Jean-Didier Vincent - Le Sexe Expliqué À Ma Fille

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Du même auteur

Casanova : la contagion du plaisir. Divertissement


Odile Jacob, 1990
Celui qui parlait presque
Odile Jacob, 1993
La Chair et le Diable
Odile Jacob, 1996
et coll. « Bibliothèque », 2010
La vie est une fable
Odile Jacob, 1998
Pour une nouvelle physiologie du goût
(en collaboration avec Jean-Marie Amat)
Odile Jacob, 2000
La Dispute sur le vivant
(en collaboration avec Jacques Arnould)
Desclée de Brouwer, 2000
Qu’est-ce que l’Homme ?
(en collaboration avec Luc Ferry)
Odile Jacob, 2001
et coll. « Bibliothèque », 2010
Si j’avais défendu Ève, épouse Adam
Plon, 2001
Le cœur des autres
Une biologie de la compassion
Plon, 2003 et J’ai lu, 2005
Désir et mélancolie
Les mémoires apocryphes de Thérèse Rousseau
Odile Jacob, 2006
La vie est-elle sacrée ?
(en collaboration avec Jacques Arnould)
Salvator, 2009
Biologie des passions
Odile Jacob, 1999
et coll. « Bibliothèque », 2009
Voyage extraordinaire au centre du cerveau
Odile Jacob, 2007
Élisée Reclus
Géographe, anarchiste, écologiste
Robert Laffont, 2010
ISBN 978-2-02-103268-0
© Éditions du Seuil, septembre 2010
www.seuil.com
Table des matières
Couverture
Table des matières
Avertissement
Le sexe en question
L’acte sexuel
Le cerveau de l’amour
Les pratiques du sexe
Le sexe et la génétique
Le développement du bébé
Le sexe et le genre
Les hormones du sexe
La différenciation sexuelle et l’orientation sexuelle
Histoire naturelle de l’amour
Tout ça ne vaut pas l’amour
Avertissement
Parler des choses du sexe avec ma fille ne me serait
jamais venu à l’esprit si l’on ne m’avait soumis ce projet :
décrire à ma fille la physique de l’amour sans outrepasser les
limites de la décence. Malgré les années passées à étudier le
rôle du cerveau et des hormones dans la sexualité animale et
en dépit d’une paillardise acquise dans les salles de garde, je
conserve une timidité exquise et une réserve craintive à l’égard
de cet « autre » au mystère impénétrable qu’est la femme pour
l’homme. Conformiste de nature, je pensais que c’était aux
mères d’expliquer à leurs filles tout ce qu’elles devaient savoir
sur le sexe et sur les garçons, quitte à leur transmettre tous les
clichés, sottises et fables qu’elles tenaient de leur mère et
parfois aussi les impressions désastreuses venant de leur
propre expérience du terrain. Après en avoir librement discuté
avec Félicity, ma fille, nous avons accepté le projet à la
condition toutefois que je prenne seul la responsabilité des
propos et qu’elle ne soit engagée que par les questions. Il n’y
aura donc pas de vrai dialogue socratique, mais le texte
n’échappera pas à sa relecture. Je garderai pour moi ses
commentaires facétieux qui eussent cependant rendu mon
ouvrage moins indigeste. Pères qui me lirez, ne soyez pas
avares de vos encouragements ! Vous savez (ou croyez savoir)
ce que sont les filles à cet âge : des teenagers comme disent
les Anglo-Saxons. Ma fille a 13 ans ; elle est donc une
teenager débutante. L’influence de sa mère qui est à la fois
anglaise et sexologue ne me met sûrement pas en position de
« la ramener ». Je sollicite son indulgence pour mes
improvisations.
Le sexe en question
– Je te rappelle que c’est toi qui as sollicité cet entretien.
Je crains que tu ne fasses, selon ton habitude, les demandes et
les réponses et que tu ne te départisses pas de ta condition de
savant. Je te provoque, papa, mais essaye de ne pas me
prendre pour une dinde. Il est vrai que mes amies, celles avec
qui je partage mes loisirs, sont également intéressées par le
sexe. Je ne suis pas encore réglée et la majorité d’entre elles
ne l’est pas non plus. En fait, nous parlons entre nous de
l’amour. Ce sont les garçons qui bavardent à propos du sexe.
Je crois bien que leurs conversations portent presque
exclusivement sur ça et sur le sport. Les filles sont l’unique
objet de leur curiosité. Quand ils nous abordent, ils sont à la
fois arrogants et timides – ce sont eux qui rougissent.
Quelques filles ont déjà franchi le pas. Je n’ai pas eu droit à
leurs confidences. Ce que je sais, je le tiens essentiellement de
mon ordinateur sur lequel je passe une partie de mon temps
libre à regarder des séries américaines ; fuck, cock, pussy
sont des mots qui me sont familiers et j’en connais la
traduction française. Mais nous n’utilisons pas ces mots entre
amies.

– Je suppose que tu n’as jamais regardé de films


pornographiques.

– Une fois, sur Internet, avec une copine. Ça m’a


dégoûtée. J’ai vu, en revanche, toutes les saisons de Friends
que je repasse presque constamment dans ma chambre ou
dans le train et aussi Desperate Housewives. J’en connais un
rayon sur l’amour chez les jeunes Américains et les délires des
vieilles de 40 ans aux États-Unis me font franchement rire.

– Si je comprends bien, les films pornos et la


masturbation sont réservés aux garçons.
– Je ne vois pas ce que tu veux dire. Essaye plutôt de
m’expliquer la différence entre le sexe et l’amour.

– Qu’est-ce que le sexe ? Je ne vais pas t’infliger une


nouvelle version du cours de SVT (Science de la Vie et de la
Terre) que tu as reçu au collège. Tu connais déjà l’évolution
des espèces, la sélection naturelle, les gènes et le génome. Le
sexe est avant tout un phénomène simple dans son principe,
qui consiste en la fusion de deux cellules et le « mélange » de
leur génome. Ce phénomène est tellement répandu dans la
nature que l’on peut penser qu’il a été plusieurs fois réinventé
au cours de l’évolution. La reproduction asexuée dans le règne
animal est rarissime, elle l’est à peine moins dans le règne
végétal. Elle produit des êtres vivants tous identiques qui ne
permettraient pas à la sélection naturelle de jouer son rôle si la
rapidité des divisions et la fréquence des mutations ne
compensaient ce défaut. Le sexe n’a pas de but avoué, mais il
permet d’introduire dans les formes vivantes une diversité
maximale, meilleur moyen d’échapper à l’extinction de
l’espèce. Peu importe la force vitale, le désir animal et la
volonté qui pousse un être vers l’autre ; la recherche du plaisir,
par exemple, est peut-être chez les vertébrés supérieurs
(oiseaux et mammifères) la cause immédiate qui a fait le
succès du sexe et le triomphe évolutif des espèces. Le sexe est
de l’ordre du biologique, il célèbre dans le plaisir partagé à
deux le triomphe de la vie. Je te reparlerai plus tard de la
biologie du sexe. L’acte sexuel se confond chez les humains
avec l’amour. On dit qu’on fait l’amour ; en anglais, on parle
d’une love affair qui signifie une affaire de sexe, une liaison.
Chez l’humain, l’amour n’est guère différent physiquement de
ce qu’on peut observer chez l’animal ; il s’enrichit, en
revanche, de toutes les capacités psychiques et morales de
l’espèce. L’animal fait l’amour mais n’en parle pas ; l’Homme
vit l’amour et le raconte. Le discours amoureux est partie
intégrante de l’acte sexuel, que celui-ci soit accompli dans la
réalité ou rêvé. L’amour implique l’Homme corps et âme, mais
cette dernière, selon moi qui suis un matérialiste, n’est pas de
nature divine. Elle est pour chaque individu l’expression dans
le cerveau de l’éprouvé du corps. Épicure dit à son propos
qu’elle est le cri de la chair, fait de souffrance et de
jouissance ; elle donne naissance aux émotions et aux
sentiments qui conduisent nos actions. Nous sentons avant
d’agir, guidés par la recherche du bonheur et l’évitement du
malheur. Finalement, le sexe chez l’humain, c’est toujours peu
ou prou une histoire d’amour et ce qui compte, c’est autant
l’acte que les mots pour le dire.

– Tu parles bien, papa, mais je ne suis pas sûre de t’avoir


bien compris. Pourquoi ne m’expliques-tu pas tout simplement
comment les hommes et les femmes font l’amour ? Pourquoi
les gens sont tellement préoccupés de sexe, et pourquoi c’est
embarrassant et donc difficile d’en parler, surtout quand il
s’agit de soi ? Les journaux, les films tournent tous autour du
même sujet : le sexe, le sexe, le sexe. Untel vient de quitter
Unetelle, Madona a changé d’amant, Carla trompe François,
etc.

– Je n’ai pas de bonne réponse à te donner, sinon que les


biologistes considèrent le sexe comme le premier des instincts,
qui l’emporte sur tous les autres. L’hypocrisie et la censure
viennent en partie, je pense, de la société et de l’éducation qui
inculquent aux enfants, puis aux adultes, toutes sortes
d’interdits leur empêchant l’accès au plaisir d’aimer. Elles sont
aussi influencées par la religion, qui craint de perdre son
pouvoir sur les âmes et sur les corps. Il subsiste encore
quelques sociétés où le sexe est sans entraves et se fait au
regard de tous.

– Mon professeur de latin, qui passionne ses élèves car il


sait les faire voyager au-delà des déclinaisons, nous a parlé de
l’« art d’aimer ». Parle-moi de cet art, et d’abord est-ce
vraiment un art ?

– Sans aucun doute, avec toutefois la restriction que tous


les pratiquants, hélas, ne sont pas des artistes ! Combien
d’amants brutaux ou désordonnés sont confus dans leurs
gestes. Ils ignorent les caresses et les régions sensibles du
corps qui font naître le désir et la confiance chez le partenaire.
Les plus mauvais amants sont à coup sûr les éjaculateurs
précoces qui jouissent avant même d’avoir commencé l’acte
sexuel proprement dit, laissant insatisfaite et abandonnée sur la
rive du plaisir leur malheureuse partenaire. Triste façon de
débuter une carrière amoureuse. Une fille très éprise, ou qui
croit l’être, cachera sa déception et tentera de rassurer son
pitoyable amant. Heureusement, il y a le plus souvent un état
de grâce entre les deux jeunes qui supplée à leur manque
d’expérience. Ou bien l’un des deux, plus savant (la fille ou le
garçon), peut se faire discrètement l’instituteur de l’autre. Il y
a donc des plus ou moins bons praticiens de l’amour. Telle
fille sera empotée ou tel garçon ne sera pas « un bon coup ».
Mais rassure-toi, tout le monde est capable d’aimer. C’est
comme pour le dessin, il suffit d’apprendre. La masturbation
est une bonne école. Elle ressemble au jeu d’un comédien
répétant dans le silence de sa chambre une pièce à deux
personnages, lui et son double imaginaire. Cette dernière
pratique solitaire fait partie de l’apprentissage normal du sexe
chez les jeunes gens au même titre que les premiers contacts
avec l’autre. Il n’y a rien de mal dans la découverte du plaisir
que peut procurer le corps lorsque le sujet en stimule certaines
parties, celles que de méchants moralistes appellent honteuses,
par ses propres caresses. Nous sommes là bien loin de
préoccupation reproductrice. Ce qui est en jeu ici, c’est
l’apprentissage du plaisir : le plaisir solitaire. Les jeunes
animaux pratiquent toutes sortes de jeux sexuels et les petits
singes se complaisent dans l’imitation des adultes qui
s’accouplent devant eux. Ils s’avèrent d’ailleurs incapables
d’un comportement sexuel adapté lorsqu’ils ont été élevés en
l’absence de congénères. Les humains comme les singes ont
besoin d’un apprentissage et de la présence d’un modèle pour
construire leur sexualité. Le petit garçon présente, dès avant sa
naissance, des érections périodiques de son « zizi », associées
d’abord avec les phases de sommeil correspondant aux
périodes de rêve, puis progressivement à tout un monde de
sensations d’origine sexuelle. À l’âge de 4 ou 5 ans, l’enfant
s’engage dans les premières répétitions de l’acte sexuel.
L’école maternelle, pour autant qu’on ne la regarde pas avec
des lunettes teintées de fausse innocence, apparaît comme un
champ clos d’expérimentations qui se poursuivent à la maison
avec les frères et sœurs. C’est le moment où l’enfant découvre
que son corps est une source de plaisirs qu’il peut partager
avec d’autres. Tu es une femme, ou plutôt tu le seras bientôt,
quand tes premières règles viendront signaler ta première
ovulation. Déjà dans tout ton corps tu as senti les
transformations qui feront bientôt de toi un objet de désir pour
les garçons. Tu ne diffères pas en cela des animaux chez qui la
maturité sexuelle se manifeste au niveau des apparences grâce
à des transformations facilement identifiables par les éventuels
partenaires sexuels : le pelage devient luisant, les yeux
s’éclairent de lueurs diaphanes, les bois poussent sur le front et
les parties génitales bien visibles éclatent en feu d’artifice. Ne
t’inquiète pas, tu deviendras bientôt une jeune fille en fleur
autour de laquelle les mâles viendront bourdonner. Ne te
moque surtout pas d’eux. C’est vrai qu’ils sont le plus souvent
ridicules, car ils sont aussi embarrassés que toi ; l’un d’eux,
peut-être déjà, t’apparaîtra différent et tu ne verras pas les
boutons d’acné sur son visage. Il te prendra maladroitement la
main ; tu te croiras obligée de la retirer et peut-être essaiera-t-il
de t’embrasser.

