Géopolitique de L'agriculture

Sébastien Abis et Pierre Blanc
GÉPOLITQUE
DE L’
AGRICULTURE 40 fiches illustrées
pour comprendre le monde
Collection dirigée par Pascal Boniface
NOUVELLE ÉDITION MISE À JOUR

« Les enjeux politiques, économiques et sociétaux de l’agriculture sont bien
connus. Dans une approche originale et stimulante, Sébastien Abis et Pierre
Blanc nous font découvrir ses – immenses – enjeux géopolitiques.»
PASCAL BONIFACE
REPÈRES ET CLÉS SÉBASTIEN ABIS est le directeur du Club DEME-
POUR DÉCRYPTER L’ACTUALITÉ TER, chercheur associé à l’IRIS, chroniqueur,
L’agriculture est au cœur de la géopolitique. enseignant à l’université catholique de Lille
Combien de conflits s’enracinent dans une terre et à Junia.
disputée ou dans une eau rare ? Combien de
PIERRE BLANC est docteur en géopolitique
révoltes sont aussi celles de la faim ? Peut-on
rêver de souveraineté ou de puissance sans (HDR) et ingénieur général des ponts, des
sécurité alimentaire ? Ces questions traversent eaux et des forêts. Il enseigne la géopolitique
l’histoire contemporaine et resurgissent au fil de à Bordeaux Sciences Agro et Sciences Po
l’actualité. Des clichés à la réalité, cet ouvrage Bordeaux. Chercheur au LAM (Sciences Po/
nous parle de lieux, de faits et de chiffres pour
nous aider à y voir plus clair. Spécialistes
CNRS), il est rédacteur en chef de la revue
incontestés, les auteurs proposent 40 fiches Confluences Méditerranée.
documentées pour cerner les enjeux et les
défis de cette activité ancestrale et universelle.
L’ensemble est illustré de cartes, de graphiques
et de tableaux. Cette nouvelle édition fait le
point sur un monde bouleversé par les récents Dans la même collection
événements, notamment la guerre en Ukraine.
GÉPOLITQUE
DE L’
AGRICULTURE
4O fiches illustrées
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75005 Paris
www.editions-eyrolles.com
Création maquette et mise en pages: Claire Fauvain

Réalisation des cartes : Santiago Mora Van Cauwelaert, Sebastián
Estremo – Légendes Cartographie
© Éditions Eyrolles, 2020, 2023 pour la présente édition

ISBN: 978-2-416-00931-0
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire

intégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque sup-
port que ce soit, sans l’autorisation de l’Éditeur ou du Centre français
d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006
Paris.
Depuis 1925, les éditions Eyrolles s’engagent en proposant des livres

pour comprendre le monde, transmettre les savoirs et cultiver ses pas-
sions ! Pour continuer à accompagner toutes les générations à venir,
nous travaillons de manière responsable, dans le respect de l’envi-
ronnement. Nos imprimeurs sont ainsi choisis avec la plus grande
attention, afin que nos ouvrages soient imprimés sur du papier issu
de forêts gérées durablement. Nous veillons également à limiter le
transport en privilégiant des imprimeurs locaux. Ainsi, 89 % de nos
impressions se font en Europe, dont plus de la moitié en France.
SÉBASTIEN ABIS ET PIERRE BLANC
GÉPOLITQUE
DE L’AGRICULTURE
4O fiches illustrées
Collection dirigée par Pascal Boniface
Deuxième édition
INTRODUCTION ........................................................................................................................ 6
PARTIE 1 TENDANCES PLANÉTAIRES ................................................................................ 9

FICHE 1 RÉVOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES ................................................................................ 1O
FICHE 2 MONDES RURAUX INCONTOURNABLES ........................................................................ 14
FICHE 3 TERRES VITALES ............................................................................................................. 18
FICHE 4 EAUX CONVOITÉES......................................................................................................... 22
FICHE 5 MERS NOURRICIÈRES .................................................................................................... 26
FICHE 6 ENCORE LA FAIM ........................................................................................................... 3O
FICHE 7 BOMBES URBAINES ........................................................................................................ 34
SMMAIRE
FICHE 8 DÉPENDANCES INTERCONTINENTALES ........................................................................ 38
FICHE 9 SANTÉS MENACÉES........................................................................................................ 42
FICHE 1O EMPREINTES RELIGIEUSES .......................................................................................... 46
PARTIE 2 CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI ....................................................... 51

FICHE 11 QUAND LES CÉRÉALES FONT L’HISTOIRE .................................................................... 52
FICHE 12 LA FACE CACHÉE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE .............................................. 56
FICHE 13 VIOLENCES ET HYDRO-HÉGÉMONIES.......................................................................... 6O
FICHE 14 PASTEURS ET AGRICULTEURS: CONFRONTATIONS AFRICAINES ............................... 64
FICHE 15 AFRIQUE AUSTRALE: LA SÉGRÉGATION AGRICOLE ..................................................... 68
FICHE 16 LUTTES FONCIÈRES EN ASIE ........................................................................................ 72
FICHE 17 FRACTURES RURALES LATINO-AMÉRICAINES............................................................. 76
FICHE 18 COLOMBIE: TERRES, GUERRES ET DROGUES ............................................................. 8O
FICHE 19 MOYEN-ORIENT, UNE GÉOPOLITIQUE PAR LE SOL ..................................................... 84
FICHE 2O PALESTINE-ISRAËL: UN CONFLIT AGRAIRE ................................................................ 88
FICHE 21 UKRAINE, TERRE FERTILE AUX GUERRES..................................................................... 92
PARTIE 3 PUISSANCES ET STRATÉGIES ......................................................................... 97
FICHE 22 ÉTATS-UNIS: UNE (EX)-PUISSANCE? ........................................................................ 98
FICHE 23 EUROPE: LA CONQUÊTE DE LA PAIX ......................................................................... 1O2
FICHE 24 BRÉSIL: LE CHAMP DE CONTROVERSES ................................................................... 1O6
FICHE 25 RUSSIE: L’AUTRE RÉARMEMENT ............................................................................... 11O
FICHE 26 CHINE: DOMINATION ET DÉPENDANCE .................................................................... 114
FICHE 27 SOUDAN: L’ÉTERNELLE PROMESSE ........................................................................... 118
FICHE 28 MAROC: CONTRÔLE ET DIPLOMATIE .........................................................................122
FICHE 29 COMMONWEALTH: DÉLÉGATION DE PUISSANCE? .................................................. 126
FICHE 3O INDE: VICTOIRES ET MALAISES ................................................................................ 13O
FICHE 31 SINGAPOUR: L’AMBITION D’UN CARREFOUR ............................................................ 134
PARTIE 4 DÉFIS, TRANSITIONS ET FRAGILITÉS ........................................................ 139

FICHE 32 PAYSANS: UNE IMPOSSIBLE FORCE? ...................................................................... 14O
FICHE 33 AGROMAFIA ET ÉCONOMIE INFORMELLE .................................................................. 144
FICHE 34 GOUVERNANCES CONTESTÉES .................................................................................. 148
FICHE 35 GÉANTS EN COMPÉTITION......................................................................................... 152
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................... 176
FICHE 36 POUVOIRS NUMÉRIQUES: L’EXTENSION DE LA TOILE.............................................. 156
FICHE 37 RUPTURES CLIMATIQUES........................................................................................... 16O
FICHE 38 MOYEN-ORIENT: L’INSÉCURITÉ À JAMAIS?............................................................. 164 INDEX ....................................................................................................................................... 178
FICHE 39 ÉTHIOPIE: L’ÉMERGENCE INCERTAINE ..................................................................... 168
FICHE 4O FRANCE: UN ÉQUILIBRE À TROUVER ........................................................................ 172 TABLE DES ILLUSTRATIONS ET SOURCES................................................................... 181
INTRDUCTION
Les plus grandes évidences méritent Quoique tout à fait recevable, ce prisme aux États, ce que le géographe et géopo-
parfois d’être répétées. Parce qu’à force bucolique n’est pas celui de cet ouvrage. litologue Yves Lacoste nommait la géo-
de l’être, elles finissent par ne plus se Ici, nous nous intéressons à un versant politique interne, ou externes, à savoir
voir… Nous aimerions ici en répéter moins paisible, celui de la géopolitique, les tensions interétatiques. L’agriculture,
deux. D’une part, l’agriculture couvre un que trois mots définissent: le territoire, l’alimentation et les agriculteurs sont
espace très important dans le monde, la rivalité et la puissance, d’évidence partie prenante des dynamiques de puis-
souvent le plus conséquent selon les plus tragiques, du moins beaucoup plus sance, cette puissance des États qui est
pays. Est-il dès lors étonnant que les politiques. au minimum une « capacité de faire »
mots paysan et paysage aient la même Sans faire de grands tours de passe-passe, (la production), mais aussi de ne pas
racine? Partout sur le globe, c’est le pay- ces trois mots s’articulent fortement dépendre des autres (« capacité à refu-
san qui cultive et entretient en grande à l’agriculture, à l’alimentation qu’elle ser de faire » en se nourrissant) ou au
partie les paysages, véritables traits du procure et aux agriculteurs qui la pra- contraire de peser sur d’autres («capaci-
visage d’un pays. D’autre part, l’alimen- tiquent. L’agriculture, l’alimentation et té de faire faire» en fournissant aussi des
tation, acte quotidien de l’ensemble de les agriculteurs sont déterminants dans aliments), comme l’ont fait par exemple
l’humanité, dépend de cette agriculture. la construction du territoire, cet «espace les États-Unis.
En évoquant l’agriculture et l’alimenta- politique», tel que le définissait le philo- Si l’agriculture et l’alimentation ont
tion, nous pourrions nous limiter à une sophe et sociologue Henri Lefebvre; au- toujours été marquées du sceau de
évocation sentimentale, avec tout ce trement dit un espace façonné par les dé- la conflictualité et des dynamiques
que cela entraîne de représentations et cisions humaines dont l’agriculture est de puissance, le monde d’aujourd’hui
de souvenirs personnels souvent pai- une incarnation massive. L’agriculture, oblige encore davantage à opérer cette
sibles: la lumière sur les champs à l’aube, l’alimentation et les agriculteurs sont géopolitique agraire et alimentaire. Les
des paysans à la sagesse séculaire, bien au cœur des rivalités qui se mani- ruptures démographiques et clima-
des nourritures variées et goûteuses. festent partout, qu’elles soient internes tiques sans précédent que connaît la
6 . GÉOPOLITIQUE DE L’AGRICULTURE
planète ont des incidences massives sur que les États retrouvent le chemin per- analyserons des conflits plus ou moins
les mondes agricoles et tout l’univers du du multilatéralisme. récents à l’aune des questions agricoles
organisationnel qui s’y rattache. Toutes Mus par la question de la paix collective, et alimentaires. Nous décrypterons en-
aussi fortes sont celles qu’elles font pe- nous nous intéressons depuis longtemps suite les jeux de puissance et les straté-
ser sur les ressources qui conditionnent à la géopolitique qui est un premier pas gies de grands acteurs, essentiellement
l’agriculture et, par ricochet, l’alimenta- pour comprendre ce qui empêche cette des États, qui ont saisi (ou pas) le carac-
tion. Dans ce contexte, c’est souvent une paix d’advenir. Or il nous est apparu que tère incontournable de l’agriculture et
géopolitique inquiète qui prédomine. les hommes et les femmes qui pratiquent de l’alimentation dès lors qu’ils veulent
Ce faisant, il ne s’agit pas de contribuer l’agriculture sont souvent oubliés des compter ou du moins être stables. Enfin,
à une œuvre de démoralisation mais analyses géopolitiques, de même que les nous regarderons les mondes agri-
tout simplement de tenter de regarder acteurs qui gravitent autour d’eux, pour coles au travers de défis nouveaux, de
le monde tel qu’il est. Moins pour se le meilleur et parfois pour le pire. transitions incertaines et de fragilités
résigner que pour contribuer modeste- Avec cet ouvrage, nous voulons contri- inquiétantes.
ment à l’expliquer, en considérant que buer à combler cette lacune. Pour ce Tandis que le monde traverse une crise
des sursauts sont possibles. D’ailleurs, faire, nous proposons d’articuler notre géopolitique avec la guerre en Ukraine
s’ils contribuent depuis longtemps à la réflexion en quatre parties. La première  qui menace les équilibres alimen-
vie de chacun, à la stabilité collective, évoque la situation et les tendances à taires , que le climat s’emballe et que
à la création de solidarités eectives, l’œuvre en termes de ressources, de pola faim aecte près d’un milliard d’habi-
voire à la paix, les agriculteurs peuvent pulations et d’acteurs impliqués. Ce tour tants, il est plus que temps de remettre
apporter beaucoup de solutions aux d’horizon est incontournable si nous l’agriculture au centre des analyses géo-
insécurités sociale, climatique et poli- voulons saisir les rivalités et les insécu- politiques. Prendre conscience et com-
tique, à condition bien sûr que les po- rités qui se dessinent, et que nous dé- prendre pour agir. C’est aussi l’objectif
litiques publiques soient porteuses et crirons dans la deuxième partie. Nous y de ce livre.
INTRODUCTION . 7
PRTIE 1
TENDANCES PLANÉTAIRES
FCHE 1
RÉVOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES
Une nécessité vitale pour les êtres
humains traverse les époques et les NOURRIR UN MONDE
continents: l’accès à l’alimentation. Se DE PLUS EN PLUS PEUPLÉ population mondiale a quadruplé au
nourrir est indispensable pour exister et cours des neuf dernières décennies
se développer. Le premier des besoins Au cours des deux derniers millénaires, (1930-2020), mais ne devrait compter
dans l’histoire humaine reste le pilier la population sur Terre a connu une «que» 3milliards de personnes en plus
central de la sécurité individuelle et croissance phénoménale. Elle comp- d’ici à 2100, horizon où une stabilisation
collective. L’agriculture répond depuis tait 250 millions d’habitants en l’an 0 globale est attendue (11,2milliards).
toujours à cet enjeu universel et per- comme en l’an 1000. Mais ensuite, le Ce ralentissement lointain ne doit pas
manent. La production de nourriture doublement démographique se fait masquer des tendances récentes et à
constitue la principale fonction de l’ac- de plus en plus rapide : 460 millions venir qui mettent au défi les agricultu-
tivité agricole. Cela explique l’intimité en 1500, 1 milliard en 1815, 2 en 1930, res et la sécurité alimentaire mondiale.
de ses liens avec la démographie et la 4 en 1972, 6 en 1999 et 7,8 pour 2020. Entre 1990 et 2020, ce sont 2,5milliards
dimension stratégique de ce secteur. Il Les projections onusiennes tablent sur d’individus en plus qui sont venus peu-
faut dire que les sociétés ont imposé à des temps de passage moins prononcés pler la planète. Les trois prochaines dé-
la planète un rythme particulièrement pour les futurs changements de mil- cennies ne seront pas moins exigeantes
complexe à suivre! liard: 8 en 2023, 9 en 2037, 10 en 2055, que les trois dernières, puisque 2 mil-
11 en 2088… Pour le dire autrement, la liards de personnes supplémentaires
sont attendues. Actuellement, entre les elle verra son poids décliner dans la un bouleversement inédit dans l’His-
naissances et les décès, la planète en- seconde partie du siècle, pour tomber toire: 120millions d’habitants en 1900,
registre un solde de croissance démo- aux alentours de 43% à l’horizon 2100. 500 millions en 1980 puis la barre du
graphique équivalent à 82 millions de Nourrir l’Asie demain continuera à être milliard est franchie en 2009. Avec une
personnes par an. un défi colossal, vu la taille démogra- population désormais située à 1,3 mil-
phique de cette région, mais les habi- liard (dont la moitié a moins de 20 ans),
DISPARITÉS SPATIALES tants ne seront pas croissants. En re- l’Afrique a vu ses habitants doubler
ET STRATÉGIQUES vanche, ils seront plus nombreux à être depuis 1990. Un autre doublement est
dotés d’un pouvoir d’achat supérieur prévu pour 2050, quand le continent
Cette évolution de la population mon- et souhaiteront davantage de qualité devrait atteindre 2,5 milliards d’indivi-
diale doit être analysée à l’aune des dans leur assiette. L’essor des classes dus, tandis que pour 2100, l’Organisa-
contrastes régionaux. Les continents moyennes en Asie représente ainsi une tion des Nations unies (ONU) annonce
sont inégalement peuplés et le rythme variable géoéconomique incontour- un chire de 4,5 milliards (projection
de leur croissance démographique nable dans la dynamique des marchés médiane), voire 6,2milliards selon l’hy-
s’avère très diérencié. La question alimentaires. Au début du e siècle, pothèse haute. Avec près d’une nais-
de la sécurité alimentaire ne se pose seuls 10% des Asiatiques (soit 300mil- sance sur deux à venir dans le monde,
donc pas dans les mêmes termes stra- lions de personnes) appartenaient à la l’Afrique, qui réunissait à peine 13 %
tégiques. L’augmentation du nombre classe moyenne selon les niveaux dé- de la population du globe en 2000 en
de bouches à nourrir est la principale finis pour une telle catégorie dans ces comptera 25% en 2050 et plus de 40%
raison qui pousse des pays à la plus pays. Depuis, la progression est fulgu- à la fin de ce siècle. Deux inconnues
haute vigilance politique pour leur rante: 35 % actuellement et 75% pour géopolitiques se posent néanmoins :
agriculture et leur alimentation. L’Asie, 2030, soit 3,5 milliards d’Asiatiques l’agriculture et la sécurité alimentaire
par exemple, avec 4,5 milliards d’ha- dont le profil socio-économique leur en Afrique peuvent-elles relever un tel
bitants, dont deux tiers regroupés en permettra de consommer plus et mieux. défi démographique? Combien d’Afri-
Chine, Inde et Indonésie, reste de loin Une sécurité alimentaire à la fois quan- cains migreront par-delà le continent si
l’espace géographique le plus peuplé. titative et qualitative sera donc requise les conditions de vie et la satisfaction
Elle concentre actuellement 58% de la demain dans cet espace. de leurs besoins de base ne sont pas au
population du globe. Cette part est plus La croissance démographique mon- rendez-vous?
ou moins identique depuis 2 000 ans. diale est principalement soutenue
Si l’Asie pèse encore pour 53% en 2050, par l’Afrique. Ce continent connaît
PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 11

FCS
Alors que la grande pauvreté a chuté de 36 à 10 % de
la population mondiale de 1990 à nos jours, la classe
moyenne mondiale s’accroît : 1,8 milliard d’individus
À RETENIR
en 2000, 3,6 milliards en 2020 et 5 milliards prévus Se nourrir reste le premier des besoins humains. L’ac-
en 2030. Ces catégories de population constitueront célération de la croissance démographique constitue
alors, de loin, le segment le plus important dans les un défi immense pour l’agriculture. La planète est
sociétés, présentant des profils différenciés selon les passée de 2 à 8 milliards d’individus entre 1930 et
pays, et donc des pouvoirs d’achat pluriels. Si l’Eu- 2020. 11 milliards d’habitants sont prévus pour la
rope et l’Amérique du Nord concentraient au début fin du siècle. Autant de personnes à nourrir chaque
du xxie siècle la majorité de cette classe moyenne jour et si possible plusieurs fois par jour. Alors que
10 000 personnes s’ajoutent chaque heure au total
mondiale, celle-ci sera demain bien plus importante
de la population mondiale, l’activité agricole s’avère
en valeur absolue dans les zones asiatiques, afri-
donc indispensable en raison de son caractère vital
caines et sud-américaines. En 2030, l’Asie représen- pour chaque individu, sur tous les continents et dans
tera deux tiers de la classe moyenne mondiale, là toutes les sociétés.
où elle ne pesait que pour 20 % au début du siècle.
L’Europe comptera pour 14 % en 2030 contre 41 % en
2000. Ainsi, les marchés du futur se déplacent-ils
rapidement. L’émergence de cette classe moyenne
mondiale se caractérise par une consommation ali-
mentaire en hausse et une exigence de meilleure
qualité des produits.
ÉVOLUTION DE LA POPULATION MONDIALE ET
Population DE LA POPULATION AFRICAINE
(en millions)
11000
10000
9000
8000
7000
6000
mondiale
5000
population
4000
e
n africain
3000
t io
popula
3000
1000
Année
500 1000 1500 1800 1900 2000 2100
FCHE 2
MONDES RURAUX INCONTOURNABLES

Il convient de regarder les territoires ru-
raux avec l’attention géopolitique qu’ils croissance démographique, l’Afrique a
exigent. Leur population ne s’est pas ré- enregistré 235 millions de ruraux sup- les zones rurales, généralement situées
duite et ne saurait être exclue du déve- plémentaires. Elle en compte désormais à l’intérieur des territoires. Aussi les
loppement. L’agriculture domine dans 765millions et devrait dépasser le mil- progrès ont-ils été plus rapides, plus
ces zones rurales au sein desquelles liard en 2050. 90 % d’entre eux seront massifs et plus commentés dans ces
l’exode vers les villes ou l’étranger localisés au sud du Sahara, représentant mondes urbains aspirés par la mondia-
constitue une tendance de fond. alors un tiers des ruraux de la planète. À lisation et la modernité. En contraste,
l’inverse, on note une baisse de 300mil- les campagnes ont accumulé les retards
NE PAS OUBLIER lions de ruraux entre 1990 et 2020 en et toutes les formes de précarité. Elles
LE MONDE RURAL Chine où développement et urbanisa- peuvent alors se rappeler au souvenir
tion riment avec littoralisation. C’est des pouvoirs lorsqu’elles deviennent
Les populations rurales dans le monde d’ailleurs la tendance mondiale. Les le siège de troubles et de rébellions.
sont stables depuis le début du siècle, villes et les bords de mer concentrent la Comme on l’a vu avec le début des
soit 3,4 milliards de personnes. C’est croissance humaine, économique et la révoltes en Tunisie en 2010-2011, les
le double par rapport à 1950 et un visibilité médiatique. mécontentements ruraux peuvent ga-
milliard de plus comparé à 1970! Ces Les investissements et les mesures po- gner les villes. Cette fracture territo-
vingt dernières années, en raison de sa litiques ont bien moins essaimé dans riale interne, périlleuse avec l’explosion
des outils de communication, traverse vives qui produisent de la nourriture, de poussent également des individus à
aujourd’hui la majorité des États. Elle l’énergie ou d’autres services connexes quitter leur territoire. Pauvreté, inégali-
s’impose comme l’une des grilles de lec- ne bénéficient pas toutes de statut et tés et insécurité alimentent ces migra-
ture prioritaires de la géopolitique du de contrat en bonne et due forme. C’est tions de détresse, notamment au sein de
 esiècle. notamment le cas pays en guerre ou
Au sein de ces mondes ruraux, 1,3mil- des femmes, pour- Le secteur agricole en sourance mé-
liard de personnes vivent aujourd’hui
de l’agriculture. Cela représente 28% de
tant essentielles à
la sécurité alimen-
assure 50% de l’emploi téorologique. Trop
de zones rurales
la population active mondiale, contre taire locale, mais féminin en Afrique, le tombent en déshé-
45% au début des années1990. Le sec- aussi des enfants, tiers en Asie et 20% en rence et passent
teur demeure néanmoins l’un des prin-
cipaux pourvoyeurs d’emplois sur la
qui servent parfois
de bras dans les ex-
Amérique du Sud. aux mains des ex-
trêmes (politiques
planète. C’est plus d’un actif sur deux ploitations familiales des pays en déve- ou religieux), faute d’être considérées
en moyenne en Afrique subsaharienne, loppement. Ainsi, le nombre d’agricul- comme des terres d’avenir par les pou-
40% en Inde et en Asie du Sud, 25% en teurs salariés dans le monde, réellement voirs centraux, les investisseurs ou les
Chine et dans les pays arabes, mais 5% producteurs et capables de valoriser acteurs internationaux. Pourtant, pour
dans ceux de l’OCDE (contre un tiers leurs productions sur des marchés, est- construire une plus grande sécurité ali-
dans les années 1960). Si l’on prend il plutôt de 450millions. mentaire, l’équipement de ces zones ru-
l’emploi rural uniquement, ces pourcen- rales est partout nécessaire. De même,
tages doubleraient ou tripleraient tant EXODE RURAL pour rendre les villes soutenables et
l’agriculture prévaut dans l’activité de ET MIGRATIONS éviter des troubles sociopolitiques liés
ces territoires. Le secteur agricole pèse aux disparités territoriales, le dévelop-
pour 14% du produit intérieur brut (PIB) L’industrialisation puis la tertiarisation pement en milieu rural reste indispen-
africain (avec des pics à 40-50 % pour des économies ont entraîné de puis- sable et repose encore en grande partie
certains pays) et 8% de celui de l’Asie. sants exodes des zones rurales vers sur celui de l’agriculture. Faute de cela,
Dans l’Union européenne (UE), sa part les villes. Les perspectives d’un futur les déplacements intérieurs et interna-
est tombée à 2%. meilleur se trouvent rarement dans les tionaux s’amplifieront, surtout en l’ab-
Outre des conditions de travail di- campagnes. La dégradation des res- sence de paix.
ciles liées à la pénibilité physique ou sources naturelles, les changements
à l’incertitude des revenus, ces forces climatiques et les violences physiques

FOCUS À RETENIR
Partout dans le monde, les agriculteurs vieillissent. L’urbanisation s’accentue dans toutes les régions du
Un tiers d’entre eux en Europe ont plus de 65 ans. globe. Pour autant, les zones rurales n’ont jamais
Au Maghreb, en Amérique latine et en Asie, la moitié été aussi peuplées. Des considérations humaines et
dépasse désormais 50 ans. Ces dynamiques posent stratégiques exigent d’inclure ces populations dans
de multiples inconnues sur le devenir de l’agriculture les politiques de développement. L’agriculture, sec-
teur d’emploi dominant, sert à la fois de résilience
mondiale. Sera-t-elle encore à visage humain dans
et de levier. Créer les conditions d’une meilleure vie
certains pays ou les machines et les robots pren-
dans les espaces ruraux s’avère indispensable pour
dront-ils le dessus ? Le renouvellement générationnel enrayer les migrations de détresse.
agricole s’affaiblit faute de perspectives motivantes
pour les jeunes. Parallèlement, un tiers environ de la
migration internationale dans le monde est le fait de
personnes âgées de 15 à 34 ans. Beaucoup d’entre
eux sont des ruraux. Vidées de leurs jeunes, les cam-
pagnes peinent à se développer, à se transformer et
à attirer. En Afrique, l’exode rural de la jeunesse est
difficile à tarir, alors que la production agricole est
appelée à significativement progresser et que l’em-
ploi dans d’autres secteurs n’est pas si abondant.
Mais la télévision et Internet nourrissent les velléités
de départ.
PART DES AGRICULTEURS
DANS LA POPULATION ACTIVE EN 
1,4 É AN
OC UE 26,8
T IQ 17,4
L AN
13 AT
43,9 50
55,4
36,6 66,2
30,5 67,7
OC OC
PA ÉA ÉA
C I N 9,4 49 IN N
FI DI
QU 28 EN
E
 
Moins de 10 % Entre 20 et 30 % Entre 40 et 50 % Plus de 60 %

Entre 10 et 20 % Entre 30 et 40 % Entre 50 et 60 %
FCHE 3
TERRES VITALES
Dans un ouvrage récent (Dirt  The
Erosion of Civilizations), le géologue agricoles représentent 4,9 milliards
Dave Montgomery soulignait que « le d’hectares. Sur ce «stock», les terrains C’est donc surtout l’accroissement de la
sol, c’est la peau de la terre, la frontière de parcours pour les élevages dominent productivité qui a permis d’augmenter la
entre la géologie et la biologie». En fai- largement avec 3,3milliards d’hectares. production d’environ 150% sur la même
sant passer du minéral à la vie, le sol a L’agriculture se pratique quant à elle sur période. Avec quelque 531 millions
un rôle essentiel, en particulier pour 1,5milliard d’hectares, dont 140millions d’hectares, c’est l’Asie qui domine de-
l’agriculture et l’élevage. Mais, comme sont dévolus aux plantations perma- vant l’Amérique du Nord (229millions),
le suggère le sous-titre de cet ouvrage, nentes (vignes, plantations, vergers). l’Afrique subsaharienne (191 millions),
le patrimoine foncier est exposé à di- Les terres aectées à l’agriculture repré- l’Europe (172millions) et l’Amérique la-
verses menaces, tant la dégradation et sentent ainsi à peine 12% de la surface tine (164millions).
l’artificialisation que les convoitises. émergée mais leur importance sociale, Si les terres cultivées sont bien évaluées,
économique et politique n’est pas à il est plus dicile de connaître les terres
DES TERRES prouver. Entre 1960 et 2016, les terres encore cultivables, à l’exclusion des fo-
EN QUANTITÉS? cultivées ont augmenté de quelque 8%, rêts et des réserves naturelles. Les hypo-
alors que les pays ont dû aronter avec thèses varient en sachant que 500 mil-
Sur un total d’environ 13milliards d’hec- plus ou moins de décalage une tran- lions d’hectares mobilisables est le
tares de terres émergées, les terres sition démographique et alimentaire. scénario le plus modeste, et que l’Afrique
et l’Amérique latine constituent les réser- liée à l’usage de matériel lourd, est im- agricoles, la terre arable avait alors
voirs essentiels dans tous les scénarios. portante sur les vieilles terres d’agri- suscité un regain d’intérêt. Depuis, cer-
Cette ressource potentielle doit per- culture intensive. L’érosion des terres, tains États veulent assurer leur sécurité
mettre de répondre aux besoins supplé- qu’elle soit d’origine éolienne ou hy- alimentaire en investissant à l’étranger.
mentaires mais des questions se posent: drique, dégrade leur qualité tandis que Mais à côté de cette approche «souve-
peut-on compter sur ces réserves fon- le transport des particules par le vent rainiste» de l’acquisition foncière de la
cières souvent situées sur des espaces peut provoquer des pluies de poussière Chine ou des monarchies du Golfe, une
géopolitiques instables ? Quels seront très néfastes pour l’agriculture. Depuis stratégie spéculative se fait jour, la terre
les eets des changements climatiques le Dust Bowl amé- étant désormais
sur les rendements des régions les plus ricain au début des Les terres arables perçue comme un
productives? Quelle sera la pression des années1930, rendu représentent quelque actif rentable. Si
autres usages pastoraux, urbains et fores- célèbre par John les États-Unis et la
tiers sur ce réservoir? Steinbeck dans Les 10% des terres Malaisie sont les
Raisins de la colère, émergées mais elles plus grands inves-
DES TERRES MENACÉES ces phénomènes assurent en grande tisseurs fonciers, ce
ET CONVOITÉES se sont étendus à n’est pas pour sécu-
d’autres régions du partie la sécurité riser leur alimen-
Les surfaces cultivées sont déjà monde, particuliè- alimentaire de la tation mais parce
soumises à de fortes pressions. rement l’Asie et le planète. que des investis-
L’artificialisation par les constructions Moyen-Orient. seurs de ces pays
d’infrastructures et l’urbanisation gri- Non seulement ces deux régions sont y voient une opportunité économique.
gnotent les terres arables, en particulier aectées par les dégradations et l’arti- Par contre, dans les pays qui reçoivent
en Asie. Les terres sont également af- ficialisation foncières mais elles sont ces investissements, les États souvent
fectées dans leurs performances par les aussi les plus touchées par le manque fragiles ou faillis n’incluent pas forcé-
dégradations en tout genre. Assez forte de terres. Est-il étonnant dès lors que ment les paysans ou les éleveurs dans
en Asie, au Moyen-Orient et en Europe, certains pays de ces régions soient très ces projets agricoles. La recherche de
la salinisation liée à une irrigation mal actifs dans la recherche de terres au-de- terres mais aussi du gain des uns peut
conduite ou à l’intrusion de l’eau de mer là de leurs frontières, particulièrement ainsi nourrir des frustrations sociales
dans les sols peut les rendre impropres depuis la crise des années 2007-2008? ou, pire, cultiver la faim des autres.
à l’agriculture. La compaction des sols, Du fait du renchérissement des prix

FCS À RETENIR
Avec la production d’énergie, les terres cultivées pour
l’alimentation sont soumises à un nouveau concur- Les terres arables permettent de produire suffisam-
rent. L’idée de produire des biocarburants a germé ment d’aliments pour une planète qui est passée de
1,5 milliard d’habitants en 1900 à plus de 7 milliards
dès les crises pétrolières de 1973 et 1979. Le Brésil
aujourd’hui. Même si certaines régions ne peuvent
s’est le premier lancé avec sa filière éthanol à partir
déjà plus trouver de solutions par elles-mêmes à leur
de canne à sucre. Cette production a connu surtout équation alimentaire, les réserves de terres devraient
un engouement depuis le début des années 2000, globalement permettre de résoudre l’accroissement
poussé par l’antici pation de l’épuisement pétrolier et de la population. Cependant, des menaces pèsent sur
de la prise de conscience des changements clima- les terres, depuis la concurrence des autres usages
tiques, les biocarburants étant présentés comme des jusqu’à leur dégradation et leur artificialisation.
facteurs de réduction des gaz à effets de serre. Si
les biocarburants n’ont pas un bilan carboné aus-
si favorable qu’on a pu le dire, leur développement
s’est poursuivi au point de concurrencer les cultures
alimentaires. Ceci n’est pas sans effets comme on
a pu le voir lors de la crise agricole de 2007-2008
où le remplacement de cultures alimentaires par des
agrocarburants a pesé dans le renchérissement des
prix agricoles. Assouvir la faim d’énergie peut pro-
duire la faim.
LES TERRES CULTIVÉES DANS LE MONDE
É AN
OC E
IQ U
NT
LA
AT
OC
PA ÉA OC
CI N ÉA
FI IN N
QU DI
EN
E
 
Terres agricoles
0% 100 %
FCHE 4
EAUX CONVOITÉES
De l’Asie du Sud au Moyen-Orient, de
l’Andalousie à l’Amérique précolom- du concept de civilisation hydraulique,
bienne, ont émergé des civilisations a montré combien l’eau a été un élément – qui peut se mêler à des inondations –
hydrauliques fondées sur la maîtrise de déterminant de certaines construc- ont inventé toutes sortes de techniques
l’eau. Cette maîtrise tions étatiques. pour pomper de l’eau dans les fleuves
a pu pallier les aléas Sans les gains La nécessité ou les nappes, sans perdre de vue les
pluviaux dans des ré- de productivité de développer techniques d’optimisation de l’eau d’irri-
gions souvent arides. de grandes in- gation, notamment au travers de la tech-
Le lien entre civili- de l’irrigation, frastructures d’ir- nique chinoise ou inca du terrassement.
sation et maîtrise de 500millions d’hectares rigation a poussé
l’eau est tellement de plus seraient à l’établissement UNE RÉVOLUTION
consubstantiel qu’en d’organisations HYDRAULIQUE
perse le mot äb (eau) nécessaires pour centralisées,
est le radical d’äba- produire autant que voire autoritaires. Après cette première révolution hy-
dan (civilisation). maintenant. Quelle que soit la draulique au long cours, une révolution
Par-delà le rayonne- validité de cette beaucoup plus rapide dans le temps
ment lié à la maîtrise hydraulique, l’an- thèse, force est d’admettre que les ré- s’est produite depuis les années 1950.
thropologue Karl Wittfogel, à l’origine gions faisant face à un manque d’eau Aussi prestigieuses furent-elles, ces
techniques ont été en partie supplan- Toutefois, eu égard à leur climat tem- dégradé les sols, notamment du fait de
tées par des travaux de grande hy- péré qui restreint la nécessité d’irriguer leur salinisation, tandis que beaucoup
draulique au cours du  e siècle. Basé et à leur moindre taille, les surfaces irri- de nappes voient leur niveau diminuer.
notamment sur les grands barrages, guées sont bien moindres: 26,4millions La pression de l’irrigation a même fait
l’essor quantitatif a été sans commune aux États-Unis et moins de 10millions disparaître la mer d’Aral et beaucoup de
mesure avec le précédent siècle, dans en Europe. S’ils contribuent peu à la sur- zones humides. Sur le plan social, l’agri-
un contexte de pression démogra- face irriguée totale, l’Afrique du Nord et culture irriguée entre en compétition
phique sans précédent. Si la surface irri- le Moyen-Orient n’en sont pas moins avec les autres usages en plein essor,
guée couvrait 110millions d’hectares en les régions où l’irrigation est la plus in- à commencer par les besoins d’eau po-
1950, elle tourne de nos jours autour de contournable eu égard à la faiblesse de table, du fait des transitions démogra-
330millions, soit 20% des surfaces culti- la ressource pluviale. Cas extrême dans phiques plus ou moins avancées.
vées mais 40% de la production. cette région, l’Égypte – qui ne reçoit pra- Sur le plan géopolitique, le poids des
Considérée comme un facteur de pro- tiquement pas de précipitations – a une prélèvements liés à l’irrigation aiguise
ductivité essentiel, l’irrigation a été surface irriguée équivalente à sa surface les rivalités entre États riverains d’un
notamment au cœur des révolutions cultivée. Autre fait à noter, l’Afrique est bassin partagé. Quand il est question
vertes qui se sont produites en Asie, de le continent le moins irrigué de la pla- de guerres de l’eau, ce sont bien des
loin le continent le plus couvert en irri- nète. Non pas que l’agriculture pluviale guerres de l’irrigation qui se produisent,
gation. Avec environ 230millions d’hec- suse mais parce que ce continent l’eau étant utilisée à 70-80 % par cette
tares irrigués, ce continent représente soure d’un manque de développement activité dans les régions arides concer-
plus de 70 % de la superficie mondiale de ses infrastructures. nées. L’heure n’est cependant pas à
d’irrigation, en sachant que la Chine et l’arrêt de l’irrigation, car la sécurité ali-
l’Inde totalisent à elles seules 220mil- UNE NOUVELLE mentaire est en partie conditionnée par
lions d’hectares – soit 42% du total mon- RÉVOLUTION l’usage de l’eau, mais à son optimisation.
dial, qu’on doit quand même ramener Il s’agit surtout de faire des économies
aux 40% de la population mondiale qui Si en Afrique, l’irrigation est donc ap- d’eau via entre autres la réfection des
s’y trouve. pelée à s’accroître afin notamment de réseaux, la conversion technologique et
Ailleurs, l’irrigation s’est également sécuriser les revenus des paysans, par- culturale vers des systèmes et des pro-
développée, notamment en Europe et tout ailleurs l’heure est plutôt à sa li- ductions économes en eau, le pilotage
aux États-Unis qui sont devenus des mitation. Sur le plan environnemental, plus fin de l’irrigation, la tarification
poids lourds de l’agriculture mondiale. une irrigation mal conduite a fortement juste et la concertation entre usagers.

