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Le passage de l’oral à l’écrit dans Récits des hommes libres, Hamadi 91

ACTA NEOPHILOLOGICA UDK: 821.413-34.09


DOI: 10.4312/an.51.1-2.91-101

Le passage de l’oral à l’écrit dans Récits


des hommes libres, Hamadi
Maja Tomšič

Résumé
L’écriture des Récits des hommes libres d’Hamadi peut être considérée comme un acte his-
torique, notamment dans le cadre de la littérature berbère qui, dans les pays de son ori-
gine, reste essentiellement orale et qui risque de disparaître. Avant d’aborder la création
ou bien les caractéristiques du recueil de contes berbères écrit par Hamadi, il convient
de présenter le lien étroit entre la littérature berbérophone et la question culturelle
des Berbérophones. En dehors des Récits des hommes libres, la littérature berbérophone
contemporaine, en train de se développer, lutte pour la préservation de l’héritage litté-
raire des Berbères et pour la connaissance de cette littérature au plus vaste public. Par
ailleurs, les contes merveilleux, faisant partie d’une longue tradition orale, dépendent
avant tout de la mémoire et de la narration éphémère de celui qui les raconte. Dans
le procédé de la mise à l’écrit, Hamadi a passé, avec expertise, par la traduction pour
pouvoir écrire les contes, recueillis en tamazight, en français. Les Récits des hommes libres
réflettent tant l’oralité et des caractéristiques de l’héritage littéraire des Berbères que
la créativité artistique d’Hamadi. Grâce à leur richesse poétique, ces contes, adaptés
à l’époque moderne, transmettent « la conception de la vie propre aux Imazighènes »
(Hamadi, 1998 : 9) et l’émotion suscitée par la narration originale en berbère.

Mots clés : Berbères, tradition orale berbère, conte merveilleux, Récits des hommes libres,
Hamadi, écriture des contes berbères.

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La culture berbérophone est assez hétérogène, dont témoigne sa dispersion géo-


graphique et ses différences concernant ses modes de vie, sa position sociale et ses
versions linguistiques. (Galand-Pernet, 1998 : 5). En effet, les Berbères seraient
les premiers à occuper le territoire de l’Afrique du Nord. Leur présence est attes-
tée même avant la conquête musulmane et remonterait à l’époque préhistorique.
(Berthier, 1947) En dehors des berbérophones émigrés en Europe ou ailleurs, les
berbérophones d’Afrique seraient répartis entre huit états : Maroc, Algérie, Tuni-
sie, Libye, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso (ibid. : 8).
Au Maghreb, la langue berbère est considérée notamment comme un dialecte
ou comme une langue seconde. L’arabe serait encore la seule langue nationale,
la langue officielle ou bien la langue « de maîtrise du social, du politique et du
culturel » (Fares, 1987). En conséquence, la culture, la littérature des Berbères
semblent être assez dispersées et risquent de disparaître. (Camps, 1996 : 62-64)
Aujourd’hui, il existe au Maghreb un mouvement des berbérophones revendi-
quant une politique multiculturelle et reconnaissant leur existence dans la société.
Tout cela témoigne du fait qu’une identité transnationale berbère soit de plus en
plus affirmée. Les berbérophones lettrés, débarrassés d’un complexe d’infériorité,
sont de plus en plus nombreux dans la défense de leur langue maternelle. (Ga-
land-Pernet, 1998 : 11-38)
La littérature berbère est essentiellement orale. L’héritage de la littérature orale
des Berbères est abondant et se transmet de génération en génération. (Encyclo-
pédie Larousse) Cette tradition orale connaît avant tout les contes merveilleux, les
contes d’animaux, les contes satiriques ou plaisants, les récits moralisateurs et les
légendes hagiographiques. (Bounfour, 1994) Concernant les contes merveilleux,
il est difficile de déterminer leur origine. La tradition orale des Berbères est assez
ancienne, elle refléterait même des influences de la mythologie de l’Antiquité,
mais aussi des éléments de contes merveilleux de l’Europe occidentale (Basset,
1920 : 114) et de la tradition orientale. (Hamadi, 1998, 36) En outre, il existe
beaucoup de contes berbères qui ne refléteraient aucune influence thématique des
contes d’autres pays ou civilisations traitant aussi de thèmes préhistoriques.
Les contes merveilleux berbères seraient racontés par les femmes, non par les
hommes. Souvent, les auditeurs se réuniraient autour du foyer et l’histoire com-
mencerait. Il serait interdit de raconter ces contes pendant la journée, car cela
apporterait mallheur, d’après une croyance ancienne. (Basset, 1920 : 101-105)
Au Maroc, les conteurs, c’est-à-dire des hommes, raconteraient d’autres types de
contes en plein air, « sur les places et les marchés. » Ceux-ci transmettraient la tra-
dition orale ainsi que certains modes d’expression, comme par exemple « l’épopée,
le chant, les devinettes, les proverbes » (Bastin, 1991).
La littérature orale dépend notamment de la mémoire des conteurs. D’un côté,
un conteur ou une conteuse berbérophone raconte normalement une histoire

