José Allouche RH Une Gestion Eclatée

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Ressources Humaines
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@ Ed. ECONOMICA, 1998


Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'éxécution
réservés pour tous les pays.
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José A L L O U C H E et B r u n o S I R E , éd.

R e s s o u r c e s H u m a i n e s

U n e g e s t i o n é c l a t é e

ECONOMICA
49, rue Héricart, 75015 Paris
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Les auteurs

José ALLOUCHE, Professeur des Universités, Versailles/St Quentin/


UVSQ. Directeur du laboratoire LAREGO. Recherches sur l'évalua-
tion et la performance en GRH et la théorie des organisations.
Charles-Henri d'ARCIMOLES, Professeur des Universités, IAE de Poi-
tiers. Recherches sur les relations entre la GRH, la performance écono-
mique et la valeur financière des entreprises.
Anne-Françoise BAILLY, Assistant à l'ESCEM (site de Tours). Recher-
ches sur la théorie des carrières et les comparaisons internationales en
matière de GRH.
Alain BERNARD, Professeur à l'ESSEC. Directeur du CFA. Recherches
sur la construction des parcours professionnels et la détection et attri-
bution des potentiels.
Dominique BESSON, Maître de conférences à 1TAE de Lille. Membre du
GRAPHE. Recherches sur les compétences et qualifications des per-
sonnels et les relations professionnelles.
Franck BRILLET, Maître de conférences à l'IAE de Tours. Membre du
laboratoire UPRES. Recherches sur les rémunérations et salaires.
Jérôme CABY, Maître de conférences à l'Université de Bordeaux. Membre
du CREF et du CREGE. Recherches sur les théories de la firme, la finance
organisationnelle, la création de valeur, la gouvernance d'entreprise.
Loïc CADIN, Professeur associé à l'École Supérieure de Commerce de
Paris. Recherches sur la théorie des carrières et les comparaisons inter-
nationales en matière de GRH.
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Éric CAMPOY, ATER à Paris 1 - Sorbonne. Membre du laboratoire


CERGOR. Recherches sur les rémunérations et les relations profes-
sionnelles.
Brigitte CHARLES-PAUVERS, Maître de conférences à l'IAE de Nan-
tes. Membre associée du laboratoire LAREGO. Recherches sur la pré-
carité de l'emploi et la mesure de l'implication organisationnelle.
Nathalie COMMEIRAS, Maître de conférences à l'Université de Ver-
sailles. Membre du laboratoire LAREGO. Recherches sur l'implication
organisationnelle, la rémunération, la gestion du changement organisa-
tionnel et le management de la force de vente.
Christophe FOURNIER, Professeur des Universités, IAE de Montpellier
II. Membre du laboratoire CREGO. Recherches en marketing direct et
en management de la force de vente.
Éric GODELIER, Maître de conférences à l'Université de Paris VIII.
Recherches sur la mise en perspective historique de la gestion des
ressources humaines, du changement et de la stratégie des entre-
prises.
Slimane HADDADJ, Maître de conférences à l'IAE de Lille. Membre du
GRAPHE. Recherches sur la succession des dirigeants et les relations
entre stratégies d'entreprises et gestion des hommes au travail.
Isabelle HUAULT, Maître de conférences à l'Université de Versailles.
Membre du laboratoire LAREGO. Recherches sur les relations syndi-
cales, le management international et la théorie des organisations.
Michaël HUBERMAN, Professeur agrégé au dépt. d'Histoire de l'Uni-
versité de Montreal. Chercheur au CIRANO. Recherches sur l'histoire
économique en particulier sur l'évolution des heures du travail.
Jacques IGALENS, Professeur des Universités, CNAM. Chercheur asso-
cié au LIRHE. Recherches sur les méthodes de recherche en GRH,
liaisons entre stratégie et GRH, place et fonction de la GRH dans les
grandes entreprises.
Paul LANOIE, Titulaire à l'École des Hautes Études Commercial de
Montreal. Directeur du groupe de recherche au CIRANO. Recherches
sur le partage du travail ainsi que sur la santé et la sécurité du travail.
Philippe LEMISTRE, Doctorant Allocataire à l'Université de Toulouse 1
Rattaché au LIRHE. Recherche sur l'économie du travail.
Annaïg LE ROUX, ATER à Paris 1 - Sorbonne. Membre du laboratoire
CERGOR. Recherches sur les rémunérations.
Anne LOUBES, Maître de conférences à l'Université de Montpellier II.
Membre du CREGO. Recherches sur les rôles des agents de maîtrise,
tensions de rôle, conflits individuels du travail insertion professionnelle,
emploi et implication des salariés.
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Jean-Pierre NEVEU, Maître de conférences à l'Université de Pau. Cher-


cheur au LIRHE. Recherches sur l'implication organisationnelle et syn-
dicale, conditions de travail, stress et gestion des ressources humaines.
Jean NIZET, Professeur aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la
Paix à Namur et à l'Université Catholique de Louvain. Recherches sur
les domaines de la théorie des organisations de la gestion des ressources
humaines, de la pédagogie des adultes et de l'histoire du christianisme.
François PICHAULT, Professeur à l'Université de Liège. Directeur du
LENTIC. Recherches sur les aspects sociaux et organisationnels de
l'innovation technologique, les relations entre structure organisation-
nelle et politique de gestion des ressources humaines et l'analyse des
processus de changement.
Françoise PIERSON, Maître-Assistante à l'Université Catholique de
Lyon. Recherches sur les relations professionnelles, l'éthique en ges-
tion, l'appréciation et l'interdisciplinarité.
Jean-Michel PLASSARD, Professeur à l'Université de Toulouse. Direc-
teur de recherche au LIRHE. Recherches sur l'économie du travail.
Gwénaelle POILPOT-ROCABOY, Maître de conférence à l'Institut de
Gestion de Rennes (IAE). Membre du CREREG de Rennes. Recher-
ches sur la rémunération et le harcèlement professionnel.
Véronique de SAINT GINIEZ, Intervenant à l'École Supérieure de Com-
merce de Paris. Recherches sur la théorie des carrières et aux comparai-
sons internationales en matière de GRH.
Bruno SIRE, Professeur des Universités, Toulouse. Directeur du labora-
toire LIRHE. Recherches sur les politiques de rémunération, la gestion
des compétences et l'évolution de la fonction Ressources Humaines.
Michel TREMBLAY, Professeur agrégé à l'École des Hautes Études de
Montreal. Chercheur associé au CIRANO. Recherches relatives aux
systèmes de rémunération, à la gestion des carrières, à la mobilisation
et à l'impartitions des activités de GRH.
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AVANT-PROPOS

« La GRH éclatée »

Le nouveau paysage mondial des ressources humaines nous offre une


série de défis : organisations aux frontières instables, conflits sociaux
supraterritoriaux, travail à distance, économie globalisée de l'immatériel,
organisations virtuelles, partage stratégique des ressources humaines,
réduction du temps de travail, questionnements sur la notion d'activité,
pluri-emplois,... La G R H n'est plus simplement fonctionnelle. Elle ne
s'inscrit plus dans de simples logiques de planification et de prévision, mais
devient, au contraire, l'enjeu central d'organisations compétitives et
mutantes, au cœur de leur stratégie de connaissance et de développement
sur tous les fronts de la technologie, de la durabilité, de la citoyenneté, et
du succès économique.
Éclatée dans des organisations fragmentées et changeantes, la GRH l'est
aussi dans ses rôles : porte-parole d'une entreprise humaine, mais égale-
ment gardienne de sa compétitivité : instrument de gestion, mais servant
également son instrumentalité ; relais de la mutation technologique des
organisations, mais défendant l'homme au cœur des systèmes techniques.
Répondant aux défis d'une organisation aux frontières indéfinies, la
GRH a élargi ses propres frontières : comportementales, épistémologi-
ques, disciplinaires. Présence ou dispersion ? Versatilité ou égarements ?
L'avenir de la GRH passe-t-il par son éclatement disciplinaire ? Ou au
contraire, est-il temps de fonder une réelle théorie de la gestion des res-
sources humaines ? Les frontières traditionnelles entre comportement
organisationnel d'une part, et théorie de l'organisation d'autre part, résis-
tent-elles à l'épreuve des faits ? Une théorie de « l'organisant » a-t-elle un
sens pour une GRH faisant face à sa permanente réorganisation ?
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L'éclatement de la fonction RH, dont cet ouvrage se veut l'écho à tra-


vers des recherches scientifiques et des réflexions conceptuelles 1, renvoie
à une double réalité : la première concerne l'éclatement de la fonction au
sein des organisations ; la seconde, la diversité des solutions retenues par
les directions des ressources humaines en fonction des contingences loca-
les.
En ce qui concerne le premier point, on assiste, en effet, depuis quel-
ques années dans la plupart des entreprises, à un nouveau partage de la
fonction entre les professionnels des RH d'une part, et les responsables
hiérarchiques d'autre part. Ces derniers sont de plus en plus impliqués et
responsabilités par leur rôle de gestionnaire de ressources humaines, bien
souvent autant, et parfois plus, que par les rôles spécifiques qui découlent
de leur expertise fonctionnelle. L'époque du « La GRH c'est votre métier,
moi je n 'cli pas le temps » a vécu. Nous sommes rentrés dans l'ère du « Tous
DRH » 2. Certains ont même pu dire, poussant la logique du partage à son
extrême, que la fonction en tant que telle était menacée. C'est sans doute
un propos excessif, mais il n'en demeure pas moins que le temps de la
réflexion sur l'avenir de la fonction RH est arrivé, qu'il nous faut pour cela
observer et analyser ce qui se passe dans les entreprises, le confronter à des
concepts et des théories robustes pour que prescriptions et enseignements
ne soient pas « en retard d'une guerre ».
Cette réflexion sur l'avenir de la fonction est déjà bien entamée outre-
atlantique. Il apparaît à travers de nombreux écrits récents 3 qu'il est balisé
par un rôle émergent de « partenaire d'affaires ». Il répond à un besoin,
essentiel pour beaucoup d'organisations, de gérer différemment leurs res-
sources humaines pour se bâtir des avantages compétitifs dans un univers
concurrentiel de plus en plus déréglementé. Dans ce contexte, où le succès
organisationnel semble, plus que jamais sans doute, reposer sur la res-
source humaine, l'actif humain spécifique, il est naturel que les profession-
nels en ressources humaines (PRH) jouent un rôle de premier plan.
Encore faut-il pour cela qu'ils soient sensibles aux nouveaux besoins de
l'organisation et qu'ils abordent leurs métiers en termes de stratégies orga-
nisationnelles, dans l'optique de renforcer les atouts de l'entreprise sur ses
marchés. C'est un rôle de soutien dans la réalisation des objectifs écono-
miques et commerciaux qu'il faut désormais concevoir, en partenariat
avec l'ensemble des acteurs de l'organisation. Les fonctions plus tradition-
nelles de fournisseur de services, dont certains visaient à décharger les
cadres, font de moins en moins partie des attributions dévolues aux PRH.
Il est clair qu'aujourd'hui on attend de ceux-ci qu'ils s'approprient pleine-

1. Il est constitué de quelques-unes des meilleurs communications du Congrès


de l'AGRH organisé en novembre 1998 à l'Université de Versailles/Saint-Quentin.
2. Comme le confirme le succès de l'ouvrage du même nom coordonné par
Jean-Marie Peretti, EO, 1997.
3. Voir en particulier le numéro consacré à ce thème de Human Resource
Management, vol. 36, n° 1, Spring 1997.
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ment leur rôle de manager et de gestionnaire de RH. C'est en cela que l'on
peut parler d'éclatement de la fonction. Il ne faut pourtant pas concevoir
cette évolution comme une dilution ou une menace de retour à la case
départ d'un simple rôle d'administration du personnel, mais comme un
repositionnement au cœur des préoccupations organisationnelles.
Avec l'accélération des changements organisationnels et structurels des
grands groupes, les PRH pourraient être amenés à consacrer de plus en
plus de temps à ce nouveau rôle de partenaire d'affaires, ainsi qu'à devenir
ce que Dave Ulrich nomme le « Champion des employés » 1. Ils peuvent
être aidés en cela par la reconfiguration des activités RH, rendue de plus
en plus attrayante en raison des possibilités offertes par les nouvelles tech-
nologies de l'information et les gains qui en découlent tant au niveau des
coûts que de la qualité.
Le second sens, que le thème de « la GRH éclatée » suggère, est celui
de la contingence des pratiques de GRH. La complexité des relations
socio-économiques, dans un espace de plus en plus ouvert aux échanges
internationaux, amène les directions des ressources humaines, pour tenir
compte des spécificités locales, à largement décentraliser la fonction, au
risque d'une perte de cohérence globale. Pour éviter ce risque, bon nom-
bre d'organisations ont recours aux principes du fédéralisme dont la
science politique a clairement défini les règles de fonctionnement. Les
adeptes des logiques de subsidiarité et du « agir localement, penser
globalement » sont de plus en plus nombreux.
La prise en compte des contingences locales, qui résulte de tels modes
de fonctionnement, pose en filigrane la question de l'opportunité de
recherches qui se donnent pour objectif la généralisation dans la mesure
où, implicitement, elles voudraient refléter un certain universalisme des
outils et des stratégies de GRH. De nombreux travaux, par le biais d'ana-
lyses contextualistes, accréditent l'idée d'une prééminence de la contin-
gence sur l'universalisme des pratique. Si tel est le cas on devrait constater
un éclatement, une divergence, des pratiques en fonction des contextes
organisationnels et stratégiques. Cependant quelques-unes des contribu-
tions de cet ouvrage montrent que les choses ne sont pas aussi nettes. Cer-
taines pratiques apparaissent comme efficaces quel que soit le contexte
organisationnel. Il en va ainsi, par exemple, de l'individualisation ou de
certaines formes de rémunération.
Cette même prise en compte des contingences invite également les
observateurs que nous sommes à nous interroger sur le bon niveau de
comparaison et d'analyse lorsque nos recherches intègrent une dimension
internationale. Faut-il s'en tenir au secteur d'activité avec ses contingences
économiques et commerciales particulières, ou est-il plus pertinent d'envi-
sager des comparaisons par pays en raison des contingences culturelles et
réglementaires propres à chacun d'eux ? Geert Hofstede, qui fut un temps

