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3.2.2.

L’évolution du système monétaire international depuis le XIXe siècle

Cours

I –SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL (SMI) : UN SYSTEME DE REGLES


ET DE PRINCIPES

Dans une première approche, un système monétaire international (SMI) est un


ensemble des règles et principes qui régissent l’évolution des taux de change entre les
devises des pays. Toutefois, le SMI ne se réduit pas aux seuls régimes de change. D’où
une définition plus large, un système monétaire international (SMI) est l’ensemble des
principes, des règles, des mécanismes, des institutions et des acteurs visant à organiser
et à contrôler les échanges de capitaux entre pays et l'organisation des paiements
internationaux (régimes de change fixes, flottants ou intermédiaires).

Selon Ronald McKinnon, (1993), The Rules of the Game: International Money in
Historical Perspective, Journal of Economic Literature, March, pp. 1–44, un système
monétaire international (SMI) est un ensemble de règles qui influencent les décisions des
États en matière de régime de change, de politique monétaire et de réglementation des
flux de capitaux. Quatre éléments sont traditionnellement retenus pour caractériser un tel
régime :
• la convertibilité des monnaies et, de façon plus générale, la gestion des flux de
capitaux ;
• les régimes de change (fixes, flexibles ou intermédiaires) ;
• les règles et les mécanismes assurant la fourniture de liquidités en cas de besoin ;
• la surveillance et la coopération monétaire.

Un SMI efficace favorise la croissance économique par l'allocation efficiente des


ressources, une spécialisation accrue de la production fondée sur les avantages
comparatifs et la diversification des risques. Un des mécanismes d’ajustement central d’un
SMI concerne l'ajustement des taux de change réels qui doivent s’adapter aux évolutions
des échanges de biens, de services et de capitaux.
Le SMI contribue ainsi à la stabilité macroéconomique et financière. Il reste néanmoins
difficile d’atteindre cette stabilité. En effet, la souveraineté des États et la défense d’intérêt
nationaux, les stratégies non coopératives entre pays ayant des balances commerciales
excédentaires et déficitaires, l'intégration hétérogène des marchés des biens et des actifs
à l'échelle internationale, les processus d’ajustement asymétriques, les politiques
monétaires et budgétaires incompatibles entre elles, l’affirmation de nouvelles puissances
économiques, etc. fragilisent les systèmes monétaires.
L'histoire montre que les systèmes dans lesquels prédominent les régimes de
changes fixes réagissent rarement bien aux chocs structurels d'envergure… et que les
changes flexibles conduisent rarement à des équilibres stables.
II – LES DIFFÉRENTS SYSTEMES SYSTÈME MONETAIRE INTERNATIONAL
(SMI) DEPUIS LE XIXE SIÈCLE

Un système monétaire international basé sur l’étalon-or (« gold standard ») a des


vertus théoriques qui n’ont pas toujours résisté aux réalités des politiques économiques.
Le premier conflit mondial (1914-1918) entraînera une rupture du lien fixe entre l’or et
une devise et le déclassement financier de la Grande-Bretagne malgré la mise en place
d’un étalon de change or (« gold exchange standard ») à Gènes 1922 (1).
Avec les accords de Bretton Woods sont organisés dans un pays qui détient plus de
70% des réserves d’or mondiale et impose, dans le cadre d’un compromis, un système de
parité fixe mais ajustable avec un dollar « as good as gold ». Alors que les Français
dénonceront « le merveilleux secret du déficit sans pleurs, qui permet de donner sans
prendre, de prêter sans emprunter et d’acquérir sans payer » (Jacques Rueff, 1961) ou le
« privilège exorbitant du dollar » (Valéry Giscard d’Estaing, 1964), Robert Triffin pointera
un paradoxe au cœur du SMI : les déficits courants américains permettent d’alimenter le
monde en moyens de paiement internationaux mais l’augmentation des dollars en
circulation affaiblit la valeur du billet vert (2).
La fin du système du système de Bretton Woods ne sera pourtant pas celle de la
devise américaine. Si l’expansion monétaire et la forte volatilité des taux de change
réveillent les nostalgiques de l’étalon-or c’est un SMI dans lequel le dollar des États-Unis
reste la « devise-clé » qui marque le début du XXIe siècle malgré la création de l’euro et
l’essor des économies asiatiques (3).

