Contre Les Galiléens
Contre Les Galiléens
Contre Les Galiléens
Il faut convenir que, parmi le bas peuple, les Grecs ont cru et invent
des fables ridicules, mme monstrueuses. Ces hommes simples et
vulgaires ont dit, que Saturne ayant dvor les enfants les avait
vomis ensuite ; que Jupiter avait eu un commerce incestueux avec sa
mre, de laquelle il avait eu des enfants, et quil avait pous sa
propre fille. A ces contes absurdes on ajoute ceux du dmembrement
de Bacchus, et du replacement de ses membres. Ces fables font
rpandues parmi le bas peuple ; mais voyons comment pensent les
gens clairs. Examinons ce quont dit les Lgislateurs et les
Philosophes.
Considrons ce que Platon crit de Dieu et de son essence ; et faisons
attention la manire dont il sexprime lors quil parle de la cration
du monde, et de ltre suprme qui la form. Opposons ensuite ce
Philosophe Grec Mose, et voyons qui des deux a parl de Dieu avec
plus de grandeur et de dignit. Nous dcouvrirons alors aisment quel
est celui qui mrite le plus dtre admir, et de parler de ltre
suprme ; ou Platon qui admit les Temples et les simulacres des
Dieux, ou Mose qui, selon lcriture, conversait face face et
familirement avec Dieu. Au commencement, dit cet Hbreu, Dieu fit
le Ciel et la Terre ; la Terre tait vide sans forme, les tnbres taient
sur la surface de labme ; et lEsprit de Dieu tait port sur la surface
des Eaux. Et Dieu dit que la lumire soit, et la lumire fut ; Et Dieu vit
que la lumire tait bonne ; Et Dieu spara la lumire des tnbres :
Et Dieu appela la Lumire jour, et il appela les tnbres la nuit. Ainsi
fut le soir, ainsi fut le matin ; ce fut le premier jour. Et Dieu dit quil y
ait un firmament au milieu des Eaux ; et Dieu nomma le Firmament le
Ciel : et Dieu dit que leau, qui est sous le Ciel, se rassemble
ensemble afin que le sec paraisse ; et cela fut fait. Et Dieu dit que la
Terre porte lherbe et les Arbres. Et Dieu dit quil se fasse deux grands
luminaires dans ltendue des Cieux pour clairer le Ciel et la Terre. Et
Dieu les plaa dans le firmament du Ciel, pour luire sur la terre, et
pour faire la nuit et le jour.
Remarquons dabord que dans toute cette narration Mose ne dit pas,
que labme ait t produit par Dieu : il garde le mme silence sur
leau et sur les tnbres ; mais pourquoi, ayant crit que la lumire
avait t produite par Dieu, ne sest-il pas expliqu de mme sur les
tnbres, sur leau et sur labme ? Au contraire il parait les regarder
comme des tres prexistants, et ne fait aucune mention de leur
cration. De mme il ne dit pas un mot des Anges ; dans toute la
relation de la cration il nen est fait aucune mention. On ne peut rien
apprendre qui nous instruise, quand, comment, de quelle manire, et
pourquoi ils ont t crs. Mose parle cependant amplement de la
formation de tous les tres corporels, qui sont contenus dans le Ciel
et sur la Terre ; en sorte quil semble que cet Hbreu ait cru, que Dieu
navait cr aucun tre incorporel, mais quil avait seulement arrang
la matire qui lui tait assujettie. Cela parat vident par ce quil dit
de la Terre. Et la Terre tait vide et sans forme. On comprend
aisment que Mose a voulu dire, que la matire tait une subsistance
humide, informe et ternelle qui avait t arrange par Dieu.
Comparons la diffrence des raisons, pour lesquelles le Dieu de Platon
et le Dieu de Mose ont cr le monde. Dieu dit, selon Mose, faisons
lhomme notre image et notre ressemblance, pour quil domine
sur les poissons de la Mer et sur les oiseaux des Cieux, et sur les
btes, et sur toute la Terre, et sur les reptiles qui rampent sur la Terre.
Et Dieu fit lhomme son image, et il les cra mle et femelle, et il
leur dit : croissez, multipliez, remplissez la Terre, commandez aux
poissons de la Mer, aux volatiles des Cieux, toutes les btes, tous
les bestiaux, et toute la Terre. Entendons actuellement parler le
Crateur de lUnivers par la bouche de Platon. Voyons les discours
que lui prte ce philosophe. Dieux, moi qui suis votre Crateur et celui
de tous les tres, je vous annonce, que les choses que jai cres ne
priront pas, parce que les ayant produites je veux quelles soient
ternelles. Il est vrai que toutes les choses construites peuvent tre
dtruites ; cependant il nest pas dans lordre de la justice de dtruire,
ce qui a t produit par la raison. Ainsi quoique vous ayez t crs
immortels, vous ne ltes pas invinciblement et ncessairement par
votre nature,mais vous ltes par ma volont. Vous ne prirez donc
jamais, et la mort ne pourra rien sur vous ; car ma volont est
infiniment plus puissante pour vtre ternit que la nature, et les
qualits que vous retes lors de vtre formation. Apprends donc ce
que je vais vous dcouvrir. Il nous reste trois diffrents genres dtres
mortels. Si nous les oublions, ou que nous en omettions quelquun, la
perfection de lUnivers naura pas lieu, et tous les diffrents genres
dtres, qui font dans larrangement du monde, ne seront pas anims.
