation délibérée de la
- possession du likrrndu, le plus souvent transmis charge affec.tive des liens de parenté. A travers les
héréditairement, qui constitue le préalable indispen- mille péripéties des activités imaginaires du sorcier
sable à tout dépassement de la o condition humaine dans le monde invisible (détaillées dans d’intermi-
originelle 1); nables procès) s’affirment une spiritualité profonde,
- meurtre physique d’un parent en ligne mater-
une conception de la Personne, tant en ce qui
nelle, dont le double invisible est utilisé pour la concerne sa constilution physique et mentale que du
création des mati, assistants fidéles qu’il importe de point de vue de sa situation dans l’univers. Les
nourrir fréquemment avec. de la chair humaine ainsi supports matériels de la pensée sont peu importants.
prélevée dans le clan... C’est donc uniquement la Chez les BaoiIi, le ndoichi emploie des moyens
fonction sociale ou antisociale du possesseur de pratiques pour se rendre {(invisible R (absorption de,
Qpouvoirs mystiques D qui détermine la réputation drogues) ; l’élément central d’un rêve ou d’une transe,
d’un individu, l’appellation de sorçier autant que la constitué par la réalisation imaginaire du projet
spécificité et le caractére relatif des notions de Bien criminel conçu par le sorcier n’a sa (( contrepartie
et de Mal ; analogique 1) dans le monde visible, avant ou après
- combinaisons similaires d’ingrédients miné- l’état crépusculaire, que dans un rite à caractère
raux, végétaux, animaux et humains. sympathique extrêmement sobre, Gdépouillé 1) tant
En dépit des nombreuses théories réduisant la dans la forme du gestuel que dans la quantitb de
sorcellerie à une forme Bbasse o de la magie et matériel employé.
malgré l’indissociabilité apparente d’éléments socio- Notre distinction s’appuie donc sur :
métaphysiques complémentaires (bipartition du
monde et des êtres vivants en deux dimensions (1) le degré de clandestinité, la résonance sociale
respectivement visible et invisible, force vitale, de l’opération
consanguinité, etc.), nous considérerons, dans cette (2) l’attitude psychologique des sectateurs
étude, la magie et la sorcellerie comme deux modes (3) l’importance quantitative et signifiante du
spécifiques d’activité ; matériel rituellement utilisé.
1. Nous employons le mot magie dans un sens Cette convention terminologique nous est imposée
restreint, pour désigner les opkrations faisant princi- par l’originalité et l’hétérogénéité culturelles des
palement, appel ti une combinatoire d’éléments sociétés arabes du Bassin Tchadien auxquelles nous
matériels (surtout végétaux et animaux) en vue d’une consacrons cette étude. En effet, bien que la langue
action, ou plutôt d’une réaction précise d’ordre arabe n’offre pas de nette distinction nominale entre
thérapeutique ou agressif, indépendamment des magie et sorcellerie, les 4 Suwu 0 séparent la si[w
méandres oniriques, des états crépusculaires, des - terme. général englobant l’ensemble des attitudes
syndromes de haine et d’angoisse caractérisant spirituelles extérieures à la religion - de la silEyê,
l’acte de sorcellerie, et sans référence explicite à la terme Iranuri dont la signification est très proche de
notion de force vitale. L’équilibre social n’est mis en la définition que nous donnons ici de la sorcellerie.
danger par aucune stratégie globale. L’activité magi
que, au sens OU nous l’entendons ici ne concerne que lholution culturelle aes Arabes d’Afrique Centrale
des relations interindividuelles et doit, dans de
nombreuses cultures africaines, être légitimée par La nature et les dimensions de notre sujet d’étude
un dommage antérieurement subi, sous peine ne se prêtent que difficilement 5 une analyse exhaus-
d’affecter rétroactivement celui qui s’y livre (per- tive (1) ; nous avons donc évité tout préambule
sonnellement ou par l’intermédiaire d’un spécialiste). Lraitant des diverses similitudes et origines (assyro-
L’idée behavioriste de réaction à un stimulus nous babyloniennes, araméennes, canaéennes, persanes ou
paraît ici particulièrement importante ; indiennes) de nos documents relatifs à la tradition
arabo-musulmane ; nous nous sommes au contraire
2. Si la nécessité de tuer et de manger autrui (et efforcé d’insérer ceux-ci dans un propos général sur
(1) Le manque d’exbaustivit.6 desdocumentsque nous exposonsdans les pagessuivantes s’explique par la complexité du sujet
ainsi que par les diffbxltés principalement ducs aux craintes et aux réticences - souvent, M&imes - de nos informateurs,
rencontrkes au cours de 1’enquM.e quo nous avons consac& à ces notions.
(1) Dbpartement du Logone et Chari (Nord-Cameroun) ; Prtfecbure du Kancm et. du Chari-Bagnirmi (Tchad).
rituels ainsi que des symboles originaires du Hedjaz 3. Enfin, cette int,égration cumulative de rites et
ou d’autres régions du Moyen-Orient et leurs variantes de croyances ((récupérés R en des époques et des
en certaines contrées d’Afrique Centrale. lieux différents, élagués et débarrassés des saillies
Nous avons précédemment souligné l’ignorance trop visiblement contraires à l’Islam, s’institutiona-
des historiens quant aux véritables modalités de la lise par l’installation définitive de la tribu sur un
pénétration arabe au-delà du Soudan, vers le lac territoire, son acceptation plus ou moins forcée d’un
Tchad : l’importance des groupes en déplacement, type défini, permanent, de relations avec les ethnies
l’ampleur des scissions subies par les tribus, les diffé- avoisinantes ainsi qu’avec l’hégémonie étatique qui
rents itinéraires suivis par une multitude de groupe- les englobe (1). Des caractéristiques originales
ments rivaux quoique liés par le sang sont mal s’affirment alors dans la culture arabe locale, issues
connus. Il serait donc vain de prétendre dénombrer d’un contact prolongé et profond avec l’ethnie domi-
les croyances et coutumes adoptées par les Arabes au nante ; c’est pourquoi diffkrent sous de nombreux
cours de leur avancée vers l’ouest, sur le continent aspects les groupements arabes respectivement et
africain, de même qu’il n’est guère possible d’identi- traditionnellement en rapport avec les Daj,, les
fier avec précision l’origine culturelle de ces emprunts Bilala, les Kanembu, les Koloko, les Kanuri, les
en les rattachant tous à telle ou telle civilisation noire. Baguirmiens (ou plutôt l’ensemble composite désigné
Nous pourrons cependant définir? de manière géné- sous cette appellation), les Mnndara, etc.
rale, ces processus de ((fusion culturelle )), après avoir Nous avons donc, au cours de multiples expériences
admis (tout en l’atténuant) le paradoxe apparent de terrain, au Nord-Cameroun et au Tchad, établi
de notre propos : nous affirmons l’existence d’une a,ire un rapport entre l’importance des phénomènes
culturelle arabe au sud du Sahara, tout en soulignant d’acculturation en milieu arabe et toute tendance 4
la disparité des groupes qui la composent... Les la sédentarisation (2) (HAGENBUCHER-SACRIPANTI,
différences et les similitudes entre plusieurs clans ou 1974)...
tribus s’expliquent en fait autant par le degré de
conservation de la tradition arabo-islamique que par Mais si la fixation sur le sol et l’agglomération
l’hétérogénéité des cultures avec lesquelles celle-ci sédentaire déterminent des amalgames culturels par
s’est trouvé en contact : l’instauration de relations prolongées ou permanentes
avec les ethnies avoisinantes, elles réalisent des
1. Bien que le Coran ainsi que tout un ensemble de conditions sociales et matérielles propices à une
croyances originaires d’Arabie constituent l’élément pratique plus rigoureuse de l’Islam ; elles favorisent
(t stable )) et commun aux sociétés nomades qui aussi la transmission du savoir. Un lieu de prière est
s’enfoncent vers l’ouest par vagues successives, il se délimité pour chaque quartier par une muretle ou
produit une transformation a dans le temps o des une enceinte d’épineux ; une place plus vaste est
coutumes et rituels véhiculés par certains groupes réservée 4 l’ensemble de la population du village qui
isolés, coupés du corps de la tribu et des dépositaires s’y réunit lors des fêtes importantes. Des écoles
avertis de la tradition (devins, magiciens, religieux, coraniques sont ouvertes ; des religieux viennent
notables). s’implanter dans la localité tandis que devins, magi-
ciens et guérisseurs de la région disposent d’une
2. Très tôt s’amorce un processus d’assimilation clientèle + régulière )) au sein de laquelle ils susciteront
de données métaphysiques, de bribes de cosmogonies, parfois des Bvocations u et feront des émules... Au
de connaissances de la faune et de la flore (aux appli- Cont<raire, les nomades s’éloignent périodiquement
cations médicinales et magiques) ainsi que d’habi- des zones sédentaires animées par les terreurs et les
tudes technologiques propres aux nations géographi- conflits dus à la sorcellerie ; ils reviennent en saison
quement puis politiquement pénétrées par les sèche et leur esprit de transaction limite leurs rapports
nomades. La durée et la nature de ces contacts (le avec les villageois aux strictes nécessités économi-
plus souvent générateurs de conflits, ainsi que nous ques (3). Ils conservent ainsi, apparemment intacte,
l’avons déjà remarqué) déterminent la profondeur leur tradition sociale et religieuse... Cependant, le
et la pérennité de ces empreintes. respect formel de croyances et de rites sécukires
grecs ; l’attention avec laquelle, dans les universi- ces deux concepts en Islam, autant que l’incertitude,
tés florissantes de Kairouan, d’hshar, Cordoba ou la Gmouvante u et la variété des réalités concernées
Bagdad, les docteurs s’occupant de médecine, d’alchi- par ce sujet, sont à l’origine des contradictions entre
mie, de magie, se penchaient sur les croyances juives divers auteurs... Selon Toufic FAHD - qui traduit
et chaldéennes... Étudiant l’infrastructure religieuse le concept de magie par si!w et le distingue de la
de la soc.ifté arabe, J. CHELHOD en souligne la ruqiyat ou sorcellerie - c’est sous l’influence de la
complexité : ((non seulement il y a lieu de c.onsidérer philosophie grecque que de nombreux auteurs arabes
le côté proprement islamique, c’est-A-dîre le courant se sont applîqués A situer le plus préçîsément possible
de spiritualité déclenché par le Coran, les modifica- la magie dans leur classification personnelle des
tions introdukes par la Sunna, mais aussi la couche activités scientifiques ainsi qu’k subdiviser celle-ci
culturelle A laquelle appartient le phénomène étudié, en une diversité de branches ; cet effort visait tant à
mais encore ce que l’Islam a détruit, rejeté comme raltacher la magie aux autres sciences qu’à en définir
incompatible avec son enseignement et qui survit clairement les difOférent,es spécialisations : Ha$;
pourtant dans l’âme populaire n (1). Xalïf’a comptait la magie au nombre des sciences
Les cavaliers de l’Islam rkpandircnt donc, conîoin- physiques et y distinguait (ainsi que le rappelle
tement avec le Coran, des formes de magie propres à T. FAHD) 14 spécialités respectivement divisées en
la pkninsule arabe, qui se diversifiérent et se fondirent ramifications ou variantes diverses. Interprétant la
localement,, au gré des rencontres avec différentes position du Coran face aux moyens extra-religieux et
((pentes culturelles D, en activités clandestines sou- aux techniques du sacré dont dispose 1’Homme pour
vent fortifiées par le prestige que leur conférait modifier sa situation dans le monde, J. Spencer TRI-
indirectement la vindicte religieuse. iwNGHAM (1949) écrit au contraire : 0 Islam allows
En sus des nombreuses causes psycho-sociologiques magie (~U~ZJU)but condemns sorcery (si?v) o... appor-
de la magie eL de la sorcellerie, dont la plupart tant ainsi une traduction de ces deux concepts
dkpassent tout cadre géographique et ethnique, la contraire à celle de Toufy FAHD. Il n’est pas cepen-
survivance de coutumes magiques en rnilieu arabe dant, dans notre intention d’énumérer ni de confron-
islamique, peut être en partie expliquée par deux ter îci les diverses théories de la différenc,iation magie-
faits non négligeables : sorcellerie dans la tradition arabo-islamique, mais
plutôt de définir ces deux notions dans le cadre
- plusieurs traditions témoignent des efforts de spécifique de notre étude.