1. Des guerre napoléoniennes à la seconde guerre mondiales : l’étalon-or, étalon de


change or et blocs monétaires

L’étalon-or (ou Gold Standard) est un système monétaire dans lequel l’unité
monétaire est définie en référence à un poids fixe d’or et chaque monnaie d’une zone
économique est librement et directement convertible en or.
En 1816, le Royaume-Uni limite le pouvoir libératoire des pièces en argent et
reprend la frappe des pièces d’or (suspendue depuis 1797). Lorsque les billets de banque
redeviennent convertibles en or à partir de 1821, le gouvernement britannique a un régime
d'étalon-or. Le poids d’or d’une livre sterling est fixé à 7,32 grammes d’or. Le Bank Charter
Act, ou acte de Robert Peel (1844), fixe une limite à l'émission de billets et exige une
couverture or à 100% pour les émissions supplémentaires. La Banque d'Angleterre, qui a
le monopole de la création de billets, centralise les stocks d’or à Londres qui s’affirme alors
comme la principale place financière mondiale.
En France, la loi du 7 germinal an XI (28 mars 1803) a fixé, dans le cadre du
bimétallisme, la valeur du franc à 0,29032 grammes d’or fin. Notons que le franc était une
vieille unité monétaire née en 1360 mais elle a ressurgi après la Révolution française avec
la loi du 15 août 1795 qui abolit la livre tournois et introduit le franc d’argent, divisé en
100 centimes, dont le titre d'argent est 9/10e de métal pur et 1/10e d'alliage. L’argent reste
l’étalon mais, il y a une invariabilité de l’or par rapport à l’argent (un gramme d’or
s’échangeant contre 15,5 grammes d’argent). A ce taux, on pouvait déduire une parité
fixe : une livre sterling valait 25,21 francs.
Si la pièce de 20 francs (le Napoléon) devient une référence monétaire commune,
notamment au sein de l'Union latine constituée par la Convention monétaire du 23
décembre 1865 qui vise à harmoniser les poids et les titres des monnaies nationales pour
maintenir le régime bimétalliste et rétablir la libre circulation des monnaies d’argent, la
France abandonnera le bimétallisme pour adopter l’étalon-or en 1878.

