2008 Discours Eco Leglise Garric Mots86
2008 Discours Eco Leglise Garric Mots86
2008 Discours Eco Leglise Garric Mots86
économique ?
Nathalie Garric, Isabelle Léglise
Résumé :
Pour répondre à la question de savoir si le discours patronal constitue un exemple de discours
économique, nous devons d’abord poser l’hypothèse qu’il existe un genre, le « discours
économique », qui posséde certaines caractéristiques linguistiques auxquelles nous pourrons
comparer celles du discours patronal. Après avoir présenté les travaux existant sur le discours
économique, nous nous demandons comment les discours des grands patrons français se
situent sur le plan thématique, dans quelle mesure ils expriment une vision de l’économie, si
cette vision est explicitée, et à quels experts économiques ils renvoient.
Introduction
Le discours patronal est-il un discours économique ? Lors de nos travaux précédents sur le
discours de quinze grands patrons français (Garric, Léglise, 2003 et 2005a), nous avons décrit
ces derniers comme essentiellement traversés de thématiques financières et défendu
l’hypothèse que ce discours relevait d’un (sous)-genre, le « discours patronal » partageant
avec les discours de propagande (Charaudeau, 1984) des caractéristiques lexicales,
énonciatives et argumentatives.
Pour répondre de manière non triviale à la question posée, et avec les outils d’analyse de
discours dont nous nous servons, il faut faire l’hypothèse qu’il existe un genre préalablement
décrit, « le discours économique », qui présente certaines caractéristiques auxquelles il
s’agirait de comparer celles du discours patronal. Or, à notre connaissance, fort peu de travaux
ont abordé les aspects linguistiques et discursifs du discours économique. Après avoir
présenté ces travaux, nous verrons dans quelle mesure les discours des grands patrons français
partagent les caractéristiques de ce discours économique. Puis, nous déclinerons la question
selon différents angles : comment ce discours patronal se situe-t-il vis-à-vis des thématiques
économiques ? Dans quelle mesure donne-t-il à voir une vision de l’économie ? Cette vision
est-elle implicite ou explicitée ? A quels experts économiques le discours patronal renvoie-t-
il ?
Pour cela nous revisiterons à l’aune d’une interrogation « économique » un sous-ensemble des
corpus que nous avions préalablement analysés. Nous verrons que postuler l’existence d’un
discours économique offre un nouveau poste d’observation de régularités formelles, qui
permet notamment de préciser la place sociale du sujet dans l’organisation des pratiques
institutionnelles et, partant, qui construit probablement un nouvel objet de connaissance en
convoquant un nouveau champ interprétatif. Socialement, il y a en effet une grande différence
entre parler de discours de « patron » et parler de « discours économique ».
collègue » 1 par rapport aux propos tenus, toute production verbale relevant selon lui
du thème de l’économie est susceptible d’être reconnue comme DE. Par exemple, dans
le domaine de la critique littéraire, Mauricio Segura et al. (2003) cherchent des traces
du DE dans la littérature. Un autre exemple concerne des sociologues (Bourque et
Duchastel, 1988) s’intéressant aux thèmes économiques dans les discours d’un homme
politique. C’est dans cette perspective également que Luc Boltanski et Eve Chiapello
(1999) étudient comment se sont modifiées les idéologies liées aux activités
économiques, et en particulier le capitalisme. Si l’analyste prend un point de vue « en
corpus », il peut adopter également une entrée thématique en s’intéressant à des
productions auto-désignées comme économiques – par exemple rubrique économique,
rapport économique et social, manuel d’économie etc. On peut citer ici le travail de
Pierre Lejeune (2004) sur la rubrique économique du Monde.
• Une solution alternative consiste à mettre en avant des caractéristiques situationnelles
du dispositif d’énonciation et à définir le DE comme celui produit par ceux que le
discours commun reconnaît comme acteurs économiques ou politiques (économistes,
politiques, associations altermondialistes etc.). C’est la position de Bernard Maris
(2002a), spécialiste de sciences économiques :
« Le terme de "discours économique" et non de "science économique" a été choisi pour
élargir notre réflexion aux utilisateurs du discours économique : savants, experts, médias ou
hommes politiques.»
