France 50 Ans D27opex
France 50 Ans D27opex
France 50 Ans D27opex
AVANT EXPLIQUER
PROPOS LES OPEX
MINISTRE DES ARMÉES ................................................. 4 LE CADRE JURIDIQUE
CHEF D’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES ...................... 5 DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES............................ 10
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL LE COMMANDEMENT :
POUR L’ADMINISTRATION .......................................... 6 DANS LES COULISSES DU CPCO .............................. 14
DIRECTRICE DES PATRIMOINES, 2012 › 2017 : SUR TOUS LES FRONTS
DE LA MÉMOIRE ET DES ARCHIVES .................... 7 POUR GAGNER LA PAIX ................................................... 16
EN COUVERTURE
Liban 1978 (à gauche). © R. Lévêque / ECPAD / Défense
Centrafrique 2014 (à droite). © R. Senoussi / DICOD
ÉTUDIER ENSEIGNER,
LES OPEX COMMÉ-
1963 › 2011 :
50 ANS D’OPÉRATIONS EXTÉRIEURES......... 26
MORER
LA FRANCE DANS LA GUERRE DU GOLFE......
LA FRANCE DANS LES BALKANS.........................
30
LA FRANCE AU LIBAN ..................................................
34
38
LES OPEX
LA FRANCE EN AFGHANISTAN ............................. 42 UNE HISTOIRE À ENSEIGNER
48
AUX SCOLAIRES .....................................................................
UNE HISTOIRE À ENSEIGNER
AUX ÉTUDIANTS ....................................................................50
QUELLE PLACE POUR LES OPEX
DANS LA MÉMOIRE NATIONALE ? ......................... 52
LES INSIGNES : UN OBJET
DE TRANSMISSION DE LA MÉMOIRE .................. 58
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................61
Le site Internet Chemins de mémoire propose
des dossiers sur l’actualité mémorielle
et des articles historiques pour aller plus loin
www.cheminsdememoire.gouv.fr
AVANT-PROPOS
DE LA MINISTRE
MINISTRE DES ARMÉES
Au cœur de l’engagement de chaque femme et de chaque homme dans nos armées se trouvent
nos opérations à l’extérieur. Les Opex, comme il est de coutume de les appeler, sont un objet de
vocation, un défi et l’aboutissement d’une préparation minutieuse et parfois éprouvante.
Pour les Français, les Opex sont la condition de la paix et de la tranquillité de notre pays. Partout
où les valeurs de la République sont bafouées, nos femmes et nos hommes se tiennent prêts. Nos
© A. Karaghezian / ECPAD / Défense forces en Opex protègent notre démocratie et notre mode de vie, elles sont le premier rempart
contre le terrorisme et la barbarie. Leur excellence, leur ingéniosité, leur loyauté sont reconnues ;
elles inspirent le respect de nos alliés, la crainte de nos ennemis.
Au Levant, au Sahel, dans l’est de l’Europe, j’ai pu rencontrer nos femmes et nos hommes. Je les
ai vus fiers et déterminés. Je les ai vus unis et solidaires. Ils n’ont ni crainte ni regret car seules
comptent pour eux la liberté et la sécurité de la France.
C’est à juste titre que la revue Les Chemins de la mémoire leur rend hommage dans ce numéro
hors-série. L’engagement de nos forces loin de leurs proches et de leurs repères, parfois au péril de
leur vie, doit être connu, compris, partagé. Ces pages superbes vous permettront de comprendre
le sens et la portée de leur engagement. En prenant l’initiative de ce numéro, la direction des patri-
moines, de la mémoire et des archives a saisi et incarné la démarche mémorielle que je porte :
accompagner chacun, et notamment la jeunesse, dans sa lecture et sa compréhension de notre
histoire.
La mémoire n’est pas un objet figé, c’est tout le contraire : je la crois résolument tournée vers
l’avenir. Rendre hommage à nos soldats aujourd’hui, c’est leur dire qu’ils écrivent une nouvelle page
de notre histoire militaire. C’est aussi affirmer que par leur force et leur courage, ils honorent les
combattants d’hier, tombés pour la démocratie et notre liberté. C’est enfin dire que si les ennemis ont
changé et les technologies évolué, l’engagement militaire et ses valeurs ont traversé les générations.
Aujourd’hui, cent ans après Verdun, plus de soixante-dix ans après la Libération, partout dans le
monde, nos femmes et nos hommes continuent à risquer leur vie pour la France. Je sais leur courage,
je sais leur détermination. Nous devons nous montrer à la hauteur de leur engagement. C’est
pourquoi ils seront au centre de mon action et je veillerai, avec l’appui de la secrétaire d’État, à ce
que les soldats en Opex soient partie intégrante des commémorations des prochaines années.
Florence PARLY,
Ministre des armées
AVANT-PROPOS
DU CEMA
CHEF D’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES
Les mandats, les objectifs, les milieux, les durées d’intervention et les volumes de forces varient. Une
constante demeure : le niveau d’engagement exceptionnel des armées françaises, dans la durée. Il
© W. Collet / EMA atteste de la volonté de la France d’assumer ses responsabilités en s’appuyant sur une autonomie
stratégique préservée.
À chaque fois que cela s’est révélé nécessaire, la projection des forces terrestres, aériennes et na-
vales, conventionnelles ou spéciales, a été décidée, par le président de la République, pour contrer les
velléités bellicistes des adversaires de la France et de ses alliés, défendre les intérêts nationaux, pro-
téger les ressortissants français, honorer les engagements du pays et promouvoir ses valeurs.
À chaque fois, nos armées ont répondu avec détermination et sans relâche, opposant la force à la vio-
lence. Cette implication de nos forces, en faveur de la paix et de la stabilité du monde, leur vaut d’être
respectées par leurs alliés et craintes par leurs adversaires. Trois qualités leur sont plus particuliè-
rement reconnues.
La polyvalence, tout d’abord. Depuis 50 ans, la France fait le choix, courageux et responsable, de
se doter d’un modèle d’armée complet qui lui permet de décider, souverainement et rapidement,
grâce à une chaîne de décision réactive constitutionnellement définie, de la réponse à apporter à une
menace spécifique, en autonome comme dans un cadre européen ou multinational.
L’état d’esprit, enfin. J’y vois le véritable point commun entre les opérations extérieures d’hier et celles
que nos armées conduisent aujourd’hui. Génération après génération, les hommes et les femmes de
nos armées se distinguent par la haute idée qu’ils se font de leur mission et leur sens aigu du service.
En tant que chef d’état-major des armées, je suis particulièrement heureux que l’équipe des Chemins
de la mémoire ait choisi de consacrer un numéro spécial aux opérations extérieures. Sa lecture atten-
tive nous inspire une grande fierté et nous exhorte à la persévérance.
Fierté, parce que nos armées ont toujours su s’adapter, en temps réel, à la situation rencontrée sur
le terrain. Les opérations conduites - interministérielles, interarmées, interalliées - démontrent la ma-
turité pérenne de nos forces. Nous la devons à nos soldats, à nos marins, à nos aviateurs et au per-
sonnel civil de nos armées, qui ne comptent pas leurs efforts et cherchent, avec constance et volonté,
à donner le meilleur, dans des conditions souvent éprouvantes et parfois extrêmes.
Persévérance, parce que le durcissement de la donne sécuritaire des dernières années a encore
accentué la pression qui s’exerce sur nos armées. La réalité des succès enregistrés, tout au long
des dernières décennies, ne doit pas masquer le besoin de régénération d’un modèle, désormais
sous forte tension. Il en va du succès durable des armes de la France.
AVANT-PROPOS
DU SGA
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL POUR L’ADMINISTRATION
Aujourd’hui comme hier, les armées sont engagées dans des opérations extérieures pour intervenir,
protéger, prévenir, bien au-delà des frontières du territoire national. Ces missions sont exigeantes du
fait de leur éloignement de la métropole, de leurs conditions de mise en œuvre et de leur tenue dans
la durée. La réalisation et le succès des opérations extérieures reposent donc sur une très large
mobilisation du personnel militaire et civil au sein du ministère.
© J. Robert / SGA/COM Les soldats qui sont déployés sur les théâtres d’opérations doivent faire l’objet de toute notre atten-
tion et de notre soutien indéfectible. Leur engagement et les sacrifices consentis au long des cinquante
dernières années sont justement mis à l’honneur par cette nouvelle édition des Chemins de la mémoire.
Pour autant, les efforts de tous ceux qui œuvrent dans l’ombre pour le succès des opérations mé-
ritent d’être mis en valeur. Je souhaite donc rendre hommage au travail des directions et services
et notamment de ceux du secrétariat général pour l’administration qui œuvrent pour le succès de
nos opérations, travail d’autant plus louable qu’il est permanent et discret.
«Ensemble, en action, au service des intérêts de la Défense», telle est la devise du SGA et de ces
hommes et ces femmes. La richesse et la variété de leurs missions au service des forces s’organisent
selon trois axes complémentaires et indissociables. Le premier axe se concrétise par un soutien
direct et de proximité au profit des militaires et de leurs proches. La direction des ressources hu-
maines (DRH-MD) via le réseau des assistants de service social contribue à garantir le moral des
soldats qui savent que leur famille est soutenue en base arrière. De même, l’appui direct des déta-
chements du service d’infrastructure de la défense (SID) sur les zones d’opérations permet de
garantir et d’améliorer les conditions de vie des militaires déployés.
Le second axe est moins perceptible par les militaires sur le terrain mais tout aussi important car
il contribue directement à la robustesse de nos engagements : les questions statutaires pilotées par
la DRH-MD, le cadre juridique des interventions garanti par la direction des affaires juridiques (DAJ),
les moyens budgétaires mis en place par la direction des affaires financières (DAF) permettent aux
militaires en Opex d’agir au sein d’un cadre qui les protège et leur fournit les moyens nécessaires
pour exécuter leur mission.
Enfin, deux autres directions du SGA participent à l’entretien des valeurs indispensables au maintien
de l’esprit de défense : la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) par le développe-
ment du lien armées-nation et la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA)
par la promotion de l’esprit de mémoire et la conservation des archives.
L’ensemble des directions et services du SGA sont donc mobilisés pour apporter leur soutien aux
forces armées : c’est leur objectif commun et leur raison d’être pour le succès des armes de la France.
Je veux remercier tout spécialement les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce numéro
des Chemins de la mémoire. Ce retour d’expérience exhaustif et instructif ne clôt pas l’Histoire mais
sert à se souvenir et à préparer le futur.
Jean-Paul BODIN,
Secrétaire général pour l’administration
AVANT-PROPOS
DE LA DPMA
DIRECTRICE DES PATRIMOINES, DE LA MÉMOIRE ET DES ARCHIVES
Après deux cycles commémoratifs exceptionnels tels que le Centenaire de la Grande Guerre et le 70e
anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, 2017 s’impose comme une année importante pour poser
les bases d’une mémoire des soldats engagés en opérations extérieures. En effet, si l’actualité du
ministère des armées nous renvoie souvent hors des frontières nationales, sur des théâtres exté-
rieurs où nos forces armées sont engagées, cette forme de conflit ne date pas d’aujourd’hui. Elle
s’inscrit dans un temps long, amorcé dès les années 1960, qu’il est important de rappeler et qui
© J. Robert / SGA/COM donne l’occasion de rendre hommage à plusieurs générations de soldats.
Par ailleurs, 2017 est l’année du lancement des travaux du monument en hommage aux morts pour
la France en Opex. Cet événement doit s’accompagner d’un travail pédagogique auprès du grand public
et notamment auprès des plus jeunes. 2017 a aussi vu la réalisation d’une exposition et d’un film
confiés à l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, ainsi que
le lancement d’un appel à projets pédagogiques autour des Opex. Un dictionnaire des Opex sera
publié prochainement par la DPMA. Autant d’événements et d’actions qui entendent honorer et valo-
riser une jeune mémoire vivante, encore en construction.
C’est animée de cette volonté d’écrire et de transmettre l’histoire et la mémoire de nos soldats
engagés en Opex, que j’ai souhaité consacrer un numéro hors-série de la revue Les Chemins de la
mémoire à ce sujet. Celui-ci s’est construit autour de trois grandes ambitions : expliquer, étudier,
enseigner et commémorer les Opex.
Expliquer les Opex, c’est les resituer dans le cadre juridique, institutionnel et opérationnel qui préside
à leur déclenchement, pour aborder l’actualité avec un œil averti. Étudier les Opex ensuite, c’est remon-
ter le fil de l’histoire et montrer que ces conflits sont devenus, au même titre que les deux guerres
mondiales et les guerres de décolonisation, un objet d’étude désormais soumis à l’analyse de la
communauté scientifique. Enseigner et commémorer les Opex enfin, c’est répondre à un enjeu fon-
damental pour la société d’aujourd’hui, en particulier la jeunesse, qui doit aussi pouvoir trouver dans
le lien armées-nation des réponses à ses questions et de quoi nourrir ses réflexions dans un monde
qui semble toujours plus complexe et dangereux.
Fort des synergies qui se sont mises en place autour de lui, ce numéro hors-série est le reflet de la
capacité des états-majors, directions et services, établissements publics et partenaires du ministère
des armées à travailler main dans la main pour construire ensemble la mémoire de nos soldats d’hier et
d’aujourd’hui, ces femmes et ces hommes qui portent fièrement les couleurs de leurs aînés et qui reçoi-
vent dans ces pages l’expression de l’admiration, de la solidarité et de la reconnaissance de la nation.
Myriam ACHARI,
Directrice des patrimoines, de la mémoire et des archives
S
angaris, Serval, Chammal, Barkhane... Depuis plusieurs années, ces noms
nous sont familiers, tant ils sont lus et entendus dans les médias. Les opérations
extérieures occupent une grande place dans l’actualité, et trop souvent,
malheureusement, à l’occasion du décès d’un militaire sur un théâtre d’engagement.
De la prise de décision par le chef de l’État d’engager nos forces armées sur
un théâtre d’opération jusqu’au retour du soldat, c’est toute une chaîne
de commandement dans les états-majors et un ensemble de services qui sont
mobilisés pour assurer le respect du droit international, la protection des militaires
et l’efficacité de la mission qui leur a été confiée.
1 LE CADRE JURIDIQUE
DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES
Commissaire en chef de 1re classe Pierre FERRAN
Direction des affaires juridiques du ministère des armées
Il n’existe pas de cadre juridique unique des opérations extérieures ni même une
seule définition juridique. Depuis plus de cinquante ans, la France s’engage mili-
tairement sur des théâtres d’opérations qui donnent lieu à des conflits et interven-
tions de nature différente, obligeant le cadre juridique à s’adapter. Par ailleurs, de
la prise de décision par le chef de l’État, chef des armées, au déroulé de l’opération
extérieure, le droit est présent à chaque étape, qu’il s’agisse de légitimer l’emploi
de la force armée, de planifier son action ou de protéger le soldat.