– Bon ! Qu’est-ce qui se passe lorsqu’un garçon fait


l’amour à une fille ?
– D’abord, je te reproche de dire « lorsqu’un garçon fait
l’amour à une fille ». Pourquoi pas « une fille fait l’amour à un
garçon » ? Le propre de l’amour, c’est de le faire ensemble ;
même si le jeu est parfois un peu compliqué, le garçon et la
fille sont impliqués au même titre. Sinon, cela s’appelle du
viol et ce n’est plus de l’amour. Ce que je souhaite te montrer,
avant de nous intéresser à l’homme et à la femme, c’est que
l’acte d’aimer est avant tout l’expression de la vie dans ce
qu’elle a de plus universel. Ta joie ne sera pas complète, même
si elle n’est pas destinée à durer, si tu n’éprouves pas au
moment de l’amour un profond sentiment de communion avec
le vivant. Les jeux de l’amour, préliminaires, caresses, fuites,
provocations, ne sont nullement particuliers à l’espèce
humaine. Dans leurs échanges galants, avec leur beau langage
de cour, les marquis et marquises, soubrettes et valets ne sont
en réalité que griffes et morsures, feulements et miaulements.
Dans toutes les branches de l’éventail animal, le mâle est le
même, la femelle est la même. C’est toujours la même figure
qui réalise le mécanisme intime de l’union de l’ovule (l’œuf)
et de l’animalcule (le nom ancien du spermatozoïde) : une
forteresse vers laquelle amans volat currit et laetatur (comme
dit L’Imitation de Jésus-Christ). Tu comprends, toi qui es
latiniste. C’est une bonne métaphore : il faut que l’assiégeant
entre dans la forteresse ; il emploie la violence quelquefois, la
douce violence, le plus souvent, la ruse, la caresse. Ces gestes
de tendresse, ces mouvements gracieux de la main qui
effleurent la peau, nous les faisons nécessairement, non parce
que nous sommes des Hommes, mais parce que nous sommes
des animaux. On décrit souvent la vie animale comme
appartenant à un monde de violence et de cruauté. Mais,
l’animal n’est pas plus méchant que l’Homme, et il est
infiniment plus caressant. Regarde un chat qui t’aime : c’est
lui qui t’a appris à promener ta main sur son dos et son ventre,
à gratter ses oreilles et son cou, en bref à guider ta main par
ses ronrons. Le baiser non plus n’est pas le propre de
l’Homme. Les oiseaux les plus voraces comme les rapaces ou
les plus paisibles comme les colombes ne commencent jamais
l’accouplement sans d’inépuisables séries de bécots. Puisque
nous en sommes au baiser, il t’appartiendra de faire la part
entre le baiser de tendresse que tu échanges avec tes parents,
baisers qui débordent d’affection et sans arrière-pensée,
baisers qui t’enveloppent d’une douce sécurité, et le baiser
amoureux, notamment « le premier baiser », plein
d’incertitude, de maladresse, soucieux de comment il va se
terminer. Il est parfois précédé de bises discrètes,
insignifiantes, sur les joues ou le cou, ou s’adresse directement
aux lèvres, porte entrebâillée du corps de l’autre. Il n’y a pas
de doute là-dessus, on n’est plus dans les préliminaires, c’est
le premier acte sexuel : une pénétration du corps qui, si elle
n’est pas sans lendemain, peut en annoncer d’autres. Lors du
premier baiser, la langue est souvent un meuble bien
embarrassant : faut-il l’introduire dans la bouche de l’autre ?
Les deux langues se bousculent ; mais bientôt elles se
caressent et dansent gracieusement dans les deux palais qui ne
forment plus qu’un. Un premier baiser n’engage à rien.
Autrefois, quand régnait chez les filles (un peu moins chez les
garçons) un obscurantisme souvent entretenu par la religion et
une pudeur embarrassée des parents, il arrivait que la jeune
fille ignorante et sous le coup de la violente émotion ressentie
se croie enceinte après un baiser amoureux. Je ne pense pas
qu’il existe encore dans les collèges une seule jeune fille qui
croie que les enfants se font par la bouche. En revanche, le
baiser est un acte sexuel fort, l’équivalent oral du coït génital.
Il correspond à une pénétration réciproque des deux
partenaires qui vient sceller le face-à-face de deux êtres dont
les intérieurs se fondent en un seul être. Il est en revanche
important de savoir gérer la suite d’un premier baiser. Raté, il
peut être sans lendemain et l’amour remis à une autre fois.
Réussi et renouvelé, il donne suite à de nouveaux
préliminaires plus hardis et à des attouchements précis. Trop
tôt, trop vite ne sera pas une garantie de réussite et de long
terme. Je ne le répéterai jamais assez, l’amour s’apprend. La
fille en cela est meilleure institutrice que le garçon et attend de
celui-ci autre chose que ce qu’il veut lui donner, c’est-à-dire
son petit échantillon de semence. La fille voit plus loin son
intérêt : à 15 ans, elle ne rêve pas d’avoir un bébé, mais veut
un amoureux qui soit aux petits soins pour elle, sans faire
obstacle à ses études et à une carrière qui se devra d’être du
moins l’égale de celles promises aux garçons.

– Te décideras-tu, enfin, à m’expliquer ce qu’est l’acte


sexuel proprement dit, ce que tout à l’heure tu as appelé coït ?
Peut-être vas-tu essayer de laisser de côté les descriptions
animales dont tu te régales ? Je me souviens de ton plaisir
quand, en visite à l’aquarium d’Arcachon, tu commentais pour
nous l’accouplement des raies : le mâle de la raie saisit la
femelle, la retourne et se colle sur elle ventre à ventre, la
retient par ses crochets et réalise l’accouplement en léchant sa
semence. Tu avais ajouté qu’il n’y a que les raies et les
humains qui s’accouplent face à face, avec une exception
toutefois, les fameux chimpanzés bonobos.

– En effet, les bonobos, si proches de l’Homme, sont


doués d’une intelligence exceptionnelle. À la différence des
autres grands singes, souvent agressifs et batailleurs, ils sont
d’un tempérament doux et la plupart de leurs conflits se
résolvent dans des embrassements et des cajoleries en tout
genre. L’accouplement de face est fréquent chez ces singes,
parmi une variété étonnante de postures que pourrait envier
l’Homme et différentes modalités de pénétration qui n’ont
d’autre but que de faire croître leur désir et conduire à toujours
plus de plaisir. Je me limite à te dire que la position la plus
naturelle chez l’Homme se résume en général à un face-à-face,
ventre contre ventre, en situation allongée. Elle assure le
contact le plus étroit entre les deux corps, l’échange de
regards, meilleur moyen de pénétrer l’intériorité de l’autre.
Elle souligne ce trait fondamental de l’espèce humaine : le
besoin de l’autre, de le connaître et de le comprendre ;
pénétration réciproque de deux âmes qui donnent son
humanité à la pénétration du sexe masculin dans le sexe
féminin. Ça tombe bien du point de vue adaptatif, car la
copulation ventro-ventrale est celle qui favorise au mieux la
fécondation. J’ajoute que cette position fournit le maximum
d’interactions visuelles et cutanées et facilite la survenue de
l’orgasme chez les partenaires.

– J’ai du mal à imaginer que l’on puisse faire du frotti-


frotta ventral avec quelqu’un qu’on ne connaît presque pas.

– C’est le « miracle de l’amour » ! En fait, cela n’a rien


de miraculeux. Le désir, c’est-à-dire cette force qui te pousse
vers l’autre, arrange bien des choses. L’amour est aveugle, dit-
on. Que nenni, mais il ne voit que ce qu’il veut voir. Celui sur
lequel ton choix va se porter est déjà préconçu dans les circuits
nerveux de ton cerveau et le garçon sur lequel ton choix
inconscient va se fixer deviendra assez vite (pas trop vite !) ton
amoureux pour peu qu’il y mette du sien. Il n’y a pas d’amour
qui ne soit partagé, tout au moins au début. Votre histoire
d’amour commence. Premier amour, premier baiser, maladroit
et inoubliable, avec de longues promenades, des caresses
quand l’obscurité s’y prête. Il est rare que les premières fois
durent longtemps. Il est rare que ces jeux incertains se
terminent par un passage à l’acte sexuel. Celui-ci viendra bien
assez tôt avec son cortège de joies et de tourments. La jeune
fille est alors la douce victime de ce que l’on appelle un coup
de foudre. En fait, celui-ci ne frappe généralement que des
sujets entraînés. Les fois précédentes, plus ou moins réussies,
ont sensibilisé les systèmes désirants du cerveau dont la
réponse aux stimulations extérieures est amplifiée : sensations
de tout ordre, tactile, baisers, caresses sonores (ah ! le son
d’une voix qui dit « je t’aime »), olfactives (des phéromones
peut-être ou simplement un parfum d’enfance), visuelles (ton
amoureux pourrait avoir le visage de ce frère que tu n’as pas
eu, car il te ressemble parfois), la symétrie du visage apparaît
aussi comme le comble de la beauté, et enfin, les quelques
phrases échangées, simples mots qui sont comme des chants
d’amour.
– N’en jette plus, papa, sinon je ne vais plus pouvoir
attendre.
L’acte sexuel
– Retombons sur terre. Je vais essayer de te décrire
maintenant l’acte sexuel lui-même. Tout a donc commencé par
les préliminaires, les caresses partagées, souvent très intimes
et la sollicitation des parties sexuelles externes comme les
seins, le clitoris, le pénis. Toutes ces régions du corps doivent
être caressées et même embrassées. Le clitoris est une partie
de son corps que la jeune fille connaît bien. Elle a joué avec
lui dans l’isolement de la salle de bains. Elle y a pris du plaisir.
La méconnaissance par le garçon des parties génitales de la
femme est souvent abyssale, comme s’il avait peur d’y toucher
et que le clitoris restait un objet mystérieux, soigneusement
enfoui dans un capuchon qu’il n’ose pas soulever. Il va se
précipiter sur une entrée du vagin qu’il aura dans son
impatience des difficultés à trouver. J’ajoute que ce pénis dont
il est si fier aura parfois du mal à se raidir et à se dresser tant il
est ému. L’animal est craintif, il doit être amadoué. C’est le
rôle d’une bonne amante. Vient enfin la pénétration ; les
caresses préliminaires ont entraîné des sécrétions au niveau de
la vulve au centre de laquelle se trouve l’entrée du vagin. C’est
très beau un sexe de femme avec son mont de Vénus qui
surplombe la vallée bordée par les grandes et petites lèvres
d’un rose humide et chatoyant.

– Eh papa, tu t’y crois ou quoi ?

– Pardonne-moi cette dérive poétique. Mon éditeur m’a


demandé d’éviter le langage médical. Une fois la verge en
érection et laissant s’écouler quelques gouttes d’un liquide
visqueux, celle-ci va chercher à pénétrer le vagin. Toutes ces
sécrétions au niveau du pénis et de la vulve (on dit que les
amants « mouillent ») vont favoriser la pénétration, tandis que
la femme écarte les cuisses. Suivent alors des mouvements de
va-et-vient de la verge que la femme accompagne
spontanément d’une douce ondulation rythmique du bassin
doublé parfois de vocalises. Chez le garçon, à la phase de
tumescence succède l’orgasme marqué par des secousses de la
verge et des spasmes d’intensité croissante qui s’achèvent par
l’éjaculation du sperme. Chez la femme, l’activité du vagin
suit à peu près le même déroulement avec des ondes
contractiles qui se propagent du dôme utérin vers le col. Au
paroxysme du plaisir, le rythme respiratoire dépasse parfois
30 par minute et le pouls peut atteindre 120 à 140 battements
par minute. L’intensité de l’orgasme est plus importante chez
la femme avec un pic de tension artérielle maximale pouvant
s’élever au-dessus des 20 centimètres de mercure. Chez
l’homme, on identifie à tort l’orgasme à l’éjaculation (c’est-à-
dire l’émission de sperme). Cette dernière peut se produire
sans érection ; il y a des éjaculations sans orgasme et vice
versa. L’orgasme naît dans le cerveau, qui gère le plaisir et
orchestre ces manifestations organiques. Une puissante
analgésie bloque partiellement le caractère douloureux des
violentes stimulations mécaniques que s’imposent les sexes
conjugués ; elle fait taire la souffrance pour que la jouissance
puisse s’exprimer librement. Foin des descriptions savantes
des sexologues, l’homme et la femme sont, pendant un court
moment, confondus à l’intérieur d’un mystérieux état intérieur.
Même si jamais l’amante ne pourra éprouver totalement dans
son propre corps la jouissance de l’amant et jamais celui-ci ne
saura dire le plaisir de l’aimée, il s’agit bien entre ces deux
êtres d’une authentique compassion. Il me semble qu’aucune
bête au monde n’est capable de jouir de la sorte. C’est la
jouissance à l’état pur qui transcende la joie et la douleur. La
légende de Tirésias nous indique que faire l’amour est le
plaisir des dieux. Appelé à trancher le différend qui divise le
couple royal, Zeus et Héra, sur le degré de jouissance atteint
par l’un et l’autre sexe, le devin Tirésias provoque la colère
d’Héra en révélant que le corps de la femme éprouve neuf fois
plus de plaisir que celui de l’homme dans le commerce
amoureux. La déesse le condamne à passer alternativement par
les deux sexes pour le punir. Après l’explosion de l’extase
survient la phase de résolution – quelques minutes chez
l’homme, plus longue chez la femme. La tension artérielle, le
rythme cardiaque et la respiration redeviennent normaux.
L’essoufflement postorgasmique fait encore dilater les narines,
cette reprise des esprits marque la fin de l’ivresse sensorielle.
Les glandes salivaires tarissent, la bouche devient sèche, les
yeux sont au contraire mouillés (les pleurs de joie). Fin de
l’acte. Mais le coït, tu commences à le comprendre, ne résume
pas la sexualité de l’Homme, ni celle des animaux.