Cette solution induit une posture de l’analyste « en collègue », capable de définir qui
peut produire ce type de discours, ce qui nous semble nécessiter des compétences non
strictement linguistiques. Une analyse plus sociologique peut permettre d’évoquer
ces logiques économiques tenant à la fois de la compétence du locuteur et de la place
énonciative du texte par rapport aux acteurs (gouvernement, chefs d’entreprise etc.)
(Achard, 1984).
• Une dernière solution est de considérer, à titre d’hypothèse de travail, les DE comme
un registre discursif – en admettant que différents genres peuvent entretenir un rapport
avec ce registre ayant lui-même certaines caractéristiques linguistiques et discursives
susceptibles de le définir comme genre spécifique.
C’est la dernière solution que nous adopterons. Nous ne considèrerons donc pas a priori le
discours produit par les dirigeants comme du DE parce qu’il traiterait de certaines
thématiques ni parce qu’il serait issu d’acteurs parfois désignés comme économiques mais
parce qu’il constitue « une zone de pratiques suffisamment voisines et cohérentes pour
partager une même indexicalité régulée par une répartition institutionnelle des rôles sociaux »
(Achard, 1995b, 8). Nous discuterons de certaines de ses caractéristiques (notamment
énonciatives et lexicales), au regard de celles présentées dans la littérature pour le DE, afin de
conclure sur leur éventuelle accointance avec le « genre économique ».
Ici, la notion de genre est à la fois inséparable de celle de registre et constitutive de
l’approche linguistique adoptée. Parmi ses multiples définitions en analyse de discours, nous
renvoyons à une conception du genre agissant comme ensemble de contraintes dans
l’utilisation de formes langagières2 – complexifiée par son rapport à des registres dont on fait
l’hypothèse (ici économique).
1
Selon la terminologie proposée par Achard, 1997.
2
Cette définition s’inscrit partiellement dans la filiation des travaux de Benveniste consacrés à l’opposition
histoire/discours, et de ceux des linguistes (Moirand, Beacco, Authier, Biber, Adam, Bronckart par exemple) qui
identifient dans les productions discursives un certain nombre de régularités formelles théorisées en ensembles
Garric, Nathalie et Léglise, Isabelle (2008). Discours patronal et discours économique. Mots 86, 67-83.
« On est en droit de s’attendre à ce que ces contraintes institutionnelles se traduisent par des
contraintes non arbitraires sur l’usage des marques linguistiques, et notamment sur celles dont
le fonctionnement est le plus tributaire de l’indexicalité, à savoir les déictiques. On appellera
genre discursif cet ensemble de contraintes non arbitraires ». (Achard, 1995b, 9).
abstraits qui s’actualisent dans différents champs de pratiques discursives. Parmi les critères répertoriés par D.
Maingueneau (1998, 48-49), nous actualisons ici « le critère énonciatif » qui, associé à l’opposition
registre/genre proposée par Achard, vise de plus une « typologie discursive ».
3
On peut citer notamment les travaux de L. Boltanski et E. Chiapello (1999), ou de T. Andreani (2000).
Garric, Nathalie et Léglise, Isabelle (2008). Discours patronal et discours économique. Mots 86, 67-83.
Le discours de vulgarisation
D’autres traditions de recherche en analyse de discours ont abordé, sans jamais s’y attarder, le
DE. Il s’agit d’une part des travaux sur la vulgarisation scientifique et d’autre part des travaux
sur le discours médiatique qui envisagent la relation entre sciences et médias. L’analyse des
textes économiques pourrait en effet se poser en termes de vulgarisation4, nous renvoyant par
là à un ensemble de discours largement étudié, le « discours de vulgarisation scientifique » ou
« discours de transmission des connaissances ». Certains des travaux réalisés dans ce cadre
envisagent les textes scientifiques comme un continuum dont l’une des extrémités serait
marquée par une forte spécialisation - les textes des revues scientifiques - et l’autre par une
faible spécialisation – les textes scientifiques médiatiques. Ainsi Jean-Claude Beacco et
Sophie Moirand (1995, 33) proposent dans le cadre plus large de la « didacticité », d’isoler
une forme de vulgarisation identifiée dans des textes « dont les déterminations sont floues ».