Depuis sa création en 1916, l’Office national des anciens combattants et victimes opérations ont été qualifiées de conflits armés internationaux.
de guerre (ONACVG) est chargé de mettre en œuvre les politiques et mesures Tel a été le cas de la guerre du Golfe en 1990-1991 ou de l’in-
de reconnaissance et de réparation, notamment par l’attribution de la carte du tervention militaire contre la Libye en 2011, qui ont été condui-
combattant qui ouvre droit, entre autres, au port de la Croix du combattant. tes sur le fondement de résolutions du Conseil de sécurité des
Nations unies prises en application du chapitre VII de la Charte.
C’est la loi du 19 décembre 1926 qui crée la carte du combattant pour les hommes D’autres opérations ont été qualifiées de conflits armés non
engagés dans la Grande Guerre mais aussi dans la guerre franco-prussienne de 1870. internationaux :
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les dispositions sont étendues aux
combattants de 1939-1945 puis, en 1952, à ceux qui furent engagés en Indochine • Les interventions militaires de la France au Mali et dans les
et en Corée, et en 1974 aux soldats ayant participé aux combats d’Afrique du Nord. États voisins pour lutter contre les groupes armés menaçant
la stabilité et la population civile malienne, et au Levant contre
La multiplication des Opex à partir des années 1990 posa rapidement le problème Daech, se déroulent dans un contexte de conflit de haute
de la réparation et de la reconnaissance à adresser à cette nouvelle génération de
intensité.
soldats, dont l’émergence est concomitante à la professionnalisation de l'armée
• Le soutien apporté par les forces françaises à la République
française. Ainsi, la loi du 4 janvier 1993 prévoit que les femmes et les hommes pro-
centrafricaine dans sa lutte contre des groupes s’affrontant
jetés sur les théâtres d'opérations peuvent recevoir la carte du combattant dans
entre eux sur son territoire a eu lieu dans un contexte de conflit
les mêmes conditions que leurs prédécesseurs. L’arrêté du 12 janvier 1994 pré-
de basse intensité.
cise les théâtres d’opérations concernés et les périodes à prendre en considération.
Depuis le 1er janvier 2014, des droits à la carte du combattant sont ouverts, dans
les conditions d'attribution existantes, pour chaque opération déterminée. Enfin, à La qualification que le droit international donne à la situation
compter du 1er octobre 2015, les critères d’attribution de la carte du combattant dans laquelle les militaires français interviennent à l’étranger
ont été élargis : il faut désormais pouvoir justifier d’une durée de service d’au moins détermine aussi, en droit français, le régime juridique relatif à
quatre mois (ou 120 jours) en Opex pour prétendre à ce droit. l’emploi de la force par ces militaires.
La carte du combattant peut donc être attribuée aux personnes remplissant l’une UN RÉGIME JURIDIQUE
des conditions suivantes : une présence de 90 jours en unité combattante ; la POUR LES MILITAIRES EN OPEX
participation à neuf actions de feu ou de combat ; la participation individuelle à
cinq actions de feu ou de combat ; une durée de service d’au moins quatre mois (ou Les militaires déployés en opérations extérieures disposent
120 jours) effectuée sur un ou des territoire(s) pris en compte. de la légitime défense (article 122-5 du code pénal). Ils béné-
ficient aussi, depuis le statut général des militaires de 2005,
Ont droit également à la carte du combattant les blessés de guerre et assimilés,
de l’excuse pénale aujourd’hui prévue par l’article L. 4123-12 du
les titulaires d'une citation individuelle avec croix, ou encore les détenus par l'ad-
code de la défense : «N'est pas pénalement responsable le mili-
versaire dans certaines conditions de durée de présence en unité combattante.
taire qui, dans le respect des règles du droit international et dans
Depuis 1993, ce sont 149 190 cartes du combattant qui ont été délivrées. La carte
le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se
donne droit à la retraite du combattant à partir de 65 ans.
déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux terri-
toriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou
son ampleur, y compris la libération d'otages, l'évacuation de
ressortissants ou la police en haute mer, exerce des mesures de
coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre,
lorsque cela est nécessaire à l'exercice de sa mission».
1 LE COMMANDEMENT :
DANS LES COULISSES DU CPCO
État-major des armées
CI-DESSUS LE CPCO AU CŒUR Il a été positionné au cœur du Pôle Opérations, bâtiment ultra-
Forum international DE SON NOUVEL ENVIRONNEMENT sécurisé qui a bénéficié lors de sa construction d’une attention
de la Cyber sécurité, toute particulière et a profité d’une coordination étroite entre
Lille, 2017. Implanté au centre de «l’Hexagone» de Balard depuis l’été 2015, les architectes et les futurs utilisateurs. En dernier lieu, il permet
© H. Cortinat le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) à tous ses agents de bénéficier d’une ergonomie moderne et
est une structure à part dans les mains du chef d’état-major d’outils fonctionnels de dernier cri.
des armées (CEMA). Il répond au besoin de concentrer et de
rationaliser l’organisation du commandement au profit du CEMA À la fois état-major d’aide à la décision et centre de comman-
dans ses responsabilités de conseiller militaire du gouverne- dement permanent, le CPCO est situé à proximité immédiate
ment et de commandant opérationnel des forces françaises des autres entités de la «Communauté des opérations» :
engagées. états-majors opérationnels des trois armées, Opérations spé-
CI-CONTRE
Opération «Sentinelle»
sur la BA 721, Rochefort.
© M. Buis / Armée de l’Air
ciales, Cyber défense, Forces nucléaires, Commandement in- Entre 2015 et 2016, trois cellules de crise ont été armées suc-
terarmées de l’espace. Ce regroupement renforce la synergie cessivement et ont fonctionné en même temps dans la durée :
des différents acteurs, facilite la planification et la conduite la cellule de crise Levant, la cellule de crise pour la Républi-
des opérations, et optimise le processus décisionnel. que centrafricaine et la cellule de crise Territoire national,
constituée dès les attentats de janvier 2015 et renforcée après
UN ATOUT MAÎTRE les attentats du 13 novembre 2015.
DANS LES MAINS DU CEMA
PERSPECTIVES D’ÉVOLUTIONS
Le CPCO se trouve à la charnière entre le pouvoir politique et
le haut commandement militaire. Il traduit ainsi les directives Outil stratégique au service du CEMA totalement dédié aux opé-
et orientations gouvernementales en termes de planification rations, le CPCO s’adapte en permanence au contexte politique
et de réponse opérationnelle incombant aux armées. Il sert et géopolitique, à l’évolution des menaces et des risques, évo-
également de courroie de transmission indispensable pour luant sans cesse dans son organisation et ses processus, grâce
préserver la liberté d’action du président de la République au développement des outils d’information et de commande-
dans sa décision d’engagement des armées. Cette originalité ment que son Centre de veille et de situation opérationnelle
française autorise une grande réactivité dans l’engagement (CSVO) contribue à fédérer.
des forces et amène le CPCO à agir vite, tout en maîtrisant la
complexité d’un environnement interministériel. Témoignent de sa capacité d’adaptation, l’intégration en son
sein depuis 2016 d’un officier général Cyber et d’un centre opé-
De par ses fonctions d’anticipation stratégique, il a la responsa- rationnel de cyber défense ou encore l’évolution des processus
bilité d’éclairer le CEMA et de contribuer à la définition de sa stra- qui permettent de mieux intégrer les différents contrôleurs opé-
tégie militaire, en développant une planification pré-décision- rationnels répartis sur les théâtres d’opérations.
nelle, orientée vers l’engagement des forces armées.
«Cœur nucléaire» des opérations interarmées du niveau stra-
De par ses fonctions de planification, il assure le recueil et l’ac- tégique, planifiées et mises en œuvre tant sur le territoire natio-
tualisation des éléments d’information nécessaires au CEMA nal qu’au-delà de nos frontières, le CPCO conduit aujourd’hui
dans ses responsabilités politico-militaires et lui propose autant trois missions majeures - «Barkhane» au Sahel, «Chammal» au
que de besoin des réponses militaires aux crises potentielles Levant et «Sentinelle» en France - et oriente la contribution des
ou en cours. armées françaises dans une dizaine d’autres opérations.
N ig e r
MAURITANIE Bourem
Tombouctou
Konna
Mopti
Diabali Sévaré
Koro
BURKINA
Infographie © DICOD / IDIX
FASO
Ségou SAISIES ET DESTRUCTIONS
9 000 de carburant
220 de munitions de tout type
200 mines et IED
vers BAMAKO 100 km Plusieurs centaines d’armes de tout calibre
Kidal
Dès l’été 2013, il apparaît nécessaire d’aller au-delà d’une in-
tervention limitée au Mali et de développer une approche nou-
16 février : premiers accrochages
dans l’Adrar velle pour affronter la menace terroriste qui, dans ces espaces
23 février - 1er mars : conquête désertiques, s’affranchit aisément de frontières difficilement
de la vallée de l’Ametettaï.
er
contrôlables. Seule une approche régionale peut permettre
1 mars : fouilles des vallées
des Adrars de traiter les ramifications de l’organisation terroriste et de
contrer ces mouvements transfrontaliers dans la bande sa-
hélo-saharienne. Elle nécessite de renforcer la coordination
entre les pays, désormais réunis dans l’enceinte du G5 Sahel
Gao
(Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), tout en pour-
suivant le combat contre les groupes armés terroristes.
Menaka
CI-CONTRE
Opération «Sangaris».
© J. Lempin / ECPAD / Défense
cales, en ayant réalisé, en mai 2017, plus de 7 000 sorties aé- Au début de l’été 2014, avec l’engagement de plus de 2 000
riennes, détruit 2 000 objectifs par des frappes aériennes et militaires français, un palier sécuritaire est franchi. Il permet
conduit plus de 1 200 missions de tir d’artillerie. à la force internationale de la MINUSCA de se déployer progres-
sivement sur l’ensemble du territoire. La force «Sangaris» se
STABILISER ET APPUYER recentre alors sur les zones les plus sensibles.
LE DÉPLOIEMENT D’UNE FORCE
DE MAINTIEN DE LA PAIX : Début 2015, l’amélioration de la situation sécuritaire permet
SANGARIS au gouvernement de la République centrafricaine de lancer
une initiative de réconciliation nationale et de réaffirmer pro-
En décembre 2013, après une année de tumultes en Centra- gressivement son autorité sur l’ensemble de son territoire.
frique, la situation touche à la crise humanitaire. Les exactions Au 1er juillet 2015, environ 900 militaires sont déployés dans
contre les populations civiles se multiplient. Les organisations l’opération «Sangaris» alors que ceux de la MINUSCA dépas-
non gouvernementales dénoncent des pillages et des attein- sent le seuil des 10 000 hommes, permettant de réduire pro-
tes aux droits de l'homme. En plus de ces exactions, un conflit gressivement la présence française à la seule ville de Bangui.
à teneur confessionnelle se profile.
Le 31 octobre 2016, le ministre de la défense Jean-Yves le Drian
Face à l’urgence de la situation, la France propose puis lance annonce à Bangui la fin de l’opération Sangaris. Cette annonce ne
sous mandat des Nations unies l’opération «Sangaris». Dès leur marque cependant pas la fin de la présence militaire française
entrée sur ce théâtre d’opération, les militaires français se qui se prolonge au travers d’une participation à la MINUSCA
portent au secours des populations menacées, dans Bangui ainsi qu’à la mission de formation de l’armée centrafricaine
tout d’abord, puis en province. mise en place par l’Union européenne (EUTM RCA). •••
Le plus important de ces déploiements concerne le Liban où Elle complète le dispositif français pré-positionné en Afrique
près de 900 militaires français sont engagés au profit de la occidentale et peut également apporter son soutien à toute
Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). opération en cours. Elle participe à la sécurisation des voies
maritimes régionales en développant la coopération avec les
Le Force Commander Reserve (FCR) de la FINUL, armé en gran- marines riveraines, dans une logique d’appropriation régionale
de majorité par des soldats français, fournit une capacité d’in- de la sécurité.
tervention rapide au profit de tous les contingents déployés
sur l'ensemble de la zone d’action de la FINUL. Une trentaine Mission des forces armées françaises dans le golfe de Guinée
de cadres sont affectés à l’état-major de la FINUL. À l’été 2006, en place depuis 1990, Corymbe se traduit par la présence
tandis que le Liban subit une nouvelle invasion de son voisin quasi-permanente d’un à deux bâtiments de la Marine natio-
israélien, le mandat de la FINUL est élargi par la résolution 1701 nale dans la zone.
du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle se voit alors
confier les missions de contrôler la cessation des hostilités, PROTÉGER LES RESSORTISSANTS
accompagner et appuyer les forces armées libanaises (FAL).
Dans des situations sécuritaires dangereuses ou instables, la
Parmi l’ensemble des membres de l’ONU, la France est le 124e protection des Français peut nécessiter que soient réalisées
pays contributeur en troupes (et le 2e parmi les membres per- des opérations d’évacuation de ressortissants.
manents du Conseil de sécurité des Nations unies). La France
déploie plus de 900 soldats et une trentaine de policiers La situation en Libye à l’été 2014 pousse le gouvernement fran-
dans 9 opérations de maintien de la paix de l’ONU (FINUL, çais à demander à l’ensemble de ses ressortissants de quitter
MINUSMA, MINUSCA, ONUCI, MONUSCO, MINURSO, MINUL, le pays. Dans le même temps, il est demandé au chef d’état-
ONUST), qui occupent de nombreux postes clefs. major des armées de planifier et de conduire une opération vi-
INTERVENTIONS EXTÉRIEURES
DES ARMÉES FRANÇAISES
DEPUIS 2012
LUTTE CONTRE LE TERRORISME
MISSIONS HUMANITAIRES
PROTECTION ET SÉCURISATION
DES ESPACES
› OTAN - Baltic Air Policing :
Estonie - Lettonie - Lituanie
› Lutte contre les trafics EUNAVFOR Med - Sophia :
Méditerranée centrale
› Lutte contre la piraterie EUNAVFOR Somalia - Atalante :
Corne d’Afrique
› Corymbe : golfe de Guinée
MISSIONS DE STABILISATION
OU MAINTIEN DE LA PAIX
Sophia
TF 150
Atalante
Corymbe
Infographie © EMA
S
i les opérations extérieures font aujourd’hui régulièrement l’actualité
du ministère des armées, elles n’en sont pas moins un objet d’histoire
et donc un objet d’étude. Alors que la France connaît un engagement
opérationnel exceptionnel, l’année 2017 est l’occasion d’inscrire cette participation
militaire dans une perspective historique qui témoigne de la place que la France
occupe dans le monde depuis plus de 50 ans. Les opérations extérieures font partie
aujourd’hui de l’histoire des conflits contemporains. Depuis les années 1960,
la France s’engage militairement en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Europe,
en Amérique. Partout, elle intervient selon des missions différentes : assistance
aux populations civiles, intervention humanitaire, lutte contre le terrorisme, maintien
de la paix, etc. Cette partie se propose, après un premier coup de projecteur
sur l’actualité, de remonter le fil de l’histoire pour inscrire dans un temps plus long,
et ininterrompu, la grande histoire de l’engagement des forces armées françaises
dans les opérations extérieures.
