3m263-Polycopié de Cours 2015-2016

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Université Pierre & Marie Curie (Paris 6)

Licence de Mathématiques L3

UE 3M263 Intégration

Année 2015–2016

Théorie de la Mesure et Intégration

François Bolley et Thierry Lévy

Notes de cours d’Amaury Lambert


Table des matières

1 Suites, ensembles et suites d’ensembles 4


1.1 La droite achevée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2 Rappels sur les suites et séries numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.3 Ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.3.1 Terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.3.2 Opérations classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.3.3 Suites de parties d’un ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.3.4 Fonctions et fonctions indicatrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

2 Théorie des cardinaux 10


2.1 Cardinaux, équipotence, dénombrabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.2 Cardinaux classiques et propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

3 Tribus de parties d’un ensemble 15


3.1 Définitions et exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3.2 Tribu engendrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
3.3 Tribus image et image réciproque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

4 Fonctions mesurables 19
4.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
4.2 Exemples et opérations stables pour la mesurabilité . . . . . . . . . . . . 19
4.3 Fonctions étagées, en escalier, réglées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

5 Le cas borélien 24
5.1 Topologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
5.2 Tribu borélienne et fonctions boréliennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
5.3 L’ensemble triadique de Cantor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
5.4 Une partie de R non borélienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

6 Mesures 32
6.1 Définitions et propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
6.2 Mesure de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
6.3 Autres définitions et autres propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

2
TABLE DES MATIÈRES 3

7 Intégrale des fonctions positives 39


7.1 Intégrale des fonctions étagées positives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
7.2 Intégrale des fonctions mesurables positives . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

8 Intégrale des fonctions de signe quelconque 47


8.1 Intégrale des fonctions mesurables de signe quelconque . . . . . . . . . . 47
8.2 Les grands théorèmes de convergence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
8.3 Intégrale des fonctions à valeurs complexes . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

9 Applications 54
9.1 Intégrale de Lebesgue et intégrale de Riemann . . . . . . . . . . . . . . . 54
9.2 Dérivées et primitives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
9.3 Intégrales dépendant d’un paramètre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
9.4 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
9.4.1 Dérivation sous la somme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
9.4.2 Convolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
9.4.3 Transformée de Fourier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

10 Construction d’une mesure 61


10.1 Quelques rappels et nouvelles définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
10.1.1 Rappels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
10.1.2 Définitions utiles dans le cadre de l’unicité des mesures . . . . . . 61
10.1.3 Définitions utiles dans le cadre de l’existence des mesures . . . . . 63
10.2 Unicité d’une mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
10.2.1 Théorème de la classe monotone et corollaires . . . . . . . . . . . 63
10.2.2 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
10.3 Existence d’une mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
10.3.1 Théorème de Caratheodory . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
10.3.2 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

11 Tribu produit et mesure produit 71


11.1 Tribu produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
11.1.1 Cas général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
11.1.2 Le cas borélien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
11.1.3 Sections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
11.2 Mesure produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
11.3 Théorèmes de Fubini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
11.3.1 Théorème de Fubini–Tonelli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
11.3.2 Théorème de Fubini–Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

12 Mesure image et changement de variable 81


12.1 Mesure image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
12.2 Formule du changement de variable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Chapitre 1

Suites, ensembles et suites d’ensembles

1.1 La droite achevée


Définition 1.1 On appelle droite achevée l’ensemble R̄ := R ∪ {−∞} ∪ {+∞}.
On considérera toujours la droite achevée comme l’espace métrique associé à l’une des
distances du type d(x, y) := |f (x) − f (y)| où f (x) = √xx2 +1 si x ∈ R et f (±∞) = ±1.
Autrement dit, R̄ est muni de la topologie usuelle de R, complétée avec les notions
usuelles de convergence vers +∞ et vers −∞.
La droite achevée est munie d’un ordre total que le lecteur aura deviné : pour tous
x ≤ y ∈ R,
−∞ < x ≤ y < +∞.
La droite achevée est également munie des opérations algébriques usuelles, avec les
conventions suivantes :
+∞ + ∞ = +∞, −∞ − ∞ = −∞, a + ∞ = +∞, a − ∞ = −∞,
pour tout a ∈ R, ainsi que
0 × ∞ = 0,
et
a ∈]0, ∞] ⇒ a × ∞ = +∞, a ∈ [−∞, 0[ ⇒ a × ∞ = −∞.

Remarque 1.2 Tout au long de ce cours, il faudra acquérir le réflexe de NE JAMAIS


ÉCRIRE aucune des opérations interdites suivantes : (+∞) − (+∞), ainsi que (−∞) −
(−∞), et encore (±∞)/(±∞).
Une suite numérique est une suite à valeurs dans R ou dans R̄.

1.2 Rappels sur les suites et séries numériques


Définition 1.3 On dit que a ∈ R̄ est une valeur d’adhérence de la suite (un ) s’il existe
une suite extraite (uϕ(n) ) qui converge vers a.

4
CHAPITRE 1. SUITES, ENSEMBLES ET SUITES D’ENSEMBLES 5

Exemple 1.4 Les valeurs d’adhérence de la suite (cos(πn/2)) sont −1, 0 et 1. Celles de
la suite ((−1)n + n1 ) sont −1 et +1.

Notation 1.5 (importante) Lorsqu’une suite (un ) est croissante (resp. décroissante),
on notera souvent limn ↑ un (resp. limn ↓ un ) sa limite, pour rappeler que la suite est
monotone, et surtout pour indiquer que cette limite existe donc toujours (dans R̄).

Définition 1.6 La borne supérieure (∈ R̄) de l’ensemble des valeurs d’adhérence de la


suite (un ) est aussi une valeur d’adhérence de (un ). On la note limn→∞ un ou lim supn→∞ un .
C’est donc la plus grande valeur d’adhérence de (un ) et elle vérifie

lim un = lim ↓ (sup uk ) = inf (sup uk ).


n n k≥n n k≥n

De façon analogue, la plus petite valeur d’adhérence de (un ) est notée limn→∞ un ou
lim inf n→∞ un , etc.

Définition 1.7 On dit que la sériePn de terme général (un ) est absolument convergente si
la
P suite des sommes partielles ( k=0 |uk |)n converge dans R, ce que l’on note également
n |un | < ∞.

Théorème 1.8 Si la série de terme général (un ) est absolument P convergente, alors elle
est convergente, c’est-à-dire que la suite des sommes partielles ( nk=0 uk )n converge dans
R.

Proposition 1.9 La somme de la série de terme général un ≥ 0 (c’est-à-dire la limite


de la suite des sommes partielles, qui existe toujours dans R̄+ ) ne dépend pas de l’ordre
de sommation.

Démonstration. Soit une bijection ϕ : N −→ PN. On veut montrer que la suite Sn0 :=
P n n
k=0 uϕ(k) a même limite dans R̄+ que Sn := k=0 uk .
Soit n ≥ 0 et N := max{ϕ(0), . . . , ϕ(n)}. Alors Sn0 = uϕ(0) + · · · + uϕ(n) ≤ N
P
j=0 uj =
0 0
SN , donc Sn ≤ SN ≤ S∞ . Faisant tendre n → ∞ on obtient que S∞ ≤ S∞ . L’inégalité
opposée s’obtient par symétrie. 2

1.3 Ensembles
1.3.1 Terminologie
Soit E un ensemble. Mettons-nous d’accord sur un peu de terminologie.
– A ⊆ E sera appelé sous-ensemble ou partie de E ;
– P(E) := {parties de E} ;
– A ⊆ P(E) sera appelé famille de parties de E ou classe de parties de E plutôt
qu’ensemble de sous-ensembles de E ou partie de P(E) ;
– dans quelques rares cas, nous serons amenés à considérer des ensembles de familles
de parties, que l’on appellera alors collections de familles de parties de E.
CHAPITRE 1. SUITES, ENSEMBLES ET SUITES D’ENSEMBLES 6

1.3.2 Opérations classiques


Recensons quelques opérations classiques sur les parties d’un ensemble E. Soient A1
et A2 deux parties de E.
– La réunion de A1 et A2 , notée A1 ∪ A2 : ∀x ∈ E,
x ∈ A1 ∪ A2 ⇔ ∃i ∈ {1, 2}, x ∈ Ai
– L’intersection de A1 et A2 , notée A1 ∩ A2 : ∀x ∈ E,
x ∈ A1 ∩ A2 ⇔ ∀i ∈ {1, 2}, x ∈ Ai
– Le complémentaire de A1 , noté cA1 : ∀x ∈ E,
x ∈ cA1 ⇔ x ∈
/ A1
– La différence de A1 avec A2 , notée A1 \ A2 et dite différence propre dans le cas où
A2 ⊆ A1 : ∀x ∈ E,
x ∈ A1 \ A2 ⇔ x ∈ A1 et x ∈ / A2
– La différence symétrique de A1 et A2 , notée A1 ∆A2 : ∀x ∈ E,
x ∈ A1 ∆A2 ⇔ x ∈ A1 ∪ A2 et x ∈
/ A1 ∩ A2 .
Remarque 1.10 Remarquer l’association de la réunion avec le quantificateur « ∃ », de
l’intersection avec le quantificateur « ∀ », ainsi que l’association du passage au complé-
mentaire avec la négation et de l’inclusion avec l’implication : A1 ⊆ A2 ssi ∀x ∈ E,
x ∈ A1 ⇒ x ∈ A2 .
Exercice 1.11 Montrer les identités suivantes :
c
(A1 ∪ A2 ) = cA1 ∩ cA2
c
(A1 ∩ A2 ) = cA1 ∪ cA2
A1 \ A2 = A1 ∩ cA2
A1 ∆A2 = (A1 ∪ A2 ) \ (A1 ∩ A2 ) = (A1 \ A2 ) ∪ (A2 \ A1 ).

1.3.3 Suites de parties d’un ensemble


Nous allons définir ici les notions de limite, limite supérieure et limite inférieure d’une
suite de parties. Soit (An ) une suite de parties de E.
Définition 1.12 On rappelle que la suite (An ) est dite croissante (resp. décroissante)
lorsque pour tout entier n, An ⊆ An+1 (resp. An+1 ⊆ An ). Dans ce cas, la limite de la
suite (An ) est définie naturellement comme la réunion (resp. l’ intersection) de tous les
An : [ \
lim An := An (resp. An ).
n→∞
n n
Par analogie avec le cas réel, on notera cette limite lim ↑ (resp. lim ↓) pour faire réfé-
rence au fait que la suite (An ) est croissante et que la limite est donc la réunion (resp.
l’intersection) de tous ses éléments.
CHAPITRE 1. SUITES, ENSEMBLES ET SUITES D’ENSEMBLES 7

Définition 1.13 On définit les deux parties de E suivantes :


[ \[
lim sup An (ou lim An ) := lim ↓ Ak = Ak ,
n→∞ n→∞ n→∞
k≥n n k≥n

S 
où la notation lim ↓ fait référence au fait que la suite k≥n Ak n est décroissante, si
bien que sa limite existe toujours (et est l’intersection de tous ses éléments, ce qu’indique
la dernière égalité) ;
\ [\
lim inf An (ou lim An ) := lim ↑ Ak = Ak ,
n→∞ n→∞ n→∞
k≥n n k≥n

T 
où la notation lim ↑ fait référence au fait que la suite k≥n Ak n est croissante, si bien
que sa limite existe toujours (et est la réunion de tous ses éléments, ce qu’indique la
dernière égalité).

Remarque 1.14 On peut aussi caractériser la limite supérieure et la limite inférieure


par les assertions suivantes : pour tout x ∈ E,

x ∈ lim sup An ⇔ ∀n ∃k ≥ n, x ∈ Ak
n→∞
⇔ {n : x ∈ An } est infini.
x ∈ lim inf An ⇔ ∃n ∀k ≥ n, x ∈ Ak
n→∞
⇔ {n : x ∈
/ An } est fini.

Noter que lim inf n An ⊆ lim supn An .

Définition 1.15 On dit que la suite (An ) converge si lim inf n An = lim supn An . Lorsque
c’est le cas on définit limn An := lim inf n An = lim supn An .

Remarque 1.16 Soit A la limite d’une suite (An ) convergente. Alors A est caractérisée
par : 
∀x ∈ A ∃n0 ∀n ≥ n0 x ∈ An
∀x ∈
/ A ∃n1 ∀n ≥ n1 x ∈ / An .

Exercice 1.17 Montrer les deux égalités suivantes

lim sup cAn = c


(lim inf An )
n n
c c
lim inf An = (lim sup An ).
n n

1.3.4 Fonctions et fonctions indicatrices


Définition 1.18 On appelle indicatrice ou fonction indicatrice de la partie A, et l’on
note 1A , la fonction
CHAPITRE 1. SUITES, ENSEMBLES ET SUITES D’ENSEMBLES 8

1A : E −→ {0, 1}

0 si x∈/A
x 7−→
1 si x ∈ A.
Remarque 1.19 Noter que 1cA = 1 − 1A .
Proposition 1.20 Au sens de la convergence simple,
lim 1An = 1lim A
n n n

et
lim 1An = 1limn An
n

Dém. Pour tout x ∈ E,


lim 1An (x) = 1 ⇔ ∀n ∃k ≥ n, 1Ak (x) = 1
n
⇔ ∀n ∃k ≥ n, x ∈ Ak
⇔ x ∈ lim An
n
⇔ 1lim A (x) = 1.
n n

L’autre assertion se démontre de la même manière, ou alors en se servant de l’assertion


précédente :

lim 1An = lim(1 − 1cAn ) = 1 − lim 1cAn = 1 − 1lim cA


= 1 − 1c(limn An ) = 1limn An ,
n n n n n

ce qui achève la démonstration. 2


Remarque 1.21 Conséquence de cette proposition : la suite de parties (An ) converge ssi
la suite de fonctions (1An ) converge simplement (et lorsque c’est le cas, la convergence
a lieu vers 1limn An ).
Définition 1.22 Soient E, F deux ensembles et f : E −→ F .
– pour tout A ⊆ E, on note f (A) l’ image directe de A par f :
f (A) := {y ∈ F : ∃x ∈ A, f (x) = y}.
– pour tout B ⊆ F , on note f −1 (B) l’ image réciproque de B par f :
f −1 (B) := {x ∈ E : f (x) ∈ B}.
Remarque 1.23 La notation f −1 (B) ne fera que très rarement, sinon jamais, référence
à l’application inverse ou réciproque de l’application f dans les cas où elle serait par
hasard bijective. Néanmoins, noter la cohérence de ces notations, au sens où si f est
bijective, alors on a bien égalité entre l’image réciproque f −1 (B) de B par f et l’image
directe f −1 (B) de B par l’inverse f −1 de f .
CHAPITRE 1. SUITES, ENSEMBLES ET SUITES D’ENSEMBLES 9

Exercice 1.24 Montrer les formules de Hausdorff (cf feuille de TD). Pour tous I et J
ensembles d’indices non vides, pour toute famille (Ai )i∈I de parties de E et pour toute
famille (Bj )j∈J de parties de F , pour toute fonction f : E −→ F ,
!
[ [
f Ai = f (Ai ),
i i
!
\ \
f Ai ⊆ f (Ai )
i i

avec égalité si f est injective ;


!
[ [
−1
f Bj = f −1 (Bj ),
j j
!
\ \
f −1 Bj = f −1 (Bj ),
j j

et pour tout B ⊆ F ,
c
f −1 (B) = f −1 (cB) .

Chapitre 2

Théorie des cardinaux

2.1 Cardinaux, équipotence, dénombrabilité


Définition 2.1 Deux ensembles E et F sont dits équipotents, ou avoir même cardinal,
ou encore même puissance, s’il existe une bijection de l’un sur l’autre. On note alors
Card(E) = Card(F ).

Définition 2.2 On notera Card(E) ≤ Card(F ) s’il existe une injection de E dans F ,
c’est-à-dire si E a même puissance qu’une partie de F . Si de plus E et F n’ont pas même
puissance, on notera Card(E) < Card(F ).

Exemple 2.3 Quelques exemples d’équipotences :


– Les ensembles P(E) et {0, 1}E (= ensemble des applications : E −→ {0, 1}) sont
équipotents car l’application A 7→ 1A est une bijection de l’un sur l’autre ;
– les ensembles N et 2N (entiers pairs) sont équipotents car l’application n 7→ 2n est
une bijection de l’un sur l’autre ;
– les ensembles N et N×N sont équipotents car on peut bien énumérer de manière in-
jective les couples d’entiers (par exemple en suivant les points des droites d’équation
y = −x + c, lorsque c croît dans N) ;
– par récurrence, N est équipotent avec tous les produits cartésiens du type Np (p ∈
N? ).

Théorème 2.4 (théorème de Cantor–Bernstein, admis) Si Card(E1 ) ≤ Card(E2 )


et Card(E2 ) ≤ Card(E1 ), alors Card(E1 ) = Card(E2 ).

Remarque 2.5 La relation ≤ est une relation d’ordre. En effet elle est
1. réflexive : il existe une injection de E dans E (l’injection canonique, c’est-à-dire
ici l’identité), donc Card(E) ≤ Card(E) ;
2. antisymétrique, grâce au théorème de Cantor–Bernstein ;
3. transitive : si Card(E1 ) ≤ Card(E2 ) et Card(E2 ) ≤ Card(E3 ), alors il existe une
injection f1 : E1 −→ E2 et une injection f2 : E2 −→ E3 , donc il existe une injection
f3 : E1 −→ E3 qui n’est autre que f2 ◦ f1 , par conséquent Card(E1 ) ≤ Card(E3 ).

10
CHAPITRE 2. THÉORIE DES CARDINAUX 11

Remarque 2.6 Ces énoncés ne sont pas des évidences, car il faut bien garder à l’esprit
que les cardinaux ne sont pas des nombres réels (sauf pour le cas très particulier des
ensembles finis).
La proposition suivante, dont la démonstration est très jolie, assure en particulier
qu’il existe une suite infinie strictement croissante de cardinaux :
Card(E) < Card(P(E)) < Card(P(P(E))) < · · ·

Proposition 2.7 Card(E) < Card(P(E)).

Dém. Soit f : E → P(E). Montrons que f ne peut être surjective (et donc ne peut
être bijective). Soit
Ω := {x ∈ E : x ∈
/ f (x)}.
Montrons que par l’absurde que Ω ne peut avoir d’antécédent par f . Si ∃z ∈ E tel que
f (z) = Ω alors
– soit z ∈ Ω, et alors z ∈
/ f (z), c’est-à-dire z ∈
/ Ω;
– soit z ∈
/ Ω, et alors z ∈ f (z), c’est-à-dire z ∈ Ω,
ce qui constitue une contradiction.
D’autre part il existe clairement une injection de E dans P(E), par exemple celle
qui à x associe {x}. 2
Définition 2.8 On définit les notions d’infini et de dénombrable comme suit :
– E est dit infini s’il existe x0 ∈ E et une injection de E dans E \ {x0 }, et est dit
fini sinon ;
– E est dit dénombrable si Card(E) ≤ Card(N) ;
– E est dit infini dénombrable si Card(E) = Card(N) ;
– E est dit (infini) non dénombrable si Card(E) > Card(N) ;
– une partie A de E est dite cofinie si cA est fini.
Remarque 2.9 L’ensemble N est (bien !) infini car par exemple l’application
f : N −→ N?
n 7−→ n + 1
est bien une injection.
Définition 2.10 Card(N) est souvent noté ℵ0 (« aleph zéro »).

La proposition suivante, laissée en exercice (indication : montrer par récurrence sur


n ∈ N? qu’il existe n éléments distincts x1 , . . . , xn de E et une injection in : E →
E \ {x1 , . . . , xn }), assure que les ensembles équipotents à N sont les plus petits ensembles
infinis au sens des cardinaux.
Proposition 2.11 E est infini ssi Card(E) ≥ Card(N).
CHAPITRE 2. THÉORIE DES CARDINAUX 12

2.2 Cardinaux classiques et propriétés


Proposition 2.12 Les ensembles Z, Np (p ∈ N? ) et Q sont dénombrables.

Dém. On a déjà vu que Np était équipotent à N. Pour ce qui est de Z, la fonction


f : Z −→ N

−2n si n≤0
n 7−→
2n − 1 si n>0
est une bijection.
Enfin, rappelons que pour tout x ∈ Q? , ∃!(p, q) ∈ Z? ×N? tel que x = p/q et p∧q = 1.
Ainsi la fonction qui à 0 associe (0, 1) et qui est définie sur Q? par
f : Q? −→ Z × N?
p/q 7−→ (p, q)
est une injection de Q dans Z × N? , donc Card(Q) ≤ Card(Z × N? ). Or il existe une
injection g : Z → N, donc l’application qui à (x, y) associe (g(x), y) est une injection
de Z × N? dans N2 , ce qui montre que Card(Z × N? ) ≤ Card(N2 ) = Card(N), donc
Card(Q) ≤ Card(N). 2
Proposition 2.13 Toute réunion dénombrable d’ensembles dénombrables est dénom-
brable.
S
Dém. Soit E = n∈N En , où pour tout n ∈ N, En est dénombrable. Alors par définition,
pour tout n ∈ N il existe une injection ϕn : En → N. Pour tout x ∈ E on définit alors
N (x) := min{n ≥ 0 : x ∈ En } < ∞.
Alors la fonction
φ : E −→ N2
x 7−→ (N (x), ϕN (x) (x))
est une injection car pour tous x, y ∈ E tels que φ(x) = φ(y), on a N (x) = N (y) =: n puis
ϕN (x) (x) = ϕN (y) (y), c’est-à-dire ϕn (x) = ϕn (y), donc x = y, puisque ϕn est injective.
Par conséquent, Card(E) ≤ Card(N2 ) = Card(N). 2
Proposition 2.14 Tout produit cartésien fini d’ensembles dénombrables est dénombrable.

Dém. Pour i = 1, . . . , n, soit Ei dénombrable et une injection ϕi : Ei → N. Alors la


fonction
φ: Πni=1 Ei −→ Nn
(x1 , . . . , xn ) 7−→ (ϕ1 (x1 ), . . . , ϕn (xn ))
est injective donc Card(Πi Ei ) ≤ Card(Nn ) = Card(N). 2
CHAPITRE 2. THÉORIE DES CARDINAUX 13

Proposition 2.15 Tout produit cartésien infini dénombrable d’ensembles non vides (même
finis) est non-dénombrable pourvu qu’une infinité d’entre eux ne soient pas réduits à un
singleton.

Dém. Admettons pour simplifier que pour tout i ∈ N, Card(Ei ) ≥ 2. Alors pour tout
i, il existe une injection ϕi : {0, 1} → Ei . Donc l’application
φ: {0, 1}N −→ E0 × E1 × · · ·
(x0 , x1 , . . .) 7−→ (ϕ0 (x0 ), ϕ1 (x1 ), . . .)

est injective, donc Card(Πi Ei ) ≥ Card({0, 1}N ) = CardP(N) > Card(N). 2

Théorème 2.16 Les ensembles R et P(N) sont équipotents.

Définition 2.17 On dit d’un ensemble équipotent à R qu’il a la puissance du continu.

Dém. Première étape : montrons que toute partie de R contenant un intervalle ouvert
a la puissance du continu. Soit A ⊆ R contenant un intervalle I qu’on écrira sous la
forme I =]b − a, b + a[, alors A s’injecte bien sûr dans R, mais R s’injecte aussi dans A
par exemple par l’application
φ : R −→ A
x
x 7−→ a √ +b
x2 + 1
.
Deuxième étape : montrons que Card(P(N)) ≤ Card([0, 1/2]) dont on sait d’après
l’étape précédente que ce cardinal vaut Card(R). Soit l’application
φ : {0, 1}N −→ [0, 1/2]
X xn
x = (xn ) 7−→ .
n≥0
3n+1

Montrons que φ est bien injective. Pour tous x 6= y, soit n := min{k ≥ 0 : xk 6= yk } < ∞.
Alors

x − y x − y
n n
X k k
|φ(x) − φ(y)| = n+1 + k+1
3 3

k≥n+1

|xn − yn | X yk − xk
≥ −
3n+1 3k+1


k≥n+1
1 X 1
≥ n+1 −
3 k≥n+1
3k+1
1 1 1 1
= − = > 0,
3n+1 3n+2 1 − 1/3 2 · 3n+1
CHAPITRE 2. THÉORIE DES CARDINAUX 14

ce qui prouve que φ(x) 6= φ(y).


Troisième et dernière étape : montrons que Card({0, 1}N ) ≥ Card([0, 1[), ce qui équi-
vaut à Card(P(N)) ≥ Card(R). Soit ψ : [0, 1[→ {0, 1}N l’application qui à x ∈ [0, 1[
associe son développement dyadique propre, c’est-à-dire la suite (xn ) de 0 et de 1 définie
récursivement par x0 := [2x], et
" n−1
!#
X x k
xn := 2n+1 x − k+1
.
k=0
2
xk
2
P
On a x = k≥0 2k+1 . La fonction ψ est alors injective (car x = y si ψ(x) = ψ(y)).
Chapitre 3

Tribus de parties d’un ensemble

3.1 Définitions et exemples


Définition 3.1 Une classe A de parties d’un ensemble E est appelée tribu ou σ-algèbre
(sur E) si
(i) elle contient E : E ∈ A ;
(ii) elle est stable par passage au complémentaire : pour tout A ⊆ E, A ∈ A ⇔ cA ∈
A;
(iii) elle est stable par réunion dénombrable : si (An ) est une famille dénombrable
d’éléments de A , alors ∪n An ∈ A .
On dit alors que (E, A ) est un espace mesurable.