Ces derniers appartiennent aux discours ordinaires, leur finalité discursive prioritaire ne
résidant pas dans la transmission des connaissances. A propos des disciplines dites à forte
diffusion extérieure, comme l’économie, Beacco observe par ailleurs (2000, 21) :
« Cette forme ordinaire de diffusion concernant le grand public fait probablement intervenir des
formes d’écriture journalistique qui se fondent sur les attentes discursives des lecteurs […]
davantage que sur le souci de transmettre des connaissances de manière scientifiquement
irréprochable ».
4
Pour justifier cette relation, nous renvoyons à J.-C. Beacco, 2000.
Garric, Nathalie et Léglise, Isabelle (2008). Discours patronal et discours économique. Mots 86, 67-83.
2 - Le discours patronal
5
« Ce discours ne s’adresse plus directement à l’état, mais aux auditeurs en tant qu’il en sont partie prenante
comme citoyens » (Achard, Leimdorfer et Tessoneau, 1984)
Garric, Nathalie et Léglise, Isabelle (2008). Discours patronal et discours économique. Mots 86, 67-83.
Le corpus
Ce corpus était constitué de textes dont le locuteur se présente comme le représentant d’une
entreprise, qu’il soit le fait du PDG lui-même ou d’un expert en communication, qu’il soit
émis par le patron lui-même ou par un porte-parole. Nous n’avons pas distingué ces
différentes manifestations. Par ailleurs le corpus regroupe des textes appartenant à deux
situations de communication différentes que nous avons distinguées pour cette nouvelle étude :
• Sous-corpus 1 : des supports de communication propres au monde entrepreneurial
mais à diffusion externe (bilans annuels, lettres aux actionnaires, discours d’assemblée
générale). La situation de communication présente un schéma classique à deux actants :
le patron et l’ensemble des destinataires (actionnaires, clients, collaborateurs,
employés, sans exclure néanmoins les « simples citoyens »).
• Sous-corpus 2 : des interviews extraites de la presse écrite, radiophonique ou
télévisuelle. Une situation triangulaire est établie entre patron, journaliste et auditeur-
cible. Les questions formulées par le journaliste ne participent pas au traitement
quantitatif.
Il n’existe pas de corpus identifié comme DE, disponible dans la littérature, auquel nous
pourrions comparer le nôtre. Toutefois, la partie médiatique de celui-ci (sous-corpus 2) nous
semble mériter un traitement particulier.
Ses 140 000 occurrences concernent des textes extraits d’une part de la presse écrite
généraliste (Le Monde, Le Figaro…) et d’émissions radiophoniques ou télévisuelles
généralistes (Europe 1, Lci), d’autre part de périodiques spécialisés (Capital, Investir, Les
Echos, Le Journal des Finances, La Tribune) et de stations proposant une rubrique dédiée à
l’information économique (Bfm, Radio classique). Nous avons également intégré Bloomberg,
chaîne de télévision thématique. Si l’on suit la proposition de Charaudeau (1994, 15), selon
laquelle l’instance médiatique structure l’information en fonction de « domaines d’expérience
correspondant aux différentes activités sociales qui ont à voir avec l’organisation de l’espace
public : le politique, le religieux, l’économique, le scientifique, […] », la mise en mots dans
les différents espaces (supports généralistes ou spécialisés, rubriques générales ou spécialisées)
obéit à différentes configurations discursives plus ou moins contraintes par des déterminations
Garric, Nathalie et Léglise, Isabelle (2008). Discours patronal et discours économique. Mots 86, 67-83.
Par ailleurs, Beacco (2000, 21), qui propose une typologie des communautés discursives
fondée sur le bien produit, identifie deux communautés distinctes : l’une à dominante
économique et l’autre à dominante médiatique. Pour l’auteur, leurs différentes caractéristiques
constituent des paramètres extradiscursifs susceptibles d’expliquer la variété des textes. Il
nous semble ainsi que les textes non médiatisés de notre corpus (sous-corpus 1 « interne »),
échappant aux contraintes du discours médiatique, peuvent servir d’outil privilégié – avec les
précautions nécessaires au regard du statut de notre objet – et de référentiel de comparaison
pour atteindre les caractéristiques du DE qui seraient éventuellement contenues dans le reste.