De 1963 à nos jours, des dizaines d’opérations extérieures ont été conduites, aux-
quelles des militaires de toutes les armées, directions et services, ont participé :
armée de Terre, armée de l’Air, Marine nationale, directions et services interar-
mées, et gendarmerie nationale. À travers le récit de certaines opérations militaires
de ces dernières décennies et des raisons qui ont conduit la France à s’engager
sur ces théâtres extérieurs, il est possible aujourd’hui d’écrire une véritable histoire
des Opex.
L’OPÉRATION EXTÉRIEURE, UNE NOTION qu’elle crédibilise sa vocation de grande puissance, l’action
DIFFICILE À DÉFINIR AVEC PRÉCISION... outre-mer est donc une constante de l’histoire militaire de la
France. Mais elle fut souvent limitée par la nécessité existen-
Si, selon Napoléon Bonaparte, «la stratégie d’un État est dans sa tielle d’assurer d’abord la défense de ses frontières. Dit autre-
géographie», celle de la France, puissance terrestre largement ment, la France recherche la sécurité sur le continent euro-
ouverte vers la mer, a vocation à s’exercer autant dans l’espace péen - historiquement par l’équilibre des puissances, la domi-
européen que dans le reste du monde. Par nécessité ou parce nation ou la coopération - pour gagner en liberté d’action et
peser à l’échelle mondiale. Le rappel de cette constante stra- tournant des années 1990, les armées se professionnalisent
tégique permet de souligner l’originalité de la situation actuelle et réduisent leur format. Peu à peu, toutes les composantes
qui, pour la première fois, voit l’action extérieure devenue prio- conventionnelles deviennent projetables.
ritaire dans la politique de défense du pays.
Retracer l’histoire des Opex revient donc à suivre, parallèlement
Mise en exergue depuis deux décennies environ, la popularité au récit des opérations militaires elles-mêmes, un processus
de l’expression «opération extérieure» traduit cette nouvelle d’adaptation à l’évolution des crises internationales qui a pro-
orientation de l’activité opérationnelle des armées françaises. fondément métamorphosé les armées françaises.
Du fait du durcissement des engagements, elle s’est peu à peu
imposée dans les esprits comme synonyme de «conflit armé» LE CONCEPT FRANÇAIS
et offre un substitut confortable à l’emploi du mot «guerre» D’INTERVENTION EXTÉRIEURE
lui-même. On part dorénavant «en Opex» comme on partait À L’ORIGINE DES OPEX (1963-1978)
autrefois «à la guerre» ou «au front». Pourtant, les opérations
extérieures désignent une réalité à la fois protéiforme et plus Au début des années 1960, l’achèvement de la décolonisation
ancienne, liée à une politique de défense définie au moment doit permettre à la France de concentrer son effort militaire
des indépendances africaines, il y a plus d’un demi-siècle, et sur la sanctuarisation du territoire national et la modernisation
constamment mise à jour depuis. de ses forces armées, avec une priorité donnée à la consti-
tution de la force de dissuasion nucléaire. En conséquence, le
Alors, qu’entendons-nous par «opérations extérieures» ? Le 16 septembre 1960, décision est prise d’alléger drastiquement
critère géographique est clairement établi mais il ne suffit pas la présence militaire française outre-mer afin de diviser les gar-
à les définir, toute présence militaire à l’étranger ne se faisant pas nisons en Afrique par dix en une décennie pour aboutir à un
nécessairement dans un cadre opérationnel. De fait, le qua- effectif de 6 000 hommes en 1970. Ce désengagement marque
lificatif d’Opex recouvre une réalité très diverse qui explique cependant plus une inflexion qu’une véritable rupture car le
le flou qui entoure cette notion. Ainsi, selon Louis Gautier : repli français ne fut pas aussi massif que prévu. En effet, les
«Les opérations extérieures se sont développées de façon États africains nouvellement indépendants sont toujours dé- PAGE DE GAUCHE
relativement spontanée et profuse. Le concept d’opérations sireux de voir la France contribuer à leur sécurité, tandis que Opération «Oryx» en Somalie
extérieures est un concept ‘fourre-tout’. De l’action humani- cette dernière fait de sa présence en Afrique une constante de (en haut à gauche).
taire à la lutte contre le terrorisme, les opérations extérieures son engagement stratégique pour diverses raisons (intérêts éco- © D. Viola / ECPAD / Défense
sont militairement diverses. Elles apparaissent mal hiérarchi- nomiques, surveillance des voies de communication maritimes,
sées et peu discriminées politiquement». La définition d’une défense de l’espace francophone). À la confluence de ces in- Opération «Atalante».
Opex reste donc très générale, même dans des documents à térêts réciproques, le nouveau concept d’intervention outre- (en bas à gauche).
caractère officiel, comme le rapport du général Bernard Tho- mer à l’ère postcoloniale est ainsi décrit par le général de © DR / ECPAD / Défense
rette relatif à l’érection du Mémorial aux soldats Morts pour Gaulle dans son discours de Strasbourg du 23 novembre 1961 :
la France en opérations extérieures : «Est qualifiée d’opération «Sous des formes nouvelles adaptées à notre siècle, la France Opération «Harmattan»
extérieure tout emploi des forces armées hors du territoire est, comme toujours, présente et active outre-mer. Il en ré- (à droite).
national (qu’elles soient déployées sur le théâtre ou opèrent sulte que sa sécurité, l’aide qu’elle doit à ses alliés, le concours © JF. D’Arcangues / ECPAD /
à partir du sol français), dans un contexte caractérisé par qu’elle s’est engagée à fournir à ses associés, peuvent être Défense
l’existence de menaces ou de risques susceptibles de porter mis en cause en une région quelconque du globe. Une force
atteinte à l’intégrité physique des militaires». d’intervention terrestre, navale et aérienne, faite pour agir, à
tout moment, n’importe où, lui est donc bel et bien nécessaire.
... MAIS UN OBJET HISTORIQUE Nous commençons à le réaliser».
CLAIREMENT IDENTIFIÉ
L’action militaire extérieure de la Ve République se reconfigure
On le voit, ces définitions laissent ouvert un très large champ et donc selon trois modalités qui la caractérisent encore aujour-
elles ne donnent guère d’indications sur la spécificité des opé- d’hui : le pré-positionnement à l’étranger de forces limitées,
rations contemporaines par rapport aux multiples formes d’in- la fourniture d’une assistance militaire technique pour former
terventions extérieures pratiquées antérieurement, du corps les armées étrangères et le maintien d’une capacité de réaction
expéditionnaire à la politique de la canonnière. Plutôt qu’un face aux crises. Cette dernière mission fonde le concept fran-
mode d’action particulier, c’est le contexte et l’intention initiale çais d’intervention extérieure. Initialement, seules des opéra-
qui définissent la place des opérations extérieures dans l’his- tions «coup de poing» dans le cadre d’un accord de défense
toire des armées. Ce «temps des Opex», qui court de 1963 à sont envisagées. À partir de 1964, chaque armée est donc
nos jours, se caractérise par la systématisation de l’action chargée de maintenir un noyau de forces en alerte permanente,
militaire à des fins de résolution de crises d’intensité variable, prêtes à être projetées sans préavis : ce sont les dispositifs Gué-
engagement qui accompagne le renouveau de la politique pard (un régiment parachutiste), Tarpon (un groupe naval à
africaine de la France après la liquidation du passé colonial vocation amphibie) et Rapace (une cellule d’avions de combat
(indépendances des pays d’Afrique noire en 1960, affaire de et de transport). De grandes manœuvres interarmées sont
Bizerte en 1961, fin de la guerre d’Algérie en 1962). À partir de alors organisées pour valider ce concept d’emploi. Elles sou-
1963, l’action militaire extérieure se caractérise donc par l’affir- lignent la rapidité d’exécution d’intervention de la voie aérienne
mation d’une volonté stabilisatrice ou médiatrice détachée de par rapport à la voie maritime, alors qu’il s’agit moins désor-
tout esprit de conquête, que ce soit pour la défense des inté- mais de mobiliser un corps expéditionnaire complet que de
rêts français ou au service d’engagements internationaux. Elle développer les moyens d’une action légère quasi immédiate.
prend alors la forme de projection d’unités, pré-positionnées ou
venues de métropole, pour un mandat défini et ponctuel, Les premières opérations réalisées conformément à ce concept
éventuellement renouvelable. Initialement très limitées, ces d’emploi sont «Lamantin» (Mauritanie, en 1977 et en 1978) et
opérations ne concernaient d’abord que des troupes spécia- «Bonite» (Zaïre, 1978). La première présente l’originalité d’être
lisées souvent héritières d’une forte tradition coloniale (troupes conduite uniquement par des éléments aériens basés à Dakar.
de marine, Légion étrangère, parachutistes), et qui représen- Le Front Polisario revendique alors l’indépendance du Sahara
taient les éléments professionnalisés de l’armée de conscrip- occidental et menace de faire s’effondrer la Mauritanie en har-
tion. Mais à la suite de la disparition de la menace en Europe au celant la voie ferrée transportant le minerai de fer •••
CI-DESSUS qui constitue son unique ressource. La France déploie contre oblige à mener des opérations longues et répétées, telles que
Opération «Lamantin», lui un dispositif très resserré mais puissant : une dizaine de «Limousin», en 1969-1971, et «Tacaud», en 1978-1980. Cette
Mauritanie, 1978. chasseurs-bombardiers Jaguar appuyés par des ravitailleurs, dernière opération marque d’ailleurs un tournant par son
© FX. Roch / ECPAD / Défense des avions de transport et des avions de patrouille maritime. caractère interarmées affirmé, la Marine contribuant à la sur-
À cinq reprises, les Jaguar interceptent les colonnes motori- veillance des espaces sahariens avec ses avions de patrouille
sées adverses, leur causant suffisamment de pertes pour faire maritime Breguet.
cesser leur action et amener le Front Polisario à la table des
négociations. Dans le même temps, la capacité d’intervention extérieure des
armées est revalorisée sous une double impulsion. D’une part,
«Bonite», pour sa part, est une spectaculaire évacuation de elle bénéficie du renforcement des forces conventionnelles,
ressortissants menée en force au cœur du Zaïre. En mai 1978, engagée à partir de la 3e loi de programmation militaire
les rebelles katangais occupent la ville minière de Kolwezi, au (1971-1975) et poursuivie avec la réforme du général Lagarde,
sud du pays, et prennent en otage la population européenne. en 1975. L’objectif est de limiter les distinctions entre les
En apprenant la nouvelle, la France décide d’intervenir. Le 17 «forces de manœuvre» chargées de défendre les frontières
mai, le 2e régiment étranger parachutiste reçoit la mission de face au Pacte de Varsovie (la 1re Armée), les «forces de défense
reprendre la ville pour évacuer la population. Transporté le 18 du territoire» chargées de la protection des installations stra-
à Kinshasa, il est largué en deux vagues, les 19 et 20 mai, sur tégiques (unités de réservistes et des écoles, gendarmerie),
Kolwezi qu’il reprend après de violents combats au prix de cinq et les «forces d’interventions». En pratique cependant, l’envoi
tués et quinze blessés dans ses rangs. Succès d’envergure, du contingent en opération extérieure reste politiquement
«Bonite» met en évidence la rapidité de réaction et la souples- très sensible et seules les 9e division d’infanterie de marine et
se des unités françaises projetées en deux jours à près de 11e division parachutiste, majoritairement professionnalisées,
8 000 km de leur base. Jusqu’à nos jours, ce type d’action ra- sont déployées sur les théâtres extérieurs. Il faudra attendre
pide menée avec des forces légères mais capables de renver- la suspension du service militaire, annoncée en 1997 et ren-
ser une situation locale compromise reste l’archétype de l’inter- due effective en 2001, pour atteindre le degré de polyvalence
vention extérieure «à la française», comme l’opération «Serval» souhaité.
(Mali, 2013) en a encore fait une démonstration remarquée.
D’autre part, le président de la République Valéry Giscard
Cependant, les années 1970 voient aussi des déploiements d’Estaing veut adopter une défense «tout azimut», ou, du
plus importants qui soulignent les limites du concept initial. moins, qui ne soit pas uniquement orientée face à l’Est : «je
Ainsi, la défense du Tchad face à des rebellions chroniques pense qu’à l’heure actuelle les dangers du monde sont des dan-
CI-CONTRE
Opération «Limousin»,
Tchad, 1970.
© RP. Bonnet / ECPAD / Défense
CI-CONTRE
Convoi sur la route de Saïda,
Liban 1978.
