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Gérard Lucas
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Relation d’objet
et psychanalyse de l’enfant
Gérard LUCAS
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l’objet, mais qui est assurément plus compliquée et mérite une discussion
approfondie », écrit Freud (Inhibition, symptôme, angoisse).
Il semble exister, parmi les psychanalystes, un accord large pour donner un
caractère significatif à cette nouveauté. La perception de la non-identité de
l’étranger avec la mère témoigne d’une perception nouvelle de l’identité propre de
la mère, elle donne un sens nouveau à l’alternance de sa présence et de son absence.
Il est en général considéré, à la suite de Freud, que cette mutation dans la
genèse de l’angoisse témoigne du tout premier éveil du Moi et que cet éveil
coïncide avec la constitution de la mère comme objet en tant que tel (réserves
faites des positions historiques classiques de l’école kleinienne).
En toute rigueur, dans cette orientation il n’y aurait pas de sujet... ni
d’ailleurs d’objet au sens où nous avons utilisé ce mot... avant cette période.
Dès ce moment, on pourrait par exemple se poser la question de la qualifica-
tion de la souffrance manifestée par l’enfant dans les six premiers mois de sa
vie, à l’occasion des délais nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Faut-il
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dans le texte que nous avons cité. Cette seconde configuration subjective est
peut-être moins inconnaissable, moins imprécise parce qu’elle implique trois
éléments dès lors plus précisément constitués :
— le sein « perdu » au sens où nous l’avons l’évoqué ;
— la mère en tant que personne à qui appartient l’organe apportant la satis-
faction et capable de s’absenter ;
— et l’enfant, d’ailleurs susceptible de situer l’ensemble environnemental
devenu familier source des satisfactions éprouvées dans le passé.
nels, mais précisément cette qualité est diverse (tous les jeux n’en sont pas,
pourrait-on dire..., ou pas dans la même mesure).
— Parce qu’en même temps l’étude des jeux d’enfants trouve sa place chez
Freud, au début d’ « Au-delà du principe de plaisir », après la description et le
commentaire du célèbre jeu de la bobine. Elle aboutit, à la fin du second cha-
pitre, à la notation : « Il est donc permis de se demander si la tendance à
s’assimiler psychiquement un événement impressionnant, à s’en rendre complè-
tement maître, peut se manifester par elle-même et indépendamment du prin-
cipe de plaisir », la fin de l’essai concluant au nouveau dualisme pulsionnel,
incluant par conséquent la pulsion de mort.
Réserve faite de M. Klein dans les modes de compréhension qui lui sont
propres, il nous semble que les publications articulées autour de la relation
d’objet sont discrètes sur ces implications et ne donnent pas toute la place qu’ils
méritent aux mouvements haineux attachés à la naissance de l’objet, cela en
dépit de la référence obligée au jeu de la bobine et du texte non moins explicite
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Le mouvement de pensée que j’ai cru pouvoir repérer dans ce texte pour-
rait être rapproché de certaines de ses positions relatives à l’objet maternel, cré-
dité par exemple d’une assez étrange absence d’ambivalence vis-à-vis de son
nourrisson de sexe masculin, ou du peu de goût de Freud pour le travail dans le
transfert maternel...
Il n’est cependant évidemment pas totalement silencieux dans l’ensemble de
son œuvre sur ce terrain de l’ambivalence précoce vis-à-vis de l’objet. Il est
cependant assez remarquable qu’il le développe, à ma connaissance essentielle-
ment, outre l’article sur la négation déjà cité, dans son article sur la sexualité
féminine de 19311 : la conflictualité chez le garçon y est discrètement évoquée, à
propos de la jalousie vis-à-vis des rivaux, de l’interdiction de la masturbation et
sur un plan plus général du fait de « l’avidité de la libido infantile ». L’existence,
chez le garçon, d’un dégagement par rapport à une ambivalence originaire ini-
tiale lui fait évoquer la « possibilité que les garçons liquident leur ambivalence à
l’égard de leur mère en plaçant sur leur père tous leurs sentiments hostiles »,
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Certains d’entre nous l’ont fait, et parmi eux les Botella d’une façon
qui intègre et complète, me semble-t-il d’une façon remarquable, l’œuvre
freudienne.
C’est à partir des accidents de pensée de l’attention flottante de l’ana-
lyste au travail en séance qu’ils postulent un accès possible au sexuel pri-
mordial, à partir duquel émergeraient, au contact du monde, des formes que
Freud a qualifiées comme sexualité infantile perverse polymorphe. Avant de
se fixer à des représentations, à un objet, le désir infantile serait, hors
de tout contenu, pourrait-on dire, d’abord fondé sur sa propriété motion-
nelle, son élan, sa valeur d’hallucination motrice s’accomplissant dans un
registre hallucinatoire animique avant même que l’objet puisse être investi
– cette satisfaction serait d’ailleurs celle d’un sujet-objet inséparé, mû par la
quête du plaisir sexuel-perdu-de-l’objet-de-la-satisfaction-hallucinatoire, hors
temporalité et hors mémoire. Ce registre du « sexuel primordial » trouve-
rait à se manifester en séance du fait des potentialités d’indistinction régré-
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Enfin, pour toutes sortes d’autres raisons à propos desquelles les contribu-
tions écrites de nos collègues de Coulon, Le Guellec, Maurice, Widlöcher et
Zilkha m’ont beaucoup apporté.