Si je les cre avec lavantage dtre dous de la vie, alors ils seront
ncessairement gaux aux Dieux. Afin donc que les tres dune
condition mortelle soient engendrs, et cet univers rendu parfait,
recevez, pour vtre partage, je droit dengendrer des Cratures,
imits ds vtre naissance la force de mon pouvoir. Lessence
immortelle, que vous avez revue, ne fera jamais altre lorsqu cette
essence vous ajouterez une partie mortelle ; produisez des Cratures,
engendrez, nourrissez-vous daliments, et rpars les pertes de cette
partie animale et mortelle.
Considrons si ce que dit ici Platon doit tre trait de songe et de
vision. Ce Philosophe nomme des Dieux que nous pouvons voir, le
Soleil, la Lune, les Astres et les Cieux : mais toutes ces choses ne sont
que les simulacres dtres immortels, que nous ne saurions
apercevoir. Lorsque nous considrons le soleil, nous regardons limage
dune chose intelligible et que nous ne pourrons dcouvrir : il en est
de mme quand nous jetons les yeux sur la lune ou sur quelque autre
astre. Tous ces corps matriels ne sont que les simulacres des tres,
que nous ne pouvons concevoir que par lesprit. Platon a donc
parfaitement connu tous ces Dieux invisibles, qui existent par le Dieu
et dans le Dieu suprme, et qui ont t faits et engendrs par lui ; le
lui une Compagne qui puisse laider et qui lui ressemble. Cependant
cette compagne non seulement ne lui est daucun secours, mais elle
ne sert qu le tromper, linduire dans le pige quelle lui tend, et
le faire chasser du Paradis. Qui peut, dans cette narration, ne pas voir
clairement les fables les plus incroyables ? Dieu devait sans doute
connatre, que ce quil regardait comme un secours pour Adam serait
sa perte, et que la compagne quil lui donnait, tait un mal plutt
quun bien pour lui.
Que dirons nous du serpent qui parlait avec ve ? de quel langage se
servit- il ? fut-ce de celui de lhomme ? y a-t-il rien de plus ridicule
dans les fables populaires des Grecs ?
Nest-ce pas la plus grande des absurdits de dire que Dieu ayant
cr Adam et ve, leur interdit la connaissance du bien et du mal ?
quelle est la crature qui puisse tre plus stupide, que celle qui ignore
le bien et le mal, et qui ne saurait les distinguer ? Il est vident quelle
ne peut, dans aucune occasion, viter le crime, ni suivre la vertu,
puisquelle ignore ce qui est crime, et ce qui est vertu. Dieu avait
dfendu lhomme de goter du fruit qui pouvait seul le rendre sage
et prudent. Quel est lhomme assez stupide pour ne pas sentir que,
sans la connaissance du bien et du mal, il est impossible lhomme
davoir aucune prudence ?
Le serpent ntait donc point ennemi du genre humain, en lui
apprenant connatre ce qui pouvait le rendre sage ; mais Dieu lui
portait envie : car lorsquil vit que lhomme tait devenu capable de
distinguer la vertu du vice, il le chassa du paradis terrestre, dans la
crainte quil ne gott du bois de larbre de vie, en lui disant : Voici
Adam, qui est devenu comme lun de nous, sachant le bien et le mal ;
mais pour quil ntende pas maintenant sa main, quil ne prenne pas
du bois de la vie, quil nen mange pas, et quil ne vienne pas vivre
toujours, lEternel Dieu le met hors du jardin dden. Quest-ce quune
semblable narration ? on ne peut lexcuser quen disant, quelle est
une fable allgorique, qui cache un sens secret. Quant moi, je ne
trouve dans tout ce discours, que beaucoup de blasphmes contre la
vraie essence et la vraie nature de Dieu, qui ignore que la femme quil
donne pour Compagne et pour secours Adam, sera la cause de son
crime ; qui interdit lhomme la connaissance du bien et du mal, la
seule chose qui pt rgler ses murs ; et qui craint que ce mme
homme, aprs avoir pris de larbre de vie, ne devienne immortel. Une
pareille crainte, et une envie semblable conviennent-elles la nature
de Dieu ?
