Livre Blanc Paysage Safer
Livre Blanc Paysage Safer
Livre Blanc Paysage Safer
Octobre 2004
La fin des
paysages ?
Livre Blanc
pour une gestion mnagre
de nos espaces ruraux
Aux Paysans,
tous ceux qui tiennent et entretiennent le pays,
pour que la France fasse vivre ses visages
et garde ses paysages.
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1 Quest-ce quun paysage rural ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2 Brve histoire des paysages franais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
3 "Pays, Paysans, Paysages" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
4 La campagne franaise plbiscite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
5 Vivre la campagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
6 Croissance et talement urbain : le no rural rattrap par la ville . . . 12
7 Une priurbanisation des campagnes subie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
8 La consommation foncire priurbaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
9 Zones dactivit et grandes surfaces : de bien grandes surfaces... . . . . 15
10 Lenvol du pavillon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
11 "Et si le luxe ctait lespace ?" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
12 Les rsidences secondaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
13 Quelques lments sur lvolution du prix du foncier rural en France 23
14 Lagriculture dstabilise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
15 Un talement priurbain subi et coteux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
16 Les dpartements doutre-mer confronts une priurbanisation
acclre : les exemples runionnais et martiniquais . . . . . . . . . . . . . . . 29
17 Consquence : le scnario du conflit gnralis ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
18 Un quilibre ville campagne rinventer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
19 Quelques propositions pour ouvrir le dbat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Protger les paysages dans la lgislation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Matriser lurbanisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Organiser une cohrence globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Ractiver le fonds de gestion de lespace rural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Renforcer et rnover la rglementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Privilgier la rgulation et larbitrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Affirmer la place des Collectivits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Approfondir le rle des SAFER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Dfinir un projet pour chaque territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Dfinir un projet pour tout le territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Introduction
Il y a quelques annes, Eugen Weber, dans une thse passionnante, constatait "la fin
des terroirs". Il situait cet vnement entre les annes 1870 et 1914. A ses yeux, cette
disparition des cultures, usages, traditions, spcificits de ces petits territoires dont la
mosaque compose la France, avait trois causes principales. Les routes et le chemin de
fer qui, multiplis au XIXme sicle, ont irrigu les campagnes en donnant ses
habitants le moyen de les quitter... Linstruction obligatoire ensuite : ce succs de la
troisime Rpublique a gnralis lusage du franais des villes dans la campagne
contribuant uniformiser les cultures. La conscription enfin, depuis Napolon et
jusqu lapocalypse de la Grande Guerre, a utilis les campagnes comme rservoir et
procd un brassage donnant lieu un nivellement des connaissances et des
expriences.
Globalement, on doit pouvoir constater lissue de cette priode une plus grande
homognisation de chacune des deux entits, ville et campagne, ce qui entrane un
renforcement de la dichotomie entre les deux.
A peu prs au mme moment, Henri Mendras pronostiquait "la fin des paysans". Cet
ancien tat, plus subi que choisi, fait de contemplation, dobservation et de soumission
aux dures lois de la nature et aux usages, tait en train de cder le pas une activit
conomique de plus en plus banalise car affranchie par la technique des
dterminismes naturels et culturels. Ainsi, la frontire sparant les mondes urbains et
ruraux tend sestomper et nombreux sont les agriculteurs qui habitent maintenant en
ville tout en travaillant la campagne.
Aujourdhui, nous nous interrogeons sur la fin des paysages de nos campagnes
traditionnelles. En effet, dans de nombreuses zones de notre pays, principalement dans
les espaces priurbains, la ville a dfinitivement envahi la campagne, dtruisant ses
espaces, ses terroirs, ses paysages. La nature doit seffacer devant le bton, la tle, le
goudron et la publicit. Cest une volution qui se gnralise ; tout notre pays en
souffre, dans les mmes formes, selon les mmes modalits, dautant plus dangereuses
quelles sont subreptices et rampantes, non voulues et non matrises.
Voulons-nous demain vivre dans une vaste zone urbaine o lhabitat pavillonnaire
alterne avec des tendues de chalandise o la vie "pas chre" aura t acquise au prix
de nos champs et de notre nature ?
Cest la question que souhaitent lancer les SAFER afin douvrir un dbat : assistonsnous la fin de nos paysages ? Lacceptons-nous ? Est-ce le prix payer de nos modes
de vie moderne et du progrs ?
Poser la question, cest dj y rpondre. Alors le but de ce dbat, cest avant tout de
trouver, tous ensemble, des solutions pour une gestion durable de nos espaces.
Cest aux paysages ruraux que nous voulons nous intresser, ces espaces qui
constituent nos campagnes et nos terroirs.
Ce tropisme est justifi par trois lments :
dabord lidentit de notre pays qui repose largement sur la diversit de ses
campagnes, charges dhistoire, riches de leur patrimoine, de nos cultures et de
nos traditions rgionales.
Ensuite parce que ces campagnes sont plus que jamais plbiscites par les
Franais, mais aussi par les trangers qui viennent nombreux visiter notre pays.
Enfin, parce que les SAFER sont des acteurs de lespace rural, elles ont vocation
garantir une gestion durable du foncier et prserver, par le fait mme,
lharmonie des paysages ruraux.
Il est difficile de dfinir ce quest un paysage rural car la notion de paysage elle-mme
est teinte de subjectivit. Chacun apprcie un paysage en fonction de critres qui lui
sont propres et de sa sensibilit.
Cependant, gographes, amnageurs, historiens, nombreux sont les spcialistes qui se
sont penchs sur le paysage et qui ont dfini le paysage pour les besoins de leurs
recherches et de leurs analyses.
Ainsi, en France, o les espaces agricoles ou forestiers occupent plus de 80 % du
territoire, un paysage est toujours le fruit dune interaction entre un espace naturel et
une activit humaine de prfrence agricole ou forestire. Cest laction de lhomme sur
un milieu naturel qui produit un paysage, cest sa volont de grer la nature, dutiliser
ses richesses et ses contraintes son profit qui faonne lespace et lui donne une
physionomie, un aspect caractristique.
Les exemples sont multiples : il suffit de penser aux cultures de vignes en terrasse dans
la valle du Rhne ou doliviers en Corse ; aux hortillonnages des marais dAmiens ; aux
tangs piscicoles des Dombes ; aux estives dAuvergne et aux alpages des montagnes ;
aux bocages des levages normands ou vendens ; aux plaines cralires des rgions
limoneuses ; aux landes giboyeuses des chasses de Sologne ; aux cultures de cannes
sharmonisant avec la mer des Carabes ou lOcan indien ; aux forts de haute futaie ;
aux landes du Cotentin ; aux marais salants des Ctes atlantiques ou
mditerranennes, etc.