Le thème de ce Congrès m’a fait relire les débats qui, pour un temps du
moins, ont modifié certains équilibres de la théorie psychanalytique en faveur
de la théorie de la relation d’objet. Je conçois qu’elle ait pu, un moment, appa-
raître plus aisément accessible que d’autres aspects de la vie psychique chez
l’enfant, mais elle est rarement explicitement utilisée, me semble-t-il, dans les
travaux de ces dernières années.
Dans son rapport comme dans son livre Psychanalyse du lien, B. Brusset
nous a montré combien la diversité des développements de la notion de relation
d’objet a élargi nos façons de voir, non sans aboutir à une certaine confusion.
Cela n’est, bien sûr, pas sans conséquence dans nos pratiques avec les enfants.
Je rappellerai les grandes lignes du débat dont le caractère quelquefois
polémique m’a paru couvrir des enjeux nombreux que je proposerai à la
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UN OBJET AU SINGULIER ?
P.-C. Racamier, après l’exposé des travaux de Spitz, avait pensé utile de les
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d’une idéalisation, dont témoigne assez bien dans notre culture toute une tradi-
tion, en particulier picturale, de maternités (Vierge à l’enfant), les fonctions
maternelles ont fait l’objet d’un intérêt croissant à la mesure de la conscience
non de leur perfection ou de leur imperfection, mais de l’importance mieux
perçue de leur complexité contradictoire.
Sous cet angle, on pourrait d’ailleurs rappeler que, quelle que soit la valeur
des « organisateurs » décrits par Spitz et le caractère indicatif de repère qu’ils
gardent du point de vue du développement, ils ne sont que la résultante com-
portementale de phénomènes complexes, à la problématique desquels ils ont eu
le mérite de nous introduire : il s’agit de conduites symptomatiques assez régu-
lières dans leur apparition, mais très variables dans leur intensité, leur durée, les
aménagements qu’elles sont capables de susciter.
Dans l’œuvre freudienne, les pulsions d’autoconservation, encore appelées
« pulsions du Moi », ont d’ailleurs été situées de façon changeante. Elles indi-
quent à la sexualité la voie de l’objet (théorie de l’étayage) mais sont aussi cré-
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Ces changements n’en laissent pas moins aux pulsions du Moi, d’auto-
conservation, leurs caractères particuliers. Leurs objets sont opposables à ceux
des pulsions sexuelles, ils ne sont pas substituables, ils n’ont pas la capacité de
passer du plaisir au désir, en particulier lorsque leur objet fait défaut... réserve
faite d’une sexualisation secondaire...
1456 Gérard Lucas
Il nous semble pourtant que ces retours répétitifs de l’agression dans les
productions et les jeux des très jeunes enfants sont aussi bien en relation, sinon
avec un sadisme, une impitoyabilité, avec des mouvements défensifs, témoi-
gnage de l’activité de leur Moi narcissique en mal de différenciation et en lutte
contre l’excitation née des relations avec leurs objets pulsionnels ; bien avant
que ne se développent des problématiques typiquement anales, dans les aléas de
leurs progrès moteurs, à l’occasion de l’alimentation, de l’acquisition de la
marche, dans les ébauches de jeu, leur désir narcissique de maîtrise montre leur
1458 Gérard Lucas
Ou bien :
« Nous devons reconnaître que l’étude génétique de la relation objectale ne nous satis-
fait pas entièrement et que l’expérience psychanalytique elle-même est probablement
plus féconde que l’observation directe. »
Il est sans doute intéressant de citer ici une remarque de E. Kris dans ses
travaux relatifs à l’observation, où il relève, à juste titre, que la théorie du trau-
matisme de la séparation et de son caractère traumatique a été en fait effectuée
par Freud dès 1926 dans Inhibition, symptôme et angoisse lorsqu’il a décrit les
situations de danger crucial, la peur de perdre l’objet et l’amour de l’objet :
« Les analystes ne se rendirent pas compte des situations concrètes typiques
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NOURRISSONS ET CHERCHEURS
Il nous faut, sans doute, dire un mot assez bref de l’évolution des méthodo-
logies et des résultats de l’observation « scientifique » des nourrissons. Nous
utiliserons en particulier la revue effectuée par Martin Dornes et parue aux PUF
en 2002 qui s’intitule d’ailleurs Psychologie et psychanalyse du premier âge.