Le peu de choses raisonnables que les Hbreux ont dit de lessence
de Dieu ; nos Pres, ds les premiers Sicles, nous en ont instruits : et
cette Doctrine quils sattribuent est la ntre. Mose ne nous a rien
appris de plus ; lui qui parlant plusieurs fois des Anges, qui excutent
les ordres de Dieu, na rien os nous dire, dans aucun endroit, de la
nature de ces Anges ; sils sont crs, ou sils sont incrs ; sils ont
t faits par Dieu ou par une autre cause ; sils obissent dautres
tres. Comment Mose a-t-il pu garder, sur tout cela, une silence
obstin, aprs avoir parl f amplement de la cration du Ciel et de la
Terre, des choses qui les ornent et qui y sont contenues ?
Remarquons- ici que Mose dit que Dieu ordonna que plusieurs choses
fussent faites, comme le jour, la lumire, le firmament ; quil en fit
plusieurs lui-mme, comme le Ciel, la Terre, le Soleil, la Lune ; et quil
spara celles qui existaient dj, comme leau et laride. Dailleurs
Mose na os rien crire ni sur la nature ni sur la cration de lesprit.
Il sest content de dire vaguement, quil tait port sur les eaux.
Mais cet Esprit, port sur les eaux, tait-il cr, tait-il incr ?
Comme il est vident que Mose na point assez examin et expliqu
les choses qui concernent le Crateur et la cration de ce monde ; je
comparerai les diffrents sentiments des Hbreux et de nos Pres sur
ce sujet. Mose dit que le Crateur du monde choisit pour son Peuple
la nation des Hbreux, quil eut pour elle toute la prdilection
possible, quil en prit un soin particulier, et quil ngligea pour elle
tous les autres Peuples de la Terre. Mose, en effet, ne dit pas un seul
mot pour expliquer comment les autres nations ont t protges et
conserves par le Crateur, et par quels Dieux elles ont t
gouvernes : il semble ne leur avoir accord dautre bienfait de ltre
suprme, que de pouvoir jouir de la lumire du soleil et de celle de la
lune. Cest ce que nous observerons bientt. Venons actuellement aux
Isralites et aux Juifs, les seuls hommes, ce quil dit, aims de Dieu.
Les Prophtes ont tenu, ce sujet, le mme langage que Mose. Jsus
de Nazareth les a imits ; et Paul, cet homme qui a t le plus grand
des imposteurs, et le plus indigne des fourbes, a suivi cet exemple.
Voici donc comment parle Mose. Tu diras Pharaon, Isral mon fils
premier n...... Jai dit renvoie mon Peuple, afin quil me serve ; mais
tu nas pas voulu le renvoyer...... Et ils lui dirent : Le Dieu des Hbreux
nous a appels, nous partirons pour le dsert, et nous ferons un
chemin de trois jours, pour que nous sacrifions notre Dieu...... Le
Seigneur le Dieu des Hbreux ma envoy auprs de toi, disant :
Renvoie mon Peuple pour quil serve dans le dsert.
Mose et Jsus nont pas t les seuls qui disent que Dieu ds le
commencement, avait pris un soin tout particulier des Juifs, et que
leur sort avait t toujours fort heureux. Il parat que cest l le
sentiment de Paul, quoique cet homme ait toujours t vacillant dans
ses opinions, et quil en ait chang si souvent sur le dogme de la
nature de Dieu ; tantt soutenant que les Juifs avaient eu seuls
lhritage de Dieu, et tantt assurant que les Grecs y avaient eu part ;
comme lorsquil dit : Est-ce quil tait seulement le Dieu des Hbreux,
ou ltait-il aussi des nations ? certainement il ltait des nations. Il
est donc naturel de demander Paul, pourquoi, si Dieu a t non
seulement le Dieu des Juifs, mais aussi celui des autres Peuples ; il a
combl les Juifs de biens et de grces ; il leur a donn Mose, la Loi,
les Prophtes ; il a fait en leur faveur plusieurs miracles, et mme des
prodiges qui paraissent fabuleux. Entendez les Juifs, ils disent :
Lhomme a mang le pain des Anges. Enfin Dieu a envoy aux Juifs
Jsus qui ne fut pour les autres nations, ni un Prophte, ni un Docteur,
ni mme un Prdicateur de cette grce divine et future laquelle la
fin ils devaient avoir part. Mais avant ce temps il se passa plusieurs
milliers dannes, o les nations furent plonges dans la plus grande
ignorance, rendant, selon les Juifs, un culte criminel au simulacres des
Dieux. Toutes les nations qui font situes sur la terre depuis lorient
loccident, et depuis le midi jusquau septentrion, except un petit
peuple habitant depuis deux mille ans, une partie de la Palestine,
furent donc abandonnes de Dieu. Mais comment est-il possible, si ce
Dieu est le ntre comme le vtre, sil a cr galement toutes les
nations ; quil les ait si fort mprises,et quil ait nglig tous les
peuples de la terre ? Quand mme nous conviendrions avec vous, que
le Dieu de toutes les nations a eu une prfrence marque pour la
vtre, et un mpris pour toutes les autres ; ne sensuivra-t-il pas de l,
que Dieu est envieux, quil est partial ? or comment Dieu peut-il tre
sujet lenvie, la partialit, et punir, comme vous le dites, les
pchs des Pres sur les enfants innocents ? Est-il rien de si contraire
la nature divine, ncessairement bonne par son essence ?