– Ce que tu racontes m’inquiète et me fascine.

– Je devais t’en parler, puisque le sexe est une réalité dont


tu ne peux t’abstraire. Mais l’Homme dans son aboutissement
a acquis la possibilité d’être sexuel bien au-delà de ses
organes. La jouissance mystique ou celle qui accompagne, par
exemple, une découverte mathématique sont, à ce qu’on dit, de
véritables orgasmes. Une hormone est sécrétée dans le cerveau
lors de l’orgasme, l’ocytocine ; elle est présente également lors
de l’accouchement et de l’allaitement des bébés. Elle serait
responsable du lien qui unit les petits à leur mère. Cette
hormone a un effet amplificateur sur la dopamine qui est le
véritable maître d’œuvre du désir et des émotions plaisantes ou
déplaisantes qui l’accompagnent. Un certain nombre de
femmes n’ont pas d’orgasmes et n’osent pas le dire ; elles
simulent l’orgasme pour faire plaisir à leur amant. Cela ne les
prive pas d’accès à l’amour et au plaisir. Il y a bien des façons
pour un homme ou une femme de s’accommoder de la chimie
de son cerveau : on fait bien de l’excellente mayonnaise sans
œuf. Je t’expliquerai un peu plus tard ce qui se passe dans un
cerveau amoureux.

– Quelle attitude adopter lorsque la fille a succombé à


l’invitation pressante du garçon ?
– La première fois que tu verras un garçon bander ou que
tu percevras son érection à travers ses vêtements, cela ne
devrait pas t’effrayer, mais au contraire te rassurer ; car c’est
un signe qu’il te désire. Je ne dis pas qu’il t’aime ; encore que
comme tu l’as vu, la nuance entre sexe et amour est bien
difficile à faire. Le garçon est juste un humain comme toi et
peut être aussi inexpérimenté que toi. En même temps, tu dois
rester sur la réserve – un peu de coquetterie n’est pas de trop.
Une rate en chaleur mise en présence d’un mâle très attractif
commence par partir en flèche et s’enfuir dans un coin de la
cage où discrètement elle soulève l’arrière-train pour offrir son
sexe à la pénétration de son rat. Ton amoureux se posera peut-
être des questions différentes des tiennes, mais prends garde à
ce que ses préjugés ne soient pas les mêmes que les tiens.
Avec un peu de bonne volonté, vous arriverez finalement au
coït avec pour toi une épreuve supplémentaire qui est la
déchirure de l’hymen, la membrane qui obstrue partiellement
les voies sexuelles. C’est à la fois douloureux et saignant. La
tendresse, la gentillesse, la douceur timide de ton partenaire
prolongeront peut-être la chose, mais te feront aussi, un peu
plus tard, crier de bonheur dans la joie d’être devenue femme.
Je ne te souhaite pas d’offrir ta virginité à un adulte blasé et
expert en « dépucelage ». Il faut faire confiance à l’amour
nouveau-né et éviter autant que possible son aspect grimaçant
et lubrique.

– Bien parlé, papa. Mais, la suite ? J’imagine que je ne


suis plus vierge, mais ne suis pas sûre d’être vraiment devenue
femme par un coup de baguette magique.

– Le lendemain dépend de ce qui s’est passé avant.


Lorsque tu auras eu tes premières règles, maman t’aura
sûrement amenée consulter un gynécologue, une femme le
plus souvent. Elle saura te rassurer et te donner des conseils
utiles et éventuellement te prescrire une pilule, si ton activité
sexuelle l’exige. À l’âge que tu as, ta puberté est loin d’être
achevée. Rien ne presse, car tu n’auras sûrement pas de
rapports sexuels avant que tes règles apparaissent signifiant la
fin de la puberté. Elles ont souvent au début un caractère très
irrégulier, une raison de plus pour faire attention. L’idéal est
que ton amoureux s’équipe d’un préservatif (ou capote). Ce
n’est pas très romantique et ne fera qu’ajouter à vos
maladresses de débutants… En l’absence de préservatif et si tu
prends la pilule, les risques de tomber enceinte sont moins
grands. Sans précaution, tu devras essayer de garder assez de
sang-froid pour que ton cavalier se retire de toi avant
d’éjaculer – coïtus reservatus disent les curés. C’est frustrant
et peu fiable. Envisageons maintenant le scénario catastrophe :
tes règles ne reviennent pas. Tu ne t’affoles pas et tu en parles
impérativement à maman. Il existe des tests de grossesse très
sûrs à faire à la maison. S’il s’avère que tu es enceinte, maman
sera ta meilleure conseillère. Elle a sûrement déjà
personnellement connu cette situation. Ne fais surtout pas
confiance à tes camarades de classe. Un seul impératif : ne pas
attendre ; prise au tout début, l’implantation de l’œuf n’est pas
encore faite et les choses peuvent rapidement rentrer dans
l’ordre avec un traitement médical. Le temps qui passe vite
aggrave la situation. Le fœtus est maintenant dans son nid et il
faudra l’en déloger chirurgicalement. C’est une épreuve très
dure pour une femme. Ne te mets surtout pas dans la tête
qu’un avortement est une simple formalité. Revenons
maintenant à la suite du premier acte sexuel complet. Ou bien
l’enchantement se prolonge et tu commences à vivre une
histoire d’amour qui va peu à peu envahir ta vie scolaire ou
universitaire. Tout se passe maintenant dans ton cerveau, c’est
à lui qu’appartient d’apprécier la situation, de faire des choix.
Les conseils que je pourrais te donner aujourd’hui sont
prématurés. Les conditions dans lesquelles tu vivras, le
comportement de ton ami, le souci que tu auras de réussir ta
vie te permettront de faire le bon choix. Je l’espère ! Ou bien,
le premier essai sera sans lendemain ; plusieurs mois, plus
d’une année peut-être passeront avant que tu vives une
nouvelle aventure amoureuse. Je ne te souhaite pas de devenir
une collectionneuse d’amants – cela témoigne souvent d’une
certaine instabilité émotionnelle. Mais le flirt n’est pas interdit,
il permet de connaître les hommes sans trop s’engager.

– Autrement dit, tu me conseilles d’être une « allumeuse »


comme on appelle ces filles qui sautent d’un mec à l’autre,
sans rien leur accorder.

– D’où tiens-tu cette science ?

– Du feuilleton américain Friends qui est ma série


télévisée favorite.

– Comme tu le sais, les séries américaines que tu regardes


ne sont pas ma tasse de thé. Je préfère revenir au cerveau de
l’amour qui est un des domaines où s’exerce ma science. Cela
ne te servira pas à grand-chose, mais me permettra de
retrouver mon prestige de savant sans risque de te donner de
mauvais conseils, car un homme, serait-il le plus avancé des
chercheurs, ne saura jamais ce qui se passe dans le cerveau
d’une femme.
Le cerveau de l’amour
– Si je t’ai bien compris, c’est dans le cerveau que tout se
passe.

– C’est effectivement dans cet organe que sont


regroupées toutes les commandes qui concernent la sexualité
de l’animal ou de l’Homme ; elles intéressent aussi bien
l’appareil sexuel mâle (pénis et testicules) que l’appareil
femelle externe et interne (les ovaires nichés dans les
profondeurs du ventre), sans compter le désir, le choix du
partenaire et l’acte sexuel lui-même dans son déroulement
complet. Dans le sexe, c’est toujours le cerveau qui est à la
manœuvre et non le cœur. Quand ton amoureux gravera vos
deux noms sur l’écorce d’un arbre, ce n’est pas un cœur percé
de la flèche de Cupidon qu’il devrait dessiner, mais un
cerveau. C’est d’ailleurs presque aussi facile à faire. Tout se
passe dans la partie basse du cerveau, une région en forme
d’entonnoir qu’on appelle l’hypothalamus ; elle a à peu près la
taille d’un ongle et rassemble en son sein les centres de
commandes de la plupart des grandes fonctions du corps : la
reproduction, la régulation de la prise alimentaire et de la soif,
le contrôle du poids, le maintien constant de la température de
l’organisme, le sommeil. Elle est de plus traversée par les
voies nerveuses du plaisir et de la souffrance, les systèmes qui
font naître le désir et l’entretiennent. Bref, dans cette « cave »
du cerveau se trouve tout ce qui est nécessaire à l’entretien de
la vie. Cet hypothalamus n’est pas seulement l’espace étroit où
s’entassent les centres nerveux de ces fameuses fonctions, il
est aussi une glande qui déverse ses produits des sécrétions
dans la circulation sanguine destinée à irriguer l’hypophyse ;
glande importante, puisqu’elle commande toutes les autres
grâce à ses stimulines. L’hypothalamus sécrète notamment la
lulibérine qui gouverne deux gonadostimulines hypophysaires
(LH et FSH). Celles-ci à leur tour dirigent la sécrétion des
hormones sexuelles. Cette cascade de commandements
rappelle l’armée, avec le général hypothalamus, les officiers
hypophysaires et les soldats gonadiques. En retour, ces
hormones agissent sur leurs cellules émettrices pour les freiner
ou pour les stimuler ; ce que l’on appelle des rétroactions (ou
feedbacks). Il est, bien sûr, inutile que tu retiennes tous ces
noms, sauf pour passer tes examens, mais j’ajoute : l’amour
n’est pas un examen !

– Papa, je nage un peu ; il suffirait d’un bon schéma et


de quelques flèches dirigées dans les deux sens cerveau-
glandes et glandes-cerveau au tableau pour que cela
apparaisse plus clair.

– Peu importe ! On va s’en passer. La lulibérine est


sécrétée par l’hypothalamus de façon périodique : une giclée
toutes les 80 à 90 minutes. L’hypothalamus est comme un chef
d’orchestre qui bat la mesure : gic-gic, au rythme d’une giclée
toutes les 90 minutes. Pendant l’enfance jusqu’à 10-14 ans, ces
giclées sont faibles et les hormones sexuelles restent à un taux
bas dans le sang. Le sexe est en sommeil, malgré quelques
réveils sporadiques qui témoignent que l’enfant conserve une
sexualité pendant cette longue période. Or, voici que soudain,
le chef d’orchestre hypothalamique amplifie les battues et
accélère le rythme. En réponse, les gonades sécrètent leurs
hormones et c’est alors la puberté avec le duo œstradiol-
progestérone chez la fille qui doit affronter ses premières
règles avec cette question angoissante : pourquoi mon sexe
saigne-t-il ? C’est en réalité, un bouleversement circulatoire
local lié à la chute hormonale en fin de cycle. Chez le garçon,
c’est aussi la révolution pubertaire qui vient brutalement avec
ses érections et ses éjaculations spontanées (pollutions
nocturnes qui dessinent des sortes de cartes de géographie sur
les draps). Il change de voix et ne pense plus qu’à ce désir qui
lui fouaille le corps. Je ne parlerai pas de ce qui se passe dans
sa tête de jeune mâle. Mais ce n’est pas toujours drôle et doit
t’inciter à la compassion.
– Mais quel est le signal qui déclenche la tempête
hormonale ?

– On sait aujourd’hui que c’est une molécule peptidique


(une petite protéine), le kiss-peptide qui déclenche le rythme
accéléré de la lulibérine.

– Un vrai scherzo alors ? D’accord pour le kiss-peptide


(quel drôle de nom), mais qu’est-ce qui déclenche la sécrétion
de ton kiss-peptide ?

– Toujours la question des causes. Il semble que ce soit


une hormone du corps sécrétée par les cellules graisseuses, la
leptine. Cela explique que l’âge de la puberté soit relié à la
masse graisseuse. Tu observeras au collège que tes camarades
un peu enveloppées ont été réglées plus tôt.

– Et les garçons ?

– On est moins bien renseigné, mais ce sont sûrement des


facteurs environnementaux et comportementaux qui sont en
cause.

– Je suppose qu’il y a dans l’hypothalamus des centres


réservés au sexe comme il y en a pour le sommeil, la
température du corps, la faim et la soif ?