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mémorisée presque phrase par phrase ou mot par mot. De l’autre côté, une nar-
ration en public ne peut jamais être identique à la narration précédente. Faisant
partie d’une tradition orale, les contes berbères sont constamment soumis à des
changements (Bastin 1991). Ils ont subi et subissent encore une évolution à travers
le temps et à travers différentes régions. D’ailleurs, cette littérature connaîtrait de
grandes pertes au cours de l’histoire. (Encyclopédie Larousse). Malgré des change-
ments évolutifs, la masse des contes berbères a des caractéristiques persistantes et
reconnaissables. (Encyclopédie Larousse) De plus, l’originalité des contes berbères
provient directement du phénomène de la performance. Le rôle des conteurs est
essentiel dans la diffusion et la (trans)formation des contes. Ce sont les conteurs,
qui contribueraient aux caractéristiques spécifiques des contes concernant le do-
maine de la thématique, de la narration et de la culture. (Bounfour, 1994)
Par ailleurs, il existe des contraintes dans la diffusion des littératures berbères en
Afrique du Nord (dans les pays où il sont le plus diffusées). D’abord, la majorité des
textes se transmettent encore à l’oral par des conteurs, des chanteurs ou des médias,
etc. Il existerait encore des conteurs de villages et les contes seraient normalement
racontés auprès du feu domestique. La tradition orale des Berbères se transmet
aussi lors de fêtes, de rites (notamment les chants), etc. Cette transmission est nor-
malement accompagnée de la réaction ou de l’intervention directe de l’auditoire.
La production reste surtout locale, ce qui serait dû aussi à des obstacles linguis-
tiques. Ainsi, la réception des œuvres littéraires en berbère dépend essentiellement
de la voix (dans les régions berbères d’Afrique du Nord). (Galand-Pernet, 1998 :
11-38) En outre, la langue berbère connaît un grand nombre de variétés selon
les régions et même selon des groupes de berbérophones assez restreints. Il faut
mentionner qu’une langue littéraire commune à tous les Berbères n’existerait pas. Il
s’agirait plutôt des langues littéraires régionales qui diffèrent, d’ailleurs, du langage
quotidien. On connaît quelques langues littéraires berbères, par exemple celle de
Kabylie. Cela représente un problème dans la diffusion de la littérature écrite ber-
bère, malgré une certaine inter-compréhension et un sentiment de familiarité entre
différentes régions berbérophones. (Galand-Pernet, 1998 : 11)
Les textes écrits ne représentent qu’une partie infime de la production lit-
téraire berbère. Concernant la littérature écrite en berbère, ses débuts remon-
teraient à l’introduction de l’Islam dans les pays berbères. Il est question avant
tout de textes de religion, de traités promouvant la religion musulmane, de livres
sacrés d’hérétiques, de chroniques historiques, de traductions d’ouvrages du droit
arabe. (Basset, 1920 : 64-66). Au Moyen Âge, les textes d’historiens berbères re-
présentaient une source d’informations importante sur des traditions de tribus,
par exemple (ibid. : 69). Concernant la littérature écrite, ils sont attestées des
productions abondantes et variées des Ibadites (entre les VIIIe et XVIe siècles)
et des Chleuhs. (ibid. : 75) En effet, les documents historiques témoignant de