Aprs avoir examin lopinion des Juifs, sur la bont de Dieu envers
les hommes, voyons quelle est celle des Grecs. Nous disons que le
Dieu suprme, le Dieu Crateur est le Roi et le Pre commun de tous
les hommes ; quil a distribu toutes les nations des Dieux, qui il
en a commis le soin particulier ; et qui les gouvernent de la manire
qui leur est la meilleure et la plus convenable : car dans le Dieu
suprme, dans le Pre, toutes les choses font parfaites et unes : mais
les Dieux crs agissent, dans les particulires qui leur font
commises, dune manire diffrente. Ainsi Mars gouverne les guerres
dans les nations ; Minerve leur distribue et leur inspire la prudence ;
Mercure les instruit plutt de ce qui orne leur esprit ; que de ce qui
peut les rendre audacieuses. Les Peuples suivent les impressions, et
les notions qui leur sont donnes par les Dieux qui les gouvernent. Si
lexprience ne prouve pas ce que nous disons, nous consentons que
nos opinions soient regardes comme des fables, et les vtres comme
des vrits. Mais si une exprience toujours uniforme et toujours
certaine, a vrifi nos sentiments, et montr la fausset des vtres,
auxquels elle na jamais rpondu ; pourquoi conservez-vous une
croyance aussi fausse que lest la vtre ? Apprenez-nous, sil est
possible, comment les Gaulois et les Germains sont audacieux, les
Grecs et les Romains polics et humains, cependant courageux et
belliqueux ? les Egyptiens font ingnieux et spirituels ? les Syriens,
peu propres aux armes, font prudents, russ, dociles ? Sil ny a pas
une cause et une raison de la diversit des murs et des inclinations
de ces nations, et quelle soit produite par le hasard, il faut
ncessairement en conclure quaucune providence ne gouverne le
monde. Mais si cette diversit si marque est toujours la mme, et est
produite par une cause ; quon mapprenne do elle vient, si cest
directement par le Dieu suprme, ou par les Dieux qui il a confi le
soin des nations[i].
Il est constant quil y a des lois tablies chez tous les hommes, qui
saccordent parfaitement aux notions et aux usages de ces mmes
hommes. Ces lois sont humaines et douces chez les Peuples qui font
ports la douceur : elles font dures et mme cruelles chez ceux dont
les murs font froces. Les diffrents Lgislateurs, dans les
instructions quils ont donnes aux nations, se sont conforms leurs
ides ; ils ont fort peu ajout et chang leurs principales coutumes.
Cest pourquoi les Scythes regardrent Anacharfis comme un insens,
parce quil avait voulu introduire des lois contraires leurs murs. La
faon de penser des diffrentes nations ne peut jamais tre change
entirement. Lon trouvera fort peu de peuples situs loccident, qui
cultivent la philosophie et la gomtrie, et qui mme soient propres
ce genre dtude ; quoique lempire Romain ait tendu si loin ses
conqutes. Si quelques-uns des hommes les plus spirituels de ces
nations font parvenus sans tude, a acqurir le talent de snoncer
avec clart, et avec quelque grce ; cest la simple force de leur
gnie quils en font redevables. Do vient donc la diffrence ternelle
des murs, des usages, des ides des nations ; si ce nest de la
volont des Dieux, qui leur conduite a t confie par le Dieu
suprme ?[ii]
Venons actuellement la varit des langues, et voyons combien est
fabuleuse la cause que Mose lui donne. Il dit que les fils des hommes,
ayant multipli, voulurent faire une ville, et btir en milieu une grande
tour : Dieu dit alors quil descendrait, et quil confondrait leur langage.
Pour quon ne me souponne pas daltrer les paroles de Mose, je les
rapporterai ici. Ils dirent (les hommes) venez, btissons une ville et
une tour, dont le sommet aille jusquau Ciel ; et acqurons nous de la
rputation avant que nous soyons disperss sur la surface de la terre.