Remarque 3.2 Cette définition a quelques conséquences immédiates :


– ∅ ∈ A car ∅ = cE ;
– stabilité par intersection dénombrable car ∩n An = c(∪n cAn ) ;
– stabilité par différence car A \ B = A ∩ cB ;
– stabilité par différence symétrique car A∆B = (A \ B) ∪ (B \ A) ;
– stabilité par limite supérieure car limn An = ∩n ∪k≥n Ak ;
– stabilité par limite inférieure.

Exercice 3.3 Il aurait été équivalent de définir une tribu comme une classe A de parties
de E vérifiant (par exemple) les propriétés suivantes : A contient ∅, est stable par
passage au complémentaire et est stable par intersection dénombrable.

Exemple 3.4 Quelques exemples de tribus :


– {∅, E} est une tribu (parfois appelée la tribu grossière) ;
– P(E) est une tribu (parfois appelée la tribu triviale) ;
– si (An )n∈N est une partition de E dénombrable (finie ou infinie), alors

A := {∪i∈I Ai : I ⊆ N}

est une tribu sur E ;


– si A ⊆ E, la plus petite (voir section suivante) tribu contenant A est {∅, E, A, cA} ;

15
CHAPITRE 3. TRIBUS DE PARTIES D’UN ENSEMBLE 16

– enfin,
A := {A ⊆ E : A ou cA est dénombrable}
est une tribu, ce que nous démontrons ci-dessous.

Dém. Nous démontrerons uniquement la stabilité par réunion dénombrable. Soient (An )n ∈
A . De deux choses l’une :
– soit pour tout n, An est dénombrable et alors ∪n An est dénombrable ;
– soit ∃n0 tel que An0 est non dénombrable, et alors cAn0 est dénombrable, donc
∩n cAn ⊆ cAn0 est dénombrable, et par conséquent ∪n An est de complémentaire
∩n cAn dénombrable ;
Dans les deux cas ∪n An ∈ A . 2

3.2 Tribu engendrée


Proposition 3.5 (et définition) a) L’intersection d’une collection non vide quelconque 1
de tribus de parties de E est elle-même une tribu.
b) Pour toute classe C de parties de E, l’intersection de toutes les tribus contenant 2
C est (donc 3 ) une tribu : elle est (appelée) la plus petite tribu contenant C , ou tribu
engendrée par C , et notée σ(C ) :
\
σ(C ) := A.
A tribu,C ⊆A

Remarque 3.6 – On rappelle que le terme collection désigne un ensemble de famille


de parties, c’est-à-dire un ensemble d’ensembles de sous-ensembles de E... ;
– il faut garder à l’esprit que si A et B sont des familles de parties de E alors
C ∈ A ∩ B ssi C ∈ A et C ∈ B (on n’intersecte pas ici les parties de E) ;
– le terme de plus petite tribu n’a de sens qu’à la lumière de la définition précédente,
car il n’existe pas d’ordre total sur les tribus.

Remarque 3.7 – pour toute classe B de parties de E, B ⊆ σ(B), par définition ;


– si C est une classe de parties de E et A est une tribu de parties de E telle que
C ⊆ A , alors A est élément de la collection des tribus contenant C , donc contient
son intersection σ(C ), autrement dit σ(C ) ⊆ A ;
– première conséquence : si A est une tribu de parties de E, alors σ(A ) = A ;
– deuxième conséquence : si C ⊆ B alors B ⊆ σ(B) implique C ⊆ σ(B), et comme
σ(B) est une tribu, σ(C ) ⊆ σ(B).

Remarque 3.8 (méthodologie) – Si A est une tribu, pour montrer que A =


σ(C ), on montre que A ⊆ σ(C ) et que C ⊆ A ;
– pour montrer que σ(C1 ) = σ(C2 ), on montre que C1 ⊆ σ(C2 ) et que C2 ⊆ σ(C1 ).
1. quelconque au sens de « pas forcément dénombrable »
2. au sens de l’inclusion
3. cette collection est non vide car un de ses éléments est P(E)
CHAPITRE 3. TRIBUS DE PARTIES D’UN ENSEMBLE 17

Définition 3.9 On note B(R), ou Bor(R), et on appelle tribu de Borel sur R la tribu
engendrée par les intervalles ouverts de R. La tribu de Borel sur R̄ est l’ensemble des
parties de R prenant l’une des formes A, A ∪ {+∞}, A ∪ {−∞} ou A ∪ {−∞, +∞}, où
A ∈ Bor(R).
Proposition 3.10 Soit S une partie dense de la droite réelle 4 . Alors Bor(R) est la
tribu engendréee par les intervalles du type
a) [a, +∞[, a ∈ S; b) ]b, +∞[, b ∈ S; c) ] − ∞, c[, c ∈ S; d) ] − ∞, d], d ∈ S.
Il en est de même pour Bor(R̄) avec les intervalles du type [a, +∞],...

Dém. [de a)] Soit IS l’ensemble des intervalles de la forme [a, +∞[ pour a ∈ S. Tout
d’abord, B(R) contient tous les intervalles fermés de R car est stable par passage au
complémentaire ; on a donc l’inclusion σ(IS ) ⊆ B(R). Soit maintenant a ∈ [−∞, +∞[.
Comme S est dense, il existe une suite décroissante (an ) d’éléments de S tels que an 6= a
pour tout n, et limn ↓ an = a. Comme [an , +∞[∈ IS , on a [an , +∞[∈ σ(IS ), donc par
stabilité par réunion dénombrable de la tribu σ(IS ),
]a, +∞[= ∪n [an , +∞[∈ σ(IS ).
On démontre avec une suite croissante que [a, +∞[∈ σ(IS ). Maintenant pour tous
a, b ∈ [−∞, +∞[, l’intervalle ]a, b[ s’écrit ]a, +∞[\[b, +∞[∈ σ(IS ). Par conséquent
I ⊆ σ(IS ), où I est l’ensemble des intervalles ouverts de R et B(R) = σ(I ) ⊆ σ(IS ).
2

3.3 Tribus image et image réciproque


Soit f : E1 −→ E2 .
Proposition 3.11 Si A2 est une tribu sur E2 ,
f −1 (A2 ) := {f −1 (Y ), Y ∈ A2 }
est une tribu sur E1 , appelée tribu image réciproque (de A2 par f ).

Dém. Par les formules de Hausdorff :


i) f (E2 ) = E1 ∈ f −1 (A2 ) ;
−1

ii) pour tout Y ∈ A2 , c(f −1 (Y )) = f −1 (cY ) ∈ f −1 (A2 ) ;


iii) pour toute suite (Yn ) ∈ A2 , ∪n f −1 (Yn ) = f −1 (∪n Yn ) ∈ f −1 (A2 ) car ∪n Yn ∈ A2 .2
Proposition 3.12 Si A1 est une tribu sur E1 ,
B = {Y ⊆ E2 : f −1 (Y ) ∈ A1 }
est une tribu sur E2 , appelée tribu image (de A1 par f ).
Remarque 3.13 La tribu image n’est PAS f (A1 ) qui en général n’est pas une tribu.
4. c’est-à-dire telle que tout nombre réel est limite d’une suite à valeurs dans S ; par exemple S = Q
CHAPITRE 3. TRIBUS DE PARTIES D’UN ENSEMBLE 18

Dém. Par les formules de Hausdorff également. 2

Définition 3.14 (et proposition) Soit (E, A ) un ensemble mesurable et X une partie
de E. La classe C = {A ∩ X : A ∈ A } de parties de X est une tribu sur X appelée tribu
trace de A sur X.

/ A.
Remarque 3.15 Cette définition a surtout de l’intérêt dans le cas où X ∈

Dém. La classe C est la tribu image réciproque de A par l’injection canonique i : X →


E : en effet pour tout A ∈ A , i−1 (A) = A ∩ X. 2

Théorème 3.16 (lemme de transport) Soit f : E1 −→ E2 et C une classe de parties


de E2 . Alors σ(f −1 (C )) = f −1 (σ(C )).

Dém. Montrons l’inclusion ⊆. Tout d’abord C ⊆ σ(C ), donc f −1 (C ) ⊆ f −1 (σ(C )).


Ainsi f (σ(C )) est une tribu contenant f −1 (C ) donc σ(f −1 (C )) ⊆ f −1 (σ(C )).
−1

Montrons maintenant l’inclusion ⊇. Soit B la tribu image de σ(f −1 (C )) par f , c’est-


à-dire
B := {Y ⊆ E2 : f −1 (Y ) ∈ σ(f −1 (C ))}.
Alors C ⊆ B, et B est une tribu, donc σ(C ) ⊆ B, puis f −1 (σ(C )) ⊆ f −1 (B). Mais par
définition de B, f −1 (B) ⊆ σ(f −1 (C )) donc f −1 (σ(C )) ⊆ σ(f −1 (C )). 2
Chapitre 4

Fonctions mesurables

Dans ce chapitre et dans la suite la notation (E, A ) signifie un ensemble E muni


d’une tribu A . De même pour (Ei , Ai ), i = 1, 2, ...

4.1 Définitions
Notation 4.1 Soit f : E1 −→ E2 et B ⊆ E2 . On utilise très fréquemment la notation
{f ∈ B} à la place de f −1 (B), ce qui peut se voir comme une écriture condensée de
{x : f (x) ∈ B}. Par exemple, dans le cas où E2 = R et B = [a, +∞[, on pourra écrire
f −1 (B) sous la forme {f ≥ a}.

Définition 4.2 Une fonction f : (E1 , A1 ) −→ (E2 , A2 ) est dite mesurable 1 si f −1 (A2 ) ⊆
A1 (c’est-a-dire : pour tout B ∈ A2 , f −1 (B) ∈ A1 ).

Notation 4.3 On notera F (A1 , A2 ) l’ensemble des fonctions mesurables : (E1 , A1 ) →


(E2 , A2 ).

Remarque 4.4 Si on ne se donne que la tribu A1 , alors la tribu image de A1 par f est
la plus grande tribu sur E2 qui rende f mesurable.
Si on ne se donne que A2 , alors la tribu image réciproque de A2 par f est la plus
petite tribu sur E1 qui rende f mesurable. On note aussi cette tribu σ(f ).

Remarque 4.5 Une fonction indicatrice 1A : (E, A ) −→ ({0, 1}, P({0, 1})) est mesu-
rable ssi A ∈ A . On dira alors que « A est mesurable » 2 .

4.2 Exemples et opérations stables pour la mesurabilité


La proposition suivante est une conséquence du lemme de transport.
Proposition 4.6 Soit C une classe de parties de F et B := σ(C ). Alors f : (E, A ) →
(F, B) est mesurable ssi f −1 (C ) ⊆ A .
1. sous-entendu par rapport aux deux tribus A1 et A2
2. toujours en référence sous-entendue à la tribu A

19
CHAPITRE 4. FONCTIONS MESURABLES 20

Dém. L’application f est mesurable ssi f −1 (B) ⊆ A , mais d’une part f −1 (B) =
f −1 (σ(C )) = σ(f −1 (C )), et d’autre part σ(f −1 (C )) ⊆ A ssi f −1 (C ) ⊆ A . 2

Application. Soit S une partie dense de R. Alors la fonction f : (E, A ) → (R, B(R))
est mesurable ssi {f ≥ a} ∈ A pour tout a ∈ S (et l’on peut bien sûr remplacer {f ≥ a}
par {f > a}, {f ≤ a} ou {f < a}).

Proposition 4.7 Soient f1 : (E1 , A1 ) → (E2 , A2 ) et f2 : (E2 , A2 ) → (E3 , A3 ). Si f1 et


f2 sont mesurables, alors f2 ◦ f1 : (E1 , A1 ) → (E3 , A3 ) est aussi mesurable.

Dém. Pour tout élément A3 de A3 , on vérifie que (f2 ◦ f1 )−1 (A3 ) = f1−1 (f2−1 (A3 )).
Comme f2 est mesurable, f2−1 (A3 ) ∈ A2 . De plus, comme f1 est mesurable f1−1 (f2−1 (A3 )) ∈
A1 . 2

Proposition 4.8 Soit une suite (fn ) de F (A , Bor(R̄)). Alors


a) supn fn et inf n fn sont mesurables ;
b) lim supn fn et lim inf n fn sont mesurables ;
c) Si (fn ) converge simplement vers une fonction f 3 (dans R̄), alors f est mesurable.

Dém. a) Pour tout a ∈ R, {supn fn ≤ a} = ∩n {fn ≤ a} ∈ A et {inf n fn ≥ a} =


∩n {fn ≥ a} ∈ A .
b) D’après a), pour tout n ∈ N, la fonction supk≥n fk est mesurable, donc la fonction
lim supn fn = inf n supk≥n fk est mesurable. De même pour lim inf n fn .
c) Si fn → f , alors f = lim supn fn , qui est mesurable d’après b). 2

On peut raffiner le résultat sur la mesurabilité de la limite d’une suite de fonctions


mesurables de la manière suivante.

Théorème 4.9 Soit C := {x ∈ E : la suite (fn (x))n converge dans R̄}. Alors (C ∈ A
et) si C désigne la tribu trace de A sur C alors la fonction f := limn fn : (C, C ) →
(R̄, B(R̄)) est mesurable.

Dém. On note f ↓ := lim inf n fn et f ↑ := lim supn fn . Alors C est mesurable car

C = c{f ↑ 6= f ↓ } = c(∪r∈Q {f ↑ > r} ∩ {f ↓ < r}).

Rappelons que la mesurabilité de C n’est pas nécessaire pour définir la tribu trace C .
Néanmoins, pour tout borélien B de R̄, f −1 (B) = C ∩(f ↑ )−1 (B) ∈ C . En effet, f −1 (B) =
{x ∈ E : f ↓ (x) = f ↑ (x) et f ↑ (x) ∈ B}. 2
3. autrement dit : ∀x ∈ E, fn (x) → f (x) lorsque n → ∞
CHAPITRE 4. FONCTIONS MESURABLES 21

4.3 Fonctions étagées, en escalier, réglées


Définition 4.10 Une fonction f ∈ F (A , Bor(R)) est dite étagée si elle ne prend qu’un
P finie (Ai , i ∈ I) de E, A -
nombre fini de valeurs. Autrement dit il existe une partition
mesurable , et des nombres réels (αi , i ∈ I) tels que f = i∈I αi 1Ai .
4

Notation 4.11 On note E (A ) l’ensemble des fonctions étagées : (E, A ) → (R, B(R)).

Remarque 4.12 Il existe une représentation canonique de f sous la forme i∈I αi 1Ai
P
où les αi sont deux à deux distincts et Ai = {f = αi }. On notera qu’une fonction
indicatrice est bien sûr étagée car 1A = 1 · 1A + 0 · 1cA .

Proposition 4.13 Pour toutes fonctions étagées f, g et pour tout λ ∈ R, λf + g est


étagée (autrement dit E (A ) est un espace vectoriel), ainsi que f g, f ∧ g et f ∨ g. 5

On écrit f et g sous la forme f = i∈I αi 1Ai et g = j∈J βj 1Bj . Alors (Ai ∩


P P
Dém.
P
Bj ; (i, j) ∈ I × J) est une partition finie de E et on peut écrire λf + g = (i,j)∈I×J (λαi +
βj )1Ai ∩Bj , f g = (i,j)∈I×J αi βj 1Ai ∩Bj , etc. 2
P

Théorème 4.14 (lemme fondamental d’approximation) Pour toute f ∈ F (A , B(R̄)),


il existe une suite (fn ) de fonctions étagées convergeant simplement vers f . De plus,
a) si f est positive, on peut choisir la suite (fn ) positive et croissante 6 ;
b) si f est bornée, on peut choisir (fn ) de sorte que la convergence soit uniforme 7 .

Dém. Commençons par le cas où f est positive. On définit alors


n2n
k−1
1{(k−1)2−n <f ≤k2−n } + n1{f >n} .
X
fn :=
k=1
2n

Alors pour tout x ∈ E, la suite (fn (x))n est bien (positive et) croissante et converge vers
f (x), en effet : si f (x) = +∞, alors fn (x) = n → ∞ ; sinon il existe n0 tel que f (x) < n0 ,
ce qui implique que pour tout n ≥ n0 , |fn (x) − f (x)| ≤ 2−n → 0.
Si f est bornée et positive, alors il existe n0 tel que pour tout x ∈ E, f (x) < n0 ,
donc pour tout x ∈ E, pour tout n ≥ n0 , |fn (x) − f (x)| ≤ 2−n → 0. Ainsi (fn ) converge
uniformément vers f .
Si f est de signe quelconque, on écrit f sous la forme f = f + − f − , où
f + := f 1{f >0} et f − := −f 1{f <0} .
La somme f + − f − n’est jamais indéterminée, car pour tout x ∈ E, au moins un des
deux termes f + (x) ou f − (x) est nul. On notera également que f + (et f − , par un même
4. au sens où Ai ∈ A pour tout i ∈ I
5. a ∧ b est une notation alternative pour min(a, b), et a ∨ b pour max(a, b)
6. autrement dit : ∀x ∈ E, ∀n ∈ N, 0 ≤ fn (x) ≤ fn+1 (x) – rien à voir avec des fonctions croissantes, ce qui
n’aurait d’ailleurs pas de sens ici...
7. autrement dit : supx∈E |fn (x) − f (x)| → 0 lorsque n → ∞
CHAPITRE 4. FONCTIONS MESURABLES 22

raisonnement) est mesurable car pour tout a ≥ 0, {f + ≥ a} = {f ≥ a} et pour tout


a < 0, {f + ≥ a} = E. À présent, comme f + et f − sont positives, il existe deux suites
croissantes (un ) et (vn ) de fonctions étagées positives convergeant resp. vers f + et f − .
De plus, si l’on utilise la construction de ces suites proposée plus haut, on a un vn = 0,
de sorte que l’on peut toujours définir fn := un − vn , qui définit une suite de fonctions
étagées convergeant vers f + − f − = f .
Si f est de signe quelconque mais bornée, f + et f − sont bornées, donc on peut
choisir les suites (un ) et (vn ) pour que les convergences vers f + et f − soient toutes deux
uniformes. Alors la suite (un − vn ) converge uniformément vers f . 2

Définition 4.15 Une fonction f : [a, b] −→ R est dite en escalier s’il existe une subdi-
vision finie a = a0 < a1 < · · · < an = b de l’intervalle [a, b] telle que f soit constante sur
chaque intervalle ]ai , ai+1 [.

Remarque 4.16 Les valeurs prises exactement en chaque point a0 , a1 , . . . , an sont sans
importance.

Remarque 4.17 Une fonction en escalier a toujours pour espace de départ un inter-
valle compact de R, ce qui en fait un objet beaucoup moins général qu’une fonction étagée.
D’ailleurs, une fonction en escalier est toujours un cas particulier de fonction étagée, au
sens où elle est un élément de E (Bor([a, b])), car elle ne prend qu’un nombre fini de
valeurs et elle est mesurable, en effet : les parties de [a, b] sur lesquelles f est constante
sont des intervalles (les singletons sont bien sûr des intervalles) ou des réunions d’inter-
valles, donc des boréliens, donc l’image réciproque de toute partie de R est toujours un
borélien de [a, b].
Le contre-exemple classique de la réciproque est 1Q , qui est étagée mais n’est en es-
calier sur aucun intervalle de R (non réduit à un point).

Remarque 4.18 L’intégrale de Riemann est définie par approximation à partir de l’in-
tégrale des fonctions en escalier, tandis que celle que nous étudions dans ce cours (par-
fois dite de Lebesgue) est construite à partir des fonctions étagées. Dans le premier cas,
on approche l’intégrale d’une fonction quelconque par celle d’une fonction en escalier,
c’est-à-dire en découpant l’espace de départ (un intervalle) en petits morceaux (les sub-
divisions), tandis que dans le second cas, c’est l’espace d’arrivée (qui est toujours R ou
R̄) qui est découpé. Cette différence est fondamentale car la première approche ne peut
se généraliser facilement à des fonctions ayant un autre espace de départ que R. Mais
surtout les espaces de fonctions mesurables (celles qui admettront une intégrale au sens
de Lebesgue) sont beaucoup plus grands que celui des fonctions Riemann-intégrables et
ils sont stables sous l’action de multiples opérations comme le passage à la limite. Enfin,
nous allons définir dans ce cours l’intégrale par rapport à une mesure quelconque, et pas
seulement l’intégrale par rapport à la mesure de Lebesgue (celle qui a ceci de commun
avec l’intégrale de Riemann qu’elle donne un sens mathématique à la notion physique de
volume).

Définition 4.19 Une fonction f : [a, b] −→ R est dite réglée si elle est limite uniforme
de fonctions en escalier.
CHAPITRE 4. FONCTIONS MESURABLES 23

Remarque 4.20 Toute fonction réglée est mesurable (on dira ici borélienne car les tribus
de départ et d’arrivée sont des tribus de Borel) car limite de fonctions mesurables (et
même étagées) que sont les fonctions en escalier.

Théorème 4.21 (admis) Une fonction f est réglée ssi elle admet une limite à gauche
en tout point de ]a, b] et une limite à droite en tout point de [a, b[.

Corollaire 4.22 Toute fonction f : R −→ R monotone est réglée.

Remarque 4.23 Toute fonction monotone est borélienne, car réglée. Mais cela peut se
voir directement : toute fonction monotone est borélienne car pour tout a ∈ R, {f ≥ a}
est une demi-droite, en effet : si m(a) := inf{x : f (x) ≥ a}, alors dans le cas où f est
croissante par exemple, {f ≥ a} coïncide soit avec [m(a), +∞[, soit avec ]m(a), +∞[.
Chapitre 5

Le cas borélien

5.1 Topologie
Définition 5.1 Une famille O(E) de parties d’un ensemble E est appelée topologie, et
ses éléments des ouverts, si
i) elle contient ∅ et E : ∅ ∈ O(E) et E ∈ O(E) ;
ii) elle est stable par intersections finies : ∀U, V ∈ O(E), U ∩ V ∈ O(E) ;
iii) elle est stable par réunion quelconque 1 : pour tout I ensemble d’indices et pour
toute famille d’ouverts (Oi , i ∈ I), ∪i∈I Oi est un ouvert.
Les complémentaires des ouverts sont appelés des fermés.

Remarque 5.2 Les ouverts ∅ et E sont aussi des fermés ; les fermés sont stables par
réunions finies et par intersections quelconques.

Définition 5.3 On appelle voisinage de x ∈ E toute partie V de E telle qu’il existe un


ouvert O pour lequel x ∈ O ⊆ V. Tout ouvert est donc voisinage de chacun de ses points.

Définition 5.4 Dans un espace métrique (E, d), la topologie dite relative à la distance
d est constituée des réunions quelconques de parties du type

B(x, r) := {y ∈ E : d(x, y) < r}

appelée boule ouverte de centre x et de rayon r.

Remarque 5.5 Une partie O de l’espace métrique (E, d) est ouverte ssi ∀x ∈ O, ∃r >
0, B(x, r) ⊆ O (un ouvert O d’un espace métrique est la réunion des boules ouvertes
contenues dans O).
Une partie A de l’espace métrique (E, d) est fermée ssi pour toute suite (xn ) à valeurs
dans A et convergeant vers une limite x, x ∈ A.

Remarque 5.6 La topologie de R relative à la distance usuelle est donc constituée des
réunions quelconques d’intervalles ouverts.
1. au sens où l’on ne fait pas d’hypothèse sur le cardinal de I

24
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 25

Définition 5.7 (et proposition) Le plus grand ouvert contenu dans A ⊆ E, c’est-à-
dire la réunion de tous les ouverts contenus dans A, est noté Å et appelé intérieur de A,
ou ensemble des points intérieurs à A. En particulier, A est ouvert ssi A = Å.
Dans le cas métrique, un point x ∈ E est intérieur à A ssi ∃ε > 0 tel que B(x, ε) ⊆ A.

Définition 5.8 (et proposition) Le plus petit fermé contenant A ⊆ E, c’est-à-dire


l’intersection de tous les fermés contenant A, est noté Ā et appelé adhérence de A, ou
ensemble des points adhérents à A. En particulier, A est fermé ssi A = Ā.
Dans le cas métrique, un point x ∈ E est adhérent à A ssi il existe une suite (xn ) à
valeurs dans A telle que limn xn = x.

Remarque 5.9 Pour tout A ⊆ E, l’intérieur de cA est le complémentaire de Ā et l’adhé-


rence de cA est le complémentaire de Å.

Définition 5.10 La frontière de A est le fermé ∂A := Ā \ Å.

Définition 5.11 Soient E et F deux espaces topologiques. Une fonction f : E −→ F


est dite continue si l’image réciproque par f de tout ouvert est un ouvert (ce qui est
équivalent à dire que l’image réciproque par f de tout fermé est un fermé).

Proposition 5.12 Soient E et F deux espaces métriques. Une fonction f : E −→ F


est dite continue ssi pour toute suite (xn ) de E convergeant vers x, la suite (f (xn )) est
aussi convergente et limn f (xn ) = f (x).

Définition 5.13 Soit X ⊆ E. La topologie trace 2 de O(E) sur X est constituée des
intersections des ouverts de E avec X. Dans le cas métrique, la topologie trace est la
topologie relative à la restriction de la distance à X × X.