Adoptant une analyse qualitative médiée par des allers-retours quantitatifs avec le texte
(Garric, Léglise, 2005b) au travers d’un traitement lexicométrique mené à l’aide du logiciel
Lexico3, nous avons retenu comme clé de partition le support de publication en distinguant
autant de sous-corpus que d’organes de diffusion, soit 12. Toutes les productions propres à
l’entreprise ont été regroupées dans un seul sous-corpus (Interne / « Int », qui apparaît sur les
graphes ci-dessous en 13e position). Une autre clé a été utilisée, elle correspond aux deux
situations de communication décrites plus haut avec une précision apportée à la première
divisée en deux sous-corpus selon que les productions émanent de la presse écrite ou de la
presse radiophonique. Partant de ce matériau, il s’est agi d’une part d’interroger certaines des
caractéristiques que nous avions isolées dans la définition du discours patronal au regard de la
nouvelle partition appliquée au corpus ; d’autre part d’interroger par le biais de différentes
marques linguistiques certaines des caractéristiques inventoriées par la littérature et dites
représentatives des DE.
3 – Construire l’économie
Il existe donc une réalité qui fonctionne comme référentiel et dont l’autorité de fait joue le
rôle d’un argument. Les dirigeants d’entreprise n’en proposent pas de vision, ils la constatent
seulement en termes de réalités économiques, contexte économique, signification économique,
conjoncture économique.
- La mondialisation n’est pas une idéologie, c’est une réalité
- L’évidence européenne est inscrite dans les faits
L’autorité de cette réalité est confirmée par la présence caractéristique, pour la majorité des
locuteurs, des adverbes dits assertifs ou de modalisation de l’assertion, et tout
particulièrement en situation oralisée (5 premières entités sur les graphes présentés ci-
dessous). Ces adverbes ( effectivement, certainement, sans doute, naturellement, certainement,
bien sûr , regroupés pour le graphe 1) disposent de certaines de propriétés distinctives : ils
échappent à la portée de la négation, ne peuvent constituer le focus d’une phrase clivée et
fonctionnent comme mot-phrase répondant à une interrogation absolue.
45
40
Fréquences relatives
35
30
(x 10000)
25
20
15
10
5
0
Blom LCI BFM RadClas Eurp1 Capit Inves LesEch JourFin Trib LeMond Fig Int
Ces adverbes portent sur la valeur de vérité du dire en indiquant sa coïncidence avec les
données de la réalité – forme d’épistémè ou de savoir – connue du locuteur sans que nous
identifiions une corrélation systématique avec la référence à l’économie.
La très forte occurrence de la modalité déontique impersonnelle en opposition à celle du
modal pouvoir témoigne de la nature contraignante de ce réel fonctionnant ainsi comme un
ordre absolu et souverain. Par son biais, les dirigeants ne cessent de promouvoir des
comportements dotés quasiment d’un statut de loi. Ainsi, comme le souligne Serge Halimi
(2001) citant Alain Minc (1995), « La réalité économique, c’est comme la loi de la pesanteur.
Jusqu’à nouvel ordre, on ne s’est pas émancipé de la loi de Newton ».
La référence explicite à la science économique est relativement faible, mais apparaît à travers
quelques occurrences : études économiques, modèle économique, les fondamentaux macro-
économiques démontrent, les théories économiques. A la différence des travaux d’Achard
(1978), dans la situation médiatique qui nous occupe la référence à la discipline est inopérante,
construisant le dirigeant en seul expert des données, comme prescripteur, prêcheur ou
propagandiste.
- Une entreprise doit créer de la valeur pour ses actionnaires, mais aussi assurer son propre avenir et
celui de ses salariés
- Le manager doit se dire que le marché a toujours raison.
- Nous devons réconcilier la croissance, la solidité, la transparence à long terme avec les attentes du
marché
- Nous nous devons d’assurer notre pérennité et notre croissance rentable par d’autres moyens.