Et le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les fils des
hommes avaient bties : et le Seigneur dit : voici, ce nest quun
mme peuple, ils ont un mme langage, et ils commencent
travailler ; et maintenant rien ne les empchera dexcuter ce quils
ont projette : Or a descendons et confondons leur langage, afin quils
nentendent pas le langage lun de lautre. Ainsi le Seigneur les
dispersa de l par toute la terre, et ils cessrent de btir leur ville.
Voila les contes fabuleux, auxquels vous voulez que nous ajoutions foi
: et vous refusez de croire ce que dit Homre des Alodes, qui mirent
trois montagnes lune sur lautre pour se faire un chemin jusquau
Ciel. Je sais que lune et lautre de ces histoires sont galement
fabuleuses : mais puisque vous admettez la vrit de la premire,
pourquoi refusez-vous de croire la seconde ? ces contes font
galement ridicules : Je pense quon ne doit pas ajouter plus de foi
aux uns quaux autres ; je crois mme que ces fables ne doivent pas
tre proposes comme des vrits des hommes ignorants.
Comment peut-on esprer de leur persuader, que tous les hommes
habitant dans une contre, et se servant de la mme langue, naient
pas senti limpossibilit de trouver, dans ce quils teraient de la
terre, assez de matriaux pour lever un btiment qui allt jusquau
malheureux que vous ltes ; et quoique votre fort soit beaucoup plus
mauvais, que lorsque vous tiez parmi nous, on pourrait le regarder
comme supportable, si aprs avoir abandonn les Dieux, vous en
eussiez du moins reconnu un, et neussiez pas ador un simple
homme comme vous faites aujourdhui. Il est vrai que vous auriez
toujours t malheureux davoir embrass une Loi remplie de
grossiret et de barbarie, mais quant au culte que vous auriez, il
serait bien plus pur et plus raisonnable, que celui que vous professez :
il vous est arriv la mme chose quaux sangsues, vous avez tir le
sang le plus corrompu, et vous avez laiss le plus pur.
Vous navez point recherch ce quil y avait de bon chez les Hbreux ;
vous navez t occups qu imiter leur mauvais caractre et leur
fureur : comme eux vous dtruisez les temples et les autels. Vous
gorgez non seulement ceux qui sont Chrtiens, auxquels vous
donnez le nom dhrtiques, parce quils ont des Dogmes diffrents
de vtres sur le Juif mis mort par les Hbreux ; mais les opinions
que vous soutenez, sont des chimres que vous avez inventes. Car
ni Jsus, ni Paul ne vous ont rien appris sur ce sujet. La raison en est
toute simple ; cest quils ne se sont jamais figur que vous par
vinssiez ce degr de puissance que vous avez atteint. Ctait assez
pour eux de pouvoir tromper quelques servantes, et quelques pauvres
domestiques ; de gagner quelques femmes et quelques hommes du
peuple, comme Cornelius et Sergius. Je consens de passer pour un
imposteur, si parmi tous les hommes qui sous le rgne de Tibre et de
Claude, ont embrass le Christianisme, on peut en citer un qui ait t
distingu ou par sa naissance, ou par son mrite.
Je sens un mouvement qui parat mtre inspir, et qui moblige tout
coup, Galilens, vous demander, pourquoi vous avez dsert les
Temples de nos Dieux, pour vous sauver chez les Hbreux. Est-ce
parce que les Dieux ont donn Rome lEmpire de lUnivers ; et que
les Juifs, si lon excepte un trs court intervalle, ont toujours t les
esclaves de toutes les nations ? Considrons dabord Abraham, il fut
tranger et voyageur dans un pays, dont il ntait pas citoyen. Jacob
ne servit-il pas en Syrie, ensuite dans la Palestine, et enfin dans sa
vieillesse en gypte ? Mais, dira-t-on, est-ce que Mose ne fit pas sortir
dgypte les descendants de Jacob ; et ne les arracha-t-il pas de la
maison de servitude ? quoi servit aux Juifs, quand ils furent dans la
Palestine, leur dlivrance dgypte ? est-ce que leur fortune en devint
meilleure ? elle changea aussi souvent que la couleur du Camlon.
Tantt soumis leurs Juges, tantt des trangers, ensuite des Rois
que leur Dieu ne leur accorda pas de bonne grce ; force par leur
importunit, il consentit leur donner des Souverains, les avertissant
quils seraient plus mal sous leurs Rois, quils ne lavaient t
auparavant. Cependant malgr cet avis ils cultivrent, et habitrent
plus de quatre cent ans leur pays. Ensuite ils furent esclaves des
Tyriens, des Mdes, des Perses, et ils sont les ntres aujourdhui.
