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Les organisations publiques confrontées à la nécessité de se transformer pour réussir leur transforma-
tion digitale, s’adapter aux évolutions sociétales, développer l’engagement des collaborateurs et aux
attentes de toutes les parties intéressées doivent faire évoluer les systèmes organisationnels en déve-
loppant de nouveaux modes de coopération et de collaboration. Dans cette optique, un mouvement de
réorganisation est engagé. Il vise l’amélioration de la qualité du service rendu aux citoyens, la motivation
et la valorisation des agents publics…
L’innovation managériale est ainsi présentée comme l’un des vecteurs de la
modernisation du secteur public. C’est aussi un moyen d’anticiper les évolutions. Innovation mana-
gériale publique est multidimensionnelle, de nature à la fois stratégique, organisationnelle, compor-
tementale, culturelle et instrumentale. Elle semble répondre au besoin des organisations publiques
de dépasser leurs modèles organisationnels devenus non adaptés et de co-construire des systèmes
de gestion renouvelés. L’innovation managériale dans les organisations publiques et privées partagent
certaines convergences. Les organisations, publiques comme privées, peuvent puiser dans la boîte à
outils des innovations managériales en veillant à les adapter à leurs spécificités11. Ainsi, l’émergence
des modes collaboratifs et des applications dédiées appelées Civic Tech montre que la sphère publique
est concernée par la recherche d’innovations au service de la participation citoyenne avec des disposi-
tifs participatifs et digitaux dans le cadre de la démocratie participative digitale22.
Implémenter, stimuler et piloter l’innovation managériale est très complexe car elle demeure
intangible et incertaine. À cela il convient d’ajouter que l’adoption des innovations managériales dans
les organisations publiques peut être ralentie ou arrêtée par diverses barrières. L’innovation managé-
riale est donc un phénomène multidimensionnel, dont la dynamique est déterminée par une diversité
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1 Autissier D., Métais-Wiersch E., Peretti J.-M. (2019), La boîte à outils de l’innovation managériale, Dunod.
2 Autissier D., Debrosse D., Lehmann V., Métais-Wiersch E. (2019), Démocratie participative digitale, Éditions EMS.
Jérôme CABY, Philippe CANNONE, David CARASSUS, Nathalie CHARTON, Mireille CHIDIAC El HAJJ,
Philippe CLERC, Yves CLOT, Nathalie COMMEIRAS, Giovanni COSTA, Denis CRISTOL, Patricia DAVID,
Anne-Marie de VAIVRE, Bruno DUFOUR, Christine DUGOIN-CLEMENT, Jean-Marc DULOU, Michelle
DUPORT, Jean-Jacques EKOMIE, Christophe FAVOREU, Driss FERAR, Jean-Marie FESSLER, Fabrice
FORT, Yassine FOUDAD, Jean-Michel GARRIGUES, Baï Judith M. GLIDJA, Laurent GRANDGUILLAUME,
François GUEUZE, Mohamed HARAKAT, Driss HELMI, David HURON, Abdelkader JAMAL, David
JANELA, Carole JEAN-AMANS, Philippe JEAN-AMANS, Souleymanou KADOUAMAÏ, Assya KHIAT,
Bertin Léopold KOUAYEP, Arnaud LACAN, Hubert LANDIER, Graziella LUISI, Dominique MARIANI,
Roula MASOU, Mohammed MATMATI, Bachir MAZOUZ, Olivier MEIER, Laurent MERIADE, Ange
MEZZADRI, Romain MORETTI, Frédéric MORTINI, Hassan MOUHEB, Jean-Louis MOULINS, Gambetta
Aboubakar NACRO, Hervé NDOUME ESSINGONE, Hadj NEKKA, Florent NOËL, Joseph NZONGANG,
Viviane ONDOUA BIWOLE, Gillian ORIOL, Hugues PERINEL, Yvon PESQUEUX, Frédéric PETITBON,
Jean-Jacques PLUCHART, Nadezhda N. POKROVSKAIA, Magdalena POTZ, Elena de PREVILLE, Sana
QARROUTE, Yann QUEMENER, Yoann QUEYROI, Martin RICHER, Marie-Noëlle RIMAUD, Madina
RIVAL, Khaled SABOUNÉ, Arnaud SCAILLEREZ, Marie José SCOTTO, Hervé SERIEYX, Patrick
STORHAYE, Charles STRABONI, Alain TAKOUDJOUÉ NIMPA, Jean-Guy TALAMONI, Nino TANDILASH-
VILI, Jean-Paul TCHANKAM, Nathalie TESSIER, Lassana TIOTE, Jordan TOURNOIS, Oumar TRAORÉ,
Stéphanie TRILLE, Christian VAUDAUX et Gilles VERRIER.