Définition 5.14 La topologie produit de E × F est constituée des réunions quelconques


de pavés à côtés ouverts :

O(E × F ) := {∪i∈I Ui × Vi , Ui ∈ O(E), Vi ∈ O(F ), I ensemble d’indices quelconque}.

Proposition 5.15 La topologie produit est aussi la plus petite topologie qui rendent les
projections canoniques πE et πF continues :

πE : E × F −→ E
(x, y) 7−→ x

et

πF : E × F −→ F
(x, y) 7−→ y
2. dite aussi topologie induite
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 26

Dans le cas métrique, la topologie produit est la topologie relative à toute distance clas-
sique du type

d((x, y), (x0 , y 0 )) :=dE (x, x0 ) + dF (y, y 0 )


p
OU dE (x, x0 )2 + dF (y, y 0 )2
OU dE (x, x0 ) ∨ dF (y, y 0 ).

Définition 5.16 On dit qu’une famille dénombrable d’ouverts (ωn )n∈N de E est une base
dénombrable d’ouverts si tout ouvert de E s’écrit comme réunion d’éléments de cette
famille, autrement dit : ∀O ∈ O(E), ∃I ⊆ N : O = ∪i∈I ωi ; ou de manière équivalente :
∀O ∈ O(E), ∀x ∈ O, ∃n ∈ N : x ∈ ωn ⊆ O.

Proposition 5.17 Un espace métrique (E, d) est à base dénombrable d’ouverts ssi il
contient une suite dense 3 . On dit alors que E est séparable.

Dém. Sens ⇒ : soit (ωn )n∈N une famille dénombrable d’ouverts de E, et (xn ) une suite
de E telle que pour tout n, xn ∈ ωn . Alors la suite (xn ) est dense, en effet : pour tout
x ∈ E, l’ouvert B(x, 1/n) s’écrit comme réunion d’ouverts du type ωi , donc ∃i(n) tel que
ωi(n) ⊆ B(x, 1/n). Soit yn := xi(n) , alors d(yn , x) ≤ 1/n, donc yn → x.
Sens ⇐ : si (xn ) est une suite dense, alors la famille {B(xn , r), n ∈ N, r ∈ Q?+ } est
une base dénombrable d’ouverts car elle s’injecte dans N × Q (qui est dénombrable) et
pour tout O ∈ O(E), [
O= B(xn , r),
n,r:B(xn ,r)⊆O

ce qui achève la démonstration. 2

Remarque 5.18 Rd est séparable car Qd est une suite dense. Les rectangles ouverts
(produits d’intervalles ouverts) à extrémités rationnelles forment une base dénombrable
d’ouverts de Rd .

Définition 5.19 (Borel-Lebesgue) Une partie A d’un espace topologique E est dite
compacte si de tout recouvrement ouvert de A on peut extraire un sous-recouvrement
fini, autrement dit pour toute famille (Ωi )i∈I d’ouverts de E telle que A ⊆ ∪i∈I Ωi , ∃J
fini ⊆ I tel que A ⊆ ∪j∈J Ωj .

Théorème 5.20 (Bolzano-Weierstrass) Une partie A d’un espace métrique E est


compacte ssi toute suite à valeurs dans A admet au moins une valeur d’adhérence dans
A 4.

Corollaire 5.21 Tout compact est fermé. De plus, toute partie compacte d’un espace
vectoriel normé 5 est bornée.
3. autrement dit : il existe un ensemble dénombrable (une suite) A tel que Ā = E (A est alors dit dense dans
E)
4. autrement dit : admet au moins une sous-suite convergente de limite ∈ A
5. un espace vectoriel normé est un espace métrique, donc topologique
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 27

Théorème 5.22 Dans un espace vectoriel normé de dimension finie, un fermé est com-
pact ssi il est borné.

Proposition 5.23 Un fermé contenu dans un compact est compact. L’image d’un com-
pact par une fonction continue est compacte.

Remarque 5.24 La topologie de R̄ est la topologie relative √ à la distance d définie par


d(x, y) = |f (x) − f (y)| pour tous x, y ∈ R̄, où f (x) = x/ x2 + 1 et f (±∞) = ±1. En
particulier, R̄ est compact et [x, +∞] est un compact de R̄.

5.2 Tribu borélienne et fonctions boréliennes


Définition 5.25 Si E est un espace topologique, on note Bor(E) ou B(E) et on appelle
tribu de Borel ou tribu borélienne, la tribu engendrée par les ouverts de E, autrement dit,
B(E) := σ(O(E)). Les éléments de B(E) sont appelés parties boréliennes ou boréliens
de E.

Remarque 5.26 La tribu de Borel est aussi la tribu engendrée par la classe C des
fermés de E, en effet : d’une part C ⊆ B(E), donc σ(C ) ⊆ B(E) car tout fermé est
le complémentaire d’un ouvert, qui appartient à B(E), donc appartient aussi à B(E) ;
d’autre part O(E) ⊆ σ(C ), donc (B(E) =)σ(O(E)) ⊆ σ(C )) car tout ouvert est le
complémentaire d’un fermé, qui appartient à σ(C ), donc appartient aussi à σ(C ) (même
raisonnement).

Remarque 5.27 Il existe des parties de R non boréliennes (voir dernière section de ce
chapitre). En revanche, si E est dénombrable, muni de la topologie discrète : toute partie
est ouverte (et fermée), donc borélienne : B(E) = P(E).

Proposition 5.28 Si E admet une base dénombrable d’ouverts (ωn )n∈N , alors Bor(E) =
σ({ωn ; n ∈ N}).

Dém. Par double inclusion : {ωn ; n ∈ N} ⊆ O(E) ⊆ B(E), donc σ({ωn ; n ∈ N}) ⊆
B(E). Dans l’autre sens, on sait que tout ouvert O s’écrit comme réunion d’éléments de
{ωn ; n ∈ N}. Comme une telle réunion est forcément dénombrable, O est un élément de
σ({ωn ; n ∈ N}). On a donc O(E) ⊆ σ({ωn ; n ∈ N}), ce qui implique B(E) ⊆ σ({ωn ; n ∈
N}). 2

Corollaire 5.29 La tribu Bor(Rd ) est la tribu engendrée par la classe des rectangles
ouverts 6 , mais est aussi la tribu engendrée par les rectangles ouverts à extrémités à
coordonnées dans Q ou dans toute autre partie dense de R.

Proposition 5.30 La tribu trace de Bor(E) sur une partie X de E est la tribu engen-
drée par la topologie trace de X.
6. rectangle = produit d’intervalles ; rectangle ouvert = produit d’intervalles ouverts
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 28

Dém. Soit i : X → E l’injection canonique. La tribu trace est i−1 (B(E)) = i−1 (σ(O(E)) =
σ(i−1 (O(E)), par le lemme de transport. Mais i−1 (O(E) n’est autre que la topologie
trace, c’est-à-dire {A ∩ X, A ∈ O(E)}. 2

Définition 5.31 (terminologie) Soit E1 et E2 des espaces topologiques, Ai := Bor(Ei ), i =


1, 2. Les éléments de F (A1 , A2 ) sont appelés fonctions boréliennes.

Proposition 5.32 Soit f : (E1 , A1 ) → (E2 , A2 ). Si E2 est topologique et A2 = Bor(E2 ),


alors f est mesurable ssi pour tout ouvert O de E2 , f −1 (O) ∈ A1 .

Dém. Par le lemme de transport : f −1 (σ(O(E2 ))) = σ(f −1 (O(E2 ))). Or f est mesurable
ssi f −1
(B(E2 )) ⊆ A1 , donc ssi σ(f −1 (O(E2 ))) ⊆ A1 , c’est-à-dire ssi f −1 (O(E2 )) ⊆ A1 .
2

Corollaire 5.33 Si E1 et E2 sont topologiques, alors toute fonction continue est boré-
lienne.

Proposition 5.34 Soit

f : (E, A ) −→ (R2 , B(R2 ))


x 7−→ (f1 (x), f2 (x))

Alors f est mesurable ssi fi ∈ F (A , B(R)) pour tout i = 1, 2.

Remarque 5.35 Si C est identifié à R2 , une fonction complexe f est mesurable ssi <(f )
et =(f ) le sont.

Dém. Sens ⇒ : pour tout i = 1, 2, la projection canonique πi : R2 → R est continue


par définition de la topologie produit, donc borélienne, ainsi fi = πi ◦ f est mesurable
comme composée de fonctions mesurables.
Sens ⇐ : on sait que Bor(R2 ) est engendrée (par exemple) par les rectangles ouverts.
Donc par le lemme de transport, f est mesurable ssi pour tous intervalles ouverts U et
V , f −1 (U × V ) ∈ A . Or f −1 (U × V ) = {f1 ∈ U } ∩ {f2 ∈ V }. Mais par hypothèse
{f1 ∈ U } ∈ A et {f2 ∈ V } ∈ A , donc leur intersection est aussi dans A . 2

Applications. Pour toutes fonctions f, g ∈ F (A , B(R)) et pour tout λ ∈ R, λf +g est


mesurable (autrement dit, F (A , B(R)) est un espace vectoriel), ainsi que les fonctions
suivantes : f g, f ∧ g, f ∨ g, f + , f − , |f |, |f |p ,... Il suffit pour le voir d’utiliser la continuité
des applications qui à (x, y) associent λx + y, xy, x ∧ y, etc. ainsi que le fait que la
composée de deux applications mesurables est mesurable.
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 29

5.3 L’ensemble triadique de Cantor


L’ensemble triadique de Cantor est un sous-ensemble de l’intervalle [0, 1]. C’est un
exemple de partie de R qui ne contient aucun point isolé mais ne contient pas non plus
d’intervalle ouvert. Il est défini comme la limite d’une suite décroissante de réunions
finies d’intervalles fermés, ce qui en fait un fermé (comme intersection de fermés). Plus
précisément, soit A0 l’intervalle [0, 1], A1 la réunion de l’intervalle [0, 1/3] et de l’intervalle
[2/3, 1], et plus généralement An+1 la partie de An obtenue en divisant chaque composante
connexe de An en trois sous-intervalles de tailles égales et en lui en ôtant le sous-intervalle
central. Plus rigoureusement, An+1 := 31 An ∪ 13 (2 + An ).

Définition 5.36 Le fermé K := limn ↓ An est appelé ensemble triadique de Cantor.

Dans la proposition suivante, on appelle (provisoirement sans précautions mathéma-


tiques) « mesure de Lebesgue » d’une partie de R, sa longueur totale. L’objet ultérieur
de ce cours sera en partie de donner une définition rigoureuse de ce concept.
Proposition 5.37 L’ensemble triadique de Cantor peut s’écrire sous la forme
( )
X xn
K= n
, xn ∈ {0, 2} .
n≥1
3

Il est compact, d’intérieur vide, équipotent à R, de mesure de Lebesgue nulle.

Remarque 5.38 Tout ensemble dénombrable est de mesure de Lebesgue nulle, comme
réunion dénombrable d’ensembles de mesure nulle (les singletons le constituant). On voit
ici que la réciproque est fausse : K est un exemple d’ensemble de mesure de Lebesgue
nulle mais non dénombrable.

Dém. K est fermé borné dans R donc compact. Par récurrence, on voit que les compo-
santes connexes de An qui sont des intervalles fermés de longueur 3−n dont les extrémités
(n)
x (n)
sont les nombres réels de la forme nk=1 3kn + 3εnn , où xk ∈ {0, 2} et εn ∈ {0, 1} : pour
P
chaque intervalle, εn = 0 correspond à l’extrémité gauche, et εn = 1 correspond à l’ex-
trémité droite. Montrons l’égalité annoncée par double inclusion : P
⊇ : pour toute suite (xk ) à valeursPdans {0, 2}, pour tout entier n, nk=1 x3nk ∈ An ⊆ K,
donc comme K est fermé, la limite ∞ xk
k=1 3n ∈ K.
⊆ : soit x ∈ K et soit x(n) l’extrémité gauche de la composante connexe de An qui
contient x. En particulier |x(n) − x| ≤ 3−n . Cherchons une relation entre x(n) et x(n+1) .
Lorsqu’on passe de An à An+1 , soit x est dans le sous-intervalle de gauche, auquel cas
2
x(n+1) = x(n) , soit x est dans le sous-intervalle de droite, auquel cas x(n+1) = x(n) + 3n+1 .
(n+1) (n) x (0)
On peut donc écrire x = x + 3n+1 , où xn+1 ∈ {0, 2}, et comme x = 0, cela donne
n+1

x(n) = nk=1 x3kk , qui converge en croissant vers y := ∞ xk (n)


− x| ≤ 3−n donc
P P
k=1 3k . Or |x
la suite (x(n) ) converge vers x, ce qui implique y = x.
Montrons que K̊ = ∅. Soit x ∈ K et ε > 0. La boule B(x, ε) intersecte cAn pour tout
n dès que 3−n < ε. Donc B(x, ε) intersecte ∪n cAn , qui n’est autre que le complémentaire
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 30

de ∩n An = K. Ainsi, K ne contient aucune boule ouverte centrée sur x, c’est-à-dire que


x n’est pas intérieur à K.
Montrons que K a la puissance du continu. L’application
?
f : {0, 2}N −→ K
X xn
(xn ) 7−→
n≥1
3n
?
est une injection donc Card(K) ≥ Card({0, 2}N ) = Card(R). D’autre part Card(R) ≤
Card(K) puisque K ⊆ R.
Enfin K est de mesure de Lebesgue nulle car K = limn ↓ An donc 7 λ(K) = limn ↓
n
λ(An ) = limn ↓ 32 = 0. 2

5.4 Une partie de R non borélienne


Les tribus sont des familles de parties qui sont destinées à être mesurées. Pour pouvoir
mesurer des parties suffisamment compliquées comme celles qui ne peuvent être définies
que par des passages à la limite (comme l’ensemble triadique de Cantor), les tribus
doivent être assez fines pour être stables par des opérations relativement générales comme
le passage au complémentaire, les réunions et intersections dénombrables. Néanmoins,
elles ne doivent pas être si fines qu’elles contiennent des parties non mesurables, comme
l’exemple qui va suivre.
On définit la relation d’équivalence ∼ sur R :

x ∼ y ⇔ x − y ∈ Q.

En se servant de l’axiome du choix, on peut supposer l’existence d’une partie A de ]0, 1[


qui contient exactement un représentant et un seul de chaque classe d’équivalence de la
relation ∼. En particulier, A n’est pas dénombrable, mais surtout nous allons montrer que
A ne peut admettre de mesure de Lebesgue. Cette assertion implique l’assertion suivante :
A n’est pas borélienne. En effet, nous verrons (plus tard) que tout borélien admet une
mesure de Lebesgue.
Montrons par l’absurde que A ne peut admettre de mesure de Lebesgue : soit λ(A) ∈
[0, +∞] la mesure de A (nous verrons que λ est la notation usuelle de la mesure de
Lebesgue). Soit [
L := (r + A),
r∈Q∩]−1,1[

où r + A = {r + x, x ∈ A}. Comme A admet une mesure, alors chaque partie r + A en


admet une aussi, qui vaut d’ailleurs λ(A) par invariance par translation de la mesure de
Lebesgue. Comme L est réunion dénombrable de parties admettant une mesure, ce doit
être également son cas.
7. Propriété de continuité de la mesure pour les suites décroissantes dont un élément est de mesure finie, ce
que nous verrons bientôt...
CHAPITRE 5. LE CAS BORÉLIEN 31

Montrons que ]0, 1[⊆ L. Pour tout x ∈]0, 1[, désignons par a = a(x) le représentant de
sa classe d’équivalence contenu dans A. Alors en particulier, x − a ∈ Q, et x − a ∈] − 1, 1[,
donc r := x − a ∈ Q∩] − 1, 1[, et comme x ∈ r + A, x ∈ L. On a aussi L ⊆] − 1, 2[, donc
on en déduit
1 ≤ λ(L) ≤ 3.
Montrons que les parties r + A (r ∈ Q) sont deux à deux disjointes. Soient r, s ∈ Q.
Si (r + A) ∩ (s + A) 6= ∅, alors il existe a, b ∈ A tels que z = r + a = s + b, donc
b − a = r − s ∈ Q. Par conséquent a ∼ b, mais comme a, b ∈ A qui ne contient qu’un
représentant de chaque classe d’équivalence, a = b, donc r = s.
Par σ-additivité, nous en déduisons
X X
λ(L) = λ(∪r (r + A)) = λ(r + A) = λ(A).
r r

Cette somme ne peut être qu’infinie (si λ(A) 6= 0) ou nulle (si λ(A) = 0), ce qui contredit
l’inégalité 1 ≤ λ(L) ≤ 3. 2
Chapitre 6

Mesures

6.1 Définitions et propriétés


Définition 6.1 Une mesure 1 sur l’espace mesurable (E, A ) est une application µ : A →
[0, +∞] qui :
(i) associe la valeur 0 à l’ensemble vide : µ(∅) = 0 ;
(ii) est σ-additive : pour toute suite (An ) d’éléments de A deux à deux disjoints,
X
µ(∪n An ) = µ(An ).
n

On dit que (E, A , µ) est un espace mesuré, et pour tout A ∈ A , on appelle µ(A) la
mesure de A.

Remarque 6.2 On a besoin de la σ-additivité pour pouvoir calculer la mesure de parties


compliquées construites comme limites d’ensembles plus simples que l’on sait mesurer.
P
Remarque 6.3 Dans l’égalité µ(∪n An ) = n µ(An ), on remarque que l’ordre de som-
mation (membre de droite) n’intervient pas car la série est à termes positifs, ce qui est
cohérent avec le membre de gauche.
On remarquera également que la σ-additivité implique l’additivité finiePgrâce à (i) :
si l’on définit Ai = ∅ pour tout i ≥ n + 1, alors µ(∪ni=1 Ai ) = µ(∪∞
i=1 Ai ) = i≥1 µ(Ai ) =
Pn
i=1 µ(Ai ).

Proposition 6.4 Une mesure µ sur un (E, A ) vérifie pour tous A, B ∈ A :


(i) Additivité finie : µ(A) = µ(A \ B) + µ(A ∩ B) ;
(ii) Additivité forte : µ(A ∪ B) + µ(A ∩ B) = µ(A) + µ(B) ;
(iii) Sous-additivité : µ(A ∪ B) ≤ µ(A) + µ(B) ;
(iv) Croissance : si A ⊆ B, µ(A) ≤ µ(B).

Remarque 6.5 En (ii), prendre garde de ne pas écrire µ(A ∪ B) = µ(A) + µ(B) − µ(A ∩
B), qui pourrait être une forme indéterminée, si µ(A ∩ B) = +∞.
1. Dans ce cours nous ne considérerons que des mesures positives

32
CHAPITRE 6. MESURES 33

Dém. (i) A \ B et A ∩ B sont disjoints et leur réunion est A.


(ii) A \ B, A ∩ B et B \ A sont disjoints et leur réunion est A ∪ B, donc
µ(A \ B) + µ(A ∩ B) + µ(B \ A) = µ(A ∪ B),
donc en ajoutant µ(A ∩ B) à chaque membre on obtient
µ(A \ B) + µ(A ∩ B) + µ(B \ A) + µ(A ∩ B) = µ(A ∪ B) + µ(A ∩ B),
mais dans le premier membre, grâce à (i), la somme des deux premiers termes vaut µ(A)
et la somme des deux derniers termes vaut µ(B).
(iii) Si µ(A) + µ(B) = +∞, l’assertion est évidente, tandis que dans le cas contraire,
grâce à (ii), µ(A∪B)+µ(A∩B) < ∞, donc en particulier µ(A∩B) < ∞. Par conséquent
on peut retrancher µ(A ∩ B) à l’égalité (ii), ce qui donne
µ(A ∪ B) = µ(A) + µ(B) − µ(A ∩ B) ≤ µ(A) + µ(B).
(iv) D’après (ii) si A ⊆ B, alors
µ(B) = µ(B \ A) + µ(B ∩ A) = µ(B \ A) + µ(A) ≥ µ(A),
qui est l’inégalité souhaitée. 2

Proposition 6.6 Une application µ : A → [0, +∞] est une mesure ssi :
(i) µ(∅) = 0 ;
(ii) µ est finiment additive : pour tous éléments P Ai (i ∈ I) deux à deux disjoints de
la tribu A , si I est fini, alors µ(∪i∈I Ai ) = i∈I µ(Ai ).
(iii) µ est continue à gauche 2 : pour toute suite croissante (An )n∈N d’éléments de
A,
µ(lim ↑ An ) = lim ↑ µ(An ).
n n

Remarque 6.7 On se rappellera qu’ici, la suite (An )n∈N étant croissante, limn ↑ An
n’est autre que ∪n An .

Dém. Montrons d’abord le sens ⇒ et supposons donc que µ est une mesure. On a
déjà vu que (i) et (ii) sont vraies. Montrons la continuité à gauche. Soit (An ) une suite
croissante de parties mesurables et soient B0 := A0 , et pour tout entier naturel non nul
n, Bn := An \ An−1 . Alors les (Bn ) sont des éléments de A deux à deux disjoints, donc
X
µ(∪n Bn ) = µ(Bn ).
n

Mais d’une part, ∪n Bn = ∪n An = limn ↑ An et d’autre part,


X n
X
µ(Bn ) = lim µ(Bk ) = lim µ(∪nk=0 Bk ) = lim µ(An ).
n n n
n k=0

2. il s’agit d’une expression figurée qui signifie ‘continue pour les suites croissantes’ et est utilisée par analogie
avec les fonctions : R → R pour qui ces deux expressions sont synonymes
CHAPITRE 6. MESURES 34

Montrons maintenant ⇐. Soit donc µ vérifiant les trois propriétés de la proposition.


Il nous suffit de montrer que µ est bien σ-additive. Soient (An ) mesurables et deux à
deux disjointes. Soit Bn := ∪nk=0 Ak , alors (Bn ) est une suite croissante donc µ(∪n Bn ) =
limn µ(Bn ). Mais d’une part µ(∪n Bn ) = µ(∪n ∪nk=0 AP k ) = µ(∪n An ), et d’autre part,
comme µ est finiment additive, µ(Bn ) = µ(∪nk=0 Ak ) = nk=0 µ(Ak ). Ainsi
n
X X
µ(∪n An ) = µ(∪n Bn ) = lim µ(Bn ) = lim µ(Ak ) = µ(An ),
n n
k=0 n

ce qui montre la σ-additivité de µ. 2

Corollaire 6.8 Toute mesureP µ est sous σ-additive, au sens où pour toute suite (An )
d’éléments de A , µ(∪n An ) ≤ n µ(An ).

Soit Bn := ∪nk=0 Ak . Par sous-additivité, µ(Bn ) ≤ nk=0 µ(Ak ). Mais comme la


P
Dém.
suite (Bn ) croît et converge vers ∪n An , en passant à la limite dans l’inégalité précédente,
on obtient
n
X X
µ(∪n An ) = µ(∪n Bn ) = lim µ(Bn ) ≤ lim µ(Ak ) = µ(An ),
n n
k=0 n

où la deuxième égalité est due à la continuité à gauche des mesures. 2

Exemple 6.9 Quelques exemples de mesures :


– la mesure nulle est définie sur P(E) (et donc sur toute autre tribu) par µ(A) := 0
pour tout A ⊆ E ;
– la mesure grossière sur P(E) : µ(A) := +∞ dès que A 6= ∅ (et µ(∅) = 0) ;
– pour tout a ∈ E, la mesure de Dirac au point a est définie pour tout A ∈ P(E)
par 
1 si a ∈ A
µ(A) :=
0 sinon.
Cette mesure est souvent notée δa ;
– la mesure de comptage sur P(E) :

Card(A) si A est fini
µ(A) :=
+∞ sinon,

où Card(A) désigne ici le nombre d’éléments de l’ensemble A.


– soit un espace mesuré (E, A , µ) et X une partie de E. SI X ∈ A , alors on peut
définir la mesure trace µX de µ sur X par µX (A) := µ(A ∩ X) pour tout A ∈ A .

Exercice 6.10 Démontrer que la mesure de comptage est bien une mesure en prouvant
qu’elle vérifie les trois propriétés de la Proposition 6.6 : elle prend la valeur 0 en ∅, elle
est finiment additive et elle est continue à gauche.
CHAPITRE 6. MESURES 35

6.2 Mesure de Lebesgue


La mesure de Lebesgue est une mesure définie sur la tribu de Borel de Rd . Elle donne
un sens mathématique à la notion physique de volume (de surface si d = 2, de longueur
si d = 1). Rappelons que cette mesure n’est pas définie sur tout P(Rd ), ce que nous
avons démontré au chapitre précédent dans le cas d = 1 à l’aide de l’axiome du choix.

Théorème 6.11Q Il existe une unique mesure surQ les boréliens de Rd telle que la mesure
de tout rectangle di=1 ]ai , bi [ soit égale au produit di=1 (bi − ai ). Cette mesure est appelée
mesure de Lebesgue et est ordinairement notée λd , voire λ s’il n’y a pas d’ambiguïté sur
la dimension.

Remarque 6.12 Montrer qu’il existe une unique mesure qui vérifie certaines propriétés
se dit « construire une mesure ». Le théorème dont on se sert pour montrer l’unicité s’ap-
pelle théorème de la classe monotone, et celui dont on se sert pour l’existence s’appelle
théorème de Caratheodory. Nous énoncerons ces théorèmes dans le chapitre « Construc-
tion d’une mesure »et démontrerons même le premier. Pour le moment le théorème qui
précède reste admis.