Vous nignorez pas, mes frres, que vous aviez autrefois tous ces
vices ; mais vous avez t plongs dans leau, et vous avez t
sanctifis au nom de Jsus Christ. Il est vident, que Paul dit ses
Disciples, quils avaient eu les vices dont il parle, mais quils avaient
t absous et purifis par une eau, gui a la vertu de nettoyer, de
purger, et qui pntre jusqu lme : Cependant leau du baptme
nte point la lpre, les dartres, ne dtruit pas les mauvaises tumeurs,
ne gurit ni la goutte ni la dysenterie, ne produit enfin, aucun effet
sur les grandes et les petites maladies du corps ; mais elle dtruit
ladultre, les rapines, et nettoie lme de tous ses vices.
Les Chrtiens soutiennent quils ont raison de stre spars des
Juifs : Ils prtendent tre aujourdhui les vrais Isralites, les seuls qui
croient Mose, et aux Prophtes qui lui ont succd dans la Jude.
Voyons donc en quoi ils sont daccord avec ces Prophtes :
commenons dabord par Mose, quils prtendent avoir prdit la
naissance de Jsus. Cet Hbreu dit, non pas une seule fois, mais deux,
mais trois, mais plusieurs, quon ne doit adorer quun Dieu, quil
appelle le Dieu Suprme ; il ne fait jamais mention dun second Dieu
Suprme : Il parle des anges, des puissances clestes, des Dieux des
nations : il regarde toujours le Dieu Suprme comme le Dieu unique :
il ne pensa jamais quil y en et un second qui lui ft semblable, ou
qui lui ft ingal, comme le croient les Chrtiens. Si vous trouvez
quelque chose de pareil dans Mose, que ne le dites-vous ; vous
navez rien rpondre sur cet article : cest mme sans fondement
que vous attribuez au fils de Marie, ces paroles ; Le Seigneur, votre
Dieu, vous suscitera un Prophte tel que moi, dans vos frres et vous
lcouterez. Cependant, pour abrger la dispute, je veux bien
convenir que ce passage regarde Jsus. Voyez que Mose dit quil sera
semblable lui, et non pas Dieu ; quil sera pris parmi les hommes,
et non pas chez Dieu. Voici encore un autre passage, dont vous vous
efforcez de vous servir : Le Prince ne manquera point dans Juda et le
chef dentre ses jambes ; cela ne peut tre attribu Jsus, mais au
Royaume de David qui finit sous le Roi Zdchias. Dailleurs lcriture,
dans ce passage que vous citez, est certainement interpole, et lon y
lit le texte de deux manires diffrentes : le prince ne manquera pas
dans Judas, et le chef dentre ses jambes, jusques ce que les
choses, qui lui ont t rserves, arrivent ; mais vous avez mis la
place de ces dernires paroles, jusques ce que qui a t rserv
arrive. Cependant de quelque manire que vous lisiez ce passage, il
est manifeste quil ny a rien-l qui regarde Jsus, et qui puisse lui
convenir : il ntait pas de Juda, puisque vous ne voulez pas quil soit
n de Joseph ; vous soutenez quil a t engendr par le saint Esprit.
Quant Joseph, vous tchez de le faire descendre de Juda, mais vous
navez pas eu assez dadresse pour y parvenir, et lon reproche avec
raison Matthieu et Luc dtre oppos lun lautre dans la
gnalogie de Joseph.
Nous examinerons la vrit de cette gnalogie dans un autre Livre,
et nous reviendrons actuellement au fait principal. Supposons donc
que Jsus soit un prince sorti de Juda ; il ne sera pas un Dieu venu
Dieu, comme vous le dites, ni toutes les choses nont pas t faites
par lui, et rien naura t fait sans lui. Vous rpliquerez, quil est dit
dans le livre des Nombres, il se lvera une toile de Jacob et un
homme dIsral. Il est vident que cela concerne David et les
successeurs, car David tait fils de Jeff. Si cependant vous croyez
pouvoir tirer quelque avantage de ces deux mots, je consens que
vous le fassiez ; mais pour un passage obscur, que vous mopposerez,
jen ai un grand nombre de clairs que je vous citerai, qui montrent
que Mose na jamais parl que dun seul et unique Dieu, du Dieu
dIsral. Il dit dans le Deutronome : Afin que tu fcher, que le
Seigneur ton Dieu est seul et unique, et quil ny en a point dautre
que lui, et peu aprs, sache donc et rappelle dans ton esprit que le
Seigneur ton Dieu est au Ciel et sur la terre, et quil ny en point
dautre que lui.... Entends, Isral, le Seigneur notre Dieu, il est le seul
Dieu...... Enfin Mose faisant parler le Dieu des Juifs, lui fait dire :