– Bien sûr. Ce sont les endroits du cerveau où se joue la


musique du désir sexuel. Ils sont placés autour et en avant du
troisième ventricule, espace occupé par du liquide au centre du
cerveau qui communique avec les deux ventricules latéraux
situés dans chaque hémisphère : un vaste réseau de pièces
d’eau qui permet la diffusion de toutes sortes de substances, de
sels et d’hormones, au cœur du cerveau. Ou si tu préfères, les
cascades, les étangs et les canaux dans le jardin des passions ;
histoire de faire un peu d’anatomie poétique. Je te rappelle que
cette fameuse région du cerveau, comme tu la qualifies en te
moquant de moi, est aussi l’endroit qui nous sert à manger, à
boire et à dormir, autant d’activités qui d’ailleurs ne sont pas
étrangères au sexe. Je ne rentrerai pas dans le détail, mais il est
important que tu saches que les centres (droit et gauche) du
comportement mâle coexistent avec les centres du
comportement femelle dans les cerveaux des deux sexes.
L’aire antéro-dorsale située en avant de l’hypothalamus joue
un rôle dans le comportement mâle. Ce centre reçoit des
informations en provenance de toutes les modalités
sensorielles ; il intègre les impressions qui concourent à
entretenir le feu du désir et à déclencher la phase
précopulatoire pour peu qu’une femelle en état de réceptivité
ou une femme consentante soit à portée de pénis. Il assure
ensuite la poursuite de l’acte proprement dit. Tous ces faits
sont attestés par les expériences de destruction de cette zone
ou de sa stimulation électrique chez le rat. La dopamine est le
neuromédiateur principal impliqué dans l’activation du centre.
C’est une dopamine spécialisée dans le sexe qui vient de
neurones situés au voisinage du centre mâle. Elle est différente
de la dopamine impliquée dans les systèmes désirants qui
parcourent la base du cerveau et irrigue le cortex cérébral. Ce
système dopaminergique impliqué spécifiquement dans le sexe
explique que le plaisir sexuel fasse relativement bande à part
parmi ses compagnons de plaisir. Une des raisons de cette
indépendance pourrait être le rôle majeur du plaisir sexuel
dans l’évolution des espèces et la nécessité que celui-ci soit
protégé grâce à un régime spécial. Le centre n’agit pas seul,
mais en étroite relation avec les régions qui contrôlent la
motricité et notamment les postures sexuelles ; sont également
concernées les zones qui interviennent dans la mémoire –
aimer chez l’Homme, c’est souvent se souvenir – et les
émotions. En bref, tout ce qui donne un sens à l’amour au-delà
de la simple nécessité pour l’espèce de se reproduire. Le centre
a aussi des connexions spéciales avec l’odorat dont le rôle est
essentiel dans la rencontre amoureuse. La région ventrale et
médiane de l’hypothalamus est impliquée dans le
comportement sexuel femelle, mais de façon non exclusive.
Elle participe également au contrôle du comportement
alimentaire et, d’une façon plus générale, à l’aspect négatif et
douloureux des conduites animales. L’introduction d’œstradiol
dans cette structure chez une femelle castrée corrige la perte
du comportement sexuel qui a suivi l’ablation des ovaires.
Mais il faut signaler que l’implantation d’œstradiol dans ce
noyau chez un rat mâle castré entraîne chez celui-ci l’adoption
d’une posture sexuelle femelle (lordose) et l’acceptation des
hommages de partenaires du même sexe ! Il faut aussi compter
avec les endorphines en charge de s’opposer à la douleur
occasionnée chez la femelle par l’acte sexuel. Quelle est la
contribution respective de ces deux structures dans la sexualité
de l’adulte ? Leur mission essentielle est de contrôler la part
mécanique de l’acte sexuel déclenchée au niveau de la moelle
épinière par les stimulations génitales. Ces dernières, soumises
à l’influence directe des hormones sexuelles (rut ou chaleur)
suffisent à enclencher le déroulement de l’acte sexuel chez une
femelle. Tu as pu l’observer chez ta chatte, qui n’a besoin pour
se mettre en position quand elle est en période réceptive, que
du simple contact d’un objet neutre avec les régions sexuelles.
Un tel contact provoque, en revanche, une riposte agressive en
dehors de cette période. Chez l’humain, nous n’en sommes pas
là. Les régions génitales sont sous un contrôle sévère du
cerveau. Le désir sexuel est dans la tête, pas dans le bas-
ventre. C’est dans les deux régions mâle et femelle de
l’hypothalamus que se fait l’intégration des sensations, des
gestes d’amour, des émotions, de l’anxiété aussi, qui vont
déclencher ou inhiber l’acte sexuel proprement dit. Comme tu
le vois, le masculin et le féminin coexistent dans le cerveau et
dans toute la vie de l’humain. On peut imaginer à titre
d’hypothèse que les deux structures forment les plateaux d’une
balance dont le fléau indiquerait l’orientation sexuelle de
l’individu, autant dire l’attrait pour un partenaire mâle ou
femelle : être hétéro ou homosexuel, rien ne paraît joué
d’avance. Je dirai que je préférerais que tu penches pour le
versant hétéro si je souhaite avoir des petits-enfants mais que
la seule chose qui compte pour moi est ton bonheur. La voie
homo n’est pas toujours facile, elle est souvent un lieu de
souffrance, car la société est loin d’avoir autant progressé en
matière de tolérance qu’on le prétend. J’y reviendrai.
Les pratiques du sexe
– En règle générale, le sexe se fait à deux, un mâle et une
femelle. C’est toujours le cas chez les oiseaux et les
mammifères. L’humain, qui possède une imagination fertile,
produit ce qu’on appelle des fantasmes, c’est-à-dire des
images mentales d’actes sexuels souvent bizarres qui
alimentent son désir. Il s’excite alors tout seul ou avec un(e)
partenaire qui partage ses goûts. J’ai déjà parlé du plaisir
solitaire, qui n’est pas l’apanage des adolescents. Il persiste
chez des adultes amoureux de leur propre corps, comme
Narcisse dans la légende grecque. Le sexe se pratique aussi à
plusieurs dans ce qu’on appelle les « partouzes » entre adultes
consentants. Le sexe peut devenir une marchandise et faire
l’objet d’un commerce dans lequel la femme ou le garçon
vendent leur corps à des passants racolés sur le trottoir. Je ne
pense pas que cet aspect sordide de la sexualité puisse
intéresser ta curiosité. Quelles que soient ces débauches
sexuelles, tu dois éviter de confondre l’amour et le commerce,
même si le premier débouche parfois sur le second. Je te
parlerai un peu plus tard des perversions sexuelles qui mènent
en prison. Chez certains reptiles, l’existence des deux sexes a
disparu lors de l’évolution. Le sexe de l’embryon est alors
déterminé par la température d’incubation de l’œuf. Chez
d’autres espèces, notamment les poissons, le sexe dépend de
l’environnement social. Des animaux sont hermaphrodites et
possèdent à la fois des testicules et des ovaires : ils seront
tantôt mâles, tantôt femelles, mais auront toujours recours à
l’autre pour accomplir la fécondation. Ainsi, les femelles du
lézard fouette-queue, qui ont réussi à s’affranchir des mâles,
continuent de s’accoupler entre elles. Même pour les animaux
qui ont renoncé à la reproduction sexuée, l’intervention de
« l’Autre » demeure nécessaire. Je ne te parlerai pas des êtres
vivants unicellulaires, les bactéries et les protozoaires qui se
reproduisent généralement par division. Un sexe primitif peut
apparaître dans certains cas : la cellule forme avec sa
membrane une sorte de pénis qu’elle plante dans l’intérieur
d’une autre cellule pour lui injecter ses gènes. C’est un grand
avantage ; il a fait le succès du sexe chez les êtres vivants en
facilitant la réparation du génome et en introduisant des gènes
qui favorisent la reproduction.

– Ma petite enfance, et ma scolarité jusqu’à la sixième, se


sont déroulées dans un village de campagne. J’ai pu ainsi
connaître les animaux de ferme et beaucoup d’animaux
domestiques, des chats et des chiens, aussi libres que je l’étais
et dont je me suis fait parfois des amis. Quand venait la saison
des amours, je les ai vus faire la « bête à deux dos », comme
disait le voisin qui les chassait avec un bâton. Je m’étonnais
qu’on puisse parler d’amour devant cette pantomime
grotesque. Après ta description de l’acte sexuel, je me
demande ce qui se passe dans le corps de deux êtres humains
étrangers l’un à l’autre pour que leurs corps se mélangent en
oubliant la pudeur qu’on leur a enseignée depuis qu’ils étaient
petits.

– Alors intervient la force du désir, qui bouscule tout sur


son passage. Exactement comme chez les animaux qui sont
nos cousins souvent très éloignés dans l’évolution. Quoi, en
fait, de plus différent de l’humain qu’un rat ou un cochon ? Et
cependant, ce sont les mêmes substances chimiques, les
mêmes organes et les mêmes gènes qui sont à l’œuvre dans ce
que j’appellerai la physique de l’amour. C’est la vie qui se
manifeste, cette vie qui n’a d’autre dessein avoué que la
reproduction. Nos délicatesses, nos pudeurs protestent
vainement. L’Homme et le plus dégoûtant des parasites sont
les produits d’un même mécanisme sexuel.

– À t’écouter, on a l’impression que la seule chose qui


compte dans la vie des animaux, c’est la reproduction. Est-ce
vrai également chez les humains ? Il me semble que non, tant
je vois autour de moi des femmes et des hommes sans enfants.
– Ton observation est juste, mais tu te places du point de
vue de quelqu’un qui vit dans la France d’aujourd’hui où
règne une mentalité qui sépare nettement sexe et fonctions
reproductrices. Cela n’a pas toujours été le cas et il existe
certaines régions du globe où il est encore mal vu d’être une
femme sans enfants. Si l’on s’en tient à l’observation de la
nature et de ses millions d’espèces animales, il n’est pas faux
de dire que l’animal poursuit non pas sa propre vie, mais la
reproduction. Sans doute beaucoup d’animaux ne semblent
avoir dans une existence longue que des courtes périodes
d’activité sexuelle, mais il faut tenir compte du temps de la
gestation et de l’allaitement pendant lequel la femelle n’est pas
disponible. À l’opposé, chez certaines bestioles, leur vie très
brève se résume à la période de reproduction. Ainsi
l’éphémère, qui naît le soir, s’accouple aussitôt ; la femelle
pond pendant la nuit ; tous deux sont morts au matin sans
avoir vu le soleil. Ces petites bêtes sont si peu destinées à autre
chose qu’à l’acte sexuel qu’elles n’ont pas de bouche. Elles ne
mangent, ni ne boivent. On les voit voleter en nuages denses
au-dessus de la rivière. Les mâles, plus nombreux que les
femelles, fécondent leurs belles jusqu’à l’épuisement. Je
pourrais multiplier les exemples empruntés à la nature et à
l’immense famille des papillons ; tant de beauté qui ne sert
qu’à préparer l’accouplement et à des parades nuptiales qui
sont des préludes à l’amour. Il y a une espèce de papillons, les
Palingenia, dont on n’a jamais vu la femelle. C’est qu’elle est
fécondée avant même d’avoir pu se débarrasser de son corset
de nymphe et qu’elle meurt les yeux encore fermés, mère à la
fois, et poupon au maillot.

– Tu deviens lyrique, papa, quand tu parles des petites


bêtes du jardin. Explique-moi aussi pourquoi les mâles sont si
différents des femelles ? Chez les humains, par exemple, les
hommes sont en général plus gros et plus forts que les femmes.
– C’est ce qu’on appelle le dimorphisme sexuel. Il est le
résultat de l’adaptation de l’espèce à son milieu. C’est
d’ailleurs souvent la femelle qui représente le sexe fort, car
c’est à elle que revient la responsabilité des petits. Chez les
invertébrés, l’état femelle l’emporte généralement et le mâle
est réduit à n’être qu’un simple organe reproducteur qui vit
aux crochets de son épouse. Ainsi, la bonellie femelle est un
ver marin en forme de sac cornu d’une longueur de quinze
centimètres ; le mâle est représenté par un minuscule filament
de un à deux millimètres, c’est-à-dire mille fois plus petit que
la femelle. Celle-ci héberge et nourrit dans son tube digestif
une vingtaine de mâles qui finissent dans l’oviducte où ils
fécondent les œufs.
Chez les vertébrés supérieurs, oiseaux et mammifères, les
différences sont notables, mais sans jamais atteindre toutefois
le dimorphisme monstrueux qui est observé chez les
arthropodes (insectes, araignées et crustacés). Chez les
oiseaux, la disparité concerne le plumage et le ramage. Parfois,
les femelles sont plus belles et plus fortes, comme chez les
rapaces : les mâles laissent à la femelle les brillantes
colorations et la ponte des œufs ; ils assument cependant la
suite des soins maternels, ce sont eux qui couvent. Mais tu
connais tout ça très bien puisque tu es une familière des zoos
et des basses-cours. Chez les mammifères, les mâles sont en
général plus gros, plus forts, plus agressifs comme chez les
grands singes. Parfois, comme chez la taupe, on ne distingue
pas à la vue le mâle et la femelle, qui portent tous les deux un
pénis. La différence réside, en revanche, dans le
comportement.

– Assez parlé des bêtes. Je veux entendre ton opinion sur


les différences entre les hommes et les femmes. Maman te
reproche souvent ton « machisme ». Qu’as-tu à dire pour ta
défense ? Je t’écoute avec bienveillance parce que tu es mon
papa chéri.
– Dans l’espèce humaine, le dimorphisme sexuel
s’exprime dans le duo masculin-féminin. Dès l’école
maternelle, tu as su faire la différence entre un petit garçon et
une petite fille en te fondant sur leur apparence corporelle,
leurs manières et leurs jeux. Plus tard, au collège, à l’âge que
tu as aujourd’hui, une véritable métamorphose se produit chez
la fille et chez le garçon, qui contribue à accentuer leur
dissemblance. Cette révolution corporelle s’appelle la
puberté ; elle correspond à l’installation des caractères sexuels
secondaires comme la voix et la barbe chez le garçon et les
seins chez la fille pour ne parler que des signes les plus
apparents. C’est surtout le moment où s’installe la fonction
reproductrice. Chez la jeune fille, qui acquiert alors le statut de
femme, la ponte cyclique d’un ovule dans les voies génitales
s’accompagne d’un écoulement périodique de sang : les règles.
Le garçon et la fille affichent ce qu’on appelle leur genre,
fondement de leur identité. Les voici donc confrontés par leur
différence, et en même temps attirés l’un vers l’autre, dans ce
que les Hommes appellent l’amour.
Le sexe et la génétique
Avant d’aller plus loin dans mes explications, il faut que
tu saches que les mots et les choses qu’ils désignent sont
parfois ambigus et qu’il peut y avoir plusieurs sens pour le
même mot. Ainsi le mot « sexe » s’applique aux organes
sexuels (par exemple le pénis), à l’acte sexuel proprement dit,
et à différents niveaux d’organisation, on parle ainsi d’un sexe
chromosomique qui parfois ne correspond pas à l’apparence
mâle ou femelle de l’individu.

– Qu’est-ce qui décide du sexe d’un bébé ? On dirait que


les parents tirent au sort et attendent la sortie du bébé pour
savoir s’ils ont gagné une fille ou un garçon.