© FX. Roch / ECPAD / Défense
gers qui peuvent provenir de diverses zones du monde, et nos Éthiopie et en Libye. Paris n’hésite pas non plus à sortir du pré
forces militaires doivent être des forces mobiles». Ainsi, l’effort carré et étendre son influence à d’autres pays que ses anciennes
principal de la Marine nationale, qui portait jusqu’alors sur la colonies (Zaïre, Burundi, Rwanda, Guinée équatoriale…).
façade Atlantique, est réorienté sur l’axe Méditerranée-mer
Rouge-océan Indien. Les chasseurs de mines français parti- Mais une première rupture dans les opérations menées se
cipent au déminage du canal de Suez, de 1974 à 1978, et manifeste avec la participation d’un contingent français à la
l’indépendance de la République de Djibouti est garantie par Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), à partir
l’envoi du groupe aéronaval à deux reprises («Saphir 1», en de 1978, dans un contexte qui préfigure celles des décennies
1975, et «Saphir 2», en 1977) ; Djibouti devient l’une des suivantes de bien des façons : une guerre civile entre factions
principales bases françaises en Afrique avec Dakar. multiples, une action sous mandat de l’ONU imposant des rè-
gles d’engagement très contraignantes et une force multina-
À la charnière des années 1970-1980, les armées françaises tionale qui juxtapose des unités sans pour autant former une
surveillent les voies maritimes longeant l’Afrique (golfe de véritable coalition. Les troupes françaises, rompues aux inter-
Guinée, mer Rouge et canal de Mozambique) et interviennent ventions africaines, se trouvent là en porte-à-faux et, dès
ponctuellement à l’intérieur du continent, sur le flanc sud 1979, la majorité du contingent français rembarque.
de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), face
à la progression de l’influence soviétique en Centrafrique, en (Suite page 32)
2 LA FRANCE
AU LIBAN
Commandant Ivan CADEAU
Docteur en histoire, Service historique de la Défense
CI-DESSUS STRUCTURE CIVILE ET MILITAIRE MISE EN PLACE PAR LES son action militaire et de retirer ses forces». Enfin, la résolution
Tireur d’élite à son poste NATIONS UNIES POUR RESTAURER LA PAIX ET LA STABILITÉ 425 institue une Force intérimaire des Nations unies pour le
de surveillance. Au second AU LIBAN, LA FORCE INTÉRIMAIRE DES NATIONS UNIES Liban, chargée de faire appliquer ces décisions sur le terrain.
plan, l’immeuble «Drakkar», POUR LE LIBAN (FINUL) EST CRÉÉE EN 1978 ET VOIT SES MIS- La FINUL, dont le quartier général est Naqoura, est formée de
4 octobre 1983. SIONS REDÉFINIES EN 2006. contingents venus de 14 pays et représente initialement un
© FX. Roch & P. Bideault / total de 4 000 casques bleus (dont 730 soldats français dans le
ECPAD / Défense La mise sur pied de la FINUL a pour origine la déstabilisation cadre de l’opération «Hippocampe»). Toutefois, cet effectif ap-
du Liban par les groupes armés appartenant à l’Organisation de paraît rapidement comme insuffisant. Il est donc progressive-
libération de la Palestine (OLP) qui mènent des actions contre ment accru : la résolution 501 du 25 février 1982 le porte à
Israël à la fin des années soixante-dix. Le 11 mars 1978, l’atta- 7 000 hommes (1 400 Français sont présents au mois de mai).
que d’un autobus transportant des civils israéliens sur la route Calqué sur les mandats que l’ONU avait mis en place dans le
de Tel Aviv par un commando palestinien entraîne la riposte de passé, celui de la FINUL se révèle vite inadapté. Contraire-
Tsahal qui déclenche, dans la nuit du 14 au 15 mars, l’opéra- ment aux opérations antérieures, les forces qui composent la
tion «Litani». L’objectif de l’état-major israélien est la création FINUL se trouvent imbriquées sur un territoire où l’autorité du
d’une zone tampon au Sud-Liban entre la frontière israélienne gouvernement libanais a disparu et où règne celle des milices
et le fleuve Litani afin d’empêcher toute nouvelle agression. de tout bord, pratiquant fréquemment des alliances de cir-
constance. Ainsi, les Forces libanaises et la Brigade Marada
Cette offensive israélienne entraîne l’immédiate réaction de défendent les intérêts des chrétiens, le mouvement Amal et le
l’Organisation des Nations unies (ONU). Ainsi le 19 mars 1978, Hezbollah, ceux des chiites, quand d’autres groupes soutien-
la résolution 425, qui est adoptée, exige que soient respectées nent la minorité druze, la Syrie, l’Iran ou encore Israël. Dotés
«l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance po- d’un armement trop léger et contraints par un cadre juridique
litique du Liban». Elle demande par ailleurs à Israël de «cesser et technique soit trop limité, soit insuffisant, les contingents
c
nationale de sécurité à Beyrouth (FMSB), qui sont des orga-
nismes nés d’accords bilatéraux où les soldats agissent sous
Projeté trois fois au Liban entre 1981 et 1983, j’ai vécu
commandement national. Concrètement, et fidèle à une tradi-
tion d’alliance, la France aide le gouvernement libanais et son
différemment ces missions. En 1981 et 1982, je suis affecté
armée à retrouver leur indépendance. Dans cette perspective, comme adjudant d'unité aux compagnies chargées avant tout
une partie des éléments français de la FINUL est alors déta- de ravitailler les postes FINUL puis les camps palestiniens.
chée au sein de la FMI/FMSB. Avec la dissolution de la FMSB, Les conditions sont difficiles car de nombreux check points tenus
en mars 1984, après l’attentat du «Drakkar» contre les forces tantôt par l’armée libanaise tantôt par des milices nous ralentissent
françaises et celui de l’aéroport de Beyrouth contre les Amé- tout au long du parcours. À cela s’ajoute des tirs d’intimidation réguliers.
ricains, le 23 octobre 1983, les éléments français de la FINUL
Ce sentiment d’impuissance est décuplé en 1982 lorsque nous
atteignent de nouveau 1 400 hommes. Cependant, la stabi-
lisation apparente de la situation dans la région entraîne le
ne pouvons contenir l’invasion israélienne du Sud-Liban.
désengagement progressif de la France et, en 2005, seuls
200 militaires français opèrent encore au Liban. En 1983, ma mission est brutalement interrompue par les attentats
du 23 octobre. À l’aube, quelques minutes après l’attaque visant les
Les événements de l’été 2006 entraînent une modification des Américains, un attentat est mené contre le contingent français détruisant
missions de la FINUL, bientôt rebaptisée FINUL II. En effet, au le poste Drakkar où je me trouve, réduisant à néant cet immeuble
mois de juillet et août 2006, Israël, décidée à éradiquer le
de huit étages. Je sors vivant des décombres mais dans un piteux état.
Hezbollah qui menace ses intérêts et ses citoyens depuis le
Marqué durablement dans ma chair et dans mon âme après la perte
Liban, envahit une fois de plus le Sud-Liban, bombarde Beyrouth
ainsi que des dizaines d’autres objectifs situés en territoire
de 58 de mes camardes, mon engagement reste toutefois intact
libanais. La résolution 1701 du 11 août 2006, qui exige le retrait jusqu’en 1999, date à laquelle je quitte l’armée.d
des troupes israéliennes, renforce le pouvoir que la résolution
425 avait conféré à la FINUL I. Ainsi, les quelque 5 000 militaires
(effectifs vite dépassés puisqu’en 2016, ils sont d’environ
11 000 hommes et femmes) issus de 34 nations différentes
disposent désormais d’un pouvoir de «coercition» en cas de TÉMOIGNAGE
prise à partie, y compris contre l’aviation israélienne.
CAPORAL-CHEF SANÉLÉ I.
L’aire de compétences de la FINUL II, qui s’étend du fleuve
(ARMÉ DE TERRE, LIBAN)
Litani à la Ligne bleue (elle délimite la frontière libano-israé-
lienne ainsi que la frontière du Liban avec le plateau du Golan),
est divisée en deux grands secteurs, Ouest et Est. Chaque
c En 1984, je suis à Beyrouth où je reçois avec mes camarades
l’ordre d’extraire une section qui est prise sous les feux de miliciens,
secteur est lui-même divisé en plusieurs zones placées sous la et d’évacuer le fils d’un officier libanais dans la même zone. L’excitation,
responsabilité d’un pays. La France, dans le cadre de l’opéra- mêlée à l’anxiété ressentie au début, cède vite la place à la fierté de
tion «Daman», prend part à la FINUL II. Son contingent, fort
participer à cette mission. On réussit à les récupérer sains et saufs,
à l’automne 2006 d’environ 1 650 soldats, est progressivement
et on cache l’enfant sous nos sacs à dos. Au retour, on est bloqué à un
réduit à 870 (fin 2016). Ceux-ci sont principalement regroupés
au sein de la force d’intervention. La FINUL II comprend éga- check point tenu par des miliciens armés. Ils nous ordonnent d’ouvrir
lement une «Maritime Task Force», chargée de surveiller les les portes de notre VAB. S’ils trouvent l’enfant, ils le tuent et nous avec.
eaux territoriales libanaises et d’empêcher l’introduction d’ar- On refuse ! Ils insistent avec force. La tension est palpable. L’explosion
mes au Liban. Les missions définies comme les moyens donnés voisine d’un obus détourne leur attention, et nous permet d’embarquer
à la FINUL II par la résolution 1701 ont, malgré des violations rapidement pour rejoindre notre base.
du cessez-le-feu, considérablement fait baisser la tension dans
Là-bas, on compte de nombreux impacts sur notre véhicule, et on réa-
cette partie du Proche-Orient. L’armée française a payé un lourd
lise notre chance d’être indemnes. Devenus frères d’armes, fiers d’avoir
tribut au service de la FINUL puisque 37 de ses casques bleus
ont trouvé la mort, chiffre auquel il convient d’ajouter les 58
rempli notre devoir, on devine déjà que ce baptême du feu nous liera
parachutistes servant au sein de la FMSB, tués lors de l’at- les uns aux autres à tout jamais.d
tentat du poste «Drakkar».
CI-DESSUS LES LIMITES DU MODÈLE FRANÇAIS Les interventions en Afrique se poursuivent également dans
Des soldats du 1er régiment D’INTERVENTION EXTÉRIEURE FACE la continuité du respect des accords de défense. La France se
de hussards parachutistes À LA DIVERSIFICATION DES CRISES heurte particulièrement aux ambitions du colonel Kadhafi qui
patrouillent aux abords (1978-1991) cherche à étendre l’influence libyenne au Tchad en soutenant
de leur PC, Liban, 1984. l’insurrection de Goukouni Ouedeï contre le gouvernement
© P. Fernandez / On aurait pu penser que l’accession au pouvoir de François d’Hissène Habré. À deux reprises, l’envoi de troupes importantes
ECPAD / Défense Mitterrand, «le président qui n’aimait pas la guerre», pour re- par Paris permet de contrer la manœuvre. Lors de l’opération
prendre le titre du livre d’Alexandra Schwartzbrod, allait inflé- «Manta» (9 août 1983-11 novembre 1984), 3 500 hommes
chir l’impulsion donnée aux interventions extérieures. Mais, sont déployés au Tchad, soutenus depuis les bases de Bangui
au contraire, le président Mitterrand n’hésite pas à s’appuyer et Libreville. Le but est de défendre la capitale N’Djamena et
sur la force armée pour défendre la stature internationale de la d’appuyer les Forces armées nationales tchadiennes (FANT)
France, membre permanent du Conseil de sécurité, ou soutenir dans leur reconquête du nord du pays. En janvier 1984, l’ar-
l’idée d’une Europe-puissance maître de son destin. Cet usage mée de l’air bombarde les colonnes rebelles, perdant un Jaguar
mitterrandien de la force armée reste cependant encadré et son pilote ; mais les insurgés sont contenus au-delà de la
dans des limites clairement définies : les actions sont engagées «ligne rouge» du 16e parallèle. Un accord de retrait franco-li-
dans le respect de la légalité du droit international ; elles ont byen permet de retirer ces forces en octobre-novembre 1984
pour objectif la restauration de l’état de droit et de la sécurité ; (opération «Silure»).
enfin, elles font un usage limité de la violence et n’emploient
que les seuls moyens strictement nécessaires à l’accomplis- À cette occasion, le porte-avions Foch est discrètement déployé
sement de leur mission. au large des côtes libyennes pour permettre une action de
représailles en cas de non-respect des accords par Tripoli
Lors du premier septennat de François Mitterrand (1981-1988), (opération «Mirmillon»). Mais la relance d’une offensive libyenne
la France s’engage dans un nouvel effort de maintien de la au sud du 16e parallèle oblige Paris à s’engager à nouveau, le
paix au Liban au sein de la Force multinationale de sécurité. 16 février 1986. L’opération «Épervier» fait la part belle aux
De 1982 à 1984, 2 000 soldats français sont à Beyrouth, sou- moyens aériens et antiaériens car il s’agit essentiellement
tenus depuis la mer par un dispositif naval permanent, les d’annuler le soutien aérien libyen aux rebelles tchadiens.
missions «Olifant». Cet engagement conduit à un affrontement Ainsi, l’armée de l’Air conduit avec succès un raid contre la base
direct avec le Hezbollah libanais, un parti islamiste chiite sou- d’Ouadi Doum et la destruction d’un bombardier Tupolev libyen
tenu par la Syrie et l’Iran, qui commandite l’attentat-suicide par une batterie de missiles anti-aérien Hawk s’avère dissua-
contre le poste Drakkar. En comparaison, le raid de repré- sive. Libérées de toute menace dans les airs, les Forces armées
sailles des Super-Étendard de l’aéronavale est plus symbo- nationales du Tchad remportent au sol ce que l’on appela la
lique qu’efficace. Finalement, le 31 mars 1984, le contingent «guerre des Toyota», en modernisant la pratique traditionnelle
français quitte une seconde fois Beyrouth. La population fran- du «rezzou» saharien (raid rapide sur le territoire ennemi) par
çaise a découvert à cette occasion le risque induit par les mis- l’adjonction de missiles antichar Milan sur de simples pick-up.
sions de maintien de la paix et, incidemment, le rôle de ses Un cessez-le-feu est conclu en septembre mais le dispositif
armées sur les théâtres extérieurs. «Épervier» n’est qu’allégé et non pas supprimé tant la défense
CI-CONTRE
Opération «Manta»,
Tchad, 1983.
© B. Dufeutrelle / ECPAD /
Défense
2 LA FRANCE
DANS LA GUERRE DU GOLFE
Lieutenant-colonel Paul RASCLE
Chef de section «Pilotage de la formation», commandement des forces terrestres
CI-DESSUS EN NOVEMBRE 1989, LA CHUTE DU MUR DE BERLIN MET FIN Conformément aux pratiques opérationnelles de l’Alliance
Division «Daguet», À PRÈS DE 40 ANS DE GUERRE FROIDE. POUR AUTANT, LA atlantique, la planification prévoit de longues phases de mon-
Irak, février 1991. SITUATION INTERNATIONALE N’EST PAS STABILISÉE ET DES tée en puissance logistique, d’entraînement, de certification
© Y. Le Jamtel & M. Riehl / CONFLITS INTERÉTATIQUES PERSISTENT, DÉCLENCHANT puis de préparation aérienne entre le 17 janvier et le 28 février
ECPAD / Défense LA MOBILISATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE. 1991, avant la mise en œuvre du nouveau concept américain
LES ARMÉES FRANÇAISES CONNAISSENT ALORS UNE MUL- d’«Airland Battle» qui consiste à réduire les forces adverses
TITUDE D’ENGAGEMENTS OPÉRATIONNELS QU’INAUGURE par la seule puissance de l’aviation et de frappes chirurgicales.