Voyez qui je suis, il ny a point dautre Dieu que moi. Voil des
preuves de lvidence la plus claire, que Mose ne reconnut et nadmit
jamais dautre Dieu que le Dieu dIsral, le Dieu unique. Les Galilens
rpondront peut tre quils nen admettent ni deux ni trois ; mais je
les forcerai de convenir du contraire, par lautorit de Jean dont je
rapporterai le tmoignage : au commencement tait le verbe, et le
verbe tait chez Dieu, et Dieu tait le verbe. Remarquez quil est dit,
que celui qui a t engendr de Marie tait en Dieu : or soit que ce
soit un autre Dieu (car il nest pas ncessaire que jexamine a prsent
lopinion de Photin : je vous laisse, O Galilens, terminer les
disputes qui font entre vous ce sujet) il sen suivra toujours, que
puisque ce verbe a t avec Dieu, et quil y a t ds le
commencement, cest un second Dieu qui lui est gal. Je nai pas
besoin de citer dautre tmoignage de votre croyance, que celui de
jean. Comment donc vos sentiments peuvent-ils saccorder avec ceux
de Mose ? Vous rpliquerez quils font conformes aux crits dsae,
qui dit : Voici une vierge dont la matrice est remplie, et elle aura un
fils. Je veux supposer que cela a t dit par linspiration divine,
quoiquil ne soit rien de moins vritable ; cela ne conviendra pas
cependant Marie : on ne peut regarder comme Vierge, et appeler de
ce nom, celle qui tait marie, et qui avant que denfanter, avait
couch avec son mari. Passons plus avant, et convenons que les
paroles dsae regardent Marie. Il sest bien gard de dire que cette
Vierge accoucherait dun Dieu : mais vous, Galilens, vous ne cessez
de donner Marie le nom de Mre de Dieu. Est-ce qusae a crit que
celui qui natrait de cette Vierge serait le fils unique engendr de
Dieu, et le premier n de toutes les Cratures ? pouvez-vous,
Galilens, montrer dans aucun Prophte, quelque chose qui
convienne ces paroles de Jean, toutes choses ont t faites par lui,
et sans lui rien na t fait ? Entendez au contraire comme
sexpliquent vos Prophtes. Seigneur notre Dieu, dit sae, sois votre
protecteur ! except toi, nous nen connaissons point dautre. Le
mme sae introduisant le Roi zchias priant Dieu, lui fait dire :
Seigneur Dieu dIsral, toi qui es assis sur les chrubins, tu es, le seul
purifi, soit immonde. Mais par quelle raison le Dieu dIsral a-t-il tout
coup dclar pur ce quil avait jug immonde pendant si
longtemps ? Mose parlant des quadrupdes, dit : Tout animal qui a
longle spar et qui rumine est pur ; tout autre animal est immonde.
Si depuis la vision de Pierre, le porc est un animal qui rumine, nous le
croyons pur ; et cest un grand miracle, si ce changement sest fait
dans cet animal aprs la vision de Pierre ; mais si au contraire Pierre a
feint quil avait eu chez le Tanneur o il logeait, cette rvlation, (pour
me servir de vos expressions ;) pourquoi le croirons-nous sur sa
parole, dans un dogme important claircir ? En effet quel prcepte
difficile ne vous et-il pas ordonn, si outre la chair de cochon, il vous
et dfendu de manger des oiseaux, des poissons, et des animaux
aquatiques ; assurant que tous ces animaux, outre les cochons,
avaient t dclars immondes et dfendus par Dieu ?
Mais Pourquoi marrter rfuter ce que disent les Galilens, lorsquil
est ais de voir que leurs raisons nont aucune force. Ils prtendent
que Dieu, aprs avoir tabli une premire Loi, en a donn une
seconde : que la premire navait t faite que pour un certain temps,
et que la seconde lui avait succd, parce que celle de Mose nen
avait t que le type. Je dmontrerai par lautorit de Mose, quil
nest rien de si faux que ce que disent les Galilens. Cet Hbreu dit
expressment, non pas dans dix endroits, mais dans mille, que la loi
quil donnait serait ternelle. Voyons ce quon trouve dans lExode :
Ce jour vous sera mmorable, et vous le clbrerez pour le Seigneur
dans toutes les gnrations. Vous le clbrerez comme une fte
solennelle par ordonnance perptuelle. Vous mangerez pendant sept
jours, du pain sans levain, et ds le premier jour vous terez le levain
de vos maisons[i]. Je passe un nombre de passages que je ne
rapporte pas pour ne point trop les multiplier, et qui prouvent tous
galement que Mose donna sa Loi comme devant tre ternelle.