((casuistique )) réalisés par certains exégètes pour Dans l’aîre culturelle délimitée par notre zone
concilier la fabrication de charmes et de talismans d’enquête, le s&ri (magicien) ne se livre qu’à des
avec la nouvelle religion, affermant qu’il n’v a point manipulations du texte coranique, de certains
péché en cela tant que l’on n’associe rien i; Dieu ni éléments de la flore, de la faune et autres vecteurs
n’emploie autre chose que la parole du prophète ; de la force (~~&a) par laquelle il désire se prémunir
- l’utilisation du Coran dans les procédés de contre les agressions ou nuire à un ennemi, indépen-
magie ou de sorcellerie les plus clandestins et les plus damment de toute référence métaphysique explicite
répréhensibles, attribue à ceux-ci une sorte de justi- aux pouvoirs de 1’Homme sur la nature. Au conlraire,
fication ou de Gligalité spirituelle o et leur fournît - et quelle que soit son appartenance ethnique, le
dans la croyance populaire - un surcroît d’efficacité. »KZ;~Ü~(sorcier) agit en fonction d’une conception
En arabe classique, le terme si?w n’implique locale, traditionnelle et extra-islamique de la Per-
aucune distinction véritable entre magie et sorcelle- sonne : ses métamorphoses, ses incantations, I’utilisa-
rie ; il désigne les manipulations les plus secrètes, les tion corporelle (2) de sa vicLime livrent quelques
maléfices les plus meurtriers, ainsi que les amulettes caractéristiques enchevêtrées des métaphysiques
et les charmes purement protecteurs ou thérapeu- originelles kanuri et kofoko.
tiques. L’absence de définition théorique apportée Cette différenciation magie-sorcellerie, qui peut
aux concepts de sorcellerie et de magie dans les paraître exclusivement théorique au premier abord,
diverses tentatives qui ont éti: faites pour dislînguer correspond en fait. à deux types d’émotivité très
(1) Et lkuteur précise : u De sorte que I’etude d’une croyance, d’un rite, d’un culte ne donne ce qu’on est en droit de s’y
attendre que par l’effort conjugu6 de l’histoire (religieuse, littdraire, philosophique...), dc l’elhnogrnphie et de la sociologie D.
(2) 1.‘~ utilisation corporelle ) que nous Evoquons ici est l’anthropophagie du sorcier qui révéle, en sus des transformations
physiques dc celui-ci, une vision dissociative de la Personne. Nous verrons plus loin que certains types d’agression magique utilisent
également des éléments physiologiques de la victime. II s’agit cependant, dans ce cas, d’une magie noire se rattachant beaucoup
plus à une vaste tradition semitiquc de l’envofitement qu’à la conception métaphysique de 1’Homme traditionnellement en
vigueur sur la rive m6ridionale du lac Tchad.
distinc.ts. Qu’il soit ident.ifié comme scz?&i ou s’expriment pleinement au moyen de la silZPyé
ma+@, l’individu convaincu d’agression par mani- (sorcellerie) notion dont l’analyse fait apparaître le
pulation du Sacré, sera poursuivi par le dtkir de nombre et; I’hét.érogkn8itk des woyances locales
vengeance des consanguins et amis de sa victime, adoptées par les ilrabes o Szrwu H. En effet, une juste
tué ou traîné devant. la just2c.e du Sultan. @valuation des quelques données que nous avons pu
Cependant le fait de sorcellerie rkftre A l’existence rec.ueillir sur la .c.ilZ&yê (3) n’est possible que si l’on
d’un monde secret. et; de puissances infernales dont. se rkfére au phénomene de Gfusion cukurelle 1)entre
la simple kvoçation semble effrayant,e, au lieu que -4rabes, Kanzzri et, Kotoko. Les apports qui favo-
les méfaits du magicien (sc$firi) ne sont. imputés risent. ce processus de c0nvergenc.e (dont, certains
qu’a des tec.hniques 0 spC?c.ialiskes9 mises au service proviennent. du AIa~~luru et. du Bnyimi) sont,
des passions humaines et. ne dét~erminent. chez la inégaux et difficilement. dissociables. La sorcellerie
victime qu’un désir de vengeanc,e en rapport, avec kot&o - qui n’a fait, enc.ore l’objet, d’aucune étude -
la nakzre et l’ampleur du dommage subi. parait t?re la composante essent.ielle de ce mouve-
La notion de sorcellerie est désignée dans notre ment, syncrétique. La çornmune défiance manife&ée
région d’étude (rive sud du lac Tchad) sous le terme par les Kanzzri et, les (( $ZIZI~~v $ l’égard des Kotoko -
de silZ&! (1). Cette appellation rwouvre dans les auxquels ils attribuent. une disposition prononcée
cultures préislamiques kmrzri et. l<ofoko (ou du moins pour la sorc.ellerie - illustre particulièrement cet.te
les formes et, variantes qui les représent,ent dans le affirmation... Les limkes spatio-temporelles de notre
Serbezuel), l’ensemble des at.t.itudes et c0niportement.s enqubt.e ne nous ont. permis cl’ac.qutrir qu’une
visant le meurtre et l’absorpt.ion du corps de la victime connaissance sommaire de cette société ; en effet., nos
par les sorciers (ma~~ü~il~, sing. rnm~Or;) (2). cont.acls avec les Kotoko (que ne facilita pas, on s’en
Les optkations magiques d’origine purement arabe doute, l’étroitesse des rapports entretenus avec les
ainsi que l’ensemble des procédés oc.cultes d’agression Arabes) et not.amment avec la cour du Sult.an de
et. de protection sont regroupés - indépendammeni; .Makari, n’ont été pour la plupart. que protocolaires,
de leur origine culturelle - sous le nom de .siEr. Cet.te sporadiques et, le plus souvent. fonction de nécessitk
distinction est. importante car elle ét.ablit, la premikre pratiques inimfMiat,es... Cependant-, une enquéte
différenciation entre magie et, sorcxllerie au niveau de effwtuée dans les villages de E~C~IMZ,Wulki, Ndcwi
nos documerks de terrain. et Dzzgzznzoa montré combien kodées ou transfor-
Tout. comportement. ésotérique relevant de la mées par l’Islam ont été les croyances ancestrales en
magie ou de la sorcellerie, accompagnb, d’une priere rnatiére de sorcellerie, dont. il ne subsiste plus cpe des
ou d’une simple conwntration de l’esprit, sur le but (l résurgezwes )) disparates et parfois fantaisiskes, ainsi
poursuivi, est désigné sous le t.ermc de su’til (demande, qur nous avons pu le vérifier 5 l’issue de quelques
supplique). Cette appellat.ion concerne d’une facon rwoupements.
trè.s générale tous les modes d’utilisat.ion et, les Le mot, sillZyyd désigne non seulement, la c.aGgorie
diverses combinaisons du sacré, indépendamment, irk3 générale dans laquelle sont. rangt;es un certain
de I’intent.ion des sectatwrs : protection c.ontxe les nombre de croyances et. de rituels, mais aussi le
dangers visibles et invisibles de la vie quot.idienne, pouvoir spkifique du sorcier. flous n’avons pu èt.re
talismans libérant, des forces dispensatrices de informé des modes de transmission de ce pouvoir
ric.hesses et, favorisant. les entreprises professionnelles, d’un individu ü un autre, d’un sorc.ier h sa descen-
polit.iques ou amoureuses ainsi que les maniganc,es ou dance, ni des manipulations qui les caractkrisent~.
maléfices destinés g kliminer ennemis et. gb,neurs. PrPcisons cependant qu’une rnf!nt.ion nous a ét.d fait.e
L’analyse des significat-ions et. des méthodes d’un (t kg génét-ique 0 de çette forcx immanerit,e, en
d’élaboration du szz’ül explique l’essent,irl des atti- ligne mat~ernrlle, par l’allait.ement.. La notion de
t.udes devant les maux, les joies et. les dangers de sillZyP, plac& dans le cadre de la différenciation
l’exist,enc.e. effectuée par J. bhDDELToN et. E. H. \>VrNTER,
(1967), semble donc correspondre aut,ant à la sor-
La sorcellerie cellerie + technique )) située a la port& du déten-
t,eur de la c.onnaissance qu’8 la sorcellerie dite ((par
L’agressivite et les ant.agonismes opposant indivi- essence u (4)...
dus, groupes sociaux et. comnunaut,és ethniques Si un rnn~&9 veut transrnettrr la silEyè a son
(1) Nous ignorons l’ori@ne dr CHmot rornmun~ment.employ15 par les Arabes, 1~s Kofoko et. les Kitrnrrri.
(2) É~~mologiquemrnt : eswew dr XIII~:*.
(3) Nos informateurs possèdant des rwiiments de francais ont toujours spontanfimpnt fait préct’drr ce terme d’un article
fCminin.
