Rdid 011 0067 PDF
Rdid 011 0067 PDF
Rdid 011 0067 PDF
Résumé
Cet article vise à éclairer la relation entre les usages ordinaires et scolaires des
TIC, en examinant plus particulièrement la manière dont différents espaces, média-
tiques, institutionnels et de recherche, construisent, explicitement ou non, la figure
de l'apprenant dans le domaine des TIC. Il montre que dans ces différents espaces, le
sujet, tel qu'il est construit, apparaît systématiquement lourdement chargé
d'implicites. La figure du digital native construite dans l'espace médiatique apparaît
en décalage avec les résultats de la recherche. En s'adressant au « futur citoyen » les
instructions officielles reposent sur l'hypothèse implicite que les compétences de
l'enfant sont également celles de l'élève. La construction par les chercheurs d'un sujet
didactique essentiellement psychologique contribue à peu convoquer les pratiques
des TIC ordinaires dans l'analyse des pratiques éducatives.
1. Cette expression désignant les jeunes actuels, forgée par Prensky (2001), a connu un grand
succès médiatique.
quotidienne des parents et enseignants que sur certains résultats de la recherche,
elle n'en reste pas moins une construction, notamment médiatique, parfois en
décalage avec ce que les chercheurs constatent et analysent. Je distinguerai ici
deux constructions parallèles, celle de l'enfant « branché » et celle de l'école
« débranchée », afin de les confronter à l'éclairage des résultats de la recherche.
2. Les études basées sur l'approche générationnelle des pratiques culturelles (Donnat, Lévy,
2007) manquent de recul pour déterminer le devenir des usages juvéniles avec l'avancée en
âge.
3. En tant que pratiques situées dans le cycle de vie des individus (voir Pasquier, 2005)
4.Ces divers qualificatifs ont été relevés dans la presse, sans qu'une analyse d'un véritable
corpus ait été effectuée.
élèves « plus compétents que leurs enseignants », ou sur les processus de « rétro-
socialisation », les enfants enseignants les usages des TIC à leurs parents.
Or si la familiarité des jeunes avec les TIC et l'aisance manipulatoire dont ils
font preuve ne sont pas contestables, les travaux des chercheurs apportent deux
correctifs de taille.
D'une part les études qualitatives et notamment ethnographiques (Fluckiger,
2007a) montrent que si certains enfants ou adolescents développent une exper-
tise certaine, ces situations sont loin de constituer une norme, ni même un cas
majoritaire5. Aux côtés d'adolescents développant de véritables compétences
subsistent nombre d'adolescents issus de famille dépourvu de tout capital in-
formatique (Fluckiger, 2007b), parfois seuls porteurs des usages informatiques
au sein de la famille, ne connaissant que les usages ludiques et communication-
nels ayant cours au sein des groupes de pairs.
D'autre part, la plupart des études qui s'intéressent à la mise en œuvre tech-
nique des TIC pointent davantage les difficultés insoupçonnées des jeunes, les
représentations inadaptées, une déficit de verbalisation (Normand, Bruillard,
2001) que ce soit à l'école primaire (Giannoula, Baron, 2002), dans le secondaire
(Fluckiger, 2008 ; Blondel, Bruillard, 2007), ou le supérieur (André, 2006). Ainsi,
les travaux portant sur l'éducation à la culture informationnelle soulignent la
distance entre les pratiques scolaires prescrites de recherche d'information, et les
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
5. Voir également Brotcorne, Mertens, Valenduc (2009) sur les jeunes « off-line »
Les TIC en contexte scolaire : du constat d'un hiatus au discours sur le
décalage
Parallèlement aux discours sur les enfants utilisateurs, se font entendre des
discours sur l'école, dont l'incapacité à tirer parti des TIC est invariablement
mise en avant. Certes, le contraste entre des usages omniprésents dans les pra-
tiques culturelles et de communication des jeunes et les usages scolaire apparaît
saisissant. Les études (Mediappro, 2006) pointent la rareté des usages éducatifs
des ordinateurs et de l'Internet, et si les taux d'équipement des établissements
sont importants6, les repérages ethnographiques montrent que les élèves ne sont
parfois pas conscient même de l'existence d'une salle multimédia dans leur
établissement (Fluckiger, 2007a).