Montrez-moi, O Galilens ! dans quel endroit de vos critures il est dit,
ce que Paul a os avancer, que le Christ tait la fin de la Loi. O
trouve-t-on que Dieu ait promis aux Isralites de leur donner dans la
suite une autre loi, que celle quil avait dabord tablie chez eux ? Il
nest parl dans aucun lieu, de cette nouvelle Loi : il nest pas mme
dit quil arriverait aucun changement la premire. Entendons parler
Mose lui mme. Vous najouterez rien aux commandements que je
vous donnerai, et vous nen terez rien. Observez les
Commandements du Seigneur votre Dieu, et tout ce que je vous
ordonnerai aujourdhui. Maudits soient tous ceux qui nobservent pas
tous les Commandements de la Loi. Mais vous, Galilens, vous
comptez pour peu de chose dter et dajouter ce que vous voulez,
aux prceptes qui sont crits dans la Loi. Vous regardez comme grand
et glorieux de manquer cette mme Loi : agissant ainsi, ce nest pas
la vrit que vous avez pour but ; mais vous vous conformez ce que
vous voyez tre approuv du vulgaire.
Vous tes si peu senss, que vous nobservez pas mme les
prceptes que vous ont donns les Aptres. Leurs premiers
successeurs les ont altrs, par une impit et une mchancet, qui
ne peuvent tre assez blmes. Ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni Marc
nont os dire que Jsus ft un Dieu : mais lorsque Jean eut appris que
dans plusieurs villes de la Grce et de lItalie, beaucoup de Personnes
parmi le Peuple, taient tombes dans cette erreur ; sachant dailleurs
que les Tombeaux de Pierre et de Paul commenaient dtre honors,
quon y priait en secret ; il senhardit jusqu dire que Jsus tait Dieu.
Le verbe, dit-il, sest fait chair et a habit dans nous. Mais il na pas
os expliquer de quelle manire ; car en aucun endroit il ne nomme ni
Jsus ni Christ, lorsquil nomme Dieu et le Verbe. Il cherche nous
tromper dune manire couverte, imperceptiblement, et peu peu. Il
dit que Jean-Baptiste avait rendu tmoignage Jsus, et quil avait
dclar que ctait lui qui tait le verbe de Dieu.
Je ne veux point nier que Jean-Baptiste nait parl de Jsus dans ces
termes, quoique plusieurs irrligieux parmi vous, prtendent que
Jsus-Christ nest point le verbe dont parle Jean. Pour moi, je ne suis
pas de leur sentiment : puisque Jean dit dans un autre endroit, que le
verbe quil appelle Dieu, Jean-Baptiste a reconnu que ctait ce mme
Jsus. Remarquons actuellement avec combien de finesse, de
mnagement, et de prcaution se conduit Jean. Il introduit avec
adresse limpit fabuleuse quil veut tablir : il fait si bien se servir
de tous les moyens que la fraude peut lui fournir, que parlant
derechef dune faon ambigu, il dit : Personne na jamais vu Dieu. Le
fils unique, qui est au sein du pre, est celui qui nous la rvl. Il faut
que ce fils, qui est dans le sein de son Pre, soit ou le Dieu verbe, ou
un autre fils. Or si cest le verbe, vous avez ncessairement vu Dieu,
puisque le verbe a habit parmi vous, et que vous avez vu sa gloire.
pourquoi Jean dit-il donc, que jamais personne na vu Dieu ? Si vous
navez pas vu Dieu le Pre, vous avez certainement vu Dieu le verbe.
Mais si Dieu, ce fils unique, est un autre que le verbe Dieu, comme je
lai entendu dire souvent plusieurs de votre religion, Jean ne
semble-t-il pas, dans les discours obscurs, oser dire encore quelque
chose de semblable, et rendre douteux ce quil dit ailleurs ?
On doit regarder Jean comme le premier auteur du mal, et la source
des nouvelles erreurs que vous avez tablies, en ajoutant au culte du
Juif mort que vous adorez, celui de plusieurs autres. Qui peut assez
slever contre un pareil excs ! Vous remplissez tous les lieux de
tombeaux, quoiquil ne soit dit dans aucun endroit de vos critures,
que vous deviez frquenter et honorer les spulcres. Vous tes
parvenus un tel point daveuglement, que vous croyez sur ce sujet,
ne devoir faire aucun cas de ce que vous a ordonn Jsus de
Nazareth. coutez ce quil dit des tombeaux. Malheur vous, scribes,
pharisiens, hypocrites, parce que vous tes semblables des
spulcres reblanchis : au dehors le spulcre parat beau, mais en
dedans il est plein dossements de morts, et de toutes sortes
dordures. Si Jsus dit que les spulcres ne sont que le rceptacle des
immondices et des ordures, comment pouvez-vous invoquer Dieu sur
eux ? Voyez ce que Jsus rpondit un de ses Disciples, qui lui disait :
[i] Il y a ici une lacune : mais comme elle ntait remplie que par des
passages destins prouver que la Loi devait tre ternelle et
immuable, selon Mose ; cette lacune ninterrompt pas le sens.