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la littérature écrite en berbère seraient rares. La recherche des manuscrits se


poursuit. Une grande partie des anciens textes en berbère serait encore à trouver.
(Galand-Pernet, 1998 : 11-38)
Aujourd’hui, la lecture des textes berbères ne serait pas encore une activité
courante dans les pays berbérophones. Ainsi, on assiste à un effort important, à
travers l’Afrique du Nord, de la mise à l’écrit de la littérature berbère. De nos jours,
on assiste à l’édition de romans, de nouvelles, de poèmes contemporains et de
nouvelles éditions d’œuvres anciennes. Les jeunes générations d’écrivains berbéro-
phones tendraient à franchir les limites anciennes de la littérature, concernant des
aires, des états différents et des règles anciennes strictes de la poésie et de la prose
(des règles concernant le vocabulaire et les procédés rhétoriques). (Galand-Pernet,
1998 : 11) Les auteurs berbérophones semblent être intéressés notamment par
l’actualisation des thèmes issus des contes, des mythes berbères anciens. Il est
question de la modernisation de la littérature berbère qui entre maintenant aussi
dans le domaine du théâtre. (Bounfour, 1994) Le rôle clé de celui-ci est évident,
par exemple, en Kabylie où depuis les années 1980 le théâtre aide à ouvrir la voie
aux œuvres littéraires modernes. Les jeunes générations d’auteurs et de chercheurs
berbérophones essayent de contribuer à l’unification (transnationale) de la langue
tamazigt. Ils s’appliquent à la promotion de cette langue. Depuis ces dernières dé-
cennies, les berbérophones à travers le monde cherchent à enrichir et à moderniser
les langues locales. (Galand-Pernet, 1998 : 11-38)
Passons maintenant au public occidental ou bien au public francophone qui
peu accéder à la littérature berbère notamment à travers des œuvres (littéraires)
publiées à l’écrit. Il y a aussi d’autres possibilités d’accès à la littérature berbère -
des émissions télévisées et des spectacles théâtraux ou des narrations de contes en
public (lors des festivals, par exemple). (Galand-Pernet, 1998 : 11-38) En dehors
de la poésie, le conte serait le genre narratif le plus étudié dans ce domaine. En
effet, il en existe de nombreux recueils et études. (Bounfour, 1994) L’intérêt pour
la littérature des Berbères serait assez récent. Ce n’est qu’au XIXe siècle que se
publieraient les premiers témoignages des littératures berbères. (Galand-Pernet,
1998 : 11-38) Les recherches les plus récentes (depuis les années 1980) seraient
centrées notamment sur le texte littéraire lui-même, la poésie, l’histoire de la
transmission et les variantes textuelles. (ibid.)
Hamadi El Boubsi a recueilli et écrit des contes berbères dans le recueil Récits
des hommes libres : Contes berbères (1998). Il est connu notamment en tant que co-
médien, conteur, écrivain, dramaturge, chanteur et metteur en scène. Il est né au
Maroc en 1958 et vit en Belgique depuis son enfance. (Bastin, 1991) En dehors
de ses pièces de théâtre, il a publié par exemple les œuvres suivantes : Visages et
Autres Séismes (recueil de poèmes), Le Chauve Pouilleux (conte), Les Fous : Récits de
sagesse et de folie, Les Amants : Récits d’amour et de haine, Les Errants : Récits d’exil et

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d’errance. Il a aussi contribué à l’enregistrement de chants berbères : Le Fleuve au