Ce décalage n'existe pas qu'entre les taux d'équipement et les fréquences
d'usages, et la recherche fait régulièrement le constat du « hiatus important
[entre] le quotidien privé et ce qui est privatisé » (Baron, 2007) mettant l'accent
sur l'écart entre les taux d'équipement et d'usage, entre les pratiques person-
nelles et les pratiques prescrites (Chapron, Delamotte, 2010) entre les usages
émergents et ceux permettant une conceptualisation (Blondel, Bruillard, 2007),
ou encore entre les compétences implicites et les apprentissages explicites
(Betrancourt, 2007).
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
6. En 2003, une enquête ETIC pour le Ministère de l'Éducation nationale indiquait que 50 %
des écoles primaires (contre 0, 60 % en 1997), 98 % des colléges (contre 11 % en 1997) et 99 %
des lycées (contre 32 % en 1997) avaient une connexion Internet (cite par Mediappro,
2006).
La place des TIC dans l'éducation
Quelle est donc la situation des TIC dans le système scolaire français ? Pré-
sente maintenant depuis plusieurs dizaines d'années dans le système scolaire, en
tant que domaine d'enseignement ou qu'outil disciplinaire ou transversal
(Bruillard, Baron, 2006), discipline scientifique et universitaire reconnue,
l'informatique ne s'est cependant pas constituée en discipline scolaire (Baron,
1987), ni même en une « éducation aux TIC », dans un contexte pourtant mar-
qué par la réorganisation des contenus d'apprentissage valorisant certains
apprentissage sociaux non disciplinaires. La présence des TIC en tant qu'objet
d'enseignement se manifeste essentiellement dans l'existence d'un Brevet de
certification des compétences, le B2i (en fin d'école primaire et en fin de col-
lège). Dans le secondaire, depuis la disparition de l'option informatique au
milieu des années 1990, ce sont essentiellement la technologie et la documenta-
tion qui, chacun dans leurs perspectives propres, ont la charge de quelques
enseignements. En tant qu'outil d'enseignement ou d'apprentissage, le champ
des TIC s'organise, d'après Bruillard et Baron (2006), suivant trois attracteurs
principaux : la technologie éducative (entendue comme un média à la disposi-
tion des éducateurs), des instruments généraux, comme le traitement de texte
ou les outils de recherche sur le Web, et enfin des instruments disciplinaires
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
7. Rapport Fourgous, p. 8.
8. Circulaire n° 2005-135 du 9-9-2005
fait que « tout citoyen est aujourd'hui concerné par l'usage désormais banalisé
d'outils informatiques »9. En effet, le rôle de l'école
est de dispenser à chaque futur citoyen la formation qui, à terme, lui
permettra de faire une utilisation raisonnée des technologies de
l'information et de la communication, de percevoir les possibilités et
les limites des traitements informatisés, de faire preuve d'esprit
critique face aux résultats de ces traitements et d'identifier les
contraintes juridiques et sociales dans lesquelles s'inscrivent ces
utilisations.
C'est donc un sujet citoyen, davantage qu'un sujet élève, auquel il est fait ré-
férence pour justifier de la nécessité d'un apprentissage.
Par ailleurs, en opposition à la figure de l'enfant compétent pourtant omni-
présente, y compris dans les mêmes textes prescriptifs, la limite des compétences
« ordinaires », acquises en dehors du contexte scolaire, est souvent invoquée
pour justifier la nécessité d'un enseignement. Ainsi, le rapport Fourgous part du
constat que les digital natives « n'ont qu'une maîtrise superficielle de ces outils
et n'ont quasiment aucune connaissance des devoirs éthiques qu'impose Inter-
net » (p. 8).
On pourrait donc supposer que les instructions officielles prescrivent
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
9. Idem.
moins contradictoire avec le fait que la principale mise en œuvre de cette volon-
té affichée de formation soit justement celle d'un référentiel destiné à
l'évaluation des compétences.