Chacun dentre nous a le souvenir ou la nostalgie dun coin de colline, de garrigue, de
rivire, de cte maritime, de montagne, de lac... Mme le plus urbain des franais a un
morceau de campagne qui est partie intgrante de son identit.
Nous avons environ 467 appellations viticoles contrles (sans compter les vins de pays
ou les vins de qualit suprieure), chacune est le fruit dune interaction entre un cpage
de vigne, les spcificits pdologiques dun terroir, un climat et un savoir-faire. Un
minimum dapprentissage et dhabitude permet au palais le moins dou de saisir les
diffrences et aux plus entrans de reconnatre lorigine exacte, voire lanne de
production.
Pour le fromage, comme pour le vin, chaque sorte, chaque appellation, voque un
paysage particulier, depuis la montagne champenoise, en passant par la valle du
Rhne, les galets de Chteauneuf-du-Pape, le micro parcellaire alsacien, jusquaux
bocages de Normandie, aux monts du Cantal, aux plateaux du Jura.
Au total, la France compte plus de 700 petites rgions agricoles o les types de culture,
les modes de mise en valeur, le choix de la race des animaux levs sont directement
lis aux particularits pdologiques et climatiques. Cela conduit cette diversit
paysagre qui permet un randonneur dadmirer de nombreux changements au fur et
mesure de sa marche alors que dans dautres pays, cest la voiture ou le train qui sont
en mesure de garantir quelques volutions des espaces traverss.
Encore ce jour, lagriculture occupe une partie essentielle de notre territoire puisque
les agriculteurs cultivent, mettent en valeur 29 millions dhectares sur les 55 millions
que compte notre pays. A ces 53 % doccupation agricole, il faut ajouter la quinzaine
de millions dhectares consacrs la fort. Ces espaces exploits par lagriculture et la
sylviculture reprsentent la quasi-totalit de nos espaces de nature. Il ne reste que
quelques milliers de kilomtres carrs ddis la haute montagne ou aux lacs naturels.
Ce sont les paysages agricoles et sylvicole, majoritaires dans notre pays, qui font nos
campagnes et qui sont habituellement contempls, admirs et considrs comme le
vritable paysage par nos concitoyens.
Nombreux sont les Japonais qui se rendent de Paris Lyon en TGV pour une journe
afin dapprcier les paysages pendant le trajet et les spcialits culinaires sur place. La
dcouverte des peintres de Barbizon ou de la cte normande est une faon dapprocher
le paysage rural, ses formes, ses couleurs et ses lumires. Les visites de caveaux sont
aussi loccasion dapprcier les paysages de vignoble si diffrents de la Bourgogne, du
Bordelais et dailleurs.
Nombreux sont les trangers qui apprcient notre culture dans un ensemble qui
comprend la musique, la gastronomie, larchitecture, les traditions et o chacun de ces
lments sert mettre en valeur une facette du paysage auquel il se rattache.
Dailleurs, les trangers qui souhaitent senraciner en France le font dans la plupart des
cas la campagne, allant jusqu coloniser certains hameaux ou certains villages
particulirement typiques.
Lespace rural est aussi largement visit par les Franais. En 2001, ceux-ci y ont
effectu 53 millions de sjours de courte dure car, en moyenne, le nombre de nuites
par sjour est plus faible qu la mer ou la montagne (4,8 nuites par sjour en
moyenne la campagne contre 7,6 la mer et 7 la montagne).
Bien sr, les visiteurs de lespace rural sont majoritairement issus des grandes
communes de la rgion parisienne (62 %) ; les sjours sont souvent effectus en Ile de
France (36 % des sjours) et dans 5 autres rgions qui cumulent elles-seules 40 %
des nuites (Rhne-Alpes, Aquitaine, Midi-Pyrnes, Provence-Alpes-Cte-dAzur et
Centre). Il faut dire que lespace rural prsente une trs grande diversit dhbergement,
depuis les htels jusquaux villages de vacances en passant par les gtes, les chambres
dhtes, les meubls, les campings... ainsi quune multiplicit de sites de restauration :
restaurants classiques, fermes auberges, tables dhtes, etc.
Les Franais mettent profit les nombreuses possibilits de loisirs quoffrent les
territoires ruraux. Jacques Lacarrire estimait que les paysages franais se prtaient
particulirement la marche et on compte en France 15 millions de randonneurs pour
lui emboter le pas. Ce chiffre slve mme 35 millions si lon compte les simples
promeneurs. En tant que terrain de randonne, lespace rural arrive en deuxime
position derrire la montagne (respectivement 24 % et 48 % des pratiquants). Il faut dire
que la France compte 800 000 Km de chemins et de sentiers dont 180 000 sont baliss,
soit 60 000 en GR, chemins de grande randonne, et le reste en sentiers rgionaux ou
en petites randonnes inscrits dans les plans dpartementaux des itinraires de
promenades et de randonnes.
Le cyclotourisme et le VTT reprsentent eux aussi un nombre important de pratiquants
puisque 20 millions de Franais de toutes les classes dges et de tous les milieux
pratiquent ces activits. A ce sujet, il serait injuste de ne pas citer le Tour de France
cycliste : cette course au-del de son intrt sportif, est un des vnements les plus
agrables regarder tant le dcor naturel dans lequel elle se droule est universellement
apprci et salu. Elle motive de nombreux amateurs des sports cyclistes.
9
Le tourisme questre reprsente 500 000 licencis et les loisirs nautiques et de sports
deau vive ne sont pas en reste. Enfin, il faut ajouter les pcheurs et les chasseurs,
participants deux activits en constante progression : on compte 5 6 millions de
pcheurs en France et environ 1,5 million de chasseurs.
Face cet intrt, qui reprsente des enjeux conomiques importants voire
dterminants pour certaines communes, loffre se structure et sorganise pour faire
connatre les potentiels locaux (comits rgionaux et dpartementaux de tourisme,
offices de tourisme, syndicats dinitiative, fdration daccueil touristique, associations
sportives, etc.) mais aussi pour protger et valoriser le patrimoine (associations de
protection des sites, des plus beaux villages, des villages fleuris, fdrations de
sauvegarde des monuments ou des espaces...).
Lintrt de nos concitoyens pour le patrimoine rural se constate encore dans le succs
des ftes de village, des manifestations locales, mettant en valeur le folklore et les
traditions rgionales.
5 - Vivre la campagne
Dans ce contexte, comment stonner que de nombreux Franais souhaitent vivre la
campagne ? Les recensements de 1990 et de 1999 montrent que les Franais
sinstallent de plus en plus en milieu rural.