– Tu ne crois pas si bien dire, même si aujourd’hui les


parents ont la possibilité de connaître le sexe du bébé avant la
naissance, grâce à l’échographie, qui permet de voir le fœtus
dans le ventre de sa mère. Certains parents préfèrent ne pas
savoir et attendre que l’enfant paraisse pour lui donner un
prénom.

– Maman m’a montré ma photo de profil au septième


mois de grossesse. Il paraît que je suis très ressemblante… Je
me trouve assez moche – il est vrai que l’on connaît mal son
profil.

– Il n’empêche que tu as raison, il y a bien tirage au sort !


Celui-ci se fait dans l’organe sexuel de la mère, l’ovaire, lors
de la fécondation. Cette phase est le cœur de la reproduction,
aussi bien chez les végétaux que chez les animaux. Tu ne peux
pas imaginer le luxe de moyens variés que la nature a inventé
pour qu’une cellule sexuelle mâle rencontre une cellule
sexuelle femelle et fusionne avec elle pour donner un œuf chez
l’animal, ou une graine chez la fleur. Il s’agit bien de l’étape
clé qui permet la combinaison des informations génétiques
provenant de deux cellules séparées issues de deux parents
différents. On appelle les cellules sexuelles des gamètes :
l’ovule femelle et le spermatozoïde mâle.
Tu sais que chaque cellule du corps contient dans son
noyau un double lot de chromosomes. L’humain possède un
patrimoine génétique porté par 23 paires, soit 46 chromosomes
classés d’après leur taille. La dernière paire est spécialisée
dans les affaires sexuelles. Chez la fille, les deux
chromosomes appelés X sont semblables. Celle-ci est donc
XX et chez les garçons, un des deux chromosomes est
différent, Y ; les garçons sont donc XY.

– On est bien loin de l’amour, papa, avec tes X et tes Y !

– Pardonne-moi de trop ramener ma science, mais sans


nommer les choses pour les décrire, on ne peut rien
comprendre. Quand tu croques une pomme ou que tu effeuilles
une marguerite, tu rends hommage sans le savoir à la
mécanique complexe et précise du sexe qui permet à la vie de
vivre sa vie et à l’amour de régner sur tout ce qui est vivant.
Sois donc un peu patiente et je t’expliquerai ce qui décide du
sexe d’un bébé ; on le sait grâce à la science moderne. Une
étape préalable indispensable à la fécondation est celle de la
réduction du nombre de chromosomes dans les gamètes. Après
un cycle spécial de division (méiose), ces gamètes ne
contiennent plus qu’un seul lot de chromosomes ; ils sont dits
haploïdes. Au moment de la fécondation, un spermatozoïde
fusionne avec un ovule pour donner un œuf fécondé appelé
zygote avec à nouveau deux lots de chromosomes. Cet œuf est
diploïde et la vie se poursuit avec un double lot de
chromosomes dans toutes les cellules de l’embryon qui se
multiplient par divisions à partir du zygote.
– Tu ne m’as pas dit comment se produit le tirage au sort.

– Je te montre maintenant la situation dans l’appareil


génital de la mère au moment où va se produire la fécondation,
si toutefois celle-ci a lieu car la vie ne gagne pas à tous les
coups. Sont en présence, d’un côté l’ovule maternel qui vient
d’être pondu, de l’autre, une armada de spermatozoïdes
parvenus à proximité de l’ovule grâce à leur flagelle (une sorte
de rame) qui permet de remonter les voies utérines. À la suite
de la méiose, ces gamètes mâles possèdent un seul lot de
chromosome sexuel tantôt X, tantôt Y. L’ovule, en revanche,
possède obligatoirement un chromosome X. Selon que le
spermatozoïde vainqueur qui fusionne avec l’ovule est X ou Y,
l’œuf fécondé sera donc XX ou XY, fille ou garçon.

– On peut donc dire que les jeux sont faits au moment de


ce que tu appelles la fécondation ?

– Si tu veux. Comme au théâtre, ce sont les jeux « de


l’amour et du hasard ». Il est vrai qu’aujourd’hui on a la
possibilité de féconder un ovule artificiellement et de choisir le
sexe grâce aux techniques de fécondation in vitro empruntées
à la biologie animale. Celles-ci permettent à des couples, qui
pour toutes sortes de causes physiques n’en ont plus la
possibilité, d’avoir un bébé à élever et à aimer. Ce n’est plus
du hasard, mais il reste l’amour.
Le développement du bébé
– Cela ne me dit toujours pas comment à partir d’un
embryon XX ou XY la maman fabrique son bébé.

– Tu as raison, après la fécondation, tout reste à faire.


Certaines autorités se croient permises d’émettre une opinion
dont elles font une obligation morale le plus souvent dictée par
leur croyance. Selon eux, l’embryon est une personne
potentielle. Il est donc sacré et ne peut servir, par exemple, à la
recherche scientifique ou faire l’objet d’un commerce. Tu te
feras une opinion toi-même. La nature n’a pas ces scrupules.
Dans le temps qui suit la fécondation, notre sacré zygote
devenu embryon va tenter de vivre sa vie dans la cavité
utérine. La paroi de celle-ci s’est épaissie et enrichie en
vaisseaux sanguins. Entouré de nouvelles membranes,
l’embryon vient s’y blottir et s’y coller ; il y fait son nid en
quelque sorte. L’implantation est une phase critique et ne
réussit pas à tous les coups. L’embryon qui n’a pu se fixer n’a
plus qu’à mourir avant d’être éliminé par le flux sanguin des
règles suivies d’un nouveau cycle ovarien. L’implantation
réussie mène à la période embryonnaire proprement dite qui va
durer deux mois et sera intensément consacrée à la division
cellulaire et à la segmentation des différentes parties du corps.
Au début du troisième mois, l’embryon se détache de ses
membranes et devient un fœtus qui commence son
apprentissage de la liberté comme un poisson dans l’eau ou
plutôt comme un scaphandrier, car il est relié par le cordon
ombilical à la paroi utérine et à son placenta, par celui-ci à la
mère, et finalement par cette dernière au monde dont elle lui
offre un avant-goût. Le développement du fœtus est une
fabuleuse aventure à laquelle participent des milliards de
cellules qui contribuent à la construction des différents
organes.
– Laisse tomber le développement, nous avons eu au
collège un excellent cours d’embryologie, consacré il est vrai
principalement au crapaud. Mais il paraît que cela ne diffère
pas beaucoup de l’Homme. Revenons plutôt au sexe.
Le sexe et le genre
– Jusqu’à l’âge de 2 mois, l’embryon humain n’a pas de
genre ; l’ébauche de son appareil génital présente à la fois des
éléments mâles et femelles. La différenciation sexuelle est
l’œuvre des glandes sexuelles qu’on appelle les gonades. Cela
est vrai chez tous les mammifères. S’il est castré pendant la
vie utérine, un fœtus donne à la naissance un individu de sexe
féminin. La différenciation sexuelle de la femelle répond donc
à un type neutre. À partir de là, on peut dire n’importe quoi sur
la supériorité ou l’infériorité des femmes : une querelle
imbécile dans laquelle des savants qui sont spécialistes des
souris et des rats se permettent de donner des avis qui ne
concernent pas vraiment les hommes et les femmes. Je te
résume simplement les faits. Le sexe de l’animal – en
l’occurrence la nature de ses gonades – est déterminé au
moment de la conception par la formule chromosomique
héritée des parents : un chromosome X vient obligatoirement
de la mère ; l’autre X ou Y est donné par le père. Les gonades
(testicules et ovaires) produisent des hormones qui circulent
dans le corps de l’embryon et sculptent dans sa chair les traits
mâles ou femelles : la testostérone pour les premiers,
l’œstradiol et la progestérone pour les seconds. Toujours selon
la théorie, en l’absence de chromosome Y les testicules ne se
forment pas et les ovaires se développent spontanément, avec
pour conséquence l’apparition de caractères sexuels femelles.
Dans ce scénario, seul le sexe masculin est déterminé et le
sexe féminin ne peut s’exprimer que par défaut, en l’absence
du premier.

– Ce n’est pas réjouissant pour les filles ! À t’écouter, les


filles ne seraient des filles qu’en raison de l’impossibilité pour
elles de devenir des garçons.

– Tu fais bien de protester. La théorie chromosomique du


sexe n’a fait que prolonger l’opinion bien ancrée dans la
pensée des savants depuis l’Antiquité selon laquelle la femme
n’était qu’un homme inachevé. Ce dont rendait compte sa
position sociale inférieure. À ce sexe unifié demeuré à l’état
d’ébauche chez la femme correspondaient deux genres, l’un
dominant (le masculin) et l’autre dominé (le féminin). Tu sais,
c’est presque toujours la règle dans l’espèce humaine – cette
espèce qui a appris à parler et qui croit à tout ce que ses
membres racontent, le maître trouve toujours de bonnes
raisons tirées de l’observation de la nature pour justifier la
tyrannie qu’il exerce sur l’esclave. Chez les jeunes gens de ta
génération, les mentalités ont évolué, mais quand tu regardes
autour de toi, tu vois le chemin restant à poursuivre pour
atteindre une égalité qui respecte les différences aveuglantes
entre les deux sexes.

– Le sexe est donc le produit du hasard. Un bébé n’a


aucune chance d’être un garçon s’il ne possède pas le fameux
chromosome Y. Il y a des pays où avoir une fille est un
malheur pour les parents. Mamie m’a raconté que les couples
qui n’avaient que des filles étaient ceux où le père et la mère
s’aimaient beaucoup.

– C’est évidemment absurde. Le seul domaine où le sexe


et l’amour n’ont rien à faire ensemble est le choix entre mâle
et femelle pour le zygote. Je veux bien que l’on fasse croire
aux petits-enfants que les garçons naissent dans les choux et
les fillettes dans les roses ; c’est très poétique, comme la
cigogne qui les apporterait, mais ça n’a malheureusement pas
plus de réalité que le pouvoir de l’amour sorcier dans le choix
du sexe. Il faut que tu saches toutefois qu’il existe des sujets
humains chez qui la loi chromosomique est contredite par une
inversion sexuelle : XX pour des hommes et XY pour des
femmes. L’explication tient au fait que les chromosomes
n’interviennent que par l’intermédiaire des gènes qu’ils
portent. Ainsi, le chromosome Y porte un gène appelé SRY
dont l’expression dans les ébauches gonadiques du fœtus
aboutit à la sécrétion d’une hormone qui provoque la
régression de l’appareil sexuel femelle suivi du développement
de l’ébauche testiculaire. Ceci serait relativement simple, s’il
n’existait d’autres gènes, notamment sur le chromosome X. En
fait, le sexe n’est pas seulement lié à l’expression d’un gène
masculinisant opérant par défaut chez la fille, mais à une
balance complexe, faisant intervenir cette cascade d’autres
gènes entre un gène masculinisant et un gène féminisant. Je
suis sûr qu’il reste à découvrir des gènes qui interviendraient
dans la cascade de facteurs assurant la détermination sexuelle.
En contraste avec l’importance capitale de la reproduction, il
faut aussi noter la variété extraordinaire des molécules
impliquées d’une espèce à l’autre, reflet de leur fragilité chez
l’Homme. Ce qui importe pour l’espèce, c’est de se
reproduire ; mais quelle incertitude dans les moyens,
notamment chez l’humain ! Finalement, il faut que tu te
souviennes que, dans le choix du sexe, ce sont les
chromosomes qui proposent, mais que, dans la fabrique du
sexe, ce sont les hormones – ces fameuses hormones secrétées
par les glandes sexuelles, testicules et ovaires – qui en
disposent. Ces hormones conduisent l’individu non seulement
dans sa vie de fœtus, mais tout au long de son existence et
jusqu’à sa mort.
Les hormones du sexe
– Peux-tu me dire ce qu’est une hormone ?