La manière dont les compétences du B2i sont censées être acquises semble
également significative des conceptions implicites sur les digital natives. À dé-
faut d'une « discipline TIC », se sont les usages des TIC dans les autres
disciplines qui sont censés permettre aux élèves d'acquérir ces compétences. Le
texte d'accompagnement du B2i précise que « les compétences constitutives du
B2i sont donc développées et validées dans le cadre des activités pédagogiques
disciplinaires, interdisciplinaires ou transversales »10. Les compétences doivent
être acquises « dans le cadre des activités ordinaires des disciplines ensei-
gnées »11. Les programmes du collège précisent que « les mathématiques, les
sciences expérimentales et la technologie contribuent, comme les autres disci-
plines, à l'acquisition de cette compétence »12. Les élèves sont donc supposés non
seulement disposer d'une compréhension technique suffisante pour développer
de nouvelles compétences dans un usage orienté vers d'autres finalités, propres
aux différentes disciplines, mais également disposer dans les différents contextes
sociaux d'usage de cette compréhension et des compétences développées. En
d'autres termes, les instructions officielles semblent reposer sur l'hypothèse
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
13. Seys (2010) a étudié dans un travail de Master 1 ces difficultés rencontrées par les
enseignants.
14. Disposant par exemple de revues, colloques, etc. (voir Baron, 1987 pour une vision socio-
historique des évolutions de la didactique de l'informatique)
(Baron, Bruillard, 2001), mais plutôt une constellation de communautés de
recherche (notamment sur les EIAH15, la culture informationnelle, les progi-
ciels...) qui construisent leurs objets, méthodologies et cadres théoriques
propres, et regroupant des chercheurs issus d'horizons disciplinaires variés
(informatique, sociologie, linguistique, ergonomie, etc.). Les référents théo-
riques vont de la socio-économie des innovations à une psychologie des usages
d'inspiration ergonomique.
Ce caractère pluridisciplinaire conduit de fait à des constructions théoriques
variables du sujet qui accordent une place plus ou moins centrale au sujet et à
ses différentes dimensions dans l'analyse. Or les effets de ces constructions me
semblent avoir peu été discutés. Pour autant, il me semble que le projet de re-
fondation d'une didactique de l'informatique ne peut faire l'économie d'une
clarification théorique sur la manière d'envisager ce qu'est un enfant, un élève,
un apprenant, les relations qui les unissent, ou les dimensions (sociales, cultu-
relles, biologiques) qui doivent être prises en compte dans l'analyse.
Les travaux pertinents pour une approche didactique de l'informatique
trouvent donc place dans un ensemble peu délimité, qui rend délicat la constitu-
tion d'un corpus de recherches borné et cohérent. C'est pourquoi je m'intéresse
ici aux travaux portant sur les EIAH, les progiciels ou la culture information-
nelle qui, par leurs objets, ont dû procéder à une certaine forme de construction
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
La place de l'extrascolaire
Baron (2004), posant la question des effets des pratiques personnelles des
TIC par les adolescents, note qu'ils sont mal connus, notamment en raison de
l'évolution rapide des dispositifs techniques et de leurs usages. On peut ajouter
que bien que l'apprentissage de l'informatique ait surtout lieu en dehors de
l'école, l'extrascolaire est peu pensé par les chercheurs et peine à devenir un
objet légitime de recherche en didactique de l'informatique.
En effet, malgré l'importance indéniable des usages ordinaires des TIC par
les enfants et adolescents, les travaux visant explicitement à caractériser les
relations entre les usages dans les deux univers sont rares. Quelques travaux
interrogent l'origine (y compris extrascolaire) des représentations de
l'ordinateur par les enfants (Giannoula, Baron, 2002 ; Holo, 2005), mais les
conséquences de la multiplicité des situations et contextes sociaux dans les-
quelles les acteurs se forgent leurs représentations, leur compréhension des
phénomènes techniques où s'incorporent des habitudes ou des schèmes d'action
sont peu interrogées.
La lecture des actes de colloques comme Didapro18 ou Jocair19, ou des ar-
ticles de la revue Sticef, montre que non seulement presque aucune contribution
n'apporte un regard didactique sur les usages ordinaires des élèves, en tant
qu'objet principal de l'étude, mais aussi que lorsque les usages scolaires ou édu-
catifs sont étudiés, ils ne sont presque jamais interrogés au regard des pratiques
extrascolaires. Les quelques exceptions que l'on peut relever me semblent con-
firmer ces difficultés d'une prise en compte de l'extrascolaire, comme la revue de
question sur les « natifs numériques » de Baron et Bruillard (2008), qui s'appuie
justement sur des sources pour la plupart externes à ce champ de recherche, ou
la contribution de Fluckiger et Lelong (2008) sur l'autonomisation des usages,
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
18. Colloques de didactique des progiciels, l'un des rares colloques à afficher explicitement une
perspective didactique.
