Eva,+Maja+Tomšič
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Résumé
L’écriture des Récits des hommes libres d’Hamadi peut être considérée comme un acte his-
torique, notamment dans le cadre de la littérature berbère qui, dans les pays de son ori-
gine, reste essentiellement orale et qui risque de disparaître. Avant d’aborder la création
ou bien les caractéristiques du recueil de contes berbères écrit par Hamadi, il convient
de présenter le lien étroit entre la littérature berbérophone et la question culturelle
des Berbérophones. En dehors des Récits des hommes libres, la littérature berbérophone
contemporaine, en train de se développer, lutte pour la préservation de l’héritage litté-
raire des Berbères et pour la connaissance de cette littérature au plus vaste public. Par
ailleurs, les contes merveilleux, faisant partie d’une longue tradition orale, dépendent
avant tout de la mémoire et de la narration éphémère de celui qui les raconte. Dans
le procédé de la mise à l’écrit, Hamadi a passé, avec expertise, par la traduction pour
pouvoir écrire les contes, recueillis en tamazight, en français. Les Récits des hommes libres
réflettent tant l’oralité et des caractéristiques de l’héritage littéraire des Berbères que
la créativité artistique d’Hamadi. Grâce à leur richesse poétique, ces contes, adaptés
à l’époque moderne, transmettent « la conception de la vie propre aux Imazighènes »
(Hamadi, 1998 : 9) et l’émotion suscitée par la narration originale en berbère.
Mots clés : Berbères, tradition orale berbère, conte merveilleux, Récits des hommes libres,
Hamadi, écriture des contes berbères.
mémorisée presque phrase par phrase ou mot par mot. De l’autre côté, une nar-
ration en public ne peut jamais être identique à la narration précédente. Faisant
partie d’une tradition orale, les contes berbères sont constamment soumis à des
changements (Bastin 1991). Ils ont subi et subissent encore une évolution à travers
le temps et à travers différentes régions. D’ailleurs, cette littérature connaîtrait de
grandes pertes au cours de l’histoire. (Encyclopédie Larousse). Malgré des change-
ments évolutifs, la masse des contes berbères a des caractéristiques persistantes et
reconnaissables. (Encyclopédie Larousse) De plus, l’originalité des contes berbères
provient directement du phénomène de la performance. Le rôle des conteurs est
essentiel dans la diffusion et la (trans)formation des contes. Ce sont les conteurs,
qui contribueraient aux caractéristiques spécifiques des contes concernant le do-
maine de la thématique, de la narration et de la culture. (Bounfour, 1994)
Par ailleurs, il existe des contraintes dans la diffusion des littératures berbères en
Afrique du Nord (dans les pays où il sont le plus diffusées). D’abord, la majorité des
textes se transmettent encore à l’oral par des conteurs, des chanteurs ou des médias,
etc. Il existerait encore des conteurs de villages et les contes seraient normalement
racontés auprès du feu domestique. La tradition orale des Berbères se transmet
aussi lors de fêtes, de rites (notamment les chants), etc. Cette transmission est nor-
malement accompagnée de la réaction ou de l’intervention directe de l’auditoire.