– Une hormone est une molécule de signalisation


produite par une glande ou par des cellules éparses qui la
déversent directement dans la circulation sanguine pour être
transportée et agir à distance sur sa cible. Une fois réglé le
problème génétique, XX ou XY, avec les confusions dont je
t’ai parlé, la fabrique du sexe est donc l’affaire des hormones.
Bien au chaud dans la matrice (l’utérus), les petits grandissent,
femelle ou mâle, selon les sécrétions de leurs propres glandes
génitales : pour les ovaires, l’œstradiol, et pour les testicules,
les androgènes, dont le principal est la testostérone. Le pénis,
les bourses et les canaux déférents (autrement dit, la quéquette
et ses accessoires) sont leur œuvre. En leur absence, l’embryon
acquiert spontanément des organes sexuels femelles : utérus,
vagin, lèvres et clitoris. Encore une fois : seule la fabrique du
sexe mâle nécessite l’intervention des hormones, celui de la
femelle se construit librement. Sexe féminin, sexe spontané,
sexe par défaut, sexe de base, sexe primordial, sexe neutre,
sexe fort : l’idéologie n’a qu’à faire son choix ! La sexualité de
l’adulte peut se jouer dans l’utérus de la mère. C’est pendant
cette période, suivie d’un temps plus ou moins long après la
naissance, que se construisent non seulement l’appareil génital
et les caractères morphologiques du corps, mais aussi
l’organisation du cerveau qui gouverne les fonctions de
reproduction et les comportements qui leur sont associés. Les
glandes de l’embryon ne sont pas seules en cause dans sa
sexualisation ; celle-ci dépend aussi de l’environnement :
c’est-à-dire du corps de la mère, avec ses humeurs fluctuantes
et, dans les grossesses multiples, des petits frères et sœurs
compagnons d’utérus. Pendant la grossesse, les hormones de
la mère baignent le fœtus, exposant parfois sa sexualité
naissante à des taux d’androgènes élevés ou à d’autres excès
hormonaux qui retentissent sur sa différenciation sexuelle. Les
vétérinaires ont observé que lorsqu’une vache portait des
jumeaux mâle et femelle, la génisse était stérile et présentait
des caractères masculins ; ils en avaient conclu que les
androgènes du veau imprégnaient le corps de la génisse à
l’intérieur du ventre maternel et étaient responsables de sa
masculinisation. Un exemple de l’influence de
l’environnement sur le genre est celui de la hyène tachetée.
Les femelles ont une allure de mâle avec une forte taille, une
morphologie masculine, un pseudo-pénis et des lèvres formant
des bourses, malgré des ovaires et un utérus normaux. Dans
les combats, elles sont les plus fortes et exercent une position
dominante dans la meute. Il s’agit probablement d’une
adaptation à un milieu désertique et pauvre en ressources. La
cause immédiate tient à la présence d’un taux excessif
d’androsténédione, un composé inactif chez la mère qui est
converti dans le placenta en hormone active capable de
masculiniser le fœtus. La cause ultime, celle qui concerne
l’adaptation, pourrait être l’avantage qu’il y aurait, dans un
milieu où la nourriture est rare et difficile à acquérir, à ce que
les femelles participent à sa quête incertaine, en l’occurrence à
la chasse collective. Enfin, et peut-être surtout, les hormones,
celles du fœtus et celles de la mère, jouent un rôle éminent et
déterminant dans la sexualisation du cerveau et dans la
construction des circuits nerveux dont dépendront les
fonctions sexuelles de l’individu et notamment son
comportement mâle ou femelle plus ou moins affirmé. Sans
entrer dans les mécanismes de la sexualisation de certaines
régions cérébrales, j’insisterai sur l’ambivalence étonnante des
hormones gonadiques en remarquant que la testostérone doit
être convertie en œstradiol dans le cerveau pour y exercer sa
fonction masculinisante et que, dans beaucoup d’espèces, y
compris dans l’espèce humaine, elle peut exercer une action
stimulante sur l’activité sexuelle mâle aussi bien que sur celle
femelle. En revanche, la progestérone, hormone femelle par
excellence et qui passe pour avoir un effet inhibiteur sur
l’activité sexuelle mâle, s’avère également stimulante dans
certaines conditions. Ainsi, un pic de sécrétion de
progestérone accompagnerait la montée de désir du mâle avec
la tombée de la nuit ! Cela est vrai chez certains animaux et
peut-être aussi chez les garçons. Alors (je dis ça pour
plaisanter, bien sûr), méfie-toi des hommes quand vient le
crépuscule. Je crois utile de souligner la dualité ambiguë des
hormones sexuelles au niveau des organes et des structures,
notamment nerveuses, dont elles ont la charge.
Volontairement, je n’ai pas séparé le sort de l’Homme de celui
du rat ou de la vache. C’est que fondamentalement la sexualité
possède des caractères universels. Mais, s’agissant de
l’Homme, la rupture évolutive, en matière de sexe, est aussi
radicale que pour les fonctions instrumentales ou langagières –
et probablement pour les mêmes raisons. Quand il naît, le petit
Homme n’est pas fini : son enfance et son développement
durent plus longtemps que chez n’importe quelle autre espèce.
Pour un mouton ou pour un rat, son destin sexuel est joué à la
naissance ; tout reste à faire, ou presque, pour le petit
Homme : la fabrique du sexe, avec sa part d’improvisation et
de hasard, se poursuit pendant de longues années. C’est
probablement le face-à-face de l’homme et de la femme, dans
la confrontation de leur différence en même temps que de leur
similitude, qui fonde la parole de l’humain sur laquelle s’est
construite l’humanité, un mot qui témoigne de la singularité de
l’espèce humaine. Or cela ne concerne pas les hormones, mais
ce cerveau humain avec son développement qui le différencie
des autres bêtes. Je t’ai parlé de lui en premier, car il règne en
maître sur le sexe de l’homme. Mais il est lui aussi sous
l’influence des hormones qui agissent en retour sur son
fonctionnement. Un mot enfin sur la castration et ses effets.
Pratiquée avant la puberté chez le jeune garçon, elle empêche
celle-ci de se produire. L’adolescent grandit en conservant sa
voix d’enfant et son corps adopte les traits féminins (seins,
hanches et absence de poils). Il en allait ainsi dans les États du
pape où les castrats remplaçaient les chanteuses et les
comédiennes à qui l’accès était interdit. Dans les pays
musulmans et dans l’Empire chinois, les eunuques occupaient
les fonctions de gardiens du sérail ou harem et parfois celles
de Premier ministre, comme le fut Li Hongzhang, amant de la
dernière impératrice.
– Les hormones, c’est bien joli, mais je me demande où
est passée la poésie, l’imagination, la beauté. Je ne sais
d’ailleurs toujours pas ce qu’est l’Amour. Mais j’aime les
romans d’amour.

– Le sexe, c’est aussi tout cela. Le sexe, c’est la fleur,


c’est le chant de l’oiseau. Ces chants n’existent que parce que
l’oiseau est aussi la chair qui palpite sous les plumes et que la
fleur fleurit parce que les racines de la plante apportent la vie
(l’amour) dans ses cellules. Je te demande de regarder derrière
l’apparence des choses ; tu verras qu’elle est souvent
trompeuse. Ainsi, faut-il distinguer la différenciation sexuelle
et l’orientation sexuelle.
La différenciation sexuelle
et l’orientation sexuelle
Je t’ai parlé de la différenciation entre féminin et
masculin, qui est sans aucun doute sous la dépendance des
hormones sexuelles. Des expériences (chez les rats) ont
montré que la bipolarité mâle-femelle du fœtus pouvait
conduire à l’un ou l’autre sexe selon les hormones qui
circulent chez le fœtus. Une anomalie dans le programme
hormonal provoque une différenciation sexuelle atypique. Ceci
est le cas chez l’humain lorsque, par exemple, la mère a reçu
pendant la grossesse un traitement hormonal inapproprié.
Même chez l’humain et même chez les adultes, les hormones
sexuelles conservent après la vie embryonnaire leur pouvoir
sur la différenciation sexuelle. Il s’agit d’une question
complexe et particulièrement difficile à aborder, comme
d’ailleurs tout ce qui touche au sexe chez l’humain, domaine
privilégié de l’hypocrisie et des préjugés. Tu as sûrement
entendu parler des transsexuels. Une loi récente vient de les
rayer du cadre des malades et de leur attribuer un statut de
normalité. Ce sont des hommes et des femmes qui ne vivent
depuis leur enfance qu’avec le sentiment profond qu’ils
appartiennent à l’autre sexe. Tel homme, par exemple, rêve
qu’il est, malgré son état civil et son apparence, une femme
dans la réalité. Dès qu’il en aura la possibilité, tous ses efforts
tendront à transformer son corps en celui d’une femme comme
les autres ; d’abord par le travestissement, accompagné d’un
traitement aux œstrogènes qui lui donne un corps féminin,
parfois très beau, et enfin par une opération chirurgicale qui le
débarrasse de ses organes génitaux mâles et les remplace par
un simulacre d’organe femelle. Ces observations m’amènent à
parler de la notion d’identité de genre qui désigne le sexe dans
lequel se reconnaît le sujet. Cela n’a rien à voir avec
l’homosexualité. Un(e) homosexuel(le) ne cherche pas à nier,
bien au contraire, le sexe auquel il / elle appartient. Les
sexologues anglo-saxons défendent la théorie selon laquelle
l’identité sexuelle du futur adulte dépend presque
exclusivement de la conviction des parents sur le sexe de leur
enfant pendant les deux ou trois premières années de la vie.
C’est le cas des filles qui naissent avec des organes génitaux
de garçon en raison d’une sécrétion anormale d’hormones
mâles chez le fœtus ou de garçons dont les hormones mâles
n’ont pas de récepteurs dans le corps et gardent donc des
caractères sexuels femelles (testicules féminisant). Ces filles-
garçons sont des faux hermaphrodites.

– Ces hommes qui ressemblent à des femmes et se


comportent comme des femmes (ou l’inverse) ne sont-ils pas
des homosexuels ?

– Cela n’a rien à voir. Les transsexuels croient que,


contrairement aux apparences, ils appartiennent à l’autre sexe
et vivent comme tels. C’est une sorte de délire et ils vont
jusqu’à utiliser des moyens irréversibles comme la castration
pour devenir ce qu’ils croient être. Il n’en est pas de même
pour l’homosexualité. Celle-ci traduit une orientation sexuelle
dirigée sur un partenaire du même sexe et aboutit
généralement à un comportement sexuel que l’on peut à la
rigueur requalifier d’atypique (en aucun cas d’anormal) par
opposition au comportement sexuel typique accompli avec un
partenaire de sexe différent. Le règne animal offre de
nombreux exemples de ces comportements sexuels atypiques.
Ils se produisent spontanément, surtout chez la femelle. On
recense de nombreuses espèces « coupables » de telles
pratiques, allant des lionnes, chiennes, chattes, aux indolentes
vaches de nos prairies qui occupent une partie de leur temps –
tu l’as observé – à se monter dessus. Chez les mâles, la
pratique sexuelle atypique est plus rare, à l’exception de
quelques singes en captivité, peut-être en raison de leur
désœuvrement. L’homosexualité n’a probablement rien à voir
avec la biologie. Il y a régulièrement des scientifiques qui
prétendent en trouver la cause dans les structures du cerveau,
dans les gènes ou dans les hormones, quand ce n’est pas dans
l’histoire familiale ou dans la société. Longtemps deux
approches concurrentes, l’une médicale et l’autre criminaliste,
se sont disputé le terrain. Il existe encore des pays où
l’homosexualité est punie de mort. C’est la démonstration que
chez l’Homme, le sexe et l’amour doivent être séparés des
fonctions reproductrices. Tout simplement, je crois qu’il est
préférable de penser que l’amour qui lie deux amants du même
sexe est semblable à celui qui règne entre un homme et une
femme dans leur quête réciproque de l’Autre.

– Une fois de plus, tu passes du sexe à l’amour sans que


je puisse faire la différence entre l’un et l’autre.

– Le sexe et l’amour, je ne cesserai de te le répéter ne


peuvent pas être abordés l’un sans l’autre. Le sexe sans
l’amour perd sa puissance bienfaisante et devient souvent
corruption de l’Âme. Encore faut-il s’entendre sur le sens du
mot Amour. Dans une acception générale, il signifie la vie,
comme j’ai essayé de te l’expliquer au début ; à ce titre, le
sexe participe de l’amour puisqu’il contribue à la pérennité de
la vie. L’Amour chez l’humain prend un tout autre sens
puisqu’il exprime le désir d’aller vers l’autre tout en traçant le
chemin de la joie ; il est jubilation dans la connaissance de cet
être différent qui est aussi son semblable. On peut d’ailleurs
illustrer ce paradoxe en remarquant que le coup de foudre
touche souvent des individus qui se ressemblent.

– Je crois comprendre ce que tu dis quand tu me parles


de l’amour et de ses valeurs universelles. Mais cela ne m’aide
pas face à ce sexe dont les adultes semblent avoir fait le centre
de leurs préoccupations. Ça ne m’encourage pas au moment
de pénétrer dans ce qui ressemble à la salle mal éclairée d’un
château hanté de préjugés. Et je me sens d’autant moins à
l’aise que j’observe les modifications de mon corps et surtout
l’air entendu des vieux qui parlent de « l’âge ingrat » en
faisant semblant de comprendre ce qui m’arrive alors qu’ils
ont tout oublié de leur propre jeunesse pour se conformer aux
clichés. Allez, papa, courage, parle-moi encore de l’amour
sans faire de manières.
Histoire naturelle de l’amour
– Est-il normal d’avoir plusieurs petits amis à la fois ou
plusieurs petites amies pour un garçon ? Un homme peut-il
avoir plusieurs épouses successivement ou à la fois et une
femme plusieurs hommes dans sa vie ? J’ai des copines qui ne
pensent qu’au sexe et qui se vantent d’avoir déjà connu
plusieurs garçons. Doit-on attendre le mariage pour faire
l’amour ? Doit-on rester avec le même homme toute sa vie,
même si on ne l’aime plus ?