LA «PREMIÈRE GUERRE DU GOLFE» EN 1991.
Alors que les unités sont déployées depuis des mois, l’attaque
Le 2 août 1990, au lendemain d’une longue guerre contre terrestre proprement dite, connue sous le nom d’opération
l’Iran, l’Irak de Saddam Hussein envahit l’Émirat du Koweït en «Tempête du désert», ne débute que le 24 février pour s’a-
contestant l’exploitation que celui-ci fait des sites pétroliers chever après une centaine d’heures de combats, trois jours
frontaliers. plus tard. Une importante menace nucléaire, biologique et
chimique, prise très au sérieux par la communauté internatio-
Dès l’ouverture des hostilités, la communauté internationale se nale, pèse sur les armées de la coalition. Tous les hommes sont
mobilise pour venir en aide au Koweït, dans le cadre de trois ré- alors équipés, outre le survêtement de protection à port perma-
solutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies. nent (S3P), d’appareil normal de protection (ANP) à visière
Dès lors, la France rejoint une coalition militaire essentiellement panoramique et de gants et chaussettes carbonés.
composée des alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique
Nord (OTAN) et conduite par les États-Unis d’Amérique, qui Constituée de plus de 10 000 hommes, la division française
fournissent à eux-seuls 500000 des 900000 hommes mobilisés. «Daguet» vient rejoindre les éléments aériens, maritimes et
c
et des commandos de recherche et d’action dans la profon-
deur (CRAP).
En 1991, capitaine commandant le 1er escadron du 4e régiment
Au cœur de cette opération terrestre, la division «Daguet» a pour
de dragons, je participe au sein de la division Daguet à l’opération
mission de renseigner et couvrir l’essentiel des forces alliées «Tempête du désert». En quittant la France, je prends pleinement
qui avancent vers l’ouest, sur ce qui fut appelé l'«autoroute conscience de la responsabilité qui est la mienne : ramener tous mes
de la mort» entre Koweit city et Bassorah. Après la conquête hommes vivants ! Aussitôt arrivés sur place, l’omniprésence du masque
de la base de départ par les commandos CRAP le 24 février vers à gaz nous plonge dans le bain. Nous réalisons que nous nous
03h30, le général Janvier, qui commande la division, donne préparons bel et bien à livrer un combat blindé dans le désert.
par radio l’ordre de déboucher à 05h30 : «À tous, en avant et
Nous ne savons pas encore si nous allons gagner la guerre mais
bonne chance !». Les forces armées françaises effectuent un
les dragons sont déterminés à aller au combat jusqu’au sacrifice ultime.
bond de plusieurs dizaines de kilomètres dans le désert sans
rencontrer de résistance notable de la part des Irakiens qui
Durant l’offensive, nous essuyons des tirs d’artillerie. Nous entendons
leur font face. Deux groupements blindés foncent vers le pre- les obus siffler. Nos canons de 105 mm tirent aussi, prenant le risque de
mier centre de résistance, «Rochambeau», dont le nom fait toucher des munitions chimiques. Chaque équipage de chars AMX30
écho à la coopération militaire franco-américaine au temps de ne fait plus qu’un pour mener à bien la mission. Lors de l’annonce du
la Seconde Guerre mondiale. Le centre est pris d’assaut par cessez-le-feu, nous sommes fiers et soulagés de voir que personne
le groupement entre 12h et 17h. ne manque à l’appel. Cette euphorie, cette joie immense, ce bonheur
indescriptible resteront à jamais gravés dans nos mémoires.d
De son côté, le groupement ouest déborde largement par l’ouest
afin de couvrir l’action de la division face au nord. Les moyens
de commandement et de logistique des Irakiens sont paraly-
sés. Les hommes se rendent par milliers sans combattre,
encombrant la force par leur nombre. Le 25 février au matin,
les éléments des deux groupements se rejoignent au sud du TÉMOIGNAGE
deuxième objectif, à As Salman, qui est attaqué le soir même. COMMANDANT BRIGITTE E.
Sous la pression de l’opinion internationale, l’offensive s’arrête (ARMÉE DE L’AIR, GUERRE DU GOLFE)
c
finalement à la frontière irakienne. Défaites au Koweït, les
forces de Saddam Hussein se retirent en sabotant les puits
En 1991, je pars à Riyad sans crainte ni appréhension. Chef de
de pétrole.
détachement, je suis responsable de trois autres convoyeuses de l’air.
À l’issue de l’opération, la France n’a pas à déplorer de pertes Très investie dans mon travail, je me sens pleinement responsable des
au combat, à l’exception de deux soldats des CRAP tués dans un personnes transportées. Mon rôle consiste à faire évacuer les militaires
accident. Les cercueils entreposés préventivement à la base blessés en un minimum de temps vers Riyad. Certains d’entre eux
aérienne d’Orléans-Bricy, où devaient être acheminés les restes peuvent ne pas revenir vivants de leur mission... J’effectue 105 heures
mortels, n’ont donc finalement pas servi.
de missions aériennes du 5 février au 26 mars, sur tout le territoire, pour
assurer les liaisons avec les bases avancées. Là-bas, on vit en vase clos
Si cette opération est un succès pour la France, elle a révélé le
problème de l’adaptation de son outil de défense à la réalité
et au rythme des alertes chimiques aux missiles SCUD.
de ce type d’engagements. En effet, la situation sur le terrain
exigea une montée en puissance rapide des effectifs de la di- Plus de 20 ans après, je me souviens parfaitement du premier vol que
vision «Daguet». Ainsi toutes les unités de l’armée de terre se j’ai effectué vers Koweït City après la libération de l’émirat. La traversée
sont vu contraintes de fournir du personnel, y compris des ap- des premières lignes de feu était très risquée, les puits de pétrole
pelés volontaires ayant signé un contrat d’engagement «pour étaient en feu. À midi, il faisait nuit noire et sur les quatre avions partis,
la durée de la guerre». Le pouvoir politique estima alors que la
seuls deux d’entre eux avaient pu atterrir, dont celui dans lequel je
conscription ne permettait plus de répondre aux enjeux de sécu-
me trouvais. À ma descente d’avion, j’étais fière mais aussi bouleversée
rité et de défense et qu’il était temps d’étudier la profession-
nalisation des armées, finalement mise en place à partir de 1997 devant cette ville meurtrie et dévastée.d
au moment du vote de la loi qui mit fin au Service militaire.
CI-DESSUS LES ARMÉES FRANÇAISES par la puissance américaine. Au nom de l’indépendance natio-
Le porte-avions Clemenceau. AU DÉFI DE L’ADAPTATION nale, la brigade puis division «Daguet» et son aviation d’appui
Opération «Salamandre», AUX CRISES INTERNATIONALES avaient été projetés en Irak avec une autonomie de comman-
Djibouti, 1990. DE L’APRÈS-GUERRE FROIDE dement qui pouvait faire illusion durant la phase défensive
© M. Riehl / ECPAD / Défense (1991-1999) du conflit, l’opération «Bouclier du désert». Mais la planifica-
tion de «Tempête du désert» à partir du mois d’octobre exige
AU CENTRE La guerre du Golfe, que l’on n’attendait pas, apparaît en pre- l’incorporation des unités françaises sous le commandement
Mission «Oryx», Somalie, 1992. mier lieu comme une redécouverte du conflit de haute inten- américain sous peine d’être exclues de l’offensive finale. Do-
© D. Viola / ECPAD / Défense sité dans un contexte interarmées et interalliés, situation iné- rénavant, les décideurs français admettent qu’ils ne s’enga-
dite depuis la crise de Suez. L’expérience française dans cette geront plus dans un conflit important sans la présence des
guerre (du 2 août 1990 au 28 février 1991) commence en effet États-Unis à leurs côtés et qu’ils doivent s’y préparer en
par des opérations de diplomatie navale avec l’envoi du porte- conséquence.
avions Clemenceau et la mise en place d’un embargo mari-
time. Elle se poursuit par une campagne aérienne et voit enfin Enfin, cette recherche d’interopérabilité plus grande avec nos
l’intervention d’une division blindée légère dans les sables ira- alliés va de pair avec l’achèvement du processus d’interarmi-
kiens. Elle marque un tournant décisif pour les opérations exté- sation des forces déjà à l’œuvre. Pour être interalliés, il faut être
rieures à trois points de vue. interarmées… La synthèse des retours d’expérience aboutit
à la création de nouveaux organismes à vocation interarmées,
Tout d’abord en définissant un processus décisionnel de temps tels que la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), la Direc-
de crise qui tranche avec l’absence de règles affirmées qui pré- tion du renseignement militaire (DRM), le Commandement des
valait jusqu’alors. Le président de la République assume net- opérations spéciales (COS), le Centre opérationnel interar-
tement son rôle de chef des armées devant l’opinion publique mées (COIA) et l’État-major interarmées de planification opé-
par sa fameuse formule «nous sommes dans une logique de rationnelle (EMIA-PO), ces deux deniers fusionnant par la suite
guerre». Quotidiennement, il préside un conseil restreint ras- pour devenir l’actuel Centre de planification et de conduite
semblant les ministres, les chefs militaires et les responsables des opérations (CPCO).
administratifs. Ceux-ci sont donc en contact direct pour coor-
donner les actions marquant chaque étape de l’engagement Ainsi, à partir du Livre blanc de 1994, la projection de force cesse
français. Proche de l’exécutif dont il porte la parole, le chef d’être un phénomène marginal pour devenir le nouvel horizon
d’état-major particulier de la présidence prend une impor- stratégique des armées françaises. De fait, la décennie 1990
tance nouvelle et joue un rôle d’intermédiaire qui peut s’avérer voit la multiplication des engagements et la diversification
décisif. des missions justifiant l’emploi du terme englobant d’«opé-
rations extérieures» pour les qualifier, alors que leur seul point
Le changement de contexte géopolitique est un second point commun est bien souvent leur caractère ultramarin. La diver-
de rupture. La guerre du Golfe se situe sur la ligne de partage sité des mandats sous lesquels les forces françaises opèrent
entre deux mondes stratégiques, le conflit interétatique, issu de manifeste également la recherche d’un cadre pertinent pour
la guerre froide, et celui d’un nouvel ordre stratégique, focalisé conduire la politique internationale de sécurité.
Au niveau multinational, les opérations sous mandat de l’ONU qui, bien que contesté politiquement, doit permettre une plus CI-DESSUS
sont d’abord privilégiées : soutien de la paix au Cambodge grande liberté d’action militaire face aux crises : au «maintien Cambodge, 1992.
(APRONUC, 1992), aide humanitaire en Somalie («Oryx», 1993) de la paix», se substitue alors «l’imposition de la paix». La guer- © M. Riehl / ECPAD / Défense
et au Rwanda, où l’opération «Turquoise» (juin-août 1994) re du Kosovo est le banc d’essai de cette nouvelle politique
porte les soldats français au devant de la réalité terrible du d’intervention «durcie» qui prend la forme d’une campagne Opération «Trident»,
génocide rwandais. Mais l’opération extérieure la plus mar- de bombardements aériens, opération «Allied Force». Kosovo, 1999.
quante de cette décennie est l’engagement de la FORPRONU © X. Pellizarri / ECPAD /
pour le maintien de la paix en Yougoslavie (1992-1995). Sur Le 3 juin, Belgrade accepte finalement le retrait de ses forces Défense
le plan militaire, la mauvaise définition du mandat et l’im- du Kosovo et l’occupation de cette province par les troupes de
précision des conditions de recours à la force troublent les l’OTAN (la KFOR). Avec 101 appareils de l’armée de l’Air et
personnels, partagés entre l’empathie à l’égard des popula- de la Marine, la France a fourni le deuxième contingent de la
tions victimes de la guerre et l’absence de détermination opé- coalition et les cocardes tricolores ont participé à toutes les
rationnelle pour mettre fin à cette situation. La reprise du pont missions, de jour comme de nuit. Ce conflit démontre l’adap-
de Vrbanja, le 27 mai 1995, manifeste pourtant la valeur comba- tation des armées au nouveau modèle d’opération anticipé
tive intacte des soldats français et permet la libération de plu- après la guerre du Golfe, caractérisé par des opérations offen-
sieurs de leurs camarades pris en otages. Mais ce sursaut sym- sives de haute intensité menées en coalition. C’est d’autant plus
bolique ne peut masquer l’échec cuisant de la FORPRONU. remarquable que la nouvelle génération d’armements (Rafale,
missile de croisière Scalp, porte-avions nucléaire) n’est pas
Cette situation aboutit finalement à la reconnaissance d’un encore entrée en service et que l’outil de défense était en
leadership américain et à la rénovation du concept straté- pleine transformation entre les réformes post-guerre du Golfe
gique de l’OTAN en mars 1999. Alliance défensive en Europe, et l’attente de la professionnalisation. Annoncée par le président
elle devient une organisation militaire de contrôle de crises à Jacques Chirac en octobre 1997, la suspension de la conscrip-
vocation plus large. Dans le même temps, le cadre de l’action tion sera effective en juin 2001.
humanitaire est redéfini par la notion de droit d’ingérence, (Suite page 40)
2 LA FRANCE
DANS LES BALKANS
Capitaine Jean-Baptiste PETREQUIN
Chef de la gestion administrative, Direction des ressources humaines de la Légion étrangère
c
colore en 2007. Le dernier détachement du camp militaire de
Butmir 2 est dissous le 25 mai 2009.
Adjoint au commandant d’unité de l’escadrille, je devais
En Serbie, l’armée de libération du Kosovo ou UCK enclenche, transporter du matériel et de hautes autorités civiles et militaires
dès 1996, une guerre de harcèlement contre les forces gou- dans le cadre de l’UNHCR. J’ai été désignée pour assurer des missions
vernementales. En 1998, face à la manœuvre d’expulsion des qui permettaient d’éviter les zones de guerre et d’effectuer
populations albanophones par les Serbes, l’OTAN contraint des atterrissages sur le mont Igman afin de contourner l’aéroport
ces derniers, par des raids aériens, à conclure un cessez-le- de Sarajevo, alors cible privilégiée des forces serbes. Particulièrement
feu et à évacuer le Kosovo. Trouvant sa légitimité dans la
difficiles et périlleuses, ces missions m’ont appris à surmonter mes
résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, la
peurs, à dépasser mes limites. Jamais ne s’est posée la question sur
Force pour le Kosovo (KFOR), forte de 50 000 hommes,est
déployée le 12 juin 1999.
mes capacités de mener à bien ces missions parce que j’étais une
femme. Dans les forces armées, un militaire, qu’il soit féminin ou
La participation française s’inscrit dans le cadre de l’opération masculin, reste avant tout un soldat.