1. Human Resource Champion, Harvard Business School Press, Boston, 1997.


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DRH, avait montré, il y a plus de 20 ans, que les différences culturelles


avaient des répercutions sur les modes de gestion des ressources humaines
et que les multinationales avaient donc intérêt à adapter leurs pratiques en
fonction des traits dominants de l'espace culturel dans lequel elles agis-
sent. Cette perception est-elle toujours d'actualité ? N'assistons-nous pas
à une convergence des cultures managériales au sein des grands pays de
l'OCDE ?
Nous espérons que les différents textes de cet ouvrage, par les réponses
qu'ils apportent, de façon parfois indirecte, au questionnement que nous
venons d'esquisser, contribueront à la réflexion et à l'amélioration des
connaissances sur le fonctionnement des organisations en général et sur
celui de la fonction RH en particulier. Ils puisent leurs fondements con-
ceptuels dans différents champs disciplinaires, allant de l'économie du tra-
vail au droit social, en passant par la psychosociologie et la théorie des
organisations. Ils empruntent aux acquis du management stratégique, de
la finance organisationnelle ou du marketing. Ils montrent la multiplicité
des démarches concernant la gestion des hommes, de leurs compétences
et de leurs comportements. Cette diversité constitue également, en soi,
une sorte d'éclatement de la GRH ; elle en montre la spécificité tout
autant que la richesse.

José ALLOUCHE Bruno SIRE


Responsable du Congrès AGRH 1998 Président AGRH
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PREMIÈRE PARTIE

L'éclatement des structures


et des modèles
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CHAPITRE 1

L'éclatement des modèles en GRH :


l'explication par la contingence,
son intérêt et ses limites

Jean NIZET et François PICHAULT

L'éclatement actuel des politiques de GRH vient heurter de plein fouet


les principes universalistes de management et leurs corollaires en termes
de best practices (AGRH, 1993). Un tel éclatement peut être envisagé de
différentes manières : certains n'hésiteront pas à porter des jugements
sévères sur la discontinuité et/ou la succession anarchique des modes de
gestion du personnel dans les entreprises contemporaines (Villette, 1988) ;
d'autres, en revanche, adopteront un regard plus analytique en cherchant
à dégager les facteurs explicatifs de cette apparente diversité. Nous privi-
légierons ici l'attitude analytique, en nous inscrivant résolument dans une
perspective contextualiste (Pettigrew, 1985, 1987 ; Brouwers et al., 1997).
Dans un premier temps, nous aborderons les liens logiques que l'on peut
établir entre configurations organisationnelles et politiques de GRH
(Pichault, 1995) ; cette vision contingente sera également appliquée aux
liens avec l'environnement et avec la stratégie de l'organisation. Dans un
deuxième temps, nous adopterons un point de vue plus politique en déga-
geant les jeux d'acteurs susceptibles de se nouer autour des liens précé-
demment décrits.

1. Configurations organisationnelles et modèles de GRH

La plupart des manuels de gestion des ressources humaines ont, il faut


bien l'admettre, une portée essentiellement prescriptive : ils conseillent
des voies d'action, des chemins à suivre, des stratégies à adopter. Articulés
autour d'un ensemble de « matières » traditionnellement réputées faire
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partie du champ de la GRH (recrutement et sélection, évaluation, promo-


tion, rémunération, relations professionnelles, etc.), ils décrivent un
ensemble de techniques et de dispositifs plus ou moins formalisés destinés
à guider Faction des responsables du personnel (Petit et al., 1993 ; Sékiou
et al., 1992 ; Peretti, 1994 ; etc.). Convenons de parler à cet égard de modè-
les de gestion des ressources humaines, dans la mesure où de tels techni-
ques et dispositifs expriment des manières concertées d'agir et font l'objet
d'une formulation plus ou moins explicite dans chaque organisation.
Plusieurs travaux ont contribué à montrer l'existence, en la matière, de
modèles différents : on peut ainsi observer des politiques relevant du
paternalisme (De Coster, 1993) ; d'autres s'inscrivent davantage dans le
cadre d'une individualisation du lien salarial (Morville, 1985), en opposi-
tion avec les politiques « objectivantes » traditionnelles (Vanhaelen et
Warnotte, 1988), etc.
Les politiques de GRH sont en quelque sorte la forme concrète par
laquelle se manifeste la fonction ressources humaines. La fonction est ici
définie, au sens de Fayol, comme un ensemble d'opérations de même
nature : on parlera ainsi de fonctions technique, financière, commerciale,
etc. La fonction ressources humaines désigne donc les diverses activités
ayant trait au pilotage du sous-système social de l'organisation (De Coster,
1993 ; Donnadieu, 1997). Ce concept - nécessairement abstrait - ne peut
être appréhendé dans une situation organisationnelle donnée qu'au tra-
vers des politiques de GRH qui y sont mises en œuvre.
Rares sont les réflexions qui tentent de systématiser la diversité des
choix susceptibles d'être opérés en la matière. Nous entendons établir ici,
à la suite de premiers travaux exploratoires (Baird et Meshoulam, 1988 ;
Begin, 1993 ; Duberley et Burns, 1993 ; Pichault, 1995), un lien entre les
formes que peut prendre le système organisationnel dans son ensemble et
les différentes manières de piloter son sous-système social. En d'autres
termes, les politiques de GRH - qui manifestent la façon d'envisager la
fonction ressources humaines dans un ensemble organisationnel donné -
pourraient être directement influencées par le fonctionnement de cet
ensemble.

1. 1. Vers une typologie d e s modèles de GRH

En prenant pour base la distinction des cinq configurations organisa-


tionnelles établie par Mintzberg (1982, 1986) et systématisée par Nizet et
Pichault (1995), nous proposons de dégager cinq modèles fondamentaux
de GRH. Le principe de base de cette distinction repose sur le type de cri-
tères utilisés pour gérer la composante humaine de l'organisation. Inexis-
tants dans le cas du modèle arbitraire, implicites dans le cas du modèle
valoriel, de tels critères font l'objet d'une formalisation plus explicite dans
le cas des autres modèles :
- le modèle objectivant favorise l'adoption de critères impersonnels,
qui s'appliquent à tous de la même manière ;
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- le modèle individualisant est basé sur la détermination de critères


« sur mesure », dans le cadre d'accords interpersonnels entre un supérieur
hiérarchique et ses collaborateurs ;
- le modèle conventionnaliste implique quant à lui la définition collec-
tive de critères, à la suite de discussions entre pairs.
L'adoption de ces critères reflète en réalité des conceptions très diver-
sifiées de la fonction ressources humaines, c'est-à-dire de la manière de
gérer le lien de subordination caractéristique du milieu de travail.
Nous allons à présent décrire, de manière plus précise, les différents
modèles de GRH qui viennent d'être distingués. Nous esquisserons
ensuite les relations qui peuvent s'établir avec les configurations organisa-
tionnelles. Il faut préciser que notre raisonnement adopte une perspective
idéaltypique. En matière de GRH, nous établirons des types purs à partir
de nos propres observations, d'études empiriques sur l'une ou l'autre
dimension, mais aussi de recherches à caractère spéculatif et/ou prescriptif
dont nous ne reprendrons pas nécessairement toutes les hypothèses. Nous
serons donc parfois amenés à opérer des raccourcis théoriques, la littéra-
ture existante n'adoptant pas nécessairement la typologie des configura-
tions organisationnelles à laquelle nous nous référons, ni la classification
que nous avons proposée des modèles de GRH.

1.1.1. Le modèle arbitraire


Le modèle arbitraire est caractérisé par l'absence de tout critère prédé-
fini et par la prédominance de l'informel. On ne s'étonnera donc pas de
voir les principaux domaines de la GRH directement dépendants de la
(bonne) volonté de patrons « éclairés ».
En matière de gestion des effectifs, il n'y a pas de véritable planification
des entrées puisque la majorité des engagements s'opère par le bouche à
oreille ou par annonces placées dans la presse locale et que la sélection est
principalement basée sur des interviews menées par le ou les responsables
concernés, ainsi que sur des échos informels et des recommandations à
l'intérieur de réseaux de connaissances (Begin, 1993, p. 8). Les résultats
d'une enquête auprès de 140 PME françaises, tels qu'exposés par Mahé de
Boislandelle (1988, p. 44-45), montrent que la gestion des entrées apparaît
comme une sorte de « domaine réservé du dirigeant » : dans la quasi-tota-
lité des cas, c'est le patron, éventuellement aidé par un responsable de ser-
vice, qui en assure le contrôle.
Les exigences en matière de qualification des travailleurs sont peu éle-
vées, ce qui favorise le principe de la formation sur le tas et stimule le loya-
lisme à l'égard de l'entreprise. En se basant sur 6 monographies réalisées
dans des PME des secteurs du textile et de l'imprimerie, Maroy (1998)
parle à ce sujet d'une logique « d'optimisation réactive » des changements
intervenant dans le système socio-technique : il n'y a pas dès lors de plan
de formation ni de responsable en charge de cette activité (faible degré
d'institutionnalisation) ; les contenus sont orientés prioritairement vers le
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savoir-faire spécifique à l'exercice d'une fonction ; d'une manière géné-


rale, l'effort de formation est peu important. Lorsque les changements du
système socio-technique sont davantage planifiés, les caractéristiques de
la formation sont largement semblables, mis à part le degré d'institution-
nalisation, provisoirement plus élevé (durant la période de changement).
Dans ce contexte dominé par les relations interpersonnelles, la notion
même de compétence n'est guère légitime et est d'ailleurs difficile à opé-
rationnaliser (Donnadieu et Denimal, 1994, p. 14-15 ; Michel, 1993, p. 75).
L'évaluation est ici largement soumise au règne de l'intuition et du
jugement subjectif (Sekiou et al., 1992, p. 325). On ne s'étonnera donc pas
qu'une des caractéristiques du modèle arbitraire, particulièrement sensi-
ble dans le cas de l'évaluation, soit l'immixtion dans la vie privée du per-
sonnel (De Coster, 1993, p. 235).
En matière de rémunération, l'absence de tout critère explicite permet
de donner libre cours à des formules de salaire à la tâche autonome ou à
la pièce (De Coster et Pichault, 1998). Une autre forme de rémunération
en vigueur dans ce modèle est le salaire au temps aléatoire : le patron
détermine alors le volume d'heures de travail et leur prix en fonction de la
quantité de production à effectuer. Le travailleur vient se faire embaucher
pour une période très limitée et ne peut évidemment bénéficier d'une cer-
titude de revenu régulier. Le salaire au temps aléatoire rejoint d'ailleurs la
problématique du temps de travail : l'immixtion dans la vie privée et
l'indifférenciation qui s'ensuit entre temps de travail proprement dit et
temps libre permettent de jouer constamment sur l'appréciation du travail
presté, et donc sur le salaire à payer.
Quant aux relations professionnelles, elles sont ici largement inexistan-
tes et le pouvoir des associations de travailleurs est très limité : Donnadieu
et Dubois (1995) parlent à ce sujet de « contrôle patronal » (p. 44). Nous
avons montré ailleurs (Nizet et Pichault, 1995) que cela tient en partie à la
jeunesse de l'organisation - une tradition syndicale n ayant pas encore pu
se développer, pas plus que des procédures d'action et de négociation avec
la direction. Par ailleurs, la petite taille peut avoir pour conséquence que
les travailleurs entretiennent des relations personnelles avec leurs supé-
rieurs hiérarchiques, et parfois même avec la direction : ceci également
limite leurs possibilités d'exercer collectivement du pouvoir pour défendre
leurs intérêts propres.