La production reste surtout locale, ce qui serait dû aussi à des obstacles linguis-
tiques. Ainsi, la réception des œuvres littéraires en berbère dépend essentiellement
de la voix (dans les régions berbères d’Afrique du Nord). (Galand-Pernet, 1998 :
11-38) En outre, la langue berbère connaît un grand nombre de variétés selon
les régions et même selon des groupes de berbérophones assez restreints. Il faut
mentionner qu’une langue littéraire commune à tous les Berbères n’existerait pas. Il
s’agirait plutôt des langues littéraires régionales qui diffèrent, d’ailleurs, du langage
quotidien. On connaît quelques langues littéraires berbères, par exemple celle de
Kabylie. Cela représente un problème dans la diffusion de la littérature écrite ber-
bère, malgré une certaine inter-compréhension et un sentiment de familiarité entre
différentes régions berbérophones. (Galand-Pernet, 1998 : 11)
Les textes écrits ne représentent qu’une partie infime de la production lit-
téraire berbère. Concernant la littérature écrite en berbère, ses débuts remon-
teraient à l’introduction de l’Islam dans les pays berbères. Il est question avant
tout de textes de religion, de traités promouvant la religion musulmane, de livres
sacrés d’hérétiques, de chroniques historiques, de traductions d’ouvrages du droit
arabe. (Basset, 1920 : 64-66). Au Moyen Âge, les textes d’historiens berbères re-
présentaient une source d’informations importante sur des traditions de tribus,
par exemple (ibid. : 69). Concernant la littérature écrite, ils sont attestées des
productions abondantes et variées des Ibadites (entre les VIIIe et XVIe siècles)
et des Chleuhs. (ibid. : 75) En effet, les documents historiques témoignant de
Il y avait et il y avait
Il y avait partout le basilic
Et partout le lys.
En outre, les phrases dans ces contes merveilleux sont souvent assez longues.
Considérons par exemple le cas du dernier paragraphe ou bien de la conclusion de
l’histoire de l’homme trahi :
On dit que le roi lui trouva une autre femme. Quel celle-ci non plus ne lui
donna pas d’enfant, qu’il s’arrangea pour la faire écarteler et qu’il vécut mari
trompé jusqu’à fin de ses jours car, comme disent les anciens, il était de ces
hommes qui jamais ne comprennent qu’il faut aimer pour être aimé ! (Hama-
di, 1998 : 80)
Cette dernière phrase complexe est caractérisée par l’ironie. De plus, il semble
que sa longueur fait rappeler la narration d’un conteur en public (vu le manque de
longues pauses entre les propositions).
En dehors des longues phrases complexes que nous venons de mentionner,
la narration de ces récits peut devenir assez concise. Il est question de phrases
simples et assez courtes qui sont juxtaposées. Grâce à un rythme ralenti de la nar-
ration, ces phrases contribuent à un effet de gradation dans le récit. Elles figurent
normalement dans des situations assez intenses.
En outre, il y a la répétition de certains ensembles de mots. Celle-ci est nor-
malement liée à la répétition concernant l’histoire d’un conte. Cette narration
cyclique est bien évidente, par exemple, dans le deuxième conte du recueil, dans
l’histoire de Lalla Aïcha et de Mohammed le Bien-Nommé (Hamadi, 1998 : 33).
Ces deux personnages reprennent la même conversation, mot à mot, plusieurs
fois au cours du récit. Non seulement que la répétition sert probablement à mieux
mémoriser le contenu à un narrateur ou à un public, mais elle contribue aussi à
l’effet de gradation. Considérons ensuite le cas d’une réplique du personnage de
Shtim Shlim qui voulait apprendre « toutes » les sciences existantes : « La science des
étoiles, la science des terres et la science des mers. » (ibid. : 61) L’emploi des pronoms
personnels ou des noms propres est assez fréquent au cours des récits.
Le vocabulaire de ces récits semble être assez simple (« l’absence lui était plus
légère ») (ibid. : 12) et c’est l’intrigue ou l’action qui est mise en avant. D’un autre
côté, les récits sont enveloppés d’un style d’expression assez poétique. C’est notam-
ment le cas de formules d’introduction et de conclusion, d’autres expressions de
métaphore, de comparaison et d’allégorie. Évoquons aussi l’emploi récurrent de
la personnification : « ... leurs oliviers donnaient des olives ... » À la gradation, que
nous avons déjà mentionnée, s’ajoute souvent l’exagération. Celle-ci accompagne
des phénomènes magiques, par exemple. D’ailleurs, elle est évidente dans de longs
titres de contes. En effet, la narration est pleine de termes ayant une note connota-
tive prédominante (« Leurs deux maisons étaient collées l’une à l’autre. ») (ibid. : 11)
et pleine d’ironie, de vivacité et d’espièglerie.