Abdelwahab AÏT RAZOUK et Yann QUEMENER expliquent comment gérer les tensions de l’innovation
managériale des entreprises publiques. Boualem ALIOUAT affirme que l’innovation managériale n’est
en rien distinctive de l’une ou l’autre des formes d’organisation publiques ou privées. Pour Christophe
ASSENS, il s’agit d’innover en plaçant au centre de l’organisation publique le citoyen. Zeyneb ATTYA s’in-
terroge sur les défis liés à l’innovation managériale. Hervé AZOULAY incite à la déviance positive. Pour
Olivier BACHELARD, il s’agit d’une mosaïque fragile soumise à de fortes tensions. Armand Polycarpe
BASILE GBEDJI milite pour une organisation publique performante. Mustapha BELAIDI souligne le rap-
prochement avec les lois du marché. Moez BEN YEDDER incite à faire du management public un mana-
gement socialement responsable. Charles-Henri BESSEYRE des HORTS présente quelques marqueurs
de l’innovation managériale. Mustapha BETTACHE insiste sur la créativité et le sens. Maëlys BEULQUE
propose les étapes de l’implémentation. Mireille BLAESS revient sur l’importance de la solidarité et de
la transparence. Cynthia BLANCHETTE interroge la nécessite du besoin d’innovation managériale.
Ben BOUBAKARY met en lien succès et innovation managériale. Jean-Pierre BOUCHEZ explique
comment combiner innovation managériale et innovation publique. Natalia V. BOUROVA propose une
approche inclusive élargie. Jérôme CABY milite pour un service public au service du public. Philippe
CANNONE parle d’oxymore à tiroirs. David CARASSUS insiste sur le leadership partagé. Nathalie
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bilité durable. Yvon PESQUEUX évoque la fin du New Public Management. Frédéric PETITBON incite à
démarquer les castes et marquer la confiance. Selon Jean-Jacques PLUCHART, la notion d’innovation
managériale recouvre un phénomène complexe reposant sur des principes à la fois dialogique, récursif
et hologrammatique.
Nadezhda N. POKROVSKAIA insiste sur l’importance des valeurs pour la vie au travail et l’allocation des
ressources humaines impliquées. Magdalena POTZ souligne l’importance de la co-création. Pour Sana
QARROUTE, le secteur public n’a pas le choix, il doit innover. Martin RICHER revient sur les principes du
Guide Mieux manager pour mieux soigner. Marie-Noëlle RIMAUD présente les politiques touristiques
avec un mille-feuille territorial et la clause de compétences partagées. D’après Madina RIVAL, l’inno-
vation publique suppose une ouverture à des acteurs très divers qu’ils soient issus du secteur privé
comme du secteur public. Khaled SABOUNÉ interroge la faisabilité de l’innovation managériale dans le
secteur public. Pour Arnaud SCAILLEREZ, l’innovation managériale revient alors à croire en soi, autant
qu’aux autres et donner pour recevoir en retour. Marie José SCOTTO et Jordan TOURNOIS soulignent
que les outils du NMP issus pour la plupart, du secteur privé, ne peuvent que difficilement, ou ne pas
être transposés sans une réflexion approfondie. Selon Hervé SERIEYX, l’irruption, tous azimuts, de
l’incertitude a rendu et rend de plus en plus nécessaire l’invention d’un management public qui va devoir
tenir compte de l’évolution à géométrie variable de la place de l’action publique dans le pays.