- Nous devons faire à la fois de la croissance externe, de la croissance interne et améliorer la rentabilité
Ces normes économiques que véhiculent les dirigeants d’entreprise ne sont pas présentées
comme coercitives, elles s’imposent comme allant de soi. Elles sont avancées comme un
référentiel auquel ils se conforment mais en même temps ils les assènent pour fonder leur
discours. Ces quelques exemples laissent percevoir la nature de cette norme et sa logique : loi
du marché, rentabilité et efficacité sont ici omniprésents. Il est bien question d’un
positionnement idéologique même s’il – et d’autant plus parce qu’il – procède par le biais
d’une prétendue obligation. C’est au même ordre que nous rattachons l’ensemble de ces
formes et structures produisant une dépersonnalisation du dire et construisant des énoncés de
l’ordre de la vérité générale :
« il [le locuteur] utilise le modal falloir (faut 400) ou des périphrases adjectivales
impersonnelles (il est nécessaire, il est évident par exemple) plutôt que devoir (doit 142, devons
67, dois 13) et un ensemble de constructions - nominalisation, passivation incomplète,
pronominalisation notamment - qui permettent selon Sériot (1985) de transformer les
prédications en « objets qu’on constate sans avoir à prendre en charge la relation entre le sujet et
le prédicat. La responsabilité, la source de la relation prédicative sont effacées ». Le propos
s’impose en tant que tel et relevant de l’obligation externe ou de l’évidence il ne saurait être
réfuté ou douteux. Le résultat est un discours qui impose une certaine vue et qui refuse le
questionnement.» (Garric et Léglise, 2005, 142).
A travers ces formes d’énonciation délocutive, nous reconnaissons un discours qui, comme le
discours politique analysé par Charaudeau (2005, 154)
« cherche à ériger en norme universelle relevant de la connaissance ce qui n’est que norme
morale relevant de la croyance : il cherche à se faire confondre une vérité de croyance avec une
vérité de connaissance ».
- Les dirigeants disent assumer un rôle de moteur économique vis-à-vis des entreprises, des
économies nationale et surtout mondiale en créant de la valeur et de la richesse et en
favorisant les échanges. Ils conçoivent ce rôle économique comme ayant des résonances
sociales, politiques et écologiques. En parlant d’eux-mêmes, ils se définissent donc
comme des acteurs économiques participant à la vie de la cité, au débat démocratique.
Ces considérations, développées en situation médiatique, permettent au locuteur de
rappeler selon quelle légitimité il participe à l’échange. Et cette légitimité semble bien
tenir à un statut – affiché, voire revendiqué – de spécialiste, d’expert en économie. Ce
statut, de nouveau, ne résulte pas d’une quelconque référence à un domaine de légitimité
scientifique. Dans l’extrait suivant, un grand patron discrédite les hommes politiques
venus se mêler de faits économiques - en d’autres termes venus empiéter sur la liberté des
entrepreneurs :
- Journaliste : Avez-vous été surpris par la déferlante des plans sociaux, de Marks & Spencer à LU, et par la
riposte des hommes politiques appelant au boycott ?
- Francis Mer: Je suis atterré par leur réaction. On a vraiment l'impression d'être revenu vingt ans en
arrière. Les hommes politiques devraient s'occuper d'autre chose, ils ne sont pas là pour ça. Leur rôle, que
je sache, est d'aider la collectivité. […]
En revanche, leur intervention dans d’autres domaines est apparemment bienvenue :
- La culture n’est pas un « bien » ordinaire. Le rôle de l’Etat et d’une autorité de régulation y est donc
parfaitement légitime.
Les énonciateurs construisent deux univers référentiels (politique = biens collectifs, univers
de la cité, économique = domaine réservé, profit) constitués par des systèmes de croyances
avec chacun leur légitimité de fait et leur idéologie. Nous sommes « dans un processus
dialogique au sens de Bakhtine – l’affrontement pour les mots et le sens des mots est aussi un
affrontement de groupes et une occasion pour les groupes de se définir, se légitimer » (Achard,
1993, 103). On pourrait également parler de processus d’idéologisation, ces processus « qui
construisent un ensemble de croyances plus ou moins théorisées sur l’activité sociale, et ont
pour effet de discriminer des identités sociales » Charaudeau (2005, 156).