Le choix de l’étalon-or implique que la masse monétaire soit déterminée par les flux
d’or et les réserves d’or (ou « réserves métalliques ») de la banque centrale. Et ces flux,
au niveau mondial, sont liés à la production dans les mines d’or et aux découvertes de
nouveaux gisements. Ainsi, entre 1870 et 1880, la faible augmentation de la production
d’or dans un contexte d’adhésion d’un nombre croissant de pays à l’étalon-or, donc de
hausse de la demande d’or, entraînera une déflation. A l’inverse, les découvertes de
nouveaux gisements en Alaska et en Afrique du Sud dans les années 1890 alimentera
l’inflation. Le niveau général des prix s’ajuste donc à la quantité d’or disponible et non à la
production ou aux échanges de biens et services. Les prix des biens et services et les
salaires doivent donc être flexibles afin que l’économie s’adapte aux variations de la masse
monétaire. Ainsi, comme les taux de change nominaux entre monnaies sont fixes et
non ajustables, le bon fonctionnement d’un système d’étalon-or suppose une forte
flexibilité des prix des biens et des salaires.
David Hume (1711-1776) dans son Essai sur la balance du commerce (1752)
pensait que les ajustements des balances commerciales seraient automatiques. Les pays
en déficit auraient des sorties d’or qui réduiraient les prix relatifs donc amélioraient leur
compétitivité ; mais, ce ne fut pas le cas. Seule une sortie de l’étalon-or desserrait la
contrainte monétaire et permettait une dépréciation du taux de change… qui accentuait les
difficultés économiques pour les pays qui maintenaient le régime d’étalon-or. Les pays
ayant un compte des transactions courantes déficitaire devaient accepter la déflation, et
ses conséquences sur la production et l’emploi, pour rétablir l’équilibre des échanges car
la dévaluation n’était pas possible en restant dans le système. C’est le « biais
déflationniste » de l’étalon-or.
Le premier conflit mondial (1914-1918) fut une tragédie humaine ; elle fut aussi
économique. Les destructions ont bouleversé les capacités de production et les dépenses
des belligérants ont entraîné d’importants transferts d’or entre pays débiteurs et créanciers
: en 1921, les États-Unis détiennent près de 45% du stock d’or mondial, contre environ
20% en 1914 ! En effet, pendant le conflit, nombre de gouvernements, comme celui de la
France ou du Royaume-Uni, ne pouvant augmenter la pression fiscale sur un population
largement mobilisée ont recourt à l'emprunt d'État et aux lignes de crédits permises par
les États-Unis. De plus, la Grande-Bretagne finance l’engagement de l’Italie aux côtés des
Alliés, une partie de la dette française, belge ou serbe et la France découvre au début des
années 1920 que l’Allemagne ne paiera pas les montants des réparations fixées lors du
Traité de Versailles (1919). En outre, les réserves d’or sont insuffisantes pour soutenir
l’activité mondiale et de nombreux pays ont renoncé à la contrainte métallique.
A l'initiative du Royaume-Uni, mais en l’absence des États-Unis de plus en plus
isolationnistes, les 34 pays participants à la Conférence économique internationale de
Gènes (Italie) du 9 avril au 19 mai 1922 veulent revenir à l’étalon-or qui reste « le but
final ». L'or reste, pour les conférenciers, le seul étalon commun des États européens.
Néanmoins, afin de rétablir l'ordre monétaire mondial désorganisé et que chaque pays
puisse stabiliser la valeur de sa monnaie, les pays s’engagent à prendre des dispositions
« tendant à l'économie dans l'usage de l'or », notamment par le maintien de réserves sous
forme de balances avec l'étranger.
La conférence instaure le système dit d’étalon de change or ou de « gold exchange
standard » ou système de compensations internationales qui limite la conversion en
or des monnaies par la compensation des soldes de balances de paiement. Les pays, en
plus des réserves d'or, peuvent conserver « des réserves de valeurs reconnues sous forme
de balances en banque, de lettres de change, d'obligations à court terme ou d'autres
ressources liquides convenables ».
L’étalon de change or instaure ainsi une hiérarchie entre les monnaies : celles de premier
rang, qui ont une parité fixée sur l'or et sont, dans les faits, librement convertibles en or ;
et celles de second rang, dont la parité est fixée par rapport aux monnaies de premiers
rangs. Le système suppose aussi que les pays limitent leurs déficits publics qu’ils financent
par création monétaire et fixent la valeur or de l'unité monétaire nationale (sans qu’elle
soit la même que par le passé).
En 1914, la Grande-Bretagne suspend l’étalon-or, et l’hémorragie de ses réserves
d’or, pour soutenir l’effort de guerre. La livre sterling est fortement dévaluée à la fin du
conflit (£1 = $4.70). Toutefois, Winston Churchill (1874-1965), chancelier de l'Échiquier,
revient sur cette décision et fixe la valeur de la livre sterling à son niveau de 1914 (£1 =
$4.86) le 25 avril 1925. Il choisit donc de contracter la masse monétaire afin que le rapport
de proportionnalité entre le stock d'or et la masse monétaire soit le même qu’avant-guerre
(alors que le stock d'or a chuté). Le pamphlet de John Maynard Keynes (1883-1946), The
Economic Consequences of Mr. Churchill, dénoncera cette mesure entraînant une
restriction du crédit, handicapant les exportateurs britanniques et intensifiant le chômage
pour imposer des baisses de salaires. L’économiste anglais souligne aussi que dans une
nation moderne la monnaie est fiduciaire et que pour éviter une dépression mondiale :
« Ce dont nous avons besoin aujourd'hui pour restaurer la prospérité, c'est une politique
de crédit facile. »
En France, s’affrontent, d’un côté les « stabilisateurs », comme le gouverneur de la Banque
de France porte-voix des industriels exportateurs qui sont pour la dévaluation de la
monnaie convergeant ainsi avec les syndicats ouvriers qui redoutent la hausse du
chômage, et, de l’autre côté, les « revalorisateurs », partisans d’un « franc fort » ayant la
parité d’avant-guerre, qui comptent de nombreux financiers et les épargnants porteurs de
rente, comme les bons de la Défense nationale. Le président du Conseil, Raymond Poincaré
(1860-1934) tranche en faveur des partisans d’une dévaluation : le 25 juin 1928, le franc
est défini à 65,85 milligrammes d'or au titre de 900 millièmes, soit une dévaluation de près
de 80% par rapport au franc germinal (1803). Les rentiers dénonceront ce « franc Poincaré
» ou « franc à quatre sous » qui ne valait plus que le cinquième de la contrepartie en or
du franc germinal. Pour ses partisans « Poincaré-la-confiance » a su mener une
dépréciation inévitable avec la multiplication des emprunts publics et le déficit de la balance
commerciale.
La Grande dépression des années 1930 engendrera d’autres dévaluations en chaîne.
L’étalon-or sera définitivement abandonné. Le 21 septembre 1931, le gouvernement
britannique décide d'abandonner la convertibilité de la livre sterling en or en laissant la
monnaie flotter, ce qui permet de dévaluer la livre sterling (£1 = $3.69). La spéculation se
reportant sur le dollar des États-Unis, encore convertible en or, Franklin D. Roosevelt
(1882-1945) suspend la convertibilité du dollar en or en 1933, dévaluant la devise du pays
qui peine à sortir de la dépression. La France s'était engagée dans un premier temps dans
une fuite en avant déflationniste mais le franc maintenant surévalué face aux autres
monnaies se traduit par l’effondrement des exportations françaises. La coalition du Front
populaire (1936-1938) dévaluera une monnaie qui, entre 1936 et 1940, perdra près des
2/3 de sa valeur.
L’étalon-or est abandonné et le système monétaire international institué à Gênes
n’a pas résisté à la crise économique. Ce sont maintenant des blocs monétaires (bloc
sterling, bloc dollar, bloc franc, bloc rouble, bloc yen) qui forme un SMI qui agrège des
zones impériales qui se passent de coopération internationale.