«Trident» dont les 6 000 soldats français arment essentielle-
ment la «Task Force Multinationale-Nord» de Mitrovica. Elle a Ce que je retiens de ce séjour en ex-Yougoslavie, c’est également
pour principal objectif de collaborer avec le Tribunal pénal le regard brillant de cet enfant bosniaque lorsque je lui ai remis
international pour l’ex-Yougoslavie, de participer à la création
une ration de combat, mais c’est surtout la fierté et l’honneur
d’une force de sécurité du Kosovo et de maintenir l’ordre dans
d’avoir servir ma nation lors de cette mission d’interposition
la province. Ce dernier aspect entraîne l’acquisition de savoir-
faire nouveaux en matière de maintien de l’ordre, prérogative sous l’égide des Nations unies.d
normalement dévolue sur le territoire national aux forces de
gendarmerie et de police. L’évolution favorable de la situation
conduit à leur bascule en 2011, dans le «Battle Group Multina-
tional-Est» à Novo Selo, avant de quitter le territoire fin 2014.
TÉMOIGNAGE
Premières opérations extérieures d’envergure après la guerre
MAJOR (R) MICHEL F.
du Golfe, les engagements des armées françaises en ex-Yougo-
(MARINE, KOSOVO)
slavie ont coûté la vie à 114 militaires français : 56 pour la
FORPRONU, 28 pour «Salamandre», 22 pour «Trident», 3 pour
l’EUFOR Astrée, 3 pour la KFOR et 2 observateurs de l’Union c En 1999, breveté atomicien KR (opérateur réacteur), je participe
à l’opération «Trident», au large du Kosovo à bord de l’Améthyste,
européenne. Elles consacrent un nouveau modèle, tournant la
page de la guerre froide et de sa doctrine face à l’Est, pour déve- sous-marin nucléaire d’attaque. Notre objectif est de renseigner
lopper une force projetable et adaptable aux événements. pour assurer la protection du groupe aéronaval en participant à la
surveillance des côtes yougoslaves. Bien préparés, les postes de
combat sont rapidement assumés. Nous arrivons sur zone avant
le début des frappes. La durée de la mission se prolonge bien au-delà
de ce qui avait été annoncé, atteignant les 59 jours sans escale !
L’absence de nouvelles de nos familles finit par se faire ressentir
mais nous sommes très soudés les uns aux autres et l’éloignement
n’a que peu d’impact sur notre moral. La solidarité et l’entraide restent
alors un pilier de nos armées et les enjeux de la mission sont tels
que nous ne pouvons pas flancher. Le soin apporté à l’alimentation
PAGE DE GAUCHE permet également de tenir bon. Grâce au talent de notre cuisinier,
Un casque bleu assure
je garde encore un souvenir impérissable de notre dernier repas
à bord, digne d’un restaurant étoilé !d
la protection des piétons
sur un pont, Sarajevo, 1995.
© V. Begon / ECPAD / Défense
CI-DESSUS
Opération «Harmattan»,
Libye, 2011.
© JY. Desbourdes /
ECPAD / Défense
CI-CONTRE
Opération «Atalante», 2009.
© DR / ECPAD / Défense
2 LA FRANCE
EN AFGHANISTAN
Chef de bataillon Rémi SCARPA
Commandement des écoles du combat interarmes, École d’état-major
CI-DESSUS APRÈS L’ATTAQUE DES TOURS JUMELLES DU WORLD TRADE débute par la longue mission de contrôle de zone de la capi-
Afghanistan, 2009. CENTER LE 11 SEPTEMBRE 2001, LE REGARD DE LA COMMU- tale et de ses approches septentrionales (plaine de Shamali). En
© S. Dupont / ECPAD / Défense NAUTÉ INTERNATIONALE SE FOCALISE SUR L’AFGHANISTAN, 2003, nos forces spéciales opèrent également dans la région
PAYS MARQUÉ PAR UNE SUCCESSION DE GUERRES VIOLEN- de la frontière pakistanaise, à Spin Boldak (opération «Ares»).
TES. EN EFFET, C’EST LÀ QUE LES ÉTATS-UNIS ONT LOCA-
LISÉ LE CHEF D’AL-QAIDA, BEN LADEN, À QUI LE RÉGIME DES Si les opérations de combat sont peu nombreuses lors des
TALIBANS OFFRE LA PROTECTION. premières années (à l’exception des incursions spéciales dans
les zones refuges), la situation se durcit en 2005. Armés et
Dès le 18 septembre, le Président Chirac assure la Maison financés par les trafics, les «insurgés» montent en puissance.
Blanche du soutien des armées françaises, qui sont d’emblée La Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) est
engagées (d’abord dans le cadre de l’opération sous comman- contrainte de se «muscler» et la France n’est pas en reste. 2006
dement américain «Enduring Freedom» puis sous l’égide de est une année jalon dans cette mission exigeante. La respon-
l’OTAN dans la Force internationale assistance), avec pour ob- sabilité de la Région Commandement-Capitale (formation mi-
jectifs de chasser les talibans de Kaboul, détruire les camps litaire prenant part à l’ISAF) confiée à la France correspond
d’entraînement d’Al Qaïda et permettre la constitution d’une ainsi à notre réintégration dans le commandement intégré de
force de défense afghane. L’armée de Terre déploie dès le 15 l’OTAN.
novembre un contingent de forces spéciales dans le massif de
Tora-Bora et ses zones tribales. À la fin du mois de décembre, Complétant la formation dispensée dans le cadre de l’opération
un bataillon interarmes (21e régiment d’infanterie de marine), «Epidote», des équipes de mentors sont engagées aux côtés des
initialement dans la région de Mazar-e-Sharif, se déploie sur unités afghanes pour assurer leur formation au combat mais
l’aéroport de Kaboul. Le premier mandat de l’opération «Pamir» aussi pour les accompagner lors de leurs actions. À partir de
c
plus à l’est dans la région de la Surobi. Le sommet de l’OTAN à
Riga, en 2008, concrétise plus encore cette consolidation et un
Lorsqu’en 2009, je me pose pour la première fois sur l’ancienne
bataillon français est déployé dans la très délicate vallée de la
Kapisa (centré sur Tagab). C’est dans le sillage de cet ajuste-
base russe de Bagram, le ballet incessant d’avions de tous types reflète
ment du dispositif que survient le coup de tonnerre de l’embus- l’immense besoin d’appui aérien au profit des milliers de soldats
cade d’Uzbin, le 18 août 2008, au cours de laquelle dix soldats de la coalition déployés dans le nord du pays. J’ai dès lors l’immense
français du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine responsabilité de commander le détachement de drones Harfang
(RIMa) et du 2e régiment étranger de parachutistes tombent de l’armée de l’Air, que la France a décidé d’envoyer en Afghanistan
sous le feu d’insurgés bien retranchés. 21 autres sont blessés au pour renforcer la protection des troupes alliées, à la suite de l’embuscade
combat. Premier acte d’une véritable «montée en gamme» des
d’Uzbin qui s’est soldée par 10 tués et 21 blessés français en août 2008.
actions de feu, ces combats ont donné lieu, de la part de nos
Les missions de renseignement, de surveillance et d’appui des troupes
armées, à des actes que beaucoup ont qualifié d’héroiques.
au sol vont dès lors rythmer notre vie, jour et nuit, pour traquer sans
Dès lors, le «creuset» afghan verra passer plus de 70 000 sol- relâche les groupes talibans dans le nord-est de l’Afghanistan.
dats français, certains à plusieurs reprises. 2009-2011 corres- Fin 2009, la recherche de deux journalistes français enlevés en Kapisa
pond au point culminant de l’engagement de nos forces ter- signait le début d’une coopération prometteuse avec les forces
restres, marqué par le volume de soldats déployés (4 000 en spéciales. De mes cinq détachements en trois ans, je retiens les vies
2010) mais aussi par la projection des matériels les plus mo-
des frères d’armes sauvées grâce à nous... c’est l’essentiel.d
dernes et efficaces sur tout le spectre de l’armement terres-
tre (VBCI, hélicoptère de combat Tigre) sans négliger les appuis
qui, légitimement au cœur de la manœuvre interarmes, ga-
gnent dans les vallées afghanes de nouvelles lettres de no-
blesse. Sapeurs et artilleurs rivaliseront de sens de l’enga-
gement, les uns face à la menace croissante des engins ex- TÉMOIGNAGE
plosifs improvisés, les autres appuyant du feu de leurs mortiers CAPORAL-CHEF ROLAND J.
ou de leurs canons les unités au contact, souvent à courte (ARMÉE DE TERRE, AFGHANISTAN)
c
distance dans la «zone verte».
CI-DESSUS QUEL REGARD PORTER qui fait peser plus lourd le fardeau des Opex au risque d’une
Activités de soins au service SUR CINQUANTE ANS D’OPEX ? «surchauffe opérationnelle». Ensuite, d’un point de vue finan-
pédiatrie à Cyangugu, cier, parce que le coût des Opex est systématiquement sous-
Rwanda, 1994. Pour les armées, l’histoire des Opex résume leur bilan opéra- évalué par la loi de finances initiale, alors qu’il augmente rapi-
© X. Pellizarri & C. Savriacouty / tionnel sur une cinquantaine d’années. Sur la période, la projec- dement (723 millions d’euros en moyenne entre 2002 et 2005
ECPAD / Défense tion de forces passe d’un rôle secondaire, pour lequel certaines pour environ 1,1 milliard d’euros entre 2013 et 2015 et 1,2
unités sont spécialisées, à une fonction centrale, véritable cœur milliard d'euros en 2016) ; cette absence de réalisme budgé-
battant des armées autour duquel se recompose l’ensemble taire régulièrement dénoncée par la Cour des comptes se tra-
de l’outil militaire, dissuasion nucléaire exceptée. Les opérations duit par un partage du fardeau entre tous les ministères. Enfin,
extérieures ont ainsi suscité la création de nouvelles grandes parce que la priorité accordée aux Opex se traduit souvent,
unités, puis justifié la professionnalisation, et enfin mobilisé à dans les faits, par une attention soutenue aux opérations en
leur profit l’ensemble de la Défense nationale, Secrétariat gé- cours, favorisant une vision à court terme au détriment de la
néral pour l’administration (SGA) compris, pour les questions recherche prospective ou d’une stratégie de moyen et long
juridiques, financières, de ressources humaines et finalement terme. En résulte un intérêt fluctuant, par exemple pour la
mémorielles. guerre contre-insurrectionnelle suscitée par le déploiement
en Afghanistan.
Il en résulte une grande adaptation des trois armées pour cette
mission, un accroissement des capacités de projection de Peut-on alors aller jusqu’à parler de dérive expéditionnaire ?
force ou de puissance, débouchant sur de véritables succès La question supposerait d’être capable d’établir un jugement
tactiques et opérationnels (Libye en 2011, Mali en 2013). Ainsi, sur l’effet stratégique obtenu par cette politique et de connaî-
l’opération «Serval» n’a pas seulement suscité des commen- tre l’avis du citoyen à ce sujet. Or, l’impact des Opex sur le lien
taires flatteurs de l’autre côté de l’Atlantique, mais un débat armées-nation est difficile à établir. Alors que la protection
autour des leçons à tirer pour l’US Army du modèle français du territoire et de la population est la raison d’être la plus
«léger» et «rustique». Même si ce «modèle» est souvent le évidente de la Défense nationale, les Opex ne sont pas natu-
fait de la seule nécessité, il est intéressant de constater qu’à rellement un facteur de légitimité pour les armées. Et la fin
travers lui, la France est reconnue comme une des rares puis- de la conscription fait également craindre l’affaiblissement du
sances capable d’intervenir de façon autonome pour influen- lien armées-nation. On reste cependant bien loin des soupçons
cer le cours d’un conflit lointain. de dérive prétorienne qu’évoquait sous la IIIe République une
armée professionnelle et vigoureusement active… Le Parlement
Cependant, cette adaptation ne s’est pas faite sans tensions. a d’ailleurs vu son rôle de contrôle des Opex renforcé par la
D’abord parce qu’elle s’accompagne d’une réduction de format réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 modifiant l’article
35 de la Constitution. Celle-ci oblige le gouvernement à faire des chefs militaires, mais la raison de la présence des troupes CI-DESSUS
connaître sa décision d’engager les forces armées trois jours françaises en Afghanistan n’a pas été véritablement contestée. Le colonel Duffour interviewé
au plus après le déclenchement de l’opération et à obtenir par RFI, Afghanistan, 2005.
une autorisation parlementaire après quatre mois. On peut donc faire le constat probable d’une forme d’accep- © A. Battestini / ECPAD /
tation du phénomène Opex comme un cadre normal et régu- Défense
D’une façon remarquable, les critiques, parfois très vives, lier d’intervention pour nos armées. À partir de 2007, date du
adressées à l’encontre de l’interventionnisme français sem- début de l’intervention renforcée en Afghanistan, deux obser-
blent se concentrer sur les fondamentaux politiques supposés vations viennent conforter cette analyse. La première est l’in-
être à l’origine de la décision d’intervention (contre le «néocolo- térêt nouveau pour le témoignage «à chaud» : plusieurs ouvra-
nialisme» français en Afrique, ou contre «l’atlantisme» dans le ges paraissent, rédigés par des journalistes, ou, ce qui est
cas des interventions sous mandat OTAN, par exemple) plu- beaucoup plus révélateur, par des militaires de tous grades.
tôt que sur les aspects militaires de l’opération elle-même. Ces ouvrages sont bien relayés par la presse et les opéra-
Une exception notable fut l’opération «Turquoise» au Rwanda tions suivantes (Libye, Mali) confirment cette tendance.
qui suscite des accusations aussi graves que polémiques por-
tant sur les raisons de l’intervention française comme sur l’ac- La seconde est une attention plus fournie de la part du monde
tion des militaires sur le terrain. civil pour les militaires morts pour la France ou blessés en
service commandé. Les hommages rendus officiellement aux
Si l’engagement sous le casque bleu bénéficie généralement Invalides le sont aussi, à l’initiative d’associations, sur le pont
d’un préjugé positif, il n’épargne pas non plus les armées qui de l’Alma. Les invalides de guerre ou les victimes de choc
se trouvent finalement atteintes par l’échec des opérations post-traumatique sont l’objet de plus d’attentions de la part
de maintien de la paix des Nations unies (Yougoslavie, 1992- du public, comme des autorités.