19. Journées Communication et Apprentissage Instrumentés en Réseau.
ont donné lieu à de nombreuses contributions analysant l'activité dans une
perspective souvent plus ou moins directement vygotskienne, informant soit les
problématiques de conception d'outils, soit celles du pilotage des apprentissages,
mais sans que ne soient réellement discutés ni le contexte socioculturel, ni les
habitudes, schèmes ou représentations qu'importeraient ou non les apprenants
de leurs pratiques ordinaires vers leurs pratiques en contexte éducatif.
DISCUSSION
Le sujet, tel qu'il est construit dans les différents espaces médiatiques, pres-
criptifs ou de recherche apparaît systématiquement lourdement chargé
d'implicites. Le portrait que brosse la recherche des jeunes utilisateurs apparaît
en décalage par rapport à celui qu'en ont les différents acteurs, parents ou édu-
cateurs, médias ou prescripteurs. Pour autant, il me semble qu'une recherche en
didactique de l'informatique, visant à décrire les enseignements et apprentis-
sages liés aux TIC, pourrait s'attacher à davantage déplier les effets de ses
propres constructions théoriques. Il me semble en effet qu'une construction très
majoritairement psychologique du sujet a conduit à n'interroger que les pra-
tiques éducatives, en se donnant rarement les moyens théoriques et
méthodologiques de confronter ces usages scolaires aux usages ordinaires. La
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)
RÉFÉRENCES
AILLERIE Karine (2010) « Les pratiques de recherche d'information informelles des
jeunes sur Internet », dans CHAPRON Françoise, DELAMOTTE Éric dir.,
L'éducatton à la culture informationnelle, Villeurbanne, Presses de l'ENSSIB.
ANDRÉ Bernard (2006) Utilisation des progiciels : Identification des obstacles et
stratégie de formation, Thèse de doctorat, UMR STEF, Cachan, École Normale
Supérieure.
AUDIGIER François (2010) « Curriculum, disciplines scolaires, “éducation à” »,
dans CHAPRON Françoise, DELAMOTTE Éric dir., L'éducation à la culture
informationnelle, Villeurbanne, Presses de l'ENSSIB, p. 244-253.
BARON Georges-Louis (1987) La constitution de l'informatique comme discipline
scolaire, Thèse de doctorat, Université René Descartes, Sciences de l'éducation,
Paris.
BARON Georges-Louis (1994) L'informatique et ses usagers dans l'éducation, Note de
synthèse pour l'habilitation à diriger des recherches, Université René Descartes,
Paris.
BARON Georges-Louis (2004) « Jeunes, TIC et école, questions de compétences », Les
Dossiers de l'ingénierie éducative n° 49, décembre 2004, Paris, Scérén - CNDP,
p. 87-89.
BARON Georges-Louis (2007) « Usages et usagers des TICE en milieu scolaire :
quelles perspectives ? », Les Dossiers de l'ingénierie éducative n° Hors-série, Paris,
Scérén - CNDP.
BARON Georges-Louis, BRUILLARD Éric (2001) « Une didactique de
l'informatique ? », Revue Française de Pédagogie n° 135, Culture et éducation,
colloque en hommage à Jean-Claude Forquin, avr.-mai-juin, Paris, INRP, p. 163-
172.
BARON Georges-Louis, BRUILLARD Éric (2008) « Technologies de l'information et de
la communication et indigènes numériques : quelle situation ? », STICEF n° 15,
Évry, ATIEF.
BARON Georges-Louis, DANÉ Éric, THIBAULT Françoise (2007), Présentation du projet
Adjectif, Journées Rés@tice 2007, Rabat (Maroc).
BÉGUIN-VERBRUGGE Annette (2006), Pourquoi faut-il étudier les pratiques informelles
des apprenants en matière d'information et de documentation ?, Colloque
international « Savoirs et acteurs de la formation », Rouen.
BETRANCOURT Mireille (2007) « Pour des usages des TIC au service de
l'apprentissage », Les Dossiers de l'ingénierie éducative n° Hors série, TICE :
l'usage en travaux, septembre 2007, Paris, Scérén - CNDP.
BLONDEL François-Marie, BRUILLARD Éric (2007) « Comment se construisent les
usages des TIC au cours de la scolarité ? Le cas du tableur », Les Dossiers de
l'ingénierie éducative n° Hors-série, TICE : l'usage en travaux, Paris, Scérén -
© Association REDLCT | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.19.148)