Bertrand Hervieu et Jean Viard ont expos, dans leur ouvrage "Au bonheur des
campagnes" (dition de laube 1996), combien les Franais sont attachs leurs
territoires ruraux, la campagne, quils considrent avant tout comme un paysage, un
cadre o il fait bon vivre. La campagne apparat souvent comme un espace offrant plus
de libert et de charme que la ville. Elle est dailleurs considre largement comme un
bien collectif, symbolisant le bonheur et la beaut. Bonheur de vivre dans un cadre
offrant de lespace ; beaut ne de lharmonie des paysages o la nature est
prdominante sur le bti.
Au-del de ces considrations objectives, la campagne est apprcie pour sa capacit
prserver des valeurs de respect des traditions, de maintien des quilibres et de
prservation de la beaut, valeurs considres par les franais comme essentielles pour
la socit dans laquelle ils souhaitent vivre.
Cette apprciation positive de la campagne se traduit donc par un lent mouvement de
repeuplement des territoires ruraux. Ainsi, entre 1975 et 1982, pour la premire fois
depuis un sicle, la croissance des communes rurales a t plus forte que celle des
communes urbaines, primtre constant. Cette volution sest confirme entre 1982
et 1990 puis entre 1990 et 1999. On constate cette volution dans lallongement du
trajet domicile-travail. Par exemple sur Biarritz, le trajet moyen reprsentait 6 7 Km
10
11
13
Nayons pas peur de le souligner, ces nouveaux espaces, no mans land en quelque sorte
car nappartenant aucune catgorie prexistante et revendiqus par personne, se
multiplient et se rpandent dans les campagnes. Ils ne sont pas harmonieux car ils
noffrent en aucun cas quelque chose qui soit organis, voulu par lhomme et qui
puisse tre considr comme un paysage au sens habituel du terme. Du coup, ces
nouveaux espaces gnrent un sentiment dinconfort, de dstabilisation, voire
dinscurit. Alors que le paysage est souvent un facteur didentit, de racines,
dappartenance un groupe, personne ne souhaite sidentifier ces espaces
priurbains non matriss.
une zone dactivit. Ce travers sest un peu corrig avec la monte en puissance de
lintercommunalit.
Cependant, lors dun dbat rcent au Snat sur les problmatiques foncires, des lus
ont manifest leurs rticences mettre en place des procdures de protection des
terres agricoles trop contraignantes, estimant ncessaire de pouvoir les remettre en
cause rapidement au cas o une entreprise manifesterait un intrt crer des emplois
sur de tels espaces. Cette attitude, fort comprhensible au demeurant, est aussi celle de
lAgence franaise pour les investissements internationaux qui soulignait, dans une
confrence au printemps 2004, quil tait plus facile en France dattirer des entreprises
trangres "car il ny avait pas besoin de cureter un vieux btiment, il suffisait den
construire un nouveau au milieu des champs et des vaches". Cest effectivement une
tendance gnrale qui souligne lavantage concurrentiel certain que prsente la France
et lon se souvient quEurodisney est implant sur plusieurs centaines dhectares des
terres les plus limoneuses, les plus riches en termes agro-pdologiques, de France voire
dEurope.
Pour les annes qui viennent, de multiples communes souhaitant organiser des
rserves foncires, ont tabli des conventions avec les SAFER. Le total des besoins
conventionns est de lordre de 37 000 hectares. Ce chiffre ne tient compte que des
besoins communiqus aux SAFER et nombreuses sont les collectivits qui tentent de
satisfaire leurs besoins par elles-mmes. Mais dans ce cas, les exploitations agricoles
impactes par les emprises ne seront pas toujours compenses dans les mmes
conditions.
Un exemple parmi tant dautres : La communaut dagglomration du Soissonnais,
proche de Roissy Charles-De-Gaulle, souhaite se dvelopper : elle vient donc de mettre
en chantier trois zones dactivit, soit quelques 230 hectares. Il faut dire que le prix du
foncier en France reprsente une part relativement ngligeable des investissements des
entreprises, usines ou grandes surfaces comme des plateformes logistiques qui se
multiplient et permettent des hectares de halls couverts de sortir de terre, presque
comme par magie. Limpact de ces implantations de logistique est dautant plus
douloureux quelles ne reprsentent que trs peu demplois au niveau local.
Le dveloppement des aroports envisage de mobiliser des rserves foncires
importantes. L encore, la France est championne devant ses voisins europens puisque
Roissy souhaite utiliser 3200 hectares de foncier, alors quil reprsente le mme
nombre de passagers (48 millions) que Francfort (49 millions). Or cet aroport ne
devrait utiliser que 1900 ha. Londres Heathrow avec ses 64 millions de passagers
devrait consommer moins de foncier (1200 ha) quOrly (1540 ha) qui reprsente
25 millions de passagers par an. La comparaison est svre.
La civilisation du "tout voiture" est aussi largement responsable de la situation. Elle
justifie la construction de nombreux complexes cinmatographiques, hteliers ou
marchands en priphrie des villes. Il convient de noter que non seulement les
16
Enfin, linsertion paysagre de ces constructions est inexistante. Ce concept semble leur
tre totalement tranger. Aucune dpense na t faite pour mettre en place des haies,
des arbres ou des amnagements fleuris. L encore, cest au contribuable de prendre en
charge lembellissement des voiries et des ronds-points assur par les communes.
Finalement, les propositions que Dominique Soltner (Larbre et la haie, 1978) avait faite
il y a quelques annes pour amliorer lintgration paysagre des constructions,
respecter les arbres et les haies, nauront t appliques que par les agriculteurs qui se
donnent maintenant beaucoup de mal pour faire en sorte que leurs btiments
dlevage respectent le cadre environnant. Ils sont bien les seuls...
Dans ces conditions, que certaines enseignes instrumentalisent la protection du
paysage pour amliorer la gestion des sachets, responsables dune des plus grandes
catastrophes cologiques de ces dernires annes, conduit la situation qui ne manque
ni de paradoxe, ni de piquant, ni dironie. Alors quon serait en droit dattendre une
prise de conscience minimale et une attitude plus citoyenne, le travail sur la baisse de
prix entrepris au printemps par le ministre des finances devrait avoir pour
compensation une possibilit de faciliter les extensions des grandes surfaces existantes,
en supprimant les autorisations pralables. On peut se rassurer : la baisse des prix est
largement paye, par une augmentation de la consommation des produits certes, du
foncier surtout.
10 - Lenvol du pavillon
La maison individuelle continue de sduire les Franais. Cest un mouvement qui dure
depuis les Trente Glorieuses et qui sest acclr dans les annes rcentes. Une forte
augmentation a t constate entre les annes 82 et 90 et depuis, le rythme suit
lvolution de la population. Lattachement des Franais au pavillon est important
puisque 79 % le considrent comme lhabitat idal. La demande ne devrait donc pas
faiblir puisque le nombre de mnages qui jouissent de ce privilge nest que de 57 %
lheure actuelle.