FOCUS À RETENIR
L’eau nécessaire au processus de production varie L’eau peut venir directement du ciel, permettant ain-
selon les plantes et les espèces animales. En produc- si l’agriculture pluviale. Elle peut aussi venir des fo-
tion végétale, cette eau dite virtuelle varie d’un climat rages, des rivières ou des retenues d’eau, permettant
à un autre et d’une variété à une autre. Dans le do- l’irrigation. Quand les terres sont irriguées, la pro-
maine animal, la quantité d’eau virtuelle nécessaire ductivité s’accroît et la pauvreté recule. Pour autant,
après avoir été un attribut des civilisations hydrau-
dépend du climat, qui conditionne la consommation
liques puis un moteur du développement de certains
en eau des animaux, mais également des rations ali-
États contemporains, l’irrigation est aujourd’hui sous
mentaires. Malgré ces réserves, on peut retenir que pression, du fait de ses incidences environnemen-
la production d’un kilogramme de céréales et d’un ki- tales, sociales et géopolitiques.
logramme de viande requiert respectivement 1 000
et 13 500 litres. Attention toutefois aux conclusions
hâtives : étant donné que la viande dégage une forte
valeur ajoutée et que ce sont surtout les céréales pré-
sentes dans les rations de ces animaux qui élèvent
l’eau virtuelle de la viande, il peut être préférable pour
un pays aride d’importer des céréales et de les faire
manger sur place par du bétail. En cultures végétales,
mieux vaut pour un pays aride produire des légumes
secs dont la production est économe en eau.
LES SURFACES IRRIGUÉES EN POURCENTAGE
DE LA SURFACE CULTIVÉE
É AN
OC E
IQ U
NT
LA
AT
OC
PA ÉA OC
CI N ÉA
FI IN N
QU DI
EN
E
 
Pourcentage des surfaces irriguées
0% 100 %
FCHE 5
MERS NOURRICIÈRES
La sécurité alimentaire ne repose pas
uniquement sur les récoltes à terre : 20 kg au cours des cinq dernières dé-
les produits de la mer s’avèrent déter- cennies. Un Japonais en consomme début de la décennie 1990, a franchi les
minants. À l’échelle mondiale, 20% de 50 kg chaque année, un Chinois 35, 40Mt au début du millénaire et dépasse
l’apport en protéines animales pour les un Français 33, un Européen 22, mais désormais la barre des 80Mt.
populations proviennent de la pêche et le chire tombe à 10 pour un Brésilien Comme les produits de la terre, ceux de
de l’aquaculture. Cette part tend à pro- et à 5 pour un Indien. Pour répondre à la mer se concentrent dans peu de zones
gresser, tout comme le nombre d’indi- ces besoins, la production a dû suivre en termes de production. La Chine est le
vidus consommant des produits de la le rythme. De 40 millions de tonnes seul pays dans le monde à capturer 15Mt
mer. Au cœur des dynamiques géopo- (Mt) au début des années1960, elle est en pêche. Loin derrière se trouvent l’In-
litiques sur les ressources marines se passée à 178Mt de nos jours, dont 85% donésie et le Pérou (7 Mt), les États-Unis,
trouve donc une problématique alimen- sont destinés à la consommation hu- l’Inde et la Russie (5 Mt). En Europe,
taire importante. maine. Si la part de la pêche représen- la Norvège est leader (2 Mt), suivent
tait l’intégralité de la production dans l’Espagne (1 Mt) et la France (0,5 Mt).
L’OFFRE ET LA DEMANDE les années 1960, avec environ 96 Mt, L’ensemble de l’UE représente 4 à 5Mt
EN TENDANCES elle reste stable depuis les années1990 en moyenne. Au niveau de l’aquaculture,
dans l’ore de produits de la mer. En re- sur les 80Mt au total, la Chine (50Mt),
La consommation de produits de la mer vanche, celle de l’aquaculture explose. l’Indonésie et l’Inde (7Mt chacune) et le
par habitant et par an est passée de 9 à Elle qui atteignait à peine 20 Mt au Vietnam (4Mt) réalisent à elles seules
les trois-quarts de la production mon- fermes aquacoles sur la biodiversité. trafiquants et des pirates, les marines
diale, hyper-polarisée donc sur l’Asie. L’objectif de développement durable de guerre protègent les flux mais aussi
Avec la croissance de la demande mon- (ODD) n°14 porte précisément sur les ces produits nourriciers de la mer. En
diale, la nécessité de commercer vaut mers et les océans, dont la pêche et miroir à ce rôle sécuritaire se trouvent
aussi pour ces produits de la mer. 35% l’aquaculture. Les changements clima- aussi des comportements plus agres-
de la production mondiale de poisson tiques n’épargnent pas ces secteurs. sifs, consistant à développer des straté-
se retrouvent sur les marchés interna- Les littoraux et la gies navales dans
tionaux. Les échanges atteignent désor- mer ne sont pas 60millions de lesquelles l’accès
mais 164 milliards de dollars (MUSD) des espaces dédiés personnes dans le aux ressources ha-
par an, un montant trois fois supérieur aux loisirs et au lieutiques est aussi
par rapport au début du siècle. La tourisme unique- monde travaillent visé. Dans les rivali-
Chine est le premier exportateur avec ment. L’économie dans la pêche et tés qui se dessinent
21MUSD, suivie par la Norvège (11), le bleue repose aus- l’aquaculture, soit un entre riverains de
Vietnam (8), la Thaïlande (6,5), les États- si sur la pêche et la mer de Chine, les
Unis, le Chili et l’Inde (6). Sur le plan des l’aquaculture. Pour doublement en 30ans. motivations liées à
importations, les États-Unis sont pre- de nombreux pays, Plus de 80% d’entre eux la pêche sont très
miers (20MUSD), la France étant située la pêche artisanale sont Asiatiques. prégnantes. Sur un
au 5e rang mondial. et côtière s’avère autre registre, dans
indispensable en termes de revenus et les processus de négociations commer-
DIMENSIONS ÉCOLOGIQUES, de nourriture pour les communautés lit- ciales, les produits de la mer peuvent
ÉCONOMIQUES ET torales et rurales. De même, le secteur être utilisés à des fins politiques. La
STRATÉGIQUES halieutique peut constituer un pilier de France, qui dispose du 2e domaine ma-
l’économie nationale, à l’instar du Chili. ritime du monde avec sa zone écono-
Les débats environnementaux s’inten- Avec 4 000 kilomètres de front mari- mique exclusive, capitalise-t-elle su-
sifient à propos de ces activités écono- time, la pêche contribue pour 8% du PIB samment cet avantage en termes d’ore
miques. D’un côté, la surexploitation et 16% de l’emploi. alimentaire et commerciale?
des stocks de nombreuses espèces de La lutte contre la pêche illicite, repré-
poissons contrarie fortement l’activité sentant 15% du total des prises halieu-
halieutique. De l’autre, les controverses tiques mondiales, nécessite des moyens
restent nombreuses sur l’empreinte des militaires conséquents. Vis-à-vis des

FCS
Les pêcheurs britanniques ont massivement soute-
nu la sortie de l’UE (Brexit), exprimant la volonté de
À RETENIR
reprendre la maîtrise complète de leurs eaux territo- Depuis un demi-siècle, la progression annuelle mon-
riales. Le Royaume-Uni est la réserve poissonneuse diale de consommation de poisson représente le
de l’Union, assurant 40 % des captures de pêche double de la croissance démographique. La mer est
européenne. La moitié des prises françaises se font indispensable pour nourrir la planète ! La pêche et
dans les eaux anglaises ! 75 % des exportations bri- l’aquaculture sont également des secteurs clefs de
tanniques de produits de la mer partent sur le marché l’économie pour beaucoup de pays. Les captures de
européen. Le départ du Royaume-Uni de la Politique pêche et les productions aquacoles sont concentrées
géographiquement. Plus du tiers des stocks de pois-
commune de la pêche (PCP), instaurée en 1983, bou-
sons est surexploité. La durabilité de ces ressources
leverserait l’accès aux eaux territoriales et la gestion
est en jeu.
commune de la ressource halieutique. En l’absence
d’accord, les risques sont multiples : fermeture des
zones de pêche britannique aux navires européens,
distorsions de concurrence, surexploitation de la res-
source, instauration de nouvelles barrières commer-
ciales et sanitaires aux échanges… Quand l’Europe
va mal, l’agriculture et la pêche souffrent et perdent
leurs repères construits depuis un demi-siècle.
NOMBRE D’EMPLOIS DANS LES SECTEURS DE
LA PÊCHE ET DE L’AQUACULTURE DANS LE MONDE
AMÉRIQUE EUROPE
DU NORD 445
218
ASIE
50468
AMÉRIQUE DU SUD
ET CARAÏBES OCÉANIE
2466 342
342 Nombre d’emplois dans
les deux secteurs en 2016
AFRIQUE (en milliers)
5671
Pêche en 1995 Aquaculture en 1995
Pêche en 2016 Aquaculture en 2016
FCHE 6
ENCORE LA FAIM
Le droit à l’alimentation est reconnu par
la Déclaration universelle des droits de combinent dramatiquement: la pauvre-
l’homme de 1948. De fait, les États ont té, la guerre et l’accident climatique. La et qu’il conviendrait de réguler, y com-
l’obligation de le faire respecter. Parmi faim est avant tout liée à des probléma- pris par la force, les courbes de la po-
les ODD, le deuxième vise à éradiquer la tiques d’accès. De trop faibles revenus, pulation. Jusqu’à présent, l’agriculture
faim d’ici 2030. Mais 800millions d’indi- des systèmes politiques autoritaires et et ses innovations ont pourtant réussi
vidus, généralement pauvres et habitant des insécurités hydriques ou foncières à suivre l’augmentation de la demande
en milieu rural, luttent encore pour accé- pèsent davantage dans l’équation que la en produisant les quantités nécessaires.
der à l’alimentation et vivre dignement. seule variable des productions alimen- Au lendemain de la Seconde Guerre
taires dans le monde. mondiale, le médecin et sociologue bré-
UNE PROBLÉMATIQUE L’économiste britannique Thomas silien Josué De Castro a montré que la
ANCIENNE ET COMPLEXE Malthus, à la fin du e  siècle, était faim procède de corrélations entre des
déjà inquiet pour l’avenir de la planète en facteurs géographiques et des phéno-
Le manque de nourriture a toujours raison de la croissance démographique mènes de caractère politique. Il a aussi
existé. Aucune personne ou société su- qui serait la cause d’une inexorable in- souligné que la sécurité alimentaire
bissant cette situation n’a survécu. Cette sécurité alimentaire exponentielle. De n’est jamais définitivement acquise et
triste réalité repose sur trois paramètres nos jours encore, certains estiment que reste soumise à une profonde stabilité
qui traversent les époques et parfois se nous sommes trop nombreux sur Terre sociopolitique.
En outre, les guerres provoquent des ins- peuvent être induites ou exacerbées par territorial. Cela ne doit toutefois pas
tabilités à tous les niveaux du quotidien. des chocs météorologiques. Des catas- masquer les crises alimentaires aiguës
Elles poussent les individus dans la trophes naturelles comme les inonda- qui touchent encore certains pays
pauvreté, la migration forcée et parfois, tions, séismes, cyclones, ou sécheresses (Somalie, Niger, Soudan du Sud, Syrie,
voire souvent, dans la faim. L’inflation viennent chambouler, à courte comme Yémen…). Le monde génère toujours
du prix des aliments, la destruction d’in- à moyenne échéance, les termes de plus de richesses, mais produit davan-
frastructures et les rivalités inévitables l’équation agricole et alimentaire dans tage d’inégalités. Les chires de la faim
qui s’installent en zones de combat les territoires touchés. sont éloquents : elle touche environ
complexifient la donne pour se nourrir 820millions de personnes de nos jours,
régulièrement. La nourriture sert par- TOUJOURS DES FAMINES soit 11 % de la population mondiale. Il
fois d’arme de guerre pour assujettir des faut néanmoins souligner la réduction
communautés ou les anéantir. Elle peut Malgré la hausse des disponibilités ali- en valeur relative sur un demi-siècle, car
soutenir des mécanismes de contrôle mentaires moyennes par personne, la 30% des êtres humains souraient de la
et d’enrôlement des populations qui seconde moitié du e siècle a connu faim dans les années1960.
trouvent avant tout des famines En outre, deux éléments distincts sont à
de l’alimentation «Peu de phénomènes (Chine, Éthiopie, préciser. D’abord, le retard de croissance
des enfants lié à des carences alimen-
auprès de leurs Cambodge,
dirigeants ou nou- ont influé aussi Bangladesh, taires et au manque de nourriture touche
veaux protecteurs. intensément sur Nigéria, Corée du 20% des jeunes de moins de 5ans dans
Au cœur de trocs et le comportement Nord…). La sen- le monde, 3% en Europe ou en Amérique
du Nord mais un tiers en Afrique sub-
d’échanges de pre- sation de faim ne
mière nécessité, la politique des peuples saurait néanmoins saharienne. Des disparités régionales
nourriture façonne que la tragique être comparée à majeures s’expriment sur la carte de la
des complicités nécessité de manger.» celle du passé. Les faim. Toujours présente en Asie, elle tend
à y régresser, à la diérence de l’Afrique
sociales et des- conditions de vie
sine parfois des al- Josué De Castro (1952) et la pénibilité du subsaharienne où elle frappe un habitant
liances politiques. travail ont changé. sur quatre aujourd’hui ! L’aide alimen-
Si les famines d’origine naturelle L’explosion des moyens de communi- taire se concentre donc essentiellement
sont devenues exceptionnelles, il est cation et donc d’intervention a réduit vers ce continent à la sismicité géopoli-
évident que les insécurités alimentaires les risques d’ignorance ou d’isolement tique élevée.

FCS
La dernière décennie a vu se combiner plusieurs
types de crises. La flambée des prix alimentaires
entre 2006 et 2008 a non seulement fragilisé les
À RETENIR
marchés mondiaux, déréglé des approvisionnements La géopolitique est intimement liée à l’alimentation.
locaux mais surtout perturbé le pouvoir d’achat des La peur de manquer de nourriture a toujours obsédé
individus. Pour les plus pauvres, qui consacrent plus les esprits. Si les êtres humains ne cessent d’innover
de la moitié de leur budget mensuel pour se nourrir, et de repousser les limites du champ des possibles,
toute inflation transforme le quotidien alimentaire. y compris en agriculture, la faim demeure une réa-
Le nombre de personnes sous-alimentées avait ain- lité pour 11 % de la population mondiale. Alors que
si atteint le milliard en 2009 en raison de ces ten- la pauvreté et l’isolement renforcent ces insécurités
alimentaires, ce sont généralement les conflits et les
sions agricoles mondiales mais aussi de la crise fi-
accidents climatiques qui les provoquent ou les en-
nancière qui sévissait. Des revenus en baisse ou un
tretiennent.
chômage de longue durée accentuent les contraintes
de dépense. Les ménages resserrent alors les frais
alimentaires, plus élastiques que ceux du logement,
du transport ou de l’énergie. Ce choix se fait géné-
ralement au détriment de la qualité des produits
consommés. Malgré des systèmes de transferts so-
ciaux et un vaste tissu d’associations de solidarité,
40 millions d’Européens n’ont pas accès à un apport
alimentaire quotidien suffisant.
 PERSONNE SUR  DANS LE MONDE
NE MANGE PAS À SA FAIM
É AN
OC UE
T IQ
L AN
AT
OC
ÉA
IN N
DI
EN
OC
PA ÉA
CI N
FI
QU
E
Sous-alimentation dans le monde

947,2 M
 
14,5 % Nombre de personnes 821,6 M
Prévalence (en %) Prévalence de la sous-alimentation (en %)

10,8 %
Moins de 5 % Entre 15 et 25 % Plus de 35 %
18
10
15
05
Entre 5 et 15 % Entre 25 et 35 % Données non disponibles

20
20
20
20
FCHE 7
BOMBES URBAINES
En 2007, une rupture mondiale se pro-
duit: la population urbaine (alors qu’elle QUELLE SÉCURITÉ
représentait 10% au début du  esiècle) ALIMENTAIRE en ville ou en zones périurbaines, la
dépasse la population rurale. En 2030, DANS LES VILLES? consommation de ces populations re-
deux tiers des êtres humains vivront en pose sur le travail des agriculteurs, de
ville et 75% des richesses mondiales y Si l’urbanité s’étale et domine, l’alimen- leur pays ou d’ailleurs. C’est ici un pre-
seront produites. Alors qu’elles n’étaient tation détermine toujours le pouvoir mier élément de la sécurité à rappeler,
qu’une centaine environ en 1950, le dans le monde. Il serait dangereux de car l’autarcie urbaine n’est pas possible,
nombre de villes de plus d’un million considérer pour acquis et valant pour sauf à envisager des régimes alimen-
d’habitants atteint 650 désormais et tous les quatre piliers de la sécurité taires drastiques pour une population
pourrait franchir la barre des 1000 vers alimentaire : disponibilité, régularité, forcément réduite. Le deuxième pilier
2035. D’ores et déjà, 35 mégalopoles accessibilité et qualité, car cette réalité qu’est la régularité exige que les in-
ont franchi les 10millions d’habitants. reste fragile et le privilège d’une minori- frastructures et les acteurs de la distri-
Nourrir ces populations est un défi en té à l’échelle du globe. bution soient en capacité de proposer,
termes de gouvernance publique, de lo- Les quantités de nourriture en ville sans rupture et sans exclusion, de la
gistique et d’accessibilité pour tous. proviennent très majoritairement de nourriture dans chaque recoin de la ville.
l’extérieur et souvent de loin. Quand Dans les pays développés, la constance
bien même des aliments sont produits des approvisionnements impose ainsi
une fluidité logistique de jour comme consomment. L’importance du condi- territorialisée et d’économie davantage
de nuit, pour assurer au consommateur tionnement et des chaînes du froid, de circulaire. D’autres, dotées de ressources
urbain de trouver des produits à pro- la traçabilité et des contrôles sanitaires financières et urbanistiques, cherchent
fusion sur les étals des magasins. À tel s’amplifie dans ces circonstances. des réponses innovantes dans la verti-
point qu’il s’est habitué à avoir le choix. calisation. Les fermes urbaines se dé-
Néanmoins, dans beaucoup de villes, QUELLE GOUVERNANCE veloppent, comme à Tokyo au Japon,
les marchés ou les rayons ne sont pas ALIMENTAIRE dans des bâtiments ultra-technolo-
toujours abondants ou régulièrement EN MILIEU URBAIN? giques orientés vers le ciel ou dans des
approvisionnés. Le risque de pénurie dispositifs souterrains. De nombreuses
s’accroît avec l’éloignement des espaces La sécurité alimentaire urbaine est une villes sont engagées dans une course
de production ou de la mer par laquelle priorité stratégique. Les pouvoirs pu- contre le gaspillage : éviter les pertes
arrive l’alimentation de l’étranger. blics le savent depuis toujours. Par le d’aliments tout au long des circuits lo-
La problématique de l’accessibilité est passé, une ville où la nourriture était gistiques, cesser d’étaler la ville au dé-
essentiellement d’ordre économique. En rare devenait révolutionnaire. Si cela triment des terres agricoles, exploiter
fonction de leur pouvoir d’achat, les po- reste vrai de nos jours, il faut désor- tous les espaces (comme les toits) pour
pulations se procurent de la nourriture mais garantir une alimentation saine produire ou coproduire de l’énergie.
avec plus ou moins de facilité. Dans les et variée, sans inflation des prix! Cette Mais ces dynamiques demeurent l’apa-
villes des pays du Sud, si le prix des ali- contrainte pour les gouvernements nage des villes les plus développées.
ments explose, le budget des ménages s’est également traduite par des posi- Les autres sont surtout engagées dans
pauvres est mis sous tension et des agi- tions commerciales à prendre pour les une course contre la montre: apporter
tations populaires peuvent se produire, opérateurs du secteur, de l’agroalimen- l’eau potable au plus grand nombre,
comme ce fut le cas en 2007-2008. C’est taire à la distribution en passant par le nourrir toujours plus de personnes, y
d’ailleurs ce risque politique qui conduit transport. compris dans les bidonvilles, construire
beaucoup de pays à sécuriser au maxi- Quelle politique mettre en place demain les infrastructures de base, diversifier
mum leurs approvisionnements. Enfin, pour nourrir les villes? Comment conci- l’ore alimentaire, contrer le spectre de
les habitants ont tendance à se soucier lier cet enjeu avec celui de la protection la «monstropolisation» insoutenable.
de la qualité de leur nourriture. Les de l’environnement ? Certaines villes,
classes moyennes urbaines, sur tous qui en ont les moyens agricoles, privi-
les continents, réclament de la quantité légient les productions de proximité
et de la sûreté dans les produits qu’ils dans un schéma de sécurité alimentaire

Urbanisation et littoralisation se conjuguent. Près
des deux tiers de la population mondiale vit à moins La planète est de plus en plus urbaine. Un archipel de
de 60 kilomètres des côtes. D’ici à 2030, la Chine mégalopoles, souvent au bord de la mer, concentre
les pouvoirs économiques, logistiques et informa-
comptera 250 millions de citadins en plus et 27 villes
tionnels. La ville et ses habitants chassent progres-
de plus de 5 millions d’habitants. La mégalopole de
sivement les ruralités des priorités politiques. Pour
Shenzen, située à proximité de Hong Kong au sud- rendre l’urbanisation soutenable, il faut néanmoins
est du pays, était un village il y a moins d’un de- garantir la sécurité alimentaire, gage de stabilité so-
mi-siècle. Classée zone économique spéciale dès ciale pour la cité et de développement pour les indi-
1980, elle devient le symbole de la croissance écono- vidus. Pour bien nourrir les mondes urbains demain,
mique chinoise et compte 13 millions d’habitants au- en quantité et en qualité, bonne gouvernance et in-
j ourd’hui. Au Nigéria, Lagos, devenue la plus grande novation des acteurs seront indispensables. La ville
ville africaine, semble déborder sur le golfe de intelligente passera toujours par là.
Guinée. La population de la capitale a été multipliée
par 100 en 60 ans, passant de 200 000 à 20 mil-
lions aujourd’hui ! Deux tiers de ses habitants vivent
dans un bidonville. En Inde, Bombay présente à peu
près les mêmes chiffres… D’ici à 2050, la Chine, le
Nigéria et l’Inde polariseront ensemble le tiers de la
croissance urbaine mondiale. Autant dire que les dé-
fis alimentaires sont énormes.
POUVOIR DES VILLES : DYNAMIQUE
DES GRANDES MÉTROPOLES MONDIALES
Tianjin
Tianjin
Pékin
Pékin
Istanbul
Istambul
Istambul Tokyo
New York Chongqing
Chongqing
Osaka
Laho
Lahore
Lahore Delhi Shanghai
Karachi
Karachi Dacca
Dacca
Dacca Guangzhou
Le Caire
Calcutta
Kolkata
Kolkata
Shenzhen
Mexico
Mexico Mumbai
Mumbai
Manille
Bangalore
AN
É
Chennai
Chennai
E
O C IQU
I F Lagos
C
PA
OC O C ÉA N
AT ÉA
LA N I N D IE N
NT
IQ
U
São Paulo E
Buenos Aires
 
Agglomérations
de plus ... 1990 En millions d’habitants Villes qui seront les plus peuplées en 2035
de 5 millions ... 2020 Mexico Plus de 20 millions d’habitants
40 20 10 5
d’habitants Osaka Plus de 10 millions d’habitants
... 2035
à partir de...
FCHE 8
DÉPENDANCES INTERCONTINENTALES
La sécurité alimentaire des populations
passe inévitablement par des échanges, l’innovation, imposé l’aménagement
de proximité ou de longue distance, par d’infrastructures, brassé les cultures dans la même situation vis-à-vis de
voies terrestres, aériennes ou maritimes. mais aussi les patrimoines génétiques l’agriculture.
Si le troc reste fré- des plantes ou des D’ailleurs, ce concept sonne faux à
quent, notamment D’ici 2050, la demande animaux. À l’in- l’heure où les cuisines se métissent.
dans les régions alimentaire mondiale verse, l’autarcie et La globalisation des goûts a été per-
à forte instabilité la fermeture ont mise par ces flux intercontinentaux
politique, c’est bien
augmentera de 50%. plutôt eu tendance de marchandises et le développement
le commerce qui La globalisation des à figer les civilisa- des communications, humaines ou
régit massivement échanges continuera tions. Le commerce virtuelles. Les grandes découvertes, à
ces échanges de permet de rappro- grands coups d’expéditions maritimes,
produits.
à cohabiter avec cher l’ore de la ont ouvert les perspectives et les appé-
Les échanges entre un commerce de demande, sachant tits. Les sociétés modernes ont ensuite
les territoires sont proximité. que les inégalités exigé que ces produits soient sains, sûrs
depuis des millé- climatiques, hy- et tracés. À ces revendications s’est aus-
naires à la base de l’alimentation. Ils driques, foncières ou démographiques si superposée l’accélération des rythmes
ont aussi stimulé l’économie, favorisé ne placent pas tous les pays du monde de vie et la quête frénétique d’une plus
grande rapidité pour tout dans la vie, y les plus échangés en valeur aujourd’hui infrastructurel. L’initiative des nouvelles
compris le contenu de son assiette. Les sur la planète. routes de la soie de la Chine s’appuie
êtres humains sont désormais en quête Pour les grandes puissances agricoles, d’ailleurs sur un solide raisonnement lo-
de cette palette alimentaire élargie : commercer fait partie des objectifs eu gistique. Cette route doit être intermo-
avoir si possible de tout, tout le temps et égard à l’influence et à l’économie que dale, avec un couple terre-mer particu-
à des prix les plus bas possibles. cela procure. Mais c’est aussi une res- lièrement décisif en ce qui concerne les
ponsabilité géopolitique, quand on sait produits agricoles et alimentaires.
L’INTENSIFICATION à quel point des régions ou des pays Pour ces derniers, 60 à 80 % du com-
DES ÉCHANGES MONDIAUX ont besoin d’importer une partie de merce mondial se réalise actuellement
leur nourriture pour répondre à la de- sur voies navigables (canaux, fleuves,
Le montant du commerce mondial mande locale. Demain, la nécessité de océans), dans des péniches ou des
s’élève à 20000MUSD par an, le triple ce commerce persistera, même si nous porte-conteneurs. La route est égale-
du niveau enregistré au début des an- assisterons à des relocalisations de ment empruntée par des camions ou
nées 2000. Dans ces échanges, les mar- productions. des trains, qui se branchent aux réseaux
chandises agricoles et alimentaires re- Simultanément, les flux sont déjà deve- portuaires ou aéroportuaires. En eet,
présentent 8%, soit 1500MUSD. Cette nus multidirectionnels, avec l’essor des la plupart des produits frais ou sen-
valeur est quatre fois supérieure à celle échanges Sud-Sud notamment. Brésil, sibles (comme ceux de l’horticulture)
du début du millénaire. Cela résulte Chine, Indonésie, Inde, Argentine, voyagent par avion.
d’une hausse significative des besoins Mexique, Vietnam, Malaisie, Russie et En conséquence, un embargo politique,
commerciaux en volumes et d’une in- Thaïlande représentent en moyenne une rupture physique ou un risque sa-
flation des prix depuis deux décennies. 30 % des exportations agricoles mon- nitaire peuvent perturber, voire entra-
Si l’on examine les produits par grandes diales, soit le double par rapport à ver, ces routes commerciales pourtant
catégories, les échanges se sont accrus la décennie 1990 pour ces dix pays vitales. Un autre enjeu essentiel est la
depuis le début du siècle, tant en va- «émergents». réduction des gaspillages. Faute d’outils
leur qu’en volume. Ils ont triplé pour les susants, de stockage conséquent, de
viandes, les produits laitiers et les cé- QUAND LA LOGISTIQUE chaîne de froid eciente ou en raison de
réales. Pour les huiles et les oléagineux, DEVIENT GÉOSTRATÉGIQUE pratiques de distribution et de consom-
le commerce a quintuplé. Pour les fruits, mation peu responsables, un tiers des
le quadruplement depuis le début des an- L’activité commerciale et la fluidité des aliments produits dans le monde serait
nées 2000 en fait les produits agricoles échanges reposent sur un fin maillage actuellement perdu.

FOCUS À RETENIR
Les performances portuaires font la différence pour Produire de l’alimentation et en assurer la circula-
un commerce fluide et sûr. L’Asie domine le paysage tion dans le temps et dans l’espace : voilà un défi qui
et le secteur des conteneurs, miroirs de la globalisa- existe depuis toujours et repose sur des équilibres
tion alimentaire qui caractérise ces économies. Dans complexes. Plus la démographie et l’interdépen-
le Golfe persique, c’est la course à celui qui aura le dance économique des nations ont progressé, plus
les flux agricoles et alimentaires mondiaux se sont
plus grand hub pour le commerce agricole entre les
accentués. La globalisation des cuisines est venue
continents européen, africain et asiatique. Autour
amplifier la dynamique. Demain, en raison d’inéga-
de la mer Noire, les produits russes ont bénéficié de lités climatiques, géographiques et géopolitiques qui
lourds investissements dans la logistique portuaire. persisteront, le rôle de ce commerce et de la logis-
Vancouver, Oakland et La Nouvelle-Orléans sont des tique sera renforcé. Cela se combinera (ou non) avec
fers de lance pour l’exportation agroalimentaire du l’impérieuse nécessité d’une agriculture de proximité.
Canada ou des États-Unis. En Amérique latine, le
Brésil et l’Argentine comblent leur déficit logistique
intérieur pour accroître leur expansion agrocommer-
ciale vers le reste du monde, avec des corridors in-
terocéaniques visant à relier les rives atlantique et
pacifique. En les finançant en grande partie, la Chine
sécurise ses importations de protéines et de soja. À
long terme, les routes polaires du Nord pourraient ou-
vrir de nouvelles voies.
ÉVOLUTION DES ÉCHANGES COMMERCIAUX
150 Valeur annuelle des échanges MONDIAUX
commerciaux mondiaux (en MUSD)
140
Fruits
Viandes
130
Produits de la mer
120 Boissons
Céréales et
110 produits céréaliers
Huiles et oléagineux
100 Lait et produits laitiers
Légumes
90 Café, thé et épices
Sucre et confiseries
80
70
60
50
40
30
20
10
0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
FCHE 9
SANTÉS MENACÉES
La malnutrition associe parfois autant
la faim (quantité) que les maladies alimentaire peuvent être provoquées
d’origine alimentaire (qualité). Il est par la présence de bactéries, virus, pa- déplacé le curseur de la peur du quanti-
toutefois utile de bien distinguer ces rasites, produits chimiques et toxines. tatif vers le qualitatif. Des événements,
questions afin de révéler à quel point Dans le monde, 1 personne sur 10 tombe certes graves, ont entraîné de véritables
les risques reposent de plus en plus sur malade en consommant des aliments psychoses, comme lors de la crise de la
des variables sanitaires. La sécurité hu- contaminés. Les alertes sont récurrentes, vache folle en Europe ou du scandale
maine et collective est en jeu. résultant de fraudes, d’imprudences ou du lait infantile infecté à la mélamine en
de concours fâcheux de circonstances. Chine. La sûreté des aliments s’est donc
UNE SEULE SANTÉ, Au moment où la connaissance des imposée dans les agendas stratégiques,
PLUSIEURS RISQUES faits s’ane, la perception des risques, avec simultanément une prolifération de
réels ou supposés, s’amplifie avec l’hy- normes visant à optimiser la traçabilité
Au début du e siècle, le concept «une percommunication. Si l’on mourait bien des productions. Ces évolutions ont eu
seule santé » émerge pour expliquer plus souvent empoisonné par le passé, des incidences sur le commerce mondial
que la santé humaine et celle des ani- avec quantité de nourritures insalubres avec le pouvoir pris par les barrières non
maux sont interdépendantes et liées à et impropres à la consommation, le tarifaires et sanitaires.
la santé des écosystèmes dans lesquels confort alimentaire atteint dans la ma- À une époque marquée par l’intensifica-
elles coexistent. Les maladies d’origine jorité des sociétés contemporaines a tion des flux humains et économiques,
les maladies circulent davantage. apportées à la hauteur de ces enjeux qui l’éducation familiale et l’enseignement
D’abord avec le bétail et la volaille. 60% ne sont pas cantonnés au seul domaine collectif, la surcharge pondérale frappe
des maladies infectieuses humaines de l’animal terrestre. L’aquaculture se 6% des enfants de moins de 5 ans, mais
s’avèrent au- prépare aux risques 10% en Océanie et en Afrique du Nord.
jourd’hui zoono- 2,8millions de de maladies aqua- La proportion de personnes obèses a tri-
tiques (transmis- tiques. Le secteur plé depuis les années1970. Elle touche
sibles des animaux
personnes meurent du végétal est aussi désormais plus de 800millions de per-
aux êtres humains). chaque année dans le scruté. La bactérie sonnes dans le monde, dont 20% sont
Trois quarts des monde du fait de leur Xylella fastidiosa des enfants et des adolescents, et 40 %
agents patho- frappe les olive- des adultes aux États-Unis.
gènes des mala-
surpoids ou de leur raies du sud de l’Ita- Ces données résultent de l’interaction
dies infectieuses obésité, soit 5décès lie et d’autres pays de facteurs physiologiques, comporte-
– comme le VIH, par minute. de la Méditerranée, mentaux et socioculturels. Les calories
la grippe, Ébola ou ébranlant l’en- consommées sont souvent largement
récemment le Covid-19– sont d’origine semble de la filière oléicole régionale. supérieures à celles dépensées. Un tel
animale. Ces risques appellent à une Tout en apportant une alternative à déséquilibre structurel expose les in-
vigilance scientifique, politique et trans- l’usage des produits phytosanitaires, le dividus à des maladies dites « de sur-
frontalière de tous les instants. En zone biocontrôle devrait permettre de contrer charge», comme le diabète, l’hyperten-
de conflits, l’absence de vaccination des ces ravageurs et espèces invasives qui sion ou les problèmes cardiovasculaires.
animaux représente un défi sanitaire s’attaquent aux cultures agricoles. L’Organisation mondiale de la santé
considérable, tant au niveau local que (OMS) a qualifié l’obésité de première
de la région concernée. La géopolitique SURCHARGES INDIVIDUELLES, épidémie non infectieuse de l’histoire.
du pastoralisme s’épaissit alors davan- UN POIDS SUR LA PLANÈTE Le coût lié à la prise en charge de ces
tage. Autre inquiétude grandissante, le personnes augmente et exige d’adap-
bioterrorisme, à même de détruire des La malnutrition, c’est aussi le fléau du ter les dispositifs médicaux. Or tous les
cultures agricoles ou de propager des surpoids et de l’obésité, qui n’épargne États n’orent pas de couverture sociale
agents zoonotiques dans les sociétés. aucun continent. 2 milliards de per- pour accompagner les soins. Ces inéga-
Des recherches scientifiques, des so- sonnes dans le monde se trouvent en lités aectent la stabilité des sociétés.
lutions médicales et des mesures de surpoids. Alors que l’alimentation méri-
protection sanitaire doivent donc être terait davantage de considération dans

Depuis 2019, la peste porcine africaine (PPA) fait des
ravages en Chine, où se trouve la moitié des cochons La malnutrition tue des millions de personnes dans le
de la planète. Cette épizootie, pour laquelle il n’existe monde chaque année. Les maladies liées à l’alimen-
aucun vaccin, bouleverse les dynamiques socio- tation sont d’origines diverses et prennent des formes
multiples. Avec la mondialisation des échanges, l’im-
économiques dans les régions chinoises rurales de
brication des risques transfrontaliers se renforce. La
l’intérieur. Des millions de porcs ont été abattus par
santé des êtres humains est de plus en plus indis-
l’armée afin d’endiguer le fléau, qui se propage dans sociable de celle des animaux et des végétaux. Par
les pays voisins mais aussi dans le monde entier. ailleurs, le surpoids et l’obésité progressent partout,
Le prix de la viande de porc explose en Chine et sur posant des défis politiques, éducatifs et médicaux
les marchés internationaux. La PPA affecte aussi inédits dans l’histoire de l’alimentation.
les cours du soja, dont la Chine est le premier im-
portateur mondial pour nourrir son élevage. Ce type
d’enjeux n’est pas nouveau. La peste bovine, complè-
tement éradiquée en 2011, aurait accéléré la chute
de l’Empire romain lors des grandes invasions du
ive siècle durant lesquelles les troupeaux furent frap-
pés par l’épizootie, provoquant la famine des popula-
tions. Elle aurait également handicapé les conquêtes
territoriales de Charlemagne et joué un rôle dans le
déclenchement des révolutions française puis russe.
L’OBÉSITÉ, UN ENJEU DE SANTÉ PLANÉTAIRE
É AN
OC UE
T IQ
L AN
AT
OC
ÉA
IN N
DI
EN
OC
PA ÉA
CI N
FI
QU
E
 
Part de surpoids ou d'obésité pour les adultes par pays en 2016

Plus de 70 % Entre 50 et 60 % Entre 30 et 40 % Moins de 20 %
Entre 60 et 70 % Entre 40 et 50 % Entre 20 et 30 % Sans données

FCHE 1O
EMPREINTES RELIGIEUSES
Les dimensions culturelles et reli-
gieuses semblent mésestimées dans les marqueur fort de l’identité de chacun.
analyses portant sur la sécurité alimen- Ce que nous mangeons nous définit fondamentaux historiques ne disparaî-
taire mondiale. Elles sont pourtant cen- en grande partie: à la fois pour notre tront pas demain.
trales pour comprendre l’évolution des propre santé mais aussi vis-à-vis des La sécularisation des sociétés euro-
consommations. autres avec lesquels nous échangeons péennes et la montée de l’athéisme ont eu
ou nous nous mélangeons. autant d’incidences sur les dynamiques
JE MANGE DONC JE SUIS! À travers la nourriture d’un individu et alimentaires que celles liées aux évo-
de ses pratiques alimentaires, il est fa- lutions économiques ou aux échanges
Les pratiques et les choix alimentaires cile de connaître une dimension de son commerciaux. Alors que le Nouveau
répondent en partie à des considéra- profil, y compris sur le plan religieux. Testament oblitère tout interdit alimen-
tions culturelles ou cultuelles. Ils sont Les interdits ou les tabous alimentaires, taire, certains pratiquants catholiques,
fonction du territoire où chacun se comme le respect de calendriers spéci- protestants ou orthodoxes adoptent en-
trouve mais aussi de sa propre trajec- fiques, peuvent ainsi renseigner sur les core des comportements alimentaires
toire, de ses rencontres ou de ses décou- croyances religieuses de la personne. Le au moment du Carême. Le judaïsme et
vertes. Tout au long de son existence, rapport est étroit entre le système ali- l’islam interdisent la consommation de
le système alimentaire de l’individu se mentaire et l’univers religieux ou non, porc, avançant des arguments sanitaires.
transforme. L’alimentation constitue un c’est-à-dire le lien social de chacun. Ces Dans ces deux religions, la nourriture
doit être kasher pour les premiers et des rites alimentaires, c’est aussi cultiver la chaîne alimentaire, des producteurs
halal pour les seconds. Ces prescrip- des liens familiaux et parfois faire par- aux entreprises de transformation, de
tions créent des marchés économiques tie d’une communauté. Cependant, ces mener des transitions en termes de mé-
spécifiques pour prescriptions s’ac- thode de cultures, de préservation des
segmenter l’ore «Dis-moi compagnent par- écosystèmes et de transparence dans
agroalimentaire en ce que tu manges, fois d’excès ou de leur modèle de fonctionnement. Ces
fonction des reli- je te dirai qui tu es.» radicalités. Ainsi, consomm’acteurs sont nombreux parmi
gions. La demande en Inde, les éleveurs la génération des Millennials.
et le commerce de Jean Anthelme Brillat- de vaches sont dé- Le végétarisme ou le véganisme
produits halal aug- sormais menacés gagnent par exemple du terrain. Ce
mentent ainsi signi-
Savarin (1825) des violences des sont des régimes alimentaires, mais
ficativement dans le monde. nervis du régime national-hindouiste du surtout des modes de vie et de consom-
Les trois grandes religions monothéistes président Modi, qui prônent le concept mer qui reposent sur un éventail large
ont en commun de fixer des calendriers d’Hindutva (hindouïté). de croyances sociétales et de quête
de jeûnes alimentaires : carême, yom pour l’adoption de comportements
kippour ou ramadan. Souvent, dans les ÉTHIQUE ET CROYANCES «éthiques». Le marketing s’est vite em-
familles pratiquantes, une prière avant ALIMENTAIRES paré de ces tendances, tout comme l’in-
de manger remerciera Dieu d’avoir per- novation pour proposer des protéines
mis l’apport de cette nourriture, base es- Parallèlement progressent des com- alternatives ou de la viande de synthèse.
sentielle de la vie. En Occident, l’alimen- portements alimentaires cherchant à Ces niches s’amplifient à grands coups
tation est souvent le dernier maillon de répondre à ce triple défi: se nourrir cor- d’investissements financiers et de com-
religion dans les foyers peu pratiquants rectement pour sa santé, le faire raison- munication. En miroir, des produits sont
ou dans les sociétés sécularisées. Il y a nablement par souci de protéger la pla- vilipendés pour ne pas correspondre à
souvent une expression religieuse plus nète et privilégier des produits à forte l’alimentation durable et saine, sans for-
armée dans l’assiette que dans les ac- responsabilité sociétale. Cette consom- cément que la défiance ou le rejet soient
tivités quotidiennes et la participation mation éthique, qui ne s’arrête pas aux motivés par des faits scientifiques avé-
au culte. Le respect de ces prescriptions frontières des pays les plus développés, rés. Des croyances non rationnelles
religieuses permet de vivre intimement entend combiner santé, durabilité et donc et parfois des radicalités condam-
et régulièrement sa religion, ou de main- sincérité. Ces trois impératifs s’im- nables se propagent facilement autour
tenir un lien minimal avec elle. Préserver briquent et imposent aux opérateurs de de la nourriture et de la santé.

