Contrôle Du Mouvement Du Regard Déficits Neurologiques
Contrôle Du Mouvement Du Regard Déficits Neurologiques
Contrôle Du Mouvement Du Regard Déficits Neurologiques
Charles Pierrot-Deseilligny*
Inserm U.289 et Service de Neurologie 1, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13,
France
Résumé
Les mouvements oculaires ont pour objectifs complémentaires mais antagonistes de changer rapidement l’image sur la
rétine, au moyen des saccades, et de stabiliser cette nouvelle image, par différents mouvements oculaires lents.
L’analyse sémiologique des principales paralysies oculomotrices permet de localiser le siège des lésions, en particulier
dans le tronc cérébral. Les atteintes peuvent être infranucléaires (nerfs) ou nucléaires, touchant aussi bien les saccades
que les mouvements oculaires lents (dont le réflexe vestibulo-oculaire), ou supranucléaires, touchant alors
sélectivement les saccades ou les mouvements oculaires lents. Les mouvements latéraux sont organisés dans le pont et
les mouvements oculaires verticaux dans les pédoncules cérébraux. Parmi les nombreux mouvements oculaires
anormaux, les nystagmus sont les plus fréquents et sont en général dus à une atteinte vestibulaire périphérique ou
centrale. Enfin, les mouvements oculaires peuvent servir de modèle moteur pour mieux connaître le fonctionnement
cérébral. En effet, l’enregistrement de ces mouvements permet de détecter des anomalies légères et d’étudier les
mécanismes neuropsychologiques qui préparent ces mouvements, tels que l’attention spatiale, l’inhibition motrice, la
prédiction motrice, l’intégration visio-spatiale, la mémoire spatiale, l’apprentissage moteur, la programmation motrice
et la motivation ou l’intention.
Abstract
Eye movements serve vision, which has two different aims : changing images using saccades, i.e. rapid eye movements,
and stabilizing new images on the retina using slow eye movements. Eye movements are performed by ocular motor
nuclei in the brainstem, on which supranuclear pathways - originating in the cerebral cortex, cerebellum and vestibular
structures - converge. It is useful for the neurologist to know the clinical abnormalities of eye movements visible at the
bedside since such signs are helpful for localization. Eye movement paralysis may be nuclear or infranuclear (nerves),
involving all types of eye movements, i.e. saccades as well as the vestibulo-ocular reflex (VOR), or supranuclear, in which
case the VOR is usually preserved. Lateral eye movements are organized in the pons, with paralysis of adduction (and
preservation of convergence) when the lesion affects the medial longitudinal fasciculus (internuclear ophthalmoplegia),
paralysis of conjugate lateral eye movements when the lesion affects the abducens nucleus (VI) and the « one-and-a-
half » syndrome when both these structures are involved. Vertical eye movements are organized in the midbrain, with
ipsilateral oculomotor (III) paralysis and contralateral paralysis of the superior rectus muscle when the third nerve
nucleus is unilaterally damaged, supranuclear upward gaze paralysis when the posterior commissure is unilaterally
damaged and supranuclear downward gaze paralysis (often coupled with upward gaze paralysis) when the
mesencephalic reticular formations are bilaterally damaged. Numerous types of abnormal eye movements exist, of
which nystagmus is the most frequent and usually due to damage to peripheral or central vestibular pathways. Cerebral
hemispheric or cerebellar damage results in subtle eye movement abnormalities at the bedside, in general only
detected using eye movement recordings, because of the multiplicity of eye movement pathways at these levels and
their reciprocal compensation in the case of a lesion. Lastly, eye movements can also help the neuroscientist to
understand the organization of the brain. They are a good model of motricity allowing us, using eye movement
recordings, to study the afferent pathways of the cortical areas that trigger them, and thus to analyze relatively complex
neuropsychological processes such as visuo-spatial integration, spatial memory, motivation and the preparation of
motor programs.
Les saccades permettent de changer l’image sur la fovéa ; elles peuvent être réflexes, en réponse à une cible visuelle
survenant brutalement dans le champ visuel périphérique, ou volontaires, déclenchées de façon interne par le sujet au
moment où il le souhaite, vers une cible visible ou non. La stabilisation de la nouvelle image sur la rétine est assurée par
les mouvements oculaires dits « lents » : la poursuite oculaire, en réponse à une stimulation visuelle mobile ponctuelle
(fovéale) ou large (optocinétique), le réflexe vestibulo-oculaire (RVO), qui permet au sujet de bouger et de voir en même
temps en compensant exactement les mouvements du corps, et la convergence qui permet de rompre le parallélisme
horizontal des deux yeux pour les cibles visuelles vues de près (‹).