Nom de Femme et Le Chant de la Terre. (Hamadi, 1998)
Entre les années 1980 et 1986, dans le Nord du Maroc, il a recueilli une vaste
collection d’œuvres de tradition orale (notamment des contes, des proverbes, des
chants). Il a ensuite publié quelques recueils de contes, parmi lesquels Récits des
hommes libres. (Hamadi : « On porte un ailleurs en soi », 2008) Le recueil Récits des
hommes libres a été publié par les Editions du Seuil, à Paris, en 1998, dans la collec-
tion intitulée La mémoire des sources. Dans la préface, Hamadi présente son chemin
de la création du recuil. Il s’agit d’une collecte de contes qu’il a rassemblés « en
langue tamazight auprès de conteuses de la tribu des Aït Touzine du nord-est du
Maroc. » (Hamadi, 1998 : 9)
De nos jours, par exemple au Maroc, le public visé de ces contes merveilleux
seraient les enfants, les adolescents et les femmes (Bastin, 1991). Il faut savoir que
la fonction de ces contes berbères ou du message qu’ils transmettent est avant
tout une fonction cohésive (Galand-Pernet, 1998 : 11-38). Ils visent à toucher et
à susciter une réaction du public qui s’y reconnaît. Il s’agit d’une manifestation
à l’oral et en public qui fait, entre autres, renforcer les valeurs culturelles au sein
d’un groupe berbérophone. En outre, ces contes ont aussi une fonction esthétique
émouvant le destinateire, le persuadant, lui procurant un plaisir, etc. (ibid.)
Dans notre cas, le contexte semble être un peu différent. Le recueil de contes,
Récits des hommes libres, serait destiné à tous, aux enfants et aux adultes, aux femmes
et aux hommes. Vu l’inégalité dans le monde berbère et ailleurs, entre les hommes
et les femmes, et aussi l’inégalité entre les pauvres et les fortunés, Hamadi consi-
dère le conte comme « une parole subversive de femme ». (Bastin, 1991) Dans
le monde actuel où la langue et la culture des Berbères sont envisagées comme
minoritaires ou même inférieures par les autorités, la publication de ce recueil
de contes semble être un acte de rebellion. Un acte historiquement important qui
lutte contre la disparition de la tradition orale berbère et qui fait appel à la recon-
naissance de la multiculturalité. En outre, cette œuvre littéraire peut contribuer
à une plus grande considération et estimation des auteurs issus de l’immigration
en Europe, par exemple. En outre, Hamadi explicite que c’est notamment l’émo-
tion que les contes sont censés transmettre au public. Il exprime le désir de faire
réagir l’auditoire et de le toucher. (Bastin 1991) Récits des hommes libres semblent
être destinés à être lus à haute voix à un auditoire. Ils présentent d’un côté des
histoires universelles capables de toucher aussi un public qui serait moins familier
avec la culture ou l’histoire du monde berbère. De l’autre côté, ils reflètent « une
conception de la vie propre aux Imazighènes » (Hamadi, 1998 : 9) et l’originalité
de la tradition orale des Berbères.
Il faut préciser que ces contes rappellent bien la différence entre la tradition
littéraire occidentale (essentiellement écrite) et la tradition littéraire berbère (au

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moins pour le moment, principalement orale) en Afrique du Nord. La tradition