1.1.2. Le modèle objectivant


Le modèle objectivant peut s'entendre comme une tentative de systé-
matisation des diverses dimensions caractéristiques de la gestion des res-
sources humaines. Ce sont des critères impersonnels, définis par les ana-
lystes, notamment dans le cadre de conventions collectives où s exerce le
droit de représentation syndicale, qui régissent les relations sociales en
s'appliquant de manière uniforme à l'ensemble des membres de l 'entre-
prise afin de présenter le maximum de protections à l'égard de l arbitraire
managérial.
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En matière de gestion des entrées, l'accent est mis principalement sur


l'amont (processus de recrutement) plutôt que sur l'aval (sélection des
candidatures adéquates) : description détaillée du poste, soumission de la
publication de vacance du poste à diverses règles (appel prioritaire aux
candidatures internes ou, au contraire, obligation d'ouvrir aux candi-
datures externes), organisation de concours en vue de constituer des
« réserves de recrutement », etc. (Begin, 1993, p. 15). La gestion des
entrées, basée la plupart du temps sur des outils quantitatifs (calcul du
taux de roulement, etc.), est très marquée par une logique planificatrice.
Elle est fortement soumise à des règles formelles, sous l'étroite sur-
veillance syndicale, en vue de garantir la protection du statut des tra-
vailleurs.
Cette même régulation formelle est évidemment présente pour la plu-
part des dimensions de la GRH. Ainsi en est-il de la gestion des départs,
dont la justification doit se fonder sur l'une ou l'autre catégorie prédéter-
minée et dont les modalités (licenciement sec, mise à la retraite anticipée,
non-renouvellement des contrats temporaires, etc.) sont négociées avec
les organisations représentatives du personnel.
Quant aux activités de développement, elles restent limitées à des for-
mations procédurales centrées sur l'acquisition de compétences particuliè-
res et/ou de savoir-faire techniques, et visant avant tout l'efficience orga-
nisationnelle (Darkenwald et Merriam, 1982, p. 64-69). L'étude réalisée
par Maroy (1998) auprès d'une dizaine de grandes entreprises des secteurs
de la chimie, du verre et des fabrications métalliques montre cependant
que l'effort de formation est ici relativement important. La gestion des
modalités de formation (budget, public-cible, voire contenu et mode de
transmission, etc.) est désormais soumise à la surveillance syndicale et est
d'ailleurs souvent l'apanage d'organes paritaires, ce qui stimule la ten-
dance à l'institutionnalisation : des départements spécifiques apparais-
sent, une programmation annuelle est définie, des crédits-formation sont
octroyés, le ratio dépenses de formation/masse salariale est publié dans le
bilan social, etc.
L'évaluation fait intrinsèquement partie de la culture objectivante dont
nous venons de parler. Elle vient le plus souvent se superposer au contrôle
du respect des règles de travail, par lequel le « loyalisme » des opérateurs
est constamment mesuré. Toutefois, la recherche constante d'équité -
visant à éviter les situations de discrimination individuelle - la condamne
à un certain niveau de généralité. Dans une version classique, ce sont des
critères standardisés qui s'appliquent à l'ensemble des membres de l'orga-
nisation, quelles que soient leur niveau hiérarchique et leur fonction
(échelle de notation). Dans une version plus moderne, ces critères sont
spécifiques à l'exercice d'une fonction particulière, ayant préalablement
fait l'objet d'une description détaillée (Donnadieu et Denimal, 1994,
p. 29).
Il faut de plus observer que, dans ce modèle, la promotion n'est pas
nécessairement liée aux résultats de l'évaluation. Elle s'effectue davan-
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tage en fonction de règles impersonnelles qui s'appliquent à tous de la


même manière : l'ancienneté, la réussite de concours, la détention de cer-
tains diplômes sont alors les critères utilisés pour décider de l'occupation
d'un poste.
Dans un modèle objectivant, des normes salariales sont établies pour
tous les travailleurs. Deux orientations sont alors possibles : soit le salaire
au rendement (De Coster et Pichault, 1998), typique du taylorisme, où les
travailleurs connaissent à l'avance les normes en deçà desquelles il vaut
mieux de ne pas se trouver ; soit le salaire au temps réglementé, défini uni-
formément dans le cadre d'accords collectifs - au niveau sectoriel ou au
niveau de l'entreprise -, et souvent présenté comme le signe d'une avan-
cée sociale par rapport au modèle arbitraire. Dans les deux cas, les princi-
pes qui régissent le système de rémunération sont déterminés a priori et
sont donc connus à l'avance par les membres de l'organisation (Servais,
1989). Divers travaux, comme ceux de Kerr et Slocum (1987) ou encore de
Naro ( 1993), ont clairement montré qu'un tel système, qui porte la marque
des accords collectifs, est le reflet de la culture bureaucratique et de ses
règles omniprésentes.
À la différence du modèle arbitraire, le temps de travail est ici étroite-
ment réglementé. La séparation entre temps de travail et temps libre est
jalousement surveillée par les organisations syndicales, comme garantie
d'un « droit au loisir » pour tout travailleur. Toute prestation dépassant le
cadre horaire conventionnel est considérée comme heure supplémentaire
et fait l'objet d'une comptabilité précise. Elle est dûment rémunérée
comme telle (le tarif pouvant représenter le double, voire le triple, de celui
de l'heure régulière) ou bien donne lieu à des récupérations sous la forme
de congés.
On sait que le syndicalisme traditionnel est étroitement lié au triomphe
de la division technique du travail et du taylorisme, qui ont remplacé
l'ouvrier de métier de jadis par une masse indifférenciée d'opérateurs non
qualifiés, exécutant des tâches parcellaires. Dans un tel contexte, l'organe
syndical apparaît comme l'intermédiaire obligé qui mobilise les masses
ouvrières et les représente, par un système de délégation, vis-à-vis de la
direction. Son action ne s'exprime qu'au travers de procédures formelles
de négociation. Elle aboutit le plus souvent à la définition de règles visant
à réduire les disparités et à éliminer toute trace d'arbitraire dans la gestion
sociale. On est donc en présence d'une forme institutionnelle de participa-
tion, où les délégués ont à exprimer les revendications de la base dans le
cadre de lieux de négociation formels comme le comité d'entreprise, le
comité de sécurité et d'hygiène, etc.

1.1.3. Le modèle individualisant


Le modèle individualisant est quant à lui axé sur une personnalisation
du lien salarial ; les critères sont alors négociés, dans le cadre d'accords
interpersonnels entre ligne hiérarchique et opérateurs (le plus souvent
qualifiés), en tenant compte des spécificités de chaque collaborateur. Un
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tel modèle s'accommode aisément d'une multiplicité de statuts et d'itiné-


raires au sein de l'organisation. Il est centré sur la notion de compétence,
qui devient en quelque sorte le pivot de la gestion des ressources humai-
nes. À la différence de la notion de qualification, qui reste associée à la
description du poste de travail, la compétence renvoie à un savoir-faire
opérationnel validé (Meignant, 1995) : savoir-faire, c'est-à-dire capacité à
faire (et pas seulement à connaître) ; opérationnel, c'est-à-dire mis en
œuvre concrètement en situation de travail ; validé, c'est-à-dire reconnu
par le management de l'organisation. Cette notion s'attache désormais à
ce qui est considéré comme la principale ressource de l'entreprise, à savoir
son personnel. Elle est concomitante au développement de la gestion
« stratégique » des ressources humaines et marque de son influence les
modes de recrutement et de sélection, d'évaluation, de promotion, de
rémunération, etc. (Donnadieu et Denimal, 1994).
L'entrée dans l'organisation va donc être principalement centrée sur le
processus de sélection : multiplication d'entrevues et de tests d'aptitudes
et de personnalité ; entretiens « réalistes » cherchant à tester les réactions
du candidat face à des situations concrètes qui lui sont présentées
(Wanous, 1992) ; appréciation par simulation, visant à observer, au travers
de « centres d'évaluation » (assessment centers), le comportement et les
attitudes du candidat dans une situation qui reproduit, le plus fidèlement
possible, les conditions de travail réelles (Sekiou et al., 1992, p. 304-305),
etc.
Le modèle individualisant est caractérisé, entre autres, par l'attention
qu'il porte à la question de la culture d'entreprise. Celle-ci y devient un
véritable projet managérial (Reitter, 1991), destiné à compenser, par des
mécanismes d'intégration sophistiqués, l'hyper-différenciation induite par
la segmentation croissante des liens sociaux (Louart, 1994). Il est d'ailleurs
significatif que cette question devienne centrale dans les ouvrages et arti-
cles prescriptifs préconisant l'individualisation de la GRH (Peters, 1988 ;
Hammer et Champy, 1993). Diverses initiatives sont dès lors entreprises
en vue de constituer une identité commune (culture-projet) : rites de
socialisation, parrainage des nouveaux entrants, événements festifs, cons-
titution d'amicales, organisations d'activités out-door destinées à souder
les équipes (Ehrenberg, 1991), etc.
La formation occupe, dans le modèle individualisant, une place de choix
et représente d'ailleurs souvent un pourcentage important de la masse
salariale. Vandewattyne et Van Aasche (1990) établissent à cet égard un
tiercé comparatif - en France et en Belgique - des secteurs et des types
d'entreprise les plus actifs : sans grande surprise, l'effort de formation est
le plus élevé dans les secteurs fréquemment mentionnés pour leur ten-
dance à l'individualisation de la GRH (informatique, banques/assurances,
pétrochime, services aux entreprises, etc.). La formation s'insère ici dans
le cadre d'une véritable politique institutionnalisée, alternant différentes
formes de transmission (sur le tas, scolaire, auto-formation, etc.) et dont
les objectifs s'inscrivent dans le moyen et/ou le long terme. Le développe-
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ment personnel vient désormais s'ajouter à la recherche d'une plus grande


efficience organisationnelle (Darkenwald et Merriam, 1982, p. 46-49) : il
s'agit en effet d'une des seules ripostes possibles à un environnement
dynamique et complexe, en perpétuelle évolution. Dans l'étude de Maroy
(1998), les secteurs employant une main-d'œuvre qualifiée ou subissant
une mutation importante de leur système productif semblent effective-
ment privilégier des formations multidimensionnelles, où les aspects com-
portementaux et psychosociaux (savoir-être) avoisinent les aspects pure-
ment économiques, techniques et/ou procéduraux. La formation devient
donc un véritable investissement stratégique dans un contexte incertain,
condition nécessaire à l'émergence d'organisations apprenantes ou encore
« qualifiantes » (Senge, 1992 ; Stahl, Nyhan et D'Aloja, 1993 ; Zarifian,
1990).
L'évaluation est, très logiquement, fondée sur la capacité de chacun à
mettre en œuvre ses propres compétences. Sur la base d'un bilan de com-
pétences, des objectifs sont assignés à chacun : ceux-ci sont souvent de
nature qualitative, étant donné le caractère hautement qualifié et, par con-
séquent, difficilement formalisable des activités exercées. La direction par
les objectifs (DPO) apparaît dès lors comme une technique particulière-
ment appropriée : les critères en fonction desquels le collaborateur est
évalué sont négociés au cas par cas, dans le cadre d'un entretien d'évalua-
tion/conseil avec le supérieur hiérarchique. Cet entretien est en outre des-
tiné à apprécier le degré d'accomplissement des objectifs et à décider en
conséquence, après discussion entre le supérieur hiérarchique et son col-
laborateur, des actions à mettre en œuvre en termes de formation et/ou de
mobilité.
On aura compris que la promotion n'a plus ici aucun caractère automa-
tique. Les différences statutaires étant désormais peu importantes, on par-
lera davantage de mobilité ". cette notion peut évidemment s entendre
aussi bien sur un plan horizontal que vertical, ou encore sous une forme
géographique. Comme on l'a indiqué précédemment, la politique de
mobilité est intrinsèquement liée aux résultats de l 'évaluation. Des plans
de carrière personnalisés sont établis, révisables en fonction des évolu-
tions du contexte et de la stratégie : ils constituent un moyen d attirer et
surtout de maintenir dans l'organisation une main-d 'œuvre aux ambitions
souvent élevées.
La question de la rémunération ne peut s'envisager, dans le modèle
individualisant, que comme un élément d'une politique plus générale de
motivation : le turnover du personnel étant relativement élevé, les respon-
sables des ressources humaines n'hésiteront pas à développer diverses
techniques de compensation, généralement appelées incentives . mise à
disposition d'une voiture de fonction, bénéfice d'une assurance-groupe ou
d'autres avantages extra-légaux, accès à une crèche d 'entreprise, finance-
ment d'activités sportives ou culturelles, etc. On se montrera ici particuliè-
rement attentif aux besoins d'autonomie, d'épanouissement personnel et
de responsabilité des collaborateurs. Mais c'est surtout l'introduction du
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salaire variable qui caractérise, sur le plan de la rémunération, le modèle