Exercice 6.13 Montrer que si A est un borélien de Rd alors tous les translatés de A
sont des boréliens (se servir du fait qu’une translation est une application bijective et
continue).

Proposition 6.14 Soit µ une mesure sur Bor(Rd ) qui vérifie les deux propriétés sui-
vantes :
(i) invariance par translation : pour tout borélien A et toute translation f , µ(f (A)) =
µ(A) ; 
(ii) le rectangle unité est de mesure 1 : µ [0, 1]d = 1.
Alors µ est la mesure de Lebesgue.

Dém. Nous ne détaillons ici que le cas d = 1. Le cas général est laissé au lecteur .
a) Nous montrons d’abord par l’absurde que µ est nulle sur les singletons. S’il existe
x ∈ R tel que µ({x}) = ε > 0, alors par invariance
P par translation, µ({y}) = ε pour
tout y ∈ R. Par conséquent, µ(Q ∩ [0, 1]) = y∈Q∩[0,1] ε = +∞, ce qui constitue une
contradiction puisque µ(Q ∩ [0, 1]) ≤ µ([0, 1]) = 1.
b) D’après ce qui précède, pour tout entier naturel n ≥ 1,
n   X n    
X k−1 k 1 1
1 = µ([0, 1]) = µ , = µ 0, = nµ 0, ,
k=1
n n k=1
n n

d’où µ(]0, 1/n[) = 1/n. De plus, pour tous entiers k1 ≤ k2 ,


  k2   k2  
k1 k2 X j−1 j X 1 k2 − k1
µ , = µ , = µ 0, = .
n n j=k1 +1
n n j=k1 +1
n n
CHAPITRE 6. MESURES 36

c) Soient r < r0 deux rationnels, que l’on peut écrire sous la forme r = p/q et
r0 = p0 /q 0 , où p, p0 , q, q 0 sont des entiers. Alors d’après ce qui précède,
p p0
 0 0 
p0 q − pq 0
 
0 pq p q
µ (]r, r [) = µ , 0 =µ 0
, 0 = 0
= r0 − r.
q q qq qq qq
d) Passons maintenant à la limite sur les rationnels. Soient a < b deux nombres réels.
Alors il existe une suite décroissante (an ) et une suite croissante (bn ), toutes deux consti-
tuées de nombres rationnels, dont les limites sont resp. a et b. Alors la suite d’intervalles
(]an , bn [) est une suite croissante qui converge vers ]a, b[, donc par continuité à gauche
des mesures,

µ(]a, b[) = µ(lim ↑]an , bn [) = lim ↑ µ(]an , bn [) = lim ↑ (bn − an ) = b − a,


n n n

ce qui montre que la mesure de tout intervalle est sa longueur, et garantit ainsi que µ
est la mesure de Lebesgue sur R. 2

6.3 Autres définitions et autres propriétés


Définition 6.15 Une mesure µ sur un espace mesurable (E, A ) :
– est dite finie, ou bornée, si µ(E) < ∞ (ce qui équivaut à : µ(A) < ∞ pour tout
A ∈ A ). Le nombre réel µ(E) est alors appelé masse totale de µ ;
– est appelée (mesure de) probabilité si sa masse totale vaut 1 ;
– est dite σ-finie s’il existe une suite (En ) de parties mesurables de E telles que
µ(En ) < ∞ et ∪n En = E ;
– est appelée mesure de Borel 3 si E est topologique, localement compact 4 et sépa-
rable 5 , que A est la tribu borélienne de E et que µ est finie sur les compacts :
µ(K) < ∞ pour tout compact K de E 6 .

Remarque 6.16 Si µ est une mesure de Borel alors elle est σ-finie car E étant loca-
lement compact et séparable, il peut s’écrire comme réunion dénombrable de compacts
(on dit qu’il est σ-compact) : E = ∪n∈N En où tous les En sont compacts donc vérifient
µ(En ) < ∞. P
En revanche la réciproque
P est fausse. Soit µ la mesure sur R définie par µ = n αn δxn
(voir Corollaire 6.21) où n αn = ∞ et (xn ) est une suite de réels deux à deux distincts
et de limite x finie. Alors µ est une mesure σ-finie (prendre En = R \ {xk ; k ≥ n}) mais
elle n’est pas de Borel car tout voisinage compact de x est de mesure infinie.

Proposition 6.17 (Continuité pour les suites décroissantes de mesure finie) Si


(An ) est une suite décroissante de A telle que µ(An ) < ∞ à partir d’un certain rang,
3. ou parfois mesure de Radon. En fait, le terme « mesure de Radon » fait référence à une forme linéaire
positive sur un espace de fonction continues à support compact. Le théorème de représentation de Riesz assure
que toute mesure de Radon est en fait une intégrale par rapport à une mesure de Borel
4. autrement dit : pour tout point x ∈ E, il existe un ouvert contenant x et inclus dans un compact de E
5. rappel : admettant une suite dense
6. rappel : un compact est fermé donc borélien
CHAPITRE 6. MESURES 37

alors
lim ↓ µ(An ) = µ(lim ↓ An ),
n n

qui n’est autre que µ(∩n An ).

Remarque 6.18 Un corollaire immédiat de la proposition précédente est que les mesures
finies sont continues à droite. La mesure de Lebesgue est un exemple de mesure non
continue à droite : si An := [n, +∞[, alors (An ) est une suite décroissante de limite ∅,
mais comme (λ(An )) est identiquement égale à +∞, elle converge vers +∞, et non pas
vers λ(∅) = 0.

Dém. Par hypothèse, il existe n0 tel que pour tout n ≥ n0 , µ(An ) < ∞. Soit alors
Bn := An0 \ An . La suite (Bn ) est croissante et converge vers An0 \ ∩n An , donc

µ(An0 )−µ(∩n An ) = µ(lim ↑ Bn ) = lim ↑ µ(Bn ) = lim ↑ (µ(An0 )−µ(An )) = µ(An0 )−lim ↓ µ(An ),
n n n n

ce qui donne bien µ(∩n An ) = limn ↓ µ(An ). 2

Proposition 6.19 Pour toute suite (An ) d’éléments de la tribu A , si µ est une mesure
finie (ou s’il existe B de mesure finie tel que An ⊆ B à partir d’un certain rang), alors
   
µ lim inf An ≤ lim inf µ(An ) ≤ lim sup µ(An ) ≤ µ lim sup An .
n n n n

La première inégalité reste valable sans les hypothèses qui précèdent.

Dém. Soit Bn := ∩k≥n Ak . Alors (Bn ) est une suite croissante qui converge vers lim inf n An ,
donc µ(lim inf n An ) = limn ↑ µ(Bn ). Or Bn ⊆ An donc µ(Bn ) ≤ µ(An ) et par conséquent
limn µ(Bn ) = lim inf n µ(Bn ) ≤ lim inf n µ(An ), ce qui assure la première inégalité.
Concernant les limites supérieures, supposons que µ est finie (mais sous l’hypothèse
plus faible de l’énoncé, la démonstration est la même ). Alors
   
µ lim sup An = µ(E) − µ lim inf An ≥ µ(E) − lim inf µ(cAn )
c
n n n

= µ(E) − lim inf (µ(E) − µ(An )) = lim sup µ(An ),


n n

où l’inégalité est due à la conclusion précédente. 2


Terminons ce chapitre par la

Proposition 6.20 a) Si (µn ) est une suite croissante de mesures, au sens où pour tout
A ∈ A , µn (A) ≤ µn+1 (A), alors l’égalité µ(A) := limn ↑ µn (A) ∈ [0, +∞] définit une
mesure µ sur A .
b) Tout combinaison linéaire dénombrable, à coefficients positifs, de mesures, est une
mesure.
CHAPITRE 6. MESURES 38

Dém. Pour b), il suffitPde montrer qu’une combinaison linéaire finie, à coefficients
positifs, de mesures, soit nk=0 αk µk , est toujours une mesure, car alors a) impliquera b).
En effet, une combinaison linéaire à coefficients positifs dénombrable est simplement la
limite croissante d’une suite de sommes partielles. La démonstration se fait (par exemple)
sur le même modèle que celle qui suit .
Démontrons a) grâce à la Proposition 6.6.
(i) comme µn (∅) = 0, µ(∅) = limn µn (∅) = 0.
(ii) pour tout ensemble d’indices fini I, pour toutes parties mesurables (Ai )i∈I deux
à deux disjointes, l’additivité finie de chaque µn s’écrit
X
µn (∪i∈I Ai ) = µn (Ai ).
i∈I

L’additivité finie de µ s’obtient en faisant tendre n → ∞ dans chaque membre (car le


membre de droite est une somme finie).
(iii) soit maintenant une suite croissante (Ak ) d’éléments de la tribu A . La suite
doublement indicée (µn (Ak )) est croissante en k ET en n, ce qui garantit que l’on peut
intervertir les limites en n et en k, d’où :
   
µ lim ↑ Ak = lim ↑ µn lim ↑ Ak = lim ↑ lim ↑ µn (Ak ) = lim ↑ lim ↑ µn (Ak ) = lim ↑ µ(Ak ),
k n k n k k n k

où la deuxième égalité est due à la continuité à gauche de chaque mesure µn . 2

Corollaire 6.21 Pour toute P suite (xn ) d’éléments d’un ensemble E, pour toute suite
(αn ) de nombre réels positifs, n αn δxn est une mesure sur P(E).

Remarque 6.22 Le résultat précédent montre que l’on peut définir sur n’importe quel
espace des mesures qui sont un peu moins élémentaires que les exemples généraux donnés
dans la première section.
Chapitre 7

Intégrale par rapport à une mesure des


fonctions mesurables positives

7.1 Intégrale des fonctions étagées positives


Notation 7.1 Pour tout espace mesurable (E, A ), on notera E+ (A ) l’ensemble des élé-
ments de E (A ) (fonctions étagées) à valeurs positives.

Définition 7.2 Pour toute fonction f ∈ R E+ (A ), on appelle intégrale de f par rapport à


une mesure µ sur (E, A ), et l’on note E f dµ l’élément de [0, +∞]
Z X
f dµ := αµ({f = α}),
E α∈f (E)

avec la convention habituelle 0 × ∞ = 0.

Remarque 7.3 La définition précédente ne dépend (heureusement) pas de la représen-


tation de f sous la forme f = i∈I αi 1Ai , car on a toujours l’égalité
P

Z X
f dµ = αi µ(Ai ).
E i∈I

Notation 7.4 On notera indifféremment l’intégrale de f par rapport à la mesure µ sous


une des formes suivantes
Z Z Z
f dµ, f (x) dµ(x), f (x) µ(dx),
E E E

voire en omettant l’indice E du signe intégral.

Proposition 7.5 Pour tout f ∈ E+ (A ),


Z
f dµ < ∞ ⇔ µ({f 6= 0}) < ∞.
E

39
CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 40

Soit f = i∈I αi 1Ai . Alors


P
Dém.
X
αi µ(Ai ) < ∞ ⇐⇒ ∀i ∈ I (αi 6= 0 ⇒ µ(Ai ) < ∞)
i∈I
X
⇐⇒ µ(Ai ) < ∞
i∈I:αi 6=0
!
[
⇐⇒ µ Ai < ∞,
i∈I:αi 6=0

2
S
ce qui achève la démonstration, car i∈I:αi 6=0 Ai = {f 6= 0}.
R
Exemple 7.6 Si f est nulle alors E f dµ = 0.
Si µ = δa , alors Z X
f dµ = αµ({f = α}) = f (a).
E α∈f (E)

Si µ est la mesure de Lebesgue sur R,


Z
1Q dλ = λ(Q) = 0.
R

Proposition 7.7 L’application f 7→ E f dµ du cône E+ (A ) dans R̄+ jouit des proprié-


R
tés suivantes : R R R
(i) additivité : (f + g) dµ = f dµ + g dµ ; R R
(ii) positive homogénéité : pour tout réel positif a, R(af ) dµ =R a f dµ ;
(iii) croissance : pour tous f, g ∈ E+ (A ), f ≤ g ⇒ f dµ ≤ g dµ.

Soient f = i∈I αi 1Ai et g = j∈J βj 1Bj , où les αi , βj sont des réels positifs ou
P P
Dém.
nuls, et (Ai )i∈I , (Bj )j∈J sont des partitions finies de E.
(i) Remarquons que (Ai ∩ Bj )(i,j)∈I×J est une partition finie de E et que
(αi + βj )1Ai ∩Bj .
X
f +g =
(i,j)∈I×J

Par conséquent,
Z X
(f + g) dµ = (αi + βj )µ(Ai ∩ Bj )
E i,j
X X
= αi µ(Ai ∩ Bj ) + βj µ(Ai ∩ Bj )
i,j i,j
X X X X
= αi µ(Ai ∩ Bj ) + βj µ(Ai ∩ Bj )
i∈I j∈J j∈J i∈I
X X
= αi µ(Ai ) + βj µ(Bj )
i∈I j∈J
Z Z
= f dµ + g dµ.
E E
CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 41

(ii) Pour tout a ≥ 0, af = i∈I aαi 1Ai , d’où


P

Z X X Z
(af ) dµ = aαi µ(Ai ) = a αi µ(Ai ) = a f dµ.
E i∈I i∈I E

R
R écrivant g = f +R (g − f ),Roù g − f est étagée positive, d’après (i),
R (iii) En g dµ =
f dµ + (g − f ) dµ, donc g dµ ≥ f dµ. 2

7.2 Intégrale des fonctions mesurables positives


Notation 7.8 Pour tout espace mesurable (E, A ), on notera F+ (A ) l’ensemble des
éléments de F (A , Bor(R̄)) (fonctions mesurables à valeurs dans R̄) à valeurs positives.

Définition
R 7.9 Pour tout f ∈ F+ (A ), on appelle intégrale de f par rapport à µ, et l’on
note 1 E f dµ l’élément de [0, +∞]
Z Z 
f dµ := sup g dµ : g ∈ E+ (A ), g ≤ f .
E E
R
Si E
f dµ < ∞, on dira que f est intégrable.

Proposition
R R (croissance de l’intégrale) Pour toutes f, g ∈ F+ (A ), si f ≤ g,
7.10
alors E f dµ ≤ E g dµ.

Dém. Si ϕ ∈ E+ (A ) est telle que ϕ ≤ f alors ϕ ≤ g donc


Z  Z 
sup ϕ dµ : ϕ ∈ E+ (A ), ϕ ≤ f ≤ sup ϕ dµ : ϕ ∈ E+ (A ), ϕ ≤ g
E E

ce qui est l’inégalité recherchée. 2

Théorème 7.11 (Théorème de Beppo Levi, ou de convergence monotone) Si (fn )


est une suite croissante de F+ (A ), alors f := limn ↑ fn ∈ F+ (A ) et
Z Z
f dµ = lim ↑ fn dµ.
E n E
R R
Corollaire 7.12 L’intégrale E f dµ est la limite des intégrales E
fn dµ, où (fn ) est une
suite arbitraire de fonctions étagées positives croissant vers f .
R
Remarque 7.13 Le corollaire précédent assure qu’on aurait pu définir E f dµ comme la
limite (et non la borne supérieure etc.) des intégrales de toute suite de fonctions étagées
positives croissant vers f , mais l’inconvénient est qu’il aurait fallu auparavant montrer
que cette limite ne dépend effectivement pas de la suite de fonctions choisie.
1. la même notation est encore utilisée, car il s’agit d’un prolongement de l’intégrale initialement définie pour
les fonctions étagées positives, aux fonctions mesurables positives
CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 42

Dém. du théorème de Beppo Levi. Nous avons déjà vu que limn ↑ fn ∈ F+ (A ).


Montrons d’abord l’inégalité ≥. Comme pour tout entier n, on a fn ≤ fn+1 ≤ f , par
croissance de l’intégrale on a également
Z Z Z
fn dµ ≤ fn+1 dµ ≤ f dµ,
E E E
R R
ce qui prouve en passant à la limite que limn ↑ E fn dµ ≤ E f dµ.
Montrons maintenant l’autre inégalité. Par définition de l’intégrale de f , ilR suffit de
montrerR que pour toute fonction étagée positive ϕ telle que ϕ ≤ f , on a ϕ dµ ≤
limn ↑ E fn dµ. Soit alors a ∈ [0, 1[ et En := {aϕ ≤ fn }. Comme ϕ ≤ f , on a l’égalité
E = ∪n En , en effet :
– sur {f = 0}, fn = ϕ = 0 pour tout entier n, donc {f = 0} ⊆ En et par conséquent
{f = 0} ⊆ ∪n En ;
– sur {f > 0}, aϕ < f car ϕ ne prend que des valeurs finies. Donc pour tout
x ∈ {f > 0}, il existe un rang N (x) tel que pour tout n ≥ N (x), aϕ(x) ≤ fn (x),
autrement dit x ∈ En , et par conséquent x ∈ ∪n En .
En conclusion, E = {f = 0} ∪ {f > 0} ⊆ ∪n En . Or en notant ϕ = i∈I αi 1Ai ,
P
Z Z X
aϕ1En dµ = a αi 1Ai ∩En dµ =
X
aαi µ(Ai ∩ En ).
E E i∈I i∈I

Ainsi comme les En croissent vers E, par continuité à gauche de la mesure, limn ↑
µ(Ai ∩ En ) = µ(Ai ) pour tout i ∈ I, ce qui s’écrit, I étant fini,
Z Z
aϕ1En dµ =
X
lim ↑ aαi µ(Ai ) = a ϕ dµ.
n E E
i∈I

D’autre part En = {aϕ ≤ fn }, donc aϕ1En ≤ fn , d’où


Z Z Z
aϕ1En dµ ≤ fn dµ ≤ lim ↑ fn dµ.
E E n E

En se servant des deux équations qui précédent et notamment en passant à la limite dans
la dernière inégalité, on trouve
Z Z
a ϕ dµ ≤ lim ↑ fn dµ.
E n E

L’inégalité cherchée est donc prouvée, car a est arbitrairement proche de 1. 2


Proposition 7.14 (Lemme de Fatou) Pour toute suite (fn ) de F+ (A ), alors lim inf n fn ∈
F+ (A ) et Z Z
lim inf fn dµ ≤ lim inf fn dµ.
E n n E

Remarque 7.15 Pour fn = 1An où An ∈ A , le lemme de Fatou se traduit par une


inégalité que nous connaissions déjà
 
µ lim inf An ≤ lim inf µ(An ).
n n
CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 43

Dém. Nous avons déjà vu que lim inf n ↑ fn ∈ F+ (A ). Soit gn := inf k≥n fk et g :=
lim inf n fn = limn ↑ gn . Comme g est la limite de la suite croissante (gn ), le théorème de
Beppo Levi assure que Z Z
g dµ = lim ↑ gn dµ.
E n E
R R
D’autre part, gn ≤ fn donc par croissance de l’intégrale, E gn dµ ≤ E fn dµ et
Z Z
lim inf gn dµ ≤ lim inf fn dµ.
n E n E
R R R
Mais d’après ce qui précède, lim inf n E
gn dµ = limn E
gn dµ = E
g dµ, ce qui fournit
l’inégalité souhaitée. 2

Proposition 7.16 Les propriétés de positive homogénéité et d’additivité passent (comme


celle de croissance) aux intégrales de fonctions mesurables positives. En d’autres termes
pour tout a ≥ 0 et pour tout f ∈ F+ (A ),
Z Z Z Z Z
(af ) dµ = a f dµ et (f + g) dµ = f dµ + g dµ.
E E E E E

Dém. Comme f et g sont mesurables et positives, il existe d’après le lemme fondamental


d’approximation des suites croissantes (fn ) et (gn ) de fonctions étagées positives croissant
vers f et g respectivement. La proposition se prouve en écrivant les propriétés de positive
homogénéité et d’additivité pour ces fonctions étagées et en appliquant à chaque suite
d’intégrales le théorème de Beppo Levi . 2

Proposition 7.17 Pour toute suite (fn ) de F+ (A ), on a n fn ∈ F+ (A ) et


P

Z !
X XZ
fn dµ = fn dµ.
E n n E

Il suffit de poser gn := nk=0 fk , d’utiliser l’additivité de l’intégrale et d’appliquer


P
Dém.
le théorème de Beppo Levi à la suite croissante (gn ) . 2

Corollaire 7.18 Pour tout f ∈ F+ (A ), l’application

ν : A −→ [0, +∞]
Z
A 7−→ f 1A dµ
E

est une mesure sur (E, A ) appelée mesure de densité f par rapport à µ.

Notation 7.19 On note souvent A f dµ à la place 2 de E f 1A dµ.


R R

2. ce qui d’ailleurs est cohérent avec le cas A = E


CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 44

Dém. Vérifions les deux propriétés caractérisant les mesures. Tout d’abord ν(∅) = 0
car f 1∅ est la fonction étagée nulle partout. Montrons à présent que ν est σ-additive.
Soient (An ) une suite d’éléments de A deux à deux disjoints. D’après la proposition qui
précède le corollaire, nous pouvons échanger sommation et intégrale de sorte que
Z Z
f 1∪n An dµ = 1An dµ
X
ν (∪n An ) = f
E E n
Z X XZ
f 1An dµ = f 1An dµ =
X
= ν(An ),
E n n E n

ce qui achève la démonstration. 2


Proposition 7.20 Si µ est finie alors pour tout f ∈ F+ (A ),
f bornée =⇒ f intégrable.

Si f est bornée, il existe un nombre réel positif a tel que f ≤ a1E , donc
R
Dém. E
f dµ ≤
aµ(E) < ∞, car par hypothèse µ est finie. 2
Proposition 7.21 (Inégalité de Markov) Pour tout f ∈ F+ (A ), pour tout a > 0,
Z
1
µ ({f ≥ a}) ≤ f dµ.
a E

Comme f ≥ a1{f ≥a} , par croissance 2


R
Dém. E
f dµ ≥ aµ({f ≥ a}).
Proposition 7.22 Pour tout f ∈ F+ (A ),
Z
f dµ = 0 ⇐⇒ µ({f 6= 0}) = 0.
E

Dém.
R Pour le sens ⇒, Rsoit An := {f ≥ 1/n}. Par l’inégalité de Markov, µ(An ) ≤
n An f dµ, donc comme E f dµ = 0, µ(An ) = 0. Or A := {f 6= 0} = limn ↑ An , donc
par continuité à gauche de µ, µ(A) = limn ↑ µ(An ) = 0. Traitons maintenant le sens ⇐.
Par additivité Z Z Z Z
f dµ = f dµ + f dµ = f dµ,
E A cA A
R
car f est nulle sur cA, donc si µ(A) = 0 on a bien E f dµ = 0.
On pouvait aussi procéder de la manière suivante, qui est un peu moins simple, mais
peut servir d’entraînement. On commence par montrer la proposition pour une fonction
étagée positive ϕ :
Z X X
ϕ dµ = 0 ⇔ αi µ(Ai ) = 0 ⇔ αi µ(Ai ) = 0
E i∈I i:αi 6=0
X
⇔ µ(Ai ) = 0 ⇔ µ (∪i:αi 6=0 Ai ) = 0 ⇔ µ({ϕ 6= 0}) = 0.
i:αi 6=0
CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 45

Maintenant soit f ∈ F+ (A ) et (fn ) une suite croissante d’éléments de E+ (A ) conver-


geantR vers f . Montrons la double implication en commençant par ⇒. Supposons R donc
que E f dµ = 0. Pour tout entier n, comme 0 ≤ fn ≤ f , on a également E fn dµ = 0.
D’après ce qui précède, on a donc µ({fn 6= 0}) = 0. Si nous montrons que la suite
{fn 6= 0} converge en croissant vers {f 6= 0}, alors la continuité à gauche de µ impli-
quera µ({f 6= 0}) = 0. La croissance de cette suite de parties est due à la croissance
de la suite (fn ), en effet si fn (x) 6= 0 alors fn+1 (x) 6= 0 car fn+1 (x) ≥ fn (x). Montrons
que la limite A de cette suite, qui n’est autre que sa réunion, est {f 6= 0} par double
inclusion. Si x ∈ A, il existe n tel que fn (x) 6= 0, mais comme f (x) ≥ fn (x), on a aussi
f (x) 6= 0. Réciproquement, si f (x) 6= 0 alors comme f (x) est la limite de la suite réelle
(fn (x))n , à partir d’un certain rang fn (x) 6= 0.
Montrons enfin l’inégalité opposée. Si µ({f 6= 0}) = 0, alorsR comme {fn 6= 0} ⊆ {f 6=
0} pour tout n, on a aussi µ({fn 6= 0}) R= 0, ce qui implique E fn dµ = 0. Le théorème
de Beppo Levi permet de conclure que E f dµ = 0. 2
Remarque 7.23 Noter que le raisonnement qui permet de montrer que la suite {fn 6= 0}
converge vers {f 6= 0} ne tient plus si la suite (fn ) converge vers f sans croître, en effet
avec fn (x) = xn sur l’intervalle [0, 1] : on a {fn 6= 0} =]0, 1] pour tout n, donc la limite de
cette suite est ]0, 1], alors que si f désigne la limite de la suite (fn ) alors {f 6= 0} = {1}.
Notation 7.24 (importante) Au lieu d’écrire µ({f 6= 0}) = 0, on notera souvent
f = 0 µ-presque partout ou f = 0 µ-p.p.
De manière générale, soit N ∈ A tel que µ(N ) = 0, et une certaine propriété P (x) qui
dépend de x ∈ E. Si {x ∈ E : P (x) est fausse} ⊆ N , on dira que P (x) est vraie « pour
µ-presque tout x », ou « µ(dx)-presque partout », ou que P est vraie µ-p.p.
L’ensemble N est appelé ensemble négligeable, ou µ-négligeable. Les ensembles dé-
nombrables, l’ensemble triadique de Cantor, sont des ensembles λ-négligeables.
Dans certains contextes, une partie de E sera dite négligeable même si elle n’est pas
mesurable mais si elle est incluse dans une partie mesurable de mesure nulle.
Proposition 7.25 Pour tous f, g ∈ F+ (A ),
Z Z
f = g µ-p.p. ⇒ f dµ = g dµ.
E E

Dém. On pose

max(f, g) − min(f, g) sur {min(f, g) < ∞}
h :=
0 sur {f = g = ∞}.
Comme {f = g} = {h = 0}, par passage au complémentaire {h 6= 0} R = {f 6= g} donc
µ({h 6= 0}) = 0 (ce qui s’écrit aussi h = 0 µ-p.p.), par conséquent E h dµ = 0 (par la
Proposition 7.22). Mais comme max(f, g) = min(f, g) + h, par additivité on a
Z Z Z Z
max(f, g) dµ = min(f, g) dµ + h dµ = min(f, g) dµ.
E E E E
CHAPITRE 7. INTÉGRALE DES FONCTIONS POSITIVES 46

Et comme f ∧ g ≤ f ≤ f ∨ g et f ∧ g ≤ g ≤ f ∨ g, par croissance on a


Z Z Z Z
max(f, g) dµ = min(f, g) dµ = f dµ = g dµ,
E E E E

ce qui achève la démonstration. 2

Proposition 7.26 Pour tout f ∈ F+ (A ),


Z
f dµ < +∞ =⇒ µ({f = +∞}) = 0.
E

R R
Dém. Soit A := {f = +∞}. Par contraposée, si µ(A) 6= 0, alors E f dµ ≥ A f dµ =
(+∞)µ(A) = +∞.
R Soit An := {f ≥ n}, alors
Autre possibilité : se servir de l’inégalité de Markov.
A = limn ↓ An . Or par l’inégalité de Markov, µ(A1 ) ≤ E f dµ < +∞. Or comme toute
mesure, µ est continue pour les suites décroissantes (on dit aussi continue à droite) dont
un des termes est de mesure finie,R donc µ(A) = limn ↓ µ(An ). Mais par l’inégalité de
Markov à nouveau, µ(An ) ≤ n−1 E f dµ −→ 0 quand n → ∞. 2

Corollaire 7.27 (Lemme de Borel–Cantelli) Soit (An ) une suite d’éléments de A .