Patrick STORHAYE indique l’importance du rôle et la fonction avant le statut. Charles STRABONI met
le management public à l’épreuve du chiffre. Jean-Guy TALAMONI affirme que l’engagement des élus
est la condition sine qua non de l’innovation. Nino TANDILASHVILI évoque le paradoxe de l’innovation
managériale dans les organisations publiques. Lassana TIOTE analyse les caractéristiques de la per-
formance de l’administration publique africaine. Oumar TRAORÉ insiste sur le temps des remises en
question. Pour Stéphanie TRILLE, la fonction publique est amenée à devenir un laboratoire de l’innova-
tion managériale au service de ses usagers. Christian VAUDAUX plaide pour une réconciliation qualité
du travail et qualité du service public. Pour Gilles VERRIER, c’est l’animation du sens qui est le moteur
potentiel des organisations publiques.
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L’innovation managériale dans les organisations publiques est perçue aujourd’hui comme un impor-
tant enjeu dans une perspective d’augmentation à la fois de l’efficience et de l’efficacité de l’action
publique, et ce, tout en considérant à la fois le volume des ressources disponibles et les contraintes
environnantes. Se déployant jadis plutôt dans le secteur privé, l’innovation managériale est de plus en
plus portée à l’échelle du secteur public, constituant du coup un centre d’intérêt majeur notamment
auprès des chercheur(e)s et suscitant de nombreux écrits autant que s’imposant dans les discours
se rapportant à la réforme du secteur public. L’innovation managériale est alors perçue comme un
moyen d’importance majeure d’amélioration, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, de la perfor-
mance globale des gouvernements en place ainsi que d’adaptation des solutions à apporter à des
problèmes sociétaux complexes. Cela reviendrait, en filigrane, à repenser les schèmes cognitifs, les
règles et les normes ainsi que les pratiques des acteurs et actrices et à apporter des changements
drastiques dans les structures, les pratiques organisationnelles et professionnelles, les technologies
et la culture organisationnelle pour ne citer que celles-là. Toutefois, il convient de noter l’importance
de la forte influence des contextes politiques et économiques sur les objectifs managériaux des
secteurs publics, susceptible d’en réduire la portée, voire d’empêcher dans certains cas leur réali-
sation. Un autre marqueur de l’innovation managériale dans les organisations publiques, et non des
moindres, n’est autre que la nécessaire implication des gestionnaires dans la définition des objectifs
des actions menées et dont ces derniers héritent malheureusement bien souvent sans même y avoir
été impliqué(e)s, voire parfois sous la contrainte et sans souci des résultats attendus. Que dire aussi
de la Nouvelle Gestion Publique (NGP) ou New Public Management (NPM) présentée comme éten-
dard des réformes administratives un peu partout dans le monde et visant à transposer les modes
de gestion et d’organisation du secteur privé vers le secteur public à travers un discours néo-libéral
abondamment utilisé ? Après une quarantaine d’années d’existence, d’aucuns en retirent aujourd’hui
un bilan mitigé pour ne pas dire négatif car n’ayant pas favorisé, comme il était attendu, de résultats
positifs des services gouvernementaux, et ce, tant en efficience qu’en efficacité. Dès lors, d’autres
marqueurs de l’innovation managériale dans les organisations publiques font leur apparition, tels que
le changement technologique, la numérisation, voire le recours à l’intelligence artificielle favorisant
l’émergence d’un gouvernement électronique (e-government), présentés aujourd’hui comme de
puissants vecteurs d’optimisation des processus administratifs et d’amélioration des services offerts
aux populations. Sur un plan plus politique, l’innovation managériale dans les organisations publiques
est de plus en plus préconisée à travers la préservation d’espaces de négociation dans les processus
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De manière très ramassée deux types de scénarios polaires sont mobilisés s’agissant des pratiques