2. Le système de Bretton Woods (1944-1971-1976)

La Conférence des Nations Unies à Bretton Woods (New Hampshire, États-


Unis) du 1er au 22 juillet 1944 met en place le « système de Bretton Woods » (1944-1971)
dont on considère qu’il s’effondre avec la décision des États-Unis de suspendre la
convertibilité-or du dollar le 15 août 1971.

Pour répondre à l'instabilité de l'entre-deux-guerres, plus de 700 délégués


représentant 44 pays Alliés réunis dans le New Hampshire (États-Unis) vont adopter un
régime de taux de change fixe mais ajustables. Ils établissent un nouveau cadre légal
multilatéral pour les relations financières entre pays et la politique internationale d’aide au
développement.
Au-delà des buts géopolitiques, notamment empêcher que les pays d’Europe et
d’Asie, ruinés par la guerre, ne se tournent vers le communisme (la délégation de l’Union
soviétique restera un observateur), les conférenciers ont trois grands objectifs
économiques :
• éviter la transmission des crises entre les pays, notamment par le biais de
dévaluations compétitives ;
• limiter la contagion des crises par les balances des paiements ;
• et éviter le manque de liquidité à court terme des banques centrales.
Un quatrième est plus officieux : les États-Unis veulent aussi supplanter officiellement la
position du Royaume-Uni qui tente de maintenir son empire colonial et ses privilèges dans
les relations commerciales et financières avec son empire. La place hégémonique du dollar
des États-Unis dans les échanges internationaux, au détriment de la livre sterling,
s’exprime indirectement dans les échanges entre les délégations américaine et anglaise.

Pour l’économiste anglais John Maynard Keynes (1883-1946), nommé


administrateur de la Banque d'Angleterre, la création d’une chambre de compensation
mondiale (ou « union internationale de compensation » - International Clearing Union -
ICU) chargée de procurer les liquidités et d'une banque centrale mondiale gérant une
monnaie internationale, baptisée le « bancor » (libellée en or mais inconvertible en or),
doivent régler les déséquilibres d’avant-guerre… et préserver l'influence du Royaume-Uni.
Harry Dexter White (1892-1948), conseiller du secrétaire au Trésor américain Henry
Morgenthau (1891-1967), a un projet de stabilisation monétaire qui privilégie un système
basé sur une unité de réserve internationale : le dollar des États-Unis. Le plan White
propose de créer un fonds de stabilisation construit sur les dépôts des États membres et
une banque de reconstruction orientée vers l’Europe de l’Est.
Les accords de Bretton Woods sont un compromis. Toutefois, l’accord final reflètera
davantage les préoccupations américaines que britanniques. Par exemple, un Fonds
Monétaire International (FMI) aux compétences limitées sera préféré à une banque
centrale mondiale, émettrice de la monnaie internationale imaginée par Keynes.
Néanmoins, les propositions britanniques de taux de change fixes mais ajustables et d’un
maintien provisoire des contrôles sur les mouvements internationaux des capitaux sont
reprises.
A la fin de la conférence, le nouveau système monétaire repose sur un système de
change or ou « gold exchange standard », dont le pivot est le dollar des États-Unis. En
théorie, toutes les devises sont définies en or. Mais dans les faits, les États-Unis détiennent
70% des réserves mondiales d'or : seule la parité-or du dollar est assurée. Les autres
monnaies sont alors définies par rapport au dollar.
La conférence des Nations Unies à Bretton Woods a donné lieu à la création de deux
institutions :
• le Fonds monétaire international (FMI) chargé de garantir le système des taux
de change fixes pour éviter les dévaluations compétitives qui avaient contribué à la Grande
dépression des années 30. Aujourd’hui, cette institution a pour mission de veiller à la
stabilité du système monétaire international (paiements et change), d’assurer une
surveillance des politiques économiques et financières des 190 pays membres, de donner
son avis sur les ajustements économiques qu’il conviendrait d’apporter le cas échéant et
d’assurer des prêts aux pays ayant des crises de balance de paiements ;
• et de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement
(BIRD) chargée de reconstruire l’Europe dévastée par des années de conflits. Aujourd’hui,
le Groupe Banque mondiale et ses cinq institutions (Banque internationale pour la
reconstruction et le développement, Association internationale de développement, Société
financière internationale, Agence multilatérale de garantie des investissements et Centre
international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) a vocation de
soutenir le développement durable des pays en développement et de lutter contre la
pauvreté via une assistance technique et financière aux pays. Ses interventions (soutiens
à la construction d’écoles, de centres de santé, de points d’adduction d’eau, etc.) sont
financées à la fois par les contributions des 189 pays membres et par émissions
d’obligations sur les marchés financiers.