Alors  
X
µ(An ) < +∞ =⇒ µ lim sup An = 0.
n
n≥0

1
P P R
Dém. Soit f := n A n . Par hypothèse, n µ(A n ) = E
f dµ < ∞. Donc par le
résultat précédent, µ({f = +∞}) = 0. Montrons que lim supn An = {f = +∞}.

1An (x) < ∞ ⇔ 1An (x) = 0 à partir d’un certain rang n0


X

n
⇔ ∃n0 , ∀n ≥ n0 , x ∈ cAn ⇔ x ∈ lim inf cAn ⇔ x 6∈ lim sup An .
n n

Exemple 7.28 (mesure de comptage) L’intégration par rapport à la mesure de comp-


tage sur N est tout simplement la sommation de série. En effet u ∈ F+ (P(N)) est tout
simplement une suite (un ) de réels positifs et pour tout N ∈ N, la suite ϕN := (un 1n≤N )
est une fonction étagée positive qui converge en croissant vers u. Donc si m désigne la
mesure de comptage sur (N, P(N)), alors
Z Z N
X N
X X
u dm = lim ϕN dm = lim un m({n}) = lim un = un .
N N →∞ N N →∞ N →∞
n=0 n=0 n
Chapitre 8

Intégrale des fonctions mesurables de


signe quelconque et l’espace L 1(µ)

8.1 Intégrale des fonctions mesurables de signe quelconque


On rappelle que F (A ) désigne l’ensemble des fonctions mesurables : (E, A ) →
(R̄, Bor(R̄)).
F
R +
Définition
R − 8.1 Pour tout f ∈ (A ), on dira que f admet une intégrale si E
f dµ <

R ou E
f dµ < ∞, et l’on définit alors l’intégrale de f par rapport à µ, encore notée
E
f dµ, l’élément de R̄ suivant
Z Z Z
f dµ = +
f dµ − f − dµ.
E E E

Si les deux intégrales E f + dµ et E f − dµ sont finies, autrement dit E | f | dµ < ∞, ou


R R R
encore si | f | est µ-intégrable, alors on dira que f est µ-intégrable. En particulier,
Z Z

f dµ ≤ | f | dµ.

E E

Dém. de l’inégalité. Par définition,


Z Z Z Z Z Z
+ − + −
f dµ = f dµ − f dµ ≤ f dµ + f dµ = | f | dµ,
E E E E E E

2
R R
par additivité. De même, on démontre que − f dµ ≤ E | f | dµ.
E

Proposition 8.2 Soient g, h ∈ F+ (A ) tels que E g dµ < ∞ ou E h dµ < ∞. Alors


R R
min(g, h) < ∞ µ-p.p. et f := (g − h)1{min(g,h)<∞} qui est bien définie (et vaut d’ailleurs
g − h µ-p.p.) admet une intégrale
Z Z Z
f dµ = g dµ − h dµ.
E E E

47
CHAPITRE 8. INTÉGRALE DES FONCTIONS DE SIGNE QUELCONQUE 48
R R
Dém. Supposons que E h dµ < ∞ (la démonstration est identique si c’est E g dµ qui
est finie), alors h < ∞ µ-p.p. par la Proposition 7.26 (donc min(g, h) < ∞ µ-p.p.).
Ensuite par définition de f , on a f − ≤ h , donc f − est µ-intégrable. Enfin, comme
f + + h = f − + g, par additivité
Z Z Z Z
+ −
f dµ + h dµ = f dµ + g dµ,
E E E E

égalité à laquelle on peut retrancher les deux intégrales de f − et de h, qui sont finies, ce
qui donne Z Z Z Z
+ −
f dµ − f dµ = g dµ − h dµ,
E E E E

R est bien Rdéfini dans ] − ∞, +∞]. Ceci implique que f admet bien une intégrale égale
qui
à E g dµ − E h dµ. 2
Définition 8.3 (et proposition) L’espace L 1 (E , A , µ), noté aussi
R L 1 (µ), des fonc-
tions µ-intégrables, est un espace vectoriel et l’application f 7→ E f dµ est une forme
linéaire positive donc croissante.
Remarque 8.4 Bien noter L 1 car la notation L1 fera plus tard référence à un autre
espace.

Dém. Pour tous f, g ∈ L 1 (µ), pour tout λ ∈ R, | λf + g | ≤ | λ |.| f | + | g | donc λf + g


est intégrable par additivité. De plus, en se servant des égalités du type f = f + − f −
appliquées à f , g et f + g, on obtient f + g = (f + g)+ − (f + g)− = f + − f − + g + − g −
et par conséquent
(f + g)+ + f − + g − = (f + g)− + f + + g + ,
d’où en passant aux intégrales,
Z Z Z Z Z Z
+ − − − +
(f + g) dµ + f dµ + g dµ = (f + g) dµ + f dµ + g + dµ.
E E E E E E

Comme toutes ces quantités sont finies, on peut les retrancher, ce qui donne
Z Z Z Z
+ −
(f + g) dµ − (f + g) dµ = f dµ + g dµ,
E E E E
R R R
autrement dit E (f + g) dµ = E f dµ + E g dµ. De même, en utilisant les égalités
(λf )+ = λf + , (λf )− = λf − lorsque λ > 0 et (λf )+ = −λf − , (λf )− = −λf + lorsque
λ < 0, et en utilisant la positive homogénéité de l’intégrale sur F+ , on obtient :
a) dans le cas λ > 0,
Z Z Z Z Z Z
+ − + −
(λf ) dµ = (λf ) dµ − (λf ) dµ = λ f dµ − λ f dµ = λ f dµ,
E E E E E E

b) dans le cas λ < 0,


Z Z Z Z Z Z
− + − +
(λf ) dµ = (−λf ) dµ− (−λf ) dµ = (−λ) f dµ−(−λ) f dµ = λ f dµ.
E E E E E E
CHAPITRE 8. INTÉGRALE DES FONCTIONS DE SIGNE QUELCONQUE 49

L’intégrale est donc


R bien uneR forme linéaire. Elle est positive car si f ≥ 0, alors f = f +
et par définition E f dµ = E f + dµ ≥ 0. Elle est donc croissante car si g ≥ h, alors grâce
à la Proposition 8.2, (g − h)R1{min(g,h)<∞}
R est positive et son intégrale, R qui est Rpositive
d’après ce qui précède, vaut E g dµ − E h dµ ≥ 0, ce qui montre que E g dµ ≥ E h dµ.
2

Remarque 8.5 Si m est la mesure de comptage sur N alors L 1 (m) est l’ensemble,
souvent noté `1 , des suites dont la série est absolument convergente.

Lemme 8.6 Si f = g µ-p.p., alors f est intégrable (resp. admet une intégrale) ssi g est
intégrable (resp. admet une intégrale).

Dém. Comme f = g µ-p.p., on voit facilement que f + = g + µ-p.p. et que Rf − = g − µ-


p.p.R Il suffit donc de montrer que pour tous f, g positives, si f = g µ-p.p. alors f dµ < ∞
ssi g dµ < ∞. En fait on a déjà montréR mieux (Corollaire 7.25) : si f et g sont positives
2
R
et que f = g µ-p.p. alors on a l’égalité f dµ = g dµ dans R̄+ .

8.2 Les grands théorèmes de convergence


Nous allons maintenant donner une version plus générale du théorème de conver-
gence monotone et de ses corollaires, auquel nous ajouterons un dernier théorème de
convergence, dit de convergence dominée.

Théorème 8.7 Soit g ∈ L 1 (µ) et (fn ) une suite d’éléments de F (A ) telle que pour
tout entier n, fn+1 ≥ fn ≥ g µ-p.p. Alors limn ↑ fn est définie µ-p.p. et toute fonction f
µ-p.p. égale 1 à limn fn admet une intégrale et vérifie
Z Z
f dµ = lim ↑ fn dµ.
E E

Corollaire 8.8 SoitP(ϕn ) une suite d’éléments de F (A ) telle que pour tout entier n,
ϕn ≥ 0 µ-p.p. Alors n ϕn admet une intégrale et
Z !
X XZ
ϕn dµ = ϕn dµ.
E n n E

On pose fn = nk=0 ϕk qui est positive µ-p.p. car positive sur


P
Dém. du corollaire.
∩kP{ϕk ≥ 0}, partie mesurable dont le complémentaireP est de mesure inférieure ou égale
à k µ({ϕk < 0}) = 0. En particulier la fonction n ϕn est définie µ-p.p. et vaut
+
P
ϕ
n n µ-p.p. donc admet une intégrale. Le corollaire découle du théorème qui précède
et de l’additivité de l’intégrale 2
1. comme par exemple f = lim inf n fn si l’on veut
CHAPITRE 8. INTÉGRALE DES FONCTIONS DE SIGNE QUELCONQUE 50

Dém. du théorème. On prend d’abord g ≡ 0 et on définit A := ∩n≥0 {fn+1 ≥ fn ≥ g}.


Alors A est mesurable, avec
!
[ X
µ(cA) = µ c
{fn+1 ≥ fn ≥ g} ≤ µ (c{fn+1 ≥ fn ≥ g}) = 0,
n≥0 n≥0

et (fn 1A ) est une suite croissante de fonctions mesurables positives. Soit h sa limite, etf
telle que h = f µ-p.p. Alors d’après le théorème de convergence monotone,
Z Z Z Z
f dµ = h dµ = lim ↑ fn 1A dµ = lim ↑ fn dµ,
E E n E n E

puisque µ(cA) = 0 (en particulier fn admet bien une intégrale, car fn = fn+ µ-p.p.).
Maintenant si g 6≡ 0, on applique ce qu’on vient d’obtenir à gn := fn − g ≥ 0 µ-p.p.
+ − + − + + − − −
CommeR f−n = g−+ gn = g − g + gn − gn = (g + gn ) − (gn + g ), et que gn = 0 µ-p.p.,
on a (gn + g ) dµ < ∞, donc fn admet une intégrale. De plus,
Z Z Z Z Z Z
+ + −
fn dµ = g dµ + gn dµ − g dµ = g dµ + gn dµ,
E E E E E E
R R
qui converge en croissant vers E g dµ + E (limn ↑ Rgn ) dµ. Or gn = fn − g, donc limn ↑
gRn = (limRn fn ) − g, et comme g R∈ L 1 , la suite ( E fn dµ) converge en croissant vers
E
g dµ + E ((limn fn ) − g) dµ = E (limn fn ) dµ. 2

Donnons une version plus générale du lemme de Fatou.


Proposition 8.9 Soit g ∈ L 1 (µ) et R(fn ) une suite d’éléments de
R F (A ). Alors
a) fn ≥ g µ-p.p. pour tout n =⇒ (lim inf n fn ) dµ ≤ lim inf n fn dµ
et R R
b) fn ≤ g µ-p.p. pour tout n =⇒ (lim supn fn ) dµ ≥ lim supn fn dµ.

Dém. Remarquons que a)⇒ b) en remplaçant fn par −fn et en multipliant les deux
membres de l’inégalité par −1. Montrons a) avec g ≡ 0. Il faut vérifier que fn admet une
intégrale pour tout n et que lim inf n fn également
R − admet une intégrale.

Si fn ≥ 0 µ-p.p. alors fn = 0 µ-p.p. et n fn dµ = 0 donc fnP admet une intégrale.
Soit alors A := ∪n {fn < 0}, alors A (est mesurable et) µ(A) ≤ n µ({fn < 0}) = 0,
donc
lim inf fn = 1A lim inf fn + lim inf(fn 1cA ),
n

où dans le membre de droite, le premier terme vaut 0 µ-p.p. et le deuxième terme est
positif, donc lim inf n fn admet une intégrale, et d’après la première version du lemme de
Fatou, Z  Z 

lim inf fn 1cA dµ ≤ lim inf fn 1cA dµ .
E n n E

Or comme µ(A) = 0, on a E (1A lim inf n fn ) dµ = 0 et E fn 1A dµ = 0. En ajoutant ces


R R
deux dernières quantités (nulles !) à l’inégalité précédente, on obtient l’inégalité voulue .
CHAPITRE 8. INTÉGRALE DES FONCTIONS DE SIGNE QUELCONQUE 51

Si g 6≡ 0, on applique ce que l’on vient de faire à gn := fn − g qui est positive µ-p.p.


CommeRdans la démonstration
R R du théorème précédent,
R on voit que fn Radmet une intégrale
et
R que g
E n
dµ = f
E n
dµ − E
g dµ, ainsi que E
(lim inf n gn ) dµ = E (lim inf n fn ) dµ −
E
g dµ, ce qui donne le résultat.
On aurait également pu appliquer à notre deuxième version du théorème de conver-
gence monotone, la méthode utilisée pour déduire la première version lemme de Fatou
de la première version du théorème de convergence monotone. 2

Nous pouvons maintenant énoncer un autre des résultats majeurs de ce cours.


Théorème 8.10 (Théorème de Lebesgue, ou de convergence dominée) Si (fn )
est une suite d’éléments de L 1 (µ) convergeant 2 µ-p.p. vers une fonction f et qu’il existe
g ∈ L 1 (µ) Ztelle que pour tout n ∈ N, | fn | ≤ g µ-p.p., alors f ∈ L 1 (µ) et
a) lim | f − fn | dµ = 0
n→∞ E
et Z Z
b) lim fn dµ = f dµ.
n→∞ E E

Dém. Soit A := {x ∈ E : limn fn (x) = f (x)} ∩ ∩n {| fn | ≤ g}. Alors A est de com-


plémentaire négligeable et pour tout x ∈ A, |Rfn (x) | ≤ g(x),
R donc | f R(x) | ≤ g(x). Par
conséquent, ayant | f | ≤ g µ-p.p., nous avons | f | dµ ≤ g dµ, donc | f | dµ < ∞.
Comme fn ≥ −g µ-p.p. et que −g ∈ L 1 (µ), d’après le lemme de Fatou,
Z Z Z
f dµ = (lim inf fn ) dµ ≤ lim inf fn dµ.
E E n n E

De même, comme fn ≤ g µ-p.p. et que g ∈ L 1 (µ), d’après le lemme de Fatou,


Z Z Z
f dµ = (lim sup fn ) dµ ≥ lim sup fn dµ.
E E n n E

On a donc Z Z Z
lim sup fn dµ ≤ f dµ ≤ lim inf fn dµ,
n E E n E
R R
ce qui implique E f dµ = limn E fn dµ, autrement dit b). Pour obtenir a), on applique
le lemme de Fatou à | f − fn | ≤ | f | + | fn | ≤ 2g ∈ L 1 (µ). Donc
Z   Z
lim sup | f − fn | dµ ≥ lim sup | f − fn | dµ,
E n n E

2
R
ce qui implique lim supn E
| f − fn | dµ = 0, autrement dit a).
2. simplement
CHAPITRE 8. INTÉGRALE DES FONCTIONS DE SIGNE QUELCONQUE 52

8.3 Intégrale des fonctions à valeurs complexes


Définition 8.11 Une fonction f : (E, A ) → (C, Bor(C)) est dite µ-intégrable si f
est mesurable et | f | est intégrable. Ceci entraîne que <(f ) et =(f ) sont intégrables et
l’intégrale de f par rapport à µ est définie comme le nombre complexe
Z Z Z
f dµ = <(f ) dµ + i =(f ) dµ.
E E E

Théorème 8.12 L’ensemble LC1 (E, A , µ)R des fonctions complexes µ-intégrables est un
espace vectoriel sur C. L’application f 7→ E f dµ est une C-forme linéaire et pour tout
f ∈ LC1 (µ), Z Z

f dµ ≤ | f | dµ.

E E

Il suffit de montrer la dernière inégalité, le reste découlant de la linéarité de l’intégrale


réelle et de la définition. R
Il existe z ∈ C tel que z f dµ est réel et | z | = 1, donc
Z Z Z

f dµ = | z | f dµ = z f dµ .

Or par linéarité de l’intégrale complexe,


Z Z Z Z
z f dµ = (zf ) dµ = <(zf ) dµ + i =(zf ) dµ.
E E
R R
Or on a choisi z pour que z f dµ soit réel donc E =(zf ) dµ = 0. De plus, | <(zf ) | ≤
| zf | = | f |, donc comme
Z Z Z

<(zf ) dµ ≤ | <(zf ) | dµ ≤ | f |dµ,

E E E

on a Z Z Z Z

f dµ = z
f dµ = <(zf ) dµ ≤
| f |dµ,
E E E E

ce qui constitue l’inégalité souhaitée. 2

Proposition 8.13 Soit (ϕn ) Rune suite de fonctions mesurables à valeurs dans
P R̄ ou C.
Si la série de terme général E | ϕn | dµ est convergente,
P alors la fonction n | ϕn | est
intégrable ainsi que la fonction définie µ-p.p. n ϕn et
!
Z X X Z 
ϕn dµ = ϕn dµ .
E n n E
CHAPITRE 8. INTÉGRALE DES FONCTIONS DE SIGNE QUELCONQUE 53
P R
Dém. Soit g := n | ϕn | < ∞ µ-p.p. car E g dµ < ∞ par le corollaire du théorème
de convergence monotone sur les séries. Donc il existe une partie mesurable A de E,
de complémentaire µ-négligeable, telle que g(x) < ∞ pour tout x ∈ A. Autrement dit,
pour tout x ∈ A, la P série de terme général ϕn (x) est absolument convergente, donc
convergente. SiPfn := k≤n ϕk , on a donc la convergence sur A de la suite (fn ) vers une
fonction f := n ϕn , assortie de la domination des | fn | par g, donc par le théorème de
convergence dominée,
Z Z Xn Z XZ
f dµ = lim fn dµ = lim ϕk dµ = ϕn dµ,
E n→∞ E n→∞ E E
k=0 n

ce qui achève la démonstration. 2


Chapitre 9

Applications

9.1 Intégrale de Lebesgue et intégrale de Riemann


Définition 9.1 Une fonction f : [a, b] → R est dite Riemann-intégrable si pour tout
ε > 0 il existe une fonction φε en escalier sur [a, b] et une fonction ψε positive et en
escalier sur [a, b] telles que
Z b
|f − φε | ≤ ψε et ψε ≤ ε, (9.1)
a
Rb

P l’ intégrale de Riemann d’une fonction en escalier ϕ, notée a
ϕ, est définie 1 comme
i αi (ai − ai−1 ) si ϕ vaut αi sur ]ai−1 , ai [. Rb
De plus, pour tous φε , ψε vérifiant (9.1), la limite lorsque ε → 0 de a φε est toujours
Rb
la même, et est égale, par définition, au nombre réel aussi noté a f et appelé intégrale
de Riemann de f .

Remarque 9.2 Toute fonction Riemann-intégrable est bornée (car φε et ψε le sont).

Remarque 9.3 Toute fonction réglée est Riemann-intégrable, car limite uniforme de
fonctions en escalier : il suffit de prendre ψε = ε/(b − a).

Théorème 9.4 Pour tout f Riemann-intégrable sur [a, b], il existe g ∈ L 1 ([a, b], Bor([a, b]), λ)
tel que
a) f = g µ-p.p.
Z b Z
b) f= g dλ .
a [a,b]

Remarque 9.5 D’un point de vue pratique, si f est borélienne, alors on peut prendre
g = f.
1. cette définition ne dépend pas de la subdivision choisie a < a1 < · · · < b pour représenter ϕ

54
CHAPITRE 9. APPLICATIONS 55

Rb
Dém. Pour tout n il existe φn , ψn en escalier telles que |f − φn | ≤ ψn et a
ψn ≤ 1/n.
Rappelons déjà que par définition,
Z b Z b
f = lim φn .
a n→∞ a

Soit alors
αn := φn − ψn et βn := φn + ψn .
Comme |f − φn | ≤ ψn , on a φn − f ≤ ψn et f − φn ≤ ψn , c’est-à-dire αn ≤ f ≤ βn .
D’autre part, comme βn − αn = 2ψn , on a
Z b
lim (βn − αn ) = 0,
n a

et donc Z b Z b Z b
f = lim αn = lim βn .
a n a n a
Soient à présent

α̃n := max(α1 , . . . , αn ) et β̃n := min(β1 , . . . , βn ).

On obtient alors l’encadrement

αn ≤ α̃n ≤ f ≤ β̃n ≤ βn .

On définit encore
α̃ := lim ↑ αn et β̃ := lim ↓ βn ,
n n

ce qui donne
α̃ ≤ f ≤ β̃.
De plus, comme une fonction en escalier est étagée, pour tout n, φn et ψn sont étagées
donc boréliennes, ainsi que αn , βn , puis α̃n , β̃n par stabilité de la mesurabilité par passage
à la borne supérieure ou inférieure, et enfin α̃, β̃ sont boréliennes par stabilité de la
mesurabilité par passage à la limite.
Par la définition donnée plus haut pour les fonctions en escalier (donc étagées), inté-
grales de Riemann et de Lebesgue (i.e., par rapport à la mesure de Lebesgue) coïncident,
donc pour tout n
Z b Z Z b Z
αn = αn dλ et βn = βn dλ,
a [a,b] a [a,b]

d’où
Z b Z Z Z Z Z Z Z b
αn = αn dλ ≤ α̃n dλ ≤ α̃ dλ ≤ β̃ dλ ≤ β̃n dλ ≤ βn dλ = βn .
a [a,b] [a,b] [a,b] [a,b] [a,b] [a,b] a
CHAPITRE 9. APPLICATIONS 56

Rb Rb Rb
En passant à la limite, comme a
αn et a
βn convergent toutes deux vers a
f , on en
déduit que Z Z Z b
α̃ dλ = β̃ dλ = f.
[a,b] [a,b] a

Remarquons que α1 ≤ α̃ ≤ β̃ ≤ β1 , si bien que α̃ et β̃ sont bornées. Ainsi ces deux


fonctions sont λ-intégrables sur [a, b], la fonction γ := β̃ − α̃ est bien définie, et
Z Z Z
γ dλ = α̃ dλ − β̃ dλ = 0.
[a,b] [a,b] [a,b]

Comme γ ≥ 0, ceci implique que γ = 0 λ-p.p. Mais α̃ ≤ f ≤ β̃, donc α̃ = f sur {γ = 0}


et si g := f 1{γ=0} , alors g = α̃1{γ=0} et
Z Z Z Z b
g dλ = α̃1{γ=0} dλ = α̃ dλ = f,
[a,b] [a,b] [a,b] a

ce qui donne bien l’égalité entre l’intégrale de Riemann de f et l’intégrale de Lebesgue


d’une certaine fonction g égale à f λ-p.p. 2

9.2 Dérivées et primitives


Proposition 9.6 Soit a ∈ R et f : [a, +∞[→ R borélienne. Si f est λ-localement
intégrable, au sens où pour tout b > a, f 1[a,b] ∈ L 1 (λ) alors la fonction F : x 7→ [a,x] f dλ
R

est continue.