individualisant. Désormais, le salaire est en partie déterminé a posteriori,
en fonction des performances individuelles et/ou collectives, comme le
montre le tableau suivant, extrait de Servais (1989, p. 7). Intéressement
salarial, salaires au rendement, à la productivité, au mérite, à la perfor-
mance sont les avatars d'une même réalité fondamentale axée sur les pos-
tulats qu'on vient d'évoquer (De Coster et Pichault, 1998).
Le modèle individualisant se distingue donc du modèle traditionnel de
relations sociales : le principe de l'expression directe (ou participation
organisationnelle, chez Laville, 1992, p. 46-47) est préféré à celui de la
délégation/représentation (ou participation institutionnelle, ibidem,
p. 45). La codécision, sur les plans opérationnel, managérial, voire straté-
gique, est stimulée par des formules du type : groupes semi-autonomes de
production, groupes de projet interdépartementaux, etc. Elle débouche
sur ce que Laville appelle une participation culturelle « où le partage des
décisions exercé dans la participation institutionnelle et le partage des
informations exercé dans la participation organisationnelle deviennent un
enjeu fondamental du fonctionnement des entreprises » (1992, p. 47). Les
flux de communication privilégiés par le modèle individualisant (ascen-
dant, latéral, collégial) constituent le véhicule de cette participation cultu-
relle.

1.1.4. Le modèle conventionnel liste


Le modèle conventionnaliste est caractérisé par le fait que les membres
de l'organisation (le plus souvent, des opérateurs qualifiés) s'accordent
pour définir collectivement le cadre et les modalités de leur coexistence
(on peut se référer, par analogie, au contrat social de Rousseau et à la libre
aliénation des citoyens à son égard). Les critères utilisés font alors l'objet
de débats, conduisant par le biais de votes ou d'élections (mandats) à la
définition de normes provisoirement acceptées, jusqu'à leur mise en ques-
tion et à leur redéfinition à l'occasion de nouveaux débats.
Le processus de gestion des entrées est, dans ce modèle, très élaboré et
collégial. C'est de nouveau la sélection, plus que le recrutement propre-
ment dit, qui reçoit ici toute l'attention. Toutefois, la plupart des étapes
clés du processus de décision se situent à un niveau décentralisé : examen
des dossiers au sein d'une commission ad hoc ; constitution, parmi les
pairs, d'un jury chargé d'apprécier, au cours d'un entretien, les qualifica-
tions effectives du candidat ; validation du choix par l'assemblée. Il en va
de même pour la planification des effectifs (Begin, 1993, p. 13).
Étant donné la grande autonomie dont bénéficient les opérateurs et la
maîtrise qui leur est accordée sur leur emploi du temps - ils n'ont en fait
que peu de compte à rendre à ce sujet - les opérateurs vont avoir tendance
à se lancer dans des pratiques d'auto-formation (colloques, séminaires,
lectures, publications, etc.) à propos desquelles toute autorité centrale a
d'autant moins d'emprise qu'elles sont l'expression d'une valorisation
individuelle (Carré, 1992 ; Knowles, 1975).
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Comme dans le modèle individualisant, évaluation et promotion sont ici


intimement liées, la première influençant directement la seconde. Mais
c'est ici la reconnaissance par les pairs, sur la base de critères constamment
soumis à débats, qui servira de base à l'éventuelle promotion ou à l'évic-
tion pure et simple du système (Begin, 1993, p. 13). L'étude menée par
Foucher et Desjardins (1995) sur la révision du système d'évaluation au
sein d'une université canadienne montre combien toute initiative en la
matière se situe au centre de luttes de pouvoir intenses, surtout lorsqu'elle
lie l'évaluation à la rémunération. Par ailleurs, l'absence de règles codi-
fiées une fois pour toutes et la soumission des dossiers au jugement des
pairs introduisent une grande part d'imprévisibilité et de variabilité dans
les choix finalement opérés en termes de promotion. Les études de Cohen,
March et Olsen (1972) - consacrées notamment aux élections de doyens
dans les universités nord-américaines - ont bien montré que ce type de
décision résultait davantage de flux stochastiques que d'une rationalité
unique : ce que les auteurs proposent d'appeler le processus de « mise au
panier » (garbage can theory).
La rémunération - objet de nombreux débats - établit un subtil équili-
bre entre échelles barémiques, « bonification pour mérites exception-
nels », et autorisation d'effectuer des activités extérieures rétribuées. Ces
dernières peuvent constituer une source de revenu complémentaire
appréciable et sont tolérées dans la mesure où elles sont liées à la recon-
naissance professionnelle des opérateurs concernés. Certains dispositifs
réglementaires, notamment dans le monde hospitalier ou universitaire,
vont même jusqu'à institutionnaliser de tels revenus parallèles, en tentant
de les cadrer dans le temps ou dans leur importance relative par rapport
au salaire (Mackintosh, Jarvis et Heery, 1994, p. 348).
Le temps de travail est ici entièrement sous le contrôle des profession-
nels. Il s'agit, sans aucun doute, d'une de leurs principales sources
d'influence par rapport aux diverses modalités de la gestion des ressources
humaines. Le travail à domicile, le déplacement à l'étranger pour séjour
d'études ou pour participation à des congrès, les horaires décalés (début et
achèvement tardifs de la journée de travail) sont monnaie courante.
L'éthique et la déontologie (McDonald, 1995) sont des principes qui
régissent fortement, par le biais des associations professionnelles, les rela-
tions sociales dans l'organisation. Le poids des organisations syndicales
traditionnelles en est d'autant plus limité. Toutefois, pour contrer les
visées bureaucratiques des administratifs et gestionnaires, les profession-
nels ont parfois tendance, eux aussi, à se syndiquer pour défendre leurs
intérêts menacés, mais la syndicalisation débouche alors souvent, de façon
paradoxale, sur une standardisation encore plus poussée de la structure,
sous la forme de règles et de contrôles divers, qui finit par estomper les dif-
férences entre professionnels et éliminer la responsabilité individuelle du
travail opérationnel (Mintzberg, 1990, p. 280-284). Des conflits ne tardent
pas à apparaître, ce qui condamne de facto les organes syndicaux à une cer-
taine marginalité dans ce type de modèle.
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1.1.5. Le modèle valoriel


Dans le modèle valoriel, les questions de recrutement, de rémunéra-
tion, de promotion, de temps de travail, etc. n'apparaissent pas comme
légitimes ou dignes d'intérêt, vu la prégnance des valeurs censées mobili-
ser les membres de l'organisation. La fonction ressources humaines y est
donc envisagée sur un mode implicite, faisant largement appel à la notion
de « don » de soi, dans la référence constante aux valeurs qui constituent
l'articulation première de l'organisation.
Aucun processus formel de recrutement ou de sélection n'est établi à
l'avance : toutes les bonnes volontés sont bienvenues mais l'entrée dans
l'organisation est soumise à l'abandon de ses références préalables en ter-
mes de compétences et de formation pour endosser les valeurs communes.
Un tel processus de « dépouillement » est d'ailleurs considéré comme un
signe de loyalisme à l'égard de la mission de l'organisation.
La stricte fidélité aux valeurs étant toujours susceptible d'être remise en
question (par les responsables ou par le personnel concerné), les départs
volontaires sont relativement fréquents, généralement lorsque les exigen-
ces de l'engagement apparaissent trop importantes.
La politique de formation est centrale dans le modèle valoriel : elle est
avant tout orientée vers la problématique de la transformation sociale
(Darkenwald et Merriam, 1982, p. 58-64), particulièrement dans le cas des
organisations militantes (missionnaires « convertisseurs » chez Mintzberg,
1990, p. 333). Elle vise souvent à doter les membres d'un appareil concep-
tuel spécifique et d'une grille d'appréhension de la réalité, par le biais des-
quels ils pourront se mettre au service de la mission. Sans doute la forma-
tion inclut-elle également la transmission - plus scolaire - de savoirs et de
savoir-faire propres à renforcer l'efficacité des actions entreprises. Mais
elle est avant tout l'occasion de ritualiser l'adhésion aux valeurs, par un
auto-questionnement permanent des membres.
L'évaluation est ici basée sur le dévouement et l'adhésion aux valeurs,
constamment appréciés de manière tacite et consensuelle par l'ensemble
des membres de l'organisation. Elle n'a pas d'influence directe sur la pro-
motion, les occasions étant d'ailleurs peu fréquentes. La promotion est
avant tout considérée comme un service rendu à l'organisation, pour une
durée limitée, afin de minimiser les risques d'une poursuite d'intérêts per-
sonnels, au détriment de la mission.
La rémunération n'est pas une question légitime. La motivation des
membres est censée résulter de la noblesse de la mission, et non de la
rémunération, ce qui favorise la coexistence problématique de statuts dif-
férents (travail bénévole, contrats précaires, travail au noir, etc.). La litté-
rature sur les organisations non marchandes rapporte à cet égard de nom-
breuses situations de conflit (Dieu, 1996).
Le temps de travail ne compte pas et doit se plier aux exigences de la
mission : de nombreuses tensions portent ainsi que la difficile délimitation
entre temps de travail et « temps de militance ». Une des caractéristiques
de ce modèle est qu'à la différence des autres, il ne peut guère s'envisager
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comme un ensemble cohérent et formalisé de dispositifs ; de plus, il ne


désigne pas d'acteur particulier pour prendre en charge la politique de ges-
tion des ressources humaines. Il est donc marqué par une très grande vola-
tilité, qui peut le faire dériver à tout moment vers les autres modèles.

1.2. Relations entre configurations organisationnelles


et modèles d e GRH

Examinons à présent les continuités logiques que l'on peut établir entre
configurations organisationnelles et modèles de GRH, en complétant et
en amplifiant le travail entrepris à cet égard par Begin (1993).
Dans une configuration entrepreneuriale, un modèle arbitraire de
GRH n'est pas surprenant dans la mesure où la toute-puissance du leader
charismatique y fonde l'absence de recours à des critères formalisés. Dans
une configuration bureaucratique, c'est sans aucun doute un modèle
objectivant qu'on est davantage susceptible de rencontrer : la présence
d'analystes en charge de la standardisation des procédés ou des résultats y
est à l'origine de la définition de critères imposés indistinctement à tous les
membres de l'organisation. Dans une configuration missionnaire, la pré-
gnance de la mission, créant l'apparence d'une forte décentralisation de la
prise de décision, oblitère la question de la GRH, si bien que celle-ci appa-
raît sur un mode implicite, sans désigner d'acteur particulier, résultat
d'une auto-référence permanente aux valeurs (modèle valoriel). Dans une
configuration professionnelle, la définition collective de normes à la suite
de débats contradictoires apparaît comme le seul principe acceptable de
coexistence entre des experts jouissant par ailleurs d'une très grande auto-
nomie opérationnelle (modèle conventionnaliste). Dans une adhocratie
enfin, on peut s'attendre à retrouver un modèle de GRH plus individuali-
sant, avec son mélange caractéristique de différenciation - en vue de satis-
faire les aspirations d'autonomie professionnelle des opérateurs qualifiés
- et d'intégration (culture d'entreprise, formation, etc.) - portée davan-
tage par les responsables hiérarchiques et destinée à lutter contre les ten-
dances centrifuges inhérentes à ce type de configuration.
Les diverses relations qui viennent d'être établies ne procèdent pas de
la simple spéculation. L'analogie ne peut prétendre au statut d'explication
scientifique qu'en démasquant un lien de parenté étroit, une « charnière »,
entre les variables rapprochées (De Coster, 1978). Cette parenté nous
paraît concrétisée à travers la question de l'acteur dominant dans chaque
configuration organisationnelle. Nous avons montré ailleurs (Nizet et
Pichault, 1995) qu'une configuration était marquée par de multiples inter-
actions entre facteurs politiques et paramètres organisationnels, les pre-
miers étant à l'origine du choix des seconds, mais ce choix conditionnant
en retour la distribution du pouvoir et, par conséquent, la nature des rap-
ports de force susceptibles de s'y développer. C'est à travers un tel va-et-
vient qu'une configuration reste stable, pendant des périodes plus ou
moins longues, avant de connaître des mutations structurelles plus ou
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moins profondes. La prédominance de certaines catégories d'acteurs con-


duit logiquement à la primauté de certaines conceptions du lien de subor-
dination, ou encore de certaines visions de la fonction RH. Un tel raison-
nement pose donc clairement les modèles de GRH en variables
dépendantes des configurations organisationnelles (Pichault, 1995).
L'ensemble de ces relations est récapitulé dans le tableau suivant.