Lhabitat individuel est important dans les dpartements sans grande agglomration de
louest de la France ainsi que dans le nord. Le record appartient la Vende o 86,5%
des mnages rsident en habitat individuel, devant les Deux-Svres, le Gers et la
Dordogne. A loppos, cest dans les Alpes-Maritimes et dans le Rhne que la part de
lhabitat individuel est la plus faible, sans compter Paris et la petite couronne o la
proportion tombe 30%. Cette part progresse dans le quart sud-est de la France. A
linverse, elle diminue en Picardie et dans le Nord-Pas de Calais.
De faon plus globale, on constate que le nombre de rsidences principales, maisons ou
appartements, augmente plus vite que la population sous deux effets conjugus ;
18
19
de 30 %). Cela traduit le vif apptit de nos concitoyens pour le foncier quils achtent
au prix fort, crant une situation de concurrence vive avec les acheteurs traditionnels
que sont les agriculteurs.
Cette tendance touche aussi la fort et les chiffres analyss par la SCAFR et la Socit
Forestire la mettent particulirement en vidence pour lanne 2003. On assiste un
vritable engouement sur le march de la fort patrimoniale que ce soit pour des
petites ou grandes parcelles vocation rsidentielle ou de loisir. Cette volution est une
nouveaut et la socit manifeste un intrt rcent pour lespace forestier. Cela touche
des massifs forestiers dont la valeur tait jusqu prsent trs faible, comme la fort
mditerranenne o les prix ont, du coup, considrablement augment. Cette
apptence nouvelle pour la fort tient des attraits immdiats, pour la chasse
notamment, ou la cueillette des champignons. Mais cest aussi une faon de
sapproprier un peu despace.
Cette tendance qui voit de plus en plus de gens acqurir du foncier est relativement
paradoxale. En effet, cest au moment o chacun prend conscience de lenjeu collectif
que reprsente notre patrimoine foncier, au moment o chaque utilisateur de lespace,
randonneurs, chasseurs, etc. manifeste son souhait de profiter de lintgralit des
territoires, sans contrainte ni obstacle, que sintensifient les dmarches dappropriation
individuelle des terres par des gens pour qui le foncier nest pas un enjeu professionnel.
Dans cet ordre dide, les statistiques de la SCAFR montrent que la proportion
dacqureurs non agriculteurs de foncier agricole ne cesse daugmenter. Elle atteint
29 % en 2003.
21
Dautre part, les achats de bti rural se multiplient. En 2003, 38 900 transactions ont
t enregistres par le SCAFR. Notons quil sagit des achats de btiments agricoles qui
sont ensuite restaurs pour tre transforms en rsidences principales ou secondaires.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des transactions intervenant sur un march des
maisons la campagne par ailleurs particulirement dynamique : le nombre dagences
immobilires spcialises en tmoigne.
Depuis 1993, le nombre de transactions sur ce march a augment rgulirement. Mais
depuis 1997, lvolution est spectaculaire avec une progression de plus de 50 % des
achats et un doublement de la valeur moyenne qui stablit actuellement 144 000
euros. Les achats sont plus intenses dans certaines zones dont la Bretagne, la Haute et
la Basse Normandie, dans le sud-ouest (une partie de Poitou-Charentes, de lAquitaine,
du Limousin et de Midi-Pyrnes) et enfin dans le sud-est : valle du Rhne, littoral
mditerranen, nord des Alpes. A linverse, les transactions sont moins nombreuses
dans le grand quart nord-est de la France, sans doute en raison dun plus faible nombre
de btiments ruraux isols, compte tenu de lhabitat group qui caractrise ces zones.
Le prix est important dans certaines rgions puisque lon trouve des moyennes plus de
158 000 euros dans trois grandes rgions : dans les dpartements qui entourent lIle-deFrance, sur la cte mditerranenne, dans la valle du Rhne et la Haute-Savoie et enfin
dans un petit quart sud-ouest proximit de villes comme Pau, Toulouse, Auch et Agen.
La part des acqureurs dorigine trangre est de prs de 14 %. Ils proviennent
essentiellement de lUnion europenne et surtout dAngleterre et dIrlande (80 %). Ces
trangers aiment notamment la cte languedocienne, louest de lhexagone et les
espaces situs dans un triangle form par les villes de Tarbes, La Rochelle et
Chteauroux. Leurs moyens sont suprieurs ceux des acheteurs de nationalit
Franaise. Ainsi, ils paient en gnral leur acquisition prs de 35 % plus cher mais
investissent aussi sur du bti de caractre, dans des rgions chres, sur des surfaces
lgrement plus importantes.
Cette attirance des trangers pour la France a t renforce, ces dernires annes, par
larrive des compagnies ariennes bas prix (dites low cost) qui permettent des
anglais en particulier dacheter une maison deux heures de Londres un prix sans
commune mesure avec ceux de limmobilier britannique. Ce sont des rgions
relativement excentres qui sont desservies car les produits les plus recherchs sont
ceux qui offrent un environnement calme. Les villes relies Londres Stansted sont
plus prcisment Poitiers, Limoges, Bergerac, Rodez, Saint Etienne, Nmes, Carcassonne,
Dinard... Dans ces rgions, les transactions sont effectivement suprieures la
moyenne nationale. Une tude rcente effectue par Ryanair sur 2500 voyageurs
anglais, arrivant Limoges, montre que pour 16% dentre eux, lachat dune rsidence
en France fait partie de leurs objectifs.
Ds lors, on comprend que les journalistes spcialiss conseillent tous ceux qui
envisagent lachat dune rsidence secondaire de faire vite : tant que les prix sont
encore abordables...
22
30 100 euros par ha, soit 6,7 fois plus cher que la terre agricole ; enfin, les rservations
foncires des Collectivits se constituent un prix moyen de 16 300 euros lha, soit
3,6 fois plus lev que celui des terres et prs.
Sur les cinq dernires annes, si le prix de la terre a augment de 20 %, le prix des
terrains btir a progress de 44 %, et celui des espaces de loisirs de 112 %. Les espaces
de loisirs se ngocient de plus en plus cher ; leur prix (moyen) reprsente 40 % du prix
des terrains btir en 2003 contre 27 % en 1999.
Tous ces chiffres illustrent parfaitement cette pression foncire urbaine, non agricole,
qui sexerce de faon globale sur le territoire et qui saccentue largement sur les franges
de lespace agricole.