(4) Précisons, au profit dl v chercheurs qui approfondiront un jour cette question en milieu ii .%zon ‘3, que l’informateur qui
nous entretint d’un poutoir de sorcrllrrir transmis * pur le lait de la m+rc+ )> distinguait le mtr.yc7+ czzwq (sorcier noir), selnn lui
particulii+ement tlangrwux, rhr »In?@$ nbicld (sorcier blanc) dépourvu de pouvoirs étendus et v@ritublement nocifs.
enfant, il foit le faire au cours de la semaine qui suit dire le Gmarché de la nuit O! lieu maudit s’il en est.
la naissance de ce dernier. Il récite au-dessus du Certains détails sont communs 4 toutes les descrip-
nouveau-né un verset du Coran (CXI, 1) spécialement tions pittoresques et variées que nous en avons
utilisé à cet effet : ((Les mains d’Abou Lahab ont obtenues... Les sorciers grouillent en une foule
péri. Il a péri u. Ce rappel de l’infortune de l’oncle de compacte. jacassante et grimaçante ; certains ont
Mahomet (qui fut aussi l’un des ennemis les plus conservé leur forme humaine, d’autres ont adopté
acharnés du Prophète) préfigure les maux et la fin une apparence animale. Avant d’exécuter chaque
des futures victimes de la puissance dont l’enfant se victime - parfois au terme d’une longue captivité -
trouve nouvellement doté. Le 13e jour, le ma+@ véri- les sorciers s’en amusent, fonl mine de la libérer après
fiera ou tentera d’évaluer les dispositions personnelles lui avoir souhaité o un bon retour O,mais la ramènent
de son enfant a faire (dans l’avenir) plein usage de la bientôt au milieu d’eux en tirant sur la corde qu’ils
sillêyê, en le projetant vers les basses branches d’un lui ont passée au cou. Le manège recommence 12 fois,
arbre ou l’infrastructure du toit de sa case : si le dans l’hilarité générale. Puis le meskry (Gmessager
nouveau-né s’agrippe des deux mains et se maintient du Sultan des ma@i$n n) égorge le prisonnier qui est
un bref instant suspendu, nul ne doute qu’il soit plus aussitôt dépecé par le Zimangana (titre de notable
tard un puissant sorcier... Très vite l’enfant manifeste koloko)... tcmifhil@ duk& aljazari )) (Gcomme 4 l’étal
ses inquiétants pouvoirs : ne sachanl; pas encore du boucher)... Les transactions vont bon train, sur-
marcher (cil voit le contenu de l’estomac des per- veillées par le misi ngare, important dignitaire
sonnes de son entourage, ainsi que tous leurs orga- kotoko que les sorciers intègrent à leur propre hiérar-
nes O, différenciant de la sorte au premier abord les chie sociale. Les régles précises selon lesquelles a lieu
sorciers - trahis par des résidus stomacaux révélant le partage nous sont inconnues. Précisons toutefois
leur anthropologie - du commun des mortels. Dès que le Sultan a toujours droit & une omoplate ainsi
qu’il sait suffkamment marcher, l’enfant-sorcier part qu’à la chair qui l’entoure, tandis que le meskey reçoit
dans la brousse afin de découvrir les racines, les un bras du cadavre. La première phalange de l’index
plantes et les insectes dont il peut se nourrir OU user du limangana sert d’étalon de mesure pour le décou-
dans des opérations maléfiques... Il ne tardera plus page des autres parts. (( La chair d’un individu qui
guère à affirmer et développer la force qu’il détient était de son vivant muni de talismans est amke et
en agressant les humains. difficilement consommable O, précisèrent nos interlo-
Satisfaire son anthropophagie et s’enrichir par le cuteurs au terme d’une conversation que nous eûmes
commerce de la chair humaine) tels sont les buts à Biamu, localité kotoko située dans les limites du
primordiaux du rna+@s. II peut détruire physique- sultanat de Makari et dont la population est dotée,
ment sa victime par des maléfices, avant de la selon la rumeur publique, de redoutables pouvoirs de
Gréveiller )) et de l’extraire de sa tombe dont il frappe sorcellerie. Les sorciers se nourrissent aussi de sang
le remblai d’un bâton sur lequel sont gravés des menstruel (dam a1 ‘6da ou dam al’ak&t), de sang
versets du Coran. L’absence d’informations Pr&ises écoulé pendant les opérations de scarification, de
sur les procédés de meurtre attribués aux 7na~~d~Sn circoncision ou d’excision (dam af-fa&ïra) ou lors
révèle l’ampleur des difficultés rencontrées au cours d’un accouchement (dam a1 zval6da) ; de nombreuses
de nos recherches sur cette question. Toute compé- précautions sont donc prises dans ces circ,onstances
tence en matière de sillêyé, attestée par les individus pour prévenir la voracité des ma~s@in. Ces derniers
que nous sollicitions, constituait en effet pour ces sont socialement organisés et dirigés par un véritable
derniers une charge utilisable par les instigateurs corps politique. Cette société occulte et malfaisante
d’une éventuelle accusation de sorcellerie... Nous est, selon les Arabes, divisée en XaSimbuyzzt, tandis
livrons ici les données générales qui réapparurent que les Koloko imaginent autour du SuIt.an des sor-
lors de tous les entretiens que nous avons menés sur ciers. une cour et des titres parfaitement identiques
ce sujet en milieux kofoko, kanuri et arabe. aux leurs. Cet o ethnocentrisme )) n’est pas entiére-
Selon la croyance populaire, la mort physique d’une ment manifesté par les Arabes : la réputation de
personne agressée par un rna~~c@ n’est qu’apparente ; sorcier faite aux Kotoko est telle que de nombreux
il s’agit plutôt d’un o sommeil profond )).Peu de temps (( Suwa )) assimilent fréquemment les premiers aux
après les obsèques, le meurtrier va sur la tombe et seconds et ne voient dans l’organisation sociale de
frappe celle-ci avec un bâton magique. Le ((mort )) leurs suzerains traditionnels qu’une réplique de cette
sort alors de la terre pour suivre celui qui est désor- 0 contre-société 0 formée par les ma;@ïn.
mais son maître vers l’endroit où les sorciers échan- Afin de se déplacer sans être vus ni identifiés et
gent, achètent et vendent les captifs... ou des d’approcher leurs victimes sans éveiller la méfiance
fragments de ceux-ci. C’est le SU~ al-Zayl (l), c’est-& de celles-ci, les sorciers peuvent adopter diverses
Ph. 1.
Ph. 2.
Ph. 4.
Pli. 5.
Ph. 6.
Cah. O.R.S.T.O.AI., sér. Sci. Hum.. vol. XIV, 710 3, 1977: 2Sl-288.
264 F. HAGENBUCHER-SACRIPANT1
Les scarifications (furuf) doivent. i?lre prbctdbcs clr diversw prkCallt.i~JnS ilcsti-
nees 5. prot@er l’rnfant Contre I’aviditP des .k7uv7~in. Ci-dessus,
des n2aggLyin et
l’ophation est rffwtuk sur une pctilr fille dont. le milieu ethnique sr prknut.
d’uno lointaine origiw arahr. Quoicpie Irs individus âgés il61 estent 1-LnCcm Irlli
appart(~mrnce tribale par d(ls cicatrices faciales différenciant. liommes et frmmrs
au sein 1~1% chaque fraction, les types de sciirificalion praiiqu& aujourd’hui par
les Arabes du Tch:~d et du Nord-Camwoun n’ont qu’une signification purcrurnt~
Pb. 9. ?’
~11:1GIE ET SORCELLERIE
~-. CHEZ LES AK.lBES D”AFRIQUE CENTRALE 35
apparences niat~krielles ou anima.les, dont. les plus identiques à ceux des sorciers dont ils savent effet-
fréquemment citkes sont, le serpent (dabib), la hytne tuer les maléfices et, adopter les formes aniniales.
(marfa’in), le chat, (bah), le cabri (quanama:y), Selon une croyance répandue ils se rendent. fréquent-
l’oiseau rapare {@Sir), le rkipient à lait caillk nient sur les lieux de réunion des sorciers, exiger ou
(bupw ou busxa), la furnbe (dupz), le trou (nugra)... négocier le salut. des victimes qu’ils sont chargés de
Les rnn@glrz effraient le voyageur surpris par la sauver...
nuit. en lui apparaissant sous la furme d’un animal 6. Tout. jeune, le garo a. b,t.éimmergé dans une burma
Me humaine ; ils surgissent, aussi en ma.rc.liant. sur remplie d’une décoction de plant,es diverses, port.ée &
les mains, le postkrieur environnk d’un halo phospho- Rbullition et suffisamment refroidie à une tempéra-
rescent, et s’approchent. ainsi de leur proie figée paf ture support,able... Il possède alors la gauvki,
la t.errour. puissanc.e comparable A la silZ?yP, carac.t&isée
Ces (ctransforniations )) sont. le plus souvent, cependant par des wnnaissances botaniques spéci-
obtwues gràcc A l’absorption d’une encre prkalable- fiques ainsi qu’une vocation t,hérapeut.ique et défen-
ruent utilisée pour krire 7 fois c.ertains vers& sive contre l’action des sorciers. Cependant, le déten-
c.oraniques (1) puis rnklan,&3 à des décoctions de teur de pouvoirs courauirnent utilisPs par les ma@*h
plantes dont les variétks correspondent aux dit?& est. considéré conInle sorc.ier par la rwneur publique,
rent.es apparences qu’il est possible d’acquf%ir ; ainsi, quel que soit l’usage qu’il en fait ; c’est, pourquoi de
la p1ant.e dénommée waltine est. utilisée pour se nonlbreux informateurs manifest.aient leur défiance
1nét.arnorphoser (2) en oiseau de proie, en hyEne, ou à l’égard des guérisseurs, les assimilant onvert.ement
pour s’enfoncer dans la terre ; ya mal’um est une A des sorciers, soulignant. par des affirnlations lapi-
herbe (( évoquant au t.ouc.her les poils du chat D, daires et dénuées d’6quivoque l’ambiguïté qui
animal dont elle pernlet. d’adopt,er la forrne. La plante caractérise le stat.ut,, les fonctions et, 11~sartivit,tk
- _
désignke sous le norn de Sollol~ est employée pour réelles du t( contre-sorcier )) : 0 ul garuanw hrrnma
adopt.er les apparences d’un serpent. ?rlags@sirzkubür... 1) (les guérisseurs, eux, sont de
grands sorciers). Le gnur reconnait sans difficulté les
En dépit d’un réseau serré de lois et d’obligat.ions sorciers parmi les gens qui l’entourent. Nos questions,
rkoiproques maintenant la c.ohésion des sorciers, puis not.re insistanc.e relatives aux uioclalités de
lesquels sont tenus d’offrir chaque annke un de leurs l’identification du massüs par le gcnu n’ont. recu que
proches consanguins à leur Sult,an et de dévorer la des rAponses vagues, souvent. incertaines et cwntra-
victime en compagnie de celui-ci sous peine de subir dici.oires : le guérisseur voit de la furke s’tchapper
eux-niêrnes un sort identique, de fr6quents c.on1lit.s des oreilles du sorcier, il voit. l’int.érieur du corps de ce
opposentSles ~r~s@s~r~entre eux, le plus souvent. pour dernier, il le reconnait A l’odeur, et.c..