Tableau 1. - Relations entre configurations organisationnelles


et modèles de GRH

Configurations Acteurs dominants Modèles de GRH


Entrepreneuriale sommet stratégique arbitraire
Bureaucratique analystes de la technostructure objectivant
Professionnelle opérateurs qualifiés conventionnaliste
Missionnaire pas d'acteur formellement désigné valoriel
Adhocratique opérateurs qualifiés/ligne hiérarchique individualisant

1.3. Continuités logiques et discontinuités chronologiques

Les corrélations logiques ainsi établies entre configurations organisation-


nelles et modèles de G R H ne sont pas nécessairement rencontrées dans les
faits. U n des facteurs explicatifs d'une telle discontinuité tient au décalage
temporel qui peut s'introduire entre ces deux catégories de variables. Tantôt
le modèle de G R H peut évoluer, en laissant la configuration organisation-
nelle inchangée ; tantôt la mutation de structure organisationnelle s'opère
sans adaptation aucune du modèle de G R H . On peut ainsi observer des équi-
pes dirigeantes se lancer tête baissée dans des programmes de modernisation
qui ne touchent guère aux éléments organisationnels (division du travail,
répartition du pouvoir, centralisation de la prise de décision, etc.) et sont
essentiellement portés par des initiatives en matière de G R H : ces dernières
leur garantissent une plus grande visibilité d'effets et une immédiateté dans
l'obtention de résultats, tout en leur donnant l'illusion d'une relative maîtrise
du processus ainsi enclenché. Dans d'autres cas, on peut au contraire assister
à d'importants changements structurels liés au passage d'une configuration à
l'autre - par exemple, à la suite d'un processus d'automatisation - tout en
conservant la conception des rapports sociaux - ou encore la fonction R H -
qui avait cours dans l'ancienne structure organisationnelle.
Les situations de discontinuité temporelle sont donc fréquentes. Nos
propres recherches (Brouwers et al., 1994 ; Brouwers et al., 1997 ; Cornet
et Pichault, 1993 ; Pichault, 1993 ; Rousseau et W a r n o t t e , 1994) nous ont
permis de dégager en la matière un certain n o m b r e de variantes :
- la P M E de type entrepreurial amenée, à la suite d ' u n e phase d'expan-
sion et d'intégration dans un groupe industriel, à se d o t e r d'outils de G R H
de plus en plus formalisés (objectivation) ;
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- l'entreprise bureaucratique cherchant à revitaliser son mode de fonc-


t i o n n e m e n t traditionnel par la mise en œuvre d'un modèle de G R H
individualisant ;
- la structure adhocratique, composée de professionnels qualifiés, qui
se voit contrainte de r é p o n d r e aux exigences de rationalisation imposées
par ses actionnaires en adoptant des mesures d'objectivation de la G R H .
MacKintosh, Jarvis et Heery (1994) ont quant à eux observé les mouve-
ments de rationalisation auxquels sont soumises les institutions d'ensei-
g n e m e n t supérieur britanniques. Ils dégagent ainsi les dilemmes de la
G R H dans des organisations qu'ils qualifient d'hybrides : divergence des
pratiques de rémunération, d é d o u b l e m e n t des statuts du personnel, etc.
Ces dilemmes peuvent s'envisager en termes d'interpénétration des modè-
les conventionnel (liberté de prester des activités de consultance ou de for-
mation en sus des tâches habituelles, rémunération à la carte) et objecti-
vant (temps de travail étroitement délimité, r é m u n é r a t i o n définie a priori)
dans le cadre de configurations professionnelles.
Q u a n t au modèle valoriel, nous avons insisté plus haut sur son extrême
volatilité. Les cas a b o n d e n t (Dieu, 1996) d'organisations missionnaires
confrontées à la difficile intégration de professionnels salariés et contrain-
tes à adopter, en raison des subventions publiques qui leur sont accordées,
un modèle de G R H de plus en plus objectivant.
Les situations de discontinuité temporelle entre configurations organi-
sationnelles et modèles de G R H sont fréquentes. Sans s'engager nécessai-
r e m e n t dans une perspective normative, leur prise en compte analytique
p e r m e t de mieux a p p r é h e n d e r la forme et le sens des conflits qui naissent
inévitablement a u t o u r d ' u n processus de changement. Nous disposons par
conséquent d ' u n cadre d'analyse utile pour nos investigations.

2. La GRH f a c e à la d i v e r s i t é d e s f a c t e u r s d e c o n t i n g e n c e

Jusqu'à présent, l'approche contingente nous a conduits à établir des rela-


tions de dépendance entre deux variables : les configurations organisation-
nelles et les modèles de G R H . Nous devons cependant reconnaître que les
modèles de G R H ne dépendent pas seulement du contexte organisationnel
et que d'autres facteurs de contingence méritent d'être pris en considération.
Nous évoluons ainsi vers un schéma d'analyse beaucoup plus complexe.
Quels sont les facteurs contingents à prendre en compte de manière
pertinente ? Il apparaît utile à cet égard de prolonger la réflexion que nous
avons m e n é e à propos des processus de changement, dans la mesure où
l ' a b o n d a n t e littérature qui leur est consacrée élargit précisément le champ
des facteurs explicatifs.
D ' o ù provient le changement ? Selon les travaux auxquels on se réfère,
il est le fruit d ' u n e mutation des structures internes (le cas de Massey-Fer-
gusson évoqué par Hafsi et Demers, 1989) ; il résulte de la mise en œuvre
de grandes décisions stratégiques (le cas classique de D u Pont analysé par
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Chandler, 1962) ; ou d'une adaptation à des variations de l'environnement


(l'échantillon de 81 entreprises constitué par Miller et Friesen, 1984). Tou-
tefois, ne peut-on pas considérer, par exemple, que les décisions stratégi-
ques sont elles-mêmes influencées, dans une large mesure, par les varia-
tions de l'environnement et qu'elles conduisent à leur tour à des
modifications de structure ? N'y a-t-il pas, en d'autres termes, des relations
réciproques entre ces différents pôles ?
Dans cette perspective contingente, il nous paraît dès lors pertinent
d'évoquer - au même titre que les structures organisationnelles -
l'influence de l'environnement et des orientations stratégiques de l'orga-
nisation sur sa politique de GRH. Nous nous baserons essentiellement sur
des études empiriques, aussi bien quantitatives que qualitatives, disponi-
bles dans la littérature. Il est évident que ces études ne recourent pas à la
typologie des modèles de GRH qui vient d'être présentée. Nous nous
livrons donc à une interprétation des résultats de ces études à la lumière
de notre typologie : exercice périlleux s'il en est, dont il faut souligner le
caractère encore largement exploratoire et qu'il faudra entourer de toutes
les précautions méthodologiques nécessaires.

2.1. L'influence de l'environnement


En suivant Wils, Le Louarn et Guérin (1991), certains traits de l'envi-
ronnement retiendront ici notre attention dans la mesure où ils exercent
une influence spécifique sur l'adoption de tel ou tel modèle de GRH : le
marché du travail, la politique de réglementation sociale en vigueur, le
marché des biens et services concerné et le contexte culturel. La plupart
de ces traits peuvent se référer à la fois au contexte national et au contexte
sectoriel dans lequel se trouve l'organisation considérée.

2.1.1. Le marché du travail


Plusieurs composantes du marché du travail peuvent être prises en
considération : la qualification, l'âge, le degré de féminisation, le caractère
multiethnique de la main-d'œuvre (Wils, Le Louarn et Guérin, 1991).
Nous nous intéresserons plus particulièrement ici à la question des quali-
fications. Il est vraisemblable que la faible qualification de la main-
d'œuvre soit favorable au développement des modèles arbitraire et objec-
tivant, où la mobilisation des compétences n'occupe guère de place
centrale ; en revanche, plus on est en présence d'une force de travail jeune
et fortement qualifiée, plus les modèles individualisant, valoriels ou con-
ventionnaliste risquent d'être dominants.
Ces influences sont cependant loin d'être mécaniques. Une intéressante
étude de Tannenbaum et Dupuree-Bruno (1994), centrée sur les percep-
tions de l'environnement par les responsables des ressources humaines
d'organismes publics, tend à montrer que plus ces responsables craignent
d'être confrontés à une faible disponibilité de main-d'œuvre qualifiée
(skill shortages), plus ils sont enclins à développer des innovations en
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matière de recrutement et de formation (ce qui rejoindrait notre modèle


individualisant). Cette tendance n'est pas propre aux organismes publics :
elle est également observée par les travaux de Sparrow et Hiltrop (1994,
p. 326-328) ou encore par l'étude de Bunt et al. (1990) montrant que les
processus de sélection s'assouplissent dans une situation de faible disponi-
bilité de la main-d'œuvre.

2.1.2. La réglementation sociale


L'intervention publique dans le domaine de la législation sociale a long-
temps donné la primauté au modèle objectivant : barèmes salariaux fixés
par convention collective, gestion des départs soumise à des règles strictes
de négociation, temps de travail étroitement défini, information obliga-
toire du personnel via le conseil d'entreprise dans les organisations d'une
certaine taille, etc. Il faut cependant souligner la tendance, très significa-
tive en Europe depuis les années '80, à la décentralisation de la négocia-
tion collective, relevée par diverses enquêtes (Sparrow et Hiltrop, 1994,
p. 596-602 ; Amadieu et Groux, 1996). Une telle décentralisation de la
négociation a contribué à un certain dépérissement du modèle objectivant,
taxé de rigidité et de centralisme, et a accéléré la mise en place des condi-
tions nécessaires à l'individualisation.
Toutefois, ces évolutions globales du mode d'intervention réglemen-
taire des pouvoirs publics n'empêchent pas l'existence de situations natio-
nales et/ou sectorielles spécifiques. Ainsi, dans les cas où le cadre législatif
n'imposait, jusqu'à présent, que très peu de contraintes formelles - qu'il
s'agisse d'objectivation ou d'individualisation -, ce sont les modèles arbi-
traire ou conventionnaliste qui obtiennent la part belle. Le modèle arbi-
traire est ainsi plus probable dans un pays comme la Grèce, où les entre-
prises nationales se caractérisent par une faible systématisation des
modes d'appréciation du personnel par rapport aux compagnies étrangè-
res (Papalexandris, 1991) ; où la formation continue à s'effectuer majori-
tairement sur le tas (Sparrow et Hiltrop, 1994, p. 389) ; où le taux de syn-
dicalisation est relativement faible, etc. Le modèle conventionnaliste
risque de se rencontrer davantage dans les pays (Grande-Bretagne, États-
Unis) et les secteurs d'activité (à dominante professionnelle) où la tradi-
tion contractuelle est forte : Macdonald (1995) montre ainsi combien la
poursuite, par une corporation, d'un « projet professionnel » fort (méde-
cins, juristes, architectes, etc.) lui garantit, dans les institutions où elle pré-
domine, une sphère d'autonomie essentiellement régulée par les relations
entre pairs.