(‹) m/s 2004, n° 1, p. 89
Les mouvements oculaires sont effectués par chaque œil au moyen de six muscles et de trois nerfs oculomoteurs (le III,
nerf moteur oculaire commun, le IV, nerf trochléaire, le VI, nerf moteur oculaire externe). Les noyaux oculomoteurs, les
nerfs qui en sont issus et les muscles qu’ils innervent forment la voie finale commune pour tous les mouvements
oculaires : une atteinte lésionnelle à un endroit quelconque de cette voie entraîne une paralysie oculomotrice non
dissociée, intéressant aussi bien les saccades que les mouvements lents, dans le champ d’activité du muscle, du nerf ou
du noyau concerné (pour revue, voir [1]). En revanche, les voies supranucléaires aboutissant aux noyaux oculomoteurs
du tronc cérébral viennent de structures distinctes : le cortex cérébral pour les saccades et la poursuite oculaire, l’oreille
interne (canaux semi-circulaires et nerf vestibulaire) pour le RVO. Les atteintes lésionnelles des voies supranucléaires
sont donc dissociées, concernant les saccades et/ou la poursuite oculaire mais respectant le RVO, ou, au contraire,
concernant le RVO et/ou la poursuite oculaire mais respectant les saccades. Au-delà du tronc cérébral, les voies
oculomotrices supranucléaires sont très dispersées et redondantes, venant de multiples aires corticales ou du cervelet :
les atteintes lésionnelles de ces structures ne sont donc responsables que de déficits oculomoteurs mineurs,
reconnaissables seulement à l’enregistrement des mouvements oculaires. En revanche, les saccades oculaires
constituent un modèle simple de motricité permettant d’étudier les processus neurophysiologiques complexes
préparant le mouvement, ce qui peut ainsi aider à la compréhension d’une partie notable du fonctionnement cérébral.
Sémiologie oculomotrice
L’examen oculomoteur, dont la stratégie peut être codifiée (Figure 1), permet d’identifier un syndrome oculomoteur
latéral ou vertical et de déterminer le caractère supranucléaire, nucléaire ou infranucléaire (nerfs) de son atteinte ; un
mouvement oculaire anormal surajouté, de type nystagmus, pourra aussi être identifié lors des fixations dans les
positions extrêmes.
Figure 1.
Figure 2.
Figure 3.
À l’étage hémisphérique (Figure 4), la motricité oculaire est beaucoup mieux préservée des lésions que dans le tronc
cérébral puisque trois aires différentes (champ oculomoteur frontal, champ oculomoteur pariétal, champ oculomoteur
supplémentaire) peuvent déclencher des saccades dans les deux sens horizontaux [6]. Dans la région sous-corticale,
presque tous les noyaux gris sont impliqués dans l’exécution des saccades, avec de nombreux circuits en parallèle allant
du cortex au tronc cérébral. Pour la poursuite oculaire, deux aires au moins sont aussi impliquées, également dans les
deux sens : le champ oculomoteur frontal et la jonction temporopariétale postérieure (aire MST). Il résulte de ce
dispositif complexe que seules des lésions cérébrales multiples entraînent des anomalies oculomotrices visibles à
l’examen clinique et qui restent, même dans ce cas, le plus souvent légères. Il faut en effet qu’une atteinte soit à la fois
bifrontale et bipariétale pour entraîner une paralysie des saccades et de la poursuite oculaire (apraxie oculomotrice
acquise) [7], ou bipariétale postérieure pour entraîner un syndrome de Balint (avec parésie des saccades et de la
poursuite oculaire). Lors de lésions aiguës et massives, il peut être observé pendant quelques heures ou quelques jours
une déviation oculaire tonique ipsilatérale à la lésion, due en fait à une désafférentation brutale des structures du tronc
cérébral et ne correspondant pas à une paralysie véritable des mouvements oculaires. Cependant, l’enregistrement des
mouvements oculaires permet de détecter des anomalies discrètes, même en cas de lésion d’une seule de ces aires
oculomotrices corticales.
Figure 4.
1
Décussation : pour certaines formations du système nerveux central, fait de franchir le plan sagittal médian du névraxe
en s’entrecoisant avec les formations similaires controlatérales.
Références
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Stratégie de l’examen oculomoteur. La première étape est l’étude des saccades dans les quatre
directions cardinales, ainsi que la fixation dans les quatre positions extrêmes. Si ces saccades,
ainsi que les fixations en position extrême, sont normales, l'examen oculomoteur peut être
considéré comme normal et arrêté car l'analyse d'autres mouvements n'apportera guère
d'informations utiles. Si les saccades sont atteintes dans une ou plusieurs directions du regard,
l’examen doit se poursuivre par la recherche des réflexes oculocéphaliques (mobilisation
passive de la tête du sujet entraînant un réflexe vestibulo-oculaire de sens inverse) et/ou la
convergence (si les saccades d'adduction sont absentes), ce qui permettra de déterminer la
nature infranucléaire, nucléaire ou supranucléaire de l'atteinte. Il n'est pas utile de tester la
poursuite oculaire, qui est un mouvement très « délicat », fréquemment atteint et dont les
perturbations sont très peu informatives.