Chez les hindous, l’absence de consommation de L’alimentation, terrain intime de la vie, interagit
viande animale repose sur la métempsychose – la constamment avec les valeurs et les croyances d’un
migration de l’âme humaine vers un autre être vi- individu. C’est une clef de lecture indispensable
vant (animal, végétal). Si le cheptel bovin de l’In- sur la sécurité alimentaire et les dynamiques de
de est le plus grand du monde, sa production et sa consommation dans le monde. Non seulement la re-
consommation y sont faibles. La vache « sacrée » ligiosité des sociétés reste prégnante, mais simulta-
sert à donner du lait aux po pulations. Néanmoins, le nément de nouvelles croyances prennent de l’essor
déclin du sentiment religieux des ménages urbains, autour de l’alimentaire, chez des individus devenus
consomm’acteurs.
au pouvoir d’achat croissant, génère simultanément
une progression des produits carnés sur les tables. Il
faut dire aussi que le nombre de musulmans en Inde
s’accroît. Dans le bouddhisme, le végétarisme est
encouragé. Pour autant, nous ne pouvons pas expli-
quer la progression du nombre de végétariens dans
le monde par une percée du bouddhisme. Sachons
raison garder, même quand on parle de religion !
Commerce de produits alimentaires halal dans le monde
(en millions de dollars)
HALAL, UN MARCHÉ EN FORTE CROISSANCE
Exports : 124,7
Investissements mondiaux
dans le secteur alimentaire halal en 2018 667
(en millions de dollars)
Imports : 191,5
Principaux pays de dépenses P  HALAL 

en produits alimentaires halal Produits Produits Viandes
(en milliards de dollars)
végétaux transformés et animaux vivants
92,5 63,2 35,9
41 R
T Dépenses totales dans le monde

en produits alimentaires halal
127 (en milliards de dollars)
É I P
1863
86 63 118 B
N
51 76
47 I
A
1303
 38
I
170
2017 2023
PRTIE 2
CONFLITS D’HIER
ET D’AUJOURD’HUI
FCHE 11
QUAND LES CÉRÉALES

FONT L’HISTOIRE
La naissance de l’agriculture, il y a
10000ans environ au cœur du Proche-
Orient, repose sur la domestication du LES CÉRÉALES POUR
blé et de l’orge. Elle transforme les pay- LA PAIX SOCIALE faisant venir ses céréales depuis les
sages et permet le développement des zones de production plus favorables
civilisations. L’expression « Croissant Dans l’Antiquité, le blé conditionne la que sont alors la Sicile, l’Égypte, la Syrie
fertile» tient ici son origine. Une véri- trajectoire des puissances athénienne et surtout les rivages de la mer Noire.
table économie émerge avec l’élevage et romaine. Toutes deux, dépourvues de C’est plus précisément depuis le Pont-
qui complète la céréaliculture. Dans ressources agricoles susantes à proxi- Euxin, l’actuelle Crimée, que les grains
cette géohistoire agricole, les grains mité, doivent recourir aux approvision- sont importés. L’Assemblée athénienne
vont se retrouver au cœur des enjeux de nements lointains pour ravitailler leurs veille scrupuleusement à ce commerce
pouvoir, assurant l’alimentation de base habitants et soutenir leurs ambitions et au prix des céréales dans la ville,
des populations et la stabilité des cités hégémoniques. Athènes pallie son défi- où les risques de rareté et de spécula-
ou des nations. cit alimentaire par le jeu du commerce, tion sont redoutés. Les forces navales
s’emploient à sécuriser ces échanges en secouent ensuite la France, de manière part importante des exportations mon-
Méditerranée et le port du Pirée sert de chronique, pendant des décennies. diales à partir du milieu du  esiècle.
porte d’entrée. C’est le poumon alimen- Les États-Unis comprennent que le blé
taire d’Athènes. Plus tard, pour la Rome LES CÉRÉALES NOURRISSENT servira leurs intérêts dans la rivalité Est-
impériale, les mêmes problématiques LA GÉOPOLITIQUE Ouest. Diplomatie, commerce et dissua-
entretiendront les visions stratégiques: sion céréalière s’entremêlent tout au
achats de grains depuis les provinces Les conflits les plus récents soulignent long de la guerre froide contre l’Union
africaines, flux logistiques administrés l’acuité des questions alimentaires dans soviétique (URSS). L’aide alimentaire
avec le service de l’annone, fonction les dynamiques de puissance. En Asie, américaine participe aux jeux d’alliance
du port d’Ostie pour apporter le pain quand le Japon, fragile sur le plan agri- et d’influence vis-à-vis du tiers-monde
aux Romains, centralité de cet aliment cole, décide d’envahir la Chine voisine notamment.
dans les relations entre le pouvoir et la en 1931, il attaque le grenier céréalier Le nouveau millénaire ne modifie en
population… de la Mandchourie. Sise au nord-est du rien la réalité du passé. Plusieurs pays
La situation n’est pas diérente au pays, cette zone est parmi les plus pro- traversent une crise alimentaire en
Moyen Âge ou à l’époque moderne. Le ductives en riz de la région. Sur tous 2007-2008 quand la flambée des cours
système de la dîme, principal impôt les continents, la recherche, l’accapare- céréaliers sur les marchés mondiaux
religieux, prélève 10 % des moissons ment ou la pénurie des denrées alimen- accentue la pression économique chez
pour l’Église. Derrière l’argumentaire taires ont rythmé le cours de la Seconde les importateurs et les ménages les
divin, l’objectif est bien d’anticiper Guerre mondiale. plus pauvres. Les États du Maghreb et
d’éventuelles disettes dans une Europe Par la suite, la croissance de la popula- du Moyen-Orient connaissent alors des
instable, violente et peu productive. tion et l’urbanisation obligent les agri- troubles sociopolitiques dans lesquels
Le Royaume de France est particuliè- culteurs à produire beaucoup plus. Le s’expriment les vulnérabilités céréa-
rement concerné par ces défis inces- retour à la paix et le recours à la science lières. Une décennie plus tard, quand
sants. D’ailleurs, les céréales occupent permettent de satisfaire progressive- la rivalité géoéconomique bat son plein
une place non négligeable lors de la ment les besoins. Les céréales contri- entre Washington et Pékin, les produits
révolution de 1789, dont les prémices buent à leur manière à la construction agricoles et céréaliers, notamment soja
se font sentir lors des soulèvements po- et aux solidarités européennes. Ils fa- et maïs, se retrouvent au cœur des
pulaires en 1775, connus sous le nom de vorisent l’émergence de l’Inde ou du négociations.
« guerre des farines». La volatilité du Mexique. Les grains confortent aussi
prix du pain et les instabilités agricoles la puissance américaine, source d’une
PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 53

FOCUS À RETENIR
La souffrance de la France durant la Première Guerre À travers l’histoire, nombreux sont les épisodes
mondiale n’est pas que militaire. Elle est aussi céréa- socio-économiques et militaires dans lesquels les
lière. Environ 4 millions de paysans quittent leur ex- céréales occupent une place essentielle. Ces produc-
ploitation entre 1914 et 1918, soit deux tiers de la force tions agricoles, premières garantes de l’alimentation
agricole française. Plus d’un million d’entre eux vont humaine et animale depuis des millénaires, ne sont
pas réparties de manière homogène entre les conti-
périr ou revenir trop sévèrement blessés pour travail-
nents. Si les échanges internationaux corrigent ces
ler par la suite. La pénurie de main-d’œuvre se double
inégalités et que le commerce de céréales s’avère
d’une baisse des moyens de traction, à l’époque les stratégique pour la stabilité de la planète, ces dyna-
chevaux, et de la disponibilité des intrants (engrais miques peuvent être contrariées par des conflits ou
potassiques, azote) utilisés alors dans la confection des rivalités de pouvoir.
des explosifs. Déjà déficitaire, la production céréa-
lière s’effondre. En 1918, les surfaces ont diminué
d’un tiers par rapport à 1914. La production de blé
chute de 60 %. En 1917, le rationnement pour le pain
est instauré, le prix a triplé. La sécurité alimentaire
de la France passe par les approvisionnements ex-
térieurs, notamment depuis les colonies nord-afri-
caines. Il faut attendre la fin des années 1960 pour
que la France devienne indépendante en blé.
QUELLES CÉRÉALES CONSOMMÉES
DANS LE MONDE ?
U
A  N  C  É

39,8
52 E 280
20,3
123  UE
7,4 4,9 16,3
59,7 396
86,5 A
7
326,8
M
C 8,8 26,1
10,9 25 12,2 52
A 3,3 118,6 396,7

53,5 28,3 P 
A 20,5 M-O
OC  ’O OC
PA É ÉA
C
AN A  S IN N
IF N 43,2 DI
IQ
27,7 O C ÉA EN O
UE UE A
N TI Q
LA  ’E
AT 11
101,6
Répartition de la consommation
de céréales par régions
(en millions de tonnes)
Seigle Blé
 
Avoine Maïs
Millet Riz
Sorgho Orge
FCHE 12
LA FACE CACHÉE
DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
La Seconde Guerre mondiale a révélé
des stratégies agricoles, certes moins initiée par le géographe allemand
bruyantes que les stratégies mar- Friedrich Ratzel puis repensée par Karl
tiales, mais non moins centrales. À la Haushofer. Pour ces tenants d’une éco- Guerre mondiale que l’Allemagne avait
conquête de nouvelles terres s’est oppo- logie sélective appliquée aux relations subi un blocus alimentaire pendant la
sée la résistance alimentaire. Trois pays internationales, les États, tels des orga- Grande Guerre et qu’elle s’était vue pri-
illustrent ces logiques. nismes vivants, se nourrissaient du sol vée de certains de ses territoires. Adolf
et ils étaient appelés à engloutir les plus Hitler était lui-même convaincu par la
À LA CONQUÊTE faibles dès lors que les besoins excé- nécessité de conquête d’un espace vital
DES TERRES DES AUTRES daient la capacité. Dans ces conditions ample: «Le mouvement national-socia-
de lutte pour le sol, la frontière marquait liste doit s’eorcer d’éliminer la dispro-
Profitant de sa domination militaire, l’Al- juste le rapport de force à un moment portion qui existe entre notre population
lemagne a cherché à mettre en œuvre la donné. Cette pensée territoriale avait et la superficie dont elle dispose, consi-
doctrine de l’espace vital (Lebensraum) d’autant plus d’écho après la Première dérant celle-ci autant comme source de
nourriture que comme base de politique Tout devait conduire à l’industrialisa- et ainsi contenir les coûts salariaux de
de puissance. » Dans cette logique, la tion et celle-ci commençait par le fait l’industrie. Comptant environ 45 mil-
Société alimentaire du Reich avait éva- de pouvoir nourrir sa population, de lions d’habitants à la veille du conflit,
lué que l’Allemagne devait acquérir 7 à transformer les produits de l’agricultu- l’Angleterre importait alors 70 % de
8millions d’hectares supplémentaires. re et de trouver une réponse aux nom- son alimentation. Cette dépendance se
Avec le déclenchement de la guerre, les breux paysans sans terre du Royaume. révéla être une fragilité dans le conflit,
oensives successives dépassèrent de L’expansion territoriale avait commencé les Allemands faisant le siège des côtes
loin cet objectif. L’invasion de la Pologne par l’annexion de la Corée au début du britanniques pour rompre ses flux
apporta d’abord un réel potentiel sur le e siècle. Pendant la Seconde Guerre commerciaux et saper son industrie.
plan nourricier. De très nombreux pay- mondiale, le Japon put ainsi compter sur Avant de reprendre le contrôle de ses
sans y furent expulsés et massacrés, les terres que ses ressortissants y pos- voies d’approvisionnement à la fin de
mais l’Allemagne chercha à les rempla- sédaient tout en imposant des réquisi- la guerre, Londres adopta une stratégie
cer, grâce au Pacte germano-soviétique, tions alimentaires aux paysans coréens. basée sur la maîtrise de la consomma-
par des paysans germanophones de Il en était de même de Taïwan dont les tion et l’accroissement de la production
Russie. Cette quête de terres fertiles de Japonais s’étaient saisis au début du locale. Un système de rationnement fut
l’Allemagne se poursuivit ensuite avec esiècle. Cette soif de terres poussa le mis en place tandis que l’État fit son re-
la tentative de conquête des tcherno- Japon à profiter du conflit pour s’empa- tour dans le domaine agricole. Par une
zioms de l’Ukraine et de la Russie dans rer de nouveaux territoires pour pouvoir politique volontariste, basée sur les
le cadre de l’opération Barbarossa à rayonner en tant que puissance à l’issue comités agricoles de guerre, le nombre
partir de 1941. Mais ce fut celle de trop du conflit. Cette démesure lui fut fatale, de tracteurs fut quadruplé et les terres
car, en rompant le pacte entre Berlin et comme pour l’Allemagne. labourées passèrent de 5,2 millions
Moscou, la réponse soviétique qu’elle d’hectares en 1940 à 7,5 en 1945. Cette
déclencha provoqua le début de l’écrou- NE PAS SUBIR croissance de la superficie cultivée se fit
lement du nazisme. au détriment des pâturages, les éleveurs
Allié de l’Allemagne, le Japon, en quête En face de cette alliance, il avait fallu étant largement subventionnés pour re-
de terres agricoles, avait également ne pas subir. L’Angleterre adopta une tourner leurs terres.
mis en œuvre une politique d’expan- véritable stratégie en ce sens. Très tôt
sion territoriale. Il avait opéré un vi- industrialisée, elle avait négligé son
rage économique et politique depuis la agriculture, préférant faire venir les
restauration Meiji, inaugurée en 1868. productions depuis son vaste empire

FCS  RETENR
Occupée de 1940 jusqu’en 1945, la France dut faire L’insécurité alimentaire est étroitement liée à la
face à la pénurie alimentaire. La prise du pouvoir par guerre. Si l’actualité souligne encore cette évidence,
Pétain avait pourtant fait du paysan la figure cen- elle n’a cessé de trouver régulièrement des illus-
trale de la « Révolution nationale » qu’il avait appe- trations au cours de l’histoire. Pendant la Seconde
lée de ses vœux. Le monde agricole avait ainsi été Guerre mondiale, l’Angleterre et la France ont clai-
rement montré ce lien. Plus intéressant sans doute
encadré par la corporation paysanne créée en 1940.
à souligner est que la guerre a été aussi une consé-
Mais cette supposée attention au monde agricole
quence de la volonté de sécurisation alimentaire vou-
n’empêcha pas l’effondrement de la production et la lue par l’Allemagne et le Japon. Enfin, beaucoup de
mise en place du rationnement jusqu’en février 1949. paysans étant partis au combat, le rôle des femmes
Avec cette pénurie, liée en partie aux réquisitions al- dans les exploitations agricoles s’est révélé essentiel.
lemandes, on sait combien la France subit le marché
noir. Celui-ci consacrait les inégalités sociales – les
plus riches pouvant s’adapter à la cherté des prix –
quand il ne créa pas une nouvelle « élite » écono-
mique. Face moins obscure que le marché noir, les
Français s’adonnèrent aux jardins familiaux, mais
aussi aux solidarités intrafamiliales, via les fameux
« colis roses » remplis de victuailles envoyées depuis
les campagnes.
Mourmansk Allemagne, États
satellites et pays
No rd de l’Axe
rdu
Me
Territoire de l’URSS
non occupé
URSS
M
on
Zone d’invasion
ts
Leningrad
O
Tallinn et d’occupation
ur
Volga
al
Gorki allemande
Riga Moscou Kouïbychev

Pays neutres
Minsk Smolensk
Dont
Kharkiv Stalingrad Avancées allemandes
A Kiev Vol
Dnip ga
M
er
er C
a sp
Rostov
Rostov
ostov Limite de l’avancée
nn
ie
Odessa e allemande
Sébastopol
Sébastopol
Sébastopol
Bakou Ligne d'occupation
Me r Noi re de l'URSS visée par
les Allemands
L’OPÉRATION BARBAROSSA :
* Frontières européennes
À LA CONQUÊTE DES TERRES NOIRES  
fin juin 1941
FCHE 13
VIOLENCES ET HYDRO-HÉGÉMONIES
VIOLENCES HYDRAULIQUES
politiques firent part de cet alarmisme
Le Moyen-Orient est régulièrement pré- hydropolitique. Et c’est presque tou- recourir à la guerre. Le rapport de force
senté comme l’arène la plus illustre des- jours en se référant au Moyen-Orient consacre l’hydro-hégémonie.
dites guerres de l’eau. Cette expression a qu’ils l’exprimèrent sans toujours faire
fait florès à la fin de la guerre froide. Elle remarquer qu’en représentant environ DES ARÈNES DE CONFLIT
a été utilisée pour la première fois en 80 % des usages de l’eau, l’agriculture
1991 par Joyce R.Starr. Dans son article est de facto le facteur essentiel de ces Cette hydro-hégémonie est liée au
pour Foreign Policy, il écrivit: «La rai- rivalités. Rappelons ici, d’ailleurs, que le fait que les réseaux hydrographiques
son de l’invasion du Koweït par Saddam terme «rivalité» vient de «rival» dont sont partagés entre États, de surcroît
Hussein en août 1991 était le surpom- le premier sens, au pluriel, signifie ceux en situation d’hostilité: c’est le cas du
page de celui-ci dans la nappe pétrolière qui tirent leur eau du même cours d’eau bassin du Jourdain où Israël a établi
partagée entre les deux États. Combien (rivus) et qui s’opposent en de fréquents une hydro-hégémonie au détriment du
de temps encore faudra-t-il avant que les diérends. Plus que de guerre de l’eau, Liban, de la Syrie, des territoires pales-
conflits d’aquifères entrent dans la ter- mieux vaudrait parler de «violences hy- tiniens et, dans une moindre mesure,
minologie commune du lexique des spé- drauliques», au sens où un rapport de de la Jordanie. Les agissements de l’hy-
cialistes du Moyen-Orient?» Après lui, force (vis: la force) déséquilibré sut à dro-hégémonie israélienne sont en par-
nombre d’universitaires puis d’acteurs imposer un mauvais accès en eau sans ticulier observables dans les territoires
palestiniens. Par-delà les aquifères de est loin d’avoir atteint son objectif de les monopoles de l’Égypte et du Soudan
Cisjordanie, cette vigilance israélienne 1,7 million d’hectares irrigués dans le sur les eaux du Nil tels qu’ils sont préci-
sur les eaux du bassin du Jourdain –en sud-est anatolien mais si la Turquie sés par les accords de 1959. Depuis ces
particulier sur les projets agricoles les réussit à transformer ce projet en réalité, accords, Le Caire et Khartoum se par-
plus consommateurs en eau– a pu être c’est tout l’aval qui va en subir les consé- tagent l’essentiel des volumes du fleuve.
clairement observée en 2002, lorsque le quences, en particulier les populations Mais ce temps semble aujourd’hui révo-
Liban a envisagé de retenir une partie agricoles encore nombreuses. La Syrie lu avec l’armation des pays nilotiques
des eaux du Wazzani, qui est un court et l’Irak ne le savent que trop mais leur non arabes, en premier lieu l’Éthiopie
auent du Hasbani dont les eaux fragilité géopolitique ne les met pas en qui est en train de construire le barrage
s’écoulent vers le position de force. de la Renaissance dont le remplissage
lac de Tibériade. «Si nous n’y prenons Sur le Nil, la si- réduira momentanément le débit en
Après des média- pas garde, les guerres tuation est égale- aval. Tout l’enjeu réside dans la durée
tions internatio- ment source d’in- du remplissage. L’Égypte exige qu’il
nales, le Liban n’ob- du futur pourraient se quiétude, surtout soit le plus long possible pour épargner
tint qu’un accès faire à propos de l’eau pour l’Égypte qui l’écoulement vers son territoire, quand
pour l’eau potable et non plus au sujet du a longtemps agi l’Éthiopie, impatiente de devenir une
et dut stopper ses en État hydro-hé- puissance hydroélectrique, souhaite
projets agricoles pétrole.» gémonique en dé- qu’il soit le plus court possible.
beaucoup plus exi- pit de sa position La forte empreinte de l’agriculture dans
geants en eau. Ceci
Kofi Annan, 2001 en aval du bassin. les prélèvements en eau paraît donc
en dit long sur le caractère central de Alors qu’elle se trouve en pleine muta- de plus en plus dicile à maintenir
l’irrigation mais aussi sur la situation tion interne, elle se voit ainsi contestée dans ce contexte de rivalités externes.
d’hydro-hégémonie, en l’occurrence à l’extérieur, c’est-à-dire par les pays Cependant, des tensions internes
israélienne. d’amont qui remettent en question ses s’ajoutent. L’urbanisation massive et le
Cette tension hydropolitique est éga- «droits historiques» sur le Nil. La mon- tourisme côtier de masse déplacent les
lement très aiguë sur l’Euphrate et le tée en puissance de l’Éthiopie, véritable besoins et font émerger une conflictuali-
Tigre où s’opposent la Turquie, véri- château sur ce grand fleuve africain, est té entre villes et campagnes, qui s’ajoute
table château d’eau du bassin et réelle un élément de changement majeur dans à la conflictualité entre pays.
puissance militaire, et les pays d’aval, la région. Autour de ce pays, les États
la Syrie et l’Irak. Pour l’heure, Ankara d’amont se sont coalisés pour contester

FOCUS À RETENIR
Du fait de l’hydroconflictualité, les usages agricoles Le Moyen-Orient est confronté à l’aridité depuis très
sont menacés dans certains pays du Moyen-Orient, longtemps. En inventant des techniques d’exhaure,
alors même que les changements climatiques se en créant des organisations sociales de distribution
confirment. Cependant, alors que la sécurité alimen- de l’eau et en définissant des codes d’arbitrage, les
taire de la région est menacée et que le développe- populations ont su la contourner. Mais avec la créa-
tion d’États rivaux au xxe siècle et les ruptures dé-
ment des territoires est très déséquilibré, les États ne
mographiques et climatiques, l’eau est devenue un
peuvent pas sacrifier un secteur agricole qui four-
objet de tensions supplémentaires dans une région
nit des matières premières alimentaires et offre un marquée par la rivalité. Principal usager, l’agriculture
moyen de promotion économique aux populations est au cœur de ces tensions hydrauliques.
rurales. Pour autant, à l’exception de la Turquie et
du Liban qui avaient connu un grand retard hydrau-
lique pour des raisons de choix ou de vicissitudes po-
litiques, la politique de l’offre (barrages, pompages)
ne compte plus de marges de manœuvre. Dès lors,
les efforts se portent vers la gestion de la demande
en eau, les économies réalisables constituant des
« gisements d’eau ». Mais ceci suppose un retour à
une politique de concertation pour que les arbitrages
soient acceptables.
EN AMONT DE L’EUPHRATE ET DU TIGRE :
UN VASTE PROJET TURC
Aire à irriguer Barrage Tunnel d’Urfa Canal principal d’irrigation
La c
de
Ke
ba
n rat an
Mu de V
Muş Lac
Elâzığ
Malatya Van
Bitlis
Diy
Diyarbak
Diyarbakır
Diy
Diyarbak
Diyarbakır
arbakı
arbak
arbakır
arbakıırrr Siirt
Adıyaman
Batman
Ti g re Şırnak
e
at
phr
Mardin
Eu
Gaziantep Urfa
S I
 
FCHE 14
PASTEURS ET AGRICULTEURS:
CONFRONTATIONS AFRICAINES
Le continent africain est encore en
proie au conflit millénaire entre éle-
veurs et agriculteurs. Pourtant, il s’agit RWANDA, DARFOUR:
d’une synergie : les cultivateurs béné- DES TRAGÉDIES REVISITÉES entre éleveurs tutsis et agriculteurs hu-
ficient des engrais naturels laissés par tus, le pouvoir colonial s’appuyant sur
les élevages qui profitent des résidus Après que certains ont cru à «la fin de les premiers érigés en élite sociale et
de cultures. Mais des épisodes de sé- l’histoire» dans le sillage de l’essayiste économique. L’indépendance en 1959 a
cheresse ont régulièrement rompu cet Francis Fukuyama, le monde a assisté à été suivie de longues décennies de re-
équilibre. Aujourd’hui, les ruptures cli- l’eroyable génocide rwandais en 1994. vanche hutue. Le point d’orgue de cette
matiques et démographiques rendent Cette tragédie avait aussi pour sou- revanche a été atteint dans la décennie
ce conflit plus récurrent encore. Cette bassement le conflit entre pasteurs et 1990, dans un contexte de raréfaction
dichotomie n’est toutefois pas toujours éleveurs. Hutus et Tutsis n’ont jamais de la terre sous la pression démogra-
aussi claire, des éleveurs devenant été des ethnies comme une certaine an- phique. En 1991, un prégénocide a en-
agriculteurs pour sécuriser leurs four- thropologie physique coloniale a voulu traîné les Hutus paysans à cibler les
rages, quand les paysans accèdent à le faire accroire. Allemands puis Belges régions de pastoralisme pour y établir
l’épargne vivante qu’est l’élevage. ont ethnicisé une diérenciation sociale des fronts pionniers agricoles. Cette
dimension s’est invitée de nouveau reconnaissance par le pouvoir central, Au Nigéria, les heurts réguliers et vio-
en 1994 même si la soif de terres a fait mais ils l’ont payé au prix fort en subis- lents entre pasteurs et agriculteurs
que les massacres se sont produits aus- sant un massacre massif. s’enracinent dans cette chaîne de causa-
si entre Hutus, y compris d’une même lité: l’emprise des djihadistes de Boko
famille. L’ACTUALITÉ D’UN CONFLIT Haram dans un nord éloigné des dyna-
Une décennie plus tard, le Soudan a miques économiques du sud et la dé-
connu un épisode de massacre oppo- Ce conflit garde une acuité ailleurs sertification de ces régions ont poussé
sant des pasteurs et des agriculteurs. en Afrique, particulièrement dans les des éleveurs à migrer plus au sud. L’État
Le conflit du Darfour (2003-2005) a zones sahéliennes ou péri-sahéliennes. du Bunue, au centre du pays, a ainsi
mis en scène des milices Janjawid agis- Pour des agriculteurs peu productifs et connu des arontements très violents
sant pour le compte du pouvoir central de plus en plus nombreux, il est tentant en 2018 entre les Peuls éleveurs et les
contre des populations fours aspirant à d’occuper des espaces réservés pour le agriculteurs. Le fait que les Peuls soient
une certaine autonomie. Et on constate passage des ani- musulmans et les
que ces Janjawid sont issus de groupes maux et les voies «Abel devint berger et Béroms chrétiens
d’éleveurs qui, au moment du sultanat
four (e au esiècle), avaient été les
d’accès aux points
d’eau qui sont
Caïn cultivateur […] Et n’explique sans
doute que très par-
oubliés dans l’attribution de domaines pourtant des pas- lorsqu’ils furent dans tiellement la féroci-
fonciers. Ils devaient se contenter de sages obligatoires les champs, Caïn se jeta té d’un conflit qui
faire paître leurs troupeaux dans l’es-
pace inter-cultural ou dans les zones
pour les pasteurs.
Ceux-ci, quand ils
sur son frère Abel est avant tout une
lutte pour la survie.
d’agriculture peu utilisées. Or, avec sont exposés à une et le tua.» Dans des contextes
l’accroissement de la population à la raréfaction des pâ- sociopolitiques
fin du esiècle, l’agriculture a dû s’in- tures du fait de la
Livre de la Genèse diérents, on re-
tensifier, laissant moins de place pour progression de la désertification, sont trouve des conflits de cette nature, no-
l’activité pastorale. Entre jalousie an- tentés de faire divaguer leurs animaux tamment au Kenya, au Niger, au Mali
cienne d’avoir été exclus du partage de sur des zones agricoles, y compris en et au Burkina Faso. Les changements
la terre, recul des possibilités pastorales période de culture. Bien sûr, par-delà climatiques et la transition démogra-
et calculs d’un pouvoir soudanais par- cet arrière-plan environnemental et dé- phique associés à la faiblesse des États
ticulièrement brutal, les fours ont non mographique, des facteurs politiques devraient donner lieu à nombre de ré-
seulement vu s’eondrer leur rêve de viennent en décupler l’intensité. pliques de ce conflit millénaire.

De 2012 à 2014, la Centrafrique a connu une guerre Le nomadisme et l’agriculture n’ont pas toujours fait
intense opposant une coalition ( seleka en langue san- bon ménage au long de l’histoire alors que l’agropas-
go) multiethnique et plutôt musulmane à des milices toralisme est une voie d’équilibre intéressante sur le
d’autodéfense (les anti-balakas ou anti-machettes plan économique et environnemental. Cette dialec-
en langue sango) plutôt chrétiennes ou animistes tique entre conflits et bénéfices demeure d’actualité.
Mais, avec les changements climatiques et l’expan-
et composées d’autres ethnies. Les Selekas étaient
sion démographique, le curseur semble se déplacer
partisans du président Michel Djotodia quand les
vers la conflictualité. Pourtant, des expériences de
anti-balakas soutenaient François Bozizé. Dès 2013, développement montrent que des arbitrages effi-
cette guerre civile a suscité une intervention militaire caces sont possibles.
française, l’opération Sangaris. Force est d’admettre
que derrière ce conflit aux atours ethno-religieux, il
y avait aussi une dimension agropastorale. Avant
le déclenchement de cette guerre civile, le pastora-
lisme était déjà une source de violence entre éleveurs
et agriculteurs, surtout avec l’arrivée d’éleveurs du
Tchad et d’ailleurs. La survenue de la guerre civile
a décuplé ce conflit, les Selekas agrégeant des éle-
veurs quand les milices villageoises anti-balakas
trouvaient une grande partie de leurs effectifs chez
les paysans.
MIGRATIONS PASTORALES ET FRONTS
PIONNIERS AGRICOLES
M
M
N
S
G
B
F
G-
B
G
S T
L G
C
É AN ’I B

N
OC UE
T IQ
L AN
AT
L
Zones bioclimatiques Migrations pastorales

Sahara Soudano-sahélienne Soudano-guinéenne Fronts pionniers
(< 200 mm) (400 - 600 mm) (1000 - 1400 mm) actifs
Sahélienne Soudanienne Guinéenne forestière Principaux couloirs
(200 - 400 mm) (600 - 1000 mm) (1400 - 1600 mm) de migration  
des pasteurs peuls
FCHE 15
AFRIQUE AUSTRALE:
LA SÉGRÉGATION AGRICOLE
LA CAPTATION DE LA TERRE
Tout ceci provoqua le ressentiment des
En devenant comptoir des Provinces Boers qui se révoltèrent avant de quitter
Unies en 1602, Le Cap a inauguré un la colonie en 1834 pour se rendre sur les d’acheter ou de louer des terres en de-
vaste mouvement d’appropriation fon- plateaux de l’Orange et sur les terres du hors des «réserves», soit à peine 8% du
cière en Afrique australe. Certains co- Transvaal où ils formèrent deux États territoire. Une seconde loi adoptée en
lons de la Compagnie des Indes furent du même nom. Cependant, ces États, 1936 confirma cette politique de confi-
libérés de leurs charges pour s’adonner riches en mines, furent convoités par nement foncier, même si le territoire
à l’agriculture. Dans leurs avancées, ces les Britanniques qui s’en emparèrent noir passa à 13% des terres.
néo-paysans (boers en néerlandais) en 1902. Après une réconciliation po- Dans l’environnement immédiat de
arontèrent des populations locales. litique entre Boers et Britanniques, l’Afrique du Sud, ce régime de discri-
Après avoir pris le contrôle du Cap en l’Union sud-africaine fut créée en 1910. mination raciale fut aussi établi, no-
1806, les Anglais décidèrent de prohiber Sa construction se fit au détriment des tamment en Rhodésie du Sud que les
l’esclavage et de fixer la frontière de la populations noires exclues de l’essentiel Anglais avaient colonisée. Ses plaines
colonie du Cap au fleuve Orange qui des terres par le Natives Land Act adop- oraient en eet des opportunités
interdisait tout développement au-delà. té en 1913. Cette loi interdisait aux Noirs agricoles et d’élevage. Ce pays, devenu
indépendant en 1965 sous le nom de blancs préférant garder la main sur les Blancs et Noirs. Là aussi, dans un pays
Zimbabwe, confirma son régime sé- terres souvent très fertiles plutôt que où la ségrégation foncière avait per-
grégationniste sur le plan foncier : les de les vendre. Qui plus est, les moyens mis aux Blancs de contrôler 87 % des
Blancs s’étaient arrogé dès 1930 20mil- manquaient à l’État pour les racheter. terres, une réforme par le marché avait
lions d’hectares, soit plus des deux tiers Cependant, ayant perdu de sa popula- été lancée. Cependant, bientôt 30 ans
des terres, alors qu’ils représentaient rité au tournant des années1990, l’an- après la fin de l’apartheid, force est de
moins de 5% de la population. cien guérillero, très constater que la
contesté par les «La justice doit être terre demeure dé-
UNE INJUSTICE FONCIÈRE siens, instrumenta-
servie et la justice, c’est tenue à 72 % par
EXPLOSIVE lisa la question de les Blancs. Aussi,
la terre d’abord au le retour de la terre.» l’actuel président
Ce clivage ethno-agraire est au cœur de travers de discours Cyril Ramaphosa
l’histoire politique des États de la région. enflammés contre
Julius Malema est-il en train d’en-
Le Zimbabwe en a été une illustration les fermiers blancs. Il expropria ensuite visager une réforme agraire beaucoup
récente. Ce pays a connu une guerre par la force les propriétaires blancs au plus radicale. Il faut dire que cette ques-
entre Noirs, paysans pour l’essentiel, et début de l’année 2000. Mais tandis que tion est montée en puissance, notam-
Blancs qui détenaient la terre. La fin de la terre fut surtout reprise par les clien- ment du fait de la contestation de Julius
ce conflit fut consacrée par l’accord de tèles politiques de Robert Mugabe, s’en- Malema, un ancien de l’African National
Lancaster House en 1979 qui prévoyait suivit une crise alimentaire et l’exode de Congress (ANC) qui, à la tête de l’Eco-
un abandon du pouvoir par les Blancs nombreux Zimbabwéens vers l’Afrique nomic Freedom Fighters, exige une
en échange du maintien de leurs pro- du Sud. voie très radicale qui participe de celle
priétés; seule une réforme agraire par Dans ce pays, l’un des plus vastes empruntée par le Zimbabwe. Le pouvoir
le marché était prévue, autrement dit d’Afrique, la transition politique s’était sud-africain se trouve dès lors entre le
au travers de la vente volontaire des faite de façon pacifique, malgré des dé- Charybde d’une situation foncière en-
terres par les Blancs. Parallèlement, cennies d’un apartheid brutal. Libéré core très injuste et le Scylla d’une so-
sur le plan politique, Robert Mugabe, après 27 ans de prison et devenu pré- lution brutale et dangereuse en termes
figure de proue de l’ancienne guérilla sident en 1994, Nelson Mandela, héraut d’insécurité alimentaire. Les années qui
noire, obtint le pouvoir en 1980. Sous de la nation arc-en-ciel, préféra ne pas viennent montreront si l’Afrique du Sud
son règne, peu de terres basculèrent toucher brutalement à la terre même si aura su éviter ces deux écueils.
vers la population noire, les agriculteurs elle était très injustement repartie entre

FOCUS À RETENIR
En Afrique australe, le Botswana (le pays des Phénomène que l’on retrouve sur d’autres conti-
Tswanas) fut le seul à échapper à cette règle d’un nents, l’appropriation déséquilibrée de la terre a pro-
développement séparé. Ce territoire était devenu le duit dans cette Afrique des extrémités une situation
protectorat britannique du Bechuanaland, en 1885, à à tout le moins instable. C’est au travers de la colo-
la demande du roi Tswana Khama III qui voulut pro- nisation de peuplement qu’elle a émergé, les Blancs
s’appropriant la terre au détriment des Noirs. Cette
téger les tribus tswanas des attaques des Afrikaners
politique a facilité la stratification économique, les
attirés par les espaces d’élevage. Il n’y eut donc pas
Noirs étant prolétarisés pour les mines. Depuis le
de colonisation massive par les Afrikaners, tandis tournant du xxe siècle, la question revient avec force,
que les Anglais n’affichèrent pas d’intérêt agropas- voire violence.
toral pour ce territoire aride. En outre, les Anglais
continuèrent à se faire les protecteurs d’un pays qui
ne connut pas le système ségrégationniste de ses
voisins en dépit de la présence d’une petite popula-
tion blanche. Ainsi, à l’indépendance en 1966, il n’hé-
rita pas d’un dualisme agraire entre Blancs et Noirs.
Cette caractéristique n’est sans doute pas étrangère
au fait que ce pays est d’une rare stabilité politique
en Afrique sans compter qu’il est régulièrement évo-
qué pour ses performances économiques.
Part de la population
Blancs Noirs
8% 81 %
Noirs
4%
Blancs
72 %
Métis
15 %
Indiens
5%
Autres
4%
Part des fermes LES TERRES AGRICOLES D’AFRIQUE DU SUD TOUJOURS
et exploitations agricoles ESSENTIELLEMENT DÉTENUES PAR DES BLANCS
FCHE 16
LUTTES FONCIÈRES EN ASIE

AUX ORIGINES DE LA
CONCENTRATION FONCIÈRE régime de grande propriété fut consacré
depuis l’actuel Pakistan jusqu’aux États de devenir propriétaires de terres qu’ils
Comme sur d’autres continents, des phé- du sud de l’Inde. tenaient jusqu’alors en usage, tandis
nomènes endogène (rapports de force En Chine, la grande propriété s’est éga- que l’empereur en était le propriétaire
internes) et exogène (colonisation) ont lement établie au cours du esiècle. en dernière instance. Mais dans la fou-
œuvré, parfois en se combinant, pour L’ordre ancien des campagnes s’était lée de cette privatisation de la terre
laisser sur les sols une forte empreinte opéré autour des mandarins et autres entamée en 1871, beaucoup de paysans
inégalitaire. Ainsi, dans le nord de l’In- dignitaires représentants de la dynas- accablés par le poids des taxes foncières
de, les Britanniques ont transformé les tie Qing. Mais alors que l’économie et les aléas agricoles durent les laisser à
zamindari, sortes de collecteurs d’im- chinoise était de plus en plus monéta- leurs créanciers consacrés alors comme
pôts qu’avaient établis les Moghols, en risée et que les échanges économiques grands propriétaires.
grands propriétaires terriens, devenant s’intensifiaient, cette élite profita de Si le Japon et la Chine virent donc se
ainsi les relais de la puissance britan- sa force économique pour acheter des déployer la grande propriété en dehors
nique. Mais comme l’espace était grand, terres aux nombreux paysans ruinés. de tout cadre colonial, il n’en fut rien
les Britanniques trouvèrent d’autres mo- Le même phénomène s’est produit au pour l’Indochine, les Philippines et la
dalités pour adapter leur gouvernance Japon où, après le début de l’ère Meiji en Corée. Dans le premier cas, la marque
aux diérents contextes culturels et 1868, des lois foncières visant à moder- de la colonisation française à partir des
politiques. Le résultat fut le même: un niser le secteur permirent aux paysans années 1860 se déploya au travers de
concessions dans le delta du Mékong, communiste (1927-1949) prônée par dans l’industrie, tandis qu’à Taïwan et
en Cochinchine. La transformation de Mao était avant tout paysanne. Moins en Corée du Sud, le départ des Japonais
ces terres peu cultivées en nouveau connue est sa réplique en Inde où les a libéré des terres coloniales.
front pionnier pro- maoïstes ont lancé D’autres pays ont gardé en revanche
fita autant à des «On verra des une guérilla pay- ce problème épineux. Le statu quo
Français qu’à des centaines de millions sanne en 1967, qui voulu par les oligarchies foncières les
a conduites à soutenir des régimes au-
notables locaux.
De même, la priva-
de paysans se dresser. demeure ancrée
dans certains États toritaires qui se prolongent encore et,
tisation des terres Ils briseront toutes de la fédération in- avec eux, la pauvreté rurale. Ainsi au
communales et le leurs chaînes et dienne où la ques- Pakistan, la stratification politique et
foncière entretient le mal-développe-
développement de
l’usure leur béné-
s’élanceront sur la voie tion agraire reste
centrale. ment des zones rurales et la violence
ficièrent dans le de la libération.» L’avènement de sociopolitique. Aux Philippines, la mau-
Tonkin et l’Annam. régimes socia- vaise distribution des terres héritée de
En Corée et à
Mao, 1927 listes en Corée du la colonisation espagnole a donné lieu
Taïwan, c’est la colonisation japonaise, Nord et au Vietnam s’est également à la création d’une milice communiste
à partir du début du e siècle, qui fortement nourri de la pauvreté rurale (NPA) très active jusqu’à l’accord de
fit basculer des pans entiers de terri- née d’une terre très mal distribuée. paix de 2012. Pour se débarrasser des
toires entre les mains d’investisseurs Pour éviter ce scénario, certains pays paysans sans terre, notamment sous la
venus du pays du Soleil levant. Aux ont opéré des réformes agraires am- dictature de Marcos (1965-1986), beau-
Philippines, la plus ancienne colonisa- bitieuses, ce qui montrait en creux la coup ont été envoyés sur la grande île
tion espagnole avait tissé son réseau centralité de cette question. Le Japon musulmane de Mindanao, jamais colo-
d’haciendas sur la plupart des îles de en 1946, Taïwan en 1953, la Corée du nisée par l’Espagne. Cette arrivée pro-
l’archipel, à l’exception de la grande île Sud en 1960 ont de la sorte désamorcé gressive a suscité le nationalisme (Front
de Mindanao au sud. les risques de rébellion des zones ru- moro de libération nationale) puis l’is-
rales alors encore pléthoriques. Elles lamisme (Front moro de libération isla-
UN DÉNOUEMENT VIOLENT ont réussi sans trop d’opposition parce mique) qui a fait émerger le djihadisme
qu’au Japon, l’humiliation de la guerre (Abu Sayyaf) à Mindanao. Si Daech a pu
Cette situation n’a pas été sans ins- a contribué à la recomposition politique s’établir sur cette île, c’est donc en réso-
tabilité agropolitique. La révolution et que les propriétaires ont pu investir nance avec cette question foncière.