Indicateur de pression foncire urbaine
Surface du march des espaces naturels sous influence urbaine
(Moyenne 2001-2002-2003)
Rapporte la surface communale totale selon les donnes du RGA 2000
Lgende *
moins de 25
de 25 50
de 50 85
de 85 120
de 120 175
plus de 175
24
14 - Lagriculture dstabilise
Lusage agricole de lespace est malheureusement assimil, de facto, un non usage, et
les espaces naturels ou les terres agricoles sont souvent considres comme des
rserves foncires, des espaces urbaniser. Au mieux, ce peut tre des espaces
protger de lurbanisation... Mais cest bien en fonction de lintrt que la ville porte
ces terrains ou de lintrt que ces terrains prsentent pour la ville, que se fait lanalyse.
Ainsi, quand on parle de construction en "terres vierges", cest de terrains agricoles
dont il sagit le plus souvent. Il est vident pour les urbanistes que le terrain est vierge
lorsquil ne rclame aucun travail de rorientation, destruction dinfrastructures,
dpollution, etc. avant dtre livr lurbanisation. Cest dans cet tat desprit que
lagence foncire de la ville de Bziers considrait quenviron 3500 ha de terres taient
disponibles dans sa priphrie immdiate. Par terres disponibles, il faut effectivement
entendre des vignes, de larboriculture, du marachage, des serres, des crales ou
encore de la fort !
Cette conception explique certainement lattitude dans notre pays qui consiste
consommer de lespace agricole, comme sil sagissait dune matire premire
abondante et en considrant quelle nest entretenue par lagriculture qu dfaut dune
affectation plus utile !
De 1988 2000, la surface agricole utile (SAU) franaise a diminu de 720 000 ha.
Cette perte de 60 000 ha annuelle, qui est le chiffre constat ce jour, est quasi
intgralement absorbe par la croissance des villes et lurbanisation. Le rythme sest
acclr puisque avant les annes 80, lurbanisation utilisait environ 40 000 ha de
terres agricoles chaque anne.
Rapports aux 29 millions dha de la SAU franaise, ces chiffres peuvent sembler
acceptables. Tout de mme, cela reprsente une diminution de 2 % de la SAU tous les
10 ans, la tendance est inquitante. De plus, ces 60 000 ha sont pris pour la plus grande
partie sur les terres agricoles haut potentiel agronomique. Cette catgorie reprsente
dsormais moins de 6 millions dhectares, elle pourrait tre vite puise.
La disparition des surfaces agricoles est beaucoup plus rapide dans certaines rgions.
Une enqute sommaire ralise par la Direction rgionale de lagriculture de ProvenceAlpes-Cte-dAzur sur 106 communes dune bande littorale, stendant de Menton
dans les Alpes-Maritimes jusqu ltang de Berre, donne des rsultats trs inquitants.
En 1970, la SAU de ces 106 communes tait de 42 600 ha, soit 14 % de la superficie
totale. En 2000, la SAU tait tombe 19 700 ha, ne reprsentant plus que 6 % de la
superficie totale. Ainsi, en 30 ans, ce sont 23 000 ha qui ont disparu soit 54 % de la
SAU en raison de lurbanisation du littoral.
A une plus petite chelle, les pertes de surface des agriculteurs de larrondissement de
Lille taient de 209 ha par an entre 1979 et 1988 et sont de 35 ha par an actuellement,
alors que lINSEE prvoit une poursuite de la croissance de la ville lhorizon 2030.
25
En ralit, lagriculture est trs prsente sur tout le territoire, y compris dans les zones
fortement urbanises. Mme en Ile de France, lurbanisation ne couvre que 25 % du
territoire. 50 % du territoire de la mtropole lilloise est affect lagriculture. La part
de lagriculture est de 32 % du territoire dans les ples urbains, de 56 % dans les
communes priurbaines et de 51 % dans lespace dominante rurale. Lagriculture des
communes urbaines et priurbaines reprsente presque 40 % de la superficie agricole
franaise. Elle est souvent trs dynamique puisquon estime que lagriculture urbaine
et priurbaine produit environ 50 % de la valeur ajoute agricole. Or, cest cette
agriculture qui perd le plus de surface puisque lagriculture urbaine notamment a
perdu 12 % de SAU entre 1988 et 2000.
Les exploitations dhorticulture et de marachage des ples urbains ont diminu de
30% dans toutes les rgions de France entre les deux derniers recensements. Souvent,
la disparition des exploitations est progressive. Anne aprs anne, certaines se voient
amputes de quelques hectares, expropries pour rpondre aux besoins de
dveloppement des projets des collectivits. Puis, le retrait dune parcelle plus
indispensable que les autres, ou du sige dexploitation, fait basculer la situation. Au
mieux, lexploitation peut se rinstaller quelques dizaines de kilomtres. Au pire, les
exploitants, heureusement arrivs lge de la retraite, cessent dfinitivement leur
activit.
Les exploitations qui se maintiennent sont confrontes dimportantes contraintes
voire des bouleversements dans leurs mthodes culturales et leurs modes de
production. Lurbanisation des campagnes, ltalement des villes conduit la
confrontation de fermes avec de nouveaux rsidents qui recherchent les charmes de la
campagne sans imaginer quelle peut aussi prsenter des lments moins positifs.
Ainsi, les bruits, les odeurs, la poussire, voire les mouches, font partie de la vie de tous
les jours des entreprises agricoles mais ne sont pas toujours admis par les no-ruraux.
Cela peut donner lieu des conflits de voisinage dont certains ont dfray la chronique
judiciaire. Dans tous les cas, cela oblige les exploitations modifier lorganisation des
tches, ne traiter les champs que la nuit par exemple, ou nenvisager le passage
dengins sur les routes quen dehors des priodes daffluence, voire emprunter des
voiries plus longues pour ne pas faire rouler le matriel agricole dans la circulation.
Tout ceci est vrai pour les exploitations qui se maintiennent dans des endroits o la ville
a pris le dessus. Mais cest aussi vrai pour les exploitations en milieu rural o la
construction dhabitations, lachat de terrains dagrment par les urbains contribuent
un mitage des exploitations agricoles, des difficults de cohabitation et une
complexification des conditions de production.
La concurrence, voire la surenchre sur le foncier, contribue, l encore, compliquer le
mtier et la vie des agriculteurs. Le prix atteint par la terre pnalise lagriculture.
Linvestissement foncier est de plus en plus hors de proportion avec la rentabilit des
26
productions. Dautre part, cet investissement foncier, plus lourd, se fait au dtriment
des investissements de production et les structures coopratives, par exemple, sont les
premires regretter cette hausse du foncier qui mobilise les capitaux agricoles au
dtriment du dveloppement des outils de transformation ou de commercialisation de
la production.