– Que de questions à la fois ! À nouveau, je vais prendre


ma casquette de scientifique pour te répondre, même si je n’ai
pas vraiment de réponses à tes questions – et je ne suis pas sûr
que, dans ce domaine, je sois un exemple à suivre. Comme
précédemment, on va d’abord parler des animaux.
La monogamie, c’est-à-dire un seul mâle pour une seule
femelle, est exceptionnelle dans la nature. Il n’y a
pratiquement comme animaux monogames que ceux qui font
l’amour une seule fois dans leur vie. Il y a toutefois des
monogamies de fait – il n’y en a pas de nécessaire – dès que la
vie de l’animal est assez longue pour lui permettre de se
reproduire plusieurs fois. Les femelles de mammifères en
liberté fuient presque toujours le mâle qui les a déjà servies. Il
leur faut du nouveau. La chienne n’accueille qu’à la dernière
extrémité le chien de la saison précédente. C’est un
phénomène qu’explique la sélection naturelle et la nécessité
d’introduire la variété dans l’espèce pour maintenir son
adaptation à l’environnement. Tu entends assez parler
aujourd’hui de cette biodiversité qui serait paraît-il menacée.
Si l’espèce humaine présente une grande diversité de types,
c’est sûrement parce qu’elle est polygame. La monogamie que
l’on entretient dans les familles aristocratiques royales, nobles
ou simplement bourgeoises, conduit à la fixité du type et à la
création de races qui n’ont pas de sens et sont une absurdité en
regard de la survie de l’espèce et d’une façon plus générale de
la vie. L’idée de race conduit au déclin de l’humanité ; celle-ci
ne doit son essor qu’à sa dispersion géographique et aux
mélanges entre individus. Si un jour, tu me présentes un
amoureux d’une autre couleur que la tienne, je me réjouirai, à
la condition, bien sûr, que ce soit un homme brave.
La monogamie peut être à l’origine de l’ennui dans le
couple : la répétition de l’acte sexuel avec le même partenaire
amène parfois à l’épuisement du désir. Je vais te raconter une
expérience que des chercheurs ont reproduite dans mon
laboratoire. Lorsqu’une femelle en œstrus est introduite dans
la cage d’un rat, celui-ci met un certain temps à s’intéresser à
l’intruse ; les travaux d’approche se font avec hésitation et
l’acte sexuel une fois déclenché traîne en longueur. Après
l’éjaculation, le rat se repose quelque temps (5 à 6 minutes) et
monte à nouveau sur la femelle, l’acte est cette fois bref et
sans atermoiements. Il est ensuite répété quatre ou cinq fois à
intervalles rapprochés, toujours aussi rapide et décidé. Et
brusquement, tout s’arrête, la femelle cesse d’intéresser le
mâle. On pourrait croire que, celui-ci épuisé, comblé, est en
état de satiété sexuelle ; erreur, le rat s’ennuie. Il suffit
d’introduire dans la cage une nouvelle femelle pour que les
ébats reprennent avec le même enthousiasme. Des dosages de
dopamine libérée dans une région du cerveau, le noyau
accumbens, un important relais des voies nerveuses du désir,
montrent que le taux de cette substance suit fidèlement chaque
montée du désir et s’effondre après chaque éjaculation. Ainsi,
l’ennui lié à l’absence de nouveauté serait une inhibition assez
puissante pour s’opposer à un désir qui ne demanderait qu’à
s’exprimer. Tu ne dois surtout pas prendre cette expérience
pour une incitation à être volage. Les humains, je ne te le
répéterai jamais assez, ne sont pas des rats. Ils ont un énorme
cerveau, notamment la partie située juste derrière notre front,
responsable du contrôle de leurs actions et de leurs sentiments,
surtout des jugements moraux que leur impose la vie en
société et de leurs goûts et dégoûts. Ils ont aussi une notion du
temps qui passe, d’une histoire qui n’appartient qu’à eux, ce
qu’on appelle la conscience de soi et une mémoire qui joue, je
te l’ai déjà dit, un rôle essentiel dans le choix de l’Autre
(l’objet d’amour) et dans la durée de cet amour. Je te parlerai à
nouveau de cette ocytocine en te racontant ce qui se passe dans
le cerveau d’un petit rat des champs américain, un campagnol.
Lui et ses congénères forment en effet des couples monogames
(à la différence des hommes appartenant à la religion
mormone qui habitent le même territoire) qui sont unis pour la
vie. Le père, fidèle et soucieux de défendre le gîte contre les
étrangers, participe à l’entretien des petits. L’ocytocine,
comme dans l’attachement parents-enfants, lie entre eux les
partenaires sexuels. Lors de l’accouplement, cette molécule
abondamment libérée dans le cerveau de la femelle se fixe sur
les récepteurs situés dans le noyau accumbens, plaque
tournante, on s’en souvient, du plaisir et du désir. Les deux
partenaires copulent toutes les vingt minutes pendant environ
deux jours après le premier contact. La campagnole est
désormais sous le joug de son campagnol, comme s’il
s’agissait d’une puissante drogue. La libération d’ocytocine
survenant lors de la copulation est en quelque sorte la
répétition de la grande scène de l’accouchement. Mais que
devient dans cette affaire l’objet d’un tel attachement, le
mâle ? La libération d’ocytocine dans son cerveau au cours
des coïts à répétition des premiers jours a installé, chez lui
aussi, un lien durable avec la femelle. De la vasopressine
stimulée par la montée de testostérone s’est également
répandue dans certaines aires de son cerveau. Le mâle, de son
côté, « imprégné » de vasopressine, « reconnaît » les petits.
Bon époux, grâce à l’ocytocine, voici désormais le campagnol
de prairie devenu bon père, grâce à la vasopressine. Cette
hormone est également responsable chez le rat de la mémoire
sociale, notamment celle qui s’exerce à l’égard des jeunes. Je
suis cependant un peu réticent sur le rôle de l’ocytocine dans
la formation et l’entretien du couple chez l’humain. On met un
peu l’ocytocine à toutes les sauces sentimentales : hormone de
l’affection, de la tendresse, de la quiétude chez l’humain. Des
expériences récentes semblent paradoxalement attribuer ces
rôles bénéfiques à la testostérone, l’hormone mâle (sécrétée
aussi chez la femelle à faible dose) qui serait dans les deux
sexes l’hormone de la gentillesse et du sens de l’équité et non
celle de l’agressivité, de la jalousie et de la violence, défauts
que l’on prête généralement aux hommes. Comme tu vois,
quand il s’agit des conduites humaines, il faut se méfier d’en
attribuer la cause à une molécule ou à un gène. La chimie de
nos sentiments est impuissante à résoudre les problèmes
existentiels de cette bête étrange qu’est l’humain. Pour se
reconnaître et ne plus se quitter, des signaux sensoriels,
visuels, tactiles, olfactifs et de douces paroles mélodieuses,
comme un chant d’hyménée, n’ont pas besoin du secours des
hormones pour déclencher une passion qui, au début tout au
moins, se veut éternelle. « Si tu veux connaître les hommes,
regarde les singes » dit-on parfois. Il existe des espèces
monogames chez les singes, mais en règle générale, ces
espèces connaissent en même temps une polygamie sociale
(un mâle et une femelle vivant ensemble, mais ne s’accouplant
pas exclusivement l’un avec l’autre). On identifie la
monogamie sociale par l’existence d’un attachement tel que
les membres du couple présentent une attraction mutuelle et
expriment de la détresse quand ils sont séparés l’un de l’autre,
par la fidélité au partenaire, par la protection de celui-ci et
l’agression contre des individus non familiers du sexe opposé.
Une telle définition s’applique parfaitement aux ouistitis. À
quoi ces singes passent-ils leur temps ? À chercher de la
nourriture, bien sûr – manger, boire, dormir – mais surtout à
s’épouiller, à échanger entre partenaires des petites attentions
– papouilles, caresses, bisous – et à copuler. Cette activité est
indépendante du statut social et de la fonction reproductrice.
L’ovulation est cachée comme chez la femme et les mâles
restent très actifs en dehors des périodes de fécondité
maximale de la femelle. La fréquence des copulations
augmente lorsque les liens entre partenaires s’affaiblissent, en
présence de dangers potentiels, après une séparation brève ou
lors de la perte d’un enfant. Tout se passe alors comme si un
débordement d’affectivité et de sexe venait adoucir un malheur
ou écarter une menace. On peut se poser la question : pourquoi
autant de sexe ? Un sociologue conclurait que l’ovulation
cachée oblige le mâle à s’accoupler avec la même femelle tout
au long de son cycle, afin d’augmenter ses chances de
reproduction. On pourrait utiliser le même argument à propos
de l’Homme. Chez la femelle ouistiti, comme chez la femme
d’ailleurs, l’ovulation n’est cachée que pour celui qui ne la
voit pas. La guenon dispose d’indices indirects, olfactifs par
exemple, pour faire connaître au mâle sa période féconde. En
réalité, l’intérêt immédiat du sexe est ailleurs. Mon hypothèse
est qu’il réside simplement dans le plaisir qu’il procure aux
deux partenaires. Avoir un partenaire régulier accroît le
rendement du plaisir – dans un premier temps tout au moins.
Tout se passe chez les ouistitis comme si les copulations
fréquemment répétées au début de la liaison tendaient à
installer et à consolider l’attachement. Chez le mâle, la
présence d’un rival potentiel augmente le rythme des
accouplements. La femelle n’est pas épargnée par la jalousie.
Elle déploie un nombre accru de sollicitations sexuelles
lorsqu’elle est exposée à l’odeur d’une reproductrice
étrangère. Je ne te dirai pas que c’est une recette universelle,
mais seulement la leçon de Mme Ouistiti, qui est que pour
retenir son mari, il faut souvent faire l’amour avec lui et lui
procurer du plaisir.

– Tout ce que tu me racontes en mêlant les animaux et les


humains ne tient pas compte de la supériorité de ces derniers.

– Je ne parlerai pas de la supériorité des humains (ils sont


les seuls dans la nature à se croire supérieurs et encore pas
tous), mais de leur sociabilité extrême qui contraste avec leur
individuation également extrême. Tout Homme est différent de
son prochain. Cette vie en groupes impose un certain nombre
de règles de conduite qui empêchent les différends entre
individus de dégénérer en combat mortel qui affaiblirait le
groupe et bien vite l’espèce tout entière. C’est ainsi que se met
en place une évolution dite culturelle qui remplace l’évolution
physique : depuis qu’ils sont présents sur la terre, les humains
n’ont pas changé. Un homme de Cro-Magnon pourrait se
promener dans la rue, aller à l’université sans qu’on l’identifie.
Cette régulation culturelle va s’appliquer principalement au
sexe, celui-ci étant la principale source de conflits. Parmi ces
règles, il y a l’interdiction de l’inceste, qui semble universelle
bien que sous des formes très variées selon les cultures, et
notamment selon les systèmes de parenté. Ces études sont
complexes et l’objet de trop de discussions entre les
spécialistes (les ethnologues) pour qu’on en parle plus
longuement. Tu retiendras seulement l’importance de la
société et de ses conventions dans le sexe et tu auras
suffisamment de liberté d’esprit pour en discuter la pertinence.

– C’est dommage car cela me paraît passionnant, mais


reviens à l’amour et au sexe.

– Avant d’être le contact de deux peaux, l’amour est une


affaire de reconnaissance. À partir de ta naissance, il se forme
dans ton cerveau ce que l’on appelle des cartes cognitives, où
sont et seront représentés l’ensemble des événements qui
constituent ton histoire. Parmi ces cartes, il existe notamment
ce qu’on peut appeler des « cartes du Tendre », désignant
l’ensemble des représentations qui, dans le cerveau d’un
individu, gouvernent ses attirances, ses choix et ses
comportements sexuels. Celles-ci ne sont pas présentes à la
naissance, mais se développent pendant les années qui suivent.
De tous les animaux sociaux, le petit Homme est celui qui
demeure le plus longtemps exposé à l’influence des autres et
du milieu dans lequel il grandit. Ces cartes dépeignent l’image
de l’amoureux idéal et ce que, en tant que couple, les
amoureux feront ensemble dans une relation romantique,
idéalisée et sexuelle. Elles existent d’abord dans l’imagerie
mentale, puis dans les rêves, dans ce qu’on appelle les
fantasmes, produits de notre imagination qui viennent au
secours du désir quand on est avec l’autre. C’est sous la voûte
du crâne, dans le cortex cérébral, qu’est rangée cette carte du
Tendre dessinée pendant la petite enfance. Les voies
nerveuses, qui déclenchent et entretiennent le désir sexuel,
viennent puiser en elle leur inspiration et leur incitation à
passer à l’acte – ce que les psychanalystes appellent des
pulsions. Mais parfois, cette carte se déchire, à cause des
violences qu’a subies l’enfant, et devient responsable des
désordres amoureux présentés par les pervers et les prédateurs
sexuels – plus nombreux que l’on ne pense, et dont il faudra
toujours te méfier. On reconnaît ces personnes à leur
insistance, parfois à leur gentillesse trompeuse, qui cherchent à
attirer la victime dans leurs filets. Cet affrontement de l’amour
et de la luxure (un des sept péchés capitaux du catéchisme) est
un combat perdu d’avance pour le pervers, prisonnier de la
force qui l’anime, et un dilemme insoluble pour les médecins
impuissants à le guérir comme pour les policiers qui le
traquent. Ses cartes saccagées et faussées pendant l’enfance
par les violences sexuelles que le futur pervers a subies –
souvent de la part d’un parent – lui offrent un modèle
complètement truqué de l’objet de désir sexuel et du
comportement pour l’obtenir. Il s’agit d’un enchevêtrement
monstrueux de l’amour et de la luxure dans lequel les valeurs
morales sont inversées : haine, cruauté, barbarie avec une
recherche obsessionnelle de la souffrance infligée à la victime.
Pendant l’enfance, la perversion est restée silencieuse ; après
la puberté, quand la pression des hormones devient trop
violente, les systèmes désirants s’emballent et précipitent le
sujet dans le passage à l’acte et sa répétition. On parle de
compulsion avec une fréquence qui a tendance à s’accélérer
après chaque crise. Il s’agit, en général, d’un homme adulte
qui opère seul ou avec l’aide d’une complice ; ce qui montre le
caractère passif de la perversion sexuelle chez la femme. Ces
« tueurs en série » sont totalement inaccessibles à la
thérapeutique. Il existe une grande variété de perversions
sexuelles plus ou moins graves dans la mesure où elles
respectent la vie de la victime. On ne peut toutefois sous-
évaluer la gravité du viol, avec ses « violeurs en série », qui
compromet dramatiquement l’équilibre psychique et la santé
de la victime. Je ne voudrais surtout pas donner une sombre
image de l’amour en décrivant ce que les médecins appellent
des paraphilies. Je signalerai seulement les exhibitionnistes qui
montrent furtivement aux jeunes filles rougissantes leur
lamentable sexe le plus souvent à l’état flaccide (car ils sont en
général impuissants). La meilleure réplique n’est pas le cri de
frayeur, mais l’éclat de rire qui les met en fuite. Dans la liste
de ces pauvres malades, il y a encore les voyeurs, les
fétichistes et tous ceux qui atteignent la jouissance par
d’étranges objets de désir : les chaussures, les sous-vêtements,
les lavements, les moignons de membres amputés, etc.
Contente-toi de sourire en pensant que l’homme est vraiment
un étrange animal. Mais heureusement, l’amour échappe le
plus souvent à ces mauvaises rencontres !
Tout ça ne vaut pas l’amour
– Peut-être faudrait-il revenir aux questions simples que
je t’ai posées au début ?