des raisons de partage de chair humaine ou afin de
protbger parents et arnis de la voracit.6 de c.ertains Les garu~rzirz diagnostiquent les rnaux iIl1IJUt.k à
de leurs congfkkres... Plusieurs réc.it,s nous ont ét.6 l’act.ion des massfisirz selon divers critérrs : les deux
faits d’affr0nt.ernt~nt.s entse sorciers, au c.ours desquels auriwlaires du malade ne sont pas de mtkne lon-
Ces derniers déploient kUrS connaiSSanc.eS et. &mIWJir’S
gueur, une incision faite A l’un de ses doigts ne laisse
clivers. Les rnn~#~irz évitent le plus souvent de pas couler de sang...
s’attaquer A des (1nrv~rzi77 (3) (sing. guru) ou guéris- Les rapports entre sorciers et guérisseurs ne sont.
seurs. Ceux-ci, part.ic.uli~renlent versés dans l’art de cependant pas exclusivement antagonistes, et il n’est
soigner les niau-x dispensés par sorcellerie, & l’aide de pas rare, ditron, qu’un ma#~ s’adresse & un gaw,
plan& dont, ils connaissent les vertus tnédicamen- avant de choisir sa victime. Il lui importe en effet de
teuses et magiques, sont. aussi dotés de pouvoirs savoir si cet& derniére ne compt,e pas de ((contre-
(1) Certaines copies <Ir t.extes rc.li#eux sont parsem&s de locutions knnuri 011kotoko. D’autrtis krits coraniques sont
bouleversts non seulement par une inversion des twmes mais aussi par 10 ddplacement, selon d’obscures combin:risons, des
syllabes qui les composent.
(2) La mutat.ion d’un humain on un corps animal e.st. t.raduite par les vwbes nmkzrnm ou kzglab, signifiani csse retourner B,
s se renverser x et par rxknsion t( se transformrr P ou s se rendre invisible 9.
Nous ne pouvons nier, ni afRrmer formellement l’existence, dans la m6taphysique kotoko originellr, d’une relation entre
consanguinit.6 et. r.fflc.acitti en sorcellerie, comparable au rapport existant: dans ce.rtsines cultures bantu entre I’6troitesse des liens
parentaux unissant le meurtrier Si sa victime et les deux facteurs e4ivant.s :
- la facilit.8 du capture et d’es&~t.ion de la proie humaine,
- le profit Ynutritif o du sorcier toujours obligli! d’entretenir ses pouvoirs en s’alimentant par anthropophagie.
(3) Ce mot est. dkivé dc l’arnbé classique qiïr~c?n (loi, commandement.). Luttant cont.re les forcrs du mal, le gutrissenr
constitue 1s garant de l’ordre.
sorcier )) parmi ses parenls ou amis, et surtout de explicit.emenL quiconque de sorcellerie, ou compro-
connaître le moment le plus propice A l’agression. mettre indirectement l’individu dont il veut la perte
Faisant alors office de devin (l), le gaw dévailera, (sans le désigner nommément) imputant a la sill~yê
moyennant rétribution, les jours et les heures favo- la maladie ou le décès d’un des proches de l’accusé...
rables à l’entreprise de son client (cf. photo no 10). principalement si ce malheur peut être jugé politique-
ment ou économiquement favorable au présumé
coupable. Il importe de souligner la collusion occa-
sionnelle et intéressée entre sorcier et contre-sorcier
ainsi que la mélhode employée par ce dernier pour
aider éventuellement le nrn@s, car :
- elles soulignent l’ambiguïté des fonctions du
guérisseur (mentionnée plus haut), et l’impossibilité
de situer précisément celui-ci dans la hiérarchie des
valeurs morales et religieuses ou dans toute déonto-
logie ;
- elles réduisent la fonction du gaw a une dispo-
nibilité et une activité essentiellement commerciales,
étrangères a toute vocation judiciaire, exclusive et
spontanée, justifiée par les dangers que font peser
les sorciers sur l’ordre social ;
- elles illustrent les singulières limites de la
sillZy~! devant le futur, c’est-à-dire l’incapacité du
rna?sü+ de se livrer a la divination et la dépendance
de celui-ci vis-a-vis du gaw ou du devin (2) ;
- elles révélent la possibilité d’utiliser des for-
mules religieuses dans des opérations de sorcellerie.
Selon plusieurs de nos informateurs, outre de
nombreuses précautions jugées nécessaires pour se
prémunir contre les sorciers, il importe d’identifier
ceux-ci avant qu’ils ne laissent libre cours Q leurs
instincts meurtriers, afin de les en dissuader par la
suspicion et la surveillance qu’ils sentiront peser sur
eux... d’orie.nter plus facilement les recherches, les
accusations et la répression qui succèdent à un
Pli. 10. - Face au nom de chaque jour de la semaine
ensorcellement... et de faciliter, par la-même, la
les surfaces claires indiquent les heures favorables a I’agres- guérison de la victime (si c.elle-ci n’est pas morte
sion du sorcier. Cette méthode de divination est également avant la capture de son agresseur) dont le salut
employee pour Bvaluer les chances de succbs d’enlrcpriscs dépend des exorcismes gestuels et verbaux effectués
diverses, etrangeres a la sorcellerie. L’invocation de Dieu par le sorcier sous la pression des autorités judiciaires
precède l’énumeration des sept jours : P Au nom d’Allah, et religieuses.
le Bienfaiteur miséricordieux u.
Point n’est toujours besoin de recourir aux services
d’un gaw pour savoir que l’on est victime d’un rna@~
et identifier ce dernier : une hyène qui ne s’enfuit pas,
Le gaw occupe donc dans la société une position la nuit, malgré une torche que l’on braque sur elle,
stratégique de premier plan ; il peut en effet accuser est manifestement un sorcier en quête d’un mauvais
(1) Le devin (Sazvü~) n’est habituellement sollicite que pour répondre aux incertitudes de la vie quotidienne et n’est pas
situe par ses fonctions cn rapport direct avec Ic monde de la sorcellerie.
(2) La difficulté de differoncier clairement la magie de la divination tient a l’P;i.roit~e parente qui unit depuis toujours ces deux
sciences et que Toufic PAIID (1966) ne meconnaît pas dans son volumineux traite SUT la divination arabe; se referrant à
TORREBLANCA (De Daemonologia siue Mngia nafurali, daemonica, Iicifa ef illicifa), il rappelle que Pla division moyenâgcusc de
Magia diuinatrix et Mugia operafrix n’est pas faite pour attenuer les divergences ni pour tracer une ligne de démarcation nette
entre ces deux calegories de la ’ pensée obscuro ’ *. Les vertus augurales attribuees par les Arabes d’Afrique Centrale à certains
animaux qu’ils utilisent aussi dans l’elaboration dc charmes et de talismans livrent un exemple d’interférence entre magie et
divination, moins imputable, il est vrai, & une convergence de deus fonctions différentes dans un même champ opératoire qu’a
la projection sur un element naturel de deux categories de signification...
Cah. O.R.S.T.O.M., sb. Sci. Hum., vol. XIV, 71~ 3, 1977: 252-288.
dl.lGIE ET SORCELLERIE CHEZ LES ~4RABES D’AFRIQUE CENTR-4LE x7
- ~.
magiciens et les guérisseurs se trouvent consignées l’attestent la tradition sémîtique de l’art talismanîque
dans le bd&w, ensemble de vieux papiers serrés et liés d’une part, la rencontre de l’Islam et de l’animisme
par une ficelle (cf. photo no Il). Non loin de ces noir d’autre part, nombre de charmes et de talismans
Glibraires O, les gawünïn étalent leur arsenal, fouillis ne trouvent leur pleine efficacité qu’a l’issue de
inextricable de plantes séchées, de racines, de frag- combinaisons et de manipulations d’éléments natu-
ments de roche et de résine ; en effet, ainsi que rels.
Nous n’avons-pu appréhender la fonction et la du mot sihr, a la signification moins générale (ex. si[zr
signification de nombreux éléments constitutifs des hünü c’ikoy)...
charmes et talismans divers dont I’elaboratîon et
l’emploi sont analysés dans les pages suivantes :
formules obscures dont les transcriptions, accompa- Différents modes d’agression magique
gnées de calculs complexes basés sur les correspon-
dances des lettres et des chiffres défient souvent les 1. - Zalzal barra min a1 &llè
règles de la grammaire arabe, combinaisons de termes QAu nom d’AUah le Bienfaiteur miséricordieux 8.
empruntés Q des langues différentes, inversions de A la suite de cette formule coranique, le verset 18 de
mots ou de phrases du Coran, dessins aux géométries la sourate XXXVI est écrit sur un reçtangle de
et aux agencements ésotériques, significations magi- papier, au-dessus d’un dessin (~&Gz) au centre
ques et vertus médicamenteuses des ingrédients duquel est inscrit le nom du prophète. ainsi que celui
minéraux, végétaux, animaux et humains intervenant de la victime désignée : ((les envoyés dirent: votre
dans ces manipulations (1). mauvais sort vous accompagne (2) quand même on
Nous avons vu précédemment que tous les procé- vous avertirait. En vérité vous êtes un peuple livré
dés de magie et de sorcellerie accompagnés d’une aux excès 8.
concentration spirituelle et d’une utilisation du Coran Le papier est ensuite plié et attaché sous l’aile
comme réservoir de forces situées a la portée de gauche d’un pigeon auquel on rend la liberté. Plongée
l’Homme, sont appelés su’al (ex. stl’al hïnü Cikay) ou en état d’hébétude, la victime quitte son village et
(1) Cette remarque concerne BgalemenLles protections ct thérüpeuti~ues magiques (!lijübdt’ darwü).
(2) Mot & mol, (I votre oiseau est sur vous 0.