La hausse du prix du foncier gnre des comportements spculatifs. Il nest pas rare de
constater que des terrains priurbains restent en friche dans lattente dun changement
de nature et dune opportunit de vente au prix fort. Et de plus en plus, les terres qui
restent exploites nappartiennent plus celui qui les met en valeur. Ce dernier exploite
souvent de faon prcaire, sans bail, car le propritaire, anticipant une vente de terrain
btir, souhaite garder la matrise de son bien.
La spculation sur le bti rural, la hausse des prix sur le moindre btiment de caractre
a aussi des effets ngatifs pour lagriculture et plus spcifiquement pour les jeunes
agriculteurs. Ceux-ci prouvent des difficults de plus en plus grandes se loger, quil
sagisse de jeunes sinstallant hors du cadre familial, cest--dire sans succder un
parent agriculteur, ou denfants dagriculteurs qui ne dsirent pas forcment cohabiter
durablement avec leurs parents. Du fait de la concurrence avec les acheteurs de bti
pour des usages de loisir, la valeur moyenne du sige dexploitation, de la maison
dhabitation, augmente. Elle est passe de 14 % du prix de lexploitation en 1970
26 % au dbut des annes 2000. Mais la situation peut tre dsesprante : ainsi en
Dordogne, sur une quarantaine dexploitations actuellement proposes la reprise,
prs de la moiti na aucune solution de logement... Il est vident que pour le jeune qui
sinstalle (et ce point est aussi vrai pour un jeune artisan crant son activit),
linvestissement dans loutil de production prime sur linvestissement immobilier mais,
mme sur ce point, il nest pas toujours facile de trouver des btiments dexploitation
car dans certains endroits, la moindre grange peut faire lobjet de convoitises en vue
dune transformation pour un usage dhabitation au profit dun urbain qui dsire
sloigner de la ville. Ce sujet des jeunes agriculteurs, ou des jeunes socioprofessionnels
sans toit proccupe de plus en plus les municipalits et a fait lobjet dun dossier rcent
dans lhebdomadaire La France Agricole (4 juin 2004).
28
3. Il sagit de la charge quimpose une population lenvironnement en fonction de ses modes de vie, de
consommation et de production et qui se mesure en hectares ncessaires pour fournir les ressources consommes
par un individu et assimiler ses dchets
plus urbanise, trouve son quilibre dans une relation lespace et la nature capable
de rguler le rythme urbain, de donner du recul et dapaiser. Pour beaucoup, le paysage,
la campagne, sont des facteurs dquilibre physique et psychique des populations
urbaines (cf. C. Carle, Libralisme et paysage).
La nature, dont les hommes nont que la grance, doit permettre de transmettre des
valeurs de vie, de respect, de prennit et de responsabilit. Il faudra bien rendre
compte de la faon dont nous avons gr, mis en valeur la Cration qui nous a t
confie et les gnrations futures nous jugeront sur ce que nous aurons su conserver
et nous condamneront pour ce que nous aurons gch et perdu.
constructions illgales sur le littoral (dans la limite des 50 pas gomtriques censs
protger les rivages). Ce tropisme littoral nest pas moins fort la Runion et il devrait
conduire une urbanisation pratiquement continue de la Cte Ouest, de Saint-Denis
Saint-Joseph.
Ce phnomne de mitage de lespace, doccupation illgale, de cabanisation, si
particulier dans ces dpartements, conduit une dstructuration inquitante des
espaces agricoles et des paysages. Malheureusement, les POS, en perptuelle rvision,
entrinent et lgalisent le plus souvent les situations. Les infrastructures de dessertes,
les constructions touristiques et commerciales finissent de noircir le tableau.
Rcemment Sainte Suzanne la Runion, une nouvelle grande surface est sortie de
terre. Ne se satisfaisant pas des hectares consomms pour ses halls et ses parkings, elle
a aussi strilis plusieurs hectares de canne sucre rendus inaccessibles par la bretelle
daccs !
Le rsultat pour lagriculture est catastrophique. La filire canne runionnaise, dj
dstabilise par lvolution des cours et de la politique europenne, narrive pas
maintenir des surfaces suffisantes pour rentabiliser les industries de transformation.
Elle en est rduite tenter de reconqurir des surfaces en friches au prix de travaux
titanesques reprsentant des cots de plusieurs dizaines de milliers deuros lhectare,
pour faire disparatre les rocs et la lave et rendre les terrains mcanisables. A la
Martinique, la SAU tait rduite 28 700 ha en 1997 alors que le recensement agricole
de 1973 lestimait aux alentours de 62 000 ha. Lurbanisation non matrise fait perdre
chaque anne environ 1000 ha : ce rythme, il ny aura plus dagriculture
martiniquaise dans 25 ans.
31
33
Matriser lurbanisation
Au-del de la protection du paysage proprement dit, cest surtout une protection de
lagriculture et des espaces qui y sont consacrs quil faut assurer. Dans les annes 60
et 70, lagriculture a t contrainte par la fort de se retirer de certains espaces, de
certaines zones. Les fermetures de paysage auxquelles cette volution a abouti sont
unanimement regrettes par les habitants et des maires, des Parcs naturels, se lancent
dans une politique de rcupration des espaces (comme en Livradois-Forez, par
exemple). Ne convient-il pas, en matire denvahissement des zones rurales par la ville,
de ne pas attendre den tre rduit aux coteuses politiques de restauration du
caractre agricole despaces, comme elles sont menes actuellement sur des zones
forestires ? Malheureusement, lanticipation est rare dans les politiques publiques et
lon constate une tendance gnrale la rparation des dommages plutt qu la
gestion a priori. En matire environnementale, par exemple, la Rgion Ile-de-France
consacre 90 % de ses budgets rparer des erreurs, la rhabilitation despaces et 10 %
seulement des projets constructifs...
Ne pourrait-on pas aller, comme le fait le Qubec, jusqu mettre en place une
procdure obligeant recourir une commission pour autoriser tout dclassement de
terres agricoles ? Nous lavons montr en effet : la grande instabilit dans laffectation
des terres et dans les usages des sols seffectue au dtriment de lagriculture et des
espaces de nature quelle mnage et au profit dune urbanisation larve, manquant de
nettet et produisant un rsultat qui consiste dtruire les paysages ruraux sans les
remplacer par un paysage urbain acceptable.
Cest la dfinition de la ville qui est aussi en cause et, ds lors, ce sont les processus
durbanisation auxquels il convient de rflchir. La stabilit (ou plutt linstabilit) des
documents durbanisme est un sujet sur lequel il convient de sarrter. Les POS, qui se
transforment progressivement en PLU, prvoient une rpartition entre les zones
constructibles et celles qui ne le sont pas. Cependant, au fur et mesure des rvisions,
les zones naturelles et agricoles deviennent progressivement amnager puis
constructibles et enfin construites. Ne pourrait-on envisager le maintien prenne,
long terme, dun pourcentage minimum de terres agricoles dans un PLU ? Ou encore
protger les terres agricoles selon des modalits identiques la protection offerte aux
espaces boiss des POS ?