Le compromis, entre délégations anglaises et américaines mais aussi avec les


représentants des pays moins riches, va servir de cadre à l'économie mondiale jusqu'en
1971. Les accords signés le 20 juillet 1944 peuvent se résumer par quatre caractéristiques
:
• les États définissent une parité fixe en or, donc en dollars des États-Unis dont la
valeur est de 35 dollars l’once ;
• les taux de change sont fixes mais ajustables (avec une marge de fluctuation de
1%) ;
• la convertibilité des monnaies est mise en place mais les contrôles sur les flux de
capitaux persistent ;
• deux nouvelles organisations financières internationales sont créées, le FMI et la
BIRD (qui deviendra Banque mondiale).

Ainsi, le SMI mis en place à Bretton Woods est très différent de celui l'étalon-or car il est
plus réglementé, les marchés financiers y jouent un moins grand rôle, l'ajustement des
taux de change est coordonné par le Fonds monétaire international (FMI) et le contrôle des
capitaux est généralisé.
Soulignons que le 3 octobre 1969, un amendement aux Accords de Bretton Woods permet
la création de Droits de tirage spéciaux (DTS). Dans sa conception actuelle, le droit de
tirage spécial (DTS) peut se définir comme un avoir de réserve international émis par le
Fonds qui circule entre banques centrales afin de compléter les réserves de change. Il vise
à garantir une croissance contrôlée de la liquidité internationale afin qu’elle dépende moins
des déficits de la balance des paiements américaine (limiter le dilemme de Triffin) ou de la
production d’or. A sa création la valeur du DTS fut fixée à 0,888671 gramme d’or fin, ce
qui correspondait alors à un dollar. Aujourd’hui, ce panier est composé de cinq devises :
le dollar des États-Unis, l’euro, le yuan chinois, le yen japonais et la livre sterling.

La rapide diminution des stocks d’or et la hausse des créances étrangères vont
amoindrir la confiance dans la capacité des États-Unis à assurer ses engagements prix à
Bretton Woods. Le 15 aout 1971, le président américain Richard Nixon (1913-1994) incite
les Américains à restreindre leurs importations, annonce la mise en place d’une taxe sur
les importations, le blocage des prix et des salaires… et suspend « temporairement »
l’engagement des États-Unis à convertir en or, au prix de 35 dollars l’once, les dollars
présentés par les institutions financières.
La décision s’opère dans un contexte marqué par le gonflement des déficits publics et
commerciaux américains, l’accélération de l’inflation américaine, la hausse du prix de l’or
sur le marché libre par rapport au marché officiel, les tensions financières avec les Alliés
européens, notamment la France et l’Allemagne, etc.

Le système basé sur un dollar « as good as gold » a vécu avec les fortes variations
de la devise américaine. Face à la volatilité des cours sur le marché des changes, les États-
Unis demandent aussi à ses principaux partenaires commerciaux (cf. Japon et République
fédérale d’Allemagne) de revaloriser leurs monnaies. L’accord du Smithsonian Institute,
signé lors de la conférence de Washington le 18 décembre 1971, prend acte de
l’inconvertibilité or du dollar (qui n’existait plus que pour les banques centrales depuis
1968), de la dévaluation de la monnaie américaine de 7,89% et d’un élargissement des
marges de fluctuation des monnaies (2,25% au lieu de 1%). L’once d’or qui valait 35
dollars depuis le 1er février 1934, elle s’échange alors à 38 dollars sur le marché. Le yen
ou le deutsche mark sont réévalué de près de 15% par rapport au dollar.
Pour certains économistes, le système de Bretton Woods n’a duré qu’une décade
puisque le système monétaire international est devenu opérationnel en 1958 avec
l'élimination des contrôles de change pour les transactions en compte courant et que, en
mars 1968, les États-Unis suspendent la convertibilité du dollar en or sauf pour les banques
centrales qui ont cessé d'acheter ou de vendre de l'or sur le marché libre.
Confrontés à la monétisation d'afflux massifs de dollars en mars 1973, les
gouvernements étrangers laissent flotter leurs devises. Les Accords de la Jamaïque
(8 janvier 1976) signés par les ministres des Finances formant le Comité intérimaire du
Fonds monétaire international (FMI) légalisent le système des taux de change flottants et
mettent fin, au niveau international, aux parités fixes mais ajustables. L'or n'a plus aucun
statut officiel au sein du FMI et l’inconvertibilité du dollar en or est définitive : l’acte de
décès de Bretton Woods est donc officiellement établi à Kingston.
3. Le système de flottement impur : « non système monétaire international » ou
« système hybride » ?