2.1.3. Les caractéristiques du marché des biens et services


La majeure partie de la littérature empirique consacrée aux relations
marché/GRH se concentre sur l'état de la demande. Plusieurs études rap-
portent que le déclin de la demande favorise, dans une certaine mesure, le
modèle objectivant. À la suite de Cameron et al. (1987), Schwoerer et al.
(1995) montrent ainsi, sur la base d'une enquête par questionnaire auprès
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de 785 responsables de ressources humaines, que les périodes de dépression


renforcent la probabilité de décisions impopulaires et donc de conflits, ce
qui conduit à institutionnaliser davantage les relations employeurs/
employés. De son côté, l'étude de Wagar (1997) auprès de 1 150 employeurs
des secteurs public et privé canadiens établit que le taux de syndicalisation
est nettement plus élevé dans les secteurs en déclin, ce qui conduit vraisem-
blablement à la prédominance de l'objectivation.
D'autres caractéristiques du marché méritent évidemment d'être prises
en compte, mais elles renvoient en fait à certains modes de fonctionne-
ment organisationnel. Ainsi, la stabilité du marché, définie comme la pré-
visibilité de ses évolutions (Nizet et Pichault, 1995), favorise sans aucun
doute - comme le suggère Begin (1993) - les modèles les plus « routini-
sés » (objectivant et conventionnaliste), tandis que l'imprévisibilité et le
caractère dynamique du marché conduiraient davantage aux modèles
arbitraire et individualisant, réputés plus souples.
2.1.4. Les valeurs culturelles
Comme le notent Wils, Le Louarn et Guérin, « l'environnement
externe d'une organisation comprend aussi les valeurs dominantes de la
société à une époque donnée ainsi que les attitudes, aspirations et compor-
tements des gens » (1991, p. 154). En recourant aux célèbres enquêtes
d'Hofstede (1991), on peut faire l'hypothèse que l'accroissement du
niveau d'individualisme - recherche de l'autonomie, poursuite de l'intérêt
personnel -, lié généralement à une qualification élevée de la main-
d'œuvre, favorise logiquement le modèle individualisant, notamment sur
le plan de la gestion des entrées, de l'évaluation et de la rémunération
(Hofstede, 1991, p. 61-65).
Quant à la distance élevée à l'autorité, elle justifie en quelque sorte le
recours au modèle objectivant : les différences salariales sont alors figées
dans des grilles barémiques, la communication est majoritairement des-
cendante, l'évaluation par objectifs est difficilement praticable puisqu'elle
suppose une certaine décentralisation des négociations (Hofstede, 1991,
p. 35-37).
La propension à éviter l'incertitude plaide également en faveur du
modèle le plus étroitement régulé de gestion des ressources humaines
(objectivant) même si, comme le remarque d'Iribarne (1989) dans son
analyse comparative de firmes situées en France, aux États-Unis et aux
Pays-Bas, ces règles ne sont pas toujours respectées dans les faits. Quant à
la tendance inverse (propension élevée à la prise de risque), elle s'accom-
mode davantage de modèles basés sur les conventions ou les accords inter-
personnels, de type conventionnaliste ou individualisant (Hofstede, 1991,
p. 121).
Enfin, le degré élevé de féminité - qui se manifeste par l'attention por-
tée à l'équilibre vie privée/vie professionnelle, au climat social agréable, à
l'épanouissement dans le travail, etc. - conduira vraisemblablement à pri-
vilégier le modèle valoriel, le plus susceptible de procurer une signification
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importante au travail effectué. À l'inverse, l'enquête d'Hofstede montre


que l'individualisation de la gestion des ressources humaines (notamment,
la promotion et la rémunération au mérite) se rencontre davantage dans
les cultures masculines, valorisant la réussite professionnelle, le défi, la
performance, etc. (1991, p. 94).

2.2. L'influence d e s stratégies organisationnelles

La notion de stratégie est largement utilisée dans le domaine de la ges-


tion. Elle désigne les décisions importantes prises par les responsables des
entreprises : des décisions qui ont des effets à long terme et qui impliquent
de fortes ressources financières, matérielles, humaines, etc. (Purcell et
Alstrand, 1994, p. 27-29). Nombreux sont les travaux en matière de GRH
qui insistent sur la nécessité d'établir un lien entre la stratégie d'une entre-
prise, d'une part, et le développement et l'utilisation des ressources
humaines, de l'autre (Purcell, 1995, p. 63). C'est d'ailleurs une des raisons
pour lesquelles les auteurs, en particulier américains, parlent de gestion
stratégique des ressources humaines (Beaumont, 1993, p. 16-18 ; Beau-
mont, 1994, p. 23).
Notre propos n'est pas d'emboîter le pas de ces considérations prescrip-
tives, mais bien d'examiner, à partir de la littérature plus descriptive, les
liens existant, dans les faits, entre GRH et stratégie d'entreprise. Plus pré-
cisément, nous nous intéresserons aux travaux qui distinguent différentes
stratégies d'entreprise et qui examinent en quoi elles influencent les poli-
tiques ou pratiques de GRH.
Il importe de préciser davantage la notion de stratégie utilisée ici. Une
première distinction s'impose entre les stratégies d'affaires, qui concer-
nent davantage les unités de production d'un bien ou d'un service, et les
stratégies de groupes, qui se réfèrent davantage au niveau décisionnel
supérieur d'une organisation multidivisionelle (corporate).

2.2.1. L 'alignement par rapport aux stratégies d'affaires


En nous référant au travail conceptuel réalisé par Miller (1996) et
Youndt et al. (1996) à partir des typologies de Miles et Snow (1978) et Por-
ter (1980), nous pouvons distinguer différents types de stratégies d'affai-
res :
- la différenciation qui vise à doter le produit d'une attractivité par-
ticulière, soit en innovant de manière systématique, soit en travaillant
son image de marque et sa présentation (prospector chez Miles et
Snow) ;
- la qualité qui tente d'accroître la satisfaction des clients par une amé-
lioration des processus de production ;
- le leadership des coûts qui cherche les économies d'échelle et la mini-
misation des dépenses de toute nature pour faire face à la concurrence
(defender chez Miles et Snow) ;
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- la flexibilité qui concentre les efforts organisationnels sur la capacité


d'adaptation aux besoins du marché par le recours à l'innovation de pro-
cédés.

Signalons, une fois encore, qu'une large partie de la littérature consa-


crée à ces questions est dominée par des propos prescriptifs, tant sur le
plan de la formulation de la stratégie que sur celui de la nécessaire adap-
tation des politiques de GRH. Dans le cas de quelques travaux plus empi-
riques, c'est davantage la question de la performance des entreprises qui
prend le dessus. Plus précisément, de telles études, menées pour la plupart
sur une base quantitative, s'interrogent sur les liens entre pratiques de
GRH et performances des entreprises. À partir d'une enquête par ques-
tionnaire auprès de 216 responsables de ressources humaines de banques
nord-américaines, Delery et Doty (1996) s'interrogent ainsi sur le type de
gestion des ressources humaine le mieux adapté, en termes de performan-
ces, aux stratégies de type prospector et defender notamment. De leur
côté, Youndt et al. (1996) ont mené, via questionnaires, une démarche
similaire auprès des dirigeants d'une centaine d'unités de production.
Lorsque l'organisation adopte une stratégie de différenciation (prospec-
tor), Delery et Doty (1996) établissent la supériorité, en termes de perfor-
mances financières, d'un modèle de GRH où l'évaluation est basée sur les
performances personnelles, où la mobilité est articulée autour de plans de
carrière valorisant les compétences, où la participation syndicale est relati-
vement faible, etc. : nous ne sommes pas loin du modèle que nous avons
qualifié d'individualisant. Les propos prescriptifs de Bolwijn et Kumpe
(1996) vont dans le même sens. La firme qu'ils qualifient d'innovante, cen-
trée sur des stratégies de différenciation, tend à privilégier des dimensions
telles que l'écoute, la créativité, la prise de responsabilité, la communication
ouverte, le partage d'information, la participation, la récompense de l'effort
individuel, etc. Ces dimensions renvoient incontestablement au modèle
individualisant, et sans doute aussi au modèle valoriel.
Qu'en est-il lorsque l'organisation privilégie une stratégie de qualité ?
Selon Youndt et al., (1996), les performances sont alors significativement
améliorées par des pratiques de GRH qui s'apparentent au modèle
individualisant : un mode de sélection favorisant l'aptitude à résoudre les
problèmes, un système d'évaluation centré sur les comportements et
conçu dans une optique de développement personnel, une rémunération
basée sur les compétences, etc. (Youndt et al., 1996, p. 850). Selon les pres-
criptions de Schuler et Jackson (1987), la stratégie « qualité » est égale-
ment associée à un mode de gestion des ressources humaines caractérisé
par le principe de l'expression directe des employés, une appréciation des
performances combinant des objectifs de groupe et des objectifs indivi-
duels, la formation continue, une politique active de développement de
carrière, etc.
Selon l'enquête de Delery et Doty (1996), dans le cas où l'organisation
s'oriente vers une stratégie de leadership des coûts, centrée essentielle-
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ment sur les gains de productivité et le raccourcissement des cycles de pro-


duction, les performances financières semblent optimisées avec l'adoption
d'un modèle de type objectivant : évaluation basée sur des critères unifor-
mes de comportement, prédominance du principe de représentation dans
les rapports employeurs/employés, limitation des possibilités de dévelop-
pement interne, etc. Bolwijn et Kumpe (1996) parlent à ce sujet de firme
efficiente - par opposition au modèle de la firme innovante - qui privilégie
les descriptions de fonctions détaillées, les programmes de formation spé-
cialisés et fonctionnels, les contrôles impersonnels, une logique d'opposi-
tion institutionnelle syndicat/patronat, etc.
Youndt et al. (1996, p. 853) aboutissent à des résultats similaires,
aussi bien pour les stratégies de leadership des coûts que pour les stra-
tégies de flexibilité. Ce sont alors des pratiques relevant d'une G R H
qu'ils qualifient « d'administrative » - proche du modèle objectivant -
qui vont de pair avec une performance élevée : sélection basée essen-
tiellement sur des capacités comportementales, formation procédurale,
évaluation des performances quantitatives, rémunération en fonction
du temps, etc. Ces liens sont toutefois moins forts que dans le cas de la
stratégie de qualité.
Nous avons présenté jusqu'à présent les stratégies de manière univo-
que : des combinaisons peuvent évidemment avoir lieu entre elles. Ainsi,
il n'est pas impossible que l'entreprise ayant adopté une stratégie de qua-
lité soit également tentée par le leadership des coûts, ce qui la conduit
alors à opérer des compromis entre les modèles individualisant et objecti-
vant (Bolwijn et Kumpe, 1996, p. 166) : toutefois, la prédominance de la
logique de l'efficience laisse moins de place aux dispositifs d'intégration
caractéristiques du premier modèle (culture d'entreprise, incentives
divers, politiques actives de formation et de communication, etc.), sans
doute considérés comme des coûts inutiles face à la pression de la concur-
rence. Ce genre de compromis est également observable dans les configu-
rations professionnelles soumises à des mouvements de rationalisation.
MacKintosh, Jarvis et Heery (1994) ont ainsi dégagé les dilemmes de la
GRH dans des institutions d'enseignement supérieur qu'ils qualifient
d'hybrides : divergence des pratiques de rémunération, dédoublement des
statuts du personnel, etc. Ces dilemmes peuvent s'envisager en termes
d'interpénétration des modèles conventionnel (liberté de prester des acti-
vités de consultance ou de formation en sus des tâches habituelles, rému-
nération à la carte) et objectivant (temps de travail étroitement délimité,
rémunération définie a priori).

2.2.2. L 'alignement par rapport aux stratégies de groupes


Au cours des dernières décennies, bon nombre d'entreprises ont aug-
menté leur taille, se sont diversifiées, ou encore ont été rachetées par
d'autres, si bien que l'on a affaire dans bien des cas à des groupes indus-
triels, souvent multinationaux, qui adoptent généralement une structure
divisionnalisée (Chandler, 1962 ; Purcell, 1995, p. 64-66).
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Certaines recherches adoptent ainsi un niveau d'analyse plus « macro »


en s'intéressant aux stratégies définies aux niveaux les plus élevés, celui de
la direction des groupes industriels, et aux répercussions qu'elles ont sur
les pratiques de GRH des unités de production. Nous nous intéresserons
particulièrement aux travaux de Purcell et Ahlstrand (Purcell et Ahls-
trand, 1994 ; Purcell, 1995). Ces auteurs ont mené pendant une dizaine
d'années des études de cas approfondies et des interventions dans des
groupes industriels multinationaux dont la direction se situe surtout en
Grande Bretagne ; ils croisent leurs résultats qualitatifs avec les résultats
d'enquêtes quantitatives réalisées par d'autres chercheurs.
Concernant les stratégies des groupes industriels, Purcell et Ahlstrand
(1995) adoptent une distinction classique. Elle oppose d'un côté les groupes
qui acquièrent, développent, revendent, etc. des entreprises en fonction des
gains financiers que ces opérations permettent de réaliser. La direction du
groupe se limite alors à imposer aux niveaux inférieurs des objectifs finan-
ciers à atteindre à relativement court terme ; elle ne tire donc pas parti des
interdépendances entre divisions ou entre unités. En conséquence, l'auto-
nomie des divisions et des entreprises est relativement forte : on observe
dans ce premier type de groupes industriels une relative décentralisation.
L'autre type de stratégies est le fait des groupes qui recherchent des
synergies entre leurs diverses composantes : synergies liées à des formes
d'intégration verticale (le fait de contrôler les différents étapes de la pro-
duction et de la commercialisation d'un produit ou d'un service), ou
d'intégration horizontale (par le recours à une même technologie ou à un
même réseau de distribution, etc.), ou encore d'intégration spatiale (par
des économies d'échelle liées à la présence de l'entreprise dans différentes
régions, dans différents pays, etc.). Dans ce second type de stratégies,
l'intervention des dirigeants du groupe ne se limite pas à un contrôle finan-
cier, mais concerne également d'autres matières telles que les produits, les
marchés, etc. La centralisation est donc plus importante (Purcell et Ahls-
trand, 1994, p. 52-53 ; Purcell, 1995, p. 698-70).
Certes, peu nombreux sont les groupes qui recourent exclusivement à
une stratégie financière ou à une stratégie de synergie ; la plupart combi-
nent les deux, ou encore oscillent au cours du temps entre l'une et l'autre.
On observe toutefois des dominantes, avec des répercussions potentielle-
ment différentes sur les ressources humaines.
Là où prévaut une stratégie financière, la relative décentralisation qui
est de mise dans la plupart des matières (autres que financières) s'observe
aussi dans le domaine des ressources humaines (Purcell, 1995, p. 72-73).
Toutefois, si « dans les unités décentralisées, les dirigeants peuvent être
« libres » de faire ce qu'ils souhaitent en matière de gestion des ressources
humaines, les exigences financières qu'ils doivent satisfaire limitent forte-
ment leurs possibilités, puisque tout investissement dans le domaine
humain se traduit par un coût qui se reflète dans la mesure de la
performance » (Purcell et Ahlstrand, 1994, p. 77). Quelles orientations les
pratiques de GRH prennent-elles, dans ce contexte ?
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Une première orientation va dans le sens de la décentralisation des rela-