Vaste archipel, l’Indonésie a longtemps fait de Java L’Asie des mégalopoles ne doit pas nous faire oublier
son centre économique et politique. Sur le plan agri- celle des campagnes. C’est là bien souvent que l’his-
cole, la riziculture pratiquée dans le cadre de la toire politique récente a incubé dans un contexte de
grande propriété y a dominé. La dictature du Suharto forte concentration foncière. La Révolution chinoise,
(1968-1998), très liée à cette élite foncière, a relancé l’autoritarisme indonésien et pakistanais, les guéril-
la politique de transmigrations, déjà entamée par les las indiennes, philippines et népalaises sont autant
Néerlandais. Elle était destinée à diminuer la pression de figures politiques qui empruntent à cette injustice
démographique dans les campagnes javanaises en foncière. Même si l’urbanisation déplace le centre
de gravité des problématiques, la question foncière
envoyant des paysans vers les autres îles de l’archi-
reste un facteur d’instabilité et de pauvreté.
pel, notamment Sumatra et Kalimantan. Ce transfert
de paysans mais aussi de grandes plantations plus
ou moins liées à la dictature ont suscité le recul de
la forêt tropicale, la dégradation des sols et l’éviction
parfois violente des communautés indigènes. Avec
le retour de la démocratie, rien n’a vraiment chan-
gé, des groupes établis au temps de la dictature ont
continué à déployer leur activité, rejoints par des in-
vestisseurs malaisiens et saoudiens, avec tout ce que
cela comporte de conséquences environnementales
et humaines.
L’INDE FACE À LA GUÉRILLA NAXALITE
C
En 1967, l’Inde a vu l’émer-
I
gence d’un mouvement
paysans maoïste. Ce
P
mouvement naxalite, né
dans le village de Naxalba-
ri, son éponyme, a mené N B


New Delhi
d’abord des actions de
guérillas contre les grands
propriétaires avant de B


lutter surtout contre les
investisseurs industriels Calcutta
M
qui sontO
accusés de spolier
la terre, notamment dans
les zones tribales.
M
er Mumbai
d’ du
lf e
O
m Go
le
an Hyderabad n ga
Be
Activisme naxalite
Fort
Bangalore Chennai
Pondichéry
Modéré
O CÉ
AN
S
S I ND
I EN
Faible   L


FCHE 17
FRACTURES RURALES
LATINO-AMÉRICAINES
Sans se réduire à la question foncière,
l’histoire de l’Amérique latine depuis latifundiaires de la péninsule ibérique.
le e siècle révèle une forte imprégna- Dans l’Amérique espagnole, deux ré-
tion socioagraire. Les événements ne gimes de grandes exploitations se sont paysans, souvent originaires d’Espagne,
manquent pas qui entretiennent un lien succédé. Au cœur des encomiendas, s’employaient comme ouvriers agri-
avec la question de l’accès déséquilibré sortes de circonscriptions foncières coles (peones) ou travaillaient les terres
à la terre: révolutions mexicaine et cu- dévolues à un dignitaire espagnol, le comme métayers. Au long des trois
baine ou guerres civiles en Colombie travail des paysans autochtones de- siècles qui ont conduit ce continent vers
et en Amérique centrale, autant de rup- vait assurer l’approvisionnement ali- la rupture avec l’Espagne, ces domaines
tures qui ont l’odeur de la terre! mentaire des ouvriers des mines. Mais se sont multipliés au fur et à mesure de
avec l’eondrement de la population la pénétration intérieure tandis que le
UNE TERRE MAL PARTAGÉE autochtone sous les coups de boutoir droit d’aînesse a préservé leur intégrité.
de la colonisation, ces structures ont dû Selon des modalités diérentes, le Brésil
Dans la foulée de la conquête, Espagnols être remplacées par la grande propriété a lui aussi adopté un régime de grande
et Portugais ont établi des régimes fon- dès le e siècle. Dans ces haciendas, propriété, inspiré de ce qui s’était
ciers qui empruntaient aux systèmes les maîtres étaient propriétaires et les passé au Portugal dans le cadre de la
reconquête du sud à l’issue de l’occupa- basculé dans une guerre civile à forte Au Brésil, le coup d’État en 1964 qui ins-
tion arabe. Après la conquête du Brésil, tonalité agraire. Rappelons le rôle joué talla la dictature se fit au détriment du
de hauts dignitaires de la Couronne por- par les leaders paysans, Pancho Villa et président Goulart alors qu’il venait de
tugaise se sont vus octroyer de vastes Emiliano Zapata, ainsi que le lancement lancer une réforme agraire. Notons aus-
bandes de terres d’est en ouest, chacune d’une réforme agraire dès 1917 pour si qu’après le retour à la démocratie en
de ces capitaineries étant découpée en- s’en convaincre. 1985, rien de vrai-
suite en sesmarias que géraient des no- On pourrait citer
L’écrivain péruvien ment déterminant
tables de second rang. aussi l’engagement José Carlos Mariategui n’a été entrepris
Après trois siècles de statu quo poli- d’Augusto Sandino évoqua dès 1928 les en termes de redis-
tique, ces grandes familles terriennes et Farabundo tribution foncière
du Brésil et de l’Amérique espagnole ne Marti dans les
inégalités foncières jusqu’à l’arrivée
supporteront plus le fardeau fiscal de années 1930. Ils en Amérique latine au pouvoir de Jair
Madrid et Lisbonne, ce qui les conduira seront en eet les comme une tare laissée Bolsonaro en jan-
à soutenir le processus d’indépendance éponymes de gué- vier 2019, soutenu
entre 1810 et 1825. rillas paysannes
par la colonisation. par le lobby de la
très actives au Nicaragua (FSLN) et bancada ruralista très actif dans l’arène
LA MÉMOIRE POLITIQUE au Salvador (FMLN) à partir des an- politique. Évoquons enfin le Paraguay,
DE LA TERRE nées 1960-1970 dans des pays où la pays le plus inégalitaire au monde en
terre était confisquée par l’élite fon- termes fonciers, où Alfredo Strossner,
Longtemps après les indépendances, cière. « Nicaragua es mi finca » avait au pouvoir de 1954 à 1989, a porté à l’ex-
des oligarchies à forte teneur foncière même prétendu le dictateur Anastasio trême la polarisation foncière. Soutenu
se sont imposées dans le paysage po- Somoza, chassé du pouvoir en 1979. par la dictature brésilienne, il a donné
litique, tandis que les paysans consti- Dans cette évocation, comment oublier des pans entiers de l’est du pays à des
tuaient une majorité numérique souvent la révolution cubaine dont le second investisseurs du pays voisin. Cette in-
paupérisée. Au  e siècle, ces oligar- soue sera trouvé en 1956, lorsque Che justice sociale n’a jamais été résolue
chies se sont appuyées sur des régimes Guevara et Fidel Castro s’appuieront ensuite, y compris avec le retour de la
autoritaires, imposant un ordre militaire sur les paysans de la Sierra Maestra? démocratie. Le président de gauche
(Argentine, Paraguay). Parfois elles ont Les histoires de basculement ont été Fernando Lugo a tenté de lancer une ré-
été défiées par des guérillas paysannes. rares. Le plus souvent, les oligarchies forme agraire mais il a été éconduit en
Ainsi, entre 1910 et 1920, le Mexique a se sont en eet montrées résilientes. 2012 sous la pression de l’oligarchie.

FOCUS À RETENIR
Le Venezuela, qui connut lui aussi une oligarchie Avec la question amérindienne qu’elle croise sou-
foncière, vit sa structure sociopolitique évoluer avec vent, l’inégalité foncière héritée depuis la coloni-
le basculement pétrolier à partir des années 1930, sation espagnole et portugaise est centrale dans
encore que de grands propriétaires réussirent à l’histoire politique du continent latino-américain. La
être aussi les gagnants de cette nouvelle donne. liste des conflits agropolitiques y est décidément très
longue. Quand bien même la population rurale de-
Cependant, cette situation n’a pas empêché que la
vient moins importante – du moins en valeur relative
question agraire croise l’histoire politique récente.
–, la question foncière demeure au cœur des pesan-
Se situant dans la lignée de « l’agrorévolutionnaire » teurs politiques.
Ezequiel Zamora, le président Chavez (1999-2013) fit
de la réforme agraire (la Ley de Tierras y Desarrollo
Agrario de 2001) un marqueur politique de son so-
cialisme bolivarien. « La guerre contre les latifundia
est l’essence de la révolution bolivarienne », lança-t-il
en 2005 lors d’un meeting à Caracas sur le thème
« Terre et hommes libres ! Contre les latifundia ».
Cependant, dans les nouvelles réformes de Chavez,
il semble que l’on fût davantage dans l’instrumen-
talisation politique que dans le règlement d’un vrai
problème rural. Son successeur Maduro n’a pas fait
mieux.
Colombie
0,25 % Venezuela Uruguay
1% 9,3 %
RÉPARTITION DES TERRES AGRICOLES PAR TAILLE Brésil

DES EXPLOITATIONS EN AMÉRIQUE DU SUD
1%
Pérou Bolivie
0,2 % 0,7 %
Argentine
Paraguay Chili 10,8 %
1,64 % 0,9 %
Surface cultivable 9,3 % Proportion des exploitations

de plus de 1000 hectares
Surface cultivée par des exploitations Proportion des exploitations

de plus de 1000 hectares de moins de 1000 hectares
FCHE 18
COLOMBIE:
TERRES, GUERRES ET DROGUES
Assassinats, trafics de drogue, attentats,
tel a été le lot récent de la Colombie
jusqu’à ce qu’en 2016, l’histoire semble contexte sociopolitique commun avec
changer de cap. La guérilla des Forces les pays d’Amérique centrale (oligarchie venaient ainsi à occuper les terres de
armées révolutionnaires colombiennes foncière, présence de compagnies certaines de ces haciendas.
(FARC) et le pouvoir ont signé un ac- étrangères et minifundisme massif). La De leur côté, les autorités, poussées par
cord de paix mettant fin à cinq décennies population de paysans sans terre conti- leurs parrains américains soucieux de
d’un conflit très enraciné dans la terre, de nuait d’augmenter du fait de l’accroisse- ne pas voir le marxisme faire une per-
même que l’a été la question de la drogue. ment de la population et de la moderni- cée en Colombie, n’avaient pu que se
sation des grandes exploitations. Ces résoudre à lancer une réforme agraire
AGRORÉVOLUTIONNAIRES, dernières avaient moins de besoins en en 1961. Mais cette réforme n’entama
MILICIENS ET CARTELS main-d’œuvre, du fait notamment de jamais vraiment les grands domaines
l’adoption de cultures de rente (coton, agricoles liés au pouvoir, les autori-
Au moment de la création des FARC canne à sucre et sésame) plus mécani- tés préférant inciter les paysans à se
en 1964, le pays se caractérisait par un sées. Beaucoup de paysans renvoyés en rendre dans les fronts pionniers, en
l’occurrence dans la forêt amazonienne. guérillas et paramilitaires qui, eux aussi, un rythme lent eu égard au rapport de
Dans ce contexte, certains paysans se usèrent du commerce de la drogue. force sur le terrain. Le désamorçage du
sont radicalisés et ont notamment fon- conflit s’engagea surtout par le dialogue
dé les FARC. LA PAIX DES BRAVES? direct qu’il noua avec les guérillas et par
Ces mouvements se voulaient avant l’unification des forces politiques qui
tout protecteurs des paysans sous la La guerre entre paramilitaires et gué- avaient eu jusqu’alors tendance à faire
pression des grands domaines qui rillas connut diverses phases : les an- de la surenchère dans la lutte contre les
comptaient sur leurs propres milices. Ce nées noires entre 1970 et 1980, une guérillas. Il faut dire aussi que les FARC
«fascisme agrarien» pouvait être com- phase d’apaisement entre1982 et1986, avaient perdu beaucoup de terrain.
paré aux Chemises noires de Mussolini, le retour à la violence à partir de la fin Un accord facilité par Cuba et le Vatican
qui furent mobilisées par les grands des années1980 et une nouvelle phase fut enfin signé le 26 septembre 2016.
propriétaires terriens de la plaine du Pô d’apaisement entre1998 et 2002 (man- Il prévoyait le dépôt des armes des
en 1919 et 1920 en Italie contre les mou- dat d’Andrés Pastrana) avant une nou- FARC et leur inclusion dans la vie po-
vements paysans. Si ces paramilitaires velle reprise sous la présidence d’Álvaro litique, une réforme agraire et l’arrêt des
très brutaux firent le plus de victimes Uribe (2002-2010) qui vit les expulsions cultures illicites dans les zones contrô-
dans les rangs des paysans et autres paysannes se multiplier. lées par la guérilla. Lors du référendum
opposants, ils accueillirent aussi des La vraie rupture politique vint du pré- du 6octobre 2016, une courte majorité le
travailleurs de la terre, ne serait-ce qu’en sident Juan Manuel Santos, arrivé au rejeta, reprochant le laxisme envers les
les soudoyant. pouvoir en juin2010. Plus en phase avec anciens révolutionnaires. Cependant,
De leur côté, les FARC sombrèrent dans l’élite urbaine et cosmopolite que son la remise du prix Nobel de la paix au
une guerre aveugle, parfois même contre prédécesseur, davantage lié aux grands président Santos est venue l’encourager
des paysans rétifs à leur discours. En ac- propriétaires terriens, il promulgua en dans le sens de la paix tandis que les
compagnant les paysans sur les fronts juin 2011 la loi 1448, qualifiée d’histo- FARC ont entamé leur désarmement en
pionniers de la forêt amazonienne, la rique. Elle prévoyait de restituer leurs mars2017 avant de se muer en Force al-
culture des drogues devint un moyen terres aux deux millions de Colombiens ternative révolutionnaire commune en
pour eux de financer un équipement déplacés par la guerre civile au cours septembre. Mais le processus de paix
militaire de plus en plus lourd. Le fléau des 25dernières années. La remise de demeure fragile, notamment du fait du
des cartels de Medellín et de Cali, qui se titres par l’agence de restitution ne lourd passif agraire. La victoire de la
disputèrent le marché nord-américain, signifiait pas la reprise automatique gauche aux dernières présidentielles est
fut le sous-produit de cette guerre entre des terres, et le processus partit sur peut-être un atout en ce sens.

FOCUS À RETENIR
Dans le cadre de l’accord de paix colombien de 2016, Au xxe siècle, la Colombie a connu un contexte de
un fonds de terres a été créé. Il est alimenté par grandes inégalités foncières doublé d’un fort essor
celles qu’a récupérées l’État, notamment au travers démographique. Entre 1964 et 2016, des paramili-
de l’extinction juridique de domaines non exploités. taires proches des grands propriétaires terriens et
Ces terres doivent être ensuite distribuées gratuite- des différents pouvoirs en place se sont ainsi affron-
tés à des mouvements révolutionnaires aux fortes
ment aux paysans les plus pauvres. À cela s’ajoute le
origines paysannes. C’est dans ce contexte que la
cadastrage des parcelles pour protéger les droits de
culture des drogues a prospéré. Depuis 2016, un pro-
ceux qui ont longtemps été la proie des accapareurs. cessus de paix, très fragile, s’appuie notamment sur
Un système de crédit est également envisagé pour le règlement de la question agraire.
rendre les paysans moins dépendants des usuriers.
Cet accord donne beaucoup de place à l’accès à la
terre. Pour autant, rien n’est gagné. Selon l’avocat
colombien Alejandro Reyes Posada : « L’avenir [du
processus de paix] se jouera dans les zones rurales,
dans ces territoires où l’État peine à exister. […] Le
principal risque du post-conflit réside dans la pos-
sible réactivation par les grands propriétaires des
initiatives de défense armée de type paramilitaire,
s’ils sentent que leur patrimoine et leurs privilèges
sont menacés . »
UN TRAFIC DE COCAÏNE QUI A ÉTÉ NOURRI
PAR LE CONFLIT AGRAIRE
C
C
12
14
É-U 124 E

É-U 63 E
267
164
9 M
M 17 C
V A
C C  ’O
P P
B
B É AN
AN OC UE
É TI Q
OC U E AN
N T IQ AT
L
LA
AT A
 S
   
 
Principales routes du trafic de cocaïne (en tonnes)

Principaux producteurs de cocaïne
6 15
63 Consommation de cocaïne (en tonnes)
60 140
FCHE 19
MOYEN-ORIENT,
UNE GÉOPOLITIQUE PAR LE SOL
Le Moyen-Orient n’a pas échappé à
l’appropriation des terres, en particulier en était l’unique propriétaire. Ce pro-
sous l’eet des politiques de privatisa- cessus d’immatriculation-privatisation concentration de la terre. En 1950, 1% des
tion mises en œuvre par les Ottomans. profita aux notables qui purent inscrire Égyptiens détenaient ainsi 50 % de la
Les contestations dans certains terri- beaucoup de terres en leur nom ou en- terre, tout comme en Syrie.
toires de ce vaste empire et, par consé- core aux commerçants qui, tôt ou tard, En Iran, la grande propriété remontait
quent, le besoin de rehausser ses res- purent reprendre la terre aux paysans plus haut. Depuis la dynastie safavide
sources financières pour renforcer son qui leur devaient de l’argent. En Égypte, au  e  siècle jusqu’à la veille de la
armée avaient poussé ses autorités à détachée de l’empire depuis Mohamed grande réforme agraire du début des
changer le système foncier à partir de la Ali, les mêmes mécanismes furent à années 1960, le système malik-Rayati
moitié du  esiècle. Dans le cadre des l’œuvre au e siècle (privilèges fon- prévalait à côté d’autres organisations
réformes, des titres de propriété furent ciers donnés aux dignitaires, privatisa- foncières plus marginales. Dans le cadre
distribués à ceux qui, jusqu’alors, la dé- tion et endettement profitant aux com- de ce système qui visait à construire une
tenaient en usage, tandis que le sultan merçants) et conduisirent à une extrême «féodalité d’État militaire», beaucoup de
villages (deh) appartenaient à un grand socioagraire. Dans un pays très déséqui- demeure prégnante. En Égypte, la
propriétaire qui, en cas de conflit, devait libré sur le plan de l’accès à la terre, les contre-réforme agraire de 1992 a laissé
mettre des hommes au service du pou- paysans kurdes trouvèrent en eet dans une empreinte sociale et politique. En
voir monarchique. les promesses d’une société égalitaire revenant sur un acquis de la réforme
une raison de s’enrôler par-delà le pro- agraire de Nasser qui avait plafonné les
ENTRE RÉVOLUTIONS jet irrédentiste. Le fait que les premières fermages payés aux propriétaires, envi-
ET CONFLITS: cibles du PKK furent des propriétaires ron 800 000 paysans auraient été pri-
UN SOUBASSEMENT AGRAIRE fonciers kurdes accusés de collusion vés d’une terre qu’ils ne pouvaient plus
avec Ankara constitue un indice parmi louer. En revanche, cette contre-réforme
Dans ce contexte, est-il surprenant d’autres de l’importance de la question a permis aux grands propriétaires de re-
que des révolutions aient l’odeur de la foncière dans cette mobilisation. prendre une partie de leurs terres, qu’ils
terre? Sachant que la question sociale Autre moment agropolitique, la révolu- ont louées à des investisseurs supposés
était avant tout paysanne, Nasser en tion iranienne en 1979 a été particulière- plus productifs, quand ce n’était pas eux
Égypte et le Baas en Syrie ont ainsi éri- ment soutenue par les «paysans dépay- qui investissaient. Selon certains tra-
gé le principe de réformes agraires dès sannés». Pourtant, la réforme agraire de vaux, cette dépossession aurait contri-
leur prise de pouvoir, respectivement en 1963 leur avait oert la possibilité d’ac- bué à la radicalisation islamiste de pay-
1952 et 1963. Il en allait de leur stabilité. céder à la terre mais, en fait, beaucoup sans dépossédés. De même, lors de la
A contrario, le Liban qui choisit la voie ne le purent pas par manque de moyens, révolution de 2011, certains paysans ont
d’une économie de services ne revint ce qui les obligea à grossir fortement les profité des événements pour occuper de
pas sur cet héritage agraire. Il récolta en villes. Ils y constituèrent alors la caisse nouveau les terres qu’ils avaient culti-
retour une instabilité des régions agri- de résonance du discours islamiste qui vées jusqu’à la contre-réforme.
coles (Bekaa, Sud) où les paysans chiites prit le dessus sur les autres alternatives La guerre en Syrie donne lieu à une re-
trouvèrent dans le mouvement des dés- politiques portées au moment de la configuration foncière inquiétante, le
hérités un porte-parole politique avant révolution. pouvoir profitant du départ massif de la
que, de radicalisation en radicalisation, population pour s’arroger de nouveau le
certains forment le Hezbollah en 1982. L’EMPRISE DU SOL contrôle des terres dans les régions où il
En Turquie, le Parti des travailleurs du SUR LE PRÉSENT a eu maille à partir, avec les oppositions
Kurdistan (PKK), mouvement marxiste sunnites notamment.
et nationaliste kurde, créé en 1978, doit Les sociétés de la région ont beau
être aussi interprété avec ce prisme être urbanisées, la question foncière

FOCUS À RETENIR
Même si on peut avancer la « légitimité tradition- Le Moyen-Orient est troublé par le Ciel. Le religieux
nelle » (au sens de Max Weber) du roi hachémite – ou plutôt son instrumentalisation – a une influence
ainsi que l’homogénéité ethnolinguistique du pays, sur la conflictualité régionale. Le Moyen-Orient est
la stabilité exceptionnelle du royaume de Jordanie a aussi empoisonné par son sous-sol, la pléthore de
aussi été liée à l’absence d’une grande propriété fon- pétrole et de gaz expliquant ses dérives autoritaires,
économiques et militaires. Par-delà ces évidences,
cière. Ce pays étant plus éloigné du centre du pouvoir
on oublie que le sol est au cœur de l’histoire politique
de l’Empire ottoman, la politique de privatisation des
contemporaine. Bien des événements politiques (ré-
terres y avait été moins dynamique, ce qui ne favo- volutions, conflits, mouvements) sont aussi liés à une
risa pas l’apparition de la grande propriété comme terre mal répartie.
ailleurs dans la région, tandis qu’après 1920 la puis-
sance mandataire britannique avait mis en place un
programme de financement des agriculteurs pour
rendre leur activité pérenne. Alors qu’après les indé-
pendances, la faim de terres a été déstabilisatrice
ailleurs dans la région, leur distribution relativement
homogène en Jordanie a constitué un stabilisateur
politique.
LA CONTRERÉFORME AGRAIRE ÉGYPTIENNE À LA FIN DU
XXe SIÈCLE : ENTRE ATOMISATION ET CONCENTRATION
Évolution de la superficie des exploitations
(en millions d’exploitations) (en % d’exploitations)
25 50
23,3 + 8,3%
22,0 + 5,7% 24,5
45
22,6 20,7
+ 26,18% - 10,8%
20 40
17,9
35,2
35 33,5
32,5
29,7
15 30 31,5
28,5
11,4 + 0,3% 11,5 25
10,4 + 9,4%
10 20
8,2 9,8 16,6
+ 5,4% 16 16
9,3
+ 13,16% 15
5,0 + 24,19% 6,3 13,5
13,2 12,9
5 10
7,1
3,9 + 27,08% 5,3 8,5
5
0 0
1982 1990 2000 1982 1990 2000
Nombre de feddan (unité de superficie agraire : 1 feddan = 0,42 hectare)

Moins de 1 De 1 à 2 De 2 à 5 De 5 à 10 Plus de 10
L’évolution des surfaces des exploitations permet de voir un net accroissement des plus petites et des plus grandes exploitations.
L’accroissement des petites exploitations est lié à celui de la population agricole. Il est aussi la conséquence de la libéralisation
des fermages dont la cherté liée à la contre-réforme agraire votée en 1992 oblige les paysans les plus modestes à limiter les
surfaces qu’ils louent. De leur côté, les exploitations les plus grandes s’accroissent, les agriculteurs les plus performants étant
capables de répondre à l’accroissement des fermages.
FCHE 2O
PALESTINE-ISRAËL:
UN CONFLIT AGRAIRE
Avant d’être troublé par le Ciel, le

conflit de Palestine s’enracine dans le des Juifs – d’autant plus qu’ils travail-
sol. Tandis que le sort des Juifs se dé- laient la terre – mais aussi de maximiser déploiement, surtout après 1920. Pour
gradait sur le Vieux Continent lors de le déploiement de l’emprise territoriale, ce faire, les terres étaient achetées par
la seconde moitié du  e siècle, les l’agriculture couvrant potentiellement le Fonds national juif (FNJ) à des pro-
sionistes européens peu religieux ont le plus d’espace. priétaires absentéistes, surtout des
rêvé de faire de la Palestine la terre du Syriens et des Libanais, qui étaient cou-
rassemblement des Juifs persécutés. LE KIBBOUTZ pés de leurs terres depuis le tracé des
Pour enraciner ce projet nationaliste en COMME FER DE LANCE frontières au début des années 1920.
Palestine, l’agriculture fut considérée Cependant, le Yishouv couvrait seule-
comme l’instrument idoine. Elle per- Le kibboutz, une exploitation collec- ment 8% de la Palestine quand l’ONU
mettait de nourrir la communauté juive tive accueillant les plus militants de la décida en 1947 de la diviser entre un
(le Yishouv), de légitimer la présence mouvance sioniste, fut le vecteur de ce État juif sur 56% du territoire et un État
arabe sur le reste. La guerre avec les pays du miel et du lait, s’employèrent à
Arabes au lendemain de la création d’Is- COLONIALISME AGRAIRE JUIF développer l’agriculture sur les pentes
raël permit à ce nouveau pays de couvrir CONTRE AGRONATIONALISME plus ou moins raides de ce qu’ils quali-
désormais 78% du territoire tandis que PALESTINIEN fient de «Judée Samarie».
700000 à 800000 Palestiniens furent En réponse, du côté palestinien, un na-
expulsés par Israël. Les paysans palesti- Mais parallèlement à cette excellence tionalisme anticolonial, à forte référence
niens furent les premiers visés. Joseph technologique, l’agriculture israélienne agraire, s’est aiguisé avec le temps. Si
Weitz, directeur du département de la a contribué au fait colonial à partir de les paysans occupent une place centrale
terre au FNJ, a joué un rôle important. 1967. Après la guerre des Six Jours qui dans ce nationalisme, c’est parce qu’ils
Le 11janvier 1948, il déclarait: «N’est-il donna à Israël le contrôle des territoires se sont soulevés dès 1936 et qu’ils repré-
pas temps de nous débarrasser des fer- palestiniens restants (soit 22 %), en sentent le lien à une terre qui se dérobe
miers? Pourquoi continuer à laisser par- violation du droit international, le pre- inexorablement depuis 1948 sous les
mi nous ces épines qui représentent un mier plan de colonisation (Plan Allon) coups de boutoir d’Israël. En 2012, deux
danger potentiel?» En septembre1948, s’appuya en eet sur ces kibboutzim. journalistes, Samer Abdelnour et Alaa
dans un débat sur la nécessité d’inter- Ils étaient ainsi chargés de surveiller la Tarir, exprimaient ce rôle éminent des
dire le retour des réfugiés, il appela à frontière avec la Jordanie tout en culti- paysans dans la défense du territoire
implanter des migrants et à cultiver au vant la vallée du Jourdain vidée d’une et dans l’émancipation économique :
plus vite les terres pour signifier que grande partie des Palestiniens expulsés. «Tout agriculteur plantant et cultivant
leur exil était définitif. Ces colonies agricoles maillent toujours sur la terre de la Palestine est plus puis-
Dans la foulée du conflit, c’est encore les cette vallée qui représente presque un sant qu’un combattant. L’agriculture est
kibboutzim qui furent au cœur de la cou- tiers de la Cisjordanie occupée. Entre- une forme importante de résistance. »
verture territoriale du nouvel État. En pa- temps, un autre plan de colonisation Dit autrement, c’est en continuant à
rallèle, une agriculture très sophistiquée plus massif a été mis en œuvre dès 1978, cultiver la terre que les Palestiniens
a émergé, faisant d’Israël un pays expor- dans la foulée de la victoire du Likoud, peuvent résister à l’usage pernicieux du
tateur d’ingénierie hydro-agricole. Dans plus sioniste encore que les travail- droit par Israël qui excipe par exemple
le kibboutz Hatzerim, près de Beersheva, listes. Après la vallée du Jourdain, le du droit ottoman pour reprendre des
en zone aride, l’ingénieur Simcha Blass Plan Drobless concernait désormais la terres qui ne sont pas cultivées pendant
avait découvert le système de goutte- montagne, riche de signification pour trois ans. Quand le droit de la force sub-
à-goutte, qui répondait aux probléma- les sionistes religieux alliés du Likoud. vertit la force du droit: cette logique ne
tiques israéliennes du manque d’eau. Beaucoup d’entre eux, nostalgiques du peut conduire qu’à l’impasse!

Si l’emprise foncière est au cœur du conflit israé- Le conflit israélo-palestinien est un affrontement de
lo-palestinien, l’eau l’est tout autant. Déjà convoité nationalismes à forte tonalité agraire. Quand il s’agit
par les sionistes à la conférence de Versailles en d’une violence territoriale, autrement dit de l’usage
1919, le bassin hydrographique du Jourdain est qua- du rapport de force pour s’arroger le territoire, les
si intégralement contrôlé par Israël. Avec l’annexion terres agricoles se retrouvent au cœur du conflit.
du Golan et la dissuasion israélienne qui empêche Cela d’autant plus qu’elles charrient une symbolique
les Libanais d’user pleinement de leurs affluents identitaire et une portée politique. Pour Israël, c’est le
(Hasbani-Wazzani), la frontière hydraulique entre pays biblique du lait et du miel qui est à « refaire »,
pour les Palestiniens c’est l’assise même de l’identité
Israël et ses voisins va au-delà de leur frontière po-
à sauvegarder.
litique. Il en est de même en Palestine occupée, où
l’eau de Cisjordanie est clairement sous contrôle is-
raélien. Avec le contrôle des forages palestiniens (ré-
parations des anciens et creusement de nouveaux),
la mise en place de quotas d’irrigation pour les pay-
sans de Cisjordanie et le creusement de forages pour
les colonies, plus de 80 % des eaux des aquifères
de Cisjordanie sont ainsi prélevés par Israël. Les
Palestiniens connaissent ainsi une grave crise de
l’eau alors qu’ils en auraient suffisamment.
LES GRANDS AQUIFÈRES
DE CISJORDANIE
Haïfa Cet accord de 1995, qui n’était qu’intéri-
Lac de
Aquifèreeenord-oriental
nord-oriental
nord-oriental maire, prévoyait que les nappes de
Tibériade
Tibériad
(145
(145
(145millions
millions
millionsde
de
demm
m3) Nazareth Cisjordanie étaient vouées à 80 % à Israël
et le reste aux Palestiniens. Cet accord
20 %
consacrait en fait l’appropriation forcée
29 % des eaux de la Cisjordanie par l’occupation
71 % israélienne depuis 1967. Mais en l’absence
d’un accord définitif, ce partage est resté
Jénine
Jénin
Jénine
Jénin
Jénine
énine le même tandis que les besoins palesti-
80 % niens ont fortement augmenté du fait de
l’accroissement de la population.
Acquifère
Aquifère
Acquifère
ère
ère
eeoriental
oriental
orienta
oriental
orienta L’agriculture palestinienne est la grande
(94
(94 millions
millions dede m
m 3) Naplouse perdante de ce « partage » déséquilibré.
Ligne verte (1949)

Tel-Aviv
43 %
57 %
J
Aquifère occidental
Aquifère oriental
Total (448 millions de m 3)
6% Ramallah Aquifère nord-oriental
Mer Méditerranée
Jérusalem Jéricho
Nouvelles allocations prévues
Jérich
Jéricho dans le cadre de l’accord
intérimaire de 1995
450 millions
94 % de m3
Mer
Gaza
Gaza
aza Hébron
Morte
Israël
Palestine
 
Beersheba
Rafah
Aquifère occidental
É (362 millions de m3 ) 100 millions
de m3
FCHE 21
UKRAINE, TERRE FERTILE

AUX GUERRES
DONS DE LA NATURE ET
RÉARMEMENT AGRICOLE une «extermination par la faim» entre
1931 et 1933, ou peu après à Hitler, qui d’opérateurs financiers publics et pri-
Comme d’autres pays riverains de planifia la saisie de ces terres et lança vés, y compris de l’étranger. L’Ukraine
la mer Noire (Roumanie, Bulgarie, l’opération Barbarossa pour nourrir le apparaît alors comme l’eldorado agri-
Russie), l’Ukraine dispose de sols grand Reich allemand. Ces tragédies cole à conquérir. Le pays réussit à dé-
arables généreux. Ces terres noires ont laissé une empreinte toujours vive coller en l’espace de deux décennies.
(tchernoziom) combinent la profon- dans la mémoire ukrainienne. Les récoltes et les exportations s’ac-
deur d’enracinement, la qualité de la Après la période soviétique, l’Ukraine croissent significativement depuis le
structure et la richesse de la matière or- mise sur l’agriculture pour s’émanciper début du esiècle. Avec 30millions
ganique. Ce potentiel n’a pas échappé et sortir son économie de la paralysie. d’hectares cultivés (plus que la France,
à Staline, qui décida d’une collectivisa- Consciente de ses atouts, elle disloque 26 Mha), le pays se spécialise en
tion forcée pour nourrir le développe- les anciennes structures collectives et grandes cultures: blé, maïs, tournesol,
ment des villes russes, générant alors facilite les investissements de la part colza, orge, seigle. Il en produit au total
110Mt en 2021 (soit deux fois plus qu’en Noire et s’avère lui-même productif en La guerre entre deux puissances agri-
2010) et en exporte 80Mt. En volume, céréales. Quand la Russie intervient coles provoque ainsi des secousses
l’Ukraine fait à elle seule 5% du total militairement le 24février 2022 et tente par-delà les rivages de la mer Noire.
du commerce agricole mondial. C’est d’envahir l’Ukraine, l’agriculture du Mais après avoir menacé le grenier de
le septième producteur mondial de blé pays est touchée par les combats et les la mer Noire, la guerre n’empêche pas
mais son quatrième exportateur (20 à bombardements. Pour 2022, les pertes Moscou de poursuivre ses échanges
25Mt, 10 à 12% de parts de marché). sont estimées à plus de 30milliards de céréaliers, et ainsi de conforter son
C’est le cinquième producteur mon- dollars, en raison des destructions, du pouvoir et ses revenus avec son or
dial de maïs mais le quatrième expor- manque de récoltes et de l’incapaci- vert, tandis que l’Ukraine trouve une
tateur (30 à 35Mt). En tournesol (huile té à sortir les productions par la voie respiration commerciale avec l’accord
et tourteaux), l’Ukraine est le premier maritime, fermée durant de longues permettant de faire transiter ses grains
producteur mondial (1/3 de parts de semaines. Le président Volodymyr par un chemin balisé en mer Noire,
marché) et le premier exportateur Zelensky et le secrétaire général de sous l’égide des Nations unies et de
mondial (50 %). Le pays assure aussi l’ONU n’ont de cesse d’alerter la com- la Turquie. Celle-ci joue un rôle pivot
15 à 20% en moyenne des exportations munauté internationale sur les risques dans un contexte où la maritimisation
mondiales d’orge et de colza. Au total, pour la sécurité alimentaire mondiale. de la sécurité alimentaire mondiale
les exportations agricoles ont atteint Ils n’ont pas tort, l’Ukraine étant deve- s’est amplifiée. Si la récolte de blé
25milliards de dollars en 2021. nue un grenier pour beaucoup de pays, au niveau global augmente chaque
notamment du sud de la Méditerranée, année, le défi de sa mobilité devient
LE VIRAGE DE 2022 de l’Asie, voire de l’Europe. Les mar- ainsi une problématique géopolitique
ET SES INCONNUES chés mondiaux, nerveux et haussiers à part entière. En outre, de nouvelles
depuis 2020 en raison de la pandémie alliances pourraient se dessiner en
Depuis 2014, l’Ukraine est écar- de Covid et des perturbations sur les matière de diplomatie céréalière, sur-
telée entre des dynamiques pro- chaînes logistiques, réagissent très tout si les États reviennent aux aaires
européennes et démocratiques et des fortement. Le cours des matières pre- et décident à la fois du rythme et de
velléités sécessionnistes pro-russes mières agricoles flambe et atteint des l’orientation du commerce. Ce dé-
à l’est de son territoire. Elle est égale- niveaux record en 2022. Cette inflation couplage entre besoins objectifs du
ment amputée de la Crimée, annexée alimentaire, couplée à celle de l’éner- marché et visées intentionnelles des
de facto par le Kremlin. Or cet oblast gie et donc des engrais, se propage aux pays n’est pas de bon augure.
constitue une ouverture clé sur la mer quatre coins du globe.

Dès le début du conflit ukrainien, l’UE s’est mobilisée La Russie et l’Ukraine misent depuis le début de ce
pour apporter une aide appropriée à l’Ukraine sans siècle sur leur agriculture pour à la fois nourrir leur
entrer dans un processus de co-belligérance. En ma- sécurité et leur économie nationales, mais aussi pour
tière agricole, outre l’assistance humanitaire et ma- se positionner sur la scène internationale. Leur conflit
génère en 2022 des effets en cascade sur la sécu-
térielle fournie au pays, l’UE a établi des corridors
rité alimentaire mondiale, avec des répercussions
de solidarité pour que les grains ukrainiens puissent
géographiques vastes, des incidences multiples sur
être exportés par la voie terrestre, en trains ou en pé- le plan logistique, énergétique et économique, mais
niches le long du Danube. Elle a aussi permis des flux aussi des inconnues nombreuses sur le devenir des
libres de douane vers les marchés communautaires, productions de la mer Noire, pourtant redevenue gre-
non sans susciter des controverses chez des produc- nier essentiel de la planète.
teurs européens observant la concurrence déloyale
provoquée et le retard normatif de l’agriculture ukrai-
nienne. Au niveau international, l’UE, aiguillonnée par
la France, a mis en place des mécanismes de co-
opération multilatérale pour éviter les entraves com-
merciales et les mesures protectionnistes, garantir la
transparence des marchés et déployer des mesures
d’urgence pour les pays les plus vulnérables. Cette
stratégie dite FARM ( Food and Agriculture Resilience
Mission ) constitue l’une des principales initiatives sur
la sécurité alimentaire mondiale initiées en réponse
à la guerre en Ukraine.
COMMERCE MONDIAL DE L’HUILE
DE TOURNESOL DE  À  Top 3
des importateurs
(Plus de la moitié des
importations mondiales)
Union européenne
19 % RUSSIE 0,45 Inde
Ces 2 pays concentrent 2/3 des exportations
0,65 0,7
Chine
mondiales d’huile de tournesol 12,5
43 CHINE
%
UKRAINE 1,2 5,7
1,97
Océan 1,9
28,5
Pacifique
0,45
INDE
UNION EUROPÉENNE 15 18,8
11
2,5
2,8 3,4
80 % des exportations de l’UE se font 2,4 IRAN
TURQUIE
entre les pays membres IRAK Top 3
des exportateurs
ARGENTINE Océan (85 % des exportations
2,9 Indien mondiales)
Océan
Atlantique Ukraine (50 %)
Russie
Union européenne
Principaux flux d’huile de tournesol Total des exportations d’huile de Total des importations d’huile de
sur l’année 2020 (en millions de tonnes) tournesol par pays + UE de 2016 à 2021 tournesol par pays + UE de 2016
0,5 (en millions de tonnes) à 2021 (en millions de tonnes)
1
2 1 2,5 5 1 2,5 5
PRTIE 3
PUISSANCES ET STRATÉGIES
FCHE 22
ÉTATS-UNIS: UNE (EX)-PUISSANCE?