Dém. Soit x ≥ a et une suite (xn ) convergeant vers x en croissant, et telle que xn 6= x
pour tout n. Alors les fonctions f 1[a,xn ] convergent vers f 1[a,x[ tout en étant dominées
par | f |1[a,x] qui est λ-intégrable par hypothèse. Donc par convergence dominée,
Z Z Z
lim F (xn ) = lim f 1[a,xn ] dλ = f 1[a,x[ dλ = f 1[a,x] dλ = F (x).
n n

Ceci prouve que F est continue à gauche. La démonstration est identique lorsque (xn )
est décroissante , ce qui prouve que F est aussi continue à droite. 2

Théorème 9.7 Soit [a, b] un intervalle compact de R et f : [a, b] → R une fonction


dérivable de dérivée f 0 bornée. Alors f 0 est mesurable et l’intégrale de f 0 par rapport à
λ est égale à sa primitive f au sens où
Z
f 0 dλ = f (b) − f (a).
[a,b]
CHAPITRE 9. APPLICATIONS 57

Dém. Soit
 1
 
n f x+ n
− f (x) si x ∈ [a, b − 1/n]
gn (x) :=
0 si x ∈ ]b − 1/n, b].

Alors pour tout x ∈ [a, b[, limn gn (x) = f 0 (x), ce qui montre que f 0 1[a,b[ est mesurable
comme limite de fonctions mesurables, et donc f 0 1[a,b] est mesurable. Par l’inégalité des
accroissements finis, pour tous n ∈ N et x ∈ [a, b], | gn (x) | ≤ M := sup[a,b] | f 0 | qui est
fini par hypothèse. Or M 1[a,b] ∈ L 1 (λ) donc par convergence dominée,
Z Z Z
0
lim gn dλ = f dλ = f 0 dλ.
n→∞ [a,b] [a,b[ [a,b]

Montrons à présent que l’on a également


Z
lim gn dλ = f (b) − f (a).
n→∞ [a,b]

Dans les égalités suivantes, nous utilisons la linéarité des intégrales de Lebesgue et de
Riemann, ainsi que l’égalité entre ces intégrales due à la continuité de f :
Z Z    
1
gn (x) dλ(x) = n f x+ − f (x) dλ(x)
[a,b] [a,b−1/n] n
Z b−1/n   Z b−1/n !
1
= n f ·+ − f
a n a
Z b Z b−1/n !
= n f− f
a+1/n a
!
Z b Z a+1/n
= n f− f
b−1/n a
Z Z
= n f dλ − n f dλ.
[b−1/n,b] [a,a+1/n]

Ces passages entre intégrale de Riemann et de Lebesgue servent uniquement à justifier


le changement de variable (translation, troisième égalité) que nous ne connaissons pas
(encore) dans le cas de l’intégrale de Lebesgue.
Il ne reste plus qu’à montrer que le second terme de la dernière différence tend vers
f (a) quand n → ∞, et la même méthode s’appliquera pour montrer que le premier terme
tend vers f (b). Soit αn := inf [a,a+1/n] f et βn := sup[a,a+1/n] f . Alors
Z Z Z
αn = n αn dλ ≤ n f dλ ≤ n βn dλ = βn ,
[a,a+1/n] [a,a+1/n] [a,a+1/n]

mais comme f est continue, limn αn = limn βn = f (a), ce qui achève la démonstration.2
CHAPITRE 9. APPLICATIONS 58

Remarque 9.8 Le théorème précédent serait faux si l’on ne faisait pas l’hypothèse que
f 0 est bornée, comme on peut le voir sur le contre-exemple suivant :
 n Z
3
fn (x) := 1An dλ x ≥ 0,
2 [0,x]

où An est le n-ième élément de la suite qui converge vers l’ensemble triadique de Cantor.
En effet, la limite f de la suite (fn ), appelée fonction de Lebesgue, ou « escalier du
diableR», est continue, dérivable λ-p.p. avec pour dérivée f 0 = 0 λ-p.p. (mais non bornée),
donc [0,1] f 0 dλ = 0. Pourtant f (1) − f (0) = 1 − 0 = 1.

9.3 Intégrales dépendant d’un paramètre


Théorème 9.9 Soit f : I × E → R, où I est un intervalle de R tel que pour tout t ∈ I,
f (t, ·) : (E, A ) → (R, B(R) est mesurable. Alors
a) S’il existe t0 ∈ I tel que
pour µ-presque tout x, t 7→ f (t, x) est continue en t0 ,
et s’il existe g : (E, A ) → (R, B(R) intégrable telle que
pour µ-presque tout x, pour tout t ∈ I, | f (t, x) | ≤ g(x),
R
alors la fonction h : t 7→ E f (t, x) dµ(x) est bien définie et elle est continue en t0 .
b) Si pour tout t ∈ I, f (t, ·) est intégrable 2 , si
pour µ-presque tout x, t 7→ f (t, x) est dérivable sur tout l’intervalle I,
et s’il existe g1 : (E, A ) → (R, B(R) intégrable telle que

∂f
pour µ-presque tout x, pour tout t ∈ I, (t, x) ≤ g1 (x),
∂t
alors la fonction h est bien définie et est dérivable sur tout I, de dérivée
Z
0 ∂f
h (t) = (t, x) dµ(x) t ∈ I.
E ∂t

Remarque 9.10 Les hypothèses commençant par « pour µ-presque tout x » peuvent
toutes (sauf une, voir plus bas) être affaiblies en échangeant les quantificateurs. Pour
voir la différence, à titre d’exemple, l’assertion
pour µ-presque tout x, pour tout t ∈ I, | f (t, x) | ≤ g(x),
signifie qu’il existe un élément A de la tribu A de complémentaire négligeable, tel que
pour tout x ∈ A, pour tout t ∈ I, | f (t, x) | ≤ g(x). D’autre part, l’assertion
pour tout t ∈ I, pour µ-presque tout x, | f (t, x) | ≤ g(x),
2. pour que h soit bien définie
CHAPITRE 9. APPLICATIONS 59

signifie que pour tout t ∈ I il existe un élément At de la tribu A , dépendant de t,


de complémentaire négligeable, tel que pour tout x ∈ At , | f (t, x) | ≤ g(x). Si I était
dénombrable les deux assertions seraient équivalentes, quitte à définir A, dans la première
assertion, comme l’intersection de tous les ensembles At de la seconde assertion. Ici I
est un intervalle, donc la seconde assertion peut inclure strictement la première. Lorsque
nous n’utilisons dans la démonstration que des suites à valeurs dans I, cette distinction
est sans conséquence. En revanche, la domination des dérivées partielles doit être énoncée
telle quelle, pour avoir une inégalité des accroissements finis vraie p.p.

Dém. a) Pour tout t ∈ I, la domination p.p. de f (t, ·) par la fonction intégrable g


garantit que f (t, ·) est intégrable et donc que h est bien définie. Soit une suite (sn ) de I de
limite t0 . Montrons que limn h(sn ) = h(t0 ). Soit fn (x) := f (sn , x). De la continuité pour
p.t. x de la fonction f (·, x) en t0 , on déduit la convergence p.p. de fn vers f (t0 , ·). Comme
la suite (fn ) est dominée p.p. par la fonction intégrable g, le théorème de convergence
dominée assure que
Z Z
lim h(sn ) = lim fn dµ = f (t0 , x) dµ(x) = h(t0 ),
n n E E

ce qui est la limite souhaitée.


b) Soit t ∈ I et (sn ) une suite de I convergeant vers t telle que sn 6= t pour tout n.
Soit fn : (E, A ) → (R, B(R)) la fonction intégrable suivante

f (sn , x) − f (t, x)
fn (x) := x ∈ E.
sn − t
Alors pour p.t. x, la suite (fn ) converge vers ∂f /∂t(t, x), ce qui fait de cette dérivée
partielle une fonction mesurable de x. L’hypothèse de R domination p.p. de cette fonction
mesurable par la fonction intégrable g1 garantit que E ∂f /∂t(t, x) dµ(x) est bien définie
pour tout t ∈ I. De plus, par l’intégrabilité de fn
Z 
h(sn ) − h(t)
Z Z
1
fn dµ = f (sn , ·) dµ − f (t, ·) dµ = .
E sn − t E E sn − t
Or par l’inégalité des accroissements finis, pour µ-presque tout x,

∂f
| fn (x) | ≤ sup
(s, x) ≤ g1 (x),
s∈I ∂t
et comme g1 est intégrable, on obtient
h(sn ) − h(t)
Z Z
∂f
lim = lim fn dµ = (t, x) dµ(x)
n sn − t n E E ∂t
par le théorème de convergence dominée. 2
CHAPITRE 9. APPLICATIONS 60

9.4 Applications
9.4.1 Dérivation sous la somme
Soit (un ) une suite de
Pfonctions dérivables sur un intervalle I de R telle que
(i) pour tout t ∈ I, n | un (t) | converge ;
0
P
P t ∈ I, | un (t) | ≤ wn pour une suite (wn ) telle que n wn < ∞. 0
(ii) pour tout
P 0 S(t) :=
Alors n un (t) est bien définie et est dérivable en tout t ∈ I, avec S (t) =
u
n n (t).

9.4.2 Convolution
Soit f ∈ L 1 (R, B(R), λ) et ϕ dérivable de dérivée bornée. Alors la fonction f ? ϕ
définie par Z
f ? ϕ(t) := ϕ(t − x) f (x) dλ(x) t ∈ R,
R
est bien définie et dérivable sur R de dérivée
Z
0
(f ? ϕ) (t) = ϕ(t − x) f (x) dλ(x) = f ? ϕ0 (t).
R

9.4.3 Transformée de Fourier


R
Soit f : R → R λ-intégrable et F (t) := R eitx f (x) dλ(x). Si x 7→ xf (x) est intégrable,
alors F est dérivable sur R et
Z
0
F (t) = i eitx xf (x) dλ(x).
R
Chapitre 10

Construction d’une mesure : existence


et unicité

10.1 Quelques rappels et nouvelles définitions


10.1.1 Rappels
Définition 10.1 Une classe A de parties d’un ensemble E est appelée tribu ou σ-
algèbre si
(i) elle contient E : E ∈ A ;
(ii) elle est stable par passage au complémentaire : pour tout A ⊆ E, A ∈ A ⇔ cA ∈
A;
(iii) elle est stable par réunion dénombrable : si (An ) est une famille dénombrable
d’éléments de A , alors ∪n An ∈ A .

Définition 10.2 Une mesure sur l’espace mesurable (E, A ) est une application µ : A →
[0, +∞] qui :
(i) associe la valeur 0 à l’ensemble vide : µ(∅) = 0 ;
(ii) est σ-additive : pour toute suite (An ) d’éléments de A deux à deux disjoints,
X
µ(∪n An ) = µ(An ).
n

10.1.2 Définitions utiles dans le cadre de l’unicité des mesures


Définition 10.3 Une classe Λ de parties d’un ensemble E est appelée λ-système si
(i) elle contient ∅ : ∅ ∈ Λ ;
(ii) elle est stable par différence propre : pour tous A, B ∈ Λ, A ⊆ B ⇒ B \ A ∈ Λ ;
(iii) elle est stable par réunion dénombrable croissante : si (An ) est une suite crois-
sante d’éléments de Λ, alors ∪n An ∈ Λ.

Remarque 10.4 Dans la définition précédente de λ-système, la propriété (i) est seule-
ment là pour rappeler que Λ est non vide car c’est une conséquence de (ii).

61
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 62

Remarque 10.5 Une tribu est un λ-système, et donc en particulier P(E) en est un.

Définition 10.6 Un λ-système qui contient E est appelé classe monotone. Une défi-
nition de classe monotone peut donc être obtenue par la modification suivante de la
définition de λ-système : en changeant (i) pour (i’) : E ∈ Λ.

Proposition 10.7 a) L’intersection d’une collection quelconque non vide de λ-systèmes


est un λ-système.
b) Pour toute classe C de parties de E, l’intersection 1 de tous les λ-systèmes conte-
nant tous les éléments de C est donc un λ-système, noté Λ(C ), et appelé λ-système
engendré par C ou plus petit λ-système contenant C .

Remarque 10.8 On rappelle que l’on définit de la même manière la tribu σ(C ) engen-
drée par C . La démonstration de la proposition précédente est laissée en exercice .

Proposition 10.9 Si Λ est une classe monotone stable par intersections finies, alors Λ
est une tribu.

Dém. Vérifions une par une les trois propriétés caractéristiques des tribus.
(i) E ∈ Λ puisque Λ est une classe monotone.
(ii) Comme E ∈ Λ, pour tout A ∈ Λ, le complémentaire de A est la différence propre
E \ A, donc cA ∈ Λ.
(iii) Soir (An ) une suite d’éléments de Λ. Pour tout entier n, soit Bn := ∪nk=0 Ak .
Comme ∪n An = ∪n Bn et que (Bn ) est une suite croissante, la propriété (iii) des classes
monotones implique qu’il suffit de montrer que Bn ∈ Λ pour tout n. Autrement dit, il
suffit de montrer que Λ est stable par réunions finies. Or on se souvient que Λ est stable
par passage au complémentaire et, par hypothèse, stable par intersections finies, donc
pour tous A, B ∈ Λ, A ∪ B = c(cA ∩ cB) ∈ Λ, ce qui achève la démonstration. 2

Définition 10.10 Une classe C de parties de E est appelée π-système si


(i) elle contient E : E ∈ C ;
(ii) elle est stable par intersections finies : pour tous A, B ∈ C , A ∩ B ∈ C .

Remarque 10.11 Avec cette définition, la proposition qui précède peut s’énoncer ainsi :
si A est à la fois un λ-système et un π-système, alors A est une tribu.

Remarque 10.12 Dans Rd , l’ensemble des rectangles (produits cartésiens d’intervalles),


l’ensemble des rectangles ouverts (produits cartésiens d’intervalles ouverts) forment cha-
cun un π-système .
1. non vide puisque P(E) est un λ-système
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 63

10.1.3 Définitions utiles dans le cadre de l’existence des mesures


Définition 10.13 Une classe B de parties d’un ensemble E est appelée algèbre ou al-
gèbre de Boole si
(i) elle contient E : E ∈ B ;
(ii) elle est stable par passage au complémentaire : pour tout A ⊆ E, A ∈ B ⇔ cA ∈
B;
(iii) elle est stable par réunions finies : pour tous A, B ∈ B, A ∪ B ∈ B.

Remarque 10.14 Une tribu est donc une algèbre de Boole stable par réunion dénom-
brable, d’où le nom de σ-algèbre.

Remarque 10.15 Dans Rd , l’ensemble des réunions finies de rectangles forment une
algèbre, ainsi que l’ensemble des réunions finies de rectangles disjoints .

10.2 Unicité d’une mesure


10.2.1 Théorème de la classe monotone et corollaires
Théorème 10.16 (Théorème de la classe monotone) Pour tout π-système C , Λ(C ) =
σ(C ). En particulier, le plus petit λ-système Λ(C ) contenant C est donc une tribu.

Dém. Supposons que Λ(C ) est une tribu et montrons qu’alors Λ(C ) = σ(C ). De ma-
nière générale, comme σ(C ) est une tribu contenant C , c’est un λ-système contenant
C , donc on a toujours Λ(C ) ⊆ σ(C ) (puisque Λ(C ) est le plus petit λ-système conte-
nant C ). De plus, d’après l’assertion qui précède, Λ(C ) est une tribu contenant C , donc
σ(C ) ⊆ Λ(C ) (puisque σ(C ) est la plus petite tribu contenant C ).
Montrons à présent que Λ(C ) est une tribu. D’après la proposition qui précède, il
suffit de montrer que Λ(C ) contient E et est stable par intersections finies. Il est évident
que E ∈ Λ(C ) car E ∈ C (C est un π-système) et C ⊆ Λ(C ). En particulier Λ(C )
est une classe monotone. Montrons donc que Λ(C ) est stable par intersections finies, en
utilisant le fait que C l’est.
Pour tout C ⊆ E fixé, on définit

ΛC := {A ∈ Λ(C ) : A ∩ C ∈ Λ(C )}.

Nous allons montrer que ΛC est toujours un λ-système.


(i) comme A := ∅ ∈ Λ(C ) (qui est une classe monotone) et que A ∩ C = ∅ ∈ Λ(C ),
on a bien que ∅ ∈ ΛC .
(ii) Pour tous A, B ∈ ΛC tels que A ⊆ B, on a A, B ∈ Λ(C ) avec A ∩ C et B ∩ C
éléments de Λ(C ). Par stabilité par différence propre de Λ(C ), comme A ∩ C ⊆ B ∩ C,
on a (B ∩ C) \ (A ∩ C) ∈ Λ(C ), mais (B ∩ C) \ (A ∩ C) = (B \ A) ∩ C, donc B \ A ∈ ΛC .
(iii) Soit (An ) une suite croissante d’éléments de ΛC , de sorte que pour tout entier n,
An ∈ Λ(C ) et An ∩C ∈ Λ(C ). Or (An ∩C) est croissante, donc comme Λ(C ) est stable par
réunion dénombrable croissante, on a ∪n (An ∩C) ∈ Λ(C ). Mais ∪n (An ∩C) = (∪n An )∩C,
donc ∪n An ∈ ΛC .
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 64

En conclusion, ΛC est bien un λ-système. Supposons maintenant que C ∈ C . Alors


ΛC contient tous les éléments de C , en effet pour tout A ∈ C , comme C ∈ C et que C
est stable par intersections finies, A ∩ C ∈ C , donc A ∩ C ∈ Λ(C ), de sorte que A ∈ ΛC .
Par conséquent, ΛC est un λ-système contenant C , et comme par définition ΛC ⊆ Λ(C ),
qui est le plus petit λ-système contenant C , ΛC = Λ(C ). Comme C est arbitraire, on
peut donc écrire
∀C ∈ C , ∀A ∈ Λ(C ), A ∩ C ∈ Λ(C ).
On voudrait maintenant remplacer la première occurrence de C par Λ(C ) de manière
à obtenir la stabilité par intersections finies de Λ(C ). Soit A ∈ Λ(C ). D’après ce qui
précède, pour tout C ∈ C , A ∩ C ∈ Λ(C ), autrement dit C ⊆ ΛA ⊆ Λ(C ). Comme ΛA
est un λ-système, ΛA = Λ(C ). Ceci s’écrit
∀A ∈ Λ(C ), ∀B ∈ Λ(C ), B ∩ A ∈ Λ(C ),
ce qui n’est autre que la stabilité de Λ(C ) par intersections finies. 2

On en déduit les deux résultats d’unicité suivants :


Corollaire 10.17 Soient µ et ν deux mesures finies sur un espace mesurable (E, A ) qui
coïncident 2 sur un π-système C ⊆ A qui engendre 3 A , alors µ et ν coïncident sur A .
Corollaire 10.18 Soient µ et ν deux mesures σ-finies sur un espace mesurable (E, A )
telles que :
a) il existe une suite mesurable croissante (En ) telle que ∪n En = E ;
b) pour tout entier n, µ(En ) = ν(En ) < ∞ ;
c) µ et ν coïncident sur un π-système C engendrant A et contenant chaque En .
Alors µ et ν coïncident sur A .
Remarque 10.19 Le fait que µ et ν sont σ-finies pourrait ne pas être mentionné dans
l’énoncé qui précède, car c’est en fait une conséquence des conditions (a) et (b).

Démonstration du Corollaire 10.17. Soit Λ := {A ∈ A : µ(A) = ν(A)}. Alors Λ est


un λ-système car :
(i) Λ contient l’ensemble vide, puisque µ(∅) = 0 = ν(∅) ;
(ii) pour tous éléments A, B de Λ, si A ⊆ B, alors comme µ et ν sont finies,

µ(B \ A) = µ(B) − µ(A) = ν(B) − ν(A) = ν(B \ A).


(iii) pour toute suite croissante (An ) d’éléments de Λ, par continuité à gauche de la
mesure,

µ(∪n An ) = lim ↑ µ(An ) = lim ↑ ν(An ) = ν(∪n An ).


n n
Comme Λ contient C , Λ(C ) ⊆ Λ ⊆ A . Mais d’après le théorème de la classe monotone,
comme C est un π-système, σ(C ) = Λ(C ). Enfin par hypothèse, A = σ(C ), donc
A = σ(C ) = Λ(C ) ⊆ Λ ⊆ A , ce qui montre bien que A = Λ. 2
2. c’est-à-dire que pour tout A ∈ C , µ(A) = ν(A)
3. c’est-à-dire que A = σ(C )
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 65

Démonstration du Corollaire 10.18. On applique le corollaire 10.17 aux mesures


traces µn := µ(· ∩ En ) et νn := ν(· ∩ En ) qui sont finies grâce à l’hypothèse (b). Elles
coïncident bien sur C par l’hypothèse (c), car pour tout C ∈ C , comme C ∩ En ∈ C
(car En ∈ C et C est stable par intersection),

µn (C) = µ(C ∩ En ) = ν(C ∩ En ) = νn (C).

Donc µn et νn coïncident sur A . Maintenant l’hypothèse (a) permet de conclure en


utilisant la continuité à gauche de la mesure, car pour tout A ∈ A ,

µ(A) = µ(∪n En ∩ A) = µ(lim ↑ (En ∩ A)) = lim ↑ µ(En ∩ A) = lim ↑ µn (A),


n n n

et de même pour ν. Or µn (A) = νn (A), donc

µ(A) = lim ↑ µn (A) = lim ↑ νn (A) = ν(A),


n n

ce qui montre que µ et ν coïncident sur A . 2

10.2.2 Applications
Unicité de la mesure de Lebesgue
Supposons qu’il existe deux mesures µ et ν sur B(Rd ) telles que pour tout rectangle
ouvert R = dk=1 Ik , où chaque Ik =]ak , bk [ est un intervalle (ouvert, mais cela est sans
Q
importance ici) éventuellement infini de R,
d
Y
µ(R) = (bk − ak ) = ν(R),
k=1

avec la convention habituelle 0 × ∞ = 0. Montrons qu’alors µ et ν coïncident sur B(Rd ).


Ceci prouvera l’unicité de la mesure de Lebesgue (dont nous montrerons l’existence à la
section suivante).
Soit C l’ensemble des rectangles ouverts de Rd (produits d’intervalles ouverts pouvant
être infinis, donc en particulier pouvant être égaux à R tout entier, ce qui garantit que
Rd ∈ C ). En particulier C est un π-système et l’on sait que la tribu engendrée par C
est B(Rd ). Soit En le produit des intervalles ] − n, n[, c’est-à-dire En := dk=1 ] − n, n[.
Q
Alors les propriétés du corollaire 10.18 sont bien vérifiées : a) ∪n En = Rd ; b) pour tout
entier n, µ(En ) = ν(En ) = (2n)d < ∞ ; c) En ∈ C , et σ(C ) = B(Rd ), où C est un
π-système. On peut donc conclure que µ et ν coïncident sur B(Rd ).

Caractérisation d’une mesure par sa fonction de répartition


Définition 10.20 Si µ est une mesure finie sur (R, B(R)), on appelle fonction de ré-
partition de µ la fonction F : R → R+ définie par F (x) := µ(] − ∞, x]).
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 66

Proposition 10.21 La fonction de répartition F d’une mesure finie est continue à


droite, croissante, et vérifie

lim F (x) = 0 et lim F (x) = µ(R).


x→−∞ x→+∞

De plus, pour tous réels a < b

i) µ(]a, b]) = F (b) − F (a) ii) µ([a, b]) = F (b) − F (a−)


iii) µ(]a, b[) = F (b−) − F (a) iv) µ([a, b[) = F (b−) − F (a−).

Dém. À faire en exercice. 2

Exemple 10.22 Si µ = δa , alors F = 1[a,+∞[ . De manière générale, si µ = n αn δxn ,


P
alors F est discontinue en tout point xn tel que αn > 0 et continue partout ailleurs

αn 1[xn ,+∞[ .
X
F (x) =
n

Définition 10.23 Si µ est une mesure de Borel 4 sur (R, B(R)), on appelle fonction de
répartition généralisée de µ la fonction G : R → R définie par

 −µ(]x, 0]) si x < 0
G(x) = µ(]0, x]) si x > 0
0 si x = 0.

Proposition 10.24 La fonction de répartition G d’une mesure de Borel est continue à


droite, croissante, et vérifie

lim G(x) = −µ(R− ) et lim G(x) = µ(R?+ ).


x→−∞ x→+∞

De plus, pour tous réels a < b, G vérifie les quatre propriétés énoncées à la proposition
précédente pour les mesures finies.

Dém. À faire en exercice. 2

Exemple 10.25 Si µ est la mesure de Lebesgue sur R, alors G(x) = x.

Théorème 10.26 Si µ et ν sont deux mesures finies (resp. de Borel) sur (R, B(R)),
et qu’elles ont la même fonction de répartition F (resp. la même fonction de répartition
généralisée G), alors elles sont égales.
4. c’est-à-dire une mesure finie sur les compacts
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 67

Dém. Traitons d’abord le cas où µ et ν sont finies. Soit alors

C := {] − ∞, x] : x ∈ R} ∪ {R}.