managériales à déployer dans les organisations publiques. Le premier entend défendre, s’agissant
plus spécifiquement mais pas seulement des fonctionnaires d’État, le statut quo, quoi qu’il en coute,
quitte à être taxé de se figer sur des avantages durablement acquis. Le second visant en quelque
sorte à l’opposé à appliquer les méthodes et pratiques du secteur privé, en vue notamment d’y ins-
taurer un processus de débureaucratisation poussée. Quitte à sous-estimer, voire ignorer singulière-
ment la culture qui fonde sa spécificité. Dans un monde de plus en plus complexe et incertain, ces
deux scénarios ne résistent durablement pas à l’analyse. Un scénario intermédiaire faisant preuve à
la fois de réalisme et d’innovation, est à construire, même si des expérimentations semblent déjà
se faire jour. Pour progresser dans cette voie prometteuse, il importe singulièrement de combiner
activement innovation managériale et innovation publique, ce qui conduira notamment à rendre les
agents encore plus autonomes dans le déploiement des politiques publiques et des relations de ser-
vice auprès des citoyens. Ce qui amènera probablement (à l’exception des fonctions régalienne), à
assouplir certaines règles statutaires (comme la garantie de l’emploi à vie). Mais les enjeux politiques
seront assurément conséquents…
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La détérioration des conditions de travail dans les hôpitaux (intensification du travail, pression tempo-
relle, agressivité des patients et de leur famille, etc.) et leurs conséquences notables pour l’individu
et l’organisation (stress accru, épuisement professionnel, sentiment de mal faire son travail, perte
de sens au travail, conflits de valeurs, absentéisme élevé, etc.) ont été à maintes reprises, mises en
lumière par les résultats de recherches et d’enquêtes et dénoncées par les personnels soignants.
Sous la pression coercitive légale et pour redorer leur image, les établissements hospitaliers ont mis
en place des actions de prévention des RPS (et notamment des enquêtes sur les conditions de travail,
formations sur la gestion du stress etc.) dont l’efficacité reste à prouver. Peu adaptées aux particulari-
tés de chaque métier et de chaque unité de soin, ces actions paraissent « glisser » sur l’organisation,
sans modifier l’activité au quotidien des soignants, toujours confrontés aux mêmes exigences de tra-
vail (Abord de Chatillon et al., 2016). Face à ce constat et tributaire des ressources dont ils disposent
(humaines et financières), les cadres de santé font preuve d’ingéniosité et d’inventivité pour amélio-
rer les conditions de travail des personnels infirmiers et des aides-soignants dans leur unité de soin
et redonner du sens à leur travail. Parmi les initiatives mises en place figurent la création d’espaces
de discussion, de « temps de parole » ou encore de réunions d’échanges de pratiques où chacun
peut s’exprimer librement sur son métier, sur les difficultés rencontrées et co-construire l’activité de
travail. Dans la même veine, la gestion des absences dans les services de soin relève de la « débrouil-
lardise » et d’arrangements directs entre les acteurs. Des recherches montrent que le cadre de santé
mobilise en priorité l’auto-remplacement (rappel des personnels sur leur temps de repos), l’ajuste-
ment des plannings (en fonction des effectifs présents) et la mobilité inter-service. Ces modalités
de gestion de l’absentéisme sont efficaces à court terme mais ne peuvent perdurer dans le temps.
Leurs conséquences sur le personnel et les patients peuvent être délétères (présentéisme, fatigue
physique et psychologique intense, qualité et sécurité des soins dégradées) (Achmet & Commeiras,
2018). Pour pallier certains dysfonctionnements de l’hôpital, les cadres de santé dans leur unité de
soin mettent en place des innovations managériales relevant du « bricolage organisationnel » et plus
spécifiquement d’un « bricolage par nécessité » (Lévi-Strauss, 1966). Bien qu’efficace, ce « bricolage
managérial local » reste fragile, tributaire du bon vouloir des acteurs et des ressources disponibles.