Les États-Unis sont la première puis-
sance depuis 1945 et ils le sont devenus productifs, la politique foncière très éga-
par l’agriculture. Toutefois, cette intimi- litaire des débuts fut déterminante dans Cette émergence de la puissance agri-
té du lien entre la puissance et l’agricul- cette montée en puissance. Prévoyant cole américaine s’accompagna d’une
ture se défait en partie. l’attribution de quelque 64 hectares à spécialisation et de la formation de cein-
chaque famille de farmers, l’Homestead tures agricoles: la Corn Belt, devenue la
QUAND LA PUISSANCE PASSE Act voté en 1862 préparait en eet les Corn-Soy Belt (Iowa, Indiana, Missouri,
PAR LES CHAMPS conditions de la survenue d’une agricul- Illinois et Ohio), qui profite de bons
ture familiale forte dans le cadre de la sols (notamment l’excellent tcherno-
Au tournant du  e siècle, les États- conquête de l’Ouest, qui s’accéléra net- ziom) et d’un climat chaud et humide;
Unis étaient qualifiés de «pays neuf», tement après la guerre de Sécession en la Dairy Belt des États tempérés des
comme on nommait alors les pays émer- 1865 et la réunification des États-Unis. Grands Lacs (Minnesota, Michigan et
gents. Or cette émergence s’est d’abord Cette progression territoriale et pro- Wisconsin); la Wheat Belt des grandes
opérée par l’insertion dans les échanges ductive de l’agriculture fut d’autant plus plaines plus arides (Dakota, Nebraska,
commerciaux agricoles au début du facilitée que le Railroad Act permettait Kansas et le nord du Texas); la Sugar
esiècle. Contrairement à l’Amérique l’établissement d’un réseau de voies Belt (Louisiane) ; la Tobacco Belt
latine où les grands domaines fon- ferrées permettant le convoyage des mi- (Alabama, Caroline du Sud, Géorgie et
ciers étaient sous-capitalisés et peu grants et des marchandises. Mississippi) et la Fruit Belt (Californie).
Au cœur de ces spécialisations, les et ukrainiennes par les Allemands traité de l’Atlantique nord (OTAN) et le
céréales, à la base de beaucoup de ré- pour éviter aux populations de l’URSS commerce mondial.
gimes alimentaires dans le monde, de connaître le sort des habitants pié-
s’orirent comme un produit d’exporta- gés dans Léningrad. Ensuite, dans le UNE ÉROSION
tion. Entre 1871 et 1901, les exportations contexte de la guerre froide, ce pouvoir DU POUVOIR VERT
américaines de céréales triplèrent, pas- vert fut au cœur de la stratégie améri-
sant de 14 à 54millions de quintaux. caine d’endiguement (Containment) Cet instrument a perdu de son ecaci-
Cet essor de l’agriculture permit aux de l’URSS et de ses relais. Initiée en té, parce qu’il fonctionne surtout en si-
États-Unis de se lancer sur les marchés 1954 sous la présidence de Dwight tuation de monopole. Or les succès de la
mondiaux, profitant en particulier de Eisenhower, la Public Law480 (PL480 politique agricole commune (PAC) ont
la Grande Guerre pour exporter des ou Agricultural Trade Development fait de l’Europe un concurrent dès les
surplus de production vers l’Europe. and Assistance Act) fit de l’alimenta- années 1980. D’autre pays sont arrivés
Épisode peu connu, dès 1921, les États- tion une arme. « Food is a weapon » ensuite sur les marchés mondiaux et,
Unis fournirent même une aide alimen- déclara ainsi Earl Butz, ministre de aujourd’hui, c’est la Russie qui domine
taire aux bolchéviks. Pour autant, cette l’Agriculture de Nixon. De fait, la carto- le marché du blé. Ajoutons que, dans
extraversion agricole fut aussi à la graphie de l’aide alimentaire a montré le cadre de l’Organisation mondiale du
source de la grande crise de 1929, l’agri- combien celle-ci a été longtemps dis- commerce (OMC) qui inclut désormais
culture américaine ayant subi le renou- tribuée selon des critères stratégiques. l’agriculture, les aides alimentaires ont
veau de celle du Vieux Continent. On L’endiguement fut clairement la prio- été encadrées. Il n’empêche que le Food
l’oublie trop : le krach boursier d’oc- rité (citons le Sud Vietnam comme for Peace Act (2008) procure encore
tobre 1929 trouve son origine dans exemple), de même que les verrous aux États-Unis une présence « média-
l’eondrement industriel, lui-même lié stratégiques comme l’Égypte. Dans le tique » dans les zones instables. Mais
à celui des farmers américains. Mais cadre de la PL 480 (encore nommée cela n’a rien à voir avec le food power
grâce à l’avènement d’une politique Food for Peace) qui combinait aide de la guerre froide. De même, les autres
agricole en 1933 alliant incitation et alimentaire et facilités de crédits pour versants du biopouvoir américain sont
contrôle de l’ore, les États-Unis purent les ventes commerciales, les États-Unis soumis à forte contestation et recompo-
refaire de l’agriculture un outil de leur en firent un destinataire important, sition: aussi bien dans le transport du
puissance. Pendant la Seconde Guerre le canal de Suez étant crucial pour la grain que dans la production semen-
mondiale, ils pallièrent la destruction maîtrise de l’approvisionnement éner- cière et phytosanitaire.
des grandes régions agricoles russes gétique des forces de l’Organisation du
PARTIE 3 | PUISSANCES ET STRATÉGIES . 99

Les États-Unis ont donc été détrônés par la Russie en Après avoir massacré la plupart des Amérindiens, les
termes de présence céréalière sur les marchés mon- WASP (White Anglo-Saxons Protestants) ont construit
diaux. Néanmoins, ils occupent encore le premier les États-Unis d’Amérique en se répartissant la terre
rang mondial pour les exportations de maïs, de co- de façon égalitaire. Ce faisant, ils ont fait émerger
ton et de viande de porc. Ils sont aussi les deuxièmes une agriculture familiale très productive. Consacrée
surtout après la Seconde Guerre mondiale, la puis-
pour le soja. Ces performances à l’exportation aux-
sance américaine a fortement compté sur l’agricul-
quelles s’ajoutent d’autres productions, certes moins
ture pour rayonner. Mais avec les basculements éco-
bien classées, sont sous la menace de la relation nomiques et géopolitiques de la fin du siècle, cette
conflictuelle avec la Chine. Cherchant à rééquili- puissance s’avère moins basée sur son agriculture.
brer les relations commerciales, notamment avec la
Chine, par l’application de droits de douane, Donald
Trump expose ses farmers à un risque d’affaisse-
ment conséquent de leurs exportations, en particulier
pour le soja et le porc. Il a certes compensé les effets
de cette mesure en 2018 en injectant 12 MUSD mais,
avec l’accélération de cette guerre commerciale en
mai 2019, Donald Trump, semblant conscient d’hy-
pothéquer son aura auprès d’un électorat important
pour lui, a annoncé le versement d’une nouvelle aide
de 16 MUSD.

ÉTATSUNIS :
UN ESPACE AGRICOLE VASTE ET SPÉCIALISÉ
C
San Francisco
Chicago
Chic
Chicago
Chicago
Chicago
ÉAN
OC E
IQ U
C IF
PA
O
TL
C
Agriculture périurbaine
ÉA
A
NT
Grande céréaliculture
N
Nouvelle-Orléans
IQ
Coton et maïs irrigués
UE
Polyculture et élevage associé
M
Cultures subtropicales Miami
Agriculture et élevages extensifs
Alaska
Zones forestières ou montagneuses Hawaï
C
Périmètres irrigués
Feedlots Exportations
     
Bourse agricole de Chicago
FCHE 23
EUROPE: LA CONQUÊTE DE LA PAIX

L’agriculture, plus que le charbon ou
l’acier, a joué un rôle décisif dans la agriculteurs. Les résultats sont probants
construction puis le développement de dès la décennie 1970. La CEE concur- production et qu’elle s’engage davan-
l’intégration politique et économique rence les États-Unis sur les marchés tage pour la durabilité des ressources et
européenne. internationaux qui vont lui mener une des écosystèmes. Les enjeux de qualité,
guerre commerciale sans merci. Avec de sûreté et d’identité géographique des
LA PAC POUR FAIRE LA PAIX l’accumulation d’excédents à exporter aliments sont de plus en plus scrutés
ET GARANTIR LA SÉCURITÉ dans des conditions conflictuelles, le par les consommateurs européens.
modèle agricole de l’Europe est victime À côté du premier pilier productif de la
Conformément au traité de Rome de de ses succès, ce qui la conduit à lan- PAC, un second pilier est établi en 1999
1957, la PAC devient opérationnelle en cer à la fin du esiècle de profondes qui prend en charge le développement
1962 et mobilise alors l’essentiel du bud- réformes qui doivent lui permettre de rural. Les attentes autour de la PAC se
get de la Communauté économique eu- s’adapter à de nouvelles réalités straté- transforment, tandis que les rapports
ropéenne (CEE). Ces financements sont giques internationales mais aussi aux s’amenuisent entre urbains et agricul-
destinés à accroître la production pour demandes internes. Beaucoup plaident teurs. Ces derniers ont le sentiment d’être
faire sortir le Vieux Continent du risque en eet pour qu’elle ne soit plus cen- moins soutenus et plus soumis aux com-
d’insécurité alimentaire et d’instabilité, trée sur les seuls objectifs initiaux, plexités technocratiques bruxelloises. Le
tout en rehaussant le niveau de vie des que les aides soient découplées de la montant aecté à la PAC diminue, bien

qu’il demeure le premier poste de dé- valeur de ses productions, réalisées par potentiellement disruptif pour la produc-
penses communautaires (37% du budget environ 10 millions d’exploitations, dé- tion agricole. Alors que les défis s’avèrent
de l’UE). Or son coût reste faible: à peine passe 400milliards d’euros. Ses exploi- immenses en Méditerranée, au Moyen-
0,3% du PIB total de l’UE! Elle est surtout tations agricoles et ses industries agroa- Orient ou en Afrique, l’UE ne conjugue
une politique publique alimentaire pour limentaires innovent sans cesse et sont pas la PAC avec son action extérieure de
un demi-milliard de citoyens avant d’être pour la plupart engagées dans des dé- voisinage ou sa diplomatie économique.
une politique agricole commune pour marches de transition socio-économique Ces tendances vident le sens géopoli-
quelques millions d’agriculteurs. et écologique. Par le tique de l’agricultu-
Dans les années1990 puis 2000, l’élargis- volume régulier de Le budget annuel re, ciment de l’uni-
sement au nord-est du continent ore un ses récoltes, par la té européenne et
potentiel agricole supérieur à l’UE alors garantie sanitaire
de la PAC est de vecteur d’influence
que les dynamiques alimentaires monde ses productions 51milliards d’euros, pour l’international.
diales sont porteuses d’ambition. Mais et par la mosaïque soit 27centimes par Par-delà sa capaci-
cela ne se traduit pas par un surcroît de de ses terroirs, l’Eu- té productive, l’Eu-
puissance car ces agricultures sortent de rope se distingue
jour pour la sécurité rope dispose d’un
décennies de disqualification. En paral- dans le monde par alimentaire de chaque autre soft power, ce-
lèle, les accords de libre-échange de l’UE ce triptyque ga- consommateur lui d’être peut-être
avec le reste du monde se multiplient gnant : quantité, la référence mon-
sans toujours veiller à ce que l’agricultu- qualité et diversité.
européen. diale en matière de
re ne soit pas utilisée comme monnaie Le futur de la PAC après 2020 est aussi durabilité agricole, avec notamment des
d’échange avec les nations émergentes. flou que celui de l’UE. La panne semble cultures biologiques référentes et des
tenace, entre désintérêt, voire critique, aliments à forte typicité. En outre, deux
RELATIVISER des populations d’un côté et, de l’autre, problématiques se précisent: la crise de
L’IMPUISSANCE EUROPÉENNE frilosité voire désunion, entre décideurs renouvellement qui frappe les agricul-
du continent. La PAC s’embourbe dans teurs européens, plus vieux que jamais,
L’UE est aujourd’hui le premier exporta- des dispositions techniques et des dé- et les velléités d’acteurs étrangers, pu-
teur et le premier importateur de la pla- marches de subsidiarité, au risque d’en blics comme privés, investissant dans les
nète pour les produits agricoles et agroa- faire une politique plurielle et bien outils productifs du continent.
limentaires, avec un excédent annuel moins commune. Le Pacte vert lancé en
de 20milliards d’euros en moyenne. La 2020 est ambitieux sur le climat mais

FCS
Les Pays-Bas ont pleinement bénéficié de la PAC
pour augmenter leurs productions et devenir une
puissance agroalimentaire de premier plan. Fort
 RETENR
d’une combinaison vertueuse entre pouvoirs publics, Afin d’améliorer la sécurité alimentaire d’une Europe
entreprises privées et recherche scientifique, le sec- de l’Ouest meurtrie par la guerre, l’Europe mise sur
teur incarne à lui seul l’état d’esprit hollandais, à la l’agriculture pour faire la paix et moderniser son éco-
fois innovant, marchand et conquérant. Les Pays- nomie. En trois décennies, elle atteint l’autosuffisance
Bas, depuis la décennie 1990, occupent la place de pour la majorité des produits de base et devient ex-
second exportateur mondial. Ses ventes représentent portatrice. Bien que la puissance agricole et agroali-
en moyenne 100 MUSD par an ces dernières années. mentaire de l’Europe soit réelle, des défis inédits se
posent depuis le début du xxie siècle entre nouvelles
Grâce à ses installations logistiques, à commencer
préoccupations sociétales et recomposition des rap-
par le port de Rotterdam, le pays constitue une place
ports de force internationaux.
forte du commerce agroalimentaire européen et in-
ternational. Outre le lait et les produits laitiers, le pays
s’appuie sur un secteur horticole dynamique, qui pro-
duit et surtout transforme (Amsterdam capte deux
tiers des fleurs échangées sur la planète). Continuer
à produire sur de faibles surfaces, en ménageant
les ressources et avec moins d’intrants, voilà le cap
stratégique fixé par les Pays-Bas, où technologie et
durabilité cherchent leur complémentarité.

L’UE PARMI LES GRANDS EXPORTATEURS ET
IMPORTATEURS MONDIAUX
Principaux exportateurs mondiaux Principaux importateurs mondiaux

de produits agroalimentaires de produits agroalimentaires
(milliards d'euros) (milliards d'euros)
150
140
130
120
110
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
20 7
20 7
20 7
17
20 7
20 7
20 7
20 7
17
17
16
16
16
20 6
16
16
16
16
16
20 6
18
18
18
18
18
18
18
18
18
18
1
1
1
1
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
UE28 États-Unis Brésil Chine Canada États-Unis UE28 Chine Japon Canada
FCHE 24
BRÉSIL:
LE CHAMP DE CONTROVERSES
Avec plus de 8millions de km2 , le Brésil
a mis l’agriculture au cœur de sa vo-
lonté de puissance malgré une fragilité la partie la plus proche des côtes, lar-
agro-environnementale et agropoli- gement dévolue aux cultures, la partie Cette reconfiguration territoriale traduit
tique, que l’arrivée au pouvoir de Jair centrale (le Cerrado), essentiellement la priorité donnée aux exportations agro-
Bolsonaro ne fait que conforter. destinée à l’élevage et la partie occiden- pastorales par les autorités du pays, ai-
tale, couverte par la forêt amazonienne. guillonnées par de grands propriétaires
DES ATTRIBUTS Cette répartition a de fait évolué sous la et des entreprises agroalimentaires. Ce
DE PUISSANCE pression des investissements agricoles. choix politique a été surtout armé
D’une part, les terres du Cerrado ont été avec l’avènement de la dictature en 1964.
Favorisé par sa géographie, le Brésil en partie grignotées par un front pion- Rêvant de puissance, le pouvoir militaire,
possède un éventail de zones agrocli- nier qui a fait passer des grandes pro- très lié à l’oligarchie foncière, a facilité
matiques qui lui permettent de produire priétés d’élevage en terres de cultures l’avancée de ces fronts pionniers afin de
une large gamme de produits agricoles, (notamment le soja). D’autre part, on as- projeter le pays à l’international au tra-
depuis les plantes tropicales aux cultures siste à une conquête de l’Amazonie pour vers de ses exportations.
des aires tempérées. Ce pays se divisait y mettre en culture certains espaces ou y Le retour de la démocratie en 1985 puis
en trois grandes régions très distinctes: développer l’élevage. l’arrivée de la gauche en 2003 n’a pas

vraiment changé ce credo agro-exporta- acampamentos sont ensuite cultivés
teur. Depuis le début du millénaire, les L’ENVERS DU DÉCOR dans l’espoir d’être reconnus comme des
positions agricoles du Brésil n’ont d’ail- assentamentos. Mais le combat est long
leurs cessé de s’améliorer. Ainsi, depuis Le Brésil est donc devenu un colosse et improbable, surtout depuis l’arrivée à
2005, le Brésil est le premier exportateur agricole mais ses pieds sont restés d’ar- la présidence de Michel Témer en 2016,
mondial de viande bovine. De même, gile. Certes, la faim a reculé, surtout du et plus encore de Jair Bolsonaro en 2019.
alors que le soja y était absent avant 1973, fait du programme de bolsa familia vou- Outre les inégalités sociales et écono-
il est devenu le deuxième exportateur lu par le président Lula. Mais d’autres miques du modèle agricole brésilien, il
mondial, profitant aujourd’hui de la dis- hypothèques demeurent, notamment faut noter ses incidences environnemen-
pute commerciale entre la Chine et les le fait que la terre y est excessivement tales. Du fait de l’intensification poussée,
États-Unis, respec- mal répartie (voir de nombreuses régions productrices
tivement premiers «Si aucun des ministres fiche 17). Le sort voient leurs terres perdre en fertilité et
importateur et ex- des travailleurs des leurs eaux se polluer. Quant au recul
portateur. Bien que
ne parle la même langue grandes exploita- de la forêt amazonienne sous l’eet de
surtout dévolus au que le front rural, le tions est souvent l’avancée du front pionnier agropastoral,
marché intérieur, président ne reste pas très précaire et le il ne cesse d’inquiéter la communauté
les biocarburants, pays compte une internationale eu égard à ses incidences
en croissance, il-
très longtemps.» multitude de pay- sur l’accélération des changements cli-
lustrent aussi la Nelson Marquezelli sans sans terre. La matiques. Il pèse aussi sur le devenir
des communautés autochtones que les
profonde reconfi- distribution limi-
guration agricole du pays. tée de zones agricoles (assentamentos) résolutions onusiennes ont bien été en
Le Brésil a fait de cette capacité exporta- à ces paysans sans terre ne sut pas à peine de protéger lors de la présidence
trice un vecteur diplomatique, à moins contenir leur appétit foncier, d’autant du brutal Bolsonaro. Les gigantesques
que ce ne soit le contraire. Tel a été par plus que ces zones sont situées le plus incendies de l’été 2019, sans doute d’ori-
exemple le cas des pays arabes vers les- souvent dans des régions mal desservies gine criminelle et dans un contexte
quels les exportations de viande ont ex- d’Amazonie. Aussi se lancent-ils dans d’encouragement à la déforestation par
plosé sous le mandat de Lula (2003-2011), des occupations de vastes domaines sur les autorités, ajoutent à cette grande
contribuant à l’essor de relations agro- des vieilles terres agricoles plus amènes précarité. Durant son mandat, le recul
commerciales Sud-Sud dont le Brésil car proches des côtes. Initiés souvent de la forêt amazonienne s’est opéré à un
s’est fait le champion. par le Mouvement des sans terre, ces rythme inédit.
PARTIE 3 | PUISSANCES ET STRATÉGIES . 1 07

Les grands propriétaires et leurs alliés de l’agrobu-
Pays de grande taille, le Brésil aspire à la grandeur
siness sont extrêmement puissants à l’Assemblée na-
politique. Exprimé au début du xxe siècle, ce rêve de
tionale brésilienne, au travers du Front parlementaire
puissance s’est surtout concrétisé sous la dictature
agricole (FPA). Il a contribué à la destitution de Dilma (1964-1985), la modernisation des grandes propriétés
Roussef en 2016 et permis par deux fois le maintien facilitant les cultures d’exportation. Non seulement,
de son successeur Michel Temer, lui aussi accusé de ce modèle n’est en rien responsable du recul massif
corruption. Représentant alors 235 députés sur 513 de la faim, lié surtout au programme Bolsa familia
et 27 sénateurs sur 81, le FPA a porté la réduction du président Lula, mais il va à rebours des intérêts
du budget de l’Institut de la réforme agraire et de la des paysans sans terre et des autochtones, tandis
Fondation nationale des Indiens (Funai) qui défend qu’il sacrifie l’environnement.
le droit des populations des terres amazoniennes,
que les agro-investisseurs souhaitent s’accaparer.
Durant l’élection présidentielle, le FPA a été éga-
lement très actif en s’assurant, en échange de son
soutien à Jair Bolsonaro, l’interdiction du Mouvement
des sans terre et la poursuite de la dévolution des
terres amazoniennes à l’élevage de bovins. En guise
de première récompense évidente, sa présidente
Tereza Cristina Da Costa a été nommée ministre de
l’Agriculture.

G
V
S L’ESPACE AGRICOLE BRÉSILIEN
Agriculture moderne C
intensive
Grands domaines
d’élevage extensif
Petites exploitations AMAZONIE

vivrières
Recife
NORDESTE
Plantations
traditionnelles
P Salva
Salvad
Salva
Salvador
Salvad
Salvado
Exportation vers
les États-Unis et
l’Europe
B
Front pionnier Belo Horizonte

onte
Expansion de Rio
Rio de
de Jan
JJaneiro
Jan
J
P São Paulo
l’agriculture moderne
Migrations vers
les fronts pionniers OCÉAN ATLANTIQUE
A Porto
Porto
Porto
orto
orto Alegre
Alegre
Alegr
Alegre
Alegr
Exode vers les villes
du Sud
U
 
FCHE 25
RUSSIE: L’AUTRE RÉARMEMENT

Disposant de ressources essentielles à
l’activité agricole et investissant conti- marges de la Russie ont laissé une forte
nuellement dans le secteur, la Russie af- empreinte dans le pays. L’arrivée de une géographie à nulle autre pareille. La
fiche sa volonté depuis vingt ans d’être Poutine à la présidence en 2000 a ain- Russie dispose de terres noires (tcherno-
l’une des premières puissances alimen- si sonné l’heure de la restauration de la zioms) propices aux grandes cultures.
taires de la planète. Après la longue pa- puissance. Les matières premières sont Localisées sur les rivages de la mer Noire
renthèse de l’URSS dont la puissance a appelées à redresser le pouvoir de la et en Sibérie occidentale, ces terres
été largement entravée par son eon- Russie. Au même titre que les hydrocar- s’étendent sur 33 millions d’hectares,
drement agricole, ce retour se traduit bures, l’agriculture est au cœur de cette soit près de 15% de la superficie agricole.
par l’accroissement des productions et reconquête. Considérées comme straté- En dépit d’un climat défavorable et d’un
des exportations. giques, les productions alimentaires vont manque d’eau réel, la Russie peut donc
ainsi jouer un rôle déterminant, d’autant compter sur ses sols remarquablement
SAUVEGARDE plus que la décennie 2000 se caractérise fertiles pour sa production céréalière.
DE LA PUISSANCE ET par une envolée des cours agricoles. Le L’État mise sur ces territoires et facilite
RÉARMEMENT AGRICOLE potentiel naturel du pays et l’augmenta- les investissements étrangers visant à
tion de la demande mondiale renforcent valoriser ce potentiel, afin notamment
L’eondrement de l’URSS puis la pro- cet intérêt agrostratégique pour Moscou. de développer les infrastructures (routes,
gression de l’OTAN et de l’UE sur les Ces capacités productives reposent sur rail, ports, silos de stockage).

Plus largement, Moscou soutient son 2000. Le pays est par ailleurs frappé plus qu’elle a simultanément revigoré
agriculture et favorise l’utilisation du par des sécheresses sévères. Les ré- certaines filières domestiques, notam-
progrès technique, de la génétique aux coltes s’eondrent et Moscou décrète ment l’élevage.
agroéquipements en passant par les un embargo à l’été Cela permet à la
outils numériques. La compétitivité pro- 2010 sur ses ex- De 2000 à 2019, la Russie de dispo-
vient aussi de ses coûts de production portations de blé. ser de volumes
relativement bas par rapport à d’autres Cette décision im-
Russie a produit accrus en lait et
puissances. Cette orientation fut cen- pacte l’Égypte, son 1,1milliard de tonnes en viandes. À la
trale dans le plan pour l’agriculture premier acheteur, de blé, autant que les veille de la guerre
2013-2020. Le poids du secteur dans où le prix du pain en Ukraine, le
l’économie a augmenté d’un tiers pour flambe autant que
États-Unis. Depuis pays avait réduit
atteindre 4% du PIB et l’objectif est de la contestation so- 2016, Moscou en est le ses importations.
doubler cette part au cours de la pro- ciale. En 2012, la 1 exportateur mondial.
er Elles oscillaient
chaine décennie. Le Kremlin sait que les Russie adhère à alors autour de 15
performances peuvent s’amplifier avec l’OMC et sa politique agricole s’adapte. à 20MUSD, contre une moyenne de 30
l’innovation, la hausse des rendements Quand Moscou intervient en 2014 en à 35 avant l’embargo instauré en 2014.
et les promesses de nouvelles mises en Ukraine et que son armée met la main Moscou assumait donc son statut de
culture sur des espaces concernés par le sur la Crimée, une zone très produc- grande puissance agricole et le faisait
réchauement climatique. Le président tive, les Européens et les Américains savoir. Après le pétrole et le gaz, ses pro-
Poutine s’attelle donc à construire une lui imposent de lourdes sanctions éco- duits agricoles occupent le deuxième
plus grande sécurité alimentaire natio- nomiques. La Russie riposte par un poste à l’export dans le commerce
nale et à utiliser ce pouvoir agricole en embargo de leurs produits agricoles du pays, devant l’armement. Il reste à
direction de la planète. et alimentaires. Ce dispositif, toujours connaître les eets à court terme de la
en vigueur, a non seulement fermé le guerre en cours. À long terme, l’agricul-
MESURES GÉOÉCONOMIQUES marché russe aux agricultures occi- ture sera un atout de puissance.
ET QUÊTE D’INDÉPENDANCE dentales mais également renforcé la
pénétration de productions venant de
La crise financière internationale et la Turquie, du Maroc, du Brésil ou encore
baisse du prix des matières premières d’Argentine. Moscou n’a pas eu de dif-
fragilisent la Russie à la fin des années ficultés à pallier ses besoins, d’autant

FOCUS À RETENIR
Depuis 2000, la Russie a produit 1 700 Mt de cé- L’agriculture, au même titre que l’énergie ou l’indus-
réales. Ses exportations de blé ont triplé, 20 % du blé trie militaire, participe à la sécurité nationale et à l’in-
commercé dans le monde est désormais d’origine fluence internationale de la Russie. Soucieuse de res-
russe. Cette céréale prend la route du Moyen-Orient, taurer sa puissance, Moscou mise sur ce secteur et
du Maghreb et de l’Afrique. Ces destinations ne sont ses céréales pour peser dans le commerce agricole
mondial et les affaires stratégiques au Moyen-Orient.
pas anodines géopolitiquement. Elles correspondent
Si la Sibérie offre demain un champ de possibles ac-
à des zones hyperdépendantes des marchés interna-
cru, l’agriculture russe reste cependant vulnérable
tionaux pour leur consommation de céréales. Ce sont aux chocs climatiques. Elle peut aussi à l’avenir évo-
aussi des régions où Moscou veut peser sur les af- luer en fonction des visions politiques du Kremlin.
faires stratégiques et accroître son influence. Le cas
de la Syrie est exemplaire, puisque le pouvoir russe
a soutenu le régime d’El-Assad, y compris en lui ga-
rantissant sa sécurité alimentaire. L’Égypte, premier
importateur mondial de blé, s’approvisionne majori-
tairement en Russie et chaque rencontre bilatérale
place les céréales au cœur des discussions straté-
giques. Outre ces volumes en hausse et cette diplo-
matie céréalière bien orchestrée, la poussée russe
repose sur des qualités améliorées qui cherchent à
s’adapter aux besoins des clients internationaux.

LA RUSSIE, PREMIER PRODUCTEUR DE BLÉ AU MONDE
Production et exportation de blé Ratio export/production

(en millions de tonnes)
90 60 %
80
50 %
70
60 40 %
50
30 %
40
30 20 %
20
10 %
10
0 0%
00
02
19
03
14
17
18
05
12
13
06
09
04
01
10
15
07
08
16
11
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
Production totale : 478 995 Production totale : 614 064

Exportation totale : 99 377 Production Exportation totale : 246 098
Exportation
FCHE 26
CHINE:
DOMINATION ET DÉPENDANCE
La Chine doit satisfaire les appétits de
20% de la population mondiale. À cette abondantes et il faut aussi relier la poli-
exigence quantitative s’ajoute une de- tique nationale à l’égard du Tibet avec la
mande qualitative. Les Chinois veulent quête d’une sécurité hydrique grâce aux comme le traumatisme du Grand Bond
manger davantage, mieux et vivre plus dotations de l’Himalaya. en avant de Mao. Cette politique de col-
longtemps (500millions d’entre eux ont La Chine reste néanmoins l’un des lectivisation forcée s’est soldée par des
déjà plus de 60ans). principaux producteurs mondiaux de la famines ayant causé entre 1958 et 1961
plupart des denrées agricoles (riz, blé, le décès de 15 à 36millions d’individus.
SE NOURRIR SOI-MÊME maïs, pommes de terre, tomates, lait Depuis les réformes introduites par
de chèvre, œufs, viandes de porc et de Deng Xiaoping à la fin des années1970,
L’agriculture chinoise demeure mouton, poires, pêches, pommes, rai- qui en avait fait le premier maillon de sa
contrainte par une géographie dicile sins de table, etc.). Le secteur représente relance économique, l’agriculture s’af-
et parfois hostile. Les terres arables se encore 10% du PIB et le pouvoir central fiche toujours comme priorité du déve-
raréfient à mesure que l’urbanisation le considère comme stratégique à la sé- loppement. Les progrès scientifiques et
progresse et que les sols se dégradent. curité nationale. Cette obsession a des techniques améliorent les rendements
Les ressources en eau ne sont pas plus racines millénaires, mais aussi récentes, agricoles tandis que l’évolution des

revenus sort des millions de paysans de massivement de la protéine. Le soja importations passe par l’organisation
la pauvreté. En mobilisant ses propres compte pour un tiers des approvision- d’un vaste maillage logistique et por-
forces, le pays a repoussé le spectre de nements agricoles du pays, avec 100Mt tuaire, par la prise de contrôle de so-
l’insécurité alimentaire quantitative à la par an, soit dix fois ciétés étrangères
fin du e siècle. le volume du dé- Pour sa sécurité de l’amont agricole
but du siècle. En ou encore par la lo-
SINO-MONDIALISATION polarisant 70% des
alimentaire, la cation et l’achat de
AGRICOLE échanges mon- dépendance de la terres à travers la
diaux de soja, la Chine envers les planète. Dans cette
La seule réponse productive nationale Chine nourrit le visée géopolitique,
ne sut plus. Les importations com- bétail et ses cen-
approvisionnements la Chine soutient
plètent des récoltes nationales abon- taines de millions extérieurs s’amplifie. ses entreprises
dantes. La balance agrocommerciale est de cochons. Une limite à sa du e-commerce
devenue structurellement déficitaire au Pour de nombreux érige ses propres
milieu de la décennie 2000, plongeant à pays et entreprises
puissance? normes, convoite
des niveaux négatifs de 40 à 50MUSD dans le monde, la taille du marché des ressources en Afrique, mise sur le
en moyenne annuelle depuis 2010. En chinois étant considérable, les flux à foncier de l’Australie, développe des
2018, les approvisionnements agricoles l’export s’orientent donc majoritaire- corridors routiers interocéaniques en
se sont élevés à 135MUSD, soit un vo- ment vers celui-ci. Cela crée une double Amérique du Sud pour désenclaver
lume de 185Mt. Brésil et États-Unis as- dépendance: la Chine a besoin d’appro- l’Amazonie et n’oublie pas l’Europe,
surent chacun 20% de ces importations. visionnement tandis que les exporta- continent agricole à fort potentiel.
L’Australie, le Canada, la Nouvelle- teurs sont de plus en plus liés aux évo- L’inclusion de l’ouest rural de la Chine,
Zélande et l’Ukraine s’achent aussi lutions de la demande chinoise. Quand notamment le Xinjiang irrédentiste et
comme des fournisseurs clefs de la celle-ci se transforme, les volumes, la très surveillé, demeure toutefois le pre-
Chine, sans oublier l’UE qui compte géographie des flux et la formation des mier pilier de cette stratégie: les routes
pour 7 à 9 % en moyenne. L’Afrique prix internationaux se redessinent. de la soie doivent favoriser la croissance
pourrait jouer un rôle plus significatif à La Chine multiplie aussi les investis- dans ces territoires qui ne bénéficient
l’avenir. sements à l’international, notamment pas encore pleinement du supposé rêve
La Chine, encore à l’équilibre sur des à travers l’initiative des routes de la chinois. Un demi-milliard de personnes
denrées de base (blé, maïs, riz), importe soie (BRI). Sécuriser et diversifier ses sont ici concernées.

FOCUS À RETENIR
La Chine est le premier producteur mondial de riz Penser le temps long pour agir est une obsession de
et de blé, avec respectivement 145 et 130 Mt en la Chine. Sa sécurité alimentaire, pilier de la stabilité
moyenne annuelle actuellement, ce qui représente sociopolitique du pays, passe par une internationali-
environ 30 et 20 % des récoltes mondiales. En ce qui sation croissante des approvisionnements. L’agricul-
concerne le maïs, la Chine se classe deuxième après ture est centrale dans l’initiative des routes de la soie.
Pour asseoir sa puissance, la Chine doit développer
les États-Unis, avec le quart de la production de la
son espace intérieur rural, apporter de la nourriture
planète. Les céréales constituent des cultures phares
en quantité pour tous et assurer la qualité sanitaire
de l’économie agricole du pays. Ce sont aussi des des produits mis sur le marché. Tous les acteurs agri-
marqueurs politiques tant le contrôle des récoltes est coles de la planète – États comme firmes privées –
scrupuleux. En Chine, le concept de sécurité alimen- ont donc les yeux tournés vers l’Empire du milieu,
taire signifie avant tout production et disponibilité tant c’est lui qui polarise les intérêts.
des grains. L’objectif est d’atteindre au maximum
l’autosuffisance céréalière, tout en pratiquant parfois
la désinformation. Non sans intérêt, Pékin dissimule
volontiers les chiffres de son agriculture et de ses
stocks de céréales. À l’automne 2018, en annonçant
la « découverte » de 150 Mt de maïs en plus dans le
pays, la Chine a tout simplement doublé le volume
des réserves mondiales pour ce produit.

Voie septentrionale Zone centrale de la ceinture
économique de la route
Voie centrale
de la soie terrestre
Voie méridionale Zone centrale de la route
Voie maritime Rotterdam Hambourg de la soie maritime
Londres Helsinki
Tallinn St-Pétersbourg
Paris
Moscou Khaba
Khabarovsk
Khaba
Khabarovsk
habarovsk
habarovsk
Lisbonne
Budapest
Rabat Astana Irkoutsk Harbin
Harbin Vladivostok
Algers
Alger
Istanbul Urumqi
Ankara Aktau Almaty
Séoul
Bakou Tachkent
Alexandrie Téhéran Xi’an O
PA CÉ
C CI A
FI N
New Delhi Q
Guangzhou U
E
Dubaï Kunming
Gwadar Hong Kong
Port-Soudan Djeddah Chittagong
Chittagong
Calcutta
Mumbai Yangon
Djibouti Bangkok
Colombo
Singapour
Darwin
OC
Jakarta
ÉA Régions
IN N de conflits
DI
EN
Pays engagés
dans le projet
LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE
des nouvelles
routes de la soie
FCHE 27
SOUDAN: L’ÉTERNELLE PROMESSE

Avec près de 2,5 millions de km 2 ,
le Soudan a été le plus grand pays son potentiel agricole. Pour des diri-
d’Afrique jusqu’à l’indépendance du geants désireux d’en finir avec toute dans une résistance depuis 1955, ou-
Sud en 2011. Riche de son sous-sol pé- forme de dépendance, il s’agissait d’en vrait une fenêtre de stabilité pour le
trolifère, il ne l’est pas moins en termes faire un atout de puissance. Dans les pays. Le pouvoir lança ainsi une poli-
de sols cultivables. Qui plus est, son régions centrales autour de Khartoum, tique d’investissements supposée faire
riche réseau hydrographique lui permet de grands projets hydrauliques, notam- décoller le pays. Elle était d’autant plus
d’avoir un réel potentiel, par-delà ses ment le barrage de Roseires sur le Nil facilitée que le développement agricole
zones méridionales arrosées : le Bahr Bleu, furent d’emblée conduits en vue du Soudan intéressait les pays arabes,
el Ghazal et l’Atbara créent le Nil Blanc d’étendre la surface irriguée. Avec l’ar- notamment ceux du Golfe cherchant
qui rejoint le Nil Bleu, avant de recevoir rivée au pouvoir de Jaafar Nimeiri en à s’approvisionner à l’étranger grâce à
les eaux du Sobat pour former le Nil. 1969, ce « développementalisme » ga- leurs pétrodollars.
gna en intensité. Pétri de nationalisme Nimeiri compléta alors le périmètre
DES PROMESSES arabe à la mode nassérienne, Nimeiri irrigué de la Gezira initié du temps de
RÉCURRENTES caressait un appétit de puissance qui la présence anglaise, et il stimula le
passait par une certaine souveraineté secteur de l’agriculture mécanisée en
Quand le pays parvint à l’indépendance économique. L’accord qu’il obtint en région pluviale. Le Sud notamment of-
en 1956, il fonda de grands espoirs sur 1972 avec les rebelles du Sud, engagés frait des atouts considérables. Un plan

de canalisation y fut lancé afin d’assai- hydro-agricole. Il compte sur le renfor- nouveaux investissements s’opèrent
nir les marécages formés par les deux cement de la valeur de la terre dans un donc surtout dans des régions consi-
auents du Bahr el Ghazal (le Barh el monde qui, depuis la crise des matières dérées comme beaucoup plus inoccu-
Jabal et le Bahr el Zaraf). La construc- premières de 2007/2008, a mesuré com- pées, et donc avec d’autant moins de
tion du canal de Jongleï fut ainsi enta- bien la question de risques de conflits.
mée avec le ferme espoir de transfor- l’approvisionne- Lors de la révolte de C’est ainsi le cas de
l’État du Nord où
mer la région en zone agricole, à grand
renfort de capitaux, notamment ceux
ment alimentaire
pouvait se reposer
2019, le journaliste la mise en eau du
du Golfe. Mais le creusement de ce ca- avec acuité. En fon- Mohamed Kawas a barrage de Mérowé
nal fut finalement arrêté par la reprise dant l’Agribusiness écrit: «On ne parle ore des possibili-
tés d’irrigation en
du conflit avec les sudistes en 1983. Au
terme d’un conflit qui dura vingt ans,
Investment Center
en 2007, le Soudan
plus du grenier à pain zones désertiques.
un accord de paix fut signé en 2005 par manifesta ainsi sa arabe. […] Les gens Après bien des
John Garang, chef de la SPLA (l’Armée volonté d’orir ses veulent juste du pain.» guerres et des dé-
populaire de libération du Sud) et nou- terres à qui vou- rives idéologiques
vel homme fort du Soudan depuis 1989. lait investir. Cette réarmation d’un vers l’islamisme d’État, le Soudan pour-
Cet accord permit au Sud d’être recon- Soudan nourricier fut d’ailleurs soute- ra-t-il devenir cet eldorado foncier tant
nu comme État indépendant en 2011, le nue lors du sommet de la Ligue arabe annoncé alors qu’il est amputé d’une
Soudan perdant ainsi toute une partie en janvier2009 au Koweït. C’était certes partie de son territoire? Environ 56mil-
de son grenier. avant la sécession du Sud où des inves- lions d’hectares restent cultivables, ce
tisseurs arabes étaient déjà en train de qui représente un potentiel considé-
L’HEURE DU GRENIER se rendre. Mais le Nord les attirait aussi. rable à l’échelle du monde, qui ne man-
EST-ELLE ARRIVÉE? Ces investissements, notamment saou- quera sans doute pas de le convoiter.
diens et émiratis, ne se situent pas Mais on sait que la réussite agricole d’un
Sorti de deux conflits très violents avec dans les anciens périmètres irrigués. pays dépend moins de ses dotations en
la perte du Soudan du Sud à fort po- Dans ces espaces, les sols n’y ont pas terres et en eau que de ses dirigeants et
tentiel agricole, Khartoum a donc dû été ménagés avec la culture du coton du système politique qu’ils mettent en
déchanter sur ses rêves de grenier du qui, de toute façon, n’intéresse pas les place. Les soulèvements depuis 2019,
monde arabe. Malgré tout, le pays n’a investisseurs du Golfe, avant tout en re- initiés par la cherté du pain, auront-ils
pas abandonné son projet de puissance cherche de ressources alimentaires. Les une incidence sur ce plan-là?