1995, Somalie, 1993). Pourtant, seule la guerre du Golfe, en
1990-1991, a donné lieu à des manifestations pacifistes, sans Le mot «guerre», enfin, longtemps camouflé par le jargon
doute parce qu’il était annoncé à la population un affronte- militaire - à commencer par l’expression Opex elle-même -
ment dont l’intensité prévisible ravivait les souvenirs de la retrouve un peu de son lustre d’antan. Le choix, en 2011, de
dernière guerre mondiale. Il faudrait conforter cette première rebaptiser «École de guerre» l’ex-Collège interarmées de Dé-
analyse par l’étude des réactions aux «coups durs» que furent fense est significatif de cette tendance, et les responsables
en leur temps l’attentat du Drakkar, la prise en otage des politiques s’en emparent à nouveau après les attentats de Paris,
casques bleus français en ex-Yougoslavie, ou l’embuscade en 2015. Sans doute faut-il y voir le signe d’une prise de
d’Uzbin. Dans ce dernier cas, de très vives polémiques ont eu conscience que l’irénisme qui a marqué la fin de la guerre
lieu, allant jusqu’à mettre en cause la responsabilité juridique froide est maintenant derrière nous.
3
O
bjet d’histoire, les opérations extérieures tendent
à devenir, tout comme le souvenir des conflits plus
anciens tels que les deux guerres mondiales,
un enjeu de transmission de la mémoire des femmes et des
hommes qui en ont été les acteurs, et notamment à la jeunesse.
Mémoire vivante, les soldats engagés en Opex témoignent et
transmettent aux plus jeunes les valeurs qui les animent.
Cela passe aussi par l’enseignement de défense que les jeunes
générations reçoivent au collège et au lycée ou, plus tard,
à l’université. Cela passe enfin par des rituels et pratiques
mémorielles, à l’occasion de journées nationales ou d’hommage
aux morts en opérations qui sont autant d’occasion de sensibiliser
le grand public à l’esprit de sacrifice de nos soldats.
La mémoire des femmes et des hommes engagés en opérations
est une mémoire encore en construction, que le ministère
des armées a d’ores et déjà à cœur d’honorer et de valoriser.
Les Opex deviennent alors une histoire à enseigner,
des mémoires à transmettre.
Salon européen de l’éducation, 2013.
© A. Karaghezian / ECPAD / Défense
NUMÉRO HORS-SÉRIE
LA FRANCE EN OPEX › 50 ANS D’ENGAGEMENT 3 ENSEIGNER, COMMÉMORER LES OPEX
Naïma Page est professeur d’histoire en classe défense et sécurité globale au col-
lège Stéphane Mallarmé à Paris. À ce titre, elle sensibilise ses élèves aux enjeux
de défense en leur faisant découvrir le monde militaire via des visites d’unités ou
des rencontres avec des soldats.
Quelle place ont les opérations extérieures conduites Alors que l’engagement opérationnel
par la France depuis 1963 dans les programmes de la France en Afrique et au Moyen-Orient
scolaires au collège ? se retrouve souvent au cœur de l’actualité,
comment enseigner aujourd’hui
Les programmes d’histoire-géographie et d’enseignement les Opex à des adolescents ?
moral et civique (EMC) offrent une place importante aux opé-
rations extérieures au collège, comme au lycée d’ailleurs. En Les Opex font l’objet d’une partie spécifique du programme
classe de 3e plus précisément, les élèves abordent les Opex de 3e en EMC. Ainsi, nos élèves ont pu travailler l’année der-
dans le cadre du thème 2 sur le monde depuis 1945. La guerre nière sur différentes opérations menées à travers le monde en
froide, l’affirmation du projet européen et sa mise en œuvre, choisissant par binôme une opération extérieure («Barkhane»,
© DR les conflits dans le monde après 1989 sont autant de thèmes «Chammal», «Atalante»…) et en faisant une recherche sur le
qui permettent de les étudier. site du ministère des armées, notamment pour identifier la
nature de l’opération choisie, ses missions ainsi que les forces
Le programme d’EMC propose par ailleurs de travailler plus mobilisées. Chaque groupe a pu ensuite faire un compte ren-
spécifiquement sur ces Opex dans le cadre de l’enseignement du oral à sa classe et l’ensemble des exposés ont donné lieu
de défense. Les élèves doivent connaître les grands principes à de petits articles mis en ligne sur le site de l’établissement.
de la Défense nationale, les menaces sur la liberté des peuples
et la démocratie, tout comme les engagements européens et L’année précédente, le contrôleur général des armées et ancien
internationaux de la France. Ces derniers peuvent ainsi faire président du Souvenir français Gérard Delbauffe était venu au
l’objet de questions lors de l’épreuve écrite du brevet en fin sein de l’établissement. Il a pu notamment intervenir en 3e sur
d’année scolaire. cette question des Opex. Ces échanges concrets ont réellement
contribué à donner du sens au lien armées/jeunesse. Mon-
Qu’est-ce qu’une classe de défense et sécurité sieur Delbauffe est à cet égard convaincu que l’appropriation
globale ? En quoi l’enseignement dans ce type des valeurs de notre pays et la prise de conscience des me-
de structure permet de sensibiliser davantage naces qui pèsent sur elles sont les ressorts du développement
les élèves à la question des Opex ? d’un esprit de défense chez les jeunes.
PAGE DE DROITE Il s’agit d’une classe qui a noué un partenariat avec une unité Quel regard les élèves portent-ils sur cette histoire
Une élève à bord militaire. Les élèves peuvent ainsi, tout au long de l’année et très récente, voire sur cette histoire immédiate,
du remorqueur Maïto, dans un cadre pluridisciplinaire, échanger lors de visites de mem- et sur les hommages rendus aux soldats blessés
Martinique, 2011. bres de l’unité dans l’établissement ou par correspondance ou morts en opérations ?
© DR / ECPAD / Défense (courriels si l’unité part en opération) et se rendre sur site pour
une visite de l’unité, en général en fin d’année. S’articulant avec Le contexte particulier, lié aux attentats commis dans notre pays
l’EMC et le thème de l’engagement, ces classes aident à sensi- et ailleurs, place la question du lien avec la Défense, et donc
biliser les élèves aux enjeux de la Défense nationale en les avec les soldats qui se battent pour nos valeurs à travers le
rendant actifs, en essayant de les amener progressivement monde, au centre des réflexions de nos collégiens. Ils s’in-
aux connaissances et aux compétences de défense et de terrogent et échangent en classe, tout comme au sein de leur
sécurité nationale essentielles à l’exercice de leurs devoirs de famille. Le devoir de mémoire leur tient également à cœur. La
futurs citoyens. question de la mémoire des conflits est largement abordée
notamment à travers l’histoire des génocides, des deux guerres
Au fil de l’année, les élèves sont ainsi amenés à construire leur mondiales ou encore des différents conflits plus récents (en
parcours de citoyenneté qui comprend, outre un enseignement lien avec les hommages aux soldats morts en opérations).
de la défense en 3e et en 1re, le recensement à seize ans et la Des sorties scolaires ont d’ailleurs permis aux élèves de tra-
participation à la Journée défense et citoyenneté avant l’âge de vailler tout au long de l’année sur ces thématiques : au musée
18 ans. Les élèves de la classe défense et sécurité globale peu- de l’Armée aux Invalides, à l’Historial de Péronne ou le long du
vent par exemple réfléchir à la question de la dissuasion mili- circuit du Souvenir de la bataille de la Somme par exemple.
taire, de la réserve ou du lien entre l’armée et la nation à travers
sa jeunesse tout simplement. Ma collègue Katia Szwec est asso- Ils sont conscients du rôle qu’ils ont à jouer et pas seulement
ciée à ce projet dans le cadre d’un partenariat avec le porte- parce qu’ils font partie d’un projet lié à la Défense. Nos élèves
avions Charles de Gaulle, noué pour l’année scolaire 2017-2018. se sentent concernés en tant que futurs citoyens.
Jean de Préneuf est responsable d’un master sur la guerre et la sécurité, axé sur
une dimension historique. Il enseigne également l’histoire des opérations exté-
rieures à des étudiants de licence. Réserviste, il travaille par ailleurs régulière-
ment avec l’équipe du Service historique de la défense du ministère des armées.
Quelles sont les motivations des jeunes étudiants sur la guerre et la sécurité» et les doctorants présentent une
qui suivent votre cours consacré aux politiques motivation certaine, dans la mesure où ils souhaitent travailler
de défense et aux opérations extérieures ? dans ce domaine.
Ceux qui suivent la préparation aux concours des Instituts Reste enfin que, quel que soit leur profil, tous les jeunes se
d’études politiques sont intéressés par tout ce qui permet de montrent curieux des environnements éthique et juridique de
comprendre comment l’outil militaire s’insère dans l’action l’action militaire.
gouvernementale. Les Opex sont un objet pertinent pour ap-
préhender les dimensions interministérielle et interalliée ainsi Inscrivez-vous votre cours dans une perspective
que les processus de décision en temps de crise. historique, le temps des opérations extérieures
© DR ayant commencé il y a plus de 50 ans ?
Certains étudiants en 3e année de licence suivent un ensei-
gnement optionnel consacré à la guerre et à la paix. Beaucoup Au sein d’une faculté d’histoire, cette dimension est évidemment
sont au départ focalisés sur la dimension socio-culturelle des centrale. Face à la dictature de l’urgence, nous replaçons l’ère
conflits. La plupart n’a en effet souvent qu’une connaissance moderne des Opex dans le temps long des interventions
superficielle des Opex. Ils motivent leur décision de suivre cet extérieures dès le milieu du XIXe siècle, sans s’interdire de
enseignement par le besoin d’éclairer leurs choix de citoyen. remonter en tant que de besoin à l’époque moderne, dès lors
Enfin, les étudiants de notre master professionnalisant «Études que cela permet d’éclairer les opérations contemporaines.
CI-CONTRE ET
PAGE DE DROITE
Simulation de prise
en charge d’une équipe
COM en Afghanistan avec
des étudiants en journalisme,
Camp de Canjuers, 2014.
© JJ. Chatard / DICOD
CI-DESSUS Toutes les guerres suscitent des mémoires. Celles-ci se cris- mandat de l'ONU, elle fut présente de 1992 à 1995 en ex-
Hommage à un soldat tallisent souvent autour des morts au combat et se retrouvent Yougoslavie dans les opérations de maintien de la paix. Les
décédé avant le rapatriement portées par les survivants. Si les prémices de cette mémo- troupes françaises interviennent aussi pour venir en aide à des
du corps en France, rialisation remontent au XIXe siècle, c'est principalement avec ressortissants français et européens comme en 1978 à Kolwezi,
Afghanistan, 2010. la Première Guerre mondiale que la commémoration des morts, dans l'actuelle République démocratique du Congo. La France
© S. Dupont / ECPAD / Défense et par association de la guerre en elle-même, s'affirme. Les s'engage seule ou au sein de coalitions internationales comme
pratiques et les usages servent alors de modèles aux conflits lors de la guerre du Golfe en 1990-1991. Enfin, elle assure des
suivants (second conflit mondial, guerres de décolonisation). missions de protection et de surveillance comme la lutte contre
Pourtant, avec les Opex, la construction mémorielle et l'hom- la piraterie dans l'océan Indien. Au cours de ces différentes
mage rendu aux morts sont plus difficiles à mettre en œuvre. opérations, la France a perdu plus de six cents militaires. Par le
De 1962 à nos jours, la France a dirigé ses forces armées en passé, au lendemain des deux conflits mondiaux et des guerres
différents points du globe pour des raisons très diverses. Sous de décolonisation, les communes et les anciens combattants
assuraient rapidement un système visant à instaurer et péren- Comme pour les conflits précédents, il existe différentes échel- CI-DESSUS
niser un hommage à leurs morts, avec un calendrier institution- les mémorielles et commémoratives. Les premiers à subir le Cérémonie d’hommage
nel précis et un lieu de commémoration commun, incarné par décès sont les militaires engagés sur le front. Ils doivent or- à trois soldats du 511e RT
le monument aux morts. Mais avec les Opex, il n'en est rien ganiser la récupération et le rapatriement du corps et surtout décédés au Mali,
et les initiatives ont tardé à se présenter. assumer la perte d'un compagnon d'arme tout en continuant Invalides, 2016.
le combat. Dans son Journal de marche d'un chef de corps © S. Lafargue / ECPAD / Défense
VERS LA CONSTRUCTION français en Afghanistan, le colonel Nicolas Le Nen témoigne de
D’UNE MÉMOIRE DES OPEX ce premier moment de la prise en compte de la mort au combat.
Confronté le 13 mars 2009 au décès en Afghanistan du capo-
Le statut professionnel des militaires et l’engagement sur des ral-chef Nicolas Belda, du 27e BCA d'Annecy, cet officier supé-
théâtres extérieurs lointains apparaissent comme des entra- rieur défend à la fois l'idée de ne pas abandonner ce soldat tout
ves à la mise en place d'une mémoire spécifique. Pourtant les en affirmant la nécessité de continuer l'opération. Le deuil est
soldats professionnels des deux guerres mondiales sont ho- alors mis entre parenthèses pour le temps du combat.