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lois dont la LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007), la LOLF (Loi
En France, chacun sait que l’action publique dessine une cosmologie déterminante. Une longue pra-
tique professionnelle d’organisations publiques en santé et une appartenance au think-tank opéra-
tionnel Galilée.sp – on pourra utilement se reporter au site du même nom – qui se confronte à la rude
question suivante : « De quelle fonction publique avons-nous besoin pour traverser le XXIe siècle ? »,
incitent à la synthèse. Le bien commun et les services à rendre à toutes et tous ne peuvent se prêter
aux modes managériales qui, trop souvent, déstabilisent inutilement des fondamentaux du manage-
ment. Ainsi, l’action publique ne devrait-elle pas être résolument orientée sur les quatre ensembles
de marqueurs suivants : les résultats et la qualité réels des services rendus aux usagers ; le respect
de la fierté des métiers et la prise en compte véritable des avis et propositions de celles et ceux qui
savent faire et produire quelque chose ; l’attachement à l’étape de conception des innovations, dont
on sait qu’elle détermine deux-tiers des coûts et avantages sur leur durée de vie ; la priorité fixée sur
la solidité des équipes et donc la disparition des craintes, exhortations, quotas et objectifs chiffrés
brouillons. Se perdre dans le mouvement exalté de la gouvernance par les textes et les nombres qui
impose tant d’exigences à nos existences, hors délibération démocratique et fût-ce sous la forme
apparemment moderne d’algorithmes jamais soumis au moindre débat infoéthique, liquide aussi la
solidarité et la fraternité. Au total, n’apparaît-il pas vital et urgent d’apprendre que les dirigeant.e.s
efficaces pensent et disent « nous » ?
La gestion publique fut longtemps assimilée à une bureaucratie, totalement déconnectée des concepts
de management développés par les entreprises du secteur concurrentiel. Deux éléments différencient
la gestion publique de celle de l’entreprise : le positionnement en termes d’intérêt général et les régle-
mentations spécifiques. A. Bartoli donne la définition suivante du management public : « l’ensemble
des processus de finalisation, d’organisation, d’animation et de contrôle des organisations publiques
visant à développer leurs performances générales et à piloter leur évolution dans le respect de leur
vocation ». Ce concept a beaucoup évolué ces trois dernières décennies et a fait l’objet de nombreux
travaux dans la sphère des sciences de gestion. Le nouveau management public constitue en ce sens
un changement de paradigme dans la gestion des politiques publiques, assimilable à un changement
de convention de l’État au sens de Salais et Storper. Il serait alors possible de considérer que l’État
ambitionne de faire passer la sphère publique d’une logique de bureaucratie wéberienne de service
public à une logique post-bureaucratique promouvant des valeurs d’efficience économique, en réfé-
rence aux « trois E » de la littérature anglo-saxonne : Economy, Efficiency et Effectiveness. Afin de
conduire cette transition, les collectivités publiques font appel à des cabinets de conseil spécialisés
dans le cadre d’appels d’offres publics prévoyant un accompagnement sur plusieurs années.
Dans un contexte de crises, l’État doit se réinventer, entre le krisis, porteur de fractures, et le kairos,
porteur de nouvelles bifurcations et d’opportunités. Cette transformation passe non pas seulement
par un changement conceptuel de la mesure de la performance, et un dépassement des limites de
la LOLF, mais surtout par l’innovation managériale des organisations publiques. Les organisations
publiques, à travers leur management, doivent en effet innover face à un triple défi :
• La défiance vis-à-vis du politique qui guide pourtant l’action des organisations publiques et qui les
légitiment ;
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Au cours de ces vingt dernières années, avec notamment le New Public Management (NPM), un mar-
queur essentiel de l’innovation managériale publique aura été la culture du chiffre, symbolisée par la ges-
tion publique par indicateurs. Les décideurs publics ont ainsi pu découvrir les avantages de la quantifica-
tion de l’action publique. Ils ont notamment trouvé, dans l’objectivité et la force de conviction apparentes