FOCUS À RETENIR
Pour le Soudan du Sud, reconnu par la communau- Pour le physiocrate François Quesnay, « il n’est de
té internationale mais sans réelles infrastructures richesse que d’hommes ». Il aurait pu plutôt écrire :
étatiques, le fort potentiel en ressources du sol et il n’est de richesses que d’institutions vertueuses.
du sous-sol constituait une opportunité de dévelop- C’est bien ce qui a manqué au Soudan, vaste pays
pement. En particulier, ses richesses en terres et en africain, jamais à la hauteur de ses promesses agri-
coles. Doté de terres arables en nombre et d’un bas-
eau avaient déjà commencé, avant sa récente indé-
sin hydrographique abondant, il n’a pourtant jamais
pendance, à attirer les investissements de pays en
réussi à devenir le grenier du monde arabe imaginé
quête de sécurisation des approvisionnements ali- dès les années 1970. Seul un changement politique
mentaires comme la Chine et les pays du Golfe. Avec peut le faire advenir.
la bénédiction des « barons du régime », ces inves-
tisseurs purent faire leur marché sans considération
pour les agropasteurs des zones concernées. Dans
le nouveau climat d’insécurité qui frappe le territoire
depuis le début de la nouvelle guerre civile en 2013
entre les partisans du président Salva Kiir et ceux
du vice-président Riek Machar, respectivement issus
des ethnies Dinka et Nuer, il est difficile de savoir où
en sont aujourd’hui ces investissements. Pire, c’est la
faim qui prévaut. Pays riche, peuple affamé : telle est
la réalité du Soudan du Sud depuis 2013.

Dal
LE SOUDAN : RÉGIMES D’AGRICULTURE
Régimes agricoles IRRIGUÉE ET MÉCANISÉE
irrigués Kajbar
Mograt
r
Me
Mérowé Dagash ge
Shereik Rou
Régimes agricoles
mécanisés
Nil Ed-Damer
Atb
ar
a
Sabaloka
Barrages existants
É
Khartoum Kas
Kassala
Kas
Kassala
Khashm El- Girba
Bardara
Jebel Aulia
Barrages en projet
Romela
Wad Medani
N il Bl
Gedaref
Gedar
Gedaref
Gedar
Gedaref
Gedaref
anc
Sinar
Singa
El-Obeid Rabak
Nil
Ble u
É
Roseires
Kadugli
 
FCHE 28
MAROC: CONTRÔLE ET DIPLOMATIE

Après l’indépendance en 1956, l’aug-
mentation de la population tire à la au grain : les ménages consacrent
hausse la demande alimentaire tandis encore en moyenne la moitié de leur petite agriculture et les communautés
que la rareté de l’eau et les aléas du budget pour leur nourriture. La crise fragiles. Ce Plan repose sur un prin-
climat limitent les récoltes. Les trans- alimentaire mondiale incite les autori- cipe directeur : le pays doit produire
formations profondes du Maroc et du tés à renforcer la politique agricole sur tout ce qui lui est possible et importer
contexte international poussent à inves- le plan national et à diversifier les rela- tout ce qui est nécessaire. Le Maroc
tir davantage le secteur en ce  esiècle. tions commerciales. Simultanément, il cherche à produire plus (la population
faut contenir les visées des islamistes augmente, les opportunités à l’export
LE PLAN MAROC VERT, en direction des campagnes. aussi), à produire mieux (réduction
UN TOURNANT DÉCISIF Ces constats stratégiques se traduisent de l’empreinte environnementale des
par le lancement du Plan Maroc Vert activités agricoles et optimisation de
Au milieu de la décennie 2000, les (PMV) en 2008. Il vise à moderniser la qualité des aliments) et à produire
marchés mondiaux se tendent et les l’agriculture, à développer les zones avec stabilité (réduire l’exposition aux
prix explosent. Le coût est sévère pour rurales et à favoriser les échanges. chocs météorologiques, notamment à
le Maroc, dont la sécurité alimentaire Le PMV se décline en deux piliers : la sécheresse).
passe en partie par des approvisionne- le premier accompagne les grandes Entre 2008 et 2018, le PIB agricole du
ments internationaux. Le Palais veille exploitations ; le second soutient la pays a augmenté de 5% par an contre

3 % pour le PIB national. Environ la 123 eplace pour l’Indice de développe- La balance agrocommerciale reste
350 000 emplois directs auraient été ment humain et le pouvoir sait que le déficitaire, mais s’est réduite de 60 %
créés. Le PMV a encouragé l’agréga- progrès dans les campagnes va de pair depuis 2010 et les flux sont devenus
tion: les producteurs se sont regroupés avec leur stabilité et donc leur contrôle. multidirectionnels.
et organisés en coopératives et fédéra- L’une des tendances fortes concerne
tions professionnelles. L’une des forces NOURRIR LES RELATIONS l’Afrique. Le développement du conti-
du PMV aura été jusqu’à présent de EXTÉRIEURES ET LA nent conditionne aussi la sécurité
mobiliser l’investissement privé (6mil- DIPLOMATIE AFRICAINE du Maroc. Celui-ci déploie donc une
liards d’euros) à côté de celui du public stratégie plurielle Sud-Sud : COP22
(4milliards d’euros), davantage orienté Le PMV témoigne de la volonté du à Marrakech centrée sur le climat en
sur l’irrigation et les zones de montagne. Maroc de placer le secteur agricole au Afrique, réintégration à l’Union afri-
Tout n’est pas parfait : les grands pro- cœur de ses priorités géopolitiques. caine en 2017, participation aux opé-
priétaires ont été les principaux bénéfi- Cela vaut sur le plan interne (12 % du rations militaires au Sahel, investisse-
ciaires de ces dynamiques et la liste des budget de l’État lui sont dévolus) et ments des entreprises du Royaume à
défis structurels de- international. Le l’instar du géant des phosphates qu’est
meure longue : re- 20% du PIB, 40% Royaume se po- l’OCP… À cela s’ajoutent des accords
venus des paysans, sitionne comme agricoles de coopération technique, uni-
chaîne de valeurs
de l’emploi et 15% le 3e exportateur versitaire et scientifique avec 17 pays.
dans les filières, des exportations: agricole africain. Le PMV constitue d’ailleurs une source
tissu agro-indus- l’agriculture pèse au La valeur de ses d’inspiration de politique agricole pour
triel, optimisation ventes a doublé plusieurs d’entre eux (Gabon, Sénégal).
logistique, attrac-
Maroc et reste l’unique depuis 2008. Les Depuis 2000, les exportations agroali-
tivité du secteur source de revenus pour ressources de la mentaires marocaines en Afrique ont
agricole pour les 85% des ruraux. pêche, les fruits et progressé de 13% par an. Cet activisme
jeunes, soutenabili- légumes sont les diplomatique favorise le resserrement
té des systèmes agricoles. Sans oublier fers de lance de l’export alimentaire des liens continentaux, incarné par
l’émergence d’une classe moyenne ru- marocain, notamment vers l’Europe et Tanger-Med, devenu le plus grand port
rale dans un pays toujours traversé par la Russie. Toutefois, 10 Mt de produits africain et se présentant comme le hub
d’importantes fractures sociales et terri- (céréales, huiles, oléagineux, sucre) économique entre l’Europe, le Maroc et
toriales. Le Maroc n’occupe en eet que entrent chaque année dans le Royaume. l’Afrique subsaharienne.

FOCUS À RETENIR
Parmi les instruments les plus puissants de contes- L’agriculture et l’agroalimentaire sont essentiels dans
tation dont dispose une population figure le boy- le développement économique et social du Maroc. De-
cott. Quand celui-ci s’applique à des produits ali- puis 2008, le Plan Maroc Vert témoigne d’une am-
mentaires, qu’il se répand dans la société et qu’il bition politique visant à renforcer les investissements
perdure dans le temps, la gestion de crise devient dans le secteur. C’est aussi le sens de l’initiative Gé-
nération Green 2030 lancée en 2020 en complément
délicate pour les entreprises ciblées mais aussi pour
du PMV. Il sert aussi à préserver la stabilité en mi-
les pouvoirs publics. En 2018, le Maroc est concerné
lieu rural. Domaine clef du commerce du Royaume,
par ce phénomène, à la suite d’un simple message l’agriculture joue un rôle dans la diplomatie et la co-
posté par un consommateur sur un réseau social. En opération en Afrique. Cependant, la faiblesse des pré-
quelques jours, un boycott contre la vie chère s’or- cipitations et les changements climatiques demeurent
ganise et frappe des marques d’eau minérale et de des problématiques structurelles.
produits laitiers appartenant à de grands groupes fi-
nanciers. Leur chiffre d’affaires s’effondre pendant
plusieurs mois. Pour le Palais, ce boycott souligne
la permanence du risque de contestations socio-
économiques, qui peuvent revêtir ce type d’action
légale, mais aussi se traduire par des émeutes lo-
cales, toujours fréquentes en milieu rural et dans la
région du Rif au nord du Royaume, où les habitants
se sentent profondément délaissés.

Investissement public (milliards de dirhams marocains) Investissement privé (milliards de dirhams marocains)
60 000
50 000
40 000
30 000
20 000
10 000
0
2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Evolution des exportations agricoles Déficit de la balance commerciale agricole

(milliards de dirhams marocains) (milliards de dirhams marocains)
+117 % -59 %
33,0
8,1 -8
12,9 12,1 -19

2018
Exportations Eet volume Eet prix Exportations 2008

MAROC : INVESTISSEMENT PUBLIC/PRIVÉ
en valeur 2008 en valeur 2018
ET EXPORTATIONS AGRICOLES
FCHE 29
COMMONWEALTH:
DÉLÉGATION DE PUISSANCE?
L’Angleterre a très tôt opéré une révo-

lution politique qui a modifié son pay- L’ANGLETERRE: LA CAPACITÉ
sage institutionnel et permis son dé- DE FAIRE FAIRE Elle devenait un actif de profit et non
collage économique, tout en déléguant plus seulement de subsistance, tout en
une grande partie de son agriculture à La volonté de puissance britannique favorisant le déplacement d’une main-
d’autres territoires. Certains, parmi eux, ne s’est pas basée sur l’agriculture, d’œuvre agricole vers une industrie de
sont devenus de grandes puissances, même si, en faisant passer le terri- plus en plus puissante. Le modèle choi-
comme la Nouvelle-Zélande, l’Aus- toire de l’openfield à usage commun si visait ainsi à fournir une production
tralie et le Canada. Si l’agriculture du à la propriété privée, la révolution des agricole conséquente pour nourrir une
Royaume-Uni se retrouve maintenant enclosures consacrée par le General population ouvrière absorbée par une
devant les incertitudes liées à son choix Enclosure Act, voté en 1801 par un parle- industrie qui devait rayonner sur le
de quitter l’UE, ces derniers pays en font ment acquis aux landlords (grands pro- monde. Mais un nouveau changement
un élément de leur rayonnement. priétaires), intensifia l’usage de la terre. de doctrine se produisit au mitan du

 e siècle. Alors qu’elles avaient été eu égard à son vaste domaine de prairies
établies pour protéger les landlords LES HÉRITIERS qui représente 90% des surfaces agri-
producteurs de céréales, les corn laws DU COMMONWEALTH: coles. Établie par l’Angleterre comme
furent en eet supprimées en 1846, ré- LA CAPACITÉ DE FAIRE source de produits laitiers et de viande
vélant au passage la perte d’influence ovine, elle en a fait des fleurons écono-
des premiers au profit des industriels. Ayant bénéficié de la politique de la dé- miques, au point d’être aujourd’hui le
Parallèlement, l’Angleterre bascula légation agropastorale de l’Angleterre, premier exportateur pour les premiers.
progressivement dans une politique de certains pays du Commonwealth, créé Dotée, elle aussi, d’un vaste territoire de
cheap food consistant en l’importation en 1949 pour maintenir une certaine plus de 7,5 millions de km2, l’Australie
à bas prix des territoires de son espace unité entre les pays de l’ancien espace exporte 70% de sa valeur ajoutée agri-
impérial comme la Nouvelle-Zélande, impérial, ont excellé dans le domaine cole produite, occupant la deuxième
l’Australie, sans perdre de vue l’Amé- de l’agriculture et de l’élevage. Dans place mondiale pour les exportations
rique du Nord qui lui orait ses grains. ce vaste ensemble voulu par Londres, bovines et la cinquième pour le blé.
Cette délégation d’une partie de sa pro- comptant pas moins de 53États, l’Aus- Consciente de sa capacité exportatrice,
duction lui posa certes un problème au tralie, la Nouvelle-Zélande et le Canada elle a été le fer de lance des attaques
moment de la Seconde Guerre mon- se détachent très nettement en termes contre les États-Unis et l’UE pour leur
diale (voir fiche15) mais elle le maintint de puissance agricole. Grâce à ses pro- protectionnisme et leur dumping agri-
jusqu’à son entrée dans la CEE: le jeu vinces tempérées du Québec et de l’On- coles. Avec plusieurs pays exportateurs,
de la préférence communautaire lui im- tario, très favorables à l’élevage, et aux dont la Nouvelle-Zélande et le Canada,
posa alors de s’approvisionner en prio- grandes plaines des États du Manitoba, elle a fondé le groupe de Cairns qui vise
rité dans les pays membres. Bien sûr, le du Saskatchewan et de l’Alberta, pro- depuis l’Uruguay Round au démantè-
Royaume-Uni n’en a pas moins gardé pices à la production de grains (blé et lement de toute entrave au commerce
une agriculture. Assurant environ 60% oléagineux), le Canada, vaste et peu agricole. Ce faisant, ces pays ont exposé
de ses approvisionnements alimen- habité, s’est très tôt orienté vers l’ex- aussi à leur courroux l’Angleterre, deve-
taires et couvrant 75 % de sa surface, portation. Pour cela, il a construit une nue européenne depuis 1973. Sa sortie
cette agriculture se retrouve au cœur politique agricole ambitieuse faite de de l’UE pourrait ainsi sonner l’heure de
des ares du Brexit, dont il est dicile soutiens importants à ses producteurs. relations agricoles nouvelles entre la
pour l’heure de savoir si les agriculteurs Même si son espace est plus exigu, mais «mère Patrie» et ses «héritiers».
qui l’ont plébiscité en seront demain les pour l’essentiel tempéré, la Nouvelle-
gagnants. Zélande ore aussi de réelles capacités,

FCS
Beaucoup d’incertitudes règnent sur les échanges
agricoles en ces temps d’accord de libre-échange ou
au contraire de divorce commercial. L’Angleterre et
À RETENIR
certains pays du Commonwealth sont au cœur de
cette actualité. Le Brexit pose par exemple la question Ayant investi massivement dans l’industrie, la
thalassocratie britannique, plus grand empire de
du relais que le gouvernement britannique prendra
l’histoire, a fait des territoires conquis autant de ré-
à compter de 2022 pour pallier la suppression des
serves agropastorales bon marché. La parenthèse
aides que les agriculteurs percevaient dans le cadre européenne à partir de 1973 l’a obligée à modifier
de la PAC. De même, avec l’Accord économique et partiellement cette politique de cheap food. Tandis
commercial global (CETA) qui va lier le Canada et que certains dominions ont profité de cette ancienne
l’UE, des inquiétudes se font sentir du côté des agri- délégation pour devenir des puissances agricoles,
culteurs européens. Certes, le Canada reconnaît les l’Angleterre se trouve désormais, avec le Brexit en
appellations d’origine protégée (AOP) européennes, cours, à la croisée des chemins.
mais des filières comme le secteur bovin vont souf-
frir de l’accroissement des contingents d’importation
des viandes canadiennes. En fait, dans cet accord
global, les intérêts de l’agriculture ont semblé moins
peser que ceux des grandes entreprises européennes
du secteur de l’eau, du BTP (bâtiment et travaux pu-
blics ) et des infrastructures qui vont bénéficier de la
possibilité d’accéder aux appels d’offres publics du
Canada.

Production de...
LES PAYS MEMBRES DU COMMONWEALTH
Moutons ET PRODUCTION AGRICOLE DE DEUX D’ENTRE EUX
Bois
Porcs
ÉA N
OC UE
TIQ
Volailles L AN
AT
Bovins
Produits laitiers
OC
ÉA
Céréales IN N
DI
et oléagineux EN
 
OC
PA ÉA Pays membres
CI N
FI
QU
du Commonwealth
E
A
C
FCHE 3O
INDE: VICTOIRES ET MALAISES

L’Inde est un géant démographique. La
puissance commençant par la sécurité, l’indépendance. Cela d’autant plus que
notamment alimentaire, comment pré- la famine au Bengale en 1943, large- Au début des années 1960, l’Inde, qui
tendre rayonner quand une grande par- ment étudiée par l’économiste indien n’avait pas vraiment accru sa production
tie de sa population soure encore de la Amartya Sen, demeurait encore dans les tandis que sa population augmentait,
faim? L’Inde a ainsi consenti beaucoup mémoires. Cependant, les contraintes était la première destinataire de l’aide
d’eorts pour son agriculture. Pour au- étaient énormes. La perte du Pakistan alimentaire américaine, ce qui était vécu
tant, dans un pays encore majoritaire- avait éloigné définitivement un gre- comme une seconde humiliation après le
ment composé de paysans, les hypo- nier de céréales, et l’Inde héritait de temps colonial. Inspiré par l’expérience
thèques sociales et environnementales structures agricoles extrêmement tra- mexicaine des années 1940, le gouver-
pèsent sur ce secteur. ditionnelles et hiérarchisées, avec com- nement d’Indira Gandhi (1966-1977)
binaison de la grande propriété et du lança une révolution verte supposée fa-
LES CHAMPS quasi-servage. Cette situation ne facili- ciliter l’accroissement de la productivité
RÉVOLUTIONNAIRES tait pas la modernisation. Si la réforme agricole et ainsi permettre d’atteindre la
agraire fut ainsi considérée comme la sécurité alimentaire et de stimuler l’in-
Après une longue période de colonisa- priorité pour rehausser la productivité, dustrialisation. Mais pour un gouverne-
tion, le développement agricole était tous les États ne la mirent pas en œuvre, ment qui se voulait anti-impérialiste, il
vu comme une urgence au moment de étant donné la nature fédérale du pays. s’agissait avant tout de ne plus dépendre

des États-Unis. S’étalant sur plusieurs régions qui ont le plus profité de cette le Madhya Pradesh, le Karnataka, le
années, la révolution verte combinait révolution verte étaient déjà irriguées Chattisgarh et l’Andra Pradesh). Entre
l’usage de variétés de céréales à haut au temps colonial, à partir de canaux les aléas de l’agriculture pluviale, le
rendement, le déploiement de l’irriga- abondés par les fleuves himalayens. Sise rabattement des nappes sous la pres-
tion et l’utilisation d’engrais et de pesti- au nord-ouest, cette Green Revolution sion des forages et les pratiques usu-
cides. Les résultats furent au rendez-vous Belt concerne le Penjab, l’Haryana et rières, les ruines conduisent ainsi au
puisque l’Inde allait devenir autosu- l’Uttar Pradesh. A contrario, les zones pire. Par ailleurs, cet accroissement de
sante, voire exportatrice, notamment en semi-arides majori- la production qui
céréales (riz, blé). Plus tard, une même taires du pays (de «Tout peut attendre, a permis à l’Inde
révolution technologique permit à l’Inde l’Andra Pradesh de devenir expor-
de faire une révolution blanche à partir à l’Orissa à l’est
à l’exception de tatrice n’empêche
des années1970, le pays étant désormais et du Rajastan l’agriculture.» pas la malnutrition
autosusant en lait. au Karnataka à d’être toujours d’ac-
Ayant ainsi la capacité de ne pas être dé- l’ouest) ont connu Jawaharlal Nehru, tualité. La sécurité
pendante sur le plan alimentaire, ce qui un bien moindre Premier ministre indien alimentaire n’est
est un attribut de puissance, l’Inde a fait développement, de 1947 à 1964 pas qu’aaire de
production mais
de son expertise agricole un vecteur de car davantage sou-
son influence dans le cadre d’une diplo- mises aux aléas climatiques. Les épi- aussi d’accès. Or la forte pauvreté, no-
matie Sud-Sud. La recherche-développe- sodes de sécheresse se multiplient et tamment paysanne, obère cet accès à
ment et les structures institutionnelles s’intensifient. l’alimentation, en obligeant le pays à
de l’agriculture sont autant d’éléments Sur le plan social, si les exploitants mettre des programmes d’aide alimen-
que l’Inde promeut au travers de projets moyens et aisés en état d’investir ont taire, comme le Food Security Act de
de coopération en Afrique. Mieux, l’Inde surtout profité de ce contexte, beaucoup 2013, au cœur de ses politiques sociales.
s’investit aujourd’hui dans l’aide alimen- de paysans demeurent des laissés pour Enfin, sur le plan environnemental, cet
taire, notamment en Afghanistan. compte. Pire, un grand nombre s’est essor agricole sur un demi-siècle aura
laissé enfermer dans le piège de l’endet- eu des conséquences sur les ressources
LES CHAMPS DE DÉTRESSE tement. Des dizaines de milliers de pay- en eau et les terres qui subissent égale-
sans se sont suicidés depuis vingt-cinq ment les oensives d’une industrie en
Mais cette puissance a ses revers et ans, particulièrement dans cinq États de plein essor.
ses limites. Sur le plan territorial, les l’Inde agricole semi-aride (le Marashtra,

FOCUS À RETENIR
Lors des élections de 2014, Narendra Modi, le candi- Après la famine de 1943, l’autosuffisance alimentaire
dat ultranationaliste du BJP (Parti du peuple indien), était d’autant plus perçue comme le gage de la sou-
avait réussi à mobiliser l’important électorat paysan, veraineté par les nouvelles autorités de l’Inde indé-
en lui faisant la promesse de le sortir d’une crise pendante. La révolution agricole et pastorale qui s’est
multifactorielle (accidents climatiques, morcellement ensuivie a connu une certaine réussite, du moins sur
le plan macroéconomique mais sur le plan environ-
foncier, endettement, etc.). Mais les suicides paysans
nemental et social, le tableau est plus sombre. Ainsi,
avaient continué de même que leurs mobilisations.
l’Inde a servi d’exemple pour penser une révolution
En prévision des législatives de 2019, l’opposition du doublement verte qui allie performance économique
Parti du congrès national a cherché à capitaliser sur et ménagement des ressources environnementales
le mécontentement rural, en annulant les dettes des et humaines.
paysans dans trois États qu’il a gagnés aux élections
régionales de 2018. De son côté, le BJP a multiplié
les annonces (garanties de revenus, bonifications
de prêts, etc.) dans la perspective de ce scrutin. S’il
a finalement emporté les élections, il est difficile de
connaître dans quelle mesure ce « retour » du BJP
vers la paysannerie a pesé dans les zones rurales,
car la campagne de Modi a surtout mobilisé le réper-
toire ultranationaliste contre le Pakistan.

LA RÉVOLUTION VERTE
Espace agricole de l’Inde
Blé dominant C

I
Riz dominant
New
New
New
NewDelhi
Delhi
Delhi
Delhi
Millet dominant P
N B

Élevage extensif dominant
B

La révolution verte...
Ahmedabad Bhopal
O
Les foyers de la révolution Calcutta
Calcutta
Calcutta M
(1984)
verte et sa di usion
Premier centre du
de recherche OGM d’Inde M Mumbai lf e
er Go e
d’ ga l
O Ben
m Hyderabad
an
... et ses conséquences
Espaces à très hauts

rendements
Sols pollués, très dégradés Bengalore

Bengalor
OC
É AN
Catastrophe de Bhopal (1984) : IN
DI
EN
une fuite dans une usine
de pesticides fait 20 000 morts S
L
 
FCHE 31
SINGAPOUR:
L’AMBITION D’UN CARREFOUR
Comptoir britannique devenu indépen-

dant en 1965, Singapour fait partie de JOUER SUR LA GÉOGRAPHIE,
cette catégorie de micro-États dont le L’INNOVATION de gravité de l’économie basculait vers
pouvoir dépasse de très loin leur taille ET LA FINANCE l’Asie. Le quart du commerce interna-
géographique. La rente géopolitique tional transite devant Singapour. Parmi
repose sur sa localisation à l’entrée du Singapour s’appuie sur sa géographie ces produits, de nombreuses matières
détroit de Malacca, principal carrefour pour penser son développement et premières agroalimentaires ou éner-
du commerce international. Invisible asseoir son influence. Le pays forme gétiques. Le port de Singapour s’est
sur un planisphère et insignifiant sur une seule ville qui, elle-même, est une spécialisé dans l’import-export. C’est le
le plan démographique au cœur d’une île, sise aux confins méridionaux de la deuxième au monde pour le trafic de
Asie surpeuplée, Singapour existe par Malaisie. Cette position géostratégique conteneurs. L’industrie maritime pèse
sa puissance financière, sa centralité lo- s’est renforcée à mesure que la mon- pour 8% du PIB national. À cela s’ajoute
gistique et sa capacité d’innovation. dialisation s’accentuait et que le centre un aéroport, le 17e plus fréquenté de la

planète, avec 60millions de voyageurs mince territoire. Singapour développe Si la capacité du pays à importer n’est
par an et un fret aérien dynamique pour ainsi un marketing politique agressif pas en danger, sauf dans un scénario
de multiples produits frais. pour vanter l’attractivité du pays et va- de blocus peu probable, les autorités
La cité-État représente aussi un haut- loriser ses activités de coopération à ont récemment décidé de réduire cette
lieu de l’innovation mondiale, avec de la l’étranger, notamment en Afrique où le dépendance. Leur objectif : produire
recherche et des investissements dans rôle diplomatico-financier de la cité-État 30 % de l’alimentation consommée à
les technologies et la finance. Alors s’avère discret mais réel. Singapour en 2030. Les investissements
que la place boursière de Singapour s’eectuent ainsi dans diérents sec-
ne cesse de prendre du poids, en étant S’INVESTIR DANS teurs à forte valeur ajoutée: la nutrition
la quatrième mondiale, le régime fiscal LES AFFAIRES AGRICOLES infantile, l’aquaculture, les protéines
avantageux et un climat propice aux ET ALIMENTAIRES végétales, l’élevage d’insectes et sur-
aaires drainent des milliers d’entre- tout les fermes verticales. Pour ces der-
prises multinationales à Singapour. Quand on fait partie des 15 pays qui nières, Singapour mise sur ses capacités
C’est souvent la porte d’entrée vers les commercent le plus et qui sont parmi urbanistiques et technologiques pour
marchés asiatiques. La formation du cales géants de la logistique, il est dicile trouver les modèles les plus ecients,
pital humain constitue un autre axe fort. d’échapper à la centralité des questions qui pourront dans le futur être expor-
Aujourd’hui, le pays, densément peuplé agricoles et alimentaires au milieu de tés vers d’autres mégalopoles dans le
avec ses 6millions de citoyens dont la ces flux. En outre, l’attractivité de la monde. L’écosystème politico-financier
moitié sont étrangers, peut se targuer success story singapourienne entraîne de la cité-État favorise aussi l’éclosion
d’être le 3e le plus riche du monde en une croissance démographique et donc de start-up portée par l’engouement des
PIB par habitant. des besoins supplémentaires en nour- étudiants. Pour autant, Singapour ne dé-
Ces performances sont à relier avec riture. La population y a triplé de 1970 laisse pas le grand large. Des prises de
la prééminence d’un État stratège, à 2020, passant de 2 à 6 millions. À la position à l’international, notamment
peu bureaucratisé et qui cultive une demande quantitative s’est superposée en matière de recherche-développe-
vision de long terme, ce qu’une dose une exigence qualitative de la part de ment ou de solutions technologiques,
d’autoritarisme peut parfois conférer. Singapouriens dotés des ressources éco- sont fréquentes. Comme le commerce,
Entrepreneur libéral déterminé, soute- nomiques susantes pour s’orir des ces opérations financières extérieures
nant pleinement le capitalisme, celui-ci produits alimentaires haut de gamme. participent au rayonnement de la cité
fonde toute son action sur la recherche Or 90 % des calories consommées à singapourienne.
de la compétitivité maximale pour un si Singapour proviennent de l’étranger.

FOCUS À RETENIR
Pour son action internationale en matière écono- Singapour est un micro-État dont la puissance géo-
mique et financière, Singapour dispose de nombreux politique internationale repose sur sa connectivité
leviers, dont Temasek. Ce fonds d’investissement, logistique, son attractivité financière et ses capacités
dont le portefeuille atteint 250 MUSD, opère sur les d’innovation technologique. La cité portuaire pola-
cinq continents et dans plusieurs secteurs straté- rise, déplace et réexpédie des volumes de nourriture
considérables tout au long de l’année, sans oublier
giques. Entre l’amplification des enjeux géopolitiques
son emprise boursière sur la cotation de nombreux
dans l’agriculture et la volonté de l’État singapourien
produits. Soucieuse de renforcer sa sécurité alimen-
d’augmenter ses productions alimentaires locales, taire, la nation asiatique cherche des solutions pour
Temasek accélère ses investissements dans ces do- verticaliser sa production agricole et développer de
maines, avec plus de 7 MUSD déployés désormais nouvelles sources en protéines. Elle investit aussi à
dans le monde. Le soutien à l’innovation et aux start- l’étranger grâce à la force de ses opérateurs écono-
up constitue le fer de lance de cette dynamique. miques.
Temasek contrôle Olam, entreprise singapourienne
de négoce et de courtage de matières premières
(huile de palme, coton, café, cacao, céréales). Si
ses activités sont notamment en forte croissance
en Afrique, ce groupe est présent dans 80 pays sur
l’ensemble de la chaîne (exploitations, approvision-
nements, logistique, trading, distribution).

S
r
S in g ap ou
SINGAPOUR AU CENTRE DE L’ASIE t de
ét roi
D
Jurong
Seletar
Seletar
Seletar
OC
ÉA
N
S



r
oho
IN
DI
EN
OCÉANIE
J
Ubin
de
Woodland
tr o
it
Jakarta
M er de J a va Dé
5  M
Singapour
d e TGo l fe
h aï
l an Colombo
de
AFRIQUE
i on ne
r id hi
ale
m é r de C
N fe
A E Gol ale ie Djibouti
e ng ’A ra b
Me
É U B d
C IQ d u Me r
IF Mumbai
O
C
Hong Kong
PA
Dubaï
ASIE
Shanghai
Les infrastructures portuaires Les activités tertiaires développées Une bonne accessibilité
en lien avec les activités portuaires à toutes les échelles
Port
Parcs d’entreprises Routes principales
Zones industrielles et logistiques
Zones d’implantation d’activités Aéroport international
technologiques
Route maritime mondiale
PRTIE 4
DÉFIS, TRANSITIONS
ET FRAGILITÉS
FCHE 32
PAYSANS:
UNE IMPOSSIBLE FORCE?
Les «paysans parcellaires», qualifiés ain-
si par Karl Marx, étaient perçus comme LA FRANCE:
trop atomisés par leur mode de produc- UN RÉCIT SYNDICAL
tion pour faire émerger une conscience Société des agriculteurs de France éma-
de classe. Pourtant, les paysans, par leurs En France, l’armation d’un syndica- nait de quelques grands propriétaires
mobilisations collectives, ont transformé lisme agricole représentatif remonte à aux idées monarchistes. De son côté,
la réalité agricole et rurale du esiècle la fin de la Seconde Guerre mondiale. la Société d’encouragement à l’agricul-
jusqu’à nos jours. La France est un Auparavant, les campagnes avaient ture fut créée en 1880 par des notables
exemple de ce point de vue. Mais leur donné lieu à la naissance de structures radicaux soucieux de faire des paysans
action collective a d’autant plus été puis- supposées représenter le monde agri- un pilier du républicanisme cher à
sante qu’elle s’est déployée en régime de cole, mais c’était le fait de deux sociétés Gambetta. Ce clivage demeura jusqu’à
libertés. Dans un monde globalisé, l’en- qui avaient été initiées par le «haut», la Seconde Guerre mondiale. L’épisode
jeu pour les agriculteurs est aujourd’hui dans le contexte du conflit entre monar- autoritaire sous le maréchal Pétain fut
de s’associer par-delà les frontières. chistes et républicains. Créée en 1881, la l’occasion d’une reprise en main du

monde agricole, plus que jamais organi- et de courants politiques qui traver- le syndicalisme agricole de gauche ou al-
sé par le haut. La corporation paysanne saient le monde rural. Après la séces- ternatif se retrouve dans la Coordination
servait ainsi de courroie de transmis- sion d’une mouvance communiste qui paysanne européenne (CPE), fondée en
sion entre les mots d’ordre du pouvoir avait fondé le Mouvement de défense 1986 avant de devenir la Coordination
pétainiste et les masses paysannes. des exploitants familiaux (MODEF) européenne-Via Campesina (CE-VC) en
La fin de la Seconde Guerre mondiale en 1959, la FNSEA et les Jeunes agri- 2008. Par-delà l’Europe, Via Campesina
fut marquée par la consécration de la culteurs furent contestés à gauche par se veut internationaliste, mouvement
Confédération générale de l’agriculture, des anciens militants de la JAC qui mondial de concertation syndicale.
largement dominée par la Fédération na- formèrent Les Paysans-travailleurs, an- Porteuse de l’idée de souveraineté ali-
tionale des syndicats d’exploitants agri- cêtre de l’actuelle Confédération pay- mentaire et défenseur d’une agriculture
coles (FNSEA) nouvellement créée. La sanne. À droite, le syndicalisme majori- paysanne, opposée à la financiarisation
fin du conflit fut l’incubateur d’un mou- taire fut défié par la coordination rurale de l’agriculture, Via Campesina, créée en
vement rural débarrassé des travers anté- créée en 1991 sur fond de réforme de la 1993, compte 182 organisations situées
rieurs, à savoir la verticalité et le conser- politique agricole commune (PAC). dans 81pays.
vatisme agraire. La Jeunesse agricole Beaucoup de pays où Via Campesina
catholique (JAC) qui avait été fondée en DÉPASSER LES FRONTIÈRES n’est pas présente sont des régimes au-
1929 était en eet devenue un vecteur de toritaires. Rien d’étonnant à cela. Comme
modernisation auprès des jeunes pay- Étant donné le cadre de la PAC, les syn- l’histoire l’a montré, ces régimes ne to-
sans qui firent émerger un syndicalisme dicats nationaux et les organisations lèrent pas que les campagnes échappent
de transformation. Après avoir créé le professionnelles ont dû s’organiser à à leur contrôle. Soit les paysans ont l’in-
Centre national des jeunes agriculteurs l’échelle européenne, encouragés en cela terdiction de se regrouper, soit ils sont
(CNJA) en 1957, c’est eux qui négocièrent par la Commission européenne qui vou- presque obligés de se retrouver dans
les lois de modernisation agricole avec lait pouvoir établir un dialogue avec les un syndicat contrôlé par le pouvoir. De
Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture du mondes agricoles européens. Le Comité l’Espagne franquiste à la Syrie d’Assad,
général de Gaulle. Malgré une diérence des organisations professionnelles agri- de grandes centrales ont été ainsi créées
d’audace et parfois de points de vue, le coles (COPA) a ainsi été créé en 1958. comme autant d’outils d’influence et de
CNJA resta lié à la FNSEA dont il consti- Composé essentiellement des syndicats contrôle dans les campagnes. En Chine,
tuait la structure jeune. majoritaires de chaque pays, il n’est donc c’est le Parti communiste chinois qui en-
Cette unité paysanne fut mise à mal du pas considéré par toutes les sensibilités cadre les paysans.
fait de réalités agricoles très diérentes agricoles comme leur émanation. Ainsi,
PARTIE 4 | DÉFIS, TRANSITIONS ET FRAGILITÉS . 141

Le monde arabe n’a pas échappé à la surveillance L’agriculture est avant tout affaire de politique. Tous
politique du monde rural, notamment au travers de les pays mènent peu ou prou des politiques agricoles.
grandes centrales syndicales totalement inféodées Mais un élément est déterminant dans l’effectivité de
aux pouvoirs en place. En Syrie, c’est l’Union géné- ces politiques : c’est l’engagement du monde pay-
rale des paysans qui a joué ce rôle, quand, en Algérie, san dans les négociations de ces politiques puis dans
le pouvoir s’est appuyé sur l’Union nationale des pay- leur traduction sur le terrain. Or cet engagement dif-
sans algériens. Mais avec les soulèvements de 2011, fère nettement selon qu’on est en régime autoritaire
les campagnes de la région ont été fortement tou- ou démocratique. Toutefois, cet engagement ne suffit
pas. Dans un monde globalisé, les luttes paysannes
chées. Dans les pays les plus en pointe dans ces
tentent de dépasser les frontières nationales.
changements révolutionnaires, et à l’exception des
situations de guerre civile (Syrie et Yémen), une flo-
raison syndicale s’est produite, ce qui prouve bien
le lien entre la nature du régime autoritaire et l’état
du syndicalisme agricole. Par-delà les occupations
des terres spoliées par des proches des régimes,
la Tunisie et l’Égypte ont été très actives en termes
d’apparition de syndicats agricoles. Mais si pour la
première, l’ouverture a permis la confirmation de
l’activisme paysan, la parenthèse s’est refermée de-
puis en Égypte, sans doute au grand dam des agri-
culteurs du pays.