On voit facilement que C est un π-système engendrant B(R) sur lequel µ et ν coïncident,
car µ(] − ∞, x]) = F (x) = ν(] − ∞, x]) (l’égalité µ(R) = ν(R) s’obtient par passage à la
limite). Le corollaire 10.17 permet de conclure que µ et ν coïncident sur B(R).
Dans le cas où µ et ν sont seulement finies sur les compacts, on définit

C := {]x, y] : −∞ < x ≤ y < +∞} ∪ {R},

et En :=] − n, n]. Alors En ∈ C , ∪n En = R et C est un π-système engendrant B(R) sur


lequel µ et ν coïncident, car µ(]x, y]) = G(y) − G(x) = ν(]x, y]) (les égalités µ(R− ) =
ν(R− ) et µ(R?+ ) = ν(R?+ ) s’obtiennent pas passages à la limite, et impliquent µ(R) =
ν(R)). Comme on a µ(En ) = ν(En ) < ∞, le corollaire 10.18 permet de conclure que µ
et ν coïncident sur B(R). 2

10.3 Existence d’une mesure


10.3.1 Théorème de Caratheodory
Définition 10.27 Soit B une algèbre de Boole sur un ensemble E. Une mesure d’al-
gèbre sur (E, B) est une application m : B → [0, +∞] qui :
(i) associe la valeur 0 à l’ensemble vide : m(∅) = 0 ;
(ii) est finiment additive : pour tous A, B ∈ B tels que A ∩ B = ∅, m(A ∪ B) =
m(A) + m(B) ;
(iii) satisfait la popriété suivante : il existe une suite croissante (En ) d’éléments de
B convergeant vers E telle que m(En ) < ∞ pour chaque entier n et telle que pour
tout A ∈ B, limn ↑ m(A ∩ En ) = m(A) ;
(iv) satisfait la propriété de Caratheodory : pour toute suite décroissante (An ) d’élé-
ments de B convergeant vers ∅ et telle que m(A0 ) < ∞, limn ↓ m(An ) = 0.

Proposition 10.28 Une mesure d’algèbre m sur (E, B) vérifie pour tous A, B ∈ B :
(i) Additivité finie : m(A) = m(A \ B) + m(A ∩ B) ;
(ii) Additivité forte : m(A ∪ B) + m(A ∩ B) = m(A) + m(B) ;
(iii) Sous-additivité : m(A ∪ B) ≤ m(A) + m(B) ;
(iv) Croissance : si A ⊆ B, m(A) ≤ m(B).

Théorème 10.29 (de prolongement de Caratheodory) Soit B une algèbre de Boole


sur un ensemble E. Si m est une mesure d’algèbre sur (E, B), alors il existe une mesure
µ sur la tribu σ(B) qui coïncide 5 avec m sur B.

Remarque 10.30 On dit alors que µ est un prolongement de la mesure (d’algèbre) m,


qui elle est seulement définie sur l’algèbre B, à la tribu σ(B). Ce théorème de prolon-
gement est admis.
5. c’est-à-dire que pour tout B ∈ B, µ(B) = m(B)
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 68

Remarque 10.31 En fait on aurait directement pu dire dans le théorème qu’il existe un
unique tel prolongement. En effet, si µ et ν sont deux prolongements d’une même mesure
d’algèbre B, alors µ et ν coïncident sur B, qui est aussi un π-système, et comme il existe
une suite mesurable (En ) convergeant vers E telle que µ(En ) = ν(En ) < ∞, alors µ et
ν coïncident sur σ(B) d’après le corollaire 10.18.

10.3.2 Applications
Existence de la mesure de Lebesgue
Montrons l’existence d’une mesure sur Bor(Rd ) telle que la mesure d’un rectangle
R = dk=1 Ik , où chaque Ik est un intervalle de R d’extrémité gauche ak ≥ −∞ et
Q
d’extrémité droite bk ≤ +∞ (les extrémités pouvant être fermées ou ouvertes), vaut
k=1 (bk − ak ). On définit B l’ensemble des réunions finies de rectangles deux à deux dis-
Qd

joints. Alors pour tout A ∈ B, A s’écrit de manière unique 6 sous la forme A = ∪ji=1 Ri ,
où les (Ri ) sont des rectangles deux à deux disjoints, et l’on peut définir sans ambiguïté
la mesure d’algèbre m sur B par m(A) = ji=1 m(Ri ), où la mesure d’un rectangle a été
P
définie précédemment. On peut alors vérifier que B est une algèbre et que m est une me-
sure d’algèbre sur (E, B) avec En définie comme le produit des intervalles ] − n, n[ (pour
montrer la propriété de Caratheodory, on s’inspirera de l’application suivante). Comme
σ(B) = Bor(Rd ), le théorème de Caratheodory permet bien de déduire l’existence d’une
mesure, appelée mesure de Lebesgue, prolongeant la mesure m à tous les boréliens de
Rd .

Définition d’une mesure par sa fonction de répartition


Théorème 10.32 Si F : R → R+ est une fonction croissante, bornée, continue à droite
et telle que limx→−∞ F (x) = 0 alors il existe une (unique) mesure µ sur Bor(R) qui
admet F pour fonction de répartition.

Théorème 10.33 Si G : R → R est une fonction croissante, continue à droite et telle


que G(0) = 0, alors il existe une (unique) mesure µ de Borel sur Bor(R) qui admet G
pour fonction de répartition généralisée.

Remarque 10.34 L’existence de la mesure de Lebesgue sur R peut également se déduire


du théorème précédent en prenant G(x) = x.

Dém. du théorème 10.33. Soit B l’ensemble de toutes les réunions finies d’intervalles
disjoints, qui est une algèbre . Pour tous −∞ ≤ x ≤ y ≤ ∞, on définit alors (avec
G(−∞) = limx→−∞ G(x) et G(∞−) = limx→∞ G(x))

m(]x, y[) := G(y−) − G(x) et m({x}) = G(x) − G(x−),


6. Cette écriture n’est unique que si elle est supposée minimale, c’est-à-dire utilisant un minimum de rec-
tangles ; de plus, si les rectangles ne sont plus supposés disjoints, il n’existe même plus de décomposition minimale
unique, et il faut donc montrer que la définition de m ne dépend pas de la décomposition choisie
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 69

ce qui définit m sur tout intervalle de R, et pour tout A = ∪ij=1 Ij ∈ B, où les (Ij ) sont
des intervalles disjoints, m(A) := ij=1 m(Ij ). Montrons que les quatre propriétés du
P
théorème de prolongement de Caratheodory sont satisfaites. Le résultat découlera alors
de ce théorème car σ(B) = Bor(R).
Il est immédiat de vérifier que c’est bien le cas des propriétés (i) et (ii). Pour (iii),
définissons En :=] − n, n] et fixons A ∈ B. En distinguant suivant que A contient un
intervalle infini ou non, on montre alors que limn ↑ m(A ∩ En ) = m(A). En effet, d’après
la définition de la mesure d’algèbre m, on peut toujours se ramener au cas où A est un
seul intervalle. Si par exemple A =]x, +∞[, où x est fini, alors à partir d’un certain rang,
A ∩ En =]x, n] et limn m(A ∩ En ) = limn G(n) − G(x) = G(∞−) − G(x) = m(A). Les
autres cas se démontrent de la même manière.
Le plus difficile reste à faire, à savoir montrer que la propriété (iv), dite de Cara-
theodory, est satisfaite. Soit donc une suite décroissante (An ) d’éléments de B telle que
m(A0 ) < ∞. On peut donc écrire An de manière unique sous la forme
Kn
[
An = Ik,n ,
k=1

où les Kn intervalles (Ik,n )k sont disjoints. On fixe alors ε et l’on cherche à définir une
suite de compacts (A0n ) telle que A0n ⊆ An et m(An \ A0n ) ≤ ε2−n . Il suffit pour cela
0
d’exhiber des intervalles compacts Ik,n ⊆ Ik,n suffisamment grands pour que
0
 ε
m Ik,n \ Ik,n ≤ n ≥ 0, 1 ≤ k ≤ Kn .
Kn 2n
En effet, en définissant
Kn
[
A0n := 0
Ik,n ,
k=1

on aura alors An ⊆ A0n et An \ A0n = ∪K 0



k=1 Ik,n \ Ik,n , si bien que
n

Kn Kn
X X ε ε
A0n ) 0

m (An \ = m Ik,n \ Ik,n ≤ n
= n.
k=1 k=1
Kn 2 2

Remarquons d’abord que pour tous −∞ ≤ x ≤ y ≤ +∞ tels que m(]x, y[) < ∞,
pour toute suite décroissante (xn ) convergeant vers x et pour toute suite croissante (yn )
convergeant vers y,
m(]x, y[\[xn , yn ]) = m(]x, xn [) + m(]yn , y[) = G(xn −) − G(x) + G(y−) − G(yn ) −→ 0,
lorsque n → ∞, car G est continue à droite (avec des limites à gauche, car croissante)
et l’on a supposé que G(y−) et G(x) sont finis. En conclusion, pour tout α > 0 et tout
intervalle I =]x, y[ de R (resp. I = [x, y[, resp. I =]x, y]) tel que m(I) < ∞, il existe un
intervalle compact I 0 = [x0 , y 0 ] (resp. I 0 = [x, y 0 ], resp. I 0 = [x0 , y]) inclus dans I tel que
m(I 0 \ I) < α. Puisque m(A0 ) < ∞, on peut donc bien trouver des intervalles compacts
0
Ik,n vérifiant la propriété demandée.
CHAPITRE 10. CONSTRUCTION D’UNE MESURE 70

Comme A0n ⊆ An , on a ∩n A0n ⊆ ∩n An = ∅. Or chaque A0n est compact (comme


0
réunion finie de compacts) donc il existe un entier N tel que ∩N
n=0 An = ∅ . Or

N
! N
! N
! N
!
\ [ \ \
An ∩c An \ A0n = An ∩ (cAn ∪ A0n )
n=0 n=0 n=0 n=0
N
\ N
\ N
\
= An ∩ ( An ∪c
A0n ) = An ∩ A0n = A0n = ∅.
n=0 n=0 n=0

De cette intersection vide, on déduit que


N
\ N
[
AN = An ⊆ (An \ A0n ) .
n=0 n=0

Mais comme une mesure d’algèbre est croissante et sous-additive , pour tout entier
k ≥ N,
N
! N N
[ X X
0 0
m(Ak ) ≤ m(AN ) ≤ m (An \ An ) ≤ m (An \ An ) ≤ ε2−n ≤ 2ε.
n=0 n=0 n=0

En conclusion, pour tout ε > 0, il existe un entier N tel que pour tout k ≥ N , m(Ak ) ≤
2ε, ce qui n’est autre que la propriété de Caratheodory. 2
Chapitre 11

Tribu produit, mesure produit et


« intégrales multiples »

11.1 Tribu produit


11.1.1 Cas général
Soient (E1 , A1 ) et (E2 , A2 ) deux espaces mesurables.

Définition 11.1 On appelle tribu produit sur E1 × E2 , et l’on note A1 ⊗ A2 , la plus


petite tribu contenant les pavés à côtés mesurables :

A1 ⊗ A2 := σ (A1 × A2 ) ,

où l’on a noté
A1 × A2 := {A1 × A2 : A1 ∈ A1 , A2 ∈ A2 }.
Le couple (E1 × E2 , A1 ⊗ A2 ) est appelé espace mesurable produit.

Remarque 11.2 La famille A1 × A2 des pavés à côtés mesurables n’est en général pas
une tribu.

Proposition 11.3 La tribu A1 ⊗ A2 est aussi la tribu engendrée par les projections
canoniques π1 et π2 , c’est-à-dire la plus petite tribu sur E1 × E2 qui rende π1 et π2
mesurables 1 .

Dém. Soit B la tribu engendrée par π1 et π2 . Par définition, B est la plus petite tribu
contenant les parties de E1 × E2 de la forme π1−1 (A1 ) et π2−1 (A2 ) où Ai ∈ Ai , i = 1, 2.
Or π1−1 (A1 ) = A1 × E2 et π2−1 (A2 ) = E1 × A2 , donc B est aussi la plus petite tribu qui
contient les parties de E1 × E2 de la forme (A1 × E2 ) ∩ (E1 × A2 ) = A1 × A2 , c’est-à-dire
σ(A1 × A2 ). 2
1. On rappelle que π1 et π2 sont définies par : π1 (x, y) = x et que π2 (x, y) = y

71
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 72

Proposition 11.4 Soit

f : (X, T ) −→ (E1 × E2 , A1 ⊗ A2 )
x 7−→ f (x) = (f1 (x), f2 (x))

Alors la fonction f est mesurable ssi f1 et f2 sont mesurables 2 .

Dém. Sens direct de l’équivalence : si f est mesurable alors pour tout i = 1, 2, fi = πi ◦f


est mesurable comme composée de fonctions mesurables.
Autre sens : supposons que f1 et f2 sont mesurables. Alors pour tous A1 ∈ A1 et
A2 ∈ A2 ,

f −1 (A1 ×A2 ) = {x ∈ X : f (x) ∈ A1 ×A2 } = {x ∈ X : f1 (x) ∈ A1 , f2 (x) ∈ A2 } = f1−1 (A1 )∩f2−1 (A2 ).

Par hypothèse f1−1 (A1 ) ∈ T et f2−1 (A2 ) ∈ T , donc f −1 (A1 × A2 ) ∈ T par stabilité des
tribus par intersection. En conclusion, f −1 (A1 × A2 ) ⊆ T , donc

f −1 (A1 ⊗ A2 ) = σ f −1 (A1 × A2 ) ⊆ T ,


où la première égalité est une application du lemme de transport, et l’inclusion n’est


autre que la mesurabilité de f . 2

Remarque 11.5 Ce qui précède peut s’énoncer de manière similaire pour tout produit
cartésien fini d’ensembles. Si ((Ei , Ai ))1≤i≤d sont d espaces mesurables, alors on définit
A1 ⊗ · · · ⊗ Ad comme la plus petite tribu sur E1 × · · · × Ed contenant tous les pavés de
la forme A1 × · · · × Ad , où Ai ∈ Ai pour tous i = 1, . . . , d ; c’est aussi la tribu engendrée
par les projections canoniques
d
Y
πi : Ej −→ Ei
j=1

(x1 , . . . , xd ) 7−→ xi

pour i parcourant {1, . . . , d}.

Proposition 11.6 (associativité de ⊗) On a l’égalité suivante entre tribus

(A1 ⊗ · · · ⊗ Aj ) ⊗ (Aj+1 ⊗ · · · ⊗ Ad ) = A1 ⊗ · · · ⊗ Ad ,

où l’on a bien sûr identifié (E1 × · · · × Ej ) × (Ej+1 × · · · × Ed ) et E1 × · · · × Ed .


2. comme fonctions de (X, T ) vers (E1 , A1 ) et (E2 , A2 ) respectivement
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 73

Dém. Montrons la proposition dans le cas où j = 2 et d = 3.


Première démonstration possible. La tribu (A1 ⊗ A2 ) ⊗ A3 est la plus petite tribu qui
rende mesurables les applications
f1,2 : E1 × E2 × E3 −→ (E1 × E2 , A1 ⊗ A2 )
((x1 , x2 ), x3 ) 7−→ (x1 , x2 )
et
f3 : E1 × E2 × E3 −→ (E3 , A3 )
((x1 , x2 ), x3 ) 7−→ x3
Or f1,2 est mesurable ssi ses applications coordonnées le sont. Par conséquent, ces deux
applications sont mesurables ssi les trois applications (x1 , x2 , x3 ) 7→ xi , pour i = 1, 2, 3,
sont mesurables. Donc (A1 ⊗ A2 ) ⊗ A3 est la tribu engendrée par ces trois applications,
c’est donc A1 ⊗ A2 ⊗ A3 .
Deuxième démonstration possible, par double inclusion. Cette démonstration est plus
compliquée, mais constitue un bon exercice. Démontrons d’abord l’inclusion A1 ⊗ A2 ⊗
A3 ⊆ (A1 ⊗ A2 ) ⊗ A3 . Pour tous Ai ∈ Ai , (i = 1, 2, 3), A1 × A2 ∈ A1 ⊗ A2 , donc
A1 × A2 × A3 ∈ (A1 ⊗ A2 ) × A3 ⊆ (A1 ⊗ A2 ) ⊗ A3 ,
donc (A1 ⊗ A2 ) ⊗ A3 contient les pavés à côtés mesurables de E1 × E2 × E3 , donc contient
tous les éléments de la tribu qu’ils engendrent, ce qui est l’inclusion annoncée.
Montrons l’inclusion inverse. Fixons A3 ∈ A3 et définissons
T := {B ∈ A1 ⊗ A2 : B × A3 ∈ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 }.
On veut montrer que T est une tribu : si T est une tribu, alors comme T contient
les pavés de E1 × E2 à côtés mesurables, T contient tous les éléments de la tribu B :=
A1 ⊗ A2 qu’ils engendrent. Ceci implique que pour tout B ∈ B, B × A3 ∈ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 ,
où A3 est un élément arbitraire de A3 . Autrement dit, B × A3 ⊆ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 et donc
B ⊗ A3 = σ(B × A3 ) ⊆ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 ,
qui est l’inclusion annoncée. Vérifions donc que T est une tribu :
i) ∅ ∈ T car ∅ × A3 = ∅ ∈ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 .
ii) pour tout B ∈ T , cB ∈ T car
c
B × A3 = (E1 × E2 × A3 ) ∩ c(B × A3 )
qui est bien élément de T car E1 × E2 × A3 ∈ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 et B × A3 ∈ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 ,
qui est une tribu, donc stable par passage au complémentaire et intersection.
iii) pour toute suite (Bn ) d’éléments de T ,
(∪n Bn ) × A3 = ∪n (Bn × A3 ),
qui est bien élément de T car pour tout n, Bn × A3 ∈ A1 ⊗ A2 ⊗ A3 , qui est une tribu,
donc stable par réunion dénombrable. 2
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 74

11.1.2 Le cas borélien


Lorsque E1 et E2 sont des espaces topologiques, nous disposons déjà d’une tribu sur
E1 × E2 qui est la tribu borélienne Bor(E1 × E2 ), ou tribu engendrée par la topologie
produit, dont on rappelle que les éléments sont les réunions (quelconques) de produits
d’ouverts (dits aussi pavés à côtés ouverts).

Proposition 11.7 a) On a toujours l’inclusion

Bor(E1 ) ⊗ Bor(E2 ) ⊆ Bor(E1 × E2 ).

b) Si E1 et E2 sont tous deux à base dénombrable d’ouverts (en particulier si E1 et E2


sont des espaces métriques séparables), alors l’inclusion précédente devient une égalité.

Dém. a) Par définition de la topologie produit, πi : E1 × E2 → Ei est continue pour


i = 1, 2 (i = 1 : si O1 est un ouvert de E1 , π1−1 (O1 ) = O1 × E2 est un ouvert de E1 × E2 ),
et par conséquent πi est borélienne 3 . Or la plus petite tribu qui rende mesurables π1 et
π2 est Bor(E1 ) ⊗ Bor(E2 ), d’où le résultat.
(i)
b) Pour tout i = 1, 2, soit Ui = (Un )n∈N une base dénombrable d’ouverts de Ei ,
c’est-à-dire que tout ouvert de Ei peut s’écrire comme réunion (forcément dénombrable,
donc) d’éléments de Ui . Par définition de la topologie produit, tout ouvert Ω de E1 × E2
est une réunion (quelconque, cette fois) de produits d’ouverts
[ (1) (2)
Ω= Oj × Oj ,
j∈J

(i)
où J est un ensemble d’indices quelconque et pour tous i, j, Oj est un ouvert de Ei .
(i) (i)
Comme Oj est un ouvert de Ei , Oj s’écrit comme réunion d’éléments de Ui , c’est-à-dire
(i)
qu’il existe une partie Kj de N telle que
(i)
[ (i)
Oj = Uh ,
(i)
h∈Kj

et ainsi
   
(1) (2)  [ (1)   [ (2) 
[ (1) (2)
Oj × Oj =  Uh  ×  Uk  = Uh × Uk .
(1) (2) (1) (2)
h∈Kj k∈Kj (h,k)∈Kj ×Kj

En conclusion, [ (1) (2)


Ω= Uh × Uk ,
(1) (2)
(h,k)∈∪j∈J Kj ×Kj

3. sans ambiguïté : l’espace d’arrivée Ei est muni de sa tribu borélienne Bor(Ei ) et l’espace de départ E1 ×E2
est muni de sa tribu borélienne Bor(E1 × E2 )
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 75

(1) (2)
qui est une réunion dénombrable de produits d’ouverts car ∪j∈J Kj ×Kj ⊆ N2 . Comme
un produit d’ouverts est élément de Bor(E1 ) ⊗ Bor(E2 ), c’est le cas également de Ω,
par stabilité des tribus par réunion dénombrable. Ainsi les ouverts de E1 × E2 sont des
éléments de la tribu Bor(E1 )⊗Bor(E2 ), et par conséquent la plus petite tribu contenant
les ouverts de E1 × E2 , à savoir Bor(E1 × E2 ), est incluse dans Bor(E1 ) ⊗ Bor(E2 ). 2
Corollaire 11.8 Comme R est un espace métrique séparable, Bor(R) ⊗ Bor(R) =
Bor(R2 ) et plus généralement, pour tout entier d ≥ 2,
Bor(R)⊗d = Bor(Rd ).
Ce corollaire permet, par exemple, de voir pourquoi, si f, g : R → R sont deux fonctions
boréliennes, alors f + g et f g sont aussi boréliennes. En effet, on sait que l’application
somme S
S : (R2 , Bor(R2 )) −→ (R, Bor(R))
(x, y) 7−→ x + y
et l’application produit P
P : (R2 , Bor(R2 )) −→ (R, Bor(R))
(x, y) 7−→ xy
sont boréliennes car continues. De plus, on sait que l’application
C : (R, Bor(R)) −→ (R2 , Bor(R) ⊗ Bor(R))
x 7−→ (f (x), g(x))
est mesurable, car les deux applications coordonnées f et g sont mesurables. Ayant
l’égalité entre Bor(R2 ) et Bor(R) ⊗ Bor(R), on a donc la mesurabilité de f + g = S ◦ C
et de f g = P ◦ C.

11.1.3 Sections
Définition 11.9 Si C ∈ A1 ⊗ A2 , pour tous x1 ∈ E1 et x2 ∈ E2 , on note
Cx1 := {y2 ∈ E2 : (x1 , y2 ) ∈ C} et C x2 := {y1 ∈ E1 : (y1 , x2 ) ∈ C},
que l’on appelle sections de C.
Proposition 11.10 Soit f ∈ F (A1 ⊗ A2 , Bor(R)). Alors pour tout x1 ∈ E1 , l’applica-
tion partielle
fx1 : (E2 , A2 ) −→ (R, Bor(R))
x2 7−→ f (x1 , x2 )
est mesurable.
Remarque 11.11 Attention, la réciproque est fausse : le fait que toutes les applications
partielles soient mesurables n’implique pas forcément que f soit mesurable.
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 76

Dém. L’application
gx1 : (E2 , A2 ) −→ (E1 × E2 , A1 ⊗ A2 )
x2 7−→ (x1 , x2 )
est mesurable car chacune des applications coordonnées l’est de façon évidente. Donc
fx1 = f ◦ gx1 est mesurable. 2

Proposition 11.12 Les sections d’éléments de la tribu produit sont mesurables. Autre-
ment dit, pour tout C ∈ A1 ⊗ A2 et pour tous x1 ∈ E1 et x2 ∈ E2 : Cx1 ∈ A2 et
C x2 ∈ A1 .

Dém. Il suffit d’appliquer la proposition précédente à la fonction f = 1C , qui est


mesurable par hypothèse. On obtient donc que fx1 est mesurable, mais fx1 = 1Cx1 , donc
Cx1 ∈ A2 . 2

11.2 Mesure produit


Soient µ1 et µ2 deux mesures σ-finies, sur (E1 , A1 ) et (E2 , A2 ) respectivement.

Lemme 11.13 Pour tout C ∈ A1 ⊗ A2 , l’application


hC : (E1 , A1 ) −→ (R̄+ , Bor(R̄+ ))
x1 7−→ µ2 (Cx1 )
est mesurable.

Dém. Supposons d’abord que µ2 est finie. Soit


Λ := {C ∈ A1 ⊗ A2 : hC est mesurable}.
Montrons que Λ est un λ-système.
i) C = ∅ ∈ Λ car alors hC est la fonction nulle, qui est toujours mesurable.
ii) Soient C ⊆ D tous deux éléments de Λ. Alors hC et hD sont mesurables, et
hD\C = hD − hC , car (D \ C)x1 = Dx1 \ Cx1 , avec Cx1 ⊆ Dx1 . Donc hD\C est mesurable,
et D \ C ∈ Λ.
iii) Soit (C (n) )n une suite croissante d’éléments de Λ et C sa limite. Alors la suite
(n)
(Cx1 ) est croissante, donc par continuité à gauche de la mesure µ2 ,
hC (x1 ) = µ2 ((∪n C (n) )x1 ) = µ2 (∪n Cx(n)
1
) = µ2 (lim ↑ Cx(n)
1
) = lim ↑ µ2 (Cx(n)
1
) = lim hCn (x1 ),
n n n

qui est bien mesurable, comme limite de fonctions mesurables.