du chiffre, un moyen de renforcer la légitimité de l’action publique mais tout en réduisant parfois la déli-
bération publique à de simples systèmes d’évaluation. Aussi, aujourd’hui, une multitude de programmes
ministériels, de contrats d’objectifs, de rapports d’évaluation circulent dans les organisations publiques
sans que la cohérence managériale de leurs informations chiffrées soit réellement questionnée. En effet,
la délibération autour de ces informations semble toujours plus difficile à mener, d’autant plus quand les
chiffres sont partout et que le risque est grand de voir les éventuelles contestations d’un chiffre devenir
elles-mêmes contestables et contestées. Dès lors, pour les utilisateurs de ces chiffres, l’aveuglement,
l’acceptation ou la résignation sont les attitudes les plus communément choisies, sans garantie que
l’efficacité, l’efficience ou la pertinence de l’action publique en sortent pour autant améliorées. Pourtant,
dans l’outillage du manager privé, dont le NPM s’est fortement inspiré, des tableaux de bord prospec-
tifs (balanced scorecard), des cartographies d’indicateurs (indicator mapping), des systèmes intégrés
de mesure de la performance (Performance Based Management Special Interest group) ou encore des
méthodes de réduction des indicateurs (critical few method) proposent d’interroger et repenser la cohé-
rence des chiffres produits par les indicateurs. Mais plus qu’une nouvelle transposition d’outils issus du
management privé, il est surtout attendu des managers publics une réflexion sur la cohérence des indi-
cateurs publics reposant sur une « culture raisonnée et raisonnable du chiffre ». Ce changement culturel
impose que l’innovation publique chiffrée soit également pensée en termes d’« harmonie managériale »,
dès sa conception. C’est, en effet, à cette question de la mise en cohérence des chiffres que les déci-
deurs et managers publics doivent aujourd’hui pouvoir aussi répondre s’ils veulent réellement contribuer
au renouvellement de la délibération publique et ainsi faire face à la défiance politico-publique à laquelle
celle des chiffres n’est probablement pas totalement étrangère.
même du contribuable dont le besoin de reconnaissance est très rarement comblé par son percep-
teur ! Du coup, il ne l’attend plus depuis longtemps. Pourquoi devoir et reconnaissance seraient-ils
antinomiques ? Il est donc grand temps que les managers publics commencent l’ascension des trois
derniers étages de la pyramide, même si pour beaucoup il s’agit d’un Everest dont le sommet est
perdu dans un épais brouillard, quand ce ne sont pas les premiers mètres du sentier. Pour cela, il fau-
dra peut-être renoncer, risquons le mot, au terme sacré de « mission ». Mot chargé d’un imaginaire
si important, d’une histoire si lourde, qu’il devient difficile à porter et à appliquer lorsque l’usager-
administré devient le client-citoyen. C’est aux réponses apportées aux besoins d’appartenance, de
reconnaissance et d’accomplissement de ces derniers que devrait aussi se mesurer la performance
des services publics. Les indicateurs existent, en psychologie et en marketing notamment, je ne peux
qu’inciter les managers publics à les consulter. Tant qu’ils y sont, ils pourraient aussi se plonger dans
les manuels de marketing interne… mais cela est une autre histoire.
Depuis plusieurs décennies, on assiste dans les organisations publiques, à une modernisation de leur
fonctionnement, sous l’impulsion des gouvernements, et spécifiquement en ce qui concerne leur « rela-
tion client ». La question de la gestion de la relation client a été longtemps considérée comme une
exigence du secteur marchand, elle devient à la réalité aussi celle du secteur public. Selon Jallat et al.
(2006), le terme relation évoque un sentiment qui peut s’exprimer entre deux personnes : attraction mu-
tuelle, respect, considération, dépendance, etc. La base de la relation client/fournisseur est l’HUMAIN,
humain dont les décisions sont basées à la fois sur des éléments factuels et des émotions. À l’évidence,
l’organisation publique ne peut plus se comporter uniquement comme une autorité. Elle peut sans doute
regarder avec intérêt les meilleures pratiques du secteur privé dans lequel par une nécessité écono-
mique un effort tout particulier s’est développé pour faire de la relation l’enjeu principal du marketing.