Ph. 13
Pli. 14
Ph. 13
Ph 16
Ph. 17
272 P. HAGENBUCHER-SACRIPANT1
vant.es est une des formes de magie les plus kpandues mult.iples : susciter l’amour ou l’amiti6 d’autrui, tuer
dans une zone culturelle dépassant. largement notre 0~1 blesser son prochain de diverses maniPres... Le
rlgion d’étude. La woyance populaire lui attribue déclenc.hement de ce talisman intervient dans les
des origines diverses : luttes qui opposent. les individus ou les collectivit& &
- il fut inventt; par 1’Imam al i;uz~üli ; l’issue de c.onflits dont nous évoquions les plus fré-
quents dans un précédent art,icle (1-j.
- les chiffres et dessins qui le c,omposent auraient
figuré sur la bague de ce dernier, bijou qui aurait L’accession au but poursuivi s’appuie, quelle
appartenu antérieurement, & Adam ; que soit la nature de celui-ci, sur le rapport
- ce talisman aurait Bté. cré8 par Assi ibn existant entre chiflkes et lettres selon deux types de
Bnr#~a, Gsecrétaire de Salomon O. correspondance dknommk en arabe :
Seul le nom de G’axüli a étf retenu par le langage - cd jzzmlczt a1 suyayra (la peti1.e sommej
courant pour désigner ce szz’cZdont les finalités sont - czl jrzmlat ul kabïra (la grande somme)
La figure inkiale du talisman est c.onstitu&e par Mzz~zammnd (-14~) demande 4 .lidah (o-1) de lui
le carre suivant. : fournir un emploi que nous désignerons sous le terme
général et. indéfini d’ac,tion C&G).
c r 0
EVE
dluhammad = 9.2 (2)
‘amal
]iduh
= 140
= 12
= 244
4. - Nous ne tenterons aucune énurnérat,ion des clurée de l’opérat.ion : celle-ci peut s’effectuer en 1, 3,
méthodes d’invocat.ion des nombreus gknies et 7, 10, 30, 40 ou 49 jours... Nombreux sont les génies
démons qui carac.térisent la croyance locale (kanuri, dont, le ~iZzuat entraîne l’intervention ; parmi les
kotoko et baguirmienne) en des Ctres supérieurs g plus connus, il faut citer m@zb, mtzrrala, nl a~zmaru,
l’homme (.3zzo~firz,Jn~z, wul6’ikcz, et.c..j et. irworporés barqavzzz, savvzlzz~rraszz, zan bah, vnczïvvznn, baizzzx,
a l’ensemble des superstit.ions et, pratiques en rapport darvzzy, barlzzzt, barhivz, aslzïm.
avec. l’Islam, quoique en marge de l’orthodoxie
coranique (1). B. Les cultes et les ph&norn&nes de possession
perccpt.ibles dans de nombreuses soc.iétés musulmanes
Il importe cependant de mentionner et, de d6crire
brikvement. tleux modes d’inrocat.ion de ces ((divinités)) au nord et* au sud du Sahara, sont. part.iculiérement
respectivement différenciés par les motivations de répandus sur la frange soudano-sahélienne (3). Leurs
ctfus qui s’y livrent. diverses variantes sont. désign6es dans la région du
lac Tchad (4) sous deux appellaGons distinctives :
batlri (5) et krzrrzguma ; le premier de C:M deux
A. Le $lwnt ; ct= terme désigne une mét,.l~ode ternies est. le plus connu et, le plus frbquemment
d’invocation des jrz~zz jug+e dangereuse ~L)UI- celui qui employé, pour qualifier d’une fason gbnkale l’en-
l’emploie et destin& # satisfaire les vceux ou désirs semble des phtnoménes de possession d’un individu
de ce dernier (fortune, vengeance, amour, et.c:.). Le rjar un 0 cliahle 0 (Sa!~~ün) ou un génie (jivz) ainsi que
g6nir, dont. l’action est déclench& au pris de nom- les techniques d’esorcisme musical employées pour
breux pr¶t.ifs ainsi que de laborieuses invocations, guérir ces états.
apparait. sous des formes aussi diverses qu’effrayantes Le badri a trouvti son origine au Bayirmi, avant
(lion, serpent, abime, incendie) pour se meLtre pro- de diffuser largement parmi les populaLions kotoko et
visoirementS aux orclres de celui qui a os6 le sollicker... kavzzzri, ainsi que chez les Arabes c SzzztraB, dont la
La moindre erreur dans l’acconlplissernent des pré- zone d’habit.at s’ktend du N.-E. du Nigkria au
paratifs ou du prot.ocole de l’invocat.ion, la plus petite Rcqirmi. Son étude se heurte It de nombreuses
faute psycho!o@ze vis-&-vis du Jin entraînent. la di8icultks mét.hodologiques ; il importe en effet :
mort du sollwt.eur ou le plongent dans une folie
incurable... L’obscurité doit. St-re complète, dans une (1 j d’int,erpr&er le phénoméne dans le cadre d’une
pike soigneusement close dont. l’atmosphbre est (ou de plusieurs) civilisat.ion ;
parfumée par la combust.ion de bois odoriférants : (2) de (1traiter u les documents de nlaniére standar-
l’officiant., assis sur une nat.t.e ou une pteau de cabri (2), disée et, comparative. C’est pourquoi nous avons
tourné vers l’est., ne s’alimente que ts&s lé@rement fréquemment. évoqu6 la nécessité d’études pluridis-
(dat.tes, bouillies, g;iteaus secs) pendanl l’invocat,ion ciplinaires, ainsi que 1’opport.unit.é d’une étr0it.e c.ol-
dont. la durée varie suivant l’identité du 3ilz qui en est laboration entre les ethnologues (Cspt;aialist.es o des
l’objet-. I,es risques encourus mais aussi le suc63 et, populations comptant, des adeptes du badri-kurrr-
la puissance obt,enus sont. dits proport~ionziels à la guma (6).
(1) J. Spencer TRIMINGHAM (1949, p. 167) souligne et: fait : (1. . . the Qur’Bnic name of jinn bas spread to incorporat,e t.he
various spirits of the indigenous peoples, but the jinn of Kordofan are by no means indentical with t,ha jinn of Dongola, lat. alone
fha jimi of other Islamic countries r).
(2) Trts souvent la peau do cabri est. étal&? sur la nat.te.
(3) Nous exposeront dans une prochainr publication notre documentation relative aux cultes de possession tels qu’ils sont
pratiquCs en certains lieux du Nord-Cameroun. Nos enquBt.es sur ce sujet s’insérent, cependant plus dans une Btudr gkukale des
emprunts arabes aux cultures locales que dans une tentative de description axhaust.ive de ces ph6noménes ; on peut. regretter quo
ce passionnant thismc dc recherche n’ait fait encore au Tchad l’objet. d’aucune étude approfondie en milieu musulman;
les recherches effectuées ces dernii-res ann&es, presque exclusivement cn milieu urbain (N’djamnna), laissent & l’ethnologue
v&itsble un vaste, champ d’obscrvat.ion, t,ant dans les localitks kofoko et knnuri quo dans tout. le Ba.yirzni. Citons cependant.
pour memoire l’excellente obswvation ethno-music.ologique rkalisée par hI X,XBRWDILY (1967) dans un village kofoko.
(1) Aire d’habitat kofoko (dbpartement. du Logone et Chari, au Nord-Cameroun, yuelqucs localitks sitw?es au-delà de la
frontikre ni@riannc, ainsi que la plupart des villages situ& sur la rive droite du Chari.
- Préfecture riu Char&Bagirmi, au Tchad.
- « Ragirmiens 8, Kotoho, Knnrzri et. Arabes doivent Etre compti% parmi les adeptes les plus nombreux de cas cultes. A
N’djamena, les séances d’exorcisme rassemblsnt des groupes d’adeptes etbniquament. trts disparaks.
(5) Ba&i signifie en <iter harrna o (langue du Ra@mi) oiseau de proie, rapace. Cette sorte d’oiseau est désignCe sous le
InPme ternie dans les langues kofoko de Guffei et de Mokari. La traduction du terme Iczzrugnnm reste incertaine ; quelques
informateurs y ont vu un dérive tlu mot konuri krrrzzyzzn (reniede, médecine), d’autres l’ont. traduit dans la rn8me langue par
fi grande femme D (?).
(6) Les uns et les alitres seront. encore longtemps contrariés, t,ant. par une conception individualiste et possessive de la
recherchr sur le terrain que par In tent.ation trop fréquente, d’interpreter la realii.6 sclon lc dogme d’une idtologie préconc;~~e.
Le cult,e du btrc-lri wnst-iikze selon nous l’expression vit&, l’orgueil et>la duplicité de la plupart des Sarr@f~~
culkwelle, dynamique et dramatique des fantasmes sonf; 1~ plua souvrnt. invoqués pour expliquer (sinon
et de divers complexes d’une population ; il doit, èt.re justifier) les maux que ceux-ci dispensent aux
en partie explique par une conrepiion de la maladie humains ; les explications des t.hkrapeutes concernant
commune ti plusieurs ethnies (1) dont les croyances les caucrs de la maladie r~vélrnt- moins des fautes
relatives 4 la magie et>a la sorwellerie se sont, fondues antkrieurement~ commises par Ii1 vic.tirne c-lue des
en un amalgame culturel favoris6 et. 4 liomog6néisé 1) c occasions u ou des 0 prbt.ext.es » délihPr~ment saisis
par l’Islam. Il serait, cependant absurde de voir par les T(diables )l pour accabler l’hurnanitk : malheur
essent.iellement dans la possession d’un individu par H celui ou celle qui travrrse 4 la nage un cours d’eau
un Sng&ïrz la réaction (c nkessaire D) du corps social hahit6 par un df?mon n’aimant. rlilS les nageurs, gare
face A la transgression d’un interdit. La voie royale au voyageur qui ne fera pas un d&tour B proximité
de ce type d’explication (16gitimée il est. vrai par les d’une termitiiw dans laqurllr ri;sidr? un Szyfiirz
réalités soc.iales de nombreuses et-hnies d’Afrique reGut.é par les étrangers... Posséd6s seront: aussi les
occident.ale et équatorialr) conduit. 21 l’idée de ignorant,s qui 1:~oiront.l’eau d’une calebasse (ou d’un
4 régulat,ion soc.iale )), suggére les diverses notions quelconque réïipicnt) laissée sans couverc.le sous le
terminologiques dkignant la répression inAitution- feuillage d’un arbre frtquent,é par l’un de res fJt.res
nelle des part,icularisrnes et des initiatives inspirtes inalfaisank..
par d’autres forces que celle de la tradition. Cette
La maladie constitue donp moins la sanction d’une
thése s’appuie cert,es sur des argumenk non négli-
at.t.eint.e II l’ordre soc.ial qu’un bi.aL psycho-physiolo-
geables :
gique traumat.isant, qu’il faut soigner par les mimes
- l’investissement. d’une personne par un (( dia- et. les rythmes de l’exorcisme el, dont, il importe
ble 1)est, parfois imput.6 A la t,ransgre&on d’un inter- d’espliquer les causes @ce A la rlairvoyance cle la
dit, social et, certains Scrzr$irz peuvent ainsi ètre iya hadri (3).