Contrairement à ce qu’espéraient l’économiste français Jacques Rueff (1896-1978),


le retour à l’étalon-or ne sera pas au programme de la fin de l’étalon de change-or. En
effet, le système de Bretton Woods fut adopté précisément face à l’insatisfaction du
premier. L’étalon-or est basé sur un métal précieux dont la hausse de la production ne
répond pas à l’accélération des échanges commerciaux. Aujourd’hui, les gouvernements
ne veulent plus subir les effets automatiques des entrées (inflation) et des sorties
(déflation) d’or. Et, les détenteurs de créances en dollars des États-Unis, où dans une autre
devise, restent attachés aux intérêts perçus sur leurs comptes en banque ou les titres
financiers, alors que la détention du métal jaune ne rapporte aucun intérêt.

A postériori, le SMI mis en place à Bretton Woods apparaît comme un « âge


d’ordre » qui a permis d’éviter les dévaluations compétitives et les surenchères
protectionnistes des années 1930 bien que les États-Unis n’aient pas accepté la création
d’une organisation internationale pour le commerce internationale puisque le Congrès
américain refusa de ratifier la création de l’Organisation Internationale du Commerce (OIC)
prévue par les accords de la Havane en mars 1948.
Si l’on reprend le « triangle des incompatibilités » proposé par l’économiste
canadien Robert Mundell (1932-2021), on peut définir l’évolution du SMI depuis le XIXe
siècle comme le passage :
1. d’un système avec des taux de change fixes, liberté de circulation des capitaux mais des
politiques monétaires peu autonomes, c’est l’étalon-or ;
2. à un système avec des taux de change fixes (plus ou moins ajustables), des politiques
monétaires autonomes mais une liberté de circulation des capitaux réduite, ce sont les SMI
qui vont de la Conférence de Gènes (1922) à celle de la Jamaïque (1976) en passant, bien
évidemment par la Conférence de Bretton Woods (1944) ;
3. puis un système caractérisé par des taux de changes flottants, une autonomie des
politiques monétaires et une liberté de circulation des capitaux.

En 1972, à l'initiative du président français Georges Pompidou (1911-1974), les six


États membres de la Communauté économique européenne (CEE) décident, pour maintenir
des marges de fluctuation étroites entre leurs monnaies, de limiter les fluctuations entre
leurs parités bilatérales à plus ou moins 2,25 %. Ce double système d'encadrement des
fluctuations des monnaies européennes entre elles et par rapport au dollar dessine une
sorte de «serpent se déplaçant dans un tunnel». Le serpent monétaire européen (1972-
1979), qui débute officiellement le 24 avril 1972, répond aux préoccupations européennes
de stabiliser le cours de leurs monnaies afin d'assurer le bon fonctionnement du marché
commun, notamment de la Politique agricole commune (PAC). Notons que la résolution du
Conseil du 21 mars 1972 indique que «l'objectif à plus long terme demeure l'élimination
de toute marge de fluctuation entre les monnaies de la Communauté.» Les six monnaies
communautaires seront rejointes le 1er mai 1972 par les monnaies des trois futurs États
membres (Royaume-Uni, Irlande, Danemark) et la Norvège. Toutefois, les spéculateurs
sur les marchés financiers contestent ces réalignements de parité et contraindront le
Royaume-Uni et l’Irlande à laisser flotter leur monnaie : la livre sterling sort du serpent et
du tunnel puis la livre irlandaise. La couronne danoise quitte aussi le serpent mais reste
dans le tunnel. Les spéculateurs attaquant aussi le deutsche mark obligeront le
gouvernement allemand à rétablir le contrôle des capitaux.
La Bundesbank, comme la Banque de France, doivent acheter massivement des
dollars. En mars 1973, l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas
décident de laisser leurs monnaies flotter par rapport au dollar : le serpent est maintenu
mais il sort du tunnel. Le Royaume-Uni, l'Irlande et l'Italie pratiquent un flottement
autonome. Le flottement des monnaies se généralise : le système des taux de change fixe
n’existe plus.
Le Système monétaire européen (SME), créé en 1979, a pour objectif de
renforcer la coopération monétaire entre les pays de la Communauté européenne afin
d'aboutir à une zone de stabilité monétaire. Il se compose de l’European Currency Unit
(ECU), d’un mécanisme de change et d'intervention ainsi que de divers dispositifs de crédit.
Il sera remplacé par le système européen de banques centrales (SEBC).
A partir du printemps 1992, après de violentes crises spéculatives, la lire et la livre
sterling sortent du dispositif de fixité. La crise se poursuit jusqu’en 1993, avec les fortes
dévaluations de la punt irlandaise (10%), du peseta (8%) et de l’escudo (6,5%). Les
difficultés de stabiliser la valeur de sa monnaie sont aussi rencontrés par les pays
émergents, à l’image du Mexique qui dévalue fortement le peso puis le laisse flotter en
1994 ou de la Thaïlande qui laisse flotter le bath, le 2 juillet 1997, entraînant avec elle la
roupie indonésienne, le ringgit malais et le peso philippin. Le 17 août 1998, la crise des
finances publiques pousse le gouvernement russe à la fois à dévaluer le rouble et à se
déclarer en défaut de paiement sur ses bons du Trésor (GKO).
Le succès du lancement de l’euro, le 1er janvier 1999 (l’euro fiduciaires circulera dans les
pays de l’Union européenne le 1er janvier 2002) recadrera les réflexions sur les limitations
des fluctuations des taux de change, soit en restant dans le cadre des changes flottants,
soit en s’engageant dans une union monétaire.