PAYS AVEC UNE ORGANISATION MEMBRE
DE VIA CAMPESINA
É AN
OC E
I QU
NT
LA
AT
OC
ÉA
IN N
DI
EN
OC
PA ÉA
C N
IF
IQ
UE
 
Pays avec une organisation membre de Via Campesina

FCHE 33
AGROMAFIA ET ÉCONOMIE
INFORMELLE
Si les rapports entre agriculture, alimen-
tation et organisation criminelle sont va asseoir l’essor de la mafia sicilienne.
anciens et concernent toutes les régions Les vergers qui ceinturent Palerme ali-
du monde, le cas emblématique de l’Ita- mentent les marchés internationaux. Le d’agrumes et s’octroient à chaque pas-
lie mérite de s’y attarder. citron sert d’additif à la production de sage une commission.
thé anglais et New York, de l’autre côté La mafia, dès le départ, cherche à détenir
DES ORIGINES SICILIENNES de l’Atlantique, en achète des millions pouvoir et argent. Initialement, le mot
ET AGRUMICOLES de caisses chaque année. Dans l’Europe mafioso signifiait d’ailleurs «sûr de soi».
de la seconde moitié du e siècle, les Ce n’est donc pas l’isolement et la pauvre-
Au moment de l’unification du pays exploitations agricoles du nord-ouest de té qui conduisent à son développement,
(1860-1870), la sécurité publique est dé- la Sicile sont parmi les plus rentables. mais sa capacité à se positionner sur les
ficiente en Sicile. Devant la fréquence Et entre l’Amérique, le port de Palerme secteurs d’activité lucratifs en tirant pro-
des extorsions de fonds, des vols et des et les arbres fruitiers des campagnes fit des avantages des territoires où elle
assassinats germe le terme de mafia alentour se trouve alors une multitude opère, en liaison étroite avec la diaspora.
afin de qualifier ces zones occultes de la d’intermédiaires (courtiers, transpor- L’immigration sicilienne aux États-Unis
société locale. C’est l’agrumiculture qui teurs, etc.) qui séquencent le commerce nourrit indirectement ces flux à partir

du début du e siècle. Cela n’entrave que le concept d’agromafia s’est imposé. lait que sont la mozzarella di bufala
pas l’ancrage croissant de la mafia dans L’Observatoire italien sur la criminalité campana et le parmigiano reggiano.
la vie politique et économique italienne. dans l’agriculture et le secteur alimen- De même, le concentré de tomates pro-
Elle traverse les décennies en agissant taire évalue à près de 25milliards d’eu- duit dans des conditions épouvantables
dans de nombreux domaines et sur tous ros le chire d’aaires de cette agroma- dans le Xinjiang chinois est commercia-
les continents. Si la drogue devient à fia, le double en moins de dix ans. lisé en Europe via les mafias italiennes.
l’avenir un pilier du système et nécessite Des vignes aux boissons en passant par Pas étonnant que le secteur de l’agri-
pour la criminalité organisée de disposer les fruits et légumes, le riz, l’huile d’oli- culture biologique fasse l’objet d’une
de terres agricoles et d’infrastructures ve, les viandes ou surveillance soute-
rurales, les produits alimentaires consti- la pêche, elles pro-
L’agrobusiness nue des autorités
tuent une autre valeur sûre. fitent également du représenterait 15% du italiennes, qui re-
succès du Made In montant des revenus doutent des détour-
L’AGROMAFIA Italy agroalimen- nements autour de
EN PLEINE EXPANSION taire. Les contrefa-
annuels des mafias ces productions à
çons de produits italiennes, estimés au la mode.
Peu à peu, les principales mafias ita- alimentaires se total à 150 milliards Autre tendance,
liennes (Cosa Nostra en Sicile, Camorra multiplient. Sur la l’attractivité du
à Naples ou Ndrangheta en Calabre) seule année 2018,
d’euros. style mafieux sur
ont investi la chaîne alimentaire, ne se près de 45 000 infractions ont été en- la planète et les dérives observées
contentant pas de matières premières registrées en Italie. Les mafias misent en matière de communication… En
à troquer ou à vendre. Elles font l’ac- beaucoup sur ces aspects pour tenter Espagne, une chaîne de restauration
quisition d’usines de transformation d’assainir leur commerce, fraudent («La Mafia») tapisse ses murs d’images
agro-industrielle et d’entreprises de alors en matière d’étiquetage et usent de parrains et gangsters. En Californie,
logistique, tout en profitant de la crise de faux pour contourner les réglemen- les vins Il Padrino rencontrent un franc
économique pour racheter en Italie tations. Elles mettent ainsi sur les mar- succès, tout comme les livres de recettes
des terrains, des élevages et des res- chés des biens de consommation qui ne de diète méditerranéenne intitulés The
taurants dans les grandes villes. Ce respectent ni les normes sanitaires ni Mafia Cookbook. L’exploitation d’un tel
dispositif dans l’amont et l’aval facilite les indications d’origine géographique. filon interroge sur les acteurs qui sou-
le recyclage d’argent sale et structure Des scandales ont éclaté autour d’imi- tiennent discrètement ces campagnes
parfois des filières entières, au point tations de produits phares de la filière marketing globalisées.

FCS
L’agriculture subit de multiples violences. Ce sont par-
fois des terres occupées par des factions militaires
contestataires comme en Colombie avec les FARC ou
À RETENIR
en Syrie et en Irak par Daesh. Ce sont aussi des pro- En Italie, les systèmes mafieux ont depuis longtemps
ductions contrôlées par des réseaux de trafiquants, investi le champ de l’agriculture et de l’alimentaire
avec des plantes interdites cultivées comme la coca pour faire fructifier leurs affaires et accroître leur
ou le pavot pour le marché de la drogue, mais aussi pouvoir. Au-delà des aspects sécuritaires, ce déve-
des biens à forte valeur ajoutée comme les alcools loppement suscite des inquiétudes en matière d’éco-
ou les épices. Les produits de la mer n’échappent pas nomie souterraine mais aussi de protection des
au phénomène, puisque les pêches illégales se dé- consommateurs. De la production à la restauration
en passant par la transformation et le transport, les
veloppent, notamment en Asie. Le racket touche les
réseaux de l’agromafia s’étendent dans toute l’Italie
biens agricoles et alimentaires aux frontières, surtout
et à l’étranger. Ce n’est qu’une illustration d’une pro-
quand celles-ci sont fermées et stimulent les actes blématique plus globale concernant l’agriculture et la
de corruption. En milieu rural, les vols de matériel criminalité organisée.
sont fréquents, surtout si les exploitations s’avèrent
vastes et mal protégées. Les systèmes électroniques
des tracteurs se démontent et se revendent au mar-
ché noir. Avec l’irruption du digital dans l’économie
agricole, c’est enfin le business des data qui ex-
plose, avec son lot d’espionnage et de détournement
potentiel.

L’INDUSTRIE DU CONCENTRÉ DE TOMATE
CHINEITALIEAFRIQUE
Industrie chinoise
Principales usines
de production
Europe
Principales usines
de reconditionnement
I
  C
Afrique Exportations
du Nord
Premiers importateurs
Afrique africains
de l’Ouest
Marché secondaire
G Afrique de l’Est

Contrebande
de concentré chinois
N
N
ÉA
OC N
D IE Industrie napolitaine
IN
Pôle de reconditionnement
Afrique
de concentrés d’origines
australe
diverses (Italie, Chine,
Espagne, Californie)
Exportations
FCHE 34
GOUVERNANCES CONTESTÉES
Vieillissant, le système onusien des re-
lations internationales et du commerce l’ecacité des dispositifs onusiens. Par
vacille depuis peu, avec les tumultes sa multidimensionnalité, l’agriculture se contexte de bipolarité Est-Ouest, qui ne
de la mondialisation et la poussée des retrouve au cœur des activités dévelop- manque pas d’utiliser l’alimentaire pour
rivalités géoéconomiques. Pour l’agri- pées dans d’autres enceintes multilaté- intimider, désinformer ou nouer des
culture et l’alimentation, ces dyna- rales, notamment le General Agreement alliances.
miques de compétition ne sont pas sans on Taris and Trade (GATT)/OMC et Multipolaire, moins occidentalo-centré
incidences. la Conférence des Nations unies sur le et bien plus mobile, le monde s’est trans-
commerce et le développement (com- formé depuis. La prolifération étatique,
UN MULTILATÉRALISME merce), le PNUD (développement), la les émergences au Sud, d’indéniables
QUI S’ESSOUFFLE Banque mondiale et le Fonds moné- progrès en matière de développement
taire international (économie-finan- humain mais aussi l’apparition de nou-
Non sans raison, dès 1945, la première cement), l’OMS (santé-nutrition) ou veaux risques ont modifié les équilibres
des institutions onusiennes sera la encore l’UNESCO (culture et science). et redessiné l’agenda international.
FAO. Son objectif est de réduire la faim S’y ajoutent le Programme alimentaire Simultanément, la crise de leadership,
et de favoriser la coopération agricole. mondial (PAM) depuis 1961 et le Fonds après la parenthèse de l’unipolarité
Mais l’agriculture n’est pas le domaine international de développement agri- américaine, génère de l’instabilité chro-
réservé de la FAO, ce qui complique cole à partir de 1977. Le tout dans un nique. La mondialisation stagne car, à

la croissance des échanges et des inter- de produits agricoles venant d’Europe Quelle sera demain la bonne échelle
dépendances économiques font écho ou des États-Unis. Elle n’est plus invitée pour agir, entre la revanche du local et
des désaccords politiques fréquents et au G7, point commun avec Pékin qui, l’exigence du transnational? Le pouvoir
des volontés de souveraineté nationale. malgré la création du G20 au moment des États va-t-il s’aaisser au profit des
Les replis territoriaux et les populismes de la crise financière internationale en collectivités territoriales ou continue-
réapparaissent. La pacification des re- 2009, se consacre surtout à renforcer le ront-ils à peser sur la marche du monde
lations internationales n’est pas au ren- rôle de l’Organisation de coopération en favorisant le bien-être collectif? Se
dez-vous du siècle. Collectivités locales, de Shanghai, où se côtoient Asiatiques, dirige-t-on vers une démondialisation
ONG et entreprises prétendent parfois Russes, Turcs ou Iraniens. C’est le pivot de l’économie après celle du politique?
agir comme des puissances: pour faire, asiatique de la géopolitique mondiale, Est-ce soutenable pour la sécurité ali-
défaire, faire faire ou empêcher de faire. entraînant dans son sillage les flux agri- mentaire mondiale?
Le système onusien apparaît donc usé coles et l’innovation. Quant à l’Afrique, À ces incertitudes s’ajoutent les concur-
et inopérant tandis que l’OMC est en elle parie sur sa nouvelle Zone de libre- rences monétaires, les batailles en ma-
panne depuis deux décennies. Dans échange continentale (ZLEC) pour ré- tière de normes et de droit ou l’accès
cet état de désunion, seule l’Europe duire ses divisions et surpasser ses insé- aux ressources (énergie, eau/sol, mé-
semble encore défendre l’ouverture curités, notamment alimentaires. taux stratégiques). Le numérique, la
économique et la solidarité politique. science ou la protection de l’environ-
La Chine tient le même discours, mais DES TENSIONS EN DEVENIR nement constituent aussi de nouveaux
en cultivant ses intérêts au service de terrains d’arontement. Pour l’Europe
son influence internationale. L’arrivée Alors que la sous-alimentation reste et beaucoup de pays, il s’agira de savoir,
d’un Chinois à la direction générale de tenace et que les inégalités socio-éco- pour leurs aaires globales comme en
la FAO en 2019 n’est pas anodine. Dès nomiques s’amplifient partout, les na- agriculture, comment desserrer l’étau
qu’on assiste à un emballement de prix tions s’occupent davantage de leurs sino-américain lancé vers le surarme-
sur les marchés alimentaires, des États problèmes internes ou de leurs suppo- ment normatif, juridique et technolo-
n’hésitent pas à fermer les frontières et sés ennemis avant de penser aux enjeux gique. Comme les conflits, ces guerres
à ériger des embargos. La Russie excelle globaux ou à leurs partenaires com- commerciales seront préjudiciables
dans ce domaine, avec une touche de di- merciaux. L’avenir est-il à l’indiérence aux agriculteurs et à l’alimentation de
plomatie contrecarrant les sanctions oc- (malgré la connaissance et l’émotion chacun.
cidentales après l’annexion de la Crimée passagère) et à l’isolement (malgré l’im-
en 2014. Depuis, Moscou n’achète plus brication des crises et des solutions) ?

La pandémie du Covid-19 qui frappe la planète au
printemps 2020 révèle à quel point la santé et l’ali- La quête d’un développement agricole durable et l’af-
mentation forment un binôme stratégique pour la sé- firmation d’un droit à l’alimentation buttent sur des
curité individuelle et collective. Cette crise interroge réalités géopolitiques mettant à mal le système onu-
également la mondialisation, avec son lot d’interdé- sien issu des deux guerres mondiales et l’esprit mul-
pendances et d’excès. Alors que le multilatéralisme tilatéral qui s’était propagé à la fin du xxe siècle. Les
n’a sans doute jamais été autant nécessaire pour ré- institutions internationales semblent anachroniques
pondre aux enjeux globaux, les réponses politiques et les rivalités se multiplient entre les différentes
parties prenantes qui pèsent sur les affaires éco-
tendent à se différencier. Des mouvements pro-
nomiques, commerciales et sociales de la planète.
gressent au sein des sociétés à propos d’une préfé-
La crise de la mondialisation impose une nouvelle
rence nationale et d’un repli territorial à cultiver. Pour gouvernance et des formes de régulation inédites.
certains, le Covid-19 inviterait même à la démondia- Nationalismes et populismes surfent sur ces terrains
lisation. Si ce virus se combat en isolant les pays et politiques déstabilisés.
les personnes, faut-il pour autant traduire cette soli-
darité dans l’urgence en nouveau paradigme d’ave-
nir ? Rester ouvert dans un monde qui se ferme :
c’est sans doute un autre défi lancé aux agricultures.

L’AGENDA MONDIAL DU DÉVELOPPEMENT POUR  ET
1 Pas de pauvreté
Près de 80 % des personnes pauvres vivent en zone rurale. LES  ODD, DÉCLINÉ AU PRISME DES ENJEUX AGRICOLES
ET ALIMENTAIRES
Élimination de la faim dans le monde Réduction des inégalités

2 Nous produisons de la nourriture pour tout le monde et
pourtant près de 800 M de personnes sourent de la faim.
10 Les réformes agraires peuvent donner un accès plus
équitable aux terres rurales.
Villes et communautés durables

3 Santé et bien-être
Une bonne santé commence par une bonne alimentation. 11 L’investissement rural peut décourager une urbanisation
ingérable.
Consommation et production responsable

4 Éducation de qualité
Une alimentation nutritive est essentielle à l'apprentissage. 12 Un tiers de la nourriture que nous produisons est perdue
ou gaspillée.
Égalité des sexes Mesures contre les changements climatiques

5 Les femmes produisent la moitié de la nourriture mondiale
mais ont beaucoup moins accès à la terre.
13 L’agriculture est essentielle pour répondre au changement
climatique.
Eau propre et assainissement Vie aquatique

6 L’agriculture durable ore la possibilité de remédier
à la pénurie d'eau.
14 Le poisson donne à 3 milliards de personnes 20 %
des protéines animales quotidiennes.
Énergie propre et d’un coût abordable Vie terrestre

7 Les systèmes alimentaires modernes sont fortement
dépendants des énergies fossiles.
15 Les forêts contiennent plus de 80 % de la biodiversité
terrestre mondiale.
Travail décent et croissance économique Paix, justice et institutions ecaces

8 La croissance agricole dans les économies à faible revenu
peut réduire la pauvreté de moitié.
16 L’élimination de la faim peut contribuer grandement
à la paix et à la stabilité.
Industrie, innovation et infrastructure Partenariats pour la réalisation des objectifs

9 L'agriculture représente un quart du PIB dans les pays
en développement.
17 Les partenariats permettent de faire entendre la voix
des personnes sous-alimentées.
FCHE 35
GÉANTS EN COMPÉTITION
La galaxie des acteurs économiques
qui opèrent dans le domaine de l’agri- en place de dispositifs leur permettant
culture et de l’alimentaire est très vaste. de collecter et de transformer leurs ré- en Nouvelle-Zélande, Danish Crown au
Microstructures coltes. Le système Danemark) et agissant au-delà de leurs
mais aussi petites Les 20 premières de la coopérative, frontières nationales.
et moyennes entre- multinationales de unité créée et diri- En amont de la production, le secteur
prises ou industries gée collectivement des semences et de la protection des
(PME-PMI) sont lé-
l’agroalimentaire par des agricul- plantes s’est fortement concentré avec
gion. À leurs côtés, représentent un CA teurs, s’est dissémi- trois opérations retentissantes : la fu-
des géants, aux ca- cumulé de 650MUSD, né dans le monde. sion de Dow et Dupont qui désormais
pacités financières, Certaines coopéra- forme Corteva, le rachat de Syngenta
territoriales et stra-
soit le 21 PIB mondial.
e
tives atteignent des par Chemchina puis celui de Monsanto
tégiques colossales. L’accélération de tailles considérables, réalisant plus de par Bayer. Si l’on ajoute BASF à ce trio,
la mondialisation agricole a consolidé 10milliards d’euros de chire d’aaires quatre entreprises contrôlent 75 % du
leur pouvoir, au détriment parfois des (Zen-Noh au Japon, Nonghyup en marché. Les agriculteurs sont par ail-
agriculteurs. Corée du Sud, CHS Inc., Land O’Lakes leurs de gros consommateurs de maté-
L’organisation professionnelle des agri- ou DairyFarmers of America aux États- riels et de machines. Deux entreprises de
culteurs se traduit souvent par la mise Unis, Bay Wa en Allemagne, Fonterra l’agroéquipement, John Deere et Klass,

fournissent un tiers du marché mondial. (ADM), Bunge, Cargill et Louis-Dreyfus. produits alimentaires. Là encore, les
Dans le domaine des fertilisants, une Baptisés les « ABCD », elles réalisent processus à l’œuvre sont peu ou prou
dizaine d’entreprises fournit plus de près de 260MUSD de chire d’aaires identiques : internationalisation, fu-
la moitié des intrants, dont les leaders et emploient 200 000 personnes dans sion-acquisition et concentration. Aux
Yara (engrais azotés), Potashcorp (po- le monde. De nouveaux acteurs, issus côtés de Nestlé, Coca-Cola, PepsiCo,
tasse) et OCP (phosphate). essentiellement des pays émergents, Kellogg’s et Danone se trouvent Mars,
viennent les concurrencer. La Chine re- Mondelez, Unilever, General Mills et
NÉGOCE INTERCONTINENTAL présentant désormais près de 20% des Associated British Foods, dont les dié-
achats mondiaux, Cofco est devenu un rents chires d’aaires dépassent le PIB
Une fois les produits récoltés, il faut les géant du trading pour assurer l’appro- de certains pays. Parallèlement, il existe
transporter. Ces mouvements ont lieu visionnement du pays. Ce conglomérat des géants mondiaux dans leur domaine
sur de longues distances, parfois inter- chinois tisse sa toile en Asie, au Moyen- spécifique: JBS (Brésil) et Tyson Foods
continentales, terrestres, aériennes et Orient, en Europe de l’Est et en Amérique (États-Unis) pour les viandes, Ab Inbev
surtout maritimes. Quelques sociétés latine, contribuant à alimenter les routes (Belgique) et Heineken (Pays-Bas) pour
ont investi ce créneau essentiel du né- de la soie. D’autres groupes se sont pla- les bières, Lactalis (France) pour les
goce de matières premières agricoles. cés depuis peu : Wilmar (Indonésie), produits laitiers ou encore Kraft Heinz
Leur relative discrétion contraste avec Olam (Singapour) et Marubeni (Japon), (États-Unis) pour les assaisonnements.
leur poids économique. Prestataires de sans oublier Glencore (Anglo-Suisse). Créer de la valeur demain pour toutes
services, maillons clef entre acheteurs Ces neuf entreprises – ABCD +CWOMG ces entreprises, de l’amont et de l’aval,
et vendeurs, elles endossent la gestion – ont réalisé un chire d’aaires de près passera nécessairement par des résul-
de risques majeurs en contrepartie de de 700 MUSD et emploient environ tats économiques, mais aussi par des
marges commerciales parfois élevées. 740000personnes dans le monde. Elles progrès sociaux et environnementaux.
Ces entreprises ont globalisé leurs flux. assurent la moitié du commerce de cé- Le secteur privé sera jugé à l’aune de ces
Ingénierie financière, logistique, stoc- réales et d’oléagineux et 20% du négoce multiples performances.
kage, transformation, voire distribution: agricole.
ces compagnies diversifient sans cesse
leurs activités. FIRMES AGROALIMENTAIRES
Quatre d’entre elles sont présentes
sur les marchés mondiaux depuis plus Parmi les 15 plus grandes entreprises
d’un siècle : Archer Daniel Midlands de large consommation, 11 vendent des

Le secteur de la grande distribution, longtemps épar- Des coopératives à l’agroéquipement, en passant
gné par la concurrence, dopé par l’urbanisation du par les entreprises semencières et agropharma-
monde et l’essor des classes moyennes au xx e siècle, ceutiques, celles du négoce ou de la transforma-
rencontre de véritables difficultés depuis peu. Dans tion agroalimentaire, tous les acteurs cherchent à
certains États, surtout les plus riches, la consom- mettre en avant la complexité des défis contempo-
mation de masse est sous le feu des critiques et le rains – produire plus mais mieux – pour justifier leur
commerce de proximité plebiscité. Les « expériences concentration ou leur alliance. Leur pouvoir financier
clients » sont désormais recherchées pour ré-huma- et territorial est immense. Derrière quelques groupes
multinationaux, souvent méconnus, se cache une
niser ces espaces. Dans les pays émergents, notam-
panoplie de marques consommées quotidiennement
ment asiatiques, la digitalisation des modes de vie et
partout dans le monde.
de l’économie favorise le développement du e-com-
merce. Le mastodonte Walmart (2,2 millions d’em-
ployés, 500 MUSD de chiffre d’affaires) surveille
ainsi de plus en plus Amazon, rival en puissance sur
le territoire américain, et qui ne cache pas ses visées
dans le secteur alimentaire en Europe. En Chine, les
enseignes de la distribution classique, au premier
rang desquelles les groupes français Carrefour et
Auchan, sont progressivement évincées des marchés
par les conquérants Alibaba et JD.com.

W
0
250
1750
1000
1250
500
2000
1500
al
750
m
Am ar
az t
Te on
K sco
Ca rog
rr er
e
Au fou
ch r
N an
es
tlé
Nombre total d’employés
(en milliers)
Pe Lid
ps l
i
DES GÉANTS ÉCONOMIQUES

M Co Co
cD ts
on co
DE LA PRODUCTION À LA DISTRIBUTION
AB ald
In 's
JD Be
. v
U com
ni
G lev
Négoce
le e
As nc r
so C ore
. B ar
rit gil
is l
Ty C h F.
so of
n co
Fo
Transformation/Commerce
od
s
JB
S
M
D ar
an s
Distribution/Restauration/E-Commerce
Al on
ib e
W aba
H ilm
ei a
M nek r
on en
de
le
O z
L am l
Co acta
W ca- lis
H Co
G la
ro
Bu up
(en milliards de dollars)
ng
e
Chire d'aaires 2018
0
50
150
100
250
350
450
500
300
200
400
FCHE 36
POUVOIRS NUMÉRIQUES:
L’EXTENSION DE LA TOILE
Les mondes agricoles utilisent au quoti-
dien les technologies les plus modernes nouveaux outils qui impactent l’agricul-
pour suivre les marchés, anticiper les ture contemporaine. Ils permettent de pi-
aléas météorologiques et échanger avec loter les exploitations avec davantage de innovation se trouvent aux États-Unis,
le reste de la société. Le digital repré- précision, d’améliorer le rendement des en Chine et en Israël. Mais en Argentine,
sente le levier le plus puissant de mo- cultures et d’optimiser la traçabilité des au Brésil, en Inde, en Europe et depuis
dernisation et de désenclavement rural, productions. Les promoteurs du numé- peu en Afrique, le boom de l’AgTech est
et ce, sur tous les continents. rique dans le secteur mettent d’ailleurs significatif.
en avant leur contribution au développe- En parallèle, les technologies numé-
DES TECHNOLOGIES ment durable. L’essor de l’AgTech répond riques transforment peu à peu les mo-
DANS LES CHAMPS aux grands défis planétaires : produire des de consommation alimentaire. En
ET LES ASSIETTES plus mais mieux, avec moins de res- quête de transparence pour les produits
sources naturelles, d’intrants chimiques qu’ils achètent et qui les nourrissent, bon
Robots, drones, capteurs, géolocalisa- et de bras eu égard au vieillissement nombre d’individus veulent désormais
tion, solutions numériques d’aide à la dé- des actifs agricoles dans les pays les connaître l’origine de leurs aliments, leur
cision, intelligence artificielle… autant de plus développés… Les bastions de cette composition, leur impact sur la planète et

sur leur santé, la manière dont la valeur Xiaomi) se sont inévitablement intéres- Toutes ces innovations et outils tech-
ajoutée sera partagée… tout en les ache- sées aux deux questions qui touchent nologiques ne sont pas encore à la por-
tant sur Internet ou par reconnaissance quotidiennement chaque individu : tée de chacun. Le coût et le manque de
faciale. Simultanément, des applications l’alimentation et la formation peuvent
personnalisables orent aux consomma- santé. En misant Les investissements pénaliser certains
teurs des indications sur mesure ou des sur le « vivant », producteurs. Qui
moyens simplifiés pour commander sa ces firmes, qui in-
dans l’AgTech et la plus est, elles gé-
nourriture et être rapidement livré. Le carnent l’innova- FoodTech se sont nèrent une masse
circuit court le plus structurant de notre tion et préparent élevés à 20MUSD de données consi-
époque est assurément l’interface digi- l’avenir, se tournent dérable qui attirent
tale. À travers ces outils s’accumule une en réalité vers les
en 2019. les convoitises.
masse considérable de données. Elles plus anciennes préoccupations de l’être Quand des informations sont ainsi ren-
révèlent ce que veulent et qui sont ces humain. seignées et compilées dans les champs,
consommateurs à ceux qui détiennent La digitalisation de la distribution se pendant les achats et sur les tables, leur
et traitent ces informations. Cela peut double d’une percée physique des opé- traitement devient stratégique. Il peut
aussi demain conduire à des prix per- rateurs du numérique. Amazon, Alibaba, être monnayé, échangé ou détourné. La
sonnalisés des produits en fonction des Rakuten ou JD.com investissent dans protection et la sécurité des données
lieux et des modes de vie de chacun, en- l’alimentaire. Outre la promotion de s’avèrent être aussi l’aaire des mondes
gendrant de nouvelles discriminations magasins très innovants, ils remontent agricoles.
potentielles. aussi à la source jusqu’à l’amont agri- Par leur puissance financière, techno-
cole. En Chine, Alibaba investit dans logique et d’influence, ces géants du
DES GÉANTS DU NUMÉRIQUE les zones rurales, en finançant directe- numérique appellent à une certaine
QUI ACCÉLÈRENT ment des agriculteurs et en les équipant vigilance géopolitique. En Europe et
de technologies pour les brancher aux en France, la souveraineté des don-
Aspirant à transformer le monde et la marchés. Cette stratégie, déployée à tra- nées agricoles au service de la sécurité
vie des populations, les grandes entre- vers les villages Taobao, sert les intérêts alimentaire et de l’intelligence écono-
prises américaines et chinoises du nu- du pouvoir central à Pékin, soucieux mique est devenue un enjeu essentiel
mérique que sont les GAFAM (Google, d’inclure ces territoires intérieurs à la face aux colosses américains et chinois.
Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) croissance économique et de les contrô-
et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et ler par le biais du numérique.

FOCUS À RETENIR
Poumon de l’innovation mondiale, la Silicon Valley L’innovation technologique se développe en agricul-
en Californie est riche de cette mixité entre des dy- ture. En se déployant, le numérique génère une quan-
namiques de réussite académique, entrepreneuriale, tité importante de données qui favorisent la mise en
technologique et financière. Entre ces sphères, les œuvre de pratiques agricoles plus précises, tout en
navettes et les alliances sont incessantes. La culture apportant davantage d’informations aux consom-
mateurs sur leur nourriture. Les géants de cette
du risque repose sur un modèle économique fondé
économie numérique investissent dans le secteur
sur l’agilité, le collaboratif et le disruptif. Microsoft
alimentaire et dans la production agricole. Face au
mise par exemple de plus en plus sur l’agriculture pouvoir grandissant qu’ils détiennent et des enjeux
connectée et de précision via l’intelligence artificielle. de souveraineté qu’ils posent, des questions géopoli-
Elle investit dans des start-up qui cherchent des al- tiques émergent.
ternatives aux protéines animales. Les avancées en
biologie synthétique et en microbiologie ainsi que
l’augmentation de la puissance de calcul des ordi-
nateurs ont ouvert la voie à l’agriculture cellulaire. La
Fondation Melinda et Bill Gates dépense désormais
des sommes gigantesques dans l’industrie du micro-
biote. Celle-ci offre un champ de solutions possibles
considérable pour situer avec une infime précision
les réponses à apporter demain à la santé de l’être
humain, de l’animal ou du végétal.

ECOMMERCE ET ALIMENTATION :
UN MARCHÉ EN DEVENIR
Un secteur en pleine expansion dans le monde...
Part des consommateurs livrés un fois ou plus par semaine
par les grands distributeurs ... qui séduit aussi en France
62 % 2,2 Évolution du e-commerce alimentaire en France,
56 % 56 % en milliards d’euros (tous circuits)
55 %
Total : 6
52 %
49 % Livraison
3,8
Drive/retrait
43 % 43 % 3,5
2017
40 %
37 % 38 % 38 %
Total : 8,2
Royaume-Uni
4,7 8
Allemagne
États-Unis
Moyenne
Pays-Bas
France
2020
5,5
Total : 13,5
18
18
18
18
18
18
21
21
21
21
21
21
2025
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
Évolution en % (en France)

Livraison Total e-commerce
alimentaire
Drive/retrait
+ 17 % + 18 % +7% +3% + 11 % + 11 %
2017-2020 2020-2025 2017-2020 2020-2025 2017-2020 2020-2025

FCHE 37
RUPTURES CLIMATIQUES
Dans un article publié en 1959, l’histo-
rien Emmanuel Leroy-Ladurie avait ou- retour elles les subissent tout en orant
vert un champ de réflexion, aujourd’hui des opportunités de résistance. induit, notamment la déforestation. Qui
très en vogue, du fait des changements plus est, ces changements altèrent la
climatiques massifs en cours. Parce PARTIELLEMENT capacité de la terre à absorber ou à réflé-
qu’elle est conditionnée par la météo- RESPONSABLE ET chir la chaleur et la lumière. En termes
rologie et qu’il s’agit d’une activité à FORTEMENT VICTIME de contributions régionales, l’agricultu-
forte résonance économique et sociale, re asiatique est aujourd’hui la première
l’agriculture a été le prisme de ce lien L’agriculture engendre au moins 14 % émettrice de GES (44% des émissions).
entre climat et histoire. Aujourd’hui, des émissions mondiales de gaz à eet Viennent ensuite les Amériques (25%),
alors que les changements climatiques de serre (GES). La fermentation enté- l’Afrique (15%), l’Europe (12%) et l’Océa-
sont sans commune mesure avec les va- rique, c’est-à-dire le méthane provenant nie (4%). Selon la FAO, au cours des trois
riations météorologiques des deux der- de la digestion des ruminants, est la dernières décennies, c’est la contribution
niers millénaires, les activités agricoles première source d’émissions de GES de l’Asie qui a le plus augmenté et c’est
et pastorales doivent être encore plus dans l’agriculture (40 %). Le reste est celle de l’Europe qui a le plus régressé.
considérées à l’aune de ces boulever- lié à l’utilisation des carburants d’ori- L’agriculture est aussi victime des
sements: ces activités contribuent aux gine fossile et d’engrais mais aussi aux changements climatiques. Certaines
changements climatiques alors qu’en changements d’usage des terres qu’elle régions seront très aectées sur le plan

agropastoral quand d’autres le seront changements climatiques et de rup- techniques et scientifiques. Mais, encore
moins, voire y gagneront. Plusieurs tures agropastorales. Certains États de une fois, tout cela ne saurait être totale-
phénomènes se combinent avec plus l’Inde, le Bangladesh et le Pakistan, que ment ecient sans la solidité des institu-
ou moins d’intensité selon les zones de ce soit par le recul tions depuis l’éche-
la planète : élévation des températures, des deltas, l’occur- La Banque mondiale lon professionnel
modification du régime des précipita- rence des vagues évoque 143millions jusqu’à l’échelon po-
tions, accroissement des évaporations, de chaleur ou la litique. Cependant,
occurrence des tempêtes, grignotage des modification des ré-
de migrants d’ici plus que ces ca-
terres par les océans… La combinaison gimes de mousson, à 2050, victimes pacités d’adapta-
de variables défavorables sera particu- sont également très de l’eondrement tion, l’agriculture
lièrement préjudiciable en Afrique sahé- exposés. Ailleurs, peut contribuer à
lienne, au point de rendre de plus en plus les changements
agropastoral et limiter les change-
invivable cette région déjà bouleversée seront également des guerres qui en ments climatiques.
politiquement par les changements cli- à l’œuvre, avec découleront. La méthanisation
matiques. Pire: les eets de ce change- des basculements des euents d’éle-
ment seront d’autant plus massifs que, culturaux déjà observables. Mais s’ils se- vage, l’agrobiologie, le développement
sur le plan institutionnel, c’est la région ront peut-être moins massifs, c’est parce de l’agroforesterie qui associe arbres
au monde la plus fragile. La diculté du que les variables de l’agriculture seront et cultures ou animaux sur une même
voisinage entre agriculteurs et pasteurs moins aectées mais surtout parce que parcelle peuvent en eet réduire les
risque ainsi de renforcer la violence des ces régions ont de plus grandes capaci- émanations de GES. Mieux, l’agriculture
conflits pour la ressource. Bien que déjà tés en termes de réponses économiques pourrait absorber une grande partie des
marqués du sceau de l’aridité, l’Afrique et institutionnelles. émissions de GES. Un taux de croissance
du Nord et le Moyen-Orient sont égale- de 0,4 % des stocks de carbone du sol,
ment un hot spot des changements cli- ASSURÉMENT BIENFAITRICE ou 4‰ par an, pourrait en eet annuler
matiques. Là aussi, l’état des institutions les émanations annuelles de CO2 liées
dans certains pays en guerre (Yémen, Dans tous les cas, les activités agropasto- aux activités humaines. C’est tout l’inté-
Syrie, Libye) ou tout juste en sortie de rales vont devoir s’adapter à ce nouveau rêt de l’initiative 4/1000 qui, si elle ore
guerre (Irak) n’arrange pas les situa- paradigme climatique. Des adaptations des perspectives, ne saurait exonérer les
tions. L’Asie du Sud s’avère également sont déjà bien engagées sur le plan des individus de leurs eorts en matière de
particulièrement exposée en termes de conduites culturales, des innovations modes de vie.

La migration provoquée par la sécheresse en Syrie Les bouleversements démographiques constituent
entre 2006 et 2010, où près de 60 % de la population une situation inédite pour la planète. Mais leurs inci-
a connu une grave sécheresse, est un bon exemple dences sur la sécurité alimentaire sont d’autant plus
des incidences climatiques qui peuvent être massives fortes qu’ils se croisent avec des changements clima-
autant que systémiques. Au moment des premières tiques tout autant exceptionnels au regard des temps
longs de l’histoire. Responsables en partie de cette
mobilisations politiques en mars 2011, près d’un
crise climatique, l’agriculture et l’élevage ont aussi
million de Syriens avaient été exposés à l’insécurité
de remarquables capacités d’adaptation. Mieux, ils
alimentaire tandis qu’environ 200 000 personnes présentent un espoir pour la lutte contre les violences
avaient quitté leurs exploitations agricoles vers les climatiques qui s’exercent déjà.
zones urbaines. La région de la Djézireh au nord-est
avait particulièrement subi cette crise climatique.
Les effets de cette sécheresse avaient été décuplés
par la mal-gouvernance et des choix de politiques
publiques (multiplication des forages, marginalisa-
tion de la région de la Djézireh dans les politiques
d’aménagement du territoire, morcellement foncier,
libéralisation économique, etc.). Si la révolution avor-
tée a été portée par un ras-le-bol de la corruption, de
l’autoritarisme et des inégalités criantes, nul doute
que cette sécheresse a aussi joué un rôle.

LES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX LIÉS
AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES
OC
PA ÉA
CI N
FI
Q
U
Istanbul E
New York Tokyo
Los
Angeles Séoul Osaka
Shanghai
É AN Le Caire
Karachi
Calcutta Dacca
OC E Hong Kong
I QU
NT
LA
OC AT Mumbai Manille
PA ÉA
CI N Bangkok
FI
Q
U Lagos
E ÉA N
OC
I EN
I ND Jakarta
Rio de Janeiro
Buenos Aires
2000 km
Désertification Augmentation des cyclones Épuisement des stocks de poisson

Risque de submersion marine Villes de plus de 10 millions
Augmentation des risques d’incendie d’habitants soumises au risque
Baisse des précipitations de submersion marine
FCHE 38
MOYEN-ORIENT:
L’INSÉCURITÉ À JAMAIS?
Après leur sortie de la tutelle occiden-
tale à l’issue de la Seconde Guerre mon- les pays fournisseurs, en particulier les
diale, certains pays du Moyen-Orient États-Unis. d’aménager le Nil pour accroître les sur-
ont essayé de construire des politiques faces irriguées dans le pays. L’Égypte
de sécurisation alimentaire, gages d’in- SÉCURISER gagna ainsi quelque 1,5 million d’hec-
dépendance et de stabilité politique. LES PAYS DU FRONT tares sans toutefois parvenir à l’autosuf-
Dans un contexte de forte croissance fisance du fait de son énorme croissance
démographique, il s’agissait d’accroître L’Égypte et la Syrie illustrent cette re- démographique de 1950 à nos jours.
la productivité agricole pour se rap- cherche d’une « capacité à refuser de En Syrie, avec la prise du pouvoir par
procher au mieux de l’autosusance, faire», un attribut de la puissance, fon- le parti Baas en 1963, une politique hy-
notamment pour les céréales qui consti- dée sur le développement hydro-agri- dro-agricole fut conduite pour lui per-
tuaient de loin la base alimentaire, et cole pour parvenir à l’autosusance mettre d’être aussi un pays du front
ainsi s’abstraire le plus possible de alimentaire. À son arrivée au pou- contre Israël. Pour faire sa révolution
l’utilisation de l’arme alimentaire par voir, Nasser envisagea notamment rurale et alimentaire, le parti Baas misa

notamment sur les eaux de l’Euphrate Trop hâtivement sans doute, on a vu en 1973 juste après la guerre de Kippour
et de l’Oronte pour accroître sa produc- dans le mouvement révolutionnaire qui pour s’exonérer de l’arme alimentaire
tion basée aussi sur la mobilisation des s’est produit à partir de 2011 une nou- américaine. Des grandes structures
eaux souterraines. Elle parvint ainsi à velle expression de ces émeutes de la agricoles avaient alors été créées dans le
l’autosusance jusqu’à la sécheresse de faim. Les pays de la région eux-mêmes désert pour y produire des céréales et ir-
2006-2010 dont les eets n’ont pas été firent cette interprétation en accroissant riguer à partir des nappes d’eau fossiles.
marginaux dans la révolte de 2011. d’urgence leurs subventions aux impor- Non seulement l’Arabie saoudite devint
À l’exception de la Syrie, l’objectif d’indé- tations. L’histoire leur avait en eet dé- autosusante mais elle accéda au rang
pendance alimentaire fut par la force des montré que la faim pouvait être source de grand exportateur de céréales, ren-
choses assez souvent abandonné. Aussi, d’instabilité. Néanmoins, ils n’avaient forçant ainsi son soft power dans la ré-
pour éviter de s’exposer aux émeutes de pas retenu ce que l’histoire enseigne gion. Cependant, en 2008, les autorités
la faim, les États de la région lancèrent-ils, aussi: que, par-delà le pain, l’on ne peut saoudiennes décidèrent d’interrompre
en parallèle de leurs plans hydro-agri- pas endiguer indéfiniment le flot des as- ce modèle : les grandes structures agri-
coles, des programmes de subventions pirations à la liberté et à la dignité des coles présentes dans le désert saoudien
aux importations parfois lourds à soute- peuples. ont ainsi été encouragées à se relocali-
nir. Quand certains eurent des velléités ser dans des pays riches en terres et en
de suspendre cette aide, des émeutes LA RENTE POUR eau. Même un pays très riche comme
se produisirent (l’Égypte en 1977 et la L’ARABIE SAOUDITE le Qatar cherche à renforcer sa sécuri-
Jordanie en 1988), ce qui soulignait l’in- té alimentaire en dopant sa production
sécurité alimentaire de la région. Si la sécurisation interne par l’autosuf- locale et en investissant à l’étranger.
Fort heureusement pour ces pays, la fisance en produits de base n’a prati- Cet impératif est d’autant plus impé-
diminution des prix des produits agri- quement pas été atteinte, elle est encore rieux qu’il est soumis depuis 2017 à un
coles sur les marchés mondiaux, notam- moins envisageable actuellement, le embargo de la part de ses voisins du
ment dans un contexte de guerre com- rapport ressources/population dans la Golfe. Ceci prouve encore l’acuité de la
merciale entre Américains et Européens région ne permettant plus d’atteindre question de la sécurité alimentaire et
à partir des années 1980, leur permit cet objectif. Riches de leur rente, les pays ses incidences politiques évidentes. La
de faire des économies sur ces pro- du Golfe font pourtant valoir des atouts limitation des livraisons de la mer Noire
grammes. Cependant, avec l’accroisse- pour contourner cette fatalité. C’est en dans le cadre de la guerre en Ukraine
ment des prix en2007 et2008, les bud- particulier le cas de l’Arabie saoudite. est venue souligner cette précarité.
gets s’envolèrent pour amortir le choc. Ce pays avait décidé d’être autosusant

Du fait d’une volonté de puissance affirmée, et mal- En dépit de ses contraintes environnementales, le
gré sa richesse en pétrole, l’Iran n’a pas négligé son Moyen-Orient a accordé une place de premier choix
agriculture. Déjà sous le chah, ce pays adopta une à l’agriculture. Soucieux de stabilité interne et d’in-
réforme agraire pour redistribuer la terre et ainsi dépendance alimentaire par rapport à des gros four-
nisseurs comme les États-Unis, les pays de la région
catalyser la production tout en se prémunissant des
se sont adonnés à de gros investissements hydro-
mobilisations des paysans sans terre. Mais c’est sur-
agricoles et parfois à un fort encadrement paysan.
tout après la révolution islamique en 1979 que l’Iran a Mais l’équation entre production et croissance dé-
mis ce secteur au centre de son agenda politique. Le mographique n’a pratiquement pas été résolue sans
ministère pour le Jihad agricole fut chargé de la mis- compter que cette politique a hypothéqué durable-
sion de ne plus dépendre des approvisionnements du ment les ressources naturelles.
« satan » américain. Entre autres instruments de cette
politique, le pouvoir se lança dans un équipement hy-
draulique, les gardiens de la révolution étant char-
gés de la construction des barrages. Ayant peu tenu
compte des contraintes environnementales tout en
fonctionnant comme une pompe à corruption, cette
politique de barrages a conduit à une crise de l’eau
qui menace le pays sans compter que la dépendance
alimentaire n’est guère résolue.