occasionnellement- considérés comme des garants de Sur la pent.e d’un 4 destin 0 ident.ifit à la \-0lont.é
l’ordre et. de la déontologie des groupes humains d’AHah, le devenir de I’Atre humain reste le .jouet. de
pa.rmi lesquels ils se manifestent. (2.) ; personnalités monstrueuses niz coçassw, rarerrwnt
- il y a toujours un principe de causalit,& c.laire- h&néfiques. s’exprimant, sous les fnrrnci: et. Ics I&i-
ment d%ini, h l’origine de la possession. Les princi- tudes mult-iplw des s’nzzG!in... Uinirnsion fantasma-
pales carac.t&rist.iques « physiques 0 et (t psycholo- gorique d’une nature hostile qur l’homme affronte et
giques Ddes dkmons, les ékments de la flore arhuskive parvient, W domestiquer par les techniques de son
ainsi que les acz3dent.s g$ographiques habités par savoir...
ces derniers sont connusM de beaucoup de gens et L’ensemble des r;ympt~6mes dr lit possession (BIIO-
particulièrement cles t.hbrapeuf.es. Aussi les expli- rexie, insumnie, messages oniriques, llalli~c.ina1~ic-,ns,
cat.ions ne manquent. elles jamais pour déc.ouvrir, t.roubles psycho-moteurs) est 6t.roitement lik Zi la
après l’identification du dtryfa17 qui hahit,e le malade, notion de fbminitC : stérilité, r@les douloureuses,
les causes explicat,ives ou justificat,ives de I’agres- nouveaux-nés anorrnaux, faussrs coucthes sont. cou-
sion... ranimenI, att.rihuPs à l’action drs kzrrraf’in ; il s’agit IA
Cependant. une &ude approfondie mont.re que d’une caracttristique essentielle du buchi dont, les
l’action des démons constitue moins une dkfense de adept,es c~ornptent une grande majorité de femmes.
l’ordre établi (respec.t des inst.itutions et. des coutumes (Si les consbqurn~:ea psS(‘llo-l)‘lt,llol»giques de ces
en rapport. tant avec la chefferie politique qu’avec traumatiamrs sont, parfois at.tt!nu@esou @ries par la
les exigences de l’Islam et. de ccrt.ains rites d’origine cure, les malades dont les t.rolzhles pulmnnairt:s ou
pr&islamique) qu’unr dramatisaLion - essentielle- autres maux phydiolrrgic-lues sont soumis aux vertus
ment. féminine - de la condition humaine. L’agressi- du bcrtlri n’obt.iennent- aucun soulngement~ médicalc-
-- -
(1) Notre propos c«ncerne en fait, qutxlquessociMs dont un chiffra nntable d’individus participent. à ces manifrstai.ions et
nourissent des rapréwntations bien dBfinics du monde des %tdiables ‘3.
(2) Le yuw arabe ou kanuri dispose de certaines tec.hniqucs pour voir les diables au moment. oil ceux-ci e’inlroduisent dans
un village où ils veulent. perpétrer leurs mbfaits. 11 lui suffit. not.amment de s’appliquer qucLlqut% fragments d’escriments de chien
sur les fentes pnlpébrales ; ainsi maquilli:, il surveillera les troupeaux de chkres q”i reviennant, le soir, vers ~PU~Senclos, en regardant
à travers l’orifice d’un manctle dc hache dépourvu du fer de l’outil. Les s’au$in, marchant et dansant. parmi les animaux, lui
apparaîtront alors distinctrmrnt.
(3) Prêtresse du b(lrlri-lrzzrzzgrrmn et. organisatrice des c&Cmonies, la ign brrtlri diripc nnc congrégation de possédées.
--.
(1) Cette inadfquaiion tir diagnostic ou de prescription, n’excluant pas l’efficacité medicalc dans If iraitement d’autres
maladies (principalement. des desordres psycllo-sornat,icIurs exigeant la reinscrtion sociale do la ma1adei nous est apparur dans
une aire culturelle tri% differrnte : les gu6risseurs des zones d’habitat. rtili, gornbe, Ixryni et d’autres ethnies de la République
F’opulaire du Congo, el;~borent. leurs drogues et. decoctions en tenant compte de la bipolarite qu’ils attribuent H chaque ingrédient.
rigetal dr leur pharrnacoppte ; la plante est utiliste :
(a) soit en fonction de sa relation nmtaphysiquc avec un A’liisi si (divinil lice k la terre) OLL un 1Vkisi (designation, SOLIVCII~
pws»nnnlisPe, des inrrw qui animent l’univers).
(bj soit à cause de sa vateur médicamenteuse, esp&imentalemect connur, dans lr hilement d’uric nialwtlie particulière.
1,‘ambiguït.é. de certaines ordonnances prOvient. de l’association extrêmement. variable de ces deus types dc motivation dans
l’esprit du guérisseur.
(?.) Ceci est vrai dans le Logone et Chari ainsi que sur la rive droite du Chari, parmi les popmations couvrant une bande do
51) km do large, entre le lac et Lopnc Guna... mais ne l’est. plus en pays baguirmien. Ktr&rl/o Lianntr, notablc prospere de
Fort-Foureau où il s’est installe il y a quelques années, aprés avoir et.6 l.n’uyamrOrnt chasse dc N’djamcna pour fait. de sorcrllerio
est un Arabe connu dans tout. le depart.ement. pour sa dexteriti: au tambour et a la fldt.e. Lui ct SL4 assistants sont souvent.
sollicites de tris loin pour exercer leurs talents.
(3) (I Ils (les faux dieux) seront prccipitcs, eus et. 1~s Errants, dans la fournaise aw% en entier, les lepions d’lhlis *.
(4) Dans l’antiquitti romaine cette forme de magie nOire est prat.iquPa pour omp~cher la copulation. Dans sa 8~ bucolique,
Virgile evOque une corde $9mentis 1andis que Pline rappwtc que l’on peut s’en premunir a l’aide de graisse de loup.
veut se guérir ou se pottiger (1). Cette technique est ne parka-eant. pas la nourrit.urr de celui qu’elles
part,iculièrement illustrée par l’usage qui est fait. dc observent.. L)e subits v0missement.s interrompent. le
la sourat,e CXTII, priPre çon,juratnire qui fut., selon repas dc la victime, au moment. oil relle-ci est, affeztke
la tradition, rcivélér (2) lors d’une tentat.ive d’envofi- par le ‘CI~... La guérison de ces maux ne survient.
tement perpétrbe contre le .Proph?:t.e par un Juif de qu’” l’issue des manipulations et. théralwutiques
Médine : diverses ctnployées A cet effet: par les marabouts.
6 Dis : je me réfuqie auprbs du Seigneur de l’Aube Cependant,, l’instigateur de l’agression (délibérée ou
cont.rc lc mal do ce qu’I1 ce&, involont~aire) peut mettre un terme aux souft’rances
cont.re le mal d’une OtJSCUrit~& quand elle s’Ct.end, de sa victime en crachant k trois reprises sur le
contre le. mal de wllrr: qui soufflent sur les ncends (3), visage de cett,e dernike aprés avoir r61J6t.k aukant
et contre 113mal d’un cnviwx qui envie Y (1). de fois : knn eiiln lip? a1 zlvr]a du miruli AUah pniili
al ‘cife (si Lu aa rep ce mal dc moi, que Dieu te donne
7. - Nous mentionnernns d’autres types d’affw- la sant.6).
tion moins dus A une int.ent.ion de nuire qu’a l’(( in-
fluence de I’àme 1); par cc mot. Zbiz ..Y~lilfi~ définit. 8. - Tl est une autre force rnalbfiyue et involon-
l’origine du ‘eii ou (t v217rzzuis cd 0, cfonnu dans tout, tairenient- déclenoli~e qui s’exerce sur celui dont
le monde musulman comme un effet magiclue au s’empare la rumeur politique ou simplement. les
sujet, duquel la tradition att.ribue au propl$te le bavardages villageois animant une veillée ; elle est.
hadith suivant. : ((il n’y a rien de vrai dans le hnrn (5j ; appel& XU.GT~a-il-nas (mot,-A-mot1 : la bouche des
mais le mauvais ceil est. r6el et. les oiseaus fournissent, gens) et. détermine la nécessité de dissimuler opinions
des présages vtkidiques H. et projets de quelcpe importance. Cet. impératif est.
Définissant le <<mauvais mil )), Ibn XuZdiit7 précise illustré. par une maxime dont. la signitkation réside
que <(son effet, est, naturel t!t, inné, irrémédiable, ne dans la suptriorit,k des liens uniss&t, les frères ou
relevant. pas du libre Aois de celui dont. il est, douF: demi-frtres de inPrne nikre sur la rbc.iprocitG affective
et ne s’acqubrant point, ; dlors
*. que lrs autres intluenws de ceux qui ne sont. issus qur de méme l+re : (<dl
(de l’?tme), bien que certaines d’entre elles soient. fi b&nak mul czrnrnak, a1 ~nuraq minnak rd a.brrk... 1)
innées, leur effet, dt!pentl du libre choix de l’agent, ; (rd à mot. : f.e que t.u gardes en toi est ton fr&re
ce qui est naturel en elles, c.‘cst.la çapac.ité (de l’agent-) du ccl-6 maternel ; ce que t,ii livres est, ton frkre
de s’en servir, et non son ac.tion propre. VoilcI du c6t.é: patarncl j. Ainsi, wlui qui cloit? partir en
pourquoi celui qui tue par la magie (6) ou le don des voyage d6plokt-il sou\-fwt jusqu’b la dernilw
mirac.les (hw~Tin~1) est. puni par la princ capit,ale, minuke mille précautions pour cacher l’imrninencr
t.andis que celui qui tue par le mausais «-il, ne subit. de son dbpart-, part,iculiéremrnt s’il de trouve en
pas le rnérne chatiment. ; r.ar, la mort résultant, du milieu etranger, oil la curiosit.f! de l’entourage A son
mauvais mil ne proc6tlr pas de l’intention de l’indivi- égard et- part.ant, la jac.tance de caclui-ci se rnanifest.ent
du, ni de sa volontb, ni rn&nn de sa né;gligenc,e ; il tic maniere insist.ant.e.
y est nat~urellement. r.ont.raint, 8. (1\luqaddima, c.hap.