orale est caractérisée par une inconstance. La narration à l’oral est un événement
collectif éphémère et toujours unique. Au contraire, la version écrite des contes est
inchangeable et durable. Elle contribue à la diffusion de la littérature à un public
plus grand et éloigné du lieu de sa création. À l’écrit, les contes, issus d’une tradi-
tion orale, sont normalement créés par un auteur qui en avait choisi ou bien qui
en propose une seule version. En outre, le contexte différent de la réalisation, de
l’écriture d’un conte, influence les caractéristiques de style que l’auteur choisit. Il
doit maintenant tenir compte de la mise en page, de la ponctuation, entre autres,
afin d’essayer de transmettre le rythme de la narration et de provoquer une cer-
taine émotion ou réaction auprès du public. (Bastin 1991)
Dans son processus de l’écriture de Récits des hommes libres, Hamadi a dû passer
par la traduction : la traduction du tamazight en français. Ce n’est pas une traduc-
tion littérale des contes berbères (accompagnée de notes ethnographiques), mais
un recueil lisible et achevé au niveau du style. Hamadi a transmis dans le texte en
français l’émotion suscitée par la narration en berbère, ainsi que le coloris culturel
des Berbères. D’un autre côté, il a adapté le texte à l’époque moderne et au public
visé, au public francophone (en tenant compte de ses connaissances acquises),
même si en général on risque ainsi de perdre une certaine richesse poétique de
l’expression originelle.
Les contes berbères dépendraient notamment de celui qui les raconte et de
l’époque dans laquelle ils sont racontés (Bastin, 1991). Dans le recueil Récits des
hommes libres, Hamadi a conservé la forme et le contenu des contes qu’il a ras-
semblés (ibid.). Sa fidélité à la tradition orale des Berbères est percevable aussi
dans sa propre trace artistique – conformément à la tradition établie, il semble
incarner le rôle d’un conteur. Ce conteur est dans notre cas un narrateur de mots
à l’écrit. En tant qu’écrivain, Hamadi semble envelopper ce recueil de contes
de son propre style d’écriture. Il est connu que « sous le nom de style, se forme
un langage autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et se-
crète de l’auteur » (Barthes, 1953 : 14). Issus de la tradition orale des Berbères,
les contes d’Hamadi se caractérisent, même à l’écrit, par un style assez oral. Il
semble que, mis à l’écrit, ils rappellent la narration éphémère en public, proposée
par un conteur. La narration de ceux-ci est, par exemple, caractérisée par des
commentaires du narrateur, tel que le commentaire suivant : « Bien des conteurs
vous le diront aussi ... » (Hamadi, 1998 : 11).
En outre, l’une des caractéristiques principales des contes berbères sont les
formules d’introduction et de conclusion. Elles proviennent d’une croyance an-
cienne : raconter les contes merveilleux serait un acte dangereux. Autrefois, ces
formules avaient le pouvoir magique de chasser les mauvais génies. (Basset, 1920 :
105-110) Il s’agit de formules qui ne sont plus efficaces aujourd’hui, mais dont la

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forme se transmet encore. (Encyclopédie Larousse) Il existe une grande variété de


ces formules à travers différentes régions berbérophones. Les plus importantes,
dans l’expulsion du mal, seraient les formules finales, nombreuses en Berbérie.
Leur rôle primordial serait de séparer le narrateur du contenu et des personnages
évoqués. Ensuite, les formules finales serviraient au narrateur à pouvoir confirmer
la réalité de l’histoire qu’il vient de raconter (Basset, 1920 : 107-109).
Les débuts et les fins des contes rédigés par Hamadi ne semblent pas être de
vraies formules, par lesquelles commence normalement la narration d’une conteuse,
au Maghreb. Les contes d’Hamadi commencent différemment, sans aucune al-
lusion aux forces surnaturelles ou aux mauvais esprits. Ainsi, il y a souvent par
exemple des récits commençant par une ou plusieurs phrases introductives et une
ou plusieurs phrases conclusives. Les premières présentent normalement le temps
de l’action du récit, qui est toujours très éloigné de l’époque de la narration. Les
secondes, par contre, servent à conclure l’histoire, ils évoquent habituellement la
situation finale. D’un autre côté, certains contes dans le recueil proposé par Hamadi
sont introduits par un court poème. Un lecteur qui n’est pas assez familier avec la
littérature berbère pourrait se poser différentes questions : S’agit-il d’un fragment
d’un poème plus long ou de vers inventés par Hamadi lui-même ? ; Les-a-t-il ajou-
tés librement ou faisaient-ils déjà partie du conte ? Ces vers, sont-ils destinés à être
chantés (et par qui) et quelle serait leur éventuelle mélodie ? Si ces questions restent
ouvertes, une partie relativement imporante du contexte et du message culturels se
perd. Il est connu que l’une des obstacles évidentes concernant la compréhension
d’un texte écrit réside dans le fait que le sens soit moins évident à l’écrit que dans
un message exprimé à l’oral. Un conte écrit ne révèle pas les circonstances dans les-
quelles il a été raconté. (Lederer, 1994 : 18) Ce que l’on peut constater dans notre
cas, c’est que les vers, dont nous sommes en train de parler, portent une significa-
tion évidente qui est étroitement liée au contenu du récit qui les suit. Considérons
par exemple les vers évoquant le basilic que l’héroïne Lalla Aïcha est en train de
« soigner » (Hamadi, 1998 : 34). Ce poème invite le lecteur à découvrir que les
contes berbères, notamment ceux racontés par les hommes, seraient accompagnés
de chants et de poèmes (ainsi que de la danse et de la jonglerie). (Bastin, 1991)
En outre, les formules d’introduction seraient normalement composées de phrases
rythmées, rimées et chantées (Encyclopédie Larousse). Ensuite, le style poétique de
ces vers ne semble pas être complexe. C’est un style libre, il n’y a pas de rimes. Il y
a pourtant une répétition qui contribue aux caractères mélodique et rythmique du
poème. Voici la version française du poème :