Le SMI a beaucoup évolué depuis le début de la décennie 2010. Il est critiqué pour de
nombreuses raisons :
• il n’est pas coopératif (après la Chine, l’Europe finance le déficit extérieur des États-
Unis) ;
• il est inefficace (les flux de capitaux ne se dirigeant pas massivement ver les pays
qui ont le plus besoins d’investissements et qui bénéficient d’une situation démographique
dynamique).

Le SMI reste toujours singularisé par un excès d’épargne mondial et ces flux bénéficient
davantage aux États-Unis et qu’aux pays émergents. Alors que, selon la théorie, les flux
de capitaux internationaux doivent se diriger des pays à revenu par tête élevé (où le capital
par tête est élevé, donc la productivité marginale du capital est faible) vers les pays à
revenu par tête faible (où le capital par tête est faible donc la productivité marginale du
capital est forte). Or on constate l’inverse ! Les capitaux vont des pays émergents vers les
États-Unis.
On peut aussi souligner que le SMI reste dominé par la relation entre les États-Unis et la
République populaire de Chine, la première puissance économique mondiale fournissant
au monde une dette sans risque dominante, la seconde puissance mondiale finançant le
déficit extérieur des États-Unis. La République populaire de Chine place ses excès
d’épargne dans une dette sûre et liquide et peut produire davantage pour vendre aux États-
Unis. Les États-Unis peuvent consommer davantage de produits chinois à bas prix faible
et financer l’insuffisance d’épargne par la vente de leurs bons du Trésor. Il y a donc sécurité
de l’épargne et supplément de production pour l’un et supplément de consommation et
financement du déficit extérieur malgré l’insuffisance d’épargne pour l’autre.

Toutefois, à partir de 2013, une double inflexion est notable :


• la diminution de l’excédent extérieur du Japon et de la Chine tout comme leur
vieillissement démographique fait baisser leur taux d’épargne ;
• la baisse du prix du pétrole qui réduit les excédents des pays exportateurs de
pétrole ;
• et, surtout, les tensions commerciales entre les deux grandes puissances
économiques moins coopératives remettent en cause le statut quo sur les flux de capitaux.

Ce sont maintenant les pays de l’Union européenne qui prêtent leurs excédents d’épargne
aux États-Unis, à des taux d’intérêt très bas, et de plus en plus par le biais d’achats
d’actions américaines, notamment des sociétés technologiques (américaines ou
étrangères) cotées sur les places américaines. Pour Patrick Artus, « On voit donc la
transition d’un Système Monétaire International où les États-Unis fournissent la dette sans
risque de référence à un Système Monétaire International où les États-Unis fournissent les
actions de référence. » Le « privilège exorbitant » des États-Unis semble se modifier en
s’appuyant davantage sur la capacité des États-Unis à vendre des actions (que des
obligations) au reste du monde. En effet, les achats des non-résidents américains
privilégient de plus en plus des actions (cf. sociétés technologiques comme les GAFAM)
substituant des titres risqués de référence à une dette sans risque de référence. Ce
mouvement a aussi pour effet de dissocier le financement du déficit public (de plus en plus
domestique avec la Fed) et le financement du déficit extérieur (cf. achats d’actions
américaines par les non-résidents). Notons alors qu’une crise du secteur technologique aux
États-Unis diminuerait la richesse des détenteurs d’actions américains et non-résidents et
génèrerait une crise de balance des paiements car le déficit extérieur ne serait plus
difficilement finançable.