– Pas simples du tout. Ta vie sexuelle dépendra de toi,


mais aussi de tes fréquentations. Les amies sont parfois de
mauvais exemples à ne pas prendre en considération, car le
plus souvent, elles trichent et ne te disent pas la vérité sur leurs
amours. Un jour, tu rencontreras un garçon qui te plaira d’une
façon surprenante et inattendue. Les signaux vont s’allumer
dans ton cerveau. Ce sera une fausse alerte ou la bonne. Vous
serez aussi inexpérimentés lorsque vous explorerez ensemble
les chemins de l’amour. Ceux-ci sont semés d’embûches. Il ne
sert à rien d’avoir peur ; mais tu dois être sur tes gardes et
n’avancer vers le « faire l’amour » que lorsque tu seras assez
sûre de l’autre pour faire la part de ses maladresses. Dans ces
premiers pas, sa gentillesse est le meilleur atout pour réussir,
toute violence est détestable. Tu te contenteras de dire je
t’aime à celui que tu auras choisi ; ou peut-être est-ce lui qui te
dira la phrase magique le premier. L’important est que les deux
le disent, au moins dans leur cœur et ce sera alors l’Amour qui
donnera au sexe la permission de sortie. Il y a, lorsque la
décision est prise d’aller jusqu’au bout du trajet, des
précautions à prendre : la pilule, par exemple, prescrite par la
gynécologue avec la complicité de ta maman, qui est la seule
amie sur laquelle tu peux vraiment compter, parce que tu es
certaine de son amour. Si tu n’as pas pris les pilules
régulièrement, tu dois demander au garçon de mettre un
préservatif : encore une occasion pour lui de montrer sa
maladresse. Il essaiera de se cacher pendant cette manœuvre
assez peu romantique. Évite de le regarder. Tu dois savoir que
la première fois, la pénétration fait un peu mal, mais c’est une
douleur qui se change vite en plaisir quand le garçon se montre
doux et prévenant. 17-20 ans est aujourd’hui encore la
moyenne d’âge pour perdre sa virginité. Mais, s’il est parfois
trop tôt, il n’est jamais trop tard. Évite les débordements
sentimentaux qui empêchent les bonnes décisions. Il arrivera
un moment où la réussite étudiante ou professionnelle
appellera d’elle-même la réussite sentimentale qui t’apportera
le complément de plénitude et la certitude d’être bien partie
dans la vie. Mais je parle comme un livre. Surtout, ne te fais
pas violence et choisis bien qui tu aimes – enfin, essaye.

– Est-ce la même chose pour les garçons et pour les


filles ?

– Je ne crois pas. Les garçons sont aussi timides et


embarrassés au début. Ils ne savent que faire de leur sexe qui
semble ne plus leur obéir. (La découverte d’un sexe de garçon
en érection pour une fille est sûrement une source
d’étonnement et de gêne). De toutes les façons, timide ou pas,
le garçon ne pense qu’à lui et n’a qu’une obsession, pénétrer
sa partenaire. Chez un débutant, l’éjaculation précoce met
souvent fin prématurément à l’accouplement. La fille doit
rassurer le garçon et ne pas se moquer. Un peu d’humour, mais
pas trop, peut apaiser la tension.

– Est-ce qu’il y a des gens qui ne font jamais l’amour et


pourquoi ? Peut-on aimer plusieurs fois dans sa vie ?

– Ceux qui n’ont jamais fait l’amour ne savent pas ce


qu’ils perdent. Certains hommes sont atteints d’impuissance,
incapables d’avoir une érection qui permette la pénétration.
Les causes en sont rares et multiples. Beaucoup
d’impuissances masculines sont temporaires et sont liées à des
causes émotionnelles. On parle de fiasco, dû aussi parfois à un
désir trop violent. Dans toutes ces situations que l’homme vit
comme une humiliation, l’amour de la femme et la patience
sont les meilleurs remèdes. Les filles aussi peuvent présenter
des difficultés d’origine psychique à faire l’amour : la peur,
une pudeur paralysante, l’ignorance exercent un blocage sur le
désir. La persistance d’une telle attitude peut conduire à un
refus du sexe qui plonge la femme dans la terrible condition
sociale de « la vieille fille », souvent victime d’un échec
amoureux qu’aucun lendemain n’est venu réparer.
L’impuissance féminine se traduit par l’absence d’orgasme, la
faiblesse du désir allant jusqu’au refus physique de la
pénétration par spasme du vagin. On utilise pour désigner ces
troubles le vilain mot de frigidité. Il ne faut surtout pas oublier
que l’amour se fait à deux et que c’est parfois l’autre, le
partenaire, qui est le premier responsable. Il y a enfin tous les
célibataires volontaires, mâles ou femelles, qui ont fait vœu de
chasteté pour des raisons religieuses ou autres. Je trouve
personnellement que cela équivaut à un refus de vivre sa vie
qui relève plutôt de la lâcheté que de la vertu. Le sexe est le
plaisir le plus élevé qui soit offert gratuitement à tous les
humains, même les plus misérables. Il est inhumain de ne pas
en profiter. Le cerveau est suffisamment tolérant pour que le
jeune innocent accepte de braver avec cet(te) inconnu(e) tous
les interdits de l’enfance afin de connaître la pénétration
réciproque d’un autre lui-même ; une fusion des sens qui
efface la distance entre les deux corps. Peut-être fermeras-tu
les yeux ; tu verras alors un monde physique envahir
l’intérieur de ton corps effaçant la réalité extérieure et son
étrangeté vulgaire. Car vois-tu, l’amour est le plus grand
mystère de la vie. Demain, tu aimeras quelqu’un aussi
follement que tu le haïras peut-être un autre jour, et jamais tu
ne comprendras les vraies raisons de ton amour, si tant est
qu’elles existent. Je me demande parfois si l’amour n’est pas
la seule chose qui ait compté dans ma vie : j’entends l’amour
fabuleux de mes parents et celui de quelques femmes. Car, je
réponds à ta question : oui, on peut aimer plusieurs fois dans
une vie. L’amour coule comme un fleuve souterrain qui fait
surface quand on ne l’attendait plus et souvent à plusieurs
reprises comme les répliques d’un tremblement de terre. Quel
bonheur d’être malheureux quand on souffre d’amour.
L’amour est une invention permanente ; ne t’enfonce surtout
pas dans la routine du petit confort affectif. Le couple n’est pas
cette prison de l’amour que l’on dénonce parfois. Il peut être
un fabuleux espace de liberté, pourvu que l’amour y règne
sans partage. Un couple déserté par l’amour est comme un
jardin de fleurs qu’on a oublié d’arroser pour se consacrer aux
mesquines occupations de la vie.

– Est-ce vraiment mieux d’attendre le mariage pour


commencer à faire l’amour ?

– Depuis que le mariage n’est plus un véritable sacrement


qui engage une promesse, qu’il est plutôt aujourd’hui une
institution expédiée grâce à la complicité d’un maire et d’un
curé, il est tout au plus devenu un acte symbolique qui n’a de
sens que pour la société, les parents et les amis. Une façon de
dire aux autres : « nous nous aimons ». Ce qui compte, c’est
l’engagement que prennent deux êtres dans l’amour réciproque
qu’ils se portent. Dans le banquet de l’amour, on peut prendre
le mariage au potage ou au dessert ; l’ordre ne change rien. Le
blanc de la robe de la mariée est la couleur de l’amour, pas
celui de la virginité. Quand tu viendras me dire : « Papa, je
l’aime vraiment » ; alors, nous organiserons avec ta mère une
belle fête qui réjouira autant nos cœurs de parents que ton âme
enchantée par la présence de ton amant. Tu fonderas une
famille. Peut-être le premier enfant sera-t-il déjà présent dans
ton ventre et le prêtre, s’il y en a un, fermera les yeux sur ce
qui était autrefois considéré comme un péché.

– Est-ce mieux de faire l’amour quand on est amoureux ?

– Mais il ne faut faire l’amour que quand on est


amoureux !
– Encore une question à laquelle tu n’as pas vraiment
répondu. Est-ce que les hommes pensent plus à l’amour que
les femmes ?

– Sur la jouissance tout d’abord, je t’ai déjà raconté


l’histoire de Tirésias. L’idéal, c’est quand la jouissance
maximale, autrement dit l’orgasme, est atteinte en même
temps par les deux partenaires. C’est loin d’être le cas chaque
fois. L’important est de faire attention au plaisir de l’autre et
de rechercher sa montée progressive. Il faut éviter que l’amour
devienne égoïste, chacun vaquant à son désir, sans faire cas de
celui de l’autre. Le zizi de l’homme, la chatte de la femme,
quelle étrangeté ! Le pénis de l’homme, en particulier, qui
semble échapper à son maître, grandit et grossit sous la seule
force de son désir. Il fascine les femmes à la manière du
serpent dont on raconte qu’il se dresse sur lui-même en
ondulant et fascine sa proie de son regard avant de fondre sur
elle. Et puisque tu es bonne latiniste, sache que fascination
vient du latin fascinus qui se dit phallos en grec (le phallus,
autre dénomination du pénis).

– Tu es pédant, papa, réponds plutôt à ma question.

– Quant à penser davantage à l’amour chez les garçons


que chez les filles, je crois que ça dépend des moments et des
individus. Je serais tenté toutefois de dire que les hommes « ne
pensent qu’à ça » et que le pénis est le centre de gravité de leur
âme charnelle.

– J’ai une dernière question à te poser : elle concerne les


maladies sexuellement transmissibles.
– C’est d’abord, indépendamment de leur gravité, un
véritable poison de l’amour qui lui coupe les ailes en faisant
peser le soupçon d’infidélité. Celui qui a apporté l’infection ne
peut que l’avoir attrapée ailleurs. Ces maladies sont aussi bien
transmises par les femmes que par les hommes. La nature des
germes responsables va des parasites comme les morpions
pubiens et la gale jusqu’aux virus (l’herpès génital et les
crêtes-de-coq dus au Papillomavirus), en passant par les
champignons ou levures comme les Candida albicans, les
microbes comme les trichomonas et ce sont avant tout les
bactéries, parmi elles les Chlamydiae, les mycoplasmes et
surtout l’Haemophilus ducreyi, responsable du chancre mou,
qui font des ravages ; sans oublier la mère Vérole, la syphilis,
aujourd’hui moins fréquente, mais résistante à la pénicilline.
Écoulement purulent, plaques sur les muqueuses, boutons mal
placés, douleurs vaginales, autant de bobos pour lesquels il
faut absolument voir le médecin. Mais la maladie la plus
menaçante, et la plus difficile à soigner, reste bien sûr le sida.
Les maladies sexuellement transmissibles frappent aussi bien
les pauvres que les riches. Ce n’est pas parce qu’un garçon est
bien élevé qu’il ne te fera pas cadeau d’un microbe qu’il faut
soigner à temps pour éviter notamment les risques de stérilité,
de cancer. On vaccine maintenant les jeunes filles contre le
papillomavirus pour prévenir la survenue ultérieure de cancer
du col de l’utérus. Si jamais il t’arrivait de faire l’amour avec
un garçon que tu ne connais pas bien, exige qu’il utilise des
préservatifs qui diminuent, sans les supprimer totalement, les
risques de contagion. Je n’ose pas te dire, car je crois que ce ne
sera pas nécessaire, ne couche pas avec n’importe qui !
L’amour est joyeux, mais cela n’élimine pas le sérieux de cette
entreprise vitale qu’est l’acte de faire l’amour. J’ai du regret
que nous nous quittions sur cette question triviale que posent
les maladies dites vénériennes en sinistre hommage à Vénus.
Cette face noire de l’amour ne doit pas faire oublier que
l’amour est une fête : aimer l’amour, ne retenir dans son âme
que les bonheurs, et surtout n’avoir pas peur de l’amour sont
finalement les seuls conseils qu’un père puisse donner à sa
fille. Le miracle est bien que, malgré tous les dangers qui la
menacent, la mécanique du sexe demeure la plus belle
invention du vivant.

Tu quitteras bientôt le domaine de l’enfance. Il restera


dans mon cœur les souvenirs de la merveilleuse petite fille que
tu as été. Avec la pointe de jalousie qu’ont tous les pères
lorsqu’ils voient leur fille devenir une femme belle et libre, je
ne pourrai que veiller de loin et dans un attendrissement
protecteur sur tes efforts pour t’échapper du cocon de
l’enfance. Je serai auprès de toi aussi souvent que tu le
voudras, même quand j’aurai disparu, car je suis maintenant
un vieil homme, et tes bonheurs seront mes bonheurs jusqu’à
la fin de mes jours. Je ne veux pas jeter une ombre de tristesse
sur notre entretien, c’est au contraire une promesse
d’immortalité que je trouve dans ton regard. Dès son
installation sur la Terre, le vivant s’est défini par
l’affrontement des contraires : croissance et reproduction d’un
côté, destruction et mort de l’autre. La sexualité, avec son
caractère universel, offre le troisième élément du trépied sur
lequel s’appuie l’évolution des espèces : la vie, le sexe et la
mort.

À tes amours, ma fille ! Ton père, qui t’aime depuis le


premier jour de ta vie, quand il t’a serrée contre lui avant
même que tu pousses ton premier cri.

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