Il y avait et il y avait
Il y avait partout le basilic
Et partout le lys.

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En outre, les phrases dans ces contes merveilleux sont souvent assez longues.
Considérons par exemple le cas du dernier paragraphe ou bien de la conclusion de
l’histoire de l’homme trahi :

On dit que le roi lui trouva une autre femme. Quel celle-ci non plus ne lui
donna pas d’enfant, qu’il s’arrangea pour la faire écarteler et qu’il vécut mari
trompé jusqu’à fin de ses jours car, comme disent les anciens, il était de ces
hommes qui jamais ne comprennent qu’il faut aimer pour être aimé ! (Hama-
di, 1998 : 80)

Cette dernière phrase complexe est caractérisée par l’ironie. De plus, il semble
que sa longueur fait rappeler la narration d’un conteur en public (vu le manque de
longues pauses entre les propositions).
En dehors des longues phrases complexes que nous venons de mentionner,
la narration de ces récits peut devenir assez concise. Il est question de phrases
simples et assez courtes qui sont juxtaposées. Grâce à un rythme ralenti de la nar-
ration, ces phrases contribuent à un effet de gradation dans le récit. Elles figurent
normalement dans des situations assez intenses.
En outre, il y a la répétition de certains ensembles de mots. Celle-ci est nor-
malement liée à la répétition concernant l’histoire d’un conte. Cette narration
cyclique est bien évidente, par exemple, dans le deuxième conte du recueil, dans
l’histoire de Lalla Aïcha et de Mohammed le Bien-Nommé (Hamadi, 1998 : 33).
Ces deux personnages reprennent la même conversation, mot à mot, plusieurs
fois au cours du récit. Non seulement que la répétition sert probablement à mieux
mémoriser le contenu à un narrateur ou à un public, mais elle contribue aussi à
l’effet de gradation. Considérons ensuite le cas d’une réplique du personnage de
Shtim Shlim qui voulait apprendre « toutes » les sciences existantes : « La science des
étoiles, la science des terres et la science des mers. » (ibid. : 61) L’emploi des pronoms
personnels ou des noms propres est assez fréquent au cours des récits.
Le vocabulaire de ces récits semble être assez simple (« l’absence lui était plus
légère ») (ibid. : 12) et c’est l’intrigue ou l’action qui est mise en avant. D’un autre
côté, les récits sont enveloppés d’un style d’expression assez poétique. C’est notam-
ment le cas de formules d’introduction et de conclusion, d’autres expressions de
métaphore, de comparaison et d’allégorie. Évoquons aussi l’emploi récurrent de
la personnification : « ... leurs oliviers donnaient des olives ... » À la gradation, que
nous avons déjà mentionnée, s’ajoute souvent l’exagération. Celle-ci accompagne
des phénomènes magiques, par exemple. D’ailleurs, elle est évidente dans de longs
titres de contes. En effet, la narration est pleine de termes ayant une note connota-
tive prédominante (« Leurs deux maisons étaient collées l’une à l’autre. ») (ibid. : 11)
et pleine d’ironie, de vivacité et d’espièglerie.