VIII). Cette définition c.orrespond parfaitement ans $1. - PROTECTION INDIVIDTJELLE PAR LES [Lijühfit
c.royances des Arabes (c&rran 1)clui consicl&rent mPrne
le regarcl cle la femme 03rnrne particuli~rernent. L’analyse de la not.ion de hijfih (pl. Eijiitd) dkoile
dangereux et. selon lesquels seuls les enfants non la multiplicit~é de t-echniqurs de magie dkfensive au
puhi;res sont inrapahlrs de dispenser le ‘erz. L’act!ion moyen drsquelles l’individu se protkge des agressions
du Gmauvais ceil 8 s’escrw 1~art~iculiPrement au des magiciens et. des sorciers.
moment. des repas, provenant. surtout de personnes
(1) Notons que plusieurs types dr gestes ou dc techniques ruagiqlws offrent une t.riple possibilité d’ut.ilisat.ion Eventuellement.
agressive,prc;vrnt.ivc ou curalive. CPS trois fonctions sont en fait reniplies par IP vwbc ou la pensée bien plus (lue par la forme
matérielle du talisman.
(?.) La souratr CSIV fut l’objet. dc la mi%ne rév8lation.
(3) Ccttr forme de magie est, selon le Coran, surtout pratiquk par Irs femmes.
(4) IV. Idries SHAH remarque que ceftc souratc n’est. pas sans rapport avcr, l’ancienne doctrine séniitique des ncwds cithe
dans le RlaqIu (Tablettes brfilantes) : ~1son nuwd est défait., sa sorwllerie est devenue nulle et. fous ses charmes remplissent le
dkert li, op. cit.. p. 101.
(5) a Oiseau niythiqna chrz les anciens Arabes, représentant I’Amr d’un homme mort. de mort violente, errant et criant. à la
vengeance du sang. Cri-tains l’ont idrntifi6 au hibou mâle Y (Toufy FAHD, le monde du sorcier en Islnrr~).
(6) En d@pil- dc la distinction npFrP~ par Ibn Saldfin, rapprlons que le o mauvais wil * est commurhnent conyi PII Islam
romme un eff(*t de rua@.
AldGtE ET SORCELLERIE CHEZ LE.5 ARABE.$ D’zLFRIQUE CENTRdLE 279
- -- -
(pouvoir intcirieur pwmet.tant. d’uliliser le ruessage par les yaruü~ln, de fragnirnts animaux 011minéraus
coranique & drs fins individuelles et prat.iques), kla- parfois associfk aus innombrables Bcriis et, dessins
borent des protections magique s dont. les sup1wrt.s cabalistiques composant, habituellement. les !zijtibEt)
iuatériel~ sont, aussi nombreux que variés : peaux de sont insérés dans différents types de contenants : ils
varan, de serpent ou de gazelle, cornes d’antilope et sont. enfermés dans des P,tuis de cuir fabriqués (le plus
de gazelle, plumes d’oiseau, plantes diverses, etc. souvent en peau de gazelle) par le cordonnier et. dési-
Les gestes ainsi que les modalités de créat.ion et, de gnPs sous le t.errne de IIICWU~~Z,indistinctement,
tiéc.lenc.hement du (zij’üb sont aussi très variés et appliquP; au vont-enant. et au ronkriu. Les zonrWyfl
diffëremment dénommés, indbpendamment de la sont, fréquemment. port& en masse in1portant.e dont
nature spkifique du but poursuivi (rappelons une la forme se dessine SCILISles plis du vétement... Lr
nouvelle fois que les formes gesi,uelles et matérielles t.erme yarrrr désigne une ceint,ure en peau de chkre
de nombreuses op&at.ions &$q*es peuvent ètre ou de serpent ainsi que la matérialisation rituelle
utilisées A des fins pr+vent.ives, curatives ou agres- du t.alisman qu’elle wntient..
sives lorsqu’on les assoc,ir aux divers formules et Le schkna suivant propose à titre d’exemple une
versets coraniques correspondant resPect.ivernrnt, A récapitulation des différentes cat,égories ausqurlles
ces trois finaIit.Ps) ; seul le ternie !lilab accoIlLpa~rlant, appartient un talisman et partant, les t.ermes sous
l’une des appellations suivantes évoque les fon&ons lesquels celui-ci peut, c:tt.reclésignb.
de protection et de défense :
- al drr’a : ?i la récitation d'un verset-, entmxwupée su-a
de craohotnmrnts dans les deus mains tenues ouvertes
devant, le visage, succ.èdent- des frictions de la face et.
du corps accorupagnérs de louanges & Dieu murmu- sihr
.
Ses dans de profond6 expirations ;
- al kntib : versets coraniques 6c.rit.s un certain hi’b
.
nombre de fois sur une planc.het.t~e (ICI!~) ; i’rncre
nécessaire
L & cet,te copie est recueillie dans une
calebasse aprk usage, rn6langée A du miel, du sucre
ou du fonio et bue par le consultant, (1j ;
- lt-d-.&UiClr : ensemble dr nGdic.at.ions faisant
intervenir les ca.ractbristiques ~)harrnacologiclues dfs
plantes mais ulilisant aussi les vert.us magiques de
certaines herbes ;
- a1 fclfe : quelques versets de la. Fati?m sont, ’ garru ou waraga quelconque
réc.ités lors de rencontres de départs en voyage, de \
c
retrouvailles aprk une longue séparation, d’arriwks uyda (nom spécifique du talisman
de personnages import,ant.s... h la prerniPre sourate ou du charme)
du Coran peuvent cependant. Pt.rr mêlées des sup-
pliques individuelles formulées par le frrqih dont. la
foi et la concentxat.ion spirituelle favorisent l’exauc‘r- - flijiib IMCG aburdah (c,f. photo n” 19)
ment de la pritke, celle-c.i, motivée par un but, prtkis,
parfois préctd8e ou suivie de locutions et de signes Ce [zijtib prot.ège les combattank qui en sont.
cabalistiques, adressée A Dieu par un f~yih sollicit.4 porteurs des atteint.es de leurs adversaires quelles
et. pa@ k cet. effet., devirnt, alors un lji,iüb ou, au que soient les armes emplogées par ceux-c.i. Il
Cont>raire, un moyen d’agression si la pensée de l’of% CC
refroidit o les agresseurs (le mot abrzrtiah est d6rivé
ciant est concentrée sur des malédictions et une de b@id, froid). Certains de nos informat,eurs ont.
vic.time désignée. cependant. affirmé que ce talisman ne prot-ège son
possesseur que dans les affrontemenk au corps R
- Al’rrpin : (cf. p. 2%) etc. corps et, ne lui ont reconnu qu’une moinclre efkxcitt;
Les charmes et t.alismans, dont. les d&ent,eurs cwntre les armes de jet. (Les formules qui le
doivent, port.er sur eus lrs supports mat,&rieIs (sous composent. sont. succ.es~~verllrnt traduites dans le
forme de plantes séch~&s sélectionnées et préparées sens indiqué I)aT la flèche portée sur la photographie).
(1) Ce mode d’ingestion de la force juge in1~trent.e au texte coranique (1st.frfiqurmment empIoyZ pour dévrlopper le tonus
intellectuel (rEawE hürr5 r&s : ,i ns!dican1r11t pour la ttite bl): 1’enc.w iltili&t pour ocrire 70 for,‘9 les 8 versets de la som-ate XCTV
constitue une boisson stimulant ri. nugmentanb Irs facult6s de comprhmsion.
MAGIE ET SORCELLERIE CHEZ LES ARABES
- D’AFRIQUE CENTRALE 281
2. _ Au CENTRE
._- Mu!~ammad a1 ‘a?im : Mnhomet le Grand
Ph. 22
- Mu!iarnmad Mu+ammad: Mahomet, Mahomel
- a1 ‘azï7n a1 ‘azim: Le Grand, le Grand
- hIul>ammad RIuQammad : Mahomet, Mahomet
- 3. - (cf. photo no %2)
ura 18 ?rawla wa lü quwwata illü bi-llcïhi a1 ‘aliyi ai ‘azim:
il n’y a de pouvoir et de force que ceux de Dieu le Haut Le verset 58 de la sourate XXXVI (GSalul U, leur
et le Grand. sera-k-il dit Gde la part d’un Seigneur miséricor-
- sab’a marrat: sept fois. dieux...) est couramment ut.ilisé pour la fabrication
de talismans contre les armes blanches... et les ser-
.@ijcïbd hiney a1 ?iadïd : protections contre les armes
pents ; le papier sur lequel est écrit le verset sera
blanches.
roulé et placé par le magicien dans la tige d’une
plume de canard.
1. - (cf. photo no 20)
Hijübüt hiney niaab (protections contre les flèches)
- Bismillahi-r-Rahmün ar-Rabin1
Au nom d’Allah le Bienfaiteur miskricordieux. Sagaies et lances constituent l’armement tradi-
tionnel des Arabes d’Afrique Centrale qui ignorèrent
- Fa’id a1 hadid mujarrab
L’utilitk de la u protection contre le fer * éprouvée
toujours le maniement de l’arc. L’importance de ce
-- qui huwa Allahu a-ad (1) alf yü Mu@ammad alf
fait apparaît dans les récits recueillis tant en milieu
dis, Lui Dieu est unique, 1000 fois, oh Mahomet 1000 fois
arabe qu’auprès de certains notables kotoko de Makari
- Allahu-p;amad (2) alf ya Muhammad alf
relatant les derniers engagements qui opposèrent
Dieu I’Absolu 1000 fois oh Mahomet 1000 fois au début du siècle les G&wa )) aux possesseurs
traditionnels de la terre : l’ampleur de certains succès
-- lani yalid wa larn yülad (3) alf yü Muhammad alf
il n’a pas engcndr6 et n’a pas BU engendr6 1000 fois militaires remportés par les Arabes grke & la mobilité
oh Mahomet 1000 fois de leur cavalerie fut souvent limitée par les flèches
- wa lam yakun lahu kufwan a!7ad (4) alf yü Mu$ammad alf des adversaires. Les traits, parfois empoisonnés,
et n’est Egal 4 Lui personne 1000 fois, oh Mahomet 1000 fois lancés par les Mbororo qui chaque année en saison
(l), (2). (3) ct (4) correspondent respectivement aux quatres versets dc la sourate CXII.
De haut on bas :
-- bisnai[Iuhi-r-Rrr!imtSn ar-Ra~~im
au nom d’AIlah lr: Bienfaiteur misbricordieux ;
- Ubu Sallü Allahrr ‘alB sayyidi (na) Mu?tnmmad ma cflihi
et que Dieu b&~isse notre maître Mahomet. et. les siens ;
- wn fa!zbihi uta salc?mun fasliman
et ses compagnons, le salut soit sur eux.