Il faille désormais pour satisfaire les attentes égoïstes des usagers qui pensent que leur désir est un
droit, des méthodes nouvelles. Il faut créer de la confiance, l’attachement, individualiser dans la mesure
du possible et fluidifier les échanges, ou encore s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue
de la qualité de services offerts aux usagers. Il faut également réfléchir à la dimension morale de cette
démarche relationnelle ; l’intégrité et la dignité seront sans doute des critères déterminants. Mais plus
encore, dans un contexte où l’administration ne dispose pas du choix de ses clients, et dispose de
ressources limitées, on ne pourra penser la relation client avec la débauche de moyens qui est celle du
secteur profitable. Une relation frugale est à privilégier ici. Il ne faut pas tout sacrifier aux exigences que
l’économie de marché encourage ; l’usager n’est pas client, le consommateur n’est pas un citoyen, et
vice versa. L’on peut difficilement réduire à un rôle de client l’étudiant, l’administré, le justiciable, ou le
citoyen. Le critère de satisfaction des attentes n’est qu’une étape, celle de confiance en est une autre
sans doute meilleur mais incomplet, celle de la légitimité des services rendus est alors essentiel.
Les innovations dans les organisations publiques et privées concernent l’équipement et la vie au travail.
Pour les infrastructures et logiciels, les marqueurs de l’innovation sont accumulés autour de la répar-
tition des ressources financières, y compris l’allocation des investissements et la qualité des maté-
riaux octroyés à l’introduction des technologies numériques intersectorielles. La vie au travail change
profondément avec les innovations managériales, et la liste des marqueurs est plus large mais moins
quantifiée : les organisations publiques consistent des processus dont l’ouverture représente le premier
marqueur. Les gens, hommes et femmes impliqués à des processus intérieurs et à la communication
extérieure des organisations publiques démontrent leur façon de prendre part et responsabilités, la ma-
nière de cette participation témoigne de la balance entre la hiérarchie et la collaboration en organisation :
les gens tiennent plus à résoudre des tâches et moins à rendre des rapports. La gestion participative est
enracinée en valeur de l’aide et entraide, qui forme le sens essentiel de l’existence des organisations
publiques, cette valeur s’exprime en comportement réel en facilité de l’appropriation des charges des
emplois voisins en but final de remplir l’obligation centrale de l’organisation. Le marqueur temporaire
reflète la répartition des efforts entre la vie au travail et la présence en lieu au travail. Ces marqueurs ne
sont pas évidents à mesurer, mais ils sont perçus par les clients des organisations publiques.
Des contraintes budgétaires, des réformes en continue, des exigences de qualité et d’efficience des
services rendus et s’ajoute d’emblée le nouvel environnement numérique en perpétuelle évolution
dont les organisations publiques y sont confrontées. Le secteur public est conditionné par le contexte
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La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe)
retient le principe d’une spécialisation des collectivités et supprime en conséquence la clause géné-
rale de compétence. Par crainte, doute ou du fait d’un lobbying intense, le législateur a maintenu le
principe de compétences partagées, notamment en matière de culture, sport et tourisme… (Article
L1111-4 Code général des collectivités territoriales). Sachant que les projets de territoire sont des
processus qui nécessitent la mobilisation d’un écosystème d’envergure, cette compétence partagée
questionne ! La redéfinition préalable du territoire des régions (Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015
relative à la délimitation des régions) et la montée en puissance des métropoles et intercommunali-
tés, entraînent de nouveaux contacts et de connexions, directs ou non, formalisés ou non, entre les
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L’innovation publique est aujourd’hui présente dans tous les discours des administrations, qu’elles
soient centrales comme la DITP (Direction Interministérielle de la Transformation Publique) ou locales.
Pour faire face aux limites du « New Public Management » (introduction dans les années 1980 des
outils de l’entreprise dans les organisations publiques au prisme de la gestion financière), il s’agit au
XXIe siècle d’inventer un service public plus proche des besoins des usagers. Cela passe par des dis-
positifs comme les laboratoires d’innovation ou les start-up publiques, des outils comme la facilitation
ou le design. En matière de management, l’innovation publique est marquée par deux grandes ten-
dances. D’une part, en interne, la gestion des ressources humaines comme les méthodes de travail
vont être transformées. Ouverture des recrutements hors des schémas classiques des concours,
autonomie, travail transversal en mode « gestion de projet », échanges et apprentissages aux sein de
communautés de pratiques sont autant de marqueurs observés. D’autre part, en externe, l’innovation
publique suppose une ouverture à des acteurs très divers qu’ils soient issus du secteur privé (asso-
ciations de citoyens, entreprises) comme du secteur public (à différentes échelles territoriales ou
d’expertise). À cette condition d’hybridation, le management public peut se saisir de problématiques
complexes, par exemple en matière de précarité ou de santé.