En conclusion, Λ est bien un λ-système. Montrons que Λ contient le π-système A1 ×
A2 . En effet, pour tout C = A1 × A2 ∈ A1 × A2 ,

A2 si x1 ∈ A1
C x1 =
∅ sinon,
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 77

donc hC = µ2 (A2 )1A1 , qui est mesurable car étagée. Le théorème de la classe monotone
assure alors que Λ contient σ(A1 × A2 ) = A1 ⊗ A2 . La proposition est donc démontrée
dans le cas où µ2 est finie.
(n)
Si µ2 est seulement σ-finie, alors par définition, il existe une suite croissante (E2 )n
(n)
d’éléments de A2 convergeant vers E2 telle que µ2 (E2 ) < ∞ pour tout entier n. En
(n)
particulier, pour tout A2 ∈ A2 , µ2 (A2 ) = limn ↑ µ2 (A2 ∩ E2 ). En appliquant ce qui
(n)
précède à la mesure trace de µ2 sur E2 , on obtient que l’application hn : x1 7→ µ2 (Cx1 ∩
(n)
E2 ) est mesurable, et par conséquent l’application hC est également mesurable, comme
limite (croissante) de la suite de fonctions (hn ). 2

Théorème 11.14 Il existe une unique mesure m sur l’espace produit (E1 × E2 , A1 ⊗ A2 )
vérifiant
m(A1 × A2 ) = µ1 (A1 )µ2 (A2 )
pour tous A1 ∈ A1 et A2 ∈ A2 . Cette mesure est σ-finie et est appelée mesure produit.
On la note m = µ1 ⊗ µ2 . De plus, pour tout C ∈ A1 ⊗ A2 ,
Z Z
µ2 (Cx1 ) dµ1 (x1 ) = µ1 ⊗ µ2 (C) = µ1 (C x2 ) dµ2 (x2 ).
E1 E2

Remarque 11.15 On pourrait énoncer un résultat qui assure que le produit de mesures
⊗ est associatif, et le démontrer en utilisant la coïncidence des différents produits de
mesures possibles sur les pavés à côtés mesurables . Une conséquence de cette remarque
est la proposition suivante.

Proposition 11.16 La mesure de Lebesgue λd sur (Rd , Bor(Rd )) est aussi la mesure
produit λ1⊗d .

Remarque 11.17 Le théorème 11.14 est faux lorsque µ1 ou µ2 n’est pas σ-finie comme
on le voit en prenant par exemple la mesure de Lebesgue sur R pour µ1 (qui est bien
σ-finie) mais la mesure de comptage sur R pour µ2 (qui n’est pas σ-finie). En prenant
par exemple (E1 , A1 ) = (R, Bor(R)), (E2 , A2 ) = (R, P(R)), et C = {(x, x) : x ∈ R} la
première bissectrice de R2 , alors Cx1 = {x1 } et C x2 = {x2 }, donc µ1 (C x2 ) = 0, tandis
que µ2 (Cx1 ) = 1. Par conséquent,
Z Z
6 0=
µ2 (Cx1 ) dµ1 (x1 ) = µ1 (E1 ) = +∞ = µ1 (Cx2 ) dµ2 (x2 ).
E1 E2

Dém. du théorème 11.14. a) Unicité. Si m et m0 vérifient la propriété du théorème,


c’est qu’elles coïncident sur le π-système A1 × A2 qui engendre A1 ⊗ A2 . De plus, comme
(n)
µ1 et µ2 sont toutes deux σ-finies, alors pour i = 1, 2, il existe une suite croissante (Ei )
(n)
d’éléments de Ai convergeant vers Ei et tels que µi (Ei ) < ∞. Alors si l’on définit
(n) (n) (n) (n)
Cn = E1 × E2 , m(Cn ) = m0 (Cn ) = µ1 (E1 ) µ2 (E2 ) < ∞ et ∪n Cn = E1 × E2 , ce qui
permet de conclure que m = m0 par le Corollaire 10.18.
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 78

b) Existence. On définit m1 : A1 ⊗ A2 → R̄+ par


Z
m1 (C) := µ2 (Cx1 ) dµ1 (x1 ).
E1

Montrons que m1 est une mesure.


i) m1 (∅) = 0 car toutes les sections de l’ensemble vide sont vides.
ii) Soit (C (n) ) une suite d’éléments de A1 ⊗ A2 deux à deux disjoints. Alors pour tout
(n)  (n)
x1 ∈ E1 , les sections (Cx1 ) sont deux à deux disjointes et ∪n C (n) x1 = ∪n Cx1 , si bien
que, par le théorème de Beppo Levi,
Z !
X XZ X
(n) (n)
µ2 Cx(n) (n)
   
m1 ∪n C = µ2 Cx1 dµ1 (x1 ) = 1
dµ 1 (x 1 ) = m 1 C ,
E1 n n E1 n

ce qui prouve la σ-additivité de m1 . De plus, pour tous A1 ∈ A1 et A2 ∈ A2 , et pour


tout x1 ∈ E1 , la section (A1 × A2 )x1 vaut A2 si x1 ∈ A1 et est vide sinon. Ainsi,
Z
m1 (A1 × A2 ) = µ2 (A2 ) dµ1 (x1 ) = µ1 (A1 )µ2 (A2 ).
A1

Il existe donc bien une mesure m = m1 satisfaisant m(A1 × A2 ) = µ1 (A1 )µ2 (A2 ) et cette
mesure vérifie Z
m(C) := µ2 (Cx1 ) dµ1 (x1 ).
E1

De même, on définit la mesure m2 par


Z
m2 (C) := µ1 (C x2 ) dµ2 (x2 ),
E2

et l’on montre que m2 est une mesure qui coïncide avec m sur A1 × A2 , donc est égale
à m (cf. a)). On se reportera aussi à a) pour voir que m est σ-finie. 2

11.3 Théorèmes de Fubini


11.3.1 Théorème de Fubini–Tonelli
Théorème 11.18 (de Fubini–Tonelli) Si f : (E1 × E2 , A1 ⊗ A2 ) → (R̄+ , Bor(R̄+ ))
est mesurable, alors les fonctions φ et ψ définies resp. sur E1 et E2 par
Z Z
φ(x1 ) := f (x1 , x2 ) dµ2 (x2 ) et ψ(x2 ) := f (x1 , x2 ) dµ1 (x1 )
E2 E1

sont toutes deux mesurables et l’on a la double égalité dans R̄+


Z Z Z
φ dµ1 = f d(µ1 ⊗ µ2 ) = ψ dµ2 . (11.1)
E1 E1 ×E2 E2
CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 79

Dém. Si f = 1C pour C ∈ A1 ⊗ A2 , alors φ(x1 ) = µ2 (Cx1 ) et ψ(x2 ) = µ1 (Cx2 ), et


donc 11.13 assure que φ et ψ sont mesurables et les trois termes de l’équation (11.1)
sont égaux à µ1 ⊗ µ2 (C) par le théorème 11.14. Cette assertion s’étend aux fonctions
étagées positives pas linéarité de l’intégrale, puis aux fonctions mesurables positives par
le lemme fondamental d’approximation et le théorème de Beppo Levi. 2

11.3.2 Théorème de Fubini–Lebesgue


Théorème 11.19 (de Fubini–Lebesgue) Soit f comme dans le théorème de Fubini–
Tonelli mais de signe quelconque. Alors si f est µ1 ⊗ µ2 -intégrable 4 , alors les fonctions
φ et ψ du théorème sont resp. définies µ1 -p.p. et µ2 -p.p., sont resp. µ1 -intégrables et
µ2 -intégrables, et vérifient la double égalité (11.1).

Dém. On définit Z
φ+ (x1 ) = f + (x1 , x2 ) dµ2 (x2 ),
E2
ainsi que de manière évidente, φ− , ψ+ et ψ− . D’après le théorème de Fubini–Tonelli,
Z Z Z
+
φ+ dµ1 = f d(µ1 ⊗ µ2 ) = ψ+ dµ2 ,
E1 E1 ×E2 E2

qui est un nombre réel fini par hypothèse (se référer au terme du milieu). Par conséquent,
φ+ est finie µ1 -p.p. et ψ+ est finie µ2 -p.p., ainsi que φ− et ψ− respectivement. Donc la
fonction φ est définie µ1 -p.p. (comme différence de deux fonctions finies p.p.) et l’intégrale
de | φ | est finie car égale à la somme des intégrales de φ+ et de φ− , qui sont toutes deux
finies. Le résultat analogue se démontre de la même manière pour ψ, et ainsi l’égalité
(11.1) s’obtient en faisant la différence de deux quantités finies. 2
Remarque 11.20 Si f est positive, le théorème de Fubini–Tonelli assure que l’intégrale
de f par rapport à µ1 ⊗ µ2 peut toujours se calculer en faisant deux intégrales « simples »
successives dans l’ordre que l’on souhaite. Si f est de signe quelconque, il faut, pour ap-
pliquer le théorème de Fubini-Lebesgue, d’abord vérifier l’intégrabilité de | f | par rapport
à µ1 ⊗ µ2 en utilisant le théorème de Fubini–Tonelli (il suffit de vérifier que l’une des
intégrales« doubles » est finie).
Remarque 11.21 Par convention d’écriture, on écrira invariablement :
Z Z Z
f d(µ1 ⊗ µ2 ) = dµ1 (x1 ) dµ2 (x2 ) f (x1 , x2 )
E1 ×E2 E1 E2
Z Z Z Z
= dµ2 (x2 ) dµ1 (x1 ) f (x1 , x2 ) = dµ1 (x1 )dµ2 (dx2 ) f (x1 , x2 ),
E2 E1 E1 E2

mais on évitera en général d’écrire des intégrales « multiples » comme


Z Z
· · · f (x1 , . . . , xn ) dµ(x1 ) · · · dµ(xn ),
E E

4. ce qui se vérifie grâce au théorème de Fubini–Tonelli


CHAPITRE 11. TRIBU PRODUIT ET MESURE PRODUIT 80

auquel on préférera Z
f dµ⊗n .
En

Remarque 11.22 Si (an,m ) est une suite doublement indicée de nombres réels positifs
et si µ est la mesure de comptage sur (N, P(N)), alors l’interversion suivante
XX XX
an,m = an,m
n m m n
P R
peut être vue comme une application du théorème de Beppo Levi, car m an,m = N an,m dµ(m),
comme du théorème de Fubini–Tonelli, car les termes de l’équation sont tous deux égaux
à N×N an,m dµ⊗2 (n, m).
R
Chapitre 12

Mesure image et changement de


variable

12.1 Mesure image


Soient (E1 , A1 ) et (E2 , A2 ) deux espaces mesurables, µ une mesure sur (E1 , A1 ) et
h ∈ F (A1 , A2 ).

Définition 12.1 (et proposition) L’égalité

ν(A2 ) := µ h−1 (A2 ) A2 ∈ A2




définit une mesure ν sur (E2 , A2 ) appelée mesure image et notée µ ◦ h−1 , ou h(µ), ou
encore µh .

Dém. i) ν(∅) = µ(h−1 (∅)) = µ(∅) = 0.


ii) Soit (Bn ) une suite d’éléments de A2 deux à deux disjoints, alors d’après les
formules de Hausdorff, pour tous i 6= j,

h−1 (Bi ) ∩ h−1 (Bj ) = h−1 (Bi ∩ Bj ) = h−1 (∅) = ∅,

et ainsi
 X  X
ν (∪n Bn ) = µ h−1 (∪n Bn ) = µ ∪n h−1 (Bn ) = µ h−1 (Bn ) =

ν(Bn ),
n n

par σ-additivité de µ. 2

Théorème 12.2 Soit f ∈ F (A2 , Bor(R)). Si f est positive µh -p.p. alors on a l’égalité
suivante dans R̄+ Z Z
f dµh = f ◦ h dµ. (12.1)
E2 E1

De même, f est µh -intégrable ssi f ◦ h est µ-intégrable, et si c’est le cas, on a l’égalité


(12.1) dans R.

81
CHAPITRE 12. MESURE IMAGE ET CHANGEMENT DE VARIABLE 82

Dém. Si f = 1B , où B ∈ A2 , alors
Z Z Z Z
1B ◦ h dµ = 1h−1 (B) dµ = µ h (B) = µh (B) =
−1

f ◦ h dµ = f dµh .
E1 E1 E1 E2

La linéarité de l’intégrale, le lemme fondamental d’approximation et le théorème de


Beppo Levi impliquent (12.1) dès que f est positive µh -p.p. L’extension aux fonctions
mesurables de signe quelconque et l’équivalence des intégrabilités se déduisent de la
décomposition f = f + − f − . 2

Application. Soit h ∈ F (A , A ) telle que µh = µ. Alors


Z Z
f dµ = f ◦ h dµ
E E

pour toute fonction positive µ-p.p. ou µ-intégrable. En particulier, si µ est la mesure de


Lebesgue sur Rd et h = τa est la translation de vecteur a ∈ Rd , alors µh = µ et donc
Z Z
f (x + a) dλ(x) = f dλ.
Rd Rd

À partir de maintenant on supposera que µ = λd , que l’on notera λ s’il n’y a pas
d’ambiguïté.

Proposition 12.3 Soit A ∈ GLd (R) et b ∈ Rd . Soit h l’application affine définie par
h(x) = Ax + b. Alors
h(λ) = | det A |−1 λ.
En particulier, pour tout f positive ou λ-intégrable, on a
Z Z
1
f ◦ h dλ = f dλ.
Rd | det A | Rd

Application (vue en détail en TD) : calcul du volume de la boule unité. Soit Bn (r)
n
la boule (centrée sur l’origine) de rayon r dans R muni de la norme euclidienne. Alors
par la proposition précédente, si h est l’homothétie de paramètre r−1 ,

Vol(Bn (r)) = λ(h−1 (Bn (1))) = | det(h) |−1 λ(Bn (1)) = rn λ(Bn (1)).

D’autre part si cn := Vol(Bn (1)), alors


Z 1 Z Z 1  q 
2
cn = dx1 dx2 · · · dxn = dx1 Vol Bn−1 1 − x1 = cn−1 In−1 ,
−1 x22 +···+x2n ≤1−x21 −1

où l’on a défini Z 1 n/2


In := 1 − x2 dx.
−1
CHAPITRE 12. MESURE IMAGE ET CHANGEMENT DE VARIABLE 83

Une intégration par parties permet de voir que In = nIn−2 /(n + 1), ce qui indique
pourquoi le résultat dépend de la parité de n. En effet, après calculs, on obtient pour
tout entier k
πk
c2k = ,
k!
tandis que
2k+1 π k
c2k+1 = .
1 · 3 · 5 · · · (2k + 1)
On retrouve ainsi que c1 = 2, c2 = π et c3 = 4π/3.

Dém. de la proposition. Montrons qu’on peut supposer que b = 0. Admettons la


proposition dans le cas où b = 0, c’est-à-dire que λ ◦ A−1 = | det A |−1 λ. Maintenant si
h(x) = Ax + b, c’est-à-dire h = τb ◦ A, on a
λ ◦ h−1 = λ ◦ (τb ◦ A)−1 = λ ◦ A−1 ◦ τb−1 = | det A |−1 λ ◦ τb−1 = | det A |−1 λ.
On peut donc supposer dorénavant que b = 0. Soit ν := A(λ). Il faut montrer que
ν = | det A |−1 λ. Montrons d’abord que ν est invariante par translation. En effet, comme
pour tout c ∈ Rd , A−1 ◦ τc−1 (x) = A−1 (x − c) = A−1 (x) − A−1 (c) = τ−A−1 (c) ◦ A−1 (x),
ν ◦ τc−1 = λ ◦ A−1 ◦ τc−1 = λ ◦ τ−A−1 (c) ◦ A−1 = λ ◦ A−1 = ν.
Soit Cd le rectangle unité [0, 1]d . Montrons que ν(Cd ) > 0. Comme Rd ⊆ ∪x∈Zd (x + Cd ),
par invariance par translation de ν,
 X X
ν Rd ≤ ν(x + Cd ) = ν(Cd ),
x∈Zd x∈Zd

donc si ν(Cd ) = 0, ν Rd = 0, ce qui n’est pas possible car ν Rd = λ ◦ A−1 Rd =


  

λ Rd = +∞. Montrons que ν(Cd ) < ∞. L’application A−1 est linéaire, donc continue,
donc l’image Cd0 du compact Cd par A−1 est également compacte. Comme λ est finie sur
les compacts, ν(Cd ) = λ(Cd0 ) < ∞. 
Soit c = c(A) = λ ◦ A−1 [0, 1]d . D’après ce qui précède, c ∈]0, ∞[ et ν 0 = c−1 ν est
une mesure invariante par translation telle que ν 0 [0, 1]d = 1, donc ν 0 est la mesure de


Lebesgue sur Rd . Il suffit donc de montrer que c(A) = | det A |−1 . Montrons que c est
un morphisme. Si ϕ1 et ϕ2 sont deux endomorphismes inversibles de Rd , alors d’après ce
qui précède,
λ ◦ (ϕ1 ◦ ϕ2 )−1 = c(ϕ1 ◦ ϕ2 ) λ,
mais également
λ ◦ (ϕ1 ◦ ϕ2 )−1 = λ ◦ ϕ−1 −1 −1
2 ◦ ϕ1 = c(ϕ2 ) λ ◦ ϕ1 = c(ϕ2 ) c(ϕ1 ) λ,

ce qui implique effectivement que c(ϕ1 ◦ ϕ2 ) = c(ϕ1 ) c(ϕ2 ). Comme tout endomorphisme
inversible Φ de Rd s’écrit comme produit fini d’endomorphismes du type ϕ1 , ϕ2 , ϕ3 , où
(en écrivant ei le i-ème vecteur de la base canonique)
ϕ1 (ei ) = eσ(i) pour σ une permutation de {1, . . . , d},
CHAPITRE 12. MESURE IMAGE ET CHANGEMENT DE VARIABLE 84

ϕ2 (e1 ) = αe1 et ϕ2 (ej ) = ej ∀j 6= 1 (avec α 6= 0),


ϕ3 (e1 ) = e1 + e2 , et ϕ3 (ej ) = ej ∀j 6= 1,
il suffit de montrer que c(ϕ) = | det ϕ |−1 pour chacune de ces trois (sortes d’)applications.
En effet, ceci étant démontré, nous aurons pour Φ = Πni=1 φi , où les φi sont du type ci-
avant (et où le produit est un produit matriciel, c’est à-dire une composition),
c(Φ) = c (Πni=1 φi ) = Πni=1 c(φi ) = Πni=1 | det φi |−1 = | Πni=1 det φi |−1 = | det Φ |−1 .


Le rectangle unité Cd est invariant par ϕ1 donc c(ϕ1 ) = λ(Cd ) = 1 = | det ϕ1 |−1 . Dans
le cas de ϕ2 ,
ϕ−1
2 (Cd ) = Iα × Cd−1 ,

où Iα = [0, 1/α] si α > 0 et Iα = [1/α, 0] si α < 0. Par conséquent c(ϕ2 ) = λ1 (Iα )λd−1 (Cd−1 ) =
| α |−1 = | det ϕ2 |−1 . Enfin,
ϕ−1
3 (Cd ) = P2 × Cd−2 ,

où P2 est un losange du plan d’aire 1, donc c(ϕ3 ) = λ2 (P2 )λd−2 (Cd−2 ) = 1 = | det ϕ3 |−1 ,
ce qui achève la démonstration. 2

12.2 Formule du changement de variable


Soient U et V deux ouverts de Rd et φ un C 1 -difféomorphisme entre U et V , c’est-à-
dire une bijection φ : U → V telle que φ est de classe C 1 sur U et φ−1 est de classe C 1
sur V . Pour tout u ∈ U , on note φ0 (u) la matrice carrée d × d des dérivées partielles de φ
évaluées en u, autrement dit la matrice représentative de l’application linéaire tangente
à φ en u, appelée matrice jacobienne de φ en u. On note Jφ (u) le déterminant de φ0 (u),
appelé jacobien de φ en u. Nous allons montrer que l’image par φ de la mesure de densité
| Jφ | par rapport à λ (sur U ) est λ (sur V ), et que l’image par φ de λ (sur U ) est la
mesure de densité | Jφ−1 | par rapport à λ (sur V ).
Théorème 12.4 (formule de changement de variable) Soit f une fonction boré-
lienne sur V . Si f est positive ou λ-intégrable, alors
Z Z
f dλ = f ◦ φ | Jφ | dλ.
V U

De manière équivalente, si f est positive ou que f ◦ φ est λ-intégrable, alors


Z Z
f ◦ φ dλ = f | Jφ−1 | dλ.
U V

Remarque 12.5 En dimension 1, si φ :]α, β[−→]a, b[ est un C 1 -difféomorphisme, alors


φ0 ne peut pas s’annuler et en particulier, φ est de signe constant. Avec les notations de
l’intégrale de Riemann, si l’on applique la formule de changement de variable apprise au
lycée, on retombe bien entendu sur la formule du théorème précédent. Si φ0 > 0, alors
Z b Z φ−1 (b) Z β
0
f (x) dx = f ◦ φ(u) φ (u) du = f ◦ φ(u) | φ0 (u) | du.
a φ−1 (a) α
CHAPITRE 12. MESURE IMAGE ET CHANGEMENT DE VARIABLE 85

Si φ0 < 0, alors
Z b Z φ−1 (b) Z β Z β
0 0
f (x) dx = f ◦ φ(u) φ (u) du = − f ◦ φ(u) φ (u) du = f ◦ φ(u) | φ0 (u) | du.
a φ−1 (a) α α

Corollaire 12.6 Si µ est la mesure de densité f par rapport à λ et si φ : Rd → Rd


est un C 1 -difféomorphisme, alors la mesure image de µ par φ admet une densité g par
rapport à λ, et g est donnée par
g(x) = f ◦ φ−1 (x) | Jφ−1 (x) | x ∈ Rd .

Dém. Pour toute fonction borélienne positive h, en se servant du théorème précédent,


Z Z Z Z
h dµφ = h ◦ φ f dλ = h ◦ φ f ◦ φ ◦ φ dλ = h f ◦ φ−1 | Jφ−1 | dλ,
−1

ce qui prouve le corollaire (prendre tout simplement une indicatrice pour h). 2
Remarque 12.7 Pour vérifier que φ est un C 1 -difféomorphisme, on applique ordinai-
rement le théorème d’inversion locale : soit U un ouvert de Rd et φ : U → Rd . Soit
V := φ(U ). Alors φ est un C 1 -difféomorphisme ssi
i) φ est injective ;
ii) φ est de classe C 1 ;
iii) pour tout u ∈ U , Jφ (u) 6= 0.
0 −1
Sous ces conditions, V est un ouvert et pour tout x ∈ V , (φ−1 ) (x) = (φ0 ◦ φ−1 (x)) .
Exemple 12.8 (coordonnées polaires) Par le théorème d’inversion locale, la fonc-
tion
φ : ]0, ∞[×]0, 2π[ −→ R2 \ ([0, ∞[×{0})
(ρ, θ) 7−→ (ρ cos θ, ρ sin θ)
est un C 1 -difféomorphisme, avec
 
0 cos θ −ρ sin θ
φ (ρ, θ) =
sin θ ρ cos θ
et Jφ (ρ, θ) = ρ. Ainsi pour toute fonction borélienne f λ2 -intégrable,
Z Z
f (x, y) dx dy = f (x, y) dx dy
R2 R2 \([0,∞[×{0})
Z Z
= f ◦ φ(ρ, θ) Jφ (ρ, θ) dρ dθ = f ◦ φ(ρ, θ) ρ dρ dθ.
]0,∞[×]0,2π[ [0,∞[×[0,2π]

−x2
R
En particulier, l’intégrale I = R e dx peut se calculer comme suit, grâce à deux ap-
plications du théorème de Fubini–Tonelli :
Z Z Z
−(x2 +y 2 ) −ρ2 2
2
I = e dx dy = e ρ dρ dθ = 2π e−ρ ρ dρ = π,
R2 [0,∞[×[0,2π] [0,∞[

d’où l’égalité bien connue I = π.
CHAPITRE 12. MESURE IMAGE ET CHANGEMENT DE VARIABLE 86

La démonstration de la formule du changement de variable est plutôt technique. Nous


renvoyons le lecteur à la démonstration par récurrence p.64 du cours de Jean Jacod, ou
à la démonstration p.242 du livre de Marc Briane et Gilles Pagès. Nous donnons ci-après
l’idée de cette dernière. On recouvre l’ouvert U par une réunion dénombrable d’hyper-
cubes semi-ouverts (Ci ) deux à deux disjoints et de mesure de Lebesgue arbitrairement
petite fixée. On note ui le centre de Ci . Comme φ est bijective, V = φ(U ) s’écrit à son
tour comme réunion disjointe des φ(Ci ), donc pour toute fonction borélienne f positive,
Z XZ X
f dλ = f dλ ≈ f (φ(ui ))λ(φ(Ci )).
V i φ(Ci ) i

Mais localement, φ peut être approchée par son application linéaire tangente φ0 (ui ),
aussi comme λ(φ(Ci )) est la mesure de Ci par la mesure image de λ par φ−1 , ayant
φ−1 (x) ≈ Ax + b, avec A = (φ−1 )0 (et b = φ−1 (ui ) − Aui ), on a

λ(φ(Ci )) ≈ | det A |−1 λ(Ci ) = | det φ0 (ui ) |λ(Ci ).

Ainsi,
Z X
f dλ ≈ f (φ(ui )) | Jφ (ui ) | λ(Ci )
V i
XZ
≈ f ◦ φ(u) | Jφ (u) | dλ(u)
i Ci
Z
= f ◦ φ | Jφ | dλ,
U

ce qui achève cette esquisse de démonstration.

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