LE TAUX DE DÉPENDANCE
Le Moyen-Orient est distingué ici entre pays du Golfe arabo-persique, Levant, Égypte et Turquie. AUX IMPORTATIONS ALIMENTAIRES
P  G
T -
L
 S
T
I
 I
I
K 50 %
J
É A  B
180 millions d’habitants

 
É L T
10 %
36 %
51 %
80 millions d’habitants 45 millions d’habitants 74 millions d’habitants

FCHE 39
ÉTHIOPIE:
L’ÉMERGENCE INCERTAINE
L’Éthiopie est de retour sur le ter-
rain économique et géopolitique. 1930 à 1974), redonnèrent au pays une
L’agriculture se trouve en très bonne surface cinq fois plus grande en moins pourtant plus proche du pouvoir. Cette
position dans le nouveau dessein de d’un siècle. En incorporant les zones combinaison de facteurs ainsi que le ras-
puissance du pays. Pourtant, c’est cette afar, somali et oromo du centre et du le-bol de l’autoritarisme provoquèrent
même Éthiopie qui a connu des fa- sud, plus ou moins islamisées, l’Éthio- la révolution marxiste de 1974 qui lança
mines d’une rare violence. pie redevint un vaste pays de 1,2million une vaste étatisation de la terre, avec de
de kilomètres carrés. Pour contrôler ces piètres résultats. Une nouvelle famine
TRAGÉDIES PASSÉES territoires, le pouvoir établit de grands se produisit en 1983 qui contribua à dé-
domaines agricoles où étaient employés légitimer Haile Mariam Mengistu. Près
Après un long reflux territorial de quatre des paysans sans terre. Leur statut pré- de 2 millions d’Éthiopiens périrent et
siècles, les Amhara-Tigréens chrétiens caire constituait une source de ressenti- 700 000 personnes furent déplacées.
du Nord, sous les règnes de Ménélik II ment, tandis qu’au nord la famine à l’au- Ce contexte facilita la confluence de
(de1889 à1913) et d’Hailé Selassié (de tomne 1973 mécontenta une population diérentes rébellions ethniques qui

obtinrent le départ de Mengistu en 1991, Premièrement, son potentiel humain. à 200 millions de têtes de bétail. Mais
facilité par la disparition de l’URSS qui En 2050, avec près de 190millions d’ha- le pays veut aussi exporter : des fleurs
avait parrainé l’Éthiopie. bitants prévus, l’Éthiopie entrera dans coupées, des céréales et surtout du café,
Le nouveau dirigeant, Meles Zenawi, se le classement des dix nations les plus dont l’Éthiopie est aujourd’hui le deu-
lança dans une révolution verte suppo- peuplées du monde. Avec 110millions, xième fournisseur mondial.
sée faire reculer l’insécurité et la dépen- c’est déjà la deuxième population afri- L’eau constitue la troisième ressource
dance alimentaires. Un premier échec le caine. Si la jeunesse caractérise cette so- sur laquelle le pays s’appuie. Château
conduisit au milieu des années2000 à se ciété (40% des Éthiopiens ont moins de d’eau de la Corne de l’Afrique, ayant
tourner vers les investissements interna- 15ans), l’Éthiopie est surtout très rurale. la main sur le robinet que constitue le
tionaux, l’État pouvant allouer les terres 80 % des habitants vivent encore dans bassin du Nil, construisant avec le bar-
qu’il avait étatisées sous Mengistu. Ces les campagnes où ils travaillent surtout rage de la Renaissance l’un des édifices
investissements avaient beau concerner dans l’agriculture, secteur qui contribue hydrauliques les plus importants de la
les régions les moins peuplées, c’est par- pour deux tiers à l’emploi total du pays. planète, l’Éthiopie dispose d’atouts cer-
fois au prix d’expulsions que cette poli- L’État veut stabiliser les populations en tains dans ce domaine. Toutefois, les
tique fut conduite. Pendant ce temps, milieu rural et les mobiliser au service inégalités sont criantes et les rivalités,
dans les hautes terres, les plus habitées d’une puissance agricole en devenir. La intérieures comme régionales, pour-
du pays, l’agriculture n’avait pas connu formation, l’innovation et la garantie de raient s’accroître demain.
une véritable transformation. revenus sont essentielles pour séduire la Dernière ressource clef : le ciel. Avec
jeunesse éthiopienne. Ethiopian Airlines, le pays s’est doté
PROMESSES ET INQUIÉTUDES Deuxième ressource : la terre. Les sur- d’une compagnie aérienne compéti-
faces arables sont volumineuses et deux tive. Les produits agricoles, éthiopiens
Engagé dans l’accélération des chan- tiers d’entre elles toujours inexploitées. ou du monde, sont déjà à bord des car-
gements, le Premier ministre Abiy Plus de 5millions d’hectares ont été mis gos aériens déployés sur le continent
Ahmed, Prix Nobel de la paix 2019, en culture au cours des deux dernières et le globe.
tente d’aller de l’avant en conjuguant décennies. L’agriculture pèse pour 80% Mais la valorisation de ces atouts est
ouverture économique, réformes po- de l’emploi, 35% du PIB et 40% des ex- suspendue au retour de la stabilité
litiques et dialogues interethniques. portations totales du pays. L’Éthiopie alors que les conflits internes ont re-
Pour favoriser son développement et mise sur le secteur pour accroître sa sé- pris depuis 2020, notamment dans la
renforcer son influence, l’Éthiopie mise curité alimentaire, possédant également région du Tigré.
sur quatre ressources. le plus grand cheptel africain, avec 150

L’Éthiopie, immense géographiquement (1,1 million Comptant 110 millions d’habitants, riche en terre et
de km2, soit deux fois la taille de la France), présente en eau, l’Éthiopie ne cache pas son désir de puis-
la particularité d’être enclavée. L’absence d’accès sance. La croissance économique, la multiplication
à la mer pose d’indéniables défis. Le relief monta- des investissements étrangers et les réformes mises
gneux du pays ne facilite pas les choses, la moitié en place propulsent l’Éthiopie sur le devant de l’émer-
gence africaine. Pour son développement, le pays
des Éthiopiens vivant à des altitudes supérieures à
s’appuie sur un secteur agricole important, à la fois
2 000 mètres. Pour échanger avec les marchés in-
en termes d’emploi mais aussi de cultures straté-
ternationaux, l’Éthiopie dépend à 90 % de Djibouti, giques comme le café, à même de contribuer aux
indispensable voie de respiration commerciale exportations. La lutte contre la pauvreté rurale consti-
et portuaire. Le réchauffement du dialogue avec tue une priorité des pouvoirs publics, conscients des
l’Érythrée doit se comprendre à l’aune de cette pro- fragilités territoriales et ethniques qui perdurent au
blématique géographique et logistique, car la ma- sein d’un pays par ailleurs privé d’accès à la mer.
ritimisation du développement de l’Éthiopie est un
objectif affiché par les autorités… et soutenu notam-
ment par la Chine. Addis-Abeba abritant le siège de
l’Union africaine, l’Éthiopie est également l’une des
forces motrices de la mise en place de la ZLEC, appe-
lée à devenir la plus vaste du monde.

M
É Économie et tensions internes
e
r R
Aksoum
A
Aksoum
ksou
ksoum Y Route principale
ou
S
ge
Voie ferrée
(janvier 2018)
Metema Parc industriel
existant ou en projet
n
de Principales manifestations
A
D d’ (janvier-septembre 2018)
Ad-Damazin
fe
Djibouti
ol
Principales zones agricoles
G
Élevage bovin et cultures
céréalières
Élevage extensif et cultures
Assosa vivirières disperses
S
Addis-
Addis-
Addis- Culture de café
Gimbi Nekemte Abe
Abeba
Abe
Abeba Djidjiga
Harar Zones les plus touchées
par l’insécurité
Debr
Debre
Debre alimentaire en août 2018
Zeyit
Zeyit
Zeyit
Assella
ÉTHIOPIE, SITUATION ÉCONOMIQUE
ET GÉOPOLITIQUE
N
ÉA
Arba Minch O C I EN
D
S IN
S
 
Yabelo
Situation humanitaire
Mega
Mega Camp de réfugiés
K   Flux de réfugiés
FCHE 4O
FRANCE: UN ÉQUILIBRE À TROUVER

La France est une puissance de pre-
mier rang sur la scène internationale. ne prend fin qu’en 1949. L’agriculture se
Disposant de nombreux atouts, elle retrouve au cœur de la modernisation qui découvrent la grande distribution,
cherche à les entretenir pour contrer le de l’économie et de la recherche d’in- mangent bien plus et mieux, en dé-
risque de déclassement stratégique. Ce dépendance. Les lois d’orientation de pensant surtout moins.
constat vaut tout particulièrement pour 1960-1962 et la mise en place de la PAC Les agriculteurs ont fait le travail. Le
l’agriculture, secteur phare pour l’écono- facilitent les progrès en matière agrono- développement agricole est tel que la
mie, les territoires et l’influence du pays. mique, de formation, de mécanisation France se met à exporter vers les mar-
des exploitations, de structuration de chés communautaires qui s’élargissent
UN DEMI-SIÈCLE la profession et de financement des in- ou vers d’autres continents où les be-
DE TRANSFORMATIONS vestissements. Dans un pays attaché à soins explosent. De 1980 à 1995, le pays
ses racines rurales, les décideurs et la s’installe à la deuxième place des puis-
Au lendemain de la Seconde Guerre société attendent des agriculteurs que sances agro-exportatrices du monde,
mondiale, l’agriculture française connaît les rendements s’améliorent et que la derrière les États-Unis. Bénéficiant d’un
une évolution profonde. Les combats production s’accroisse. La peur de man- cadre politique stimulant, d’une stabilité
ont tué des paysans, ravagé des outils quer disparaît, la sûreté sanitaire s’am- climatique certaine et du déploiement
de production et endommagé des in- plifie et le maillage logistique s’étend. de filières agro-industrielles, la France
frastructures. Le rationnement du pain À partir des années1970, les Français, s’agrandit sur un planisphère quand

l’attention porte sur le pouvoir vert de 2millions de salariés, 6% du PIB et près encore, elle importe davantage que
l’alimentaire. Semences, céréales, lait et de 20000entreprises (essentiellement par le passé, sans toujours veiller aux
produits laitiers, sucre, animaux vivants, des PME-PMI). La France produit, mais normes des produits venant d’ailleurs,
vins et spiritueux: autant de domaines surtout transforme, transporte et com- ce qui provoque la colère d’agriculteurs
où les productions françaises sont par- mercialise des aliments reconnus dans nationaux soumis à des réglementa-
mi les premières en Europe et les plus le monde entier pour leur qualité. En tions parfois plus contraignantes.
importantes au monde. À ces volumes outre, l’accompagnement des politiques D’aucuns estiment que la question de
s’associent des performances en ma- publiques, européennes ou nationales la souveraineté alimentaire du pays se
tière scientifique, de formation d’ingé- s’est repositionné davantage sur les pose à nouveau. D’autres pensent que
nieurs et d’innovations socio-organisa- questions environnementales et so- la France peut demeurer l’une des puis-
tionnelles comme les coopératives ou ciétales. Alimentation, énergie, climat, sances agricoles de ce siècle, à condi-
les labels de qualité. L’agriculture contri- vitalité rurale : le secteur est attendu tion de le vouloir et de s’en donner les
bue aussi à l’attractivité touristique sur de nombreux fronts. La compétiti- moyens techniques et budgétaires.
d’une France réputée pour ses paysages vité économique en soure parfois, tout Et certains préconisent les approches
et sa gastronomie. comme le bien-être des agriculteurs. Ils terroirs, l’agroécologie et la montée
s’interrogent sur les moyens de récon- en gamme des productions pour dié-
S’ADAPTER À DE NOUVELLES ciliation avec cette population qui les rencier l’ore française dans le pays et
RÉALITÉS méconnaît. dans le monde. Au-delà de ces scéna-
La recomposition des équilibres plané- rios, il serait judicieux de réhabiliter la
La société est cependant déconnectée taires touche pleinement l’agriculture géopolitique – locale et globale – dans
des réalités tant agricoles que rurales. française. La concurrence s’intensifie, les grilles d’analyse servant à piloter les
Alors que la sécurité alimentaire n’a émanant d’autres puissances, euro- aaires publiques, les stratégies éco-
jamais été aussi élevée, les urbains se péennes ou internationales, mais éga- nomiques et les multiples transitions à
distancient du secteur. Les agricul- lement d’acteurs privés qui n’hésitent propos de l’agriculture. Et reconnaître
teurs sont ultra-minoritaires (1 % des plus à convoiter les ressources fon- que le «modèle» français se situe dans
Français) et le PIB agricole invisible cières, scientifiques et alimentaires de la diversité de ses exploitations, de ses
(1,5 %). Environ 400 000 exploita- l’Hexagone. À force de ne pas anticiper entreprises et de ses productions.
tions parsèment le territoire, trois fois ces changements, la France a perdu sa De l’agriculture en France demain : c’est
moins qu’en 1990. L’économie est de- cohérence stratégique agricole ainsi indispensable.
venue agroalimentaire, avec plus de que des parts de marché. Si elle exporte

FOCUS À RETENIR
La France joue son rôle dans la recherche d’une Après un demi-siècle de progrès remarquable, la
meilleure sécurité alimentaire mondiale. Outre ses France s’interroge sur la trajectoire que le secteur
atouts géographiques, techniques et humains pour agricole doit prendre. Les attentes sociétales et la
produire et vendre des aliments sains et diversifiés, hiérarchie des puissances internationales se sont
elle compte un tissu d’acteurs engagés à l’exté- transformées. Si le pays demeure un grand produc-
teur et un exportateur dans plusieurs filières, les dy-
rieur. Entre l’action des pouvoirs publics sur le ter-
namiques à favoriser entre économie, innovation et
rain diplomatique, scientifique et de défense, celle
environnement suscitent le débat. En Europe comme
des opérateurs privés et des entreprises, des écoles à l’international, la compétitivité de l’agriculture fran-
de formation et des centres de recherche, sans ou- çaise est en jeu.
blier les initiatives essentielles de la société civile, la
France présente un éventail très large de mobilisation
favorable au développement agricole et aux équi-
libres alimentaires internationaux. Cette influence
positive, que la dimension européenne renforce, peut
progresser si les différentes parties prenantes tra-
vaillent davantage ensemble demain. La complexité
géopolitique des défis agricoles et alimentaires mon-
diaux exige de croiser les approches, de resserrer les
rangs et de fédérer les moyens.

Ét
at 160
110
20
170
30
80
50
100
40
0
60
90
150
120
130
140
10
70
s-U
ni
Pa s 170
ys 171
-B
A ay
lle s 108
m 112
ag
ne
94
Br 96
és
il 88
Ch 93
in
e 76
Fr
an 83
ce
73
Ca
na 77
da
Es 67
pa 69
gn
e 57
Ita 60
lie
In
do 48
né 51
si
Th e 50
aï 46
la
nd
e 43
In 44
de
Po 40
lo 39
gn
e 34
Ru 37
ss
ie 29
M
ex 35
iq
ue
A 33
rg
en 35
tin
e 36
Vi
2017
2018
N et 34
ve na
m
(en MUSD)
lle
-Z 30
él
an 32
de
agroalimentaires du monde.
27
Ces vingt pays font ensemble
les deux tiers des exportations
M
al
ai 29
si
e 29
Ch 27
ili 21
AGROALIMENTAIRES MONDIAUX
24
LES  PLUS GRANDS EXPORTATEURS
BIBLIGRPHIE BLANC Pierre et CHAGNOLLAUD
Jean-Paul, Israël face à Israël,
promesses et dérives d’une utopie,
DURY Sandrine, BENDJEBBAR
Pauline, HAINZELIN Étienne,
GIORDANO Thierry et BRICAS
ABIS Sébastien, Géopolitique du Autrement, 2018. Nicolas (sous la dir. de), Food Systems
blé. Un produit vital pour la sécurité at Risk: New Trends and Challenges,
BLANC Pierre et GIBLIN Béatrice
mondiale, IRIS Éditions, Armand FAO, CIRAD et Commission
(sous la dir. de), Géopolitique de
Colin, 2015. européenne, 2019.
l’agriculture, Hérodote, 2015.
ABIS Sébastien et BLANC Pierre Eurispes, Coldiretti, Osservatorio
CHAUMET Jean-Marc et POUCH
(sous la dir. de), Agriculture sulla criminalità nell’agricoltura e sul
Thierry, La Chine au risque de la
et alimentation: des champs sistema agroalimentare, Agromafie:
dépendance alimentaire, Presses
géopolitiques de confrontations au 6°Rapporto sui crimini agroalimentari
universitaires de Rennes, 2017.
xxiesiècle, Cahier n°13, DEMETER, in Italia, Minerva Edizioni, Febbraio
2012. COCHET Hubert, Comparative 2019.
Agriculture, Springer Quae, 2015.
ABIS Sébastien, BRUN Matthieu FAO, La situation mondiale de
(sous la dir. de), Le Déméter 2020, COLLINGHAM Lizzie, The Taste of l’alimentation et de l’agriculture
DEMETER, IRIS Éditions, 2020. War: World War II and the Battle for 2018. Migrations, agriculture et
Food, Penguin Press, New York, 2012. développement rural, 2018.
BADIE Bertrand, Nous ne sommes
plus seuls au monde. Un autre regard COUTANSAIS Cyrille (sous la dir.), FAO, The Future of Food and
sur l’«ordre international», La La Terre est bleue. Atlas de la mer au Agriculture. Trends and Challenges,
Découverte, 2016. xxiesiècle, Les Arènes, 2015. 2017.
BLANC Pierre, Terres, pouvoirs et DE CASTRO José, Géopolitique de la FAO, The State of World Fisheries and
conflits, Presses de Sciences Po, 2018 faim, Éditions Ouvrières, 1952. Aquaculture 2020. Sustainability in
(nouvelle édition 2020). action, 2020.
DE CHÂTEL Francesca, Vanishing
BLANC Pierre, Proche-Orient: le Landscape in the Middle East, 2014. FAO, Banque mondiale, UNICEF,
pouvoir, la terre et l’eau, Presses de OMS, IFAD et PAM, The State of Food
DUFUMIER Marc, Agricultures et
Sciences Po, 2012. Security and Nutrition in the World,
paysanneries des Tiers mondes,
Safeguarding against Economic
Karthala, 2004.
Slowdowns and Downturns, 2019.

FRASER Evan D.G. et RIMAS Andrew, KAPLAN Robert L., The Revenge of NAMM Ramez, The Infinite Resource:
Empires of Food. Feast, Famine and Geography: What the Map Tells Us the Power of Ideas on a Finite Planet,
the Rise and Fall of the Civilizations, About Coming Conflicts and the Battle University Press of New England,
Arrow Books, Croydon, 2010. Against Fate, Random House, 2012. 2013.
GANDILHON Michel, La guerre des LANDES David, Richesse et pauvreté ONU, World Population Prospects, The
paysans en Colombie. De l’autodéfense des nations, Albin Michel, 1998. 2019 Revision.
agraire à la guerilla des Farc, Les ONU, World Urbanization Prospects,
LEBEAU René, Les grands types
Nuits rouges, 2011. The 2018 Revision.
de structure agraire dans le monde,
GRAZIANO DA SILVA José, Armand Colin, 1996. POTIER Dominique, BLANC Pierre
LACIRIGNOLA Cosimo (éd.), Zero et GRIMONPREZ Benoît, La terre en
LEJEUNE Hervé, Un monde sans faim.
Waste in the Mediterranean. Natural commun, plaidoyer pour une justice
Nous pourrons nourrir le monde en
Resources, Food and Knowledge, The foncière, Fondation Jean Jaurès, 2019.
2050, L’Harmattan, 2013.
Mediterra Report, CIHEAM-FAO, Les
Presses de Sciences-Po, 2016. LE MOUËL Chantal, DE LATTRE PURSEIGLE François, NGUYEN
GASQUET Marie, MORA Olivier Geneviève, BLANC Pierre, Le nouveau
GRIFFON Michel, Nourrir la planète, capitalisme agraire, de la ferme à la
(sous la dir. de), Land Use and Food
Odile Jacob, 2006. firme, Presses de Sciences Po, 2017.
Security in 2050: a Narrow Road,
GUIBERT Martine et JEAN Yves Éditions QUAE, 2018. SHAW John D., World Food Security:
(sous la dir. de), Dynamiques des A History since 1945, New York,
LINHART Robert, Lénine, les paysans,
espaces ruraux dans le monde, Palgrave-Macmillan, 2007.
Taylor, Seuil, 2010.
Armand Colin, 2011.
MALASSIS Louis, L’épopée inachevée WOLF Éric, Les guerres paysannes du
HERVIEU Bertrand, Les orphelins de vingtième siècle, François Maspero,
des paysans du monde, Fayard, 2004.
l’exode rural, Essai sur l’agriculture et 1974.
les campagnes du xxi esiècle, L’Aube, Ministère de l’Agriculture, de
2008. l’Agroalimentaire et de la Forêt, Centre ZUREIK Rami, Food, Farming and
d’études prospectives (collectif), Freedom: Sowing the Arab Spring, Just
HERVIEU Bertrand et PURSEIGLE world books, 2011.
MOND’Alim 2030. Panorama
François, Sociologie des mondes
prospectif de la mondialisation
agricoles, Armand Colin, 2013.
des systèmes alimentaires, La
Documentation française, 2017.
BIBLIOGRAPHIE . 177
INDX
A
agriculteurs 6, 7, 15, 16, 34, 53, colonisation 70, 72, 73, 76, 77, diplomatie 103, 112, 123, 124, environnement 35, 68, 108,
64, 65, 66, 69, 86, 102, 103, 127, 78, 89, 130 131, 149 149, 174
128, 140, 142, 149, 152, 157, 161, commerce 38, 39, 40, 42, 47, Diplomatie 53 exportation 40, 99, 100, 108,
172, 173 52, 53, 54, 81, 93, 99, 104, 111, distribution 34, 35, 39, 62, 73, 127
Antiquité 52 112, 124, 127, 134, 135, 144, 145, 86, 107, 136, 153, 154, 157, 172 exportations 28, 39, 53, 92,
aquaculture 26, 27, 28, 43, 135 148, 153, 154 drogue 80, 81, 82, 145, 146 99, 100, 106, 107, 110, 111, 112,
autosusance 104, 116, 132, compétitivité 111, 135, 173, 174 droit 30, 76, 89, 108, 149, 150 123, 127, 169, 170
164, 165 confli 65
conflit 7, 32, 43, 51 ,53, 54, 56, E F
B 57, 60, 64, 65, 66, 69, 78, 80, 81, eau 19, 22, 23, 24, 35, 60, 61, faim 19, 20, 30, 31, 32, 42, 107,
barrage 23, 61, 62, 118, 119, 85, 86, 88, 89, 90, 94, 119, 140, 62, 90, 107, 110, 114, 119, 120, 108, 120, 130, 148, 165
166, 169 141, 149, 161 122, 124, 128, 131, 149, 165, 166, femmes 7, 15, 58
bassin 23, 60, 61, 90, 120, 169 consommateur 35, 102, 103, 169, 170 fleuve 22, 39, 61, 68, 131
blé 52, 92, 111, 112, 114, 115, 124, 146, 152, 157, 158 écosystème 42, 47, 102, 135 foncier 18, 19, 65, 68, 69, 76,
116, 127, 131 coopération 123, 124, 131, éducation 43 77, 84, 98, 107, 115, 119, 132, 162
135, 148 élevage 18, 44, 52, 64, 68, 70, frontière 56, 68, 89, 90
C 106, 108, 111, 127, 135, 145, 161, frontières 19, 39, 47, 88, 140,
céréale 112 D 162 141, 142, 146, 149, 152
céréales 24, 39, 52, 53, 54, 93, détroit 134 embargo 39, 111, 149, 165 fruits 39, 123, 145
99, 112, 116, 123, 127, 130, 131, développement 14, 15, 16, 20, emploi 15, 16, 27, 123, 169, 170
136, 153, 164, 165, 169, 173 24, 36, 38, 43, 52, 62, 66, 68, énergie 15, 20, 32, 35, 93, 112, G
classe moyenne 11, 12, 35, 70, 73, 92, 102, 114, 118, 120, 149, 173 gaspillage 35, 39
123, 154 123, 124, 130, 131, 134, 144, 148, entreprise 47, 104, 106, 115, génocide 64
climat 23, 24, 98, 110, 122, 123, 150, 154, 156, 161, 164, 169, 170, 123, 124, 128, 135, 136, 145, 149, gouvernance 34, 35, 36, 72,
160, 173 172, 174 152, 153, 154, 157, 173, 174 150, 162

Gouvernance 148 123, 124, 135, 136, 157, 166, 169, 36, 39, 40, 52, 110, 146, 170 Paix 81
guerre 15, 23, 30, 31, 53, 57, 170, 172 migration 15, 16, 31, 162 pastoralisme 43, 64, 66
58, 60, 61, 66, 69, 73, 76, 77, 78, irrigation 19, 22, 23, 24, 61, 90, militaire 27, 54, 56, 61, 66, 77, pauvreté 12, 24, 30, 31, 32, 73,
80, 81, 85, 89, 92, 98, 99, 100, 119, 123, 131 81, 84, 86, 106, 112, 123, 146 74, 115, 131, 144, 170
102, 104, 119, 120, 142, 149, 150, mondialisation 14, 44, 134, Pauvreté 15
161, 165 J 148, 150, 152 paysans 6, 19, 23, 54, 57, 58,
Guerre 30, 53, 54, 56, 57, 58, jeunes 16, 31, 123, 141 64, 66, 69, 72, 73, 74, 76, 77, 80,
99, 100, 127, 140, 141, 164, 172 N 81, 82, 84, 85, 89, 90, 107, 108,
L nationalisme 89, 90, 118 115, 123, 130, 131, 132, 140, 141,
H légumes 24, 123, 145 Nationalisme 150 166, 168, 172
huile 39, 93, 123, 136, 145 logistique 34, 35, 36, 39, 40, négoce 136, 153, 154 Paysans 140
hydro-hégémonie 60, 61 53, 104, 115, 123, 134, 135, 136, Négoce 153 pêche 26, 27, 28, 123, 145, 146
145, 153, 172 normes 42, 145, 173 poisson 27, 28
I logistique, 170 numérique 77, 111, 149, 156, population 10, 11, 12, 14, 15,
importation 127, 128 157, 158 20, 23, 30, 31, 32, 34, 36, 53, 56,
importations 27, 40, 115, 165 M nutrition 135, 148 57, 65, 69, 70, 76, 78, 80, 85, 114,
inégalité 78 mafia 144, 145 122, 124, 126, 130, 135, 162, 165,
inégalités 15, 31, 38, 40, 43, 54, mafias 145 O 168, 169, 173
58, 77, 82, 107, 149, 162, 169 maïs 53, 92, 100, 114, 115, 116 obésité 43, 44 port 53, 104, 123, 134, 144
innovation 30, 36, 38, 47, 111, malnutrition 42, 43, 44, 131 précipitations 23, 124, 161
134, 135, 136, 149, 156, 157, 158, marchés 11, 12, 15, 27, 32, 35, P prix 19, 20, 31, 32, 35, 39, 44,
161, 169, 173, 174 44, 47, 53, 99, 100, 102, 112, 122, PAC 99, 102, 103, 104, 128, 52, 53, 54, 58, 65, 111, 115, 122,
inondations 22, 31 135, 144, 145, 149, 153, 154, 156, 141, 172 127, 149, 157, 165, 169
investissement 14, 19, 40, 47, 157, 165, 170, 172 paix 7, 15, 52, 53, 73, 80, 81, 82, productivité 18, 22, 23, 24,
92, 106, 110, 115, 118, 119, 120, mer 14, 19, 23, 26, 27, 28, 35, 102, 104, 119, 169
INDEX . 179
130, 164 116, 122, 123, 124, 132, 140, 141, T
propriété 72, 74, 76, 84, 86, 142, 145, 146, 156, 157, 164, 169, technologie 104, 135, 156, 157
106, 108, 126, 130 170, 172, 173 terre 19, 26, 39, 57, 64, 65, 68,
puissance 6, 7, 53, 57, 61, 69, 69, 70, 72, 73, 76, 77, 80, 81, 82,
72, 86, 98, 99, 100, 103, 104, S 84, 85, 86, 88, 89, 92, 100, 107,
106, 108, 110, 111, 112, 115, 116, santé 42, 44, 46, 47, 148, 157, 108, 119, 126, 160, 166, 168,
118, 119, 126, 127, 130, 131, 134, 158 169, 170
136, 154, 157, 158, 164, 166, 168, science 53, 148, 149 Terre 78
169, 170, 172 sécheresse 31, 64, 111, 122,
puissances 39, 52, 97, 110, 111, 131, 162, 165 U
126, 128, 149, 172, 173, 174 sécurité 10, 11, 15, 19, 23, 26, urbain 14, 19, 34, 35, 36, 48, 81,
30, 34, 35, 36, 38, 42, 46, 48, 102, 162, 173
Q 54, 62, 102, 103, 104, 111, 112,
qualité 11, 12, 19, 32, 34, 35, 36, 114, 115, 116, 122, 123, 130, 131, V
42, 102, 103, 116, 122, 173 136, 144, 149, 157, 162, 165, 169, viande 24, 39, 44, 47, 48, 100,
173, 174 107, 111, 114, 127, 128, 145, 153
R semences 152 ville 14, 15, 34, 35, 36, 52, 61,
recherche 19, 43, 53, 104, 119, Semences 173 85, 134, 145
135, 164, 172, 174 sol 18, 56, 84, 85, 88, 92, 120,
religion 46, 47, 48 149, 161
rendement 131, 156 souveraineté 118, 132, 141,
rendements 19, 111, 114, 172 149, 157, 158, 173
routes de la soie 39, 115, 116, stockage 39, 110, 153
153 surpoids 43, 44
rural 14, 15, 16, 27, 30, 34, 44, syndicat 141, 142
62, 73, 76, 78, 82, 102, 107, 115,

TBLE DES
ILLSTRATIONS Pouvoir des villes: dynamique des grandes métropoles
mondiales .........................................................................................37
Source: Laura Margueritte, Club Demeter, d’après ONU, World
ET SURCES
Urbanization Prospects: The 2018 Revision
Évolution des échanges commerciaux mondiaux........... 41
Sources: International Trade Center (ITC), TradeMap.org
L’obésité, un enjeu de santé planétaire ................................45
Source: OurWorldInData.org/obesity, d’après WHO et Global
Évolution de la population mondiale et de la population Health Observatory
africaine ............................................................................................ 13 Halal, un marché en forte croissance .................................. 49
Sources: ONU, World Population Prospects, The 2017 Revision
Source: State of the Global Islamic Economy Report 2018
Part des agriculteurs dans la population active en Quelles céréales consommées dans le monde? .............. 55
2018............................................................................................ 17 Source: Laura Margueritte, Le Demeter 2020
Source: Banque mondiale
L’opération Barbarossa: à la conquête des terres
Les terres cultivées dans le monde........................................ 21 noires ............................................................................................ 59
Source: World Atlas of Desertification, «Extent of Global
Source: «Les non-dits de l’Histoire…», http://willow-s-house.over-
Agriculture»
blog.com, avril 2016
Les surfaces irriguées en pourcentage de la surface En amont de l’Euphrate et du Tigre: un vaste projet
cultivée ..............................................................................................25 turc ......................................................................................................63
Source: FAO
Source: Atlas Mediterra 2010, CIHEAM, Presses de Sciences Po
Nombre d’emplois dans les secteurs de la pêche et de Migrations pastorales et fronts pionniers agricoles ......67
l’aquaculture dans le monde.................................................... 29 Source: Alexis Gonon, «“La terre est finie!” Quel avenir pour le
Sources: FAO, The State of World Fisheries and Aquaculture 2018 pastoralisme en Afrique de l’Ouest?», www.metropolitiques.eu, 18
1 personne sur 9 dans le monde ne mange pas à sa septembre 2017
faim ................................................................................................33 Les terres agricoles d’Afrique du Sud toujours
Sources: World Food Programme, «2019 – Hunger Map», 14août essentiellement détenues par des Blancs ........................... 71
2019; FAO, The State of Food Security and Nutrition in the World Source: «Comment redistribuer les terres des Blancs en Afrique du
2019. Sud?», Courrier international, 8mars 2018
TABLE DES ILLUSTRATIONS ET SOURCES . 181

L’Inde face à la guérilla naxalite .............................................75 La Russie, premier producteur de blé au monde ........... 113
Source: Guillaume Gandelin, «Inde: la guerre oubliée des Source: USDA
maoïstes», https://asialyst.com/fr, 28 avril 2016
Les nouvelles routes de la soie .............................................. 117
Répartition des terres agricoles par taille des Source: Lime
exploitations en Amérique du Sud ........................................79 Le Soudan: régimes d’agriculture irriguée et
Source: Agnès Stienne, «Inégalités foncières en Amérique du Sud
et aux États-Unis», https://visionscarto.net, 2 novembre 2016 mécanisée....................................................................................... 121
Source: UNEP GRID Europe
Un trafic de cocaïne qui a été nourri par le conflit
Maroc: investissement public/privé et exportations
agraire ................................................................................................ 83
Source: www.sciencespo.fr agricoles..........................................................................................125
Source: Ministère de l’agriculture et de la pêche maritime du
La contre-réforme agraire égyptienne à la fin du Maroc
 e siècle: entre atomisation et re-concentration ..........87 Les pays membres du Commonwealth et production
Source: Recensements agricoles 1982-1990-2000
agricole de deux d’entre eux .............................................. 129
Les grands aquifères de Cisjordanie..................................... 91 Sources: Gouvernement canadien; Grolier Online Atlas
Source: Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud,
Atlas du Moyen-Orient, Autrement, 2019 La révolution verte .....................................................................133
Source: Yann Bouvier, https://yann-bouvier.jimdofree.com, 2018
Commerce mondial de l’huile de tournesol de 2016 à
Singapour au centre de l’Asie ................................................ 137
2021 .................................................................................................... 95 Source: «Singapour, l’articulation de la finance, de la production et
Source : Club DEMETER des flux», www.lelivrescolaire.fr
États-Unis: un espace agricole vaste et spécialisé ....... 101 Pays avec une organisation membre de Via
Source: «Les espaces agricoles des États-Unis»,
https://www.assistancescolaire.com Campesina ............................................................................ 143
Source: Wikipédia
L’UE parmi les grands exportateurs et importateurs
L’industrie du concentré de tomate Chine-Italie-
mondiaux ....................................................................................... 105
Source: Union européenne, «Agri-food trade in 2018», 2019 Afrique ........................................................................................147
Source: Agnès Stienne, Le Monde diplomatique, juin 2017
L’espace agricole brésilien ..................................................... 109
L’agenda mondial du développement pour 2030 et
Source: «Le Brésil, un géant agricole», www.maxicours.com
les 17 ODD, décliné au prisme des enjeux agricoles et
alimentaires ................................................................................... 151
Source: FAO

Des géants économiques de la production à la
distribution ....................................................................................155
Source: recherche des auteurs sur la base des informations
publiées sur le site Internet des entreprises, juillet 2019
E-commerce et alimentation: un marché en devenir ..159
Source: Philippe Bertrand, «Le e-commerce alimentaire en pleine
croissance», https://lesechos.fr, 23 avril 2019
Les risques environnementaux liés aux changements
climatiques ....................................................................................163
Source: www.populationdata.net
Le taux de dépendance aux importations
alimentaires ......................................................................167
Source: Muriel Jacque, «Du Maghreb au Moyen-Orient, une
dépendance alimentaire galopante», https://lesechos.fr, 30 octobre
2015
Éthiopie, situation économique et géopolitique ........... 171
Source: Jean-Baptiste Damestoy, «L’Éthiopie, une puissance
agricole au milieu des turbulences», Le Déméter 2019, 2019
Les 20 plus grands exportateurs agro-alimentaires
mondiaux ........................................................................................ 175
Source: OMC/Base de données statistiques
TABLE DES ILLUSTRATIONS ET SOURCES . 183

«Géopolitique»,
la collection indispensable
Crises, guerres, incidents diplomatiques… Le jeu des grandes puissances s’invite quotidiennement dans
l’actualité, et la géopolitique procure les clés indispensables pour décoder le monde d’aujourd’hui. Cette
collection présente aux amateurs, aux curieux et aux perplexes une entrée directe et décomplexée dans les
grandes questions contemporaines : contexte, défis, enjeux et perspectives sont décryptés par des auteurs
experts dans des fiches synthétiques et accessibles à tous.

Géopolitique de L'agriculture

Transféré par

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Géopolitique de L'agriculture

Transféré par

Informations du document

Titre original

Copyright

Formats disponibles

Partager ce document

Partager ou intégrer le document

Options de partage

Avez-vous trouvé ce document utile ?

Ce contenu est-il inapproprié ?

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Géopolitique de L'agriculture

Transféré par

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Sébastien Abis et Pierre Blanc

NOUVELLE ÉDITION MISE À JOUR

Création maquette et mise en pages: Claire Fauvain

© Éditions Eyrolles, 2020, 2023 pour la présente édition

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire

Depuis 1925, les éditions Eyrolles s’engagent en proposant des livres

PARTIE 1 TENDANCES PLANÉTAIRES ................................................................................ 9

PARTIE 2 CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI ....................................................... 51

PARTIE 4 DÉFIS, TRANSITIONS ET FRAGILITÉS ........................................................ 139

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 11

MONDES RURAUX INCONTOURNABLES

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 15

Moins de 10 % Entre 20 et 30 % Entre 40 et 50 % Plus de 60 %

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 19

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 23

Pourcentage des surfaces irriguées

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 27

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 31

Sous-alimentation dans le monde

Prévalence (en %) Prévalence de la sous-alimentation (en %)

Entre 5 et 15 % Entre 25 et 35 % Données non disponibles

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 35

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 39

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 43

Part de surpoids ou d'obésité pour les adultes par pays en 2016

Entre 60 et 70 % Entre 40 et 50 % Entre 20 et 30 % Sans données

PARTIE 1 | TENDANCES PLANÉTAIRES . 47

Principaux pays de dépenses P  HALAL 

T Dépenses totales dans le monde

É I P

QUAND LES CÉRÉALES

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 53

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 57

Riga Moscou Kouïbychev

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 61

Aire à irriguer Barrage Tunnel d’Urfa Canal principal d’irrigation

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 65

Zones bioclimatiques Migrations pastorales

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 69

LUTTES FONCIÈRES EN ASIE

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 73

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 77

RÉPARTITION DES TERRES AGRICOLES PAR TAILLE Brésil

Surface cultivable 9,3 % Proportion des exploitations

Surface cultivée par des exploitations Proportion des exploitations

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 81

É-U 124 E

Principales routes du traﬁc de cocaïne (en tonnes)

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 85

Nombre de feddan (unité de superﬁcie agraire : 1 feddan = 0,42 hectare)

Avant d’être troublé par le Ciel, le

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 89

Ligne verte (1949)

UKRAINE, TERRE FERTILE

PARTIE 2 | CONFLITS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI . 93

ÉTATS-UNIS: UNE (EX)-PUISSANCE?

PARTIE 3 | PUISSANCES ET STRATÉGIES . 99

100 . GÉOPOLITIQUE DE L’AGRICULTURE

EUROPE: LA CONQUÊTE DE LA PAIX