Un discours de la performance
Nous avions remarqué que les discours des dirigeants visent à exhiber – par des données
financières et comptables mais également par leur statut de leader sur le marché – des preuves
plus ou moins quantifiables de leur croissance. Ce statut de leader se trouve en outre
hypertrophié par la spectacularisation attachée à la situation médiatique, en lien avec
l’héroïsation (Halimi, 1999) des grands patrons, de sorte que certaines régularités observées
peuvent être rattachées aux spécificités d’un dispositif énonciatif médiatique. C’est le cas
notamment des marques énonciatives, le pronom on et les modaux croire et penser étant
particulièrement discriminants.
Garric, Nathalie et Léglise, Isabelle (2008). Discours patronal et discours économique. Mots 86, 67-83.
je
on
Fréquences relatives
300 nous
250
(x 10000)
200
150
100
50
0
Blom LCI BFM RadClas Eurp1 Capit Invest LesEch JourFi Trib LeMond Fig Int
80
70
Fréquences relatives
60
(x 10000)
50
40
30
20
10
0
Blom LCI BFM RadClas Eurp1 Capit Invest LesEch JourFi Trib LeMond Fig Int
Conclusion
A l’issue de cette analyse, il nous apparaît que le discours patronal partage des contraintes de
genre avec le DE, en ce qui concerne la question de la légitimité et la prétention à parler au
nom de la nature. En revanche, la légitimation joue différemment dans le DE produit par la
science économique – et généralement étudié dans les travaux d’analyse de discours – et dans
le discours patronal.
C’est la constance d’une légitimation par une instance-tiers à travers les différents supports
qui fonctionne ici comme indice de reconnaissance du registre. Ces supports déterminent
différents acteurs même si l’interlocuteur reste toujours l’état-nation dont le statut actualise en
discours diverses instances de légitimation : une légitimation par l’ordre des choses, une auto-
légitimation et une légitimation « communautaire » au sens où elle est construite sur les
croyances propres à un groupe d’individus Ces formes de légitimation déterminent la scène
énonciative dans le sens où elles construisent différemment l’énonciateur en imposant un seul
point de vue – le tout économique. La légitimité disciplinaire n’est, elle, tout simplement pas
convoquée.
Charaudeau (2004), selon qui les discours prennent sens par rapport à des imaginaires socio-
discursifs - ces méta-énonciateurs porteurs de savoirs construits en systèmes de connaissance
objectivants ou en systèmes de jugements subjectivants - distingue un « il-vrai » d’un « on-
vrai ». Dans le premier cas, c’est « la science qui parle à propos du monde » et joue le rôle de
« vérificateur » alors que dans le second, le savoir « est dans le sujet et il n’est point
vérifiable ». Notre analyse, révélant une réalité économique de l’ordre de la naturalité des
choses, paraît, sans convoquer le savoir scientifique, se rattacher à ce il-vrai qui produit un
discours objectivant. En effet, selon l’auteur le il-vrai peut également introduire dans le dire
un méta-énonciateur impersonnel et indéterminé identifiable comme l’ordre des choses. On
pourrait toutefois aussi rattacher le méta-énonciateur des DE à un on-vrai d’autant plus que
Charaudeau souligne que certains énoncés doctrinaux (ou idéologiques) peuvent
s’autojustifier en se référant à un on-vrai qui se donne comme un il-vrai. Ce cas serait
notamment observable dans notre corpus lorsque la naturalité des choses prend forme en la
personne du patron sous l’influence en particulier des visées spécifiques du discours
médiatique.
Nous avançons finalement que ces textes participent discursivement à la construction de
l’économie. Ils ne sont pas économiques en raison des thématiques abordées, non plus qu’en
regard de l’appel qu’ils feraient à des arguments d’autorité provenant d’experts de la
discipline économique. Mais, en raison de l’idéologie qui les sous-tend et qu’ils participent à
diffuser, notamment au travers d’interventions médiatiques, ils sont économiques au sens où
ils construisent l’économie par du discours sur leurs propres actes en érigeant l’ordre
économique en ordre des choses. Ces textes contribuent donc à la fois à donner à voir une
« réalité économique » et, à construire activement l’économie qu’ils présupposent.
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