(1) Fonio (ou riz) écrasb, tank&, lavt, S&&I!, mHang6 dans un mortier a des clous de girofle, du sucre ou du miel, de
manii?re Z?Iobtenir une pbt.e qui est distribuïr aux enfants conviés à la criko, t6L le matin : « tn’cilrz Ieh-I-sndaqn... D.
-~-
(1) II est. intéressant. de noter que dr nombreux animaux dont des t1Pment.s physiologiques sont, utlisés pur la fabri&ion
des !?iJlïbiit «II auxquels leurs caractkristiyues font. ai tribuer une signification et. un rOle particuliers dans I’idkologie du ma$&,
sont. dot,Cs par la tradit,ion arabe pr+islamique (puis musulmane) d’un instinct. divinatoire voire prophétique. Rappelant. que l’art.
de tirer des @sages des noms (ent.endons par <C nom o la cat.bgorie ou famille A laquelle appartient un animal dans une classification
scient.ifique), des cris, du vol et des diverses particnlaritbs des oiscaux ét.aient. trés pratiquks par les Grecs et les Romains,
Toufic FAHD (1960) distingua radicxlement. oo III»& antique dc divination de la ‘iy@z (en arabe libtérnirr, cc t.erme clui indique
+ les mouvrments circulaires décrits par un oiseau qui plane et. voltige Y désigne :russi I’ornithomancie.) :
- les csractks fastes ou nkfastcs d’un oiseau ou des modalités de son comport.ement, est, dans l’anf.iquit8 grko-romaine,
indissoriable de celui de la divinitC A laqu~~lle il est consacrb; le sédcntarismr, ainsi que l’esprit de gbomkt.rie qui regissent la
c.itb, organisent I’esp:lce, localisrnt les sanctuaires et. tittrrminent aussi l’ornit.homancic de mani& rigoureuse.
- Rien que rbptmdant Pgalcmcni. à des lois fondamentales, la ‘i;@fn ne rcflete aucune rbalitr! sociale et. livre la confusion
apparente d’un syetbme, lltrit.ier de multiples traditions, dont le sens profond doit irtre partiellement extirp8 des textes assyro-
bnhylonions et des bas-reliefs de l’Arabie mGdi»nale.
(2) {non iclrntifibj.
(3) Petit vautour. Chi~rO~II:1IX~ wmmun. Nrcrosyrtrn nionuchus monuchus (Temmincli).
(4) Rubo africanns cinernscerzs Gukzin-Montville.
(5) Lepfoptihs Cr22nw1iferu.s (Lesson).
(6) non identifk
Cuh. O.R.S.T.O.M., sh. Sci. Hum., rd. -YIT‘, 1103, 1977: 2.51-288.
AZ kntG~e (la pintade commune) (1) : un jeune dans laquelle ont, mac.tiré des escréments de hyène...
enfant. auquel on donne fréquemment. du foie de Si des 1wrlement.s de hy+ne se font. entendre 2. l’ois de
pintade & manger, wra plus tard un bon coureur. suite à inlervalles réguliers, une mort SPproduira peu
~bzerzze~iq0, llblz~lwffe, d &C%*i ; ces tmJis nom rie temps aprk dans la r+gicm...
désignent le htron. Afin d’acrroitre leurs prises, les *
pêc.heurs accroc.hent. à leurs filets un talisman i *
fabriqué avec les dépouilles de cet oiseau pArheur :
aprés avoir fait l’ablat.i«n de la glande du c.ou dans Quoique fort incomplètes la description et, l’analyse
laquelle c.et éc.liassier conserve ses aliment,s, on de ces l~rocf316s d’envolitement et. de protwtion
l’incise de maniére Q c!equ’elle puisse cont.enir la t6t.e magique soulignent. les él6ment.s essentiels de notre
du héron préalablement. skhbe et. remplie de frag- propos :
ments végktaus. - le lien 6troit. unissant, conflit. et. syncrétieme,
Abu JIC&IU~ (la chauve-souris) : elle e.st utilisée pour comme nous le précisions dans une publicatiun
l’élaborat,ion d’un talisman destiné à facilit:er l’accou- antérieure concernant, les Arabes du Nord-Cameroun
chement : un foetus est prélevé sur une femelle et ( I-I~G~‘NRuCHER-S~CI~IP~NTI, 1977), ainsi qu’A l’issue
enveloppé dans un papier c.ouvert d’inscriptions d’expkrience~ de kerrain effrctukes dans uu c.adre
coraniques ; le tout est. empayuet,b, avec des herbes socio-culturel et. écologique fnrt différent (HAGEN-
séchtks, dans un lambeau de peau provenant, d’un BUCHER-S.4CRIPANT1, ICrï.S), les Sit>uations conflic-
cadavre de femme... truelles entre et,hnies ou st.ruct.urrs sociales favorisent.
Arztuydum (bic.he-cochonj (2) : ses cornes, remplies les (ctransformations 11cullurelles. Tout. anf,agonisme
d’herbes et de racines skhkes, c.onst.ituent. une pro- implique en effet adaptation, ajust.ement, à drs
tection contre les fl&ches. TA’extrémit.é d’un sabot de notions ou des techniques nouvelles.
cet animal, placé dans un étui de cuir avec la copie - Un phénoméne de fusion culturelle prbc6dem-
de quelques versets du Coran, protégera le nouveau-né. nient. &wqué, entre divers t%raents kofoko, hmzwi et.
d’une femme dont les enfants préc6dentX sont morts. arabes, ainsi que la cons&quente émergence d’une
.& badnm (chaoal ti dos brun-noiratre) (:3) : pour idéologie locale du sacré, particuli~relrIlt, percep-
vendre beaucoup et arcroitre ses bén6fic.es, le com- tible au niveau de la magie et. de la sorcellerie (il
mersant s’asseoit volontiers sur une peau de chacal ; importe de prkiser A nouveau que certains compor-
tements et. proc.êdt’s magiques c1écrit.s dans les pages
disstqué et. porté en bandoulière dans une enveloppe
de cuir, le museau rlu clwal c att.ire les cadeaux rt. précédentea ne sont, pas spécifiques des swiPtés
favorise les trouvailles fructueuses 1). riveraines du lac Tc.had et concernent, l’Islam noir
dans son ensemble).
AZ nrwalr (lièvre du Tchad) (4) : ses escr8menl.s ont - La renc.nnt.re et. l’enc.hev~trement. de données
des vertus curatives. On fait manger ses oreilles aux cukurelles appartenant, A la t.ratlit;ion arabo-musul-
chiens de chasse afin. d’accroitre leur vitesse R la mane avec des caractkristiques ethniques purement.
course. africaines. Ainsi que le souligne très just.ement.
.-II gite nimrTye (guépard) (5) : ce felin est connu Hic.hem DJAIT (1974), parler d’&olution et. d’awult,u-
pour sa féroc.ité. On fait. absorber son foie aux ration en milieu arabe, c’est, habituellement. évoquer
enfants et, aux chiens de chasse dont il est. nécessaire la douloureuse alternative d’un choix entre la persis-
de fortifier le courage. tanc.e de l’Islam et, la fidélit& au passé d’une part,, la
..4Z marfa’in (hykne t.ac;het~ée) (6) : les sorc.iers distorsion puis la disparition d’une éthique au profit
adoptent. fréquemment lu.. ‘q apparences de cet animal exclusif du proprk et, de la modernit% d’auke part,...
redouté... Cependant., une femme découvrant un Ce probllme n’est pas véritablement, posé dans le
cadavre de hykne, ne craindra pas d’enfoncer sa main champ de not.w C:t,ude; il le sera cependant. dans un
dans l’anus de la bète : elle obtiendra dès lors avenir proche et. en termes plus ambigus car il
beaucoup de beurre A l’issue de son travail quotidien imporkra R des groupe.q et des individus aflirmantS
avec, la brrxsa (7). -\fin de protéger les haricots contre leur idrntité arabe, de choisir conscienimcnt~ (sinon
les intrusions des gazelles dans le c.hamp, on les librement) entre les avant-actes d’un Pro@s techno-
asperge, a l’aide d’un balai de paille, avec de l’eau logique et. éc.ononiique inégalement. répart.is selon une
stratifkation sclcio-et.hnicfut issue d’ani,agonisnwx OUtre le IJlUS SOUVPd, d:inS les e1dxr&eS WhrelkS
séculaires (1) et la conservation d’uno etAinie, d’une des sociktBs constitnant. la frange ultime du monde
c.ultJure ainsi que d’un genre de vie arabes, cert.es arabe, au sud du Sahara et en Afrique Centrale,
traditionnels mais profondément houlevers& par un qu’un mouvement. historique, prosélyte et, liomogéne~
environnement. cukurel ht;tkrog+ne... symbole de la pérennité islamique et d’une dynamique
Le devenir de la persnnnalitf5 arabe-islamique, du changement GQ sens unique v... Ce schéma dia-
d6t,erruinc5 par le poids du temps, l’accélkxt.ion de c~lmnique ne s’applique valablement. qu’a une
l’histoire, l’avkment de l’ère industrielle et, colo- époque révolue de pénétration active, nomade et
niale, ainsi que par l’intrusion du relativisrue et du religieuse. La coruplesit.6 de cette confrontation de
pragmatisme des courants dr pensée occidentaux, cultures, la plast.icit,é de c.elles-ci ainsi yue les change-
pose un problkue trix gkkral dont. l’ampleur r&Ple ments socio-économiques survenus pendant ces
l’aspect (( marginal 0 voire 0 résiduel )) de notre sujet, dernieres années rkèlent au contmire la précarité de
tl’ét-ude... Xnthropologues et politiciens ne voient en l’identité arabe en Afrique Centrale.
Manzzscrif reczz azz Service dea Pzzblictzfions de 1’0. R.S. T.O.M. le 15 noombre 1976.
(1) La C:+PIR gkopolitique d’Afrique (et not;Lmmrnt. des zones soudano-sahclierinesj at.test.e la prise en considtrirt.iun vuire
l’esplutt.:ltion de. ces antagonismes traditionnc~la & l'kp«c~ue coloniale.. Ellr r+&tr RuSSi l’inst.auratioLl post-cotoILi:itr Ht- k d+Xebppe-
ment, parmi 10s rcsponsablrs ~“i~‘~r~~e”i”ntaLLs, d’att.itudes individuelles et de politiqncs nat.ionales <janti-nomades a). Il no non8
appartient pas d’exposer ici les fondements historiques et. psychologiqurs de ces orientations non plus que les prbtexks t.ant
socio-économiques qu’administrat.ifs habituellement invoqui:s pour les just.ifier...
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