Pour émettre une monnaie de réserve internationale dominante, un pays doit offrir
une dette publique importante, sans risque et liquide pour attirer l’épargne des non-
résidents. Le pays peut alors accumuler une dette extérieure et une dette publique à faibles
taux d’intérêt. Toutefois, plus il émet de la monnaie plus se dégrade la qualité de sa dette…
remettant en cause son statut de monnaie de réserve internationale dominante.
Ce paradoxe a été mis en exergue par Robert Triffin (1911-1993) dans les années 1960.
Les déficits courants américains permettaient d’alimenter le monde en moyens de
paiement internationaux. Toutefois, l’augmentation des dollars en circulation affaiblissait
la valeur de la monnaie de référence. Dans un système d’étalon-or, les déficits américains
se seraient traduits par une rapide diminution de leur stock d’or ce qui aurait obligé le pays
à réduire ses déficits via la réduction du pouvoir d’achat américain (baisse de la masse
monétaire). Dans le système d’étalon-dollar, les dollars des États-Unis accumulés par leurs
partenaires commerciaux… retournent aux États-Unis pour les placer en bons du Trésor.
Le « dilemme de Triffin » peut donc s’énoncer comme suit : les États-Unis, principaux
détenteurs de réserves d’or, satisfont les besoins internationaux en liquidité en fournissant
des dollars mais les déséquilibres croissants interrogent sur la possibilité de maintenir la
conversion de leur monnaie en or.
Aujourd’hui encore, la confiance dans la solidité de l’économie américaine (et donc
la valeur du dollar) peut reculer avec la hausse de l’endettement public et la hausse de
l’endettement extérieur. Toutefois, le recul du rôle du dollar, notamment comme monnaie
de réserve internationale, suppose l’existence de devises concurrentes. L’encours des
dettes disponibles pour les non-résidents en yen, en livre sterling, en franc suisse sont
relativement faibles. Le volume des dettes en euro a augmenté avec les financements des
plans de relance européen mais l’Union européenne n’est pas prête à assumer ce rôle, tout
comme la République populaire de Chine, qui veut garder la maîtrise de
l’internationalisation du renminbi. Néanmoins, il semble que l’on s’oriente vers un système
monétaire international plus diversifié ou davantage multipolaire. Un SMI plus diversifié en
termes de devises (baisse du poids du dollar, hausse du poids de l’euro et affirmation du
RMB) et un SMI plus diversifié en termes d’actifs financiers.

Plutôt qu’un « non système monétaire international », le SMI actuel apparaît comme un
« système hybride » (Mark Carney). Le SMI est plus décentralisé et davantage orienté
sur les marchés. Les grandes économies avancées (États-Unis, pays de la zone euro,
Japon, Canada, etc.) ont progressivement libéralisé les flux de capitaux et ont adopté des
taux de change flottants et leurs monnaies (dollar des États-Unis, euro, yen, dollar
canadien, etc.). Les grandes économies émergentes, comme la République populaire de
Chine, ont longtemps limité les ajustements de taux de change réels en accumulant
d’importantes quantités de réserves de change et en stérilisant les entrées de capitaux.
Les interventions de la Banque populaire de Chine sur les marchés des changes visaient à
maintenir des taux de change sous-évalués dans le cadre de stratégie de croissance basées
sur la promotion des exportations. Ainsi, le « miracle économique » chinois ne s’est pas
traduit par une forte appréciation du taux de change réel depuis 1990.
Parmi les enseignements qui peuvent être tirés des différents SMI (Union latine,
étalon-or, étalon de change or, Bretton Woods, etc.) on peut souligner la difficulté de
maintenir les mécanismes d'ajustement : tous les pays, en excédent et en déficit, semblent
avoir des difficultés à adopter des politiques macroéconomiques qui permettent
l'ajustement des taux de change réels nécessaire à l’équilibre externe. Le mécanisme
d’ajustement apparaît aussi déterminant que le choix de l'instrument de réserve.
Un des paradoxes de ce début du XXIe siècle est que la Grande crise financière mondiale
débutée en 2007 aux États-Unis suite aux excès de la finance américaine, notamment la
titrisation des crédits dits « subprimes » (ou prêts à risques), et la faillite d’établissements
bancaires américains (cf. Lehman Brothers), ne s’est pas traduite par une contestation de
la centralité du billet vert. Du dollar faible (1973) au « dollar fort » (1985) au « dollar
refuge » après la Grande crise financière mondiale de 2008 et la pandémie de 2020, la
devise américaine est restée au centre du SMI. Le dollar reste la « devise clé » (Michel
Aglietta) bien qu’il soit un étalon « sans règle » (Jean-Marc Daniel).

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