tions collectives de travail. Plusieurs facteurs y conduisent, parmi lesquels la
création d'unités de production autonomes, de « centres de profit », etc.
Cette décentralisation rencontre souvent l'opposition des organisations syn-
dicales. Une autre orientation de la GRH est la mise en place de dispositifs
qui visent à favoriser l'implication individuelle des travailleurs, leur adhé-
sion, voire leur identification à l'entreprise et à sa politique de réduction des
coûts et d'accroissement de la productivité (Purcell et Ahlstrand, 1994,
p. 76). D'une manière générale, ces différentes orientations contribuent à
renforcer les situations d'hybridation par la juxtaposition, au sein d'un
même ensemble industriel, de différents modèles de GRH (Wolf, 1997).
Lorsque la stratégie du groupe vise au contraire les synergies, les res-
sources humaines peuvent être, dans des rares cas, directement concer-
nées. Les auteurs citent l'exemple d'une chaîne d'hôtels de luxe qui s'est
développée à un niveau international en misant sur la qualité du service à
la clientèle. Dans ces cas, la politique de GRH est développée à un niveau
centralisé et l'on retrouve l'influence directe des stratégies d'affaires adop-
tées, telles que nous les avons évoquées précédemment : différenciation,
qualité, leadership des coûts, flexibilité.
Outre les deux stratégies de groupes répertoriées par Purcell et Ahls-
trand (1994), nous proposons d'en considérer ici une troisième, dans un con-
texte de recentrage sur le « métier de base » : la stratégie de focalisation, qui
concentre les efforts organisationnels sur un type particulier de client, de
produit ou de territoire. Nous avons mené à cet égard trois études de cas lon-
gitudinales sur des entreprises en restructuration (Pichault, Warnotte et
Wilkin, 1998) où l'on voit que de telles stratégies conduisent l'organisation
concernée, particulièrement dans les secteurs industriels traditionnels, à res-
serrer son enveloppe autour d'un noyau de travailleurs bénéficiant d'un
modèle de GRH objectivant, tandis que se développent des relations de
sous-traitance et d'externalisation avec des partenaires pour qui la frontière
entre modèles arbitraire et individualisant n'est plus très nette (Paché,
1995). Cette situation est communément désignée en terme de dualisation
du marché du travail (Paradeise, 1988 ; Galambaud, 1994).
Signalons enfin que la congruence, ainsi validée ou postulée, entre stra-
tégies organisationnelles et politiques de GRH, est l'objet d'observations
empiriques contradictoires. Les uns (Hiltrop, 1996) tendent à dégager à
cet égard des corrélations positives tandis que d'autres (Legge, 1995 ;
Schwoerer et al., 1995 ; Delery et Doty, 1996) montrent que l'impact des
stratégies sur la politique de GRH est relativement faible, arguant que les
valeurs culturelles et la réglementation en vigueur dans l'environnement
de la firme sont sans doute plus prégnantes à cet égard que l'adoption de
telle ou telle stratégie particulière.
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3. L'éclatement expliqué ?
D'après la discussion qui précède, nous sommes donc en mesure de ren-
dre compte de l'éclatement actuel des pratiques de GRH, en esquissant
une explication basée sur la cooccurrence de multiples facteurs contin-
gents. Il faut toutefois rappeler que de telles relations sont formulées à
titre purement exploratoire : d'une part, elles posent évidemment la ques-
tion de la validité des études auxquelles nous nous sommes référés ;
d'autre part, elles sont aussi dépendantes du travail interprétatif auquel
nous nous sommes livrés, dans la plupart des cas, pour mettre les résultats
de ces études en correspondance avec notre typologie des modèles de
GRH. Les principales relations synthétisées ci-dessous doivent dès lors
être envisagées avec toute la prudence nécessaire.
L'adoption d'un modèle arbitraire semble favorisée par :
- la présence d'une structure entrepreneuriale ;
- une faible prégnance de la législation sociale sur le marché du travail ;
- une forte instabilité du marché des biens et services ;
- une stratégie d'affaires orientée vers la flexibilité.
Les tendances à l'objectivation paraissent liées à :
- la présence d'une structure bureaucratique ;
- une forte prégnance de la législation sociale sur le marché du travail ;
- une situation de déclin des activités ;
- une forte stabilité du marché des biens et services ;
- un contexte culturel valorisant la distance à l'autorité et l'évitement
de l'incertitude ;
- une stratégie d'affaires orientée vers le leadership des coûts et/ou la
flexibilité ;
- une stratégie de groupe privilégiant la focalisation.
L'apparition d'un modèle conventionnaliste pourrait davantage repo-
ser sur :
- la présence d'une structure professionnelle ;
- une faible prégnance de la législation sociale sur le marché du travail ;
- une forte stabilité du marché des biens et services ;
- un contexte culturel valorisant la prise de risque.
Le développement d'un modèle valoriel est susceptible d'être influencé
par :
- la présence d'une structure missionnaire ;
- un contexte culturel valorisant la féminité ;
- une stratégie d'affaires orientée vers la qualité et/ou l'innovation.
Les tendances à l'individualisation sont potentiellement renforcées
par :
- la présence d'une structure adhocratique ;
- une faible disponibilité de la main-d'œuvre qualifiée sur le marché du
travail ;
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- une forte prégnance de la législation sociale, organisant la décentra-


lisation de la négociation ;
- une forte instabilité du marché des biens et services ;
- un contexte culturel valorisant l'individualisme, la prise de risque et
la masculinité ;
- une stratégie d'affaires orientée vers la qualité et/ou l'innovation.

En conséquence, l'éclatement apparent de la GRH résulterait moins


d'un déficit de la pensée analytique que de la prolifération des influences
qui s'exercent sur ce domaine. Prenons un exemple concret : dans un con-
texte marqué à la fois par une structure bureaucratique, une faible dispo-
nibilité de la main-d'œuvre qualifiée sur le marché du travail, une techno-
logie de production en continu et une stratégie privilégiant la qualité, les
pratiques de GRH ne peuvent que refléter ces influences contradictoires
et aboutir à des compromis entre différents modèles. Telle est sans doute
la raison pour laquelle la question de l'hybridation devient centrale dans
l'étude des organisations contemporaines (Louart, 1996).

4. Une première confrontation empirique

Nous allons à présent tenter une première confrontation du raisonne-


ment proposé dans le cadre de cet article avec un cas issu de nos recher-
ches récentes. Il s'agit d'une petite entreprise belge du secteur agroalimen-
taire, dans laquelle nous avons réalisé pendant plus de 6 mois une
quarantaine d'interviews approfondies auprès de l'ensemble des membres
du comité de direction et des responsables opérationnels, de plus d'une
vingtaine d'ouvriers et de représentants syndicaux.
Fondée en 1935, la société Paturabel était à ses débuts une entreprise
familiale de négoce de beurre de laiterie. C'est au début des années 60 que
son fondateur, conscient de l'essor possible que représente ce nouveau
produit, décide de s'attacher à développer le secteur de la Matière Grasse
Laitière Anhydre (MGLA), ce qui lui permettra dans les années 70 de
conquérir le marché européen et de mettre en place des unités de produc-
tion et de commercialisation partout en Europe. À cette époque, la société
Paturabel produit et commercialise uniquement une gamme de produits
spécifiques adaptés aux besoins des industriels (glaciers, boulangers, pâtis-
siers, chocolatiers, etc.). C'est à partir de 1985 que l'entreprise se lance
dans la production et la commercialisation d'une gamme complète de pro-
duits adaptés aux goûts et aux besoins du consommateur final (beurre
allégé, frigotartinable, pauvre en cholestérol, etc.). L'année 1990 fait date
dans l'histoire de la société : entreprise familiale depuis sa fondation, la
société Paturabel devient une division du groupe français « Union
Beurrière ». Elle deviendra en 1992 une filiale à part entière de la Compa-
gnie Européenne de Beurre, elle-même dirigée par le groupe Fromabel.
Début de l'année 1994, le comité de direction de la société décide d'entrer
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dans une démarche d'assurance qualité en utilisant la norme ISO 9002


comme modèle. Il nomme ainsi un responsable Assurance Qualité qui,
après une période de formation, sera chargé de l'écriture des procédures
administratives et industrielles.
L'entreprise compte à l'heure actuelle un effectif d'un peu moins de 400
personnes (240 ouvriers ; 150 employés, cadres et dirigeants). Le volume
et la nature de la production sont établis par le responsable du service
plan. En effet, c'est lui qui élabore le planning de production pour la
semaine à venir en se basant sur les prévisions de vente, sur le niveau de
stock des produits finis, des matières premières, des consommables et des
en-cours de fabrication. Notons que pour honorer ce planning de produc-
tion, des mouvements de personnel sont régulièrement nécessaires.
De façon globale, le degré d'automatisation du processus de production
est relativement élevé. Il varie en fait selon le type de produit à réaliser :
sur les lignes entièrement automatisées, le travail de l'opérateur consiste à
programmer et surveiller la machine en respectant les consignes indiquées
sur la feuille de route qui lui est transmise chaque jour par le service pla-
nification. Sur les lignes semi-automatisées, l'opérateur bénéficie d'une
certaine marge de manœuvre et peut, s'il le juge nécessaire, intervenir sur
le processus pour s'écarter quelque peu des directives consignées sur la
feuille de route. C'est précisément ces écarts par rapport à la norme que le
processus de certification tente d'enrayer en mettant par écrit les différen-
tes méthodes de travail et en tentant de sélectionner celle qui est considé-
rée unanimement de meilleure qualité.
Un système de classification de fonctions existe pour le personnel
ouvrier chez Paturabel depuis la fin des années 80. La mise en place de ce
système a nécessité une analyse minutieuse des différents postes de travail.
C'est ainsi que chaque fonction présente au sein de l'entreprise a fait
l'objet d'une description relativement précise et s'est vue attribuer une
classe qui fixe le niveau de rémunération. Bien entendu, les fonctions de
brigadier - qui se caractérisent par la maîtrise parfaite d'un poste de tra-
vail et la connaissance d'un ou de deux postes supplémentaires - ont
obtenu la classe la plus élevée. Les postes d'opérateurs ont ensuite été
classés en tenant compte de leur difficulté technique et du niveau d'exper-
tise requis pour la conduite de ces postes. La mise en œuvre de ce système
de classification ne s'est pas faite sans heurts : à la suite des revendications
syndicales, certaines fonctions ont été « réévaluées » et ont ainsi obtenu la
même classe que les fonctions de brigadier sans pour autant nécessiter le
même degré de polyvalence. D'autres aménagements à la marge ont eu
lieu au fil du temps, ce qui suscite aujourd'hui un mouvement de mécon-
tentement de la part du personnel ouvrier qui estime que ce système de
classification n'est plus d'actualité, qu'il n'a pas tenu compte des évolu-
tions technologiques et qu'il ne traduit plus du tout, à l'heure actuelle, le
degré de complexité technique des différentes fonctions concernées.
La rémunération du personnel ouvrier est calculée sur base d'un salaire
horaire fixé par le système de classification de fonctions. Par ailleurs, cer-
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tains postes de travail bénéficient de l'allocation d'une prime variable cal-