Un effort assez considérable, en effet, a été fait par l’auteur pour s’initier à
la théorie psychanalytique, et donne le sentiment qu’un certain nombre de
notions ont été comprises. Cet effort n’en laisse pas moins subsister des points
de divergence de caractère très variable.
Le plus important nous a semblé être la perception de la vie psychique du
nourrisson comme être indépendant ; l’enfant donne, à l’observation « scien-
tifique », le sentiment d’avoir une volonté dès 2 à 3 mois, il dispose dans
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Si, en accord relatif avec les conceptions d’un auteur comme Piaget, on
peut penser que la mère ne peut être perçue qu’à partir du troisième mois
comme un tableau intersensoriel unifié, il semble bien que le nourrisson forme
beaucoup plus tôt un schème polysensoriel qui rassemble de manière syncré-
tique les différentes perceptions relatives à la présence maternelle.
Il nous semble que les convergences retrouvées à ce sujet par J.-M. Petot
avec les jubilations décrites en face de l’image spéculaire (Wallon) ou les effets
d’organisateur ou de leurre du stade du miroir (J. Lacan), ou, davantage
encore, le rôle de la mère comme premier miroir de l’enfant mis en valeur par
Winnicott, tout en étant intéressantes, ne sont pas nécessairement des argu-
ments décisifs pour affirmer l’existence, d’emblée, d’une « relation objectale
avec la mère ». Elles posent des questions nouvelles, et parmi elles des questions
de terminologie : l’expression mal définie de « relation d’objet » et l’ensemble
des travaux très divergents auxquels elle a donné naissance ne permettent pas, à
ce qu’il nous semble, de soutenir une discussion intéressante, même si certaines
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réalité du début ». Cependant, un certain doute se fait jour chez eux : cette per-
ception chez le nourrisson implique-t-elle une reconnaissance émotionnelle de
cette indépendance ? A-t-il les moyens émotionnels de la supporter ? Sans doute,
il la connaît, mais quand la reconnaît-il ? Ne s’agit-il pas alors vraisemblable-
ment d’une acquisition du développement, absent tout au début ?
D’une manière plus générale, il est établi que les chercheurs ont fait
toutes leurs observations dans la période d’ « attention tranquille et active du
nourrisson »1.
Ne leur faut-il donc pas s’interroger sur la signification et la validité de ces
mesures faites dans cette période particulière ?
S’il n’y a pas de phase symbiotique, peut-être y a-t-il des moments symbio-
tiques significatifs, notamment lorsque les parents ont des difficultés, significa-
tivité qui, d’ailleurs, n’est pas forcément en rapport avec la durée de ces
moments. Ces interrogations ont une certaine importance et témoignent d’une
curiosité qui pourrait influencer heureusement les thèmes de recherche.
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LA THÉORIE DE L’ATTACHEMENT
montrent assez notre écart par rapport aux soucis et aux objectifs des utilisa-
teurs de la théorie de l’attachement. Peut-être souhaitent-ils sur cette base ima-
giner des modalités d’intervention pour laquelle la collaboration avec des
psychanalystes leur paraît intéressante ? Quoique dans son œuvre Bowlby ait
utilisé dans de nombreuses dimensions un appareil notionnel vraiment très dif-
férent, voire opposé à certains égards, à la théorie psychanalytique (qu’il
s’agisse des articulations de l’attachement et de la sexualité, des phénomènes de
transmission « intergénérationnelle », des comportements d’attachement envi-
sagés de façon incontestable sur un modèle de type héritabilité génétique, ou de
la place de la représentation), il a souhaité rester membre de la Société psycha-
nalytique britannique.
Quelle que soit l’estime que l’on ait pour cette méthodologie de classement
et de prévision statistique, il faut toute l’habileté de B. Golse dans son travail
« Attachement (...) et métapsychologie » (1998) pour, sans souscrire pour
autant à la théorie de l’attachement, tenter un rapprochement dans la crainte,
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Nos cultures ont situé à une place privilégiée la soumission aux faits, consi-
dérée comme une condition d’accès à la vérité scientifique ; le fait est censé
trancher... définir un sens unique... ce à quoi le débat d’idées parvient rare-
ment... mais nous situons-nous dans un domaine où la définition des faits
perçus ou déduits est assez assurée pour ne pas demander de commentaires
interprétatifs ?
Ainsi, la menace de castration tire son efficace, chez chacun de nous, d’une
liaison sui generis variable de traces verbales et de perceptions visuelles ; cela ne
joue-t-il pas un rôle dans nos façons de penser quelquefois si différentes ?
Nous avons hérité et dans le meilleur des cas acquis une expérience, un
savoir, mais nos capacités à l’oublier ou à le pervertir ne font aucun doute...
La recherche de lignes de réflexion qui tiennent compte des équilibres et
des tensions contradictoires de l’ensemble de l’œuvre freudienne peut donner à
certains le sentiment d’un risque sectaire ; beaucoup ne se privent pas de le
dénoncer à notre propos...
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