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Au bout du compte, dans Récits des hommes libres, Hamadi a traduit et transcrit
en français des contes berbères tout en transmettant leur capacité de toucher le
public. Ces contes, publiés en France, destinés aux lecteurs francophones, sont
maintenant confrontés avec un univers différent, où une éventuelle narration à
haute voix se passera, probablement, dans un cercle plus intime d’auditeurs. Le
charme de ce recueil se trouve dans le fait que, même à l’écrit, ces contes suggèrent
qu’il sont racontés à plusieurs personnes, dans les pays berbérophones ; grâce au
style d’écriture d’Hamadi, la narration de ces contes à haute voix pourrait devenir
un événement collectif dans le monde francophone aussi.
Par ailleurs, il est presque impossible de confirmer l’authenticité de ces contes.
Dans notre cas, une necessité de confiance s’impose, une confiance liant le nar-
rateur et son public, que ce soit un auditeur ou un lecteur. De plus, il faut recon-
naître l’importance de la mémoire des conteuses berbères dans la transmission et
la conservation de leur tradition orale. Bien que la tradition narrative dans les pays
berbères exige une préservation stricte de la forme et du contenu, de génération en
génération, différents conteurs et auditoires contribuaient à la variation des contes
traditionnels berbères, perceptible notamment d’un point de vue diachronique.
On pourrait supposer que dans le futur, même les contes retranscrits par Hamadi
n’échapperont pas au pouvoir de l’évolution.

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Maja Tomšič
Université de Ljubljana, Slovénie
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Prehod iz ustne v pisno tradicijo v Récits des hommes libres, Hamadi


Članek ponazarja zgodovinski pomen Récits des hommes libres, Hamadijeve zbirke
berberskih ljudskih pripovedi. Poleg procesa nastajanja in vidnejših značilnosti omenje-
nega dela, bomo poskušali razložiti vez med berbersko literaturo in berbersko kulturno
problematiko. Sodobna berberska literatura se bori za ohranitev svoje kulturne dedišči-
ne, del katere je bogato ljudsko izročilo - predvsem pripovedke. Slednje temeljijo med
drugim na spominu pripovedovalcev ter njihovega občinstva. Pisatelj in igralec Hamadi
je zgodbe zbral v severnem Maroku v berberskem jeziku in jih naposled prevedel ozi-
roma zapisal v francoščini. Récits des hommes libres odražajo vpliv ustnega izročila, zlas-
ti značilnosti neposrednega pripovedovanja zgodb, in Hamadijev ustvarjalen pristop k
samemu zapisu. Pripovedi v tej zbirki so tako precej poetične, prilagojene sodobnemu
času in sposobne vzbuditi podobna čustva ali odzive, kot jih izzove pripovedovanje v
njihovem izvornem jeziku.

Ključne besede: Berberi, berbersko ljudsko izročilo, Récits des hommes libres, Hamadi,
zapis berberskih pripovedi.

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Le passage de l’oral à l’écrit dans Récits des hommes libres, Hamadi 101

The Passage from the Oral to the Written Tradition in Récits des
hommes libres, Hamadi
The article presents the process of writing and the historical significance of Récits des
hommes libres by Hamadi, a collection of Berber traditional tales. Before addressing the
characteristics of this collection, we’ll explain a close connection between the Berber liter-
ature and its cultural question. The modern Berber literature struggles to preserve its cul-
tural heritage. Furthermore, the Berber tales, as part of a long oral tradition, depend above
all on the memory of local storytellers and their audience. When writing down Berber
tales, that Hamadi had collected in northern Morocco, he translated them from a Berber
language to French. Récits des hommes libres reflect a certain orality, characteristics of the
Berber storytelling tradition and Hamadi’s creativity. Thanks to a rich poetic expression,
these tales, adapted to our modern times, transmit the emotion probably evoked by the
original storytelling in Berber language.

Key words: Berbers, Berber oral tradition, tales, Récits des hommes libres, Hamadi, the
writing of Berber tales.

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