culée en principe en fonction du niveau de production atteint par l'opéra-
teur. Certains ouvriers se plaignent de la non transparence des règles
utilisées pour le calcul de ces primes. Ils remettent également en question
l aspect variable de celles-ci : il s avère en effet que les primes à la produc-
tion sont restées stables depuis une bonne dizaine d'année alors que le
niveau de production n'a cessé d'augmenter. Ces primes semblent dès lors
davantage s'apparenter à un « sursalaire » octroyé à certains postes plutôt
qu'à une véritable prime au rendement.
La plupart des formations organisées à Paturabel sont destinées à
l'apprentissage du métier. Elles s'effectuent sur le tas en fonction de la
charge de travail et des disponibilités de chacun. Dans les faits, c'est
lorsqu'une ligne de fabrication tombe en panne ou lorsqu'elle fonctionne
à cadence réduite que les opérateurs et manœuvres affectés habituelle-
ment à cette ligne ont la possibilité, pendant une demi-journée voire une
journée, d'accompagner l'opérateur d'une autre ligne, d'observer sa
méthode de travail et d'apprendre ainsi par eux-mêmes les manipulations
à effectuer. Le manque de planification et le caractère occasionnel de ces
formations posent évidemment des difficultés au personnel ouvrier. Celui-
ci se plaint en effet de ne pas pouvoir apprendre de façon approfondie la
conduite d'une ou plusieurs autres lignes, ce qui exigerait des cycles de for-
mation d'au moins trois jours avec un moniteur qui ne doive pas en même
temps assurer la production. Une formation davantage planifiée permet-
trait d'éviter, affirment les opérateurs, des situations où ils sont contraints
de remplacer au pied-levé un collègue malade ou en congé sans connaître
en profondeur les rouages de ce nouveau métier. Ils se plaisent à souligner
que de telles situations - où ils ont l'impression de jouer les « bouche-
trou » - augmentent inévitablement les taux de non-conformité (rebuts et
déchets), à l'heure où l'entreprise prétend poursuivre une démarche
d'amélioration constante de la qualité...
Il n'existe pas chez Paturabel de procédure d'évaluation officielle pour
le personnel ouvrier. Des entretiens individuels avaient pourtant été ins-
taurés une fois par an de façon à fixer les objectifs de chacun. Mais ils ont
très vite été abandonnés dans la mesure où ils n'étaient que trop rarement
suivis d'effets. Les ouvriers ne disposent dès lors aujourd'hui d'aucun
feed-back sur la façon dont leur travail est évalué. C'est sans doute ce qui
explique les jugements sévères qu'ils portent sur les pratiques de promo-
tion au sein de la firme : « on nous fait passer des tests mais, en fait, le
choix est déjà établi à l'avance » ; « la seule façon d'obtenir une promotion
chez Paturabel, c'est d'être copain avec le chef », etc.
L'ancienne équipe de direction, dont certains membres sont toujours en
place, tente de maintenir coûte que coûte le modèle de GRH qui vient
d'être décrit, persuadée qu'il permet de garantir la paix sociale. Les délé-
gués syndicaux sont à cet égard dans une position ambiguë : d'une part, ils
cherchent à exploiter au mieux le flou existant en matière de GRH et sont,
de ce fait, des acteurs à part entière de la perpétuation du modèle en
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vigueur depuis les débuts de la société ; d'autre part, ils militent pour une
plus grande clarté des règles du jeu et surtout pour une uniformisation des
pratiques de GRH à l'intérieur de l'entreprise. Sur ce plan, ils sont
d'ailleurs rejoints par le dynamique responsable de la production, qui
estime intolérable l'indétermination actuelle des politiques menées à
l'égard du personnel.
Depuis la reprise, en 1992, par la Compagnie Européenne de Beurre, de
nouveaux acteurs sont entrés en scène : le directeur général, nommé par
l'actionnaire français, et le jeune directeur des ressources humaines. Ce
dernier, qui cherche à valoriser son poste récemment créé, organise de
multiples séminaires animés par des consultants externes sur le manage-
ment participatif, la flexibilité du temps de travail, la culture d'entreprise,
etc. Ses initiatives sont largement soutenues par le directeur général, sorti
d'une grande école de gestion française et soucieux de faire évoluer
l'entreprise vers une société « du troisième type », axée sur le management
de projet, les flux de communication transversale, la culture du client, la
souplesse de réaction aux sollicitations du marché, etc.
De nombreuses discussions ont lieu entre ces différents protagonistes.
Un premier groupe - l'ancienne équipe de direction et les nouveaux direc-
teurs - invoque la grande imprévisibilité de la demande sur le marché du
beurre, rendant à ses yeux inconcevable la codification étroite des politi-
ques de GRH. Toutefois, face à une concurrence accrue, les nouveaux
directeurs soulignent l'urgence de l'adoption d'une stratégie de qualité,
justifiant le recours au modèle individualisant, là où l'ancienne équipe se
contenterait plutôt du maintien du modèle arbitraire. Quant au deuxième
groupe - dont les porte-parole sont les représentants syndicaux -, il n'a de
cesse de rappeler que l'entreprise a quitté le stade entrepreneurial (auto-
matisation poussée, certification, insertion dans un groupe multinational)
et qu'il convient d'adopter en conséquence des politiques de GRH appro-
priées à ce nouveau contexte : position largement relayée par le responsa-
ble de la production.
La société est à l'heure actuelle traversée par un conflit social larvé
autour de la question de la flexibilité du temps de travail. Le DRH souhai-
terait pouvoir introduire des horaires variables en fonction des quantités à
produire mais les syndicats se montrent farouchement opposés à un sys-
tème qu'ils dénoncent comme purement arbitraire. Les positions sont très
cristallisées et risquent à tout moment de déboucher sur une action de
grève, redoutée tant par le directeur général que l'actionnaire français.
Ce cas permet de souligner à la fois l'intérêt et les limites d'une explica-
tion strictement contingente. En effet, la thèse de l'alignement supposerait
que le modèle de GRH, jusqu'à présent de nature essentiellement arbi-
traire, évolue vers une systématisation et une homogénéité plus grandes
des dispositifs en vigueur (modèle objectivant). On ne peut cependant que
constater le décalage existant entre, d'une part, une bureaucratisation pro-
gressive de la configuration entrepreneuriale de départ (automatisation,
certification qualité, insertion dans un groupe multinational) et, d'autre
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part, le maintien d'un modèle de GRH arbitraire (pratiques de rémunéra-


tion, formation, évaluation, etc. encore largement informelles). La tension
sociale observée peut donc être interprétée en partie comme le résultat de
cette « inadéquation ».
Toutefois, cette explication reste très partielle et mécanique. Elle
ignore les multiples jeux d'acteurs qui vont faire de cet alignement une
question « stratégique », au sens politique du terme. Chaque groupe tente
en réalité de faire triompher sa propre construction des facteurs contin-
gents, de manière à légitimer sa position. En d'autres termes, chaque
acteur peut ainsi être situé, dans une perspective davantage constructi-
viste, par rapport à un des couples reliant facteurs contingents et modèles
de GRH.

5. Discussion et conclusion

L'éclatement actuel des pratiques de GRH peut donner à l'observateur,


en première analyse, une impression de chaos et de faillite des modèles
d'analyse. Afin d'éclaircir l'appréhension de ces phénomènes, nous avons
d'abord proposé une typologie de modèles de GRH en distinguant cinq
modèles de base : arbitraire, objectivant, individualisant, conventionna-
liste et valoriel. Nous avons établi les relations étroites entre ces modèles
et les configurations organisationnelles de Mintzberg. Après avoir cons-
taté que de telles continuités logiques se trouvaient souvent en porte-à-
faux avec les évolutions concrètes des organisations (décalage temporel),
nous avons prolongé le raisonnement contingent en recourant à d'autres
variables : les caractéristiques environnementales et les stratégies organi-
sationnelles. En conséquence, l'éclatement apparent de la GRH résulte-
rait moins d'un déficit de la pensée analytique que de la prolifération des
influences qui s'exercent sur ce domaine.
Un tel raisonnement risque évidemment de conduire à une vision
étroitement mécanique des mutations actuelles de la GRH, dont les
acteurs seraient en quelque sorte évacués. Une première confrontation
du raisonnement à un cas d'entreprise a pu montrer combien cette posi-
tion théorique était intenable. Ce qu'il s'agit d'expliquer en fin de
compte, ce n'est pas tant la cohérence « naturelle » (fit) qui existerait
entre certaines configurations organisationnelles, certains traits de
l'environnement, certaines stratégies d'affaires ou de groupes, et cer-
tains modèles de GRH, cohérence vers laquelle toutes les situations de
déséquilibre finiraient par évoluer : on s'enfermerait alors dans un déter-
minisme appauvrissant. Il convient plutôt de rendre compte de la multi-
plication de ce type de situations instables, en les reliant à des stratégies
d'acteurs qui s'emparent tour à tour de contraintes existant tant dans le
contexte interne qu'externe et les construisent dans un sens conforme à
leurs intérêts. En se référant à une approche contextualiste (Pettigrew,
1985, 1987 ; Legge, 1995), on peut ainsi apprécier dans quelle mesure les
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2.1. Des syndicats engagés dans la participation 245


2.2. Des relations sociales régulées par le partenariat choisi.... 248
3. Conclusion 251

Chapitre 12. - Essai de comparaison entre les systèmes suisse


et français de relations professionnelles :
quelques remarques sur la place du conflit 255
1. Présentation de l'état de la conflictualité au sein des systèmes
suisse et français de relations professionnelles 257
1.1. Le cas suisse : une faible manifestation de la conflictualité 257
1.2. Le caractère manifeste des conflits en France 260
2. Quelques pistes d'explication 263
2.1. Le conflit est présent à tout moment dans le système,
même si il est limité 263
2.2. Le rôle joué par le système de régulation 267
3. Conclusion 270

Chapitre 13. - La fonction GRH comme garant du respect


du « contrat psychologique relationnel » dans
l'entreprise : le cas du harcèlement professionnel 273
1. Le concept de harcèlement professionnel 276
1.1. Le harcèlement lié à l'appartenance
à une catégorie sexuelle 276
1.2. Le harcèlement lié à d'autres caractéristiques
individuelles 278
2. La proposition d'une modélisation du processus
de harcèlement professionnel 280
2.1. Un modèle intégré du processus de harcèlement
professionnel 280
2.2. Une analyse des variables du modèle 282
3. Conclusion 289

QUATRIÈME PARTIE
DES POLITIQUES DE R É M U N É R A T I O N
AUX MULTIPLES FACETTES

Chapitre 14. - Le départ des dirigeants et la performance


de l'entreprise : une analyse empirique
de la situation française 295
1. Une analyse de la relation entre le départ des dirigeants
et la performance de l'entreprise au travers d'une recension
des travaux théoriques et empiriques ............................................ 296
1.1. Une analyse de la relation entre le départ des dirigeants
et la performance de l'entreprise au travers
d'une recension de la littérature théorique 296
1.2. Une analyse de la relation entre le départ des dirigeants
et la performance de l'entreprise au travers
d'une recension de la littérature empirique 301
2. La méthodologie et les résultats de l'analyse empirique 303
2.1. La méthodologie de l'étude empirique 303
2.2. Les résultats de l'étude empirique 305

Chapitre 15. - Les effets des pratiques d'intéressement


sur les performances des entreprises 315
1. Les effets sur la productivité du travail 316
2. Les effets du partage du profit sur l'emploi 318
2.1. La théorie des contrats implicites 318
2.2. La théorie du salaire d'efficience 318
2.3. L'approche du marchandage entre firmes et syndicats 319
3. Problématique et méthodologie de la recherche 320
4. Résultats 322
4.1. L'incidence des dispositifs d'intéressement
sur la productivité du travail 322
4.2. L'incidence des dispositifs d'intéressement
sur la rentabilité du capital 325
4.3. L'incidence des dispositifs d'intéressement
sur l'absentéisme 327
4.4. L'incidence des dispositifs d'intéressement sur l'emploi.... 328
5. Conclusion 330

Chapitre 16. - Éclatement des politiques de GRH selon


l'espace culturel : une comparaison internationale
des politiques de rémunération 335
1. Cadre conceptuel et formulation d'hypothèses 336
2. Méthodologie de la recherche 338
2.1. Traitements des données Eurostat 338
2.2. Collecte et traitements des données spécifiques 339
3. Résultats et discussion de la recherche sur données Eurostat... 341
3.1. Comparaison des effets sectoriels et nationaux 341
3.2. Comparaison des structures de rémunération par pays 342
4. Traitements et discussion des données collectées
auprès des DRH 344
4.1. La décentralisation du pouvoir 344
4.2. L'individualisation 345
4.3. La masculinité 346
4.4. La prise en compte du risque 347
5. Limites de la recherche 349
6. Conclusions et implications managériales .................................... 350

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