Certes, la loi de modernisation agricole (1999) a cr un outil nouveau qui permet de
zoner un espace agricole afin de le maintenir. Il sagit des zones agricoles protges.
Malheureusement, 5 ans aprs la cration du dispositif, il nexiste pas trois zones de ce
type en France. L encore, ne faudrait-il pas mettre en place un plan national de
protection des terres agricoles imposant un chelon administratif appropri la mise
en place dune superficie minimale agricole protge par des ZAP ?
Le projet de loi en faveur des territoires ruraux prvoit un dispositif plus labor de
primtres de protection des espaces naturels dont les dpartements auraient la
35
charge. Mais faute de fixation dobjectifs dans le cadre dun projet prcis, ces
primtres nauront-ils pas, dans cinq ans, un succs aussi mitig que les ZAP ?
Organiser une cohrence globale
Les POS et les PLU, simples documents mis en place pour cadrer la dlivrance des
permis de construire, sont devenus, par dfaut, les seuls outils locaux de gestion de
lespace. Et ces documents ne sont souvent quune juxtaposition de programmes
durbanisme. Ils peuvent trouver une cohrence dans le cadre dun schma de
cohrence territoriale lchelle dune agglomration ou dune communaut de
commune. Ce schma peut avoir un primtre relativement vaste. Pour autant, les
espaces ruraux priphriques ny sont intgrs que dans la mesure o ils sont
connects lagglomration centre. Dans un premier temps, il serait intressant de
mettre en uvre la proposition dYves Censi consistant laborer des schmas des
espaces ruraux afin que tout espace ait un document stabilisant son affectation.
Dautre part, de nombreux territoires ne sont donc pas couverts par un programme
global les mettant en corrlation et en cohrence avec les territoires voisins. A une
chelle plus vaste, il ny a ni document de cohrence, ni mme programme global
dorientation. Certaines rgions ont adopt une directive territoriale damnagement
mais il sagit dune dmarche souvent volontaire, voire impose par le prfet de rgion
lorsque cela correspond une volont politique de lchelon correspondant. Cet outil a
le mrite de rappeler les principes de lintrt national dans les politiques
damnagement local.
Encore faut-il que cet intrt national soit affirm. Or, lEtat semble peiner donner
une cohrence globale et nationale la gestion de lespace. Depuis le schma de service
collectif des espaces naturels et ruraux en particulier, le silence de lEtat garant des
enjeux nationaux est inquitant. Les orientations manquent et les stratgies
quadoptent les chelons infrieurs peuvent, ds lors, tre parfois divergentes.
Pourtant, il appartient lEtat, en fonction de lintrt gnral, de dterminer des
objectifs la fois qualitatifs et chiffrs afin de faire en sorte que la part de notre
territoire consacre lurbanisation et aux infrastructures soit acceptable aux regards
des exigences et des attentes paysagres et environnementales des Franais, que les
sites soient respects, que lagriculture conserve durablement sa place conomique et
spatiale.
La DATAR a tir, elle aussi, le signal dalarme. Son rapport prcit contient une analyse
sans concession et fait des propositions intressantes. Le Commissariat au Plan
travaille sur la situation et les enjeux du foncier afin de permettre lEtat de se doter
dune stratgie capable dapporter une rponse aux problmes qui se posent.
Souhaitons que sur ces bases, la France puisse dfinir des orientations claires afin de
garantir la prservation de notre patrimoine paysager et foncier.
36
37
voire en enterrant ces derniers, mieux intgrer leur construction dans le paysage et
constituer un fonds de protection du paysage abond par les grandes surfaces en
compensation des atteintes quelles lui portent.
La spculation foncire pourrait sans doute tre freine par une taxation efficace des
plus-values. Est-il bien logique, se demandait rcemment un ministre de
lamnagement du territoire, que ce soient les particuliers qui touchent les dividendes
des amnagements dcids et raliss par la Collectivit ? Dans de nombreux pays
dEurope (Danemark ou Hollande, par exemple) et du monde, cest lEtat qui
apprhende la plus grande part de la plus value sur les terrains qui changent de
destination.
En matire de fiscalit, il y a dautres pistes explorer et on peut sinterroger sur les
modalits de taxation du bti ou de lhabitation : ne faudrait-il pas envisager une
possibilit de mutualisation de ces taxes dans le cadre des regroupements
intercommunaux de faon viter que loctroi de permis de construire ne soit
considr comme un moyen damliorer les finances communales ?
Sur beaucoup de ces sujets, le rapport de Grard Larcher propose des solutions
intressantes qui mriteraient, tout le moins, de faire lobjet dun dbat.
Privilgier la rgulation et larbitrage
La multiplication dintervenants sur lespace rural et de demandeurs de foncier plaide
pour le maintien doutils de rgulation et leur utilisation dans un cadre plus global
darbitrage.
Les SAFER ont une pratique de 40 ans de ces rles, intervenant pour rguler un march
foncier afin den garantir la transparence et la moralisation et arbitrant entre des
agriculteurs pour favoriser les meilleurs projets damnagement et accompagner
linstallation des jeunes exploitants.
Dans un contexte de concurrence gnralise, o lorientation du foncier donne lieu
des conflits importants entre un nombre croissant dusagers, il importe de prserver les
outils de rgulation, non plus pour les arbitrages quils permettaient de rendre au sein
dune mme catgorie socioprofessionnelle, mais pour leur capacit rationaliser la
gestion de lespace dans une vision durable de laffectation des terres. Le laisser faire
risquerait daugmenter la consommation de terres pour des usages non agricoles et
ainsi de faire crotre les prix de faon anarchique en gnrant des conflits entre
agriculteurs et autres catgories dutilisateurs.
Laugmentation non matrise des prix pourrait compliquer les projets damnagements
des lus et poserait en particulier des difficults aux petites communes qui souhaitent
rhabiliter lhabitat rural pour attirer des rsidents et assurer un mouvement de
revitalisation rurale. Ainsi, il ne sagit pas dempcher les projets de se dvelopper, mais
dutiliser les instruments de rgulation du foncier rural pour apaiser les tensions en
assurant un dialogue, ainsi quun arbitrage et un quilibre dans la gestion de lespace.
38
41
concours tous les stades dun projet de zone damnagement diffr de 274 hectares,
faisant partie des 20 % du territoire consacrs aux activits conomiques. Laction de
la SAFER, travers un tat des lieux conduit avec la Chambre dAgriculture, permettra
de mieux intgrer limpact de ce projet sur le devenir de lagriculture.