Dans le texte
Figure 2.
Dans le texte
Figure 3.
Syndromes oculomoteurs verticaux centraux. 1. Syndrome du noyau (nx) du III, qui est le plus
souvent lié à un petit accident vasculaire cérébral ; il se traduit par une paralysie du III
ipsilatéral (paralysie de l’élévation, de l’abaissement et de l’adduction de l’œil avec, de plus, un
ptosis et une mydriase) et par une paralysie du muscle droit supérieur contralatéral avec
basculement tonique permanent de cet œil vers le bas (dû à l’action persistante du muscle droit
inférieur) ; cet aspect très caractéristique est dû à la décussation (d) des motoneurones du
muscle droit supérieur vers le noyau et le nerf III opposé, les autres motoneurones du III ne
subissant pas de décussation. 2. Syndrome de Parinaud vers le haut dû à une atteinte unilatérale
- vasculaire, tumorale, inflammatoire ou une hydrocéphalie - de la commissure postérieure (CP)
se traduisant par une paralysie isolée des saccades vers le haut, avec respect du réflexe
oculocéphalique (ROC) vertical. Il y a là encore un système de décussation, qui est spécifique
des saccades verticales vers le haut, dont les fibres supraréticulaires passent par la commissure
postérieure. 3 + 3'. Syndrome de Parinaud vers le haut et le bas avec atteinte des saccades
verticales et respect du ROC vertical, dû à une atteinte bilatérale de la formation réticulaire
mésencéphalique (FRM) ; il s'agit le plus souvent de lésions dégénératives dues à une paralysie
supranucléaire progressive (PSP ou maladie de Steele-Richardson-Olzewski). Il faut noter que
l’enregistrement des mouvements oculaires permet un diagnostic précoce de la PSP, avant le
stade de paralysie oculomotrice, en mettant en évidence un ralentissement de la vitesse des
saccades verticales mais aussi latérales, une anomalie qui est quasi pathognomonique dans le
contexte d'un syndrome parkinsonien atypique dégénératif [10]. B : bas ; H : haut ; jmd :
jonction méso-diencéphalique ; NV : noyaux vestibulaires ; Sac : saccades ; SR.B : voies
supraréticulaires des saccades vers le bas ; SR.H : voies supraréticulaires des saccades vers le
haut. Les zones hachurées représentent les régions lésées.
Dans le texte
Figure 4.
Aires et circuits corticaux de la motricité. 1. Les divers stimulus de l'environnement sont perçus
dans les aires perceptives [aires primaires de l’audition (A), de la sensibilité (S) ou visuelle
(V)], avec une modulation par les aires de l’attention (aire attentionnelle du lobule pariétal
supérieur, AAS) qui sélectionnent les informations pertinentes. Une intégration spatiale de ces
informations a lieu dans le cortex pariétal postérieur (CPP) de façon à connaître la position du
stimulus par rapport au corps et non pas seulement par rapport à une partie de celui-ci (yeux ou
oreilles). 2. La réponse qui en résulte peut être immédiate (saccade réflexe), par le champ
oculomoteur pariétal (COP), ou inhibée par le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) et
retardée, c’est-à-dire planifiée mais non immédiatement exécutée. Dans ce dernier cas,
l’information pertinente serait stockée en mémoire successivement dans le cortex préfrontal
dorsolatéral (CPFDL, mémoire spatiale à court terme, 20 secondes environ), puis dans le cortex
parahippocampique (CPH) (mémoire spatiale à moyen terme, pendant quelques minutes) et,
enfin, au-delà de quelques minutes, dans la formation hippocampique (FH) (mémoire spatiale à
long terme). Quand une réponse est prédite vers une localisation spécifique (avant l'apparition
de la cible), c'est encore le CPFDL qui paraît être le plus impliqué. Dès le début de la
mémorisation, et pour tout acte intentionnel, le cortex cingulaire antérieur (CCA, pour la
motricité générale) et le champ cingulaire oculomoteur (COC, pour la motricité oculaire)
semblent préparer, en les préactivant, les aires motrices et prémotrices frontales qui pourraient
avoir à répondre. Si plusieurs mouvements sont planifiés et doivent être effectués
successivement ou en combinaison, l'aire motrice supplémentaire (AMS, pour la motricité
générale) et le champ oculomoteur supplémentaire (COS, pour les saccades oculaires) sont
impliqués dans la préparation de programmes moteurs, préalablement appris grâce à l’aire
prémotrice supplémentaire (pré-AMS) et au pré-cortex oculomoteur supplémentaire (pré-COS).
Finalement, les réponses motrices sont déclenchées dans le cortex moteur primaire (CMP) s’il
s’agit d’un mouvement du corps, et/ou dans le cortex oculomoteur frontal (COF) s’il s’agit
d’une saccade volontaire. sc : sillon central ; sip : sillon intrapariétal ; spc : sillon précentral ;
ss : scissure sylvienne.