norés au même titre que les mobilisés sur les monuments
aux morts. Les militaires de carrière décédés à Salonique en LES MORTS EN OPEX :
1916 ou à Narvik en 1940 bénéficient également de cet hom- UNE MÉMOIRE MILITAIRE
mage. Le contexte géopolitique apparaît donc plus détermi-
nant et il convient que le décès soit lié à une guerre aux Néanmoins, cette première étape participe étroitement à l'éla-
portées internationales impliquant la France. L'absence d'as- boration d'une mémoire militaire. Celle-ci se structure par la
sociation d'anciens combattants d'Opex dans les communes suite en deux temps. Une première cérémonie s'articule au-
rend également difficile la création d'un hommage spécifique tour du cercueil du défunt, alors recouvert d'un drapeau trico-
à une échelle locale. Enfin, proportionnellement aux guerres lore. Ce moment se tient souvent au cœur de la caserne du
précédentes, très peu de communes ont à faire face à la perte régiment concerné comme pour la cérémonie d'hommage au
d'un de leurs ressortissants en Opex, leur (re)connaissance soldat Loïc Roperh, mort en opération en Afghanistan le 10 mai
par la société fut aussi longue et ce n'est véritablement que 2011 ; celle-ci s'est tenue à Valdahon où se situe son régiment
depuis les années 2000, avec le retentissement médiatique du 13e Génie. Dans d'autres cas, la cérémonie s'est déroulée
de la guerre en Afghanistan et des opérations «Serval» et dans la cour d'honneur des Invalides comme le 20 avril 2016
«Barkhane», que le grand public prend conscience des Opex. pour l'hommage aux trois militaires du 511e régiment du Train
Le contexte d'une guerre contre le terrorisme et l'annonce d'Auxonne, tués près de Tessalit au Mali le 12 avril 2016. Ces
quasi-instantanée des décès de militaires français par les ré- instants d'hommage participent à la structuration de la mé-
seaux d'information en continu ont révélé l'importance de ces moire des Opex par le caractère officiel qu'ils revêtent, mais
actions menées par la France. Dès lors, sans être nouvelle, une surtout par la diffusion d'images et de symboles forts dans la
véritable mémoire des Opex s'organise et s'articule autour de société française. La présence des plus hautes autorités de l'État,
l'hommage des militaires morts au combat. notamment celle du président de la République, •••
CI-DESSUS Dans certains cas, l’inscription est même devenue impossible ne des deux conflits mondiaux et des guerres de décoloni-
Cérémonie de lancement par le fait que le défunt n'est pas reconnu «mort pour la sation. La cérémonie d'inauguration, en présence des autori-
des travaux du monument France» au cours de l'action menée. Le site «memoiredes- tés communales, d'un détachement du 7e BCA, du général
en hommage aux soldats hommes» permet d'identifier le cas du capitaine du 6e régi- Wattecamps, alors commandant la 27e brigade d’infanterie de
morts pour la France en Opex, ment parachutiste d'infanterie de marine Rémy Basset, montagne, et d'une foule relativement importante, permet
Parc André Citroën, Paris, décédé au Tchad le 6 mars 1993. Son nom ne semble inscrit d'associer les Opex au panthéon communal. La médiatisation
18 avril 2017. sur aucun monument aux morts, que ce soit à Tullins, sa com- de l'événement permet également de faire évoluer l'image
© J. Salles / ECPAD / Défense mune de naissance en Isère, ou à Mérignac en Charente où se des Opex ainsi que leur place dans la mémoire collective. L'État
trouve pourtant son lieu de sépulture. L’absence de son patro- ne tarde pas à s'en faire le relais.
nyme sur un édifice s'explique par le fait que cet officier n'est
reconnu «mort pour la France» par l’Office national des anciens VERS L’IMPLICATION DE L’ÉTAT
combattants et victimes de guerre que le 23 avril 2014. L'ob-
tention de cette mention n'est en conséquence pas toujours Même s'il n'est pas aussi conséquent que celui des guerres
systématique en Opex puisqu’elle répond à des critères juri- précédentes, le nombre de morts en Afghanistan, associé à la
diques et peut être attribuée ultérieurement. Durant des dé- médiatisation de cette mort au combat contemporaine, impose
cennies, les Opex sont restées dans l'ombre de la commé- à l'État de réagir. C'est avec la loi du 28 février 2012 qu'une
moration. Elles ne disposaient ni de support matériel à leur mé- première démarche est engagée, permettant de revaloriser la
moire, ni d'un calendrier commémoratif permettant d'affirmer place des Opex. Cette nouvelle législation impose aux commu-
leur réalité, au sein d'une société qui ne cherchait pas parti- nes de naissance ou de dernière domiciliation d'inscrire sur le
culièrement à s'intéresser à ces combats lointains. Après tout, monument aux morts, ou à proximité, les noms des personnes
combien de Français sont capables, encore aujourd'hui, de situer, dont l’acte de décès porte la mention «mort pour la France».
de dater ou d'expliquer les motivations des différentes Opex ? Dès lors, tous les noms des soldats tombés en Opex obtenant
la-dite mention sont inscrits sur les monuments aux morts des
La construction d'une mémoire propre à ces opérations appa- communes. Pour la première fois, la décision n'appartient plus
raissait alors comme fortement improbable au sein de la socié- aux communes, ni même aux familles qui ne peuvent refuser
té sans une évolution significative. Ce n’est qu’à l’aube de la cet hommage.
décennie 2010 qu’elle se fait jour avec des initiatives commu-
nales comme celle de Saint-Aupre en Isère. L'inscription du Cette même loi fait du 11 Novembre le jour d'un hommage
nom de Clément Chamarier sur le monument aux morts du rendu à tous les morts pour la France, quelle que soit la guerre
village, avec la mention «mort en Afghanistan», est inaugurée concernée. Le 11 Novembre devient une forme de catalyseur
le 11 novembre 2011. Sur décision du maire et du conseil mu- des mémoires des morts au combat, permettant pleinement
nicipal, en accord avec l'association locale des anciens combat- aux Opex d'être intégrées à la mémoire collective. Il faut tou-
tants, ce militaire du 7e bataillon des chasseurs alpins (BCA) tefois signaler que les discours tenus autour des monuments
de Bourg-Saint-Maurice, tué dans la province de la Kapisa le aux morts ce jour-là restent essentiellement orientés vers les
19 février 2011, est honoré aux côtés des morts de la commu- mémoires de la Grande Guerre.
Une seconde démarche émanant de l'État s'articule autour Désormais, la mémoire des Opex est fixée dans le temps avec
de la création d'un monument national en hommage aux morts son expression dans toutes les communes de France chaque
en Opex. Recommandé par le rapport Thorette en 2011, cet 11 Novembre. Elle sera prochainement ancrée dans l'espace
édifice sera installé au sein du parc André Citroën, dans le par l'intermédiaire du monument national, lorsque celui-ci
XVe arrondissement de Paris, à proximité de l'Hexagone Ba- sera inauguré. S'il existe encore des débats et des contesta-
lard, désormais siège du ministère des Armées. L'œuvre de tions liés à la légitimité des Opex, à des questions écono-
Stéphane Vigny doit matérialiser l'hommage national rendu aux miques ou d'emplacement de l'édifice, ils semblent minori-
soldats morts en Opex depuis 1962, et à travers eux, à l'ensem- taires à une époque où la guerre contre le terrorisme et la
ble des forces armées engagées dans ces différents conflits. recherche d'une stabilité mondiale apparaissent comme des
Cette démarche permet de réunir des militaires tombés au priorités pour l'État et pour la grande majorité des Français.
Tchad, au Liban, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, au Mali Néanmoins, il sera intéressant de suivre l'évolution de cette
et sur tous les autres territoires où la France a porté ses sol- mémoire dans les décennies à venir afin de cerner la place qu'elle
dats. Cet édifice doit être une pierre de plus dans l'affirma- tiendra aux côtés de celles des deux conflits mondiaux et des
tion de la mémoire des Opex, qui se construit continuellement guerres de décolonisation. Il conviendrait de savoir si cette mé-
depuis maintenant plus de cinquante ans. Il doit également moire parviendra réellement à synthétiser toutes les Opex ou si
être l'expression d'un hommage de la Nation à son armée. certaines ne seront pas privilégiées par rapport à d'autres.
STÉPHANE VIGNY EST L’ARTISTE QUI A ÉTÉ RETENU © T. Gillot / Atelier A / ADAGP
Pourquoi avoir fait le choix de participer à ce concours ? Elle consiste en un groupe de six porteurs, une femme et cinq hommes,
qui prennent place au cœur du jardin Eugénie Djendi, parc André Citroën,
Je suis parti du constat que les opérations extérieures sont souvent à Paris. Six figures humaines, en bronze, portent un cercueil non-visi-
quelque chose d’abstrait dans l’imaginaire collectif. J’ai eu donc envie ble. Ce vide, bordé par les douze mains des porteurs, unit les six figu-
de réaliser une œuvre accessible et immédiatement compréhensible par res qui composent ce cortège. La présence active de ce vide invite
le plus grand nombre. Je n’ai pas conçu ce monument à partir d’éléments chacun d’entre nous à reconstruire mentalement l’objet manquant.
abstraits ou allégoriques. Car, la fonction de ce monument et son implan- L’œuvre vise donc moins à créer des émotions qu’à en accueillir.
tation dans l’espace public exigent, selon moi, un langage formel déchif-
frable par tous, de sorte que chacun puisse s’approprier ce monument. C’est ce mécanisme de restitution qui est essentiel dans cette œuvre
puisqu’il s’associe avec le rappel à la mémoire d’un être disparu. Par ce
J’ai ainsi fait le choix de l’explicite, en représentant une scène sans équi- mécanisme, c’est l’ensemble de la communauté qui participe au deuil
voque, délibérément choisie pour sa force évocatrice à l’échelle collec- en contribuant à combler ce vide en permanence. C’est cette absence
tive : le portage du cercueil. Rituel qui concerne l’ensemble de la qui laisse la place à une communion de récits personnels, produits et as-
société, et que l’on retrouve aussi bien lors de cérémonies militaires sumés par la communauté de ceux qui restent. J’ai bien sûr conçu ce
que civiles. J’ai souhaité représenter ce cortège à l’échelle réelle et sans monument en tant qu’hommage aux morts mais également comme l’ex-
socle, à même le sol, pour souligner l’appartenance de ces femmes et pression d’une solidarité envers ceux qui restent, car l’enjeu de la céré-
de ces hommes à l’ensemble de la communauté. monie et du monument est de regarder également vers les vivants.
02 03
01
04 05
Depuis les années 1960, les armées françaises ont participé Ainsi, l’insigne du Corps expéditionnaire français en Egypte(01),
à de nombreuses opérations extérieures, tant pour la défense remontant à 1963, peut être rangé dans cette catégorie, au
des intérêts nationaux et des ressortissants français que pour même titre que celui des opérations «Epervier»(02) au Tchad
des opérations de maintien de la paix. Les combattants ont (février 1986 à août 2014), «Licorne»(03) en Côte d’Ivoire (sep-
souhaité conserver le souvenir de leur action en créant des in- tembre 2002 à janvier 2015), «Serval»(04) au Mali (janvier
signes. Ces derniers, élaborés souvent sans qu’ils soient homo- 2013 à août 2014), puis «Barkhane»(05) au Sahel depuis août
logués officiellement, constituent un témoignage des unités de 2014 ou encore «Sangaris»(06) en Centrafrique (décembre 2013
marche, constituées pour l’occasion autour d’un noyau issu d’un à octobre 2016). Ces insignes ont pour point commun une
régiment auquel viennent parfois s’ajouter des éléments isolés. héraldique évocatrice du nom de la mission, représenté sou-
vent par un bestiaire.
Parmi ce corpus d’insignes, on peut établir une typologie met-
tant en évidence plusieurs catégories. Ce type d’insigne est bien souvent décliné pour l’état-major
de la force déployée en version métallique comme par exem-
L’INSIGNE GÉNÉRAL ple celui de l’opération «Boali»(07)(08) en Centrafrique (octobre
DES OPÉRATIONS 2002 à fin 2013).
Cet insigne est le plus courant. Souvent en tissu, il s’inscrit en Les règles présidant à la confection des insignes sont cepen-
complément de l’écusson de France qui identifie le contingent dant souples. Lors de l’opération «Manta»(09) se déroulant au
militaire. Tchad (août 1983 à février 1986), les militaires firent réaliser
06 07 08
09 10
11 12 13
Ces unités constituent une autre catégorie de soutien de la Ces insignes, qui ne respectent pas toujours les règles de
force projetée. Elles entament souvent des démarches d’ho- l’héraldique ou de la symbolique, présentent pourtant un grand
mologation, en fondant leur requête sur un système symbo- intérêt mémoriel, dans la mesure où ils rappellent l’engage-
lique lié à l’appellation de la force. Pour l’ex-Yougoslavie par ment des soldats pour la France.
exemple, la division «Salamandre»(10)(11) tout comme l’opéra-
tion «Trident»(12)(13) au Kosovo (entre 1999 et 2014) connurent LES INSIGNES PARTICULIERS
ainsi de nombreuses déclinaisons. À CHAQUE ARMÉE
Toutes les armées ayant pris part aux Opex ont également
créé des insignes. La volonté de faire entrer toutes les compo-
santes de la mission dans la symbolique de l’insigne •••
14 16 17
15 18
19 20 21
permet de repérer les régiments ayant fourni les effectifs de d’insignes, le commandement de la gendarmerie (COMGEND)
la mission. Ainsi, l’insigne suivant permet de comprendre l’im- en Afghanistan a fait homologuer par le Service historique de
plantation de l’unité en ex-Yougoslavie, et d’établir l’origine la défense en 2010 un insigne unique(20), quelles que soient
e e
des effectifs, fournis par le 5 régiment d’infanterie et la 2 les unités d’origine, missions et nature du déploiement du
division blindée(16). personnel. Cette volonté unificatrice se traduit par l’emploi
de l’inscription «FORCES DE GENDARMERIE», singulière dans
L’armée de l’Air a homologué un certain nombre d’insignes de le corpus symbolique de l’institution. Cet insigne métallique
détachements air (DETAIR) que ce soit celui de «Sarajevo»(17) est doublé d’un écusson brodé à porter sur les tenues de
en Bosnie (1992-2002), celui de «Douchanbé»(18) dans le Tad- combat.
jikistan (2001-2014) ou celui de «Kandahar»(19) en Afghanis-
tan (2007-2012). Ces DETAIR ont notamment pour vocation Les marins font également réaliser des insignes rappelant les
d’apporter un soutien logistique aux opérations aériennes me- Opex, notamment pour le croiseur Dupleix lors de l’opération
nées sur les différents territoires. «Olifant»(21) au Liban depuis 1981. On peut encore évoquer l’in-
signe de la patrouille maritime de la mission «Artimon/Daguet»,
La gendarmerie nationale assure depuis toujours des mis- qui ne sera ni homologué ni porté, pour respecter les tradi-
sions de prévôté aux armées. Afin d’éviter la multiplication tions de la Marine.
BIBLIOGRAPHIE
COUTAU-BÉGARIE HERVÉ
Le meilleur des ambassadeurs, Paris, Économica, 2010, 370 pages.
FOURÉS ANDRÉ
Au-delà du sanctuaire, Paris, Économica, 1986, 270 pages.
GAUTIER LOUIS
La défense de la France après la guerre froide, Paris, PUF, 2009, 567 pages.
GUILLEMIN DOMINIQUE
«Du mandat national à l’engagement en coalition : l’adaptation de la Marine nationale
aux opérations extérieures (1987-1999)», Revue historique des Armées, n°273, 4/2013, p. 51-62.
LANXADE JACQUES
Quand le monde a basculé, Nil éditions, 2002, 396 pages.
LE NEN NICOLAS
Task Force Tiger, Journal de marche d'un chef de corps français en Afghanistan, Paris, Économica, 2010, 114 pages.
DE LESPINOIS JÉRÔME
L’armée de Terre française de la défense du sanctuaire à la projection, 1974-1996, 2 tomes, L’Harmattan, Paris, 2001.
NOVOSSELOFF GAYER
«La reconstruction de l'Afghanistan aura-t-elle lieu ?», dans Politique étrangère, n°3, 2004, 69e année p. 611 à 624.