Le Sicoval en chiffres :
- 36 communes et 574 lus
- 25 000 hectares dont 15 000 hectares de SAU
- 60 000 habitants, en progression de 2% par an
- 20 000 emplois, 820 entreprises
- 280 agriculteurs
- 60 % du territoire pour les espaces agricoles ou naturels
Dfinir un projet pour tout le territoire
Au niveau national aussi, nous devons dfinir un projet pour le territoire de la France.
Ce projet consiste prciser la place que nous souhaitons donner la ville et celle quil
faut conserver la campagne et la ruralit. Notre ruralit, si spcifique et qui
constitue lenracinement de notre pays, doit tre prserve dans sa ralit endogne et
pas seulement pour son apport lurbanisation.
Mais il faudra bien aussi, selon les mots de P. Donadieu, inventer un lieu de confluence
entre la ville et la campagne, espace nouveau o lartificiel et la nature se compltent
sans se combattre. Cest un travail qui doit conjuguer les efforts des amnageurs, des
architectes et des urbanistes afin dimaginer un dveloppement de la ville respectant la
campagne et sharmonisant avec la nature.
Nous devons aussi garantir une protection durable des paysages en utilisant largement
les outils rcents, voire en nous inspirant des mthodes et des expriences trangres.
LAngleterre, par exemple, a mis en place des moyens originaux et efficaces de
protection de son patrimoine travers des fondations prives qui possdent et mettent
en valeur une grande partie du territoire britannique.
Un projet pour le territoire doit aussi veiller protger lespace, le foncier, en faisant en
sorte quil ne soit rorient et consomm quavec parcimonie. Nous pouvons
consommer nettement moins despaces, afin de contrer la tendance facile et peu
coteuse ltalement horizontal tellement consommateur de terres, tout en
prservant notre taux de croissance conomique. Au-del des mots, lobjectif
dutilisation conome de lespace affiche par le code de lurbanisme doit devenir une
ralit. Nous pouvons aussi consommer mieux cet espace, en choisissant des endroits
certes moins faciles quiper mais dont lartificialisation ne contribue pas dtruire
les espaces naturels les plus intressants ou priver lagriculture des terres les plus
productives.
43
Consommer moins et mieux le foncier, cest aussi une faon de conserver la place de
lagriculture. Maintenir lagriculture, mieux lintgrer dans la ville, doit tre un axe fort
dun projet de territoire capable de garantir un quilibre des espaces, une prservation
de nos paysages et de notre cadre de vie.
Ce nest que sur la base dun projet, impuls par une volont politique, dfini en
concertation et accept par tous que les outils et les rgles mis en place pourront
fonctionner. Le rle de lEtat est de veiller la dfinition dune stratgie globale, den
assurer la cohrence.
Conclusion
Cest donc un dbat que souhaitent lancer les SAFER en publiant ces quelques
rflexions, dbat qui intresse lensemble de la socit et auquel doivent prendre part
tant les lus que les reprsentants du monde socioprofessionnel, que les associations,
que les simples citoyens.
Fortes de leur expertise en matire foncire, de leur savoir-faire dans lamnagement
rural, les SAFER sont prtes nourrir ce dbat en y apportant les clairages techniques
ncessaires.
Elles sont prtes proposer des solutions, au-del des pistes de rflexion contenues
dans ce document.
Enfin, les SAFER sont la disposition des paysans, des lus, des collectivits et du pays
tout entier pour mettre en uvre les mesures les plus pertinentes destines conserver
notre patrimoine commun, faire en sorte que la France reste un pays dharmonie,
dquilibre et de beaut dont la qualit de vie contribue au bonheur de ses habitants,
lintrt et lenvie de ceux qui nous entourent.
Nous serons ainsi en mesure de transmettre aux gnrations qui nous succderont un
pays portant la trace de son enracinement, non comme un souvenir, mais comme un
signe vivant de notre attachement un art de vivre rural, une culture, une
civilisation.
Bibliographie
Acadmie dAgriculture de France : Paysage et Agriculture - Colloque des 27 et 28 mars
1996 - Orientations de la recherche et proccupations de la socit
ADEF : La ville aux champs - Colloque de lADEF du 7 mars 2000 - 186 pages
Association Franaise de Gnie Rural : Btiments agricoles - Architecture et devenir du
paysage -Institut National dHorticulture ANGERS - 1998
BETEILLE Roger : "Le rural profond" franais - Andr Gamblin - Aot 1996 - 164 pages
- Dossiers des Images Economiques du Monde
Cahiers du Conseil gnral du Gnie Rural, des Eaux et des Forts :
- Numro 62 - Mai 2002
- Numro 66 - Printemps 2004
CAHIERS DU TREFLE : La fort en pril ? - Livradois-Forez - n17 - 2004
CARLE Christian : Libralisme et paysage - Les Editions de la Passion - Mai 2003 - 79
pages - Rflexions sur ltat des paysages franais
CHATELLIER Vincent : Les exploitations agricoles non professionnelles en 2000 AGRESTE CAHIERS N2 - Mars 2004
CHAVOUET Jean-Michel et FANOUILLET Jean-Christophe, Division Recensements de la
population : Forte extension des villes entre 1990 et 1999 - INSEE 2000
CIATTONI Annette : Les fondamentaux de la gographie - Armand COLIN - Septembre
2003 - 209 pages
CLUB DES OPERATEURS FONCIERS : Le foncier et la priurbanisation - Rouen 25 - 26
janv. 2001
COMMISSARIAT GENERAL AU PLAN : Travaux prparatoires du groupe "Manon" Rsolution des conflits dans la gestion du foncier - 2004
CURNIER Jean-Paul : La tentation du paysage - Lavenir dune origine lEternel Retour
- Sens&Tonka
DATAR : Espaces naturels et ruraux et socit urbanise - 2002
44
45
INRA - INSEE : Les campagnes et leurs villes - Fvrier 1998 - 195 pages
INSEE : RAPPORT POUR LA DATAR : Structuration de lespace rural : une approche par
les bassins de vie - 2003
WEBER Eugen : La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale (1870-1914) Fayard 1983 - 839 pages
46
47
F.N.S.A.F.E.R.
Fdration Nationale des SAFER
(Socits dAmnagement Foncier et dEtablissement Rural)
91, rue du Faubourg Saint Honor
75008 Paris
Tl. : 01 44 69 86 00
http://www.safer.fr
Contact :
Bruno Bernard
132, rue des Trois Fontanot - 92758 Nanterre Cedex
Tl. : 01 42 91 66 22
E-mail : [email protected]