Au bout du compte, dans Récits des hommes libres, Hamadi a traduit et transcrit
en français des contes berbères tout en transmettant leur capacité de toucher le
public. Ces contes, publiés en France, destinés aux lecteurs francophones, sont
maintenant confrontés avec un univers différent, où une éventuelle narration à
haute voix se passera, probablement, dans un cercle plus intime d’auditeurs. Le
charme de ce recueil se trouve dans le fait que, même à l’écrit, ces contes suggèrent
qu’il sont racontés à plusieurs personnes, dans les pays berbérophones ; grâce au
style d’écriture d’Hamadi, la narration de ces contes à haute voix pourrait devenir
un événement collectif dans le monde francophone aussi.
Par ailleurs, il est presque impossible de confirmer l’authenticité de ces contes.
Dans notre cas, une necessité de confiance s’impose, une confiance liant le nar-
rateur et son public, que ce soit un auditeur ou un lecteur. De plus, il faut recon-
naître l’importance de la mémoire des conteuses berbères dans la transmission et
la conservation de leur tradition orale. Bien que la tradition narrative dans les pays
berbères exige une préservation stricte de la forme et du contenu, de génération en
génération, différents conteurs et auditoires contribuaient à la variation des contes
traditionnels berbères, perceptible notamment d’un point de vue diachronique.
On pourrait supposer que dans le futur, même les contes retranscrits par Hamadi
n’échapperont pas au pouvoir de l’évolution.
BIBLIOGRAPHIE
I.
Hamadi (1998) : Récits des hommes libres : Contes berbèes. Paris : Éditions du Seuil.
II.
Barthes, Roland (1953) : Le degré zéro de l’écriture (suivi de Éléments de sémiologie).
Paris : Éditions du Seuil.
Basset, Henri (1920) : Essai sur la littérature des Berbères. Alger : Ancienne maison
Bastide-Jourdan Jules Carbonel. URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt-
6k6540849h/f449.image.r=litterature%20berbere
Bastin, L. : Hamadi, conteur des Mille et Une Nuits (interview). Le Soir. 1991. URL :
http://www.lesoir.be/archive/recup/%25252Fhamadi-conteur-des-mille-et-une-
nuits_t-19910105-Z03GMQ.html
Bounfour, A. ; Merolla, D. : Contes. Encyclopédie berbère, 14 | Conseil – Danse. Mis
en ligne le 01 mars 2012. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/2324
Camps, Gabriel (1996) : I berberi : Dalle rive del Mediterraneo ai confini meridionali
del Sahara. Milan : Jaca Book.
Maja Tomšič
Université de Ljubljana, Slovénie
[email protected]
Ključne besede: Berberi, berbersko ljudsko izročilo, Récits des hommes libres, Hamadi,
zapis berberskih pripovedi.
The Passage from the Oral to the Written Tradition in Récits des
hommes libres, Hamadi
The article presents the process of writing and the historical significance of Récits des
hommes libres by Hamadi, a collection of Berber traditional tales. Before addressing the
characteristics of this collection, we’ll explain a close connection between the Berber liter-
ature and its cultural question. The modern Berber literature struggles to preserve its cul-
tural heritage. Furthermore, the Berber tales, as part of a long oral tradition, depend above
all on the memory of local storytellers and their audience. When writing down Berber
tales, that Hamadi had collected in northern Morocco, he translated them from a Berber
language to French. Récits des hommes libres reflect a certain orality, characteristics of the
Berber storytelling tradition and Hamadi’s creativity. Thanks to a rich poetic expression,
these tales, adapted to our modern times, transmit the emotion probably evoked by the
original storytelling in Berber language.
Key words: Berbers, Berber oral tradition, tales, Récits des hommes libres, Hamadi, the
writing of Berber tales.