À mon sens, la condition la plus déterminante de l’innovation est que les politiques assurent pleine-
ment leurs responsabilités en matière d’orientation et d’impulsion de l’action publique, et ne se dé-
chargent pas à cet égard sur l’administration. En effet, quelle que soit la qualité des fonctionnaires en
activité dans un domaine, ils ne peuvent se substituer à ceux qui détiennent la légitimité pour changer
de paradigme, ce qui constitue un préalable à l’innovation. De fait, lorsque les élus se reposent sur
les techniciens et le système administratif, ce qui arrive souvent, ce dernier a tendance à reproduire
les modèles et « dispositifs » ayant eu cours jusqu’alors et à demeurer dans une certaine routine. Par
exemple, en ce qui concerne la Corse, des démarches essentielles et innovantes comme l’expéri-
mentation du revenu universel ou « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée », votés par l’Assem-
blée de Corse, ont cependant pâti du manque d’engagement de l’exécutif territorial. Aujourd’hui,
s’agissant de ce dernier dossier, l’espoir vient de l’échelon intercommunal où des élus s’engagent
fortement, avec le soutien et l’investissement de leurs agents. L’innovation est à ce prix.
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Stéphanie TRILLE, Directrice-adjointe des Ressources humaines, département des Yvelines
Lorsqu’il m’a été demandé quels sont les marqueurs de l’innovation managériale dans les organisa-
tions publiques, un seul mot m’est venu à l’esprit, l’AUDACE. L’audace de mener une politique RH
inspirante insufflant à chaque manager l’idée d’innover ; l’audace de former le corps managérial dans
son ensemble à des pratiques nouvelles (design thinking, hackathon, ateliers de codéveloppement,
shadow comex…) ; l’audace de s’entourer de profils divers tant en termes de parcours de carrière
(privées, publiques, parapubliques), que d’origine sociale et territoriale ; l’audace de s’inspirer de ce
qui se fait ailleurs – dans le privé, à l’étranger, dans l’ensemble de la fonction publique – voire d’avoir
des expériences dans d’autres secteurs ; l’audace enfin de déconstruire l’image peu attractive de la
fonction publique et cela via deux canaux : 1. une organisation moins pyramidale, moins millefeuillée
et moins bureaucratique ; 2. une communication employeur dédiée faisant de chaque collaborateur
un ambassadeur. La fonction publique est amenée à devenir un laboratoire de l’innovation managé-
riale au service de ses usagers ; il revient à chaque manager de se saisir de cette opportunité et de
réfléchir comment à son niveau et avec son équipe, il peut faire autrement et mieux.
L’animation du sens, moteur potentiel des organisations publiques © EMS Editions | Téléchargé le 25/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.255.154.42)
Gilles VERRIER, Directeur général, Identité RH
Mission, raison d’être, projet partagé, engagement sociétal, valeurs… Nombreuses sont les entre-
prises privées qui œuvrent à construire les sources de l’engagement affectif de leurs collaborateurs.
Parfois avec difficulté, tant la nature de l’activité de certaines d’entre elles s’y prête. Le besoin des
individus de trouver du sens dans leur activité professionnelle n’a jamais été aussi fort que dans la
période que nous traversons. Différentes études montraient son importance croissante il y a deux
ans. La crise sanitaire l’a encore renforcé. Du fait de leur finalité, de leur utilité et de la nature même
de leur activité, les organisations publiques sont nativement porteuses de sens. Mais ce n’est pas
suffisant pour générer l’engagement recherché. Manque un acte managérial : ces éléments de sens
doivent être animés et se traduire effectivement dans le quotidien de ceux qui composent ces orga-
nisations. Certaines collectivités locales l’ont compris, qui animent leurs agents sur l’impact de leur
activité sur le quotidien des citoyens. Portée par l’encadrement de proximité, cette approche a pour
conséquence de redynamiser les équipes et de renforcer leur efficacité, mais aussi de leur permettre
de contourner en situation les contraintes organisationnelles.