Philo G1 FAGE Et MED 2020 21

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0.

INTRODUCTION GENERALE
0.1. Objectifs du cours

Destiné aux étudiants des 1ères années de graduat, ce cours de Philosophie,


Epistémologie et Morale a pour objectif général de rendre l’étudiant capable de transformer sa
vie et sa société par sa culture de la vérité et son sens éthique, grâce à une approche critique
du réel. Il a trois séries d’objectifs liés à chacune de ces parties.
Ainsi, à l’issue de la 1ère partie de ce cours portant sur la philosophie, l’étudiant de 1er
graduat sera capable :
- de comprendre et d’expliquer la spécificité et la valeur de la philosophie dans le domaine
du savoir ;
- d’exercer un esprit analytique et critique sur la réalité ;
- d’apprécier la spécificité de la philosophie africaine.

La 2e partie, portant sur l’épistémologie, vise essentiellement à conduire l’étudiant à la


culture de la vérité scientifique. A cet effet, elle introduire ce dernier :
- à la connaissance des exigences fondamentales d’une connaissance humaine vraie ou qui
se rapproche davantage de la Vérité ;
- aux thèmes et aux grands courants de l’épistémologie, d’après l’appellation française;
- à la capacité de juger le savoir suivant les critères de scientificité ;

La 3e partie du cours, centrée sur la morale, entend mener l’étudiant à acquérir :


- une compréhension scientifique de la vocation de l’être humain du Bien moral
- la capacité d’évaluer correctement la moralité des actes humains ;
- une adhésion comportementale manifeste aux grandes valeurs morales.

0.2. Contenu du cours

La première partie du cours comprendra trois chapitres portant successivement sur :


- le concept de philosophie
- les grandes doctrines philosophiques de l’histoire
- l’essentiel de la philosophie africaine
La seconde partie du cours aura quatre chapitres portant successivement sur :
- la signification et l’importance de l’épistémologie
- les notions fondamentales de la science et de la connaissance humaine

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- la question de vérité : problème, critères et diversité (vérités scientifique, philosophique,
religieuse, théologique, esthétique, morale, politique, etc.)
- quelques courants épistémologiques majeurs.
La troisième partie du cours développera les thèmes ci-après :
- La spécificité de l’éthique comme science de la morale ;
- Les grands courants éthiques de l’histoire
- Les principes et les critères de la moralité des actes humains

0.3. Dispositions méthodologiques

Pour l’apprentissage des étudiants, le cours utilisera comme procédés les exposés de
l’enseignant, les discussions dans les séances de cours et les recherches des étudiants.

Les acquis cognitifs des étudiants seront évalués à travers au moins une Interrogation,
des travaux pratiques et l’examen.

0.4.Bibliographie sélective

- BALIBAR E. et MACHEREY P., « Epistémologie », dans Encyclopaedia Universalis,


Volume 6. Paris, Encyclopaedia Universalis France, 1980, p. 370-373.
- CUVILLIER, A., Précis de philosophie. Paris, Armand Colin, 1961.
- DE RAEYMAEKER Louis, Introduction à la philosophie, sixième édition. Louvain,
Publications Universitaires de Louvain, 1967.
- FOULQUIE Paul, La connaissance. Cours de philosophie, Cinquième édition revue et
corrigée. Paris, Editions de l’école, 1961.
- FRANKENA K. William, Ethics, Second Edition. New Delhi, Prentice-Hall of India,
2007.
- FURROW Dwight, Key Concepts in Philosophy. London, Continuum, 2005.
- GRANGER, G.-G., La science et les sciences. Paris, PUF, 1995.
- HÖFFE Otfried (éd.), Dictionnaire de Morale. Paris, Cerf, 1983.
- JOLIVET Régis, Traité de philosophie. I. Introduction générale, logique, cosmologie.
Paris, Emmanuel Vitte, 1962.
- KASONGO YAMBO François-Stéphane, Initiation à la philosophie. Kinshasa,
Médiaspaul, 2016.
- LADRIERE Jean, Les enjeux de la rationalité. Le défi de la science et de la technologie
aux cultures. Paris, Aubier-Montaigne/Unesco, 1977.
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- LEAHY L., L’homme…ce mystère. Pour une philosophie de l’homme. Kinshasa,
Publications de l’Institut S. P. Canisius, 1981.
- MABASI BAKABANA Frédéric-Bienvenu, « Les limites d’une théorie de la rationalité »,
dans Léonard SANTEDI Kinkupu et Modeste MALU Nyimi (dir.), Epistémologie et
théologie. Les enjeux du dialogue foi-science-éthique pour l’avenir de l’humanité.
Mélanges en l’honneur de S. Exc. Mgr Tharcisse TSHIBANGU Tshishiku. Kinshasa,
Facultés Catholiques de Kinshasa, 2006, p. 413-447.
- MABIKA NKATA J., La mystification fondamentale. Merut ne maât. Aux sources
négrides de la philosophie. Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi, 2002.
- MAIDIKA ASANA Jules, Notes de philosophie et logique. Institut Supérieur
Pédagogique de Bunia, Année académique 2016-2017, inédit.
- RUSS Jacqueline & LEGUIL Clotilde, La pensée éthique contemporaine. Paris, Presses
Universitaires de France, 1994.
- RUSS J. & FARAGO F., Philosophie. Les auteurs, les œuvres. Paris, Bordas, 2003.
- TOWA Marcien, «La philosophie africaine dans le sillage de la négritude », dans Essai
sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle. Yaoundé, Clé, 1971.
- VAN PARYS Jean-Marie, Une approche simple de la philosophie africaine. Kinshasa,
éd. Loyola, 1993.
- VAN STEENBERGHEN, F., Epistémologie. Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 1965.
- VERNAUX, R., Epistémologie générale ou critique de la connaissance. Paris,
Beauchesne et ses Fils, 1959.

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PREMIERE PARTIE : NOTIONS ELEMENTAIRES DE PHILOSOPHIE

CHAPITRE PREMIER : CONCEPT DE PHILOSOPHIE

1.1.Signification et valeur de la philosophie


1.1.1. Origine et étymologie du mot « philosophie »

Le mot « philosophie» vient du grec philosophia : amour (philia) de la sagesse


(sophia). Il fut inventé par Pythagore, sage et mathématicien grec du 6 e siècle (570-490 av.
Jésus-Christ).1En ce sens, le philosophe (philosophos) est donc un ami de la sagesse.

Le mot « sagesse », chez les grecs de l’Antiquité, signifiait un savoir et en même


temps l’art de vivre conformément à la morale. De la sorte, la sagesse a une double fonction.
D’une part, il y a la fonction théorique ou cognitive qui vise la connaissance de la vérité, la
science, le savoir, l’acquisition d’une conception d’ensemble de l’univers. D’autre part, il y a
la fonction éthique et pratique, qui vise l’élaboration d’une règle de vie et l’adoption d’une
attitude réfléchie en vue d’une conduite juste dans la société.2

Etre ami de la sagesse signifie être un assoiffé et un chercheur dévoué de la sagesse


dans la double fonction de celle-ci, une personne qui fait de la recherche de la sagesse son
souci permanent, voire sa priorité. Et avec François-Stéphane KASONGO, il sied de noter
l’importance qu’accorde Pythagore à l’humilité du vrai philosophe : ce dernier ne doit jamais
prétendre posséder la sagesse ou la vérité, que Dieu seul, en tant qu’Etre suprême, peut
posséder. Le philosophe, en tant qu’homme, ne peut que rechercher la vérité et s’en
approcher.3

1.1.2. Sens vulgaire de « philosophie »

Est-il correct de dire que « tout homme est philosophe » ?Oui et non. La réponse est
« oui », si l’on reconnaît avec Aristote que l’homme est un « animal raisonnable », en ce sens
qu’il est doué de raison (intelligence) grâce à laquelle il peut, à sa manière, s’interroger,
penser, raisonner, s’approcher de la vérité. De ce point de vue, la philosophie de tout homme
ou groupe humain est à comprendre au sens large du mot : une approche ou vision du monde.
Ici, on parlerait d’une « philosophie spontanée », pour désigner « une conception générale de
l’univers, un ensemble d’opinions, une sagesse individuelle ou collective ».4

1
François-Stéphane KASONGO YAMBO, Initiation à la philosophie, Kinshasa, Médiaspaul, 2016, p. 13.
2
Jules MAIDIKA ASANA, Notes de philosophie et logique, Année académique 2016-2017, inédit, p. 5.
3
François-Stéphane KASONGO YAMBO, Ibid.
4
Jules MAIDIKA, p. 12.
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Par contre, il est incorrect de dire que « tout homme est philosophe » si l’on considère
la philosophie dans son sens strict, comme recherche de la vérité par une réflexion critique,
une approche rationnelle systématique des réalités.5 En effet, il ne suffit pas d’une belle
tournure de pensée ni d’un raisonnement énigmatique (difficile à pénétrer) pour être
philosophe. « La qualité essentielle du philosophe est donc l’esprit critique. Il n’accepte rien
de manière naïve, mais il fait passer au crible de la raison toutes les certitudes que nous tenons
pour évidentes (…) La philosophie n’est pas un pur refus ou un scepticisme, mais une
exigence de preuve. »6

1.1.3. La philosophie comme science


1.1.3.1.Concept de la science

Du mot latin scientia (=connaissance), la science est à entendre comme une somme
actuelle des connaissances, une activité de recherche et une méthode d’acquisition d’un
savoir7complexe, mais précis, que réalise et possède l’homme. Par la science, l’être humain,
sur base de sa compréhension perfectible (à améliorer), tente de re-créer ce monde pour le
rendre plus confortable et l’habiter autrement que les animaux inférieurs qui, eux, se
contentent d’être dans le monde tel qu’il est8.
La science comporte un ensemble de démarches, notamment :
1) la recherche et l'acquisition systématique de connaissances sur les objets, le monde,
l’homme et Dieu ;
2) l'organisation et la synthèse de ces connaissances par le moyen de principes généraux a
priori (théories, lois, mesure) et d’une méthode ;
3) la diffusion des résultats de ces démarches.
Il en ressort que chaque science se caractérise par son objet et sa méthode ainsi que par
ses résultats.

5
Cf. Régis JOLIVET, Traité de philosophie. I. Introduction générale, logique, cosmologie. Paris, Emmanuel
Vitte, 1962, p. 13.
6
Jules MAIDIKA, p. 7.
7
Cf. J. LADRIERE, Les enjeux de la rationalité. Le défi de la science et de la technologie aux cultures, Paris,
Aubier-Montaigne/Unesco, 1977.
8
Cf. J.-C. Kapumba AKENDA, Le partage du pouvoir selon le savoir. Essai sur les limites du savoir dans la
société africaine contemporaine piégée par la mondialisation, dans Revue Philosophique de Kinshasa, vol. XXI,
Kinshasa, FCK, 2007, p. 7-27.
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1.1.3.2. Critères de scientificité de la philosophie
1) L’objet

L’objet d’une science est de deux types. Le premier est l’objet matériel, qui consiste
dans la réalité que cette science étudie ; tandis que le second est l’objet formel, qui désigne
l’aspect spécifique ou le point de vue sous lequel cette science étudie ladite réalité.

La philosophie comme science a comme objet matériel le réel dans sa totalité, c’est-à-
dire tout ce qui est ou existe : la nature, le monde et tous ses phénomènes et événements,
l’homme, Dieu et le savoir. Cela ne signifie nullement que la philosophie prétend tout
connaître, mais plutôt qu’elle porte sur la totalité du réel ou, mieux, sur n’importe quelle
réalité du monde et de la vie ; car rien n’est indigne de la réflexion philosophique9.

Quant à l’objet formel de la philosophie, il consiste dans le pourquoi le plus profond


de toute réalité qu’elle étudie. En d’autres termes, l’aspect particulier qui intéresse la
philosophie dans cette réalité, c’est essentiellement la raison la plus profonde par laquelle
celle-ci peut s’expliquer au-delà de ses aspects expérimentables. Aussi la philosophie va-t-
elledu « pourquoi » le plus superficiel vers le « pourquoi » le plus profond après lequel on ne
sait plus rien trouver.10

2) Méthodes

La méthode d’une science est la voie ou la démarche par laquelle cette science
examine son objet pour atteindre des connaissances vraies concernant celui-ci. Dans cette
logique, le choix d’une méthode est déterminé par la nature de l’objet en étude, de telle sorte
qu’il y a autant de méthodes ou de sous-méthodes qu’il y a des objets d’étude choisis par les
scientifiques.11

La philosophie utilise comme méthode principale la réflexion critique. Les sous-


méthodes de cette dernière sont principalement les suivantes :

- l’intuition, saisie intellectuelle ou connaissance immédiate d’un objet de pensée


actuellement présent à l’esprit ;
- la méthode phénoménologique, description des choses elles-mêmes (phénomènes) en
aucune construction conceptuelle sur leur essence (nature profonde distinctive)
- l’herméneutique, qui consiste en l’interprétation de textes ou de symboles ;

9
J. MAIDIKA, p. 8-9.
10
Cf. R. JOLIVET, p. 9-10.
11
Voir entre autres MAIDIKA, p. 9-10.
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- le doute méthodique (développée par René Descartes)
- l’induction, qui consiste à passer du concret à l’abstrait, des faits aux lois qui les
régissent ;
- la déduction, mode de raisonnement par lequel on passe des principes à leurs
conséquentes concrètes, du général au particulier ;
- l’analyse, opérationnelle intellectuelle par laquelle on décompose une réalité (un fait, une
situation, une œuvre, un texte…) en ses éléments essentiels afin de saisir les rapports qui
les lient et de donner un schéma de l’ensemble ;
- la synthèse (opposée à l’analyse), par laquelle on rassemble des éléments de connaissance
en un ensemble cohérent, en allant des éléments simples au tout.

Enfin, comme la particularité d’une méthode dépend de la réalité étudiée, il existe des
méthodes appropriées pour différents domaines de la philosophie, tels que la philosophie du
droit, de l’éducation, de l’histoire, de l’économie, des religions, de la politique…

3) Résultats

La philosophie a déjà produit de nombreux résultats tant théoriques que pratiques,


parmi lesquels peuvent être cités :

- Des doctrines philosophiques


- Des principes directeurs pour la réflexion critique
- Les normes de la logique
- Des systèmes sociaux et des options existentielles individuelles.

1.1.4. Spécificité de la philosophie parmi les sciences

Comme approche scientifique spécifique, « la philosophie est une science certaine qui
porte sur les principes premiers et les causes premières » (Aristote). Cette définition indique
que le vrai philosophe est ce chercheur de la vérité qui, avec sa raison, va au fond de toute
réalité sans s’arrêter à ses aspects superficiels.12

Sous cet angle, la philosophie se distingue des autres sciences par deux grands traits:

- Contrairement aux autres sciences qui s’occupent de la question du comment, la


philosophie cherche des réponses à la question du pourquoi. Ce faisant, elle cherche le
sens profond de tout ce qui existe. Dans cette quête de la vérité, elle pénètre au-delà

François-Stéphane KASONGO YAMBO, p. 15. Ici l’auteur relève aussi d’autres définitions de la philosophie
12

qu’il est intéressant de regarder.


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l’expérience et de l’observable pour tenter de trouver une compréhension profonde de son
objet d’étude.13
- La philosophie est une sagesse auprès des autres sciences. En effet, le propre de la
sagesse est de juger, de diriger et d’ordonner. La philosophie joue ce rôle de sagesse
auprès de toutes les autres lorsqu’elle aborde les objets, les méthodes et les résultats de ces
sciences de façon critique afin d’en identifier les significations profondes. 14 Elle « part de
l’expérience sensible, mais la dépasse, - la philosophie utilise les sciences, mais n’en
dépend pas. »15

1.1.5. Division de la philosophie

La philosophie a connu plusieurs subdivisions dans le passé. Sa subdivision actuelle


que nous propose François-Stéphane KASONGO16 et qui mérite d’être retenue comprend les
quatre branches suivantes :

1) La logique, avec deux sous-branches :


- la logique formelle (ou mineure), qui s’occupe des exigences du raisonnement
correct ;
- la logique matérielle (majeure), comprenant à son tour :
o L’épistémologie (théorie de la connaissance), étude critique des sciences destinée à
déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée
o La méthodologie, étude critique des méthodes utilisées par les différentes sciences;
2) La métaphysique (appelée depuis Aristote « philosophie première » ou science des
premiers principes et des premières causes), qui étudie l’essence des choses, l’être de tout
existant, subdivisée en :
- Cosmologie ou philosophie de la nature
- Anthropologie philosophique ou philosophie de l’homme (ce qui constitue l’être
humain, ses dimensions essentielles ou ses caractères propres)
- Théodicée ou théologie naturelle, qui étudie l’Etre Absolu ou Dieu ;
3) L’éthique : philosophie de la morale s’occupant des principes qui doivent éclairer la
conduite de l’homme par rapport au bien, subdivisée en :
- Ethique générale, étudiant les principes généraux de la conduite humaine

13
Cf. J. MAIDIKA, p. 8.
14
Cf. R. JOLIVET, p. 12-13.
15
Ibid. p. 19.
16
François-Stéphane KASONGO, p. 51-52.
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- Ethique spéciale, s’occupant de l’application desdits principes aux domaines
spécifiques de la vie humaine ;
4) L’histoire de la philosophie, étude de différentes doctrines philosophiques dans le temps
(histoire chronologique) ou dans l’espace (histoire géographique).

1.2. Rôle de la philosophie

Là où la compréhension de la philosophie est incorrecte, on considère cette science


comme inutile et les philosophes comme des personnes qui sont en l’air. Mais en tant que
science et art d’une réflexion critique et profonde sur toute réalité dans la recherche de la
vérité, la philosophie est une très précieuse aide pour la vie individuelle et sociale des
humains. Elle permet de veiller « à ce que la vérité soit connue, respectée et vécue ». Le
philosophe aide l’homme et la société à rechercher ce qui est raisonnable et digne d’être vécu.
Dans ce sens le philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976) a raison d’appeler le
philosophe le médecin de la civilisation, c’est-à-dire celui qui soigne non seulement le
raisonnement, mais aussi l’agir des hommes pour un meilleur épanouissement de la société.17

Enfin, l’homme comme animal raisonnable agit suivant sa pensée et ses convictions.
Une réflexion de qualité est un outil de grande valeur au service de l’homme. La bonne
philosophie « entraîne les hommes sur les chemins de la vérité et de la responsabilité ; elle
délivre de fausses certitudes et des opinions incontrôlées ; elle développe en l’homme l’esprit
critique et le goût de l’effort dans le discernement. » 18

17
Ibid., p. 16.
18
François-Stéphane KASONGO, p. 16.
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CHAPITRE DEUXIEME : GRANDES DOCTRINES PHILOSOPHIQUES
OCCIDENTALES DE L’HISTOIRE

2.1.Les écoles19présocratiques

C’est l’ensemble des pensées des premiers philosophes grecs qui, à l’exclusion des
sophistes, ont précédé Socrate (470-399).Ces philosophes pratiquaient la philosophie
essentiellement comme la recherche de l’élément primitif ou fondamental des choses.

2.1.1. L’école ionienne

« Ionien » vient d’ « Ionie », ancienne région de la côte de l’Asie Mineure et dont des
ressortissants ont été parmi les premiers peuples à occuper la Grèce. Les philosophes ioniens
cherchent l’élément commun à tous les corps, le principe ou le substrat de tout le réel (ce sur
quoi tout repose). Leurs conceptions respectives de ce principe se présentent comme suit :

- Thalès de Milet (v. 625-v. 547 av. J.-C.) : l’eau est l’élément premier de l’univers.
- Anaximandre (v. 610-v. 547 av. J.-C.) : l’indéterminé ou l’infini
- Anaximène de Milet (v. 585-v. 525 av. J.C.) : l’air.
- Héraclite d’Ephèse (v. 550-v. 480 av. J.C.) : le feu, principe de l’univers qui est en
perpétuel devenir, où « tout s’écoule ». Pour lui, « one ne se baigne pas deux fois dans le
même fleuve » ; car sans cesse ses eaux se renouvellent.
2.1.2. L’école pythagoricienne

Pour Pythagore de Samos (v. 570-v. 480 av. J.-C., philosophe et mathématicien), les
nombres sont d’une importance capitale pour la compréhension de l’univers ; ce sont leurs
combinaisons qui expliquent la diversité des choses dans leur totalité.

2.1.3. L’école éléate

Cette école tire son nom d’Elée, ancienne cité d’Italie qui faisait partie de Grande
Grèce. Les Eléates, tels que Parménide d’Elée (v. 515-v.440 av. J.-C.), Xénophane de
Colophon (6e s. av. J.-C.), Zénon d’Elée (entre 490 et 485 – v. 430 av. J.-C.), contrairement à
Héraclite, soutiennent qu’en réalité tout est immobile, continu et immuable et que rien ne
change. Pour eux, le changement n’est qu’une pure illusion des sens.

19
L’école est à comprendre ici, non pas comme un établissement d’enseignement, mais comme un mouvement
de pensée ou une succession de personnes qui sont attachées à un même maître ou qui professent les mêmes
doctrines.

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2.1.4. L’école atomiste

Représentée par Leucippe et Démocrite (v. 460-v. 370 av. J.-C.), cette école soutient
que dans l’univers, tout (y compris l’âme et la pensée) résulte des arrangements infiniment
variés et fortuits des atomes. Pour elle, la nature n’est qu’un jeu d’atomes en évolution dans
un vide infini.

2.1.5. La sophistique ou école des sophistes

La grande figure de la sophistique antique grecque était Protagoras (v. 486-v. 410 av.
J.-C.), expert en droit. Pour lui, l’homme est la mesure de toute chose, de telle sorte tout est
apprécié du point de vue humain, tout est relatif et subjectif à l’homme. 20 C’est le règne du
scepticisme et du subjectivisme moral.21

Comme le souligne le Prof. Jules Maidika, les sophistes rencontraient un grand succès.
Ils étaient des hommes cultivés, de bons parleurs ayant développé la rhétorique (l’art de bien
parler). Et même ils faisaient payer leurs enseignements, ce qui les rendait riches.

Un sophisme est un raisonnement qui, malgré son apparence logique, vise à induire les
gens en erreur. Ex. L’homme est rationnel. Aucune femme n’est homme. Donc, aucune
femme n’est rationnelle.

2.2.L’école socratique
2.2.1. Socrate (469-399)

Choqué par les malheurs qui frappent sa patrie, Socrate (Athènes) se consacre à la
philosophie pour travailler à la conversion morale de ses concitoyens. Avec lui, la philosophie
cesse d’être l’étude de l’univers (cosmologie) pour devenir la science de l’homme et de son
bonheur.

Considéré comme fondateur de la philosophie morale, Socrate accorde une importance


primordiale à la connaissance du bien. Ainsi sa philosophie est une morale rationnelle, raison
pour laquelle son approche est qualifiée d’intellectualisme moral. Pour lui, si l’homme
commet le mal, c’est par ignorance ; ainsi, il suffit, d’après lui, de connaître le bien pour
l’accomplir.

Dans cette optique, il assigne à sa philosophie un double objectif : d’une part, aider ses
interlocuteurs à se libérer de la servitude de l’ignorance et, d’autre part, les aider à découvrir

20
J. MAIDIKA, p. 19-20.
21
KASONGO, p. 17.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 11
la vérité qui est en eux. Et pour cette découverte de la vérité, Socrate intègre dans sa
philosophie la devise « Connais-toi toi-même » qu’il a rencontrée à Delphes. Cette devise
signifie que tout homme possède un savoir inné des notions morales et doit apprendre à
rentrer en lui-même pour découvrir le bien qu’il a en lui. Il s’agit de savoir écouter la voix de
sa conscience pour connaître le bien.

La méthode philosophique de Socrate consiste en un dialogue (une dialectique) en


deux temps22:

a) L’ « ironie socratique », un dialogue interrogateur visant à aider l’interlocuteur à prendre


conscience de son ignorance en détruisant en lui le faux savoir ou le savoir apparent
derrière lequel se cache l’ignorance ; c’est la partie négative ou destructive de la méthode.
b) La « maïeutique », dialogue interrogateur destiné à accoucher la vérité que l’interlocuteur
porte en lui. C’est la partie positive ou constructive de la méthode.

Socrate a des mérites et des limites. Il est à louer pour avoir ouvert une ère nouvelle de
l’histoire de la philosophie en résumant toute l’essence de la pensée grecque focalisée sur la
recherche du vrai et du bien. Considéré comme le père de la philosophie grecque, il est le
premier martyr23 d’une pensée critique, libre et responsable. Cependant, son intellectualisme
moral pose problème, quand il affirme qu’il suffit de connaître le bien pour le faire
nécessairement. En exagérant le pouvoir de l’intelligence au détriment de la liberté et de la
volonté, il oublie que l’homme peut délibérément commettre le mal même quand il connaît le
bien.24 En outre, il n’a laissé aucune œuvre écrite par lui-même.

2.2.2. Platon (427-348)

Né d’une famille noble, Platon est disciple de Socrate et fondateur de l’école


philosophique appelée « Académie »25. Il est auteur de nombreux ouvrages, dont L’apologie
de Socrate, La République ou la justice, La Banquet (traité de l’amour), Le Ménon (traité sur
la vertu), Le Phédon (Traité de l’âme) et le Phèdre (traité sur le beau).
Comme son maître, Platon est choqué par l’injustice et la dégradation morale de sa
société. Il en arrive à développer une pensée dualiste qui distingue deux mondes :
a) Le « monde sensible » ou monde des images, des apparences et des ombres, accessible par
la connaissance sensible ;

22
Ibid., p. 19.
23
A cause de son franc parlé, Socrate fut condamné à boire la cigüe pour mourir.
24
Cf. Kasongo, p. 19-20.
25
Son école est ainsi nommée parce que les élèves y étaient réunis au cœur du jardin d’Académos, un héros
mythique de la Grèce.
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b) Le « monde intelligible », monde des idées, monde dont la contemplation constitue le
bien suprême et la vertu elle-même.
Dans cette pensée, l’anthropologie de Platon (c’est-à-dire sa vision de l’être humain) est, elle
aussi, dualiste : l’homme est composé de deux parties distinctes et indépendantes l’une de
l’autre, que sont le corps et l’âme. Et le corps est pour l’âme comme une prison dont elle n’est
libérée que par la mort.
La philosophie de Platon est appelée « Théorie des idées » à cause de la valeur
primordiale et absolue qu’il accorde à celles-ci. Pour Platon, en effet, ce qui existe réellement
et de façon absolue et éternelle, indépendamment de nous, ce sont les idées. Les objets et les
divers phénomènes observables n’en sont que des reflets.
Si l’âme connaît ce « monde des idées », c’est parce qu’elle y avait séjourné avant
d’entrer dans le corps. En étant incarnée (c’est-à-dire dans le corps), l’âme doit s’efforcer de
se rappeler ce qu’elle avait contemplé dans le monde des idées. Ce processus de rappel fait
l’objet de ce qu’on appelle chez Platon la « Théorie de la réminiscence ». Cela signifie que
selon Platon, l’intelligence ne crée rien, elle ne fait que découvrir par réminiscence
Platon est le père de l’idéalisme occidental. Platon a appris de son maître à apprécier la
valeur objective du vrai et du bien et à puiser la vérité éternelle dans le contenu des idées. La
grande faiblesse de sa pensée est le fait de vouloir ignorer complètement la réalité et la valeur
du monde sensible26.
2.2.3. Aristote (384-322)

Né à Stagire en Macédoine, Aristote est fils d’un médecin du roi Philippe. Elève de
Platon, Aristote se sépare de ce dernier pour fonder sa propre école appelée « Lycée », où il
développe le courant réaliste, à l’opposé de l’idéalisme platonicien.

Ce réalisme d’Aristote est basé sur le naturalisme, doctrine selon laquelle c’est dans la
nature qu’il faut chercher les conditions de la vérité, et non dans le monde des idées. Aristote
pense que le monde des idées, dont l’univers matériel n’est qu’un reflet, est une utopie. Pour
lui, contrairement à son maître, les choses sensibles existent vraiment et sont, au sens propre
du mot, de l’être. Le devenir de l’univers matériel ou sensible est réel. Il faut, pense Aristote,
l’expliquer selon la théorie de la forme et de la matière.

Aristote a de nombreux mérites. Esprit encyclopédique, il a marqué tous les domaines


du savoir. Fondateur de la logique et père de la métaphysique, il est également considéré
comme le fondateur de la science politique. Il a légué à la postérité une œuvre abondante.

26
Cf. Kasongo, p. 23.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 13
2.3. Doctrines philosophiques occidentales de l’ère chrétienne
2.3.1. La philosophie de Saint Augustin (354-430)

Né à Thagaste (actuel Souk-Ahras en Algérie) et devenu plus tard évêque d’Hippone,


Saint Augustin est une des plus grandes figures intellectuelles de l’Antiquité et de la pensée
chrétiennes. Dès sa jeunesse, le fil conducteur de sa vie est la recherche du bonheur et de la
vérité, laquelle recherche l’a même mené dans la perdition morale et doctrinale27, avant qu’il
ne retrouve ce bonheur et cette vérité qu’en Dieu. La métaphysique augustinienne est ainsi
caractérisée par le rôle central de Dieu et l'intériorité des voies qui mènent à ce dernier.

La méthode de réflexion de Saint Augustin est« Crede ut intelligas » : « Crois afin


que tu comprennes ». Cela signifie qu’à l’origine de sa pensée il y a la foi, laquelle précède et
fonde l’exercice de la raison. Il souligne qu’on doit croire pour comprendre et comprendre
pour croire. Il le dit ainsi : « Aimes fortement l’intelligence, parce que les Ecritures elles-
mêmes qui recommandent la foi avant l’intelligence des grandes choses ne peuvent t’être
utiles si tu ne les comprends pas bien ».

A cause de la primauté attribuée par Augustin à la foi, ceux qui considèrent la pure
raison comme outil typique de la philosophie se sont souvent opposés à l’existence d’une
vraie philosophie en saint Augustin. Ils considèrent sa pensée plutôt comme une théologie. Et
pourtant, il s’agit réellement d’une philosophie chrétienne.

Les œuvres principales de saint Augustin sont ses Confessions et La cité de Dieu. Le
premier livre est le récit des combats, des luttes, des doutes d’une âme déchirée entre des
postulations contradictoires. C’est aussi le récit d’une conversion dont dépend le salut d’un
homme pénétré du sentiment honteux de ses fautes. Et dans La cité de Dieu, l’auteur montre
comment deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu a bâti la
cité terrestre ; tandis que l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi a bâti la cité céleste. L’une
se glorifie en elle-même, et l’autre dans le Seigneur.28

2.3.2. Le thomisme

Le thomisme est la doctrine de saint Thomas d’Aquin (1225-1274), philosophe et


théologien dominicain italien. Saint Thomas d’Aquin « intègre la pensée d’Aristote dans une

27
Sur le plan doctrinal, il faut penser ici à son adhésion au manichéisme, uette religion orientale, aujourd'hui
quasiment éteinte, qui professe un dualisme radical entre le Bien et le mal, la Lumière et les Ténèbres. Voir
https://www.les-philosophes.fr/auteur-saint-augustin.html, visité le 6/10/2020 à 22h55.
28
AUGUSTIN, Cité de Dieu, Livre XIV, 28
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 14
synthèse chrétienne, dans le souci de concilier raison et foi, nature et grâce divine.29 Pour lui,
la nature, régie par ses propres lois et donc autonome, est offerte à l’action de la raison de
l’homme pour que ce dernier y trouve, avec le secours de la grâce divine, le chemin de son
salut.30 A côté de la foi (chrétienne) qui est adhésion aux vérités révélées dans la Bible, saint
Thomas d’Aquin met en lumière une théologie naturelle ou philosophique qui se fonde sur la
connaissance de la nature par la raison et s’élève par abstractions successives du visible à
l’invisible, du créé au Créateur. Et selon lui, les vérités de la foi et celles de la raison ne
sauraient entrer en contradiction même si elles doivent rester séparées.
Saint Thomas d’Aquin propose 5 preuves de l’existence de Dieu, c’est-à-dire 5 voies
ou arguments par lesquels il démontre cette existence:
a) La preuve par le mouvement : Dieu est le premier moteur immobile, qui est à la base de
tout mouvement ; car, étant donné que dans ce monde certaines choses se meuvent, tout ce
qui se meut est mû par un autre.
b) La preuve par la cause efficiente : Dieu est la première cause efficiente, qui doit être à la
base de toutes les causes reliées les unes aux autres, il est impossible qu'on remonte à
l'infini dans les causes efficientes ;
c) La preuve par l’être nécessaire : Dieu est nécessaire en soi, il est la première
nécessité qui est la cause de toutes les autres nécessités que l'on trouve hors de lui ;
d) La preuve par degrés de perfection : s’il existe des degrés de qualités parmi les choses, il
doit y avoir un être qui est, pour tous les êtres, cause d'être, de bonté et de toute
perfection : Dieu ;
e) La preuve par la finalité : Dieu est l’Etre intelligent sans lequel on ne saurait comprendre
comment toutes les choses naturelles sont ordonnées à leur fin.
Nombreux sont les écrits saint Thomas, notamment La Somme théologique (en trois
parties), La Somme contre les Gentils, Les commentaires d’Aristote et les Questions
disputées (De la vérité ; Du mal).

2.3.3. Le cartésianisme

Le cartésianisme est la doctrine du philosophe français René Descartes (1596-1650).


Ce dernier vise à fonder une science indubitable en élevant à son plus haut degré de perfection
la pensée humaine, raison pour laquelle il est considéré comme le père du rationalisme

29
Paul Christophe, 2000 ans d’histoire de l’Eglise, édition augmentée, Paris, Mame-Desclée, 2012, p. 362.
30
Théo, p. 367.
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moderne. Pour lui, la caractéristique essentielle de l’homme, c’est la pensée, selon son
principe Cogito, ergo sum : Je pense, donc je suis. C’est la pensée qui définit l’homme.

La méthode philosophique de Descartes se résume dans le doute méthodique comme


itinéraire conduisant l’esprit d’une évidence à une autre. Ce doute est universel (portant sur
tout) et hyperbolique. Le caractère hyperbolique signifie que ce doute s’applique même aux
évidences mathématiques sur base de l’hypothèse du mauvais génie, selon laquelle celui-ci
peut s’infiltrer dans la pensée et nous tromper même dans ces évidences.

La méthode cartésienne de doute méthodique est régie par 5 principes :

a) Le principe du doute, qui exige de n’accepter pour vrai que ce qui est indubitable, c’est-à-
dire ce qui résiste au moindre doute ;
b) La 1ère certitude : le fait que je pense signifie que j’existe, ce qui est une vérité
indubitable ;
c) Le principe de l’idée claire et distincte : n’accepter comme vrai que ce qu’on pense
clairement et distinctement, sans aucun doute ;
d) La véracité de Dieu : comme l’idée de Dieu (Etre parfait, source de toutes les idées claires
et distinctes) se trouve en lui-même, Dieu doit exister, et cela constitue la 2e certitude ou
vérité indiscutable.
e) L’observance de 4 règles, notamment celles de l’évidence (n’accepter que ce qui est
évident), de l’analyse (toujours examiner tous les aspects pour bien cerner la chose
étudiée), de la synthèse (avoir une vue globale et attentive aux liens entre les parties) et du
dénombrement (une révision générale ou un dernier contrôle pour ne rien omettre).

Génie mathématique, René Descartes est fondateur de la géométrie analytique. Il a jeté


les bases pour toute véritable recherche scientifique en vue de solides connaissances. Il est
contre la médiocrité intellectuelle. En philosophie, il est le père du rationalisme moderne. Il y
a toutefois des excès dans son doute hyperbolique, son hypothèse du mauvais génie, sa preuve
de l’existence de Dieu et sa conception dualiste de l’homme.

2.3.4. Le kantisme

C’est la doctrine du philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804). Les idées


caractéristiques du kantisme sont les suivantes :

- Ce n’est pas notre intelligence qui se règle sur les choses, mais que ce sont les choses qui
se règlent sur notre intelligence.

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 16
- La philosophie a pour but non pas d’étendre nos connaissances du monde, mais
d’approfondir notre connaissance de l’homme.
- Le bien suprême, c’est une volonté bonne et un agir conforme à la raison ; l’homme doit
faire le bien par devoir (impératif catégorique) ; et l’agir moral est ce qui est conforme à la
raison, au devoir et à la loi universelle.
- La raison humaine est limitée et ne peut prétendre connaître Dieu et l’essence des choses,
ce qui exprime l’agnosticisme.

Kant est un rationaliste, mais de façon trop critique, avec insistance sur la critique de
nos connaissances, de nos jugements et même de notre agir. Il veut une véritable culture de
l’esprit et déteste la paresse, le mensonge ou la manipulation. Et parmi ses œuvres peuvent
être cités : Critique de la raison pure, Critique de la raison pratique, et Critique de la faculté
de juger.

2.3.5. La pensée de Jean-Paul Sartre (1905-1980)

Le Français Jean-Paul Sartre est un philosophe existentialiste31. Ses œuvres


philosophiques majeures sont « La Nausée » (1938), « Le mur » (1939), « L’imaginaire »
(1940), « L'Etre et le Néant » (1943), « Les chemins de la liberté » (1945), « Huis Clos »,
« Les mains sales », « Critique de la Raison Dialectique », « Cahiers pour une morale », «
L’Existentialisme est un humanisme ».

Sartre place au centre de son existentialisme l'être humain. Ainsi, pour lui,
« l'existentialisme est un humanisme ». L'être humain est conçu comme sujet, et partir de la
subjectivité signifie qu'il faille partir de l'homme concret, réel, pour parvenir à définir ce que
cet homme est. C'est pourquoi Sartre affirme que « l'existence précède l'essence ». L'homme
n'est d'abord rien, écrit-il. Il ne sera qu'ensuite. Cela signifie que l’homme n’a pas une essence
préétablie mais que c’est lui-même qui se donne une essence, c’est-à-dire un sens à sa vie ; et
cela, par ses propres choix.

La philosophie de Sartre est donc une philosophie de la liberté : ayant à construire,


à déterminer son existence, l'homme est libre, par conséquent, de décider de ce qu'il sera à
travers des décisions qui seront les siennes. Personne ne peut décider à sa place de ce qu'un
homme sera. C'est pourquoi l'individu est, selon une autre célèbre formule, "condamné à

31
L’existentialisme signifie la philosophie de l’existence, une réflexion profonde sur le sens de l’existence.
Selon ce courant, l’homme n’est pas déterminé d’avance par son essence, mais est libre et responsable de son
existence ; c’est à lui de donner sens à son existence, à sa vie.

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 17
être libre". Mais cette liberté ne doit pas aller au-delà de la liberté de l’autre. D’où le fameux
principe : « ma liberté se limite là où celle de l’autre commence ». De la même manière,
l'homme est toujours responsable du sens qu'il va donner à tel ou tel de ses choix. Un accent
aigu est ainsi mis sur la responsabilité de l’homme.

Sartre est un philosophe athée : pour lui, Dieu n’existe pas. Il considère que
l’existence de Dieu est incompatible avec la liberté de l’homme, liberté qu’il conçoit comme
une autonomie absolue. Selon lui, si Dieu existait, il serait l’artisan qui aurait fabriqué
l’homme d'après un modèle théorique préexistant et dont ce dernier dépendrait. Et cette
dépendance anéantirait l’évidente liberté de l’homme. C’est donc la liberté de l’homme qui,
d’après Sartre, exclut l’existence de Dieu.

Tandis qu’il trouve inconcevable l’existence de Dieu, Jean-Paul Sartre accorde une
grande attention à l'autre comme point culminant de sa théorie du sujet qu’il articule autour de
trois concepts :

a) L'en-soi, qui renvoie à l'idée d'une plénitude, d'une coïncidence avec soi qui ne peut
convenir qu'aux choses, aux existences privées de liberté et non aux individus humains.
b) Le pour-soi, qui renvoie à la conscience de l'être humain, est synonyme de liberté et
renvoie également à la conscience de notre existence.
c) Le pour-autrui, qui introduit la dimension de l'altérité : nous ne pouvons demeurer dans
le pour-soi. Le sujet prend conscience d'être dans un monde où existent d'autres
consciences. L'autre peut en effet m'apparaître comme un objet, puisqu'il n'est pas moi,
mais je sais en même temps que je suis également un objet pour lui. L'autre me fait donc
perdre ma subjectivité. C'est pourquoi Sartre écrit : « ma chute originelle, c'est l'existence
de l'autre. » Je ne peux échapper au regard de l'autre, qui me dit qui je suis quand je pense
ne pas être tel qu'il me voit. C'est à ce titre qu’il affirme que l'enfer, c'est les autres.

Cependant, tout en affirmant l’aspect désagréable de l’altérité, Jean-Paul Sartre


développe une morale fortement altruiste. Pour lui, chacun doit vouloir en même temps sa
propre liberté et celle des autres. C’est ainsi qu’il prêche une liberté héroïque qui s’engage
pour la cause des opprimés. Sa philosophie est une philosophie de la vie et de l’engagement.

2.3.6. La philosophie de Gabriel Marcel (1889-1973)

Le Français Gabriel Marcel est un philosophe existentialiste dont la pensée traduit un


humanisme chrétien, c’est-à-dire une conception chrétienne de l’homme et de ses relations. Il
cherche à saisir l’être même de l’homme et sa philosophie débouche sur le « mystère

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 18
ontologique » (c’est-à-dire de l’être). Celui-ci s’éclaire grâce à la distinction que Marcel fait
entre problème et mystère : le problème est quelque chose qui me barre la route, qui est tout
entier devant moi ; tandis que le mystère est quelque chose où je me trouve engagé, dont
l'essence est, par conséquent, de n'être pas tout entier devant moi.

Il s’ensuit qu’il y a des « réalités-problèmes » et des « réalités-mystères ». Avec les


premières, on entretient des relations d’avoir, de possession, d’objectivation : « Je-cela »
(sujet-objet). Ce sont des réalités qu’on peut analyser et soumettre à une vérification
expérimentale, des choses ou des objets qu’on peut posséder, aliéner, diviser. Tandis qu’avec
les« réalités-mystères », on entretient des relations d’être (« je-tu »). Ces réalités sont des
sujets qu’on ne peut ni objectiver, ni posséder, ni aliéner ; des êtres dont l’être profond
m’échappe et demeure donc mystère. Et les « relations d’être » en communication qu’on
entretient avec ces mystères (que sont soi-même, autrui et Dieu) sont une source
d’enrichissement et de respect mutuels. De la sorte, la philosophie de Gabriel Marcel
comporte une invitation à ne pas sacrifier l’être pour l’avoir et à reconnaître la vanité de toute
possession.

En outre, Gabriel Marcel, comme les autres existentialistes, considère que l’existence
précède l’essence, ce qui signifie qu’on existe d’abord pour ensuite développer le sens de sa
vie, c’est-à-dire pour devenir pleinement homme. En d’autres termes, on devient homme ;
l’homme est un projet à réaliser et non pas une réalité toute faite. Dans cette logique, Marcel
trouve que ce qui aide l’homme à se réaliser pleinement et à donner sens à sa vie, c’est la
relation à Dieu. Philosophe de l’espérance, il considère la mort elle-même, non comme la fin
de tout, mais comme une brisure et une naissance, une séparation pour une entrée dans la
plénitude de vie. C’est ainsi qu’il invite à accueillir la vie et la mort comme l’effet d’un amour
mystérieux.

Parmi les ouvrages philosophiques de Gabriel Marcel, il y a Journal métaphysique


(1927), Être et Avoir (1935), Du refus à l'invocation (1940), Existence et objectivité (1914),
Homo viator (1945).

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 19
CHAPITRE TROISIEME : L’ESSENTIEL DE LA PHILOSOPHIE EN AFRIQUE

3.1.La philosophie africaine selon le père Placide Tempels

3.1.1. Genèse de la pensée de Placide Tempels

Né le 18/02/1906 en Belgique, Frans Tempels prendra le nom de Placide Tempels à


son entrée dans la vie religieuse dans l’Ordre des Frères Mineurs (o.f.m.). Devenu prêtre
missionnaire il sera envoyé au Congo-Kinshasa, précisément au Katanga, pour évangéliser.
Là, il s’intéressera à examiner la thèse, déjà divulguée par certains penseurs occidentaux,
notamment Lévy-Bruhl avec son œuvre la Mentalité primitive, selon laquelle les Noirs n’ont
pas de pensée ou de philosophie. Cette thèse revenait à dire que les Noirs sont dépourvus de la
raison et, par conséquent, ne sont pas des êtres humains.

Pour vérifier cette thèse, Tempels va assister à des palabres, aux cérémonies de
mariage, aux funérailles et aux autres activités chez les Africains, spécialement chez Bantu
auprès de qui il fait son travail d’évangélisation. De là, il va conclure que les Noirs ont leur
philosophie, leur vision du monde, leur manière de concevoir Dieu, la mort, la danse et la
parole. Il dément ainsi la thèse que les Noirs n’ont pas de philosophie et prouve à ses frères
blancs qu’ils se sont trompés en qualifiant les Noirs de primitifs, c’est-à-dire de peuple sans
logique ou sans pensée.

Le premier et principal ouvrage de Placide Tempels est La philosophie Bantoue


(1945)32, destiné non pas aux Noirs avant tout, mais aux Occidentaux. Par cet écrit, Tempels
s’est fait le porte-parole des Noirs. Il voulait faire connaître l’Africain, ou mieux le Noir, aux
Européens. Il décrit, dans son ouvrage, le mode de vie et les discours des Noirs. Il a découvert
et mis en lumière la philosophie bantoue.

3.1.2. Les idées forces de la philosophie bantoue selon Tempels

D’après François-Stéphane KASONGO33 présente les grandes idées de la


philosophie bantoue vue par Tempels peuvent être résumées comme suit :
Comme Selon Jean Marie Van Parys, dans son ouvrage intitulé Une approche
simple de la philosophie africaine, les lignes fondamentales du livre de Tempels peuvent être
résumées comme suit34 :

32
D’autres œuvres de Placide Tempels sont La christianisation des philosophies païennes (1949), Notre
rencontre (1962).
33
François-Stéphane KASONGO, p. 119-120.
34
J.M. VAN PARYS, Une approche simple de la philosophie africaine, Kinshasa, éd. Loyola, 1993, p 41-42.
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1. L’ « être » s’identifie à la « force », en ce sens que la vie et la force ne sont pas des
accidents ( de simples propriétés) de l’être, mais constituent la nature et l’essence même
de l’être. Cela signifie : être = force = vie.
2. Il y a une conception des êtres ou des forces est pyramidale, hiérarchisée. Au sommet de
l’échelle se trouve Dieu, au deuxième niveau les fondateurs du clan (premiers parents), au
3e niveau les défunts de la tribu suivant leur degré d’ancienneté, au 4 e les vivants eux-
mêmes selon la progéniture ou le rang social ; et au 5e niveau, au bas de l’échelle, il y a
les forces inférieures (animales, végétales et minérales).
3. L’être est caractérisé par le dynamisme. Il n’est pas statique et sa tendance normale est
d’accroître ses forces, d’être plus. Et il peut devenir plus fort ou plus faible.
4. Les êtres sont en communion et en interaction. Dans leurs relations, ils peuvent soit se
renforcer, soit se détruire. En ce sens, les forces sont positives ou mauvaises selon
qu’elles renforcent ou anéantissent les autres.
5. La conclusion de Tempels est que les Bantous ont un système de pensée logique de la
même manière que l’esprit des Européens, et une philosophie positive complète fondée
sur une ontologie (conception de l’être) existentielle. Pour eux, la réalité fondamentale
autour de laquelle tout s’organise est la force vitale. Il faut donc les laisser se développer
selon leurs propres normes culturelles, ne pas prétendre réformer leur esprit, mais
s’efforcer, là où il le faut, de les instruire selon leur propre esprit.

3.1.3. Des critiques de la « philosophie bantoue » de Placide Tempels

La pensée de Tempels sur la philosophie bantoue a fait l’objet de nombreuses


critiques.35Les principales parmi celles-ci sont les suivantes :

- Des penseurs africains, dont Alexis Kagame et Vincent Mulago, reprochent à Tempels son
identification de l’être avec la force. Selon eux, la force est, bien sûr, un attribut
fondamental de l’être, mais ne constitue nullement son essence.

- D’autres Africains, tels que le Camerounais Marcien Towa et le béninois Paulin


Hountondji, voient chez Tempels une confusion entre le vécu et le réflexif, entre le sens
vulgaire et le sens informé ou technique du mot « philosophie ». Ils estiment que ce terme
devrait signifier une réflexion explicite, analytique, radicalement critique et autocritique
portant sur l’expérience, les conditions humaines, les significations et les valeurs qu’elle
révèle. Ils jugent que Tempels a fait, non pas de la philosophie au sens strict, mais plutôt
35
François-Stéphane KASONGO, p. 120 ; Jules MAIDIKA, p. 27-30.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 21
de l’ « ethnophilosophie ».36Dans le même sens, le Camerounais Fabien Eboussi Boulaga
voit chez Tempels une philosophie ethnologique.

- Le même Eboussi reproche à Tempels d’avoir fait des généralisations hâtives. Selon lui,
Tempels avait étudié un point minime du Congo et ne devrait pas généraliser ses
observations à tous les Bantous.

- Il y en a, enfin, qui trouvent que Tempels fait de la philosophie bantoue à la place des
Bantous, qu’il présente comme philosophie bantoue sa propre philosophie ou, mieux, sa
vision de la vision bantoue du monde. Dans cette optique, Hountondji pense que les
Africains devraient eux-mêmes discuter entre eux, afin d’instaurer un discours
véritablement propre à eux, sans attendre un quelconque jugement venu d’ailleurs.

En conclusion, Tempels a, comme l’observe Fr.-S. Kasongo, le mérite d’être le précurseur de


la philosophie négro-africaine contemporaine. Toutefois, son œuvre reste celle d’un apprenti
et a été initiée pour un but utilitaire : montrer que si l’on veut évangéliser les Bantous, on doit
connaître leurs visions du monde et l’idéal suprême qu’ils poursuivent.

3.2.Les courants de la philosophie africaine

Selon les Professeurs Nkombe Oleko et Alfonse Smet, les courants de la philosophie
africaine peuvent être rangés comme suit :

3.2.1. Le courant idéologique


Ce courant se caractérise par un effort de recherche philosophique qui intègre la lutte
politique pour un ordre social juste et sans discrimination. Il vise notamment la libération des
Noirs et l’anéantissement des préjugés racistes. A cet effet, ses partisans affirment l’existence
d’une culture propre aux Noirs en termes d’une âme nègre, d’une personnalité africaine, d’une
mystique africaine.
Parmi les doctrines philosophiques qui constituent ce courant, peuvent être cités37:
1) African personality, visant la personnalité africaine qu’il faut conserver devant la menace
extérieure ;
2) Le panafricanisme, centré sur l’unité africaine avec des hommes comme Lumumba.
3) La négritude, focalisée sur l’ensemble des valeurs culturelles de l’Afrique noire, avec
Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor ;

36
L’ethnophilosophie est, selon Hountondji, la reconstruction d’une vision du monde collective et inconsciente,
d’une sagesse informulée sous-jacente aux coutumes d’une ethnie, à ses contes et légendes.
37
Cf. François-Stéphane Kasongo, p. 123-124 ; Jules Maidika.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 22
4) L’humanisme africain, prônant les valeurs humaines et plaçant l’homme comme le centre
de tout ;
5) Le socialisme africain, affirmant le primat de la société sur l’individu, avec Sékou Touré,
Julius Nyerere et Léopold Sédar Senghor. Ce courant, qui s’oppose au capitalisme
caractérisé par l’individualisme ou l’égoïsme, soutient que l’homme n’est rien hors de la
société, laquelle est source de la vie, du développement et fondement du droit.
6) Le consciencisme, prônant la fraternité des Africains comme membres de la même famille
qu’est l’Afrique, soutenu par Kwame Nkrumah et Julius Nyerere ; ce dernier en parlant en
termes de « Ujamaa » ;
7) L’authenticité, préconisée par Mobutu Sese Seko et voulant que l’Africain évite de se
laisser emporter par les valeurs importées et garde jalousement son identité ou son
africanité en retenant les valeurs ancestrales susceptibles de promouvoir l’Africain. D’où
recours et non retour à l’authenticité.

Au sujet de ce courant idéologique, il importe enfin de noter un mérite particulier de


Léopold Sédar Senghor. Ce dernier a fait de la négritude une véritable philosophie
personnelle, consciente et réfléchie, alors que les autres sont restés surtout au niveau de
l’idéologie politique.

3.2.2. Le courant de l’ethnophilosophie

Il s’agit ici du courant de la reconnaissance d’une philosophie africaine traditionnelle.


Le terme « ethnophilosophie » s’y applique, non pas en son sens péjoratif d’une philosophie
vulgaire (cf. Marcien Towa, Paulin Hountondji), mais dans son sens positif : la recherche
d’éléments philosophiques dans les valeurs traditionnelles véhiculées par les proverbes, les
mythes, les contes, les légendes et les coutumes des peuples appelés primitifs. A cet effet, il
s’est appuyé sur des travaux des anthropologues comme Mailhol, Radin et Van der Kerken.
Ayant comme précurseur le père Placide Tempels, ce courant dément les préjugés racistes qui
nient la valeur de la pensée chez lesdits peuples.
Parmi les plus célèbres continuateurs de Tempels et ceux qui ont voulu découvrir une
philosophie sous-jacente à la pensée et à la vie négro-africaine, il y a Alexis Kagame avec ses
œuvres La philosophie bantu-rwandaise de l’être (1956) et La philosophie bantu comparée
(1976). Il croit que la philosophie bantoue, que Tempels a voulu mettre en relief, est
effectivement une philosophie propre à l’Africain, bien qu’elle soit différente de la
philosophie de tous les hommes. Il ne travaille pas, comme Tempels, sur le peuple luba du

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nord du Katanga, mais sur l’aire linguistique bantu. Il analyse, de manière comparée, les
langues bantoues. Il utilise le schéma aristotélicien pour la philosophie bantu.

3.2.3. Le courant « critique »

Né avec la contestation du statut philosophique de l’œuvre de Tempels, ce courant se


caractérise essentiellement par le rejet de l’ethnophilosophie. Ses principaux représentants
sont Paulin Hountondji, Franz Crahay, Fabien Eboussi Boulaga et Marcien Towa. Il s’agit
d’un courant dénie toute valeur aux philosophies « collectives, implicites ou inconscientes ».
Les ténors du courant « critique » reprochent aux « éthnophilosophes » :
- la confusion entre le sens vulgaire et le sens informe du mot « philosophie » ;
- le manque de rigueur dans la méthode en termes d’absence d’instances critiques et
autocritiques ;
- le fait de faire de sa propre philosophie la philosophie des Africains ou d’un groupe
d’Africains ;
- un culte du passé et un oubli des défis actuels38.
Positivement, le courant « critique » a contribué à l’éveil d’une véritable conscience
philosophique et au surgissement d’une pensée personnelle, critique et discursive. Il a
toutefois tort d’avoir préconisé l’obligation, pour les Africains, de recourir nécessairement à
la science et à la philosophie occidentales pour produire des résultats valables, obligation que
François-Stéphane Kasongo qualifie de « néo-assimilationnisme culturel ».

3.2.4. Courant synthétique

Ce courant regroupe les philosophes qui travaillent à l’élaboration d’une pensée


africaine moderne, systématique et critique. Dépassant les limites des autres courants, il
encourage une production philosophique qui prenne en compte les valeurs traditionnelles et
les défis actuels de l’Afrique. Ses ténors prônent une philosophie constructive et pragmatique
qui rencontre l’Africain dans son être profond et son existence concrète. Ce courant connaît
plusieurs orientations telles que l’herméneutique philosophique (avec François Nkombe
Oleko, Benoît Okolo Okonda, Ngoma Binda), la philosophie fonctionnelle, l’histoire de la
philosophie africaine (avec Fr. Nkombe et père Alfons Josef Smet), etc.39

38
M. TOWA, «La philosophie africaine dans le sillage de la négritude », dans Essai sur la problématique
philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, Clé, 1971, p.28.
39
Cf. François-Stéphane Kasongo, p. 126 ; Jules Maidika.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 24
3.3.Quelques thèmes de la pensée bantoue40

3.3.1. La théodicée bantoue

Les qualités divines les plus répandues dans la vision bantoue de Dieu sont :

- la transcendance qui, pour le muntu (l’homme bantou), renvoie à Dieu comme un Etre
Suprême, Principe absolu, l’Existant éternel et source de tout être, tellement éloigné que le
muntu préfère s’adresser plus facilement aux forces intermédiaires ;
- la paternité, à laquelle le muntu accorde une grande importance comme condition d’une
lignée vitale ininterrompue, et dont la source est Dieu, premier « Père de tous nos pères » ;
- la Providence, qui signifie que Dieu est à l’origine de tout bien et qu’il ne peut vouloir que
le bien pour ses créatures.

3.3.2. L’homme et ses relations

Le muntu voit l’univers comme un tout vivant organique, un réseau des relations
vitales. Cette vision a des significations spécifiques pour ses relations avec ses semblables,
avec le cosmos et avec l’au-delà.

1) La solidarité clanique

La fraternité au sens de solidarité clanique est la valeur sociale fondamentale du


muntu, qui se définit par sa famille surtout élargie, c’est-à-dire son clan. Celui-ci est perçu
comme un microcosme de distribution de force vitale depuis l’ancêtre fondateur jusqu’au
dernier né de la lignée, en passant par les défunts, les chefs de clan et la famille restreinte. Le
bien-être du muntu dépend de sa conformité aux lois de la solidarité clanique, laquelle
solidarité ne signifie cependant pas le clanisme ni le chauvinisme. En effet, un muntu
authentique reste ouvert et hospitalier même à l’endroit des étrangers.

2) La fraternité cosmique

Le muntu se sent étroitement lié aux forces visibles et invisibles de l’univers, avec
lesquelles il baigne dans une vitale interaction. Il entretient ses relations avec les autres et
avec la nature par deux moyens privilégiés. Le premier est la danse, par laquelle il entre en
communion avec les autres et avec les forces cosmiques. Ce moyen, loin de se réduire à un
pur divertissement, a d’abord une fonction sociale et exprime le rythme cosmique. Le second
moyen est la parole, qui est sacrée parce qu’elle exprime la vie et la force, accompagne

40
Voir François-Stéphane Kasongo, p. 129-132.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 25
chaque événement de la vie et le sacralise. De cette parole fait partie le nom qu’on attribue à
quelqu’un et qui est considéré comme une parole permanente exprimant l’être et la force que
ce nom représente.

3) La mort et l’au-delà

Le muntu vit une relation spéciale avec l’au-delà où l’on entre par la mort. Pour lui, la
mort n’est ni une diminution ni la fin de la vie. Elle est plutôt un changement de mode de vie,
une libération du corps pour l’entrée dans une hiérarchique supérieure : celle des défunts et
des ancêtres. Le muntu, certes, voit dans la mort une source d’angoisse d’un voyage vers
l’inconnu et un facteur qui crée un vide et diminue la force de la famille. Par contre, l’au-delà
lui paraît comme le « village des ancêtres » sous terre, où la vie est plus ou moins semblable à
celle du monde visible.

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 26
DEUXIEME PARTIE : INTRODUCTION A L’EPISTEMOLOGIE

CHAPITRE PREMIER : SIGNIFICATION ET IMPORTANCE DE L’EPISTEMOLOGIE


1.1.Etymologie et sens large du terme « épistémologie »
Au sens étymologique, « épistémologie » signifie « théorie de la science » (du grec
épistémè = science, savoir ; logos = discours). C’est un discours rationnel sur le savoir. Les
philosophes anglo-saxons y voient le synonyme de « théorie de la connaissance »41.

Au sens large, l’épistémologie coïncide avec la philosophie elle-même et toutes les


deux des quêtes ambitieuses d’un savoir critique. Dans ce sens, André Lalande la définit
comme l’étude critique des principes, des hypothèses et des résultats de diverses sciences,
destinée à déterminer leur origine logique (non psychologique), leur valeur et leur portée
objective ».

1.2.Le problème épistémologique et la scientificité de l’épistémologie


Le problème que l’épistémologie cherche à résoudre est celui de la vérité des
connaissances et de leurs affirmations que le plan scientifique. Par opposition à l’ignorance, le
problème épistémologique est gnoséologique: celui de la connaissance de la vérité en général
et de la vérité inhérente à chaque science en particulier.
En tant que science, l’épistémologie a pour objet spécifique la connaissance humaine
dans la perspective de la vérité scientifique. Et la méthode par laquelle elle aborde son objet
propre est fondamentalement critique, quel que soit le domaine du savoir concerné.

1.3.L’importance des études épistémologiques


L’apprenant en épistémologie tirera de cette discipline de nombreux bénéfices42. Par
exemple, il :
- ne sera pas prisonnier d’une science incohérente et inconsciemment adoptée, mais plutôt
capable de corriger, de systématiser et d’enrichir les opinions à caractère philosophique et
scientifique qu’il rencontre ;
- saura faire la distinction entre le postulat et la déduction, la convention verbale et la
donnée empirique, la chose et ses qualités, l’objet et la connaissance de celle-ci, la vérité
et son critère…;

41
VAN STEENBERGHEN, F., Epistémologie, Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 1965, p. 18.
42
Cf. Cf. BUNGE, M., La science, sa méthode et sa philosophie, p. 70-72.

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 27
- prendra l’habitude d’expliquer ses présupposés et ses hypothèses, d’organiser
systématiquement ses idées et d’épurer son langage, en chercher la cohérence et la clarté ;
- sera un contestataire bien intentionné par la recherche des preuves et des raisons
objectives pour échapper aux risques du le dogmatisme (croire pour croire sans
comprendre) et du subjectivisme (se soi-même considérer comme la mesure de la vérité);
- Il procédera avec vigilance critique sur tout terrain inconnu en poussant le plus loin
possible les exigences de la vérification.

CHAPITRE DEUXIEME : NOTIONS FONDAMENTALES DE LA SCIENCE

2.1. Signification de la science


Cf. Première partie du cours (Notions élémentaires de philosophie), le point n° 1.1.3.1.
consacré au « concept de philosophie ».

2.2.Catégories de sciences dans l’histoire


Il y a eu des classifications variées des sciences au cours de l’histoire, depuis Platon
jusqu’à l’époque contemporaine. Nous pouvons retenir celles de Jean Ladrière43,
épistémologue belge, et de Mario Bunge, épistémologue argentin.

2.2.1. La classification de Jean Ladrière:


1) Les sciences formelles pures, que sont notamment les mathématiques et la logique
formalisée, qui construisent elles-mêmes leur objet, celui-ci n’étant pas livré tel quel dans la
nature. Ces sciences portent sur des formules ou idées produites par des études de systèmes
abstraits (tels que des axiomes, les règles de déduction ou de réduction, la démonstration…).
2) Les sciences empirico-formelles, notamment la physique, la chimie et les autres sciences
naturelles. Sur le plan de la méthode, elles comportent deux composantes corrélatives : d’une
part, elles appliquent l’expérimentation aux réalités empiriques (composante expérimentale) ;
et d’autre part, la théorisation mathématique (composante théorico-mathématique).
3) Les sciences herméneutiques, qui s’occupent des événements et des comportements
humains, y compris les documents impliquant l’homme, dans le but d’en saisir les
significations par l’interprétation-compréhension. Il s’agit des sciences humaines et sociales,
auxquelles nous pouvons ajouter la théologie.

43
Cf. DIMANDJA, E. K., C., La problématique de la scientificité, p. 27-43.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 28
2.2.2. La classification de Mario Bunge
Cet auteur distingue deux catégories des sciences de par leurs objets et méthodes
respectifs:
1) Les sciences formelles, telles que les mathématiques et la logique, dont les objets sont des
formes abstraites. Ce sont des sciences qui, par un processus rationnel, veulent démontrer ou
prouver définitivement. A elles recourent plusieurs autres sciences (comme la physique, la
chimie, la physiologie, la psychologie, l’économie, etc.).
2) Les sciences factuelles, qui se réfèrent aux événements, aux processus, aux faits
empiriques, sur base de l’observation et de l’expérimentation. Elles travaillent pour vérifier de
manière incomplète (confirment ou infirment des hypothèses qui, en général, sont provisoires)

2.3. Notion de connaissance


Connaître, c’est « naître avec » (« co-naître») : naître avec les choses ou les personnes,
c’est naître aux choses ou aux personnes, c’est exister avec les choses avec les personnes,
c’est participer à leur être, épouser leurs formes, vivre leurs qualités, vibrer à leurs longueurs
d’onde, s’adapter à leurs rythmes, capter leurs messages, comprendre leurs significations.
La connaissance constitue pour le sujet connaissant une véritable richesse et une
perfection. Elle lui apporte un plus et modifie sa manière de vivre avec soi-même, avec les
choses et avec les autres. Elle le libère de l’esclavage et des risques de l’ignorance, qui est à la
base de beaucoup de misères de l’humanité.
L’acte de connaître comporte en l’homme un ensemble complexe d’opérations. Pour
cette raison, il exige que l’on soit vraiment critique pour sauvegarder le sens spécifique de ces
opérations et en soigner chacune afin de garantir la qualité des connaissances qui en
résulteront. En effet, la médiocrité d’une des opérations peut gâcher le résultat final de tout le
processus en faussant la connaissance produite.
La recherche de la connaissance a des exigences pour le sujet connaissant et l’objet à
connaître. Le sujet connaissant a intérêt à être conscient de son acte et de lui-même au
moment où il connaît autre chose que lui. Cela lui permettra de se rendre les choses présentes,
de se mettre vraiment en relation avec elles et de se les approprier.
Quant l’objet à connaître, il doit être bien perceptible, structuré, déterminé de telle
manière qu’il soit bien appréhendé par le sujet connaissant. Car les choses mal perçues ou «
désordonnées » demeurent inconnaissables ou difficilement connaissables.

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CHAPITRE III : LA QUESTION DE VERITE
3.0. Le sens de la question
Le problème de la vérité est fondamental pour l’épistémologie en particulier. La
vérité, en effet, est la préoccupation centrale de cette discipline scientifique. Et d’emblée, il
importe de signaler la confusion que le langage courant opère entre « vérité » et «réalité »,
alors que la réalité ou le réel est ce qui existe indépendamment du sujet connaissant, alors que
la vérité est une propriété de l’intellect qui ne se situe que dans le jugement et l’esprit dudit
sujet.

3.1. Critères de la vérité


La question des critères de la vérité est celle de sa définition concernant laquelle il y a
plusieurs considérations que nous présentons ci-dessous sous la forme interrogative.

3.1.1. La vérité signifie-t-elle l’évidence ?


Il existe des penseurs qui considèrent l’évidence comme critère de la vérité. Pour eux,
est vrai ce qui est hors de tout doute, qui est perçu avec une clarté nette, ce qui est certain.
L’évidence ou la certitude est, certes, importante comme signe de la vérité. Elle ne
peut, cependant suffire à elle seule comme critère de la vérité, car elle peut être déformée par
des facteurs subjectifs tels que les traditions, les habitudes, les passions, les préjugés, les
opinions, etc. Ainsi, l’évidence n’est pas toujours objective ; car la subjectivité peut fausser la
perception de la réalité.

3.1.2. La copie de la réalité ?


Ici, la vérité est définie comme une représentation ou une image de la réalité ? Il s’agit
de l’affirmation de la ressemblance entre une pensée et la réalité à laquelle elle se rapporte.
Pourtant cette ressemblance peut être fortuite, un hasard, une simple impression, qui
ne devrait servir que d’hypothèse. En effet, le jugement vrai ou une vérité scientifique est, en
réalité, une reconstruction intelligible du réel grâce au maniement approprié de divers
instruments, d’hypothèses (lois) et de stratégies ou méthodes), et non un simple reflet passif.

3.1.3. Le succès ?
Il s’agit d’une conception pragmatiste de la vérité qui soutient que le seul critère de la
vérité, c’est le succès : est vrai ce qui réussit, quels que soient les moyens utilisés pour
atteindre ce résultat. Ici la prééminence est accordée à l’action. Avec Nicolas Machiavel, on
dirait que c’est la fin qui justifie les moyens.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 30
Une telle conception a plusieurs conséquences redoutables. Par exemple :
- La pensée (la théorie) est au service de l’action, en tant qu’outil de la pratique : l’idée
vraie, c’est celle qui paie mieux, celle qui est avantageuse de n’importe quelle manière ;
- Une croyance politique est vraie si elle tranquillise ma conscience même lorsque je
pratique de graves antivaleurs ;
- Une religion est vraie si elle est consolante, si elle permet de m’améliorer moralement, ou
même si elle me fait supporter n’importe quoi.
Le vice essentiel du pragmatisme consiste à enlever toute signification au mot vérité
pour soutenir certaines vérités ayant rapport directe avec l’existence pratique, à tel point que
même l’erreur peut devenir une pseudo-vérité pratique. Il définit la vérité par rapport à
l’action. Et pourtant, la vérité est d’ordre théorique ; elle est un bien propre de l’intelligence
en tant que perfection de la connaissance qui s’achève dans l’intelligence, sans que rien
d’autre, rien de plus, soit à chercher sur ce plan.

3.1.4. La vérité est-elle la conformité de la pensée à la réalité ?


Oui ! En effet, dans sa conception classique, la vérité est de l’ordre théorique ; elle est
une propriété de l’intelligence, du jugement. Comme l’affirme Thomas d’Aquin : « La vérité
de l’intelligence consiste dans l’adéquation de cet intellect et de la chose, selon que celui-ci
prononce qu’existe ce qui est, ou n’existe pas ce qui n’est pas ». 44
Ainsi, comme propriété de l’intelligence et qualité du jugement, la vérité, a son fondement
dernier dans la réalité : elle traduit toujours la conformité de l’énoncé à la chose, laquelle
conformité s’enracine dans la correspondance de la chose à son essence.45

3.2. Sortes de vérité


3.2.1. La vérité philosophique
La philosophie a comme l’objectif fondamental vérité, qu’elle recherche
passionnément. Pour elle, comme propriété de la raison, la vérité comme propriété de la
raison s’exprime dans le langage et la réalité46.
En philosophie, le mot « vérité » s’utilise dans deux sens :
- pour se référer à une proposition, dans laquelle le vrai est le contraire de faux ;

44
En latin : « Adaequatiointellectus et reisecundum quod intellectusdicit esse quod est, vel non est quod non est
». THOMAS D’AQUIN, Contra Gentiles, I, 59, Paris, P. Lethielleux, 1961.
45
RESWEBER, J.P., La pensée de Martin Heidegger, Toulouse, Privat, 1971, p. 105.
46
Cf. LADRIERE, J., Les enjeux de la rationalité. Le défi de la science et de la technologie aux cultures, Mayence,
Aubier-Montaigne/UNESCO, 1977, p. 13.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 31
- et pour se référer à une réalité, par rapport à laquelle le vrai est l’opposé d’apparent ou
d’illusoire.

3.2.2. La vérité mathématique


Les mathématiques, qui sont indépendantes de faits concrets dont traitent les sciences
de la nature, théorisent la vérité comme cette correspondance logique (cohérence logique)
qu’a un théorème ou une proposition avec le système d’axiomes hypothético-déductifs
(postulats, définitions, lois ou formules, etc.) préalablement posés et admis. Pour elles, la
vérité doit satisfaire exclusivement à l’exigence de cohérence interne, et réside « uniquement
dans la déduction logique à partir des prémisses posées arbitrairement par les axiomes »47.
C’est dire que la vérité mathématique est formelle48, parce que son objet n’est pas factuel.
3.2.3. La vérité scientifique
Ici, il s’agit précisément des sciences factuelles, qui ont pour objet les faits empiriques.
Pour elles, la vérité scientifique ou expérimentale est celle liée à ce qui apparaît, et qui
s’obtient après expérience ou vérification (analyse) et explication basées sur la réalité
concrète et grâce à une construction de l’esprit. Le critère fondamental de leur vérité est la
vérifiabilité : est vrai ce qui est vérifiable.
3.2.4. La vérité dans les sciences de l’homme
Portant sur l’expérience humaine globale, les sciences humaines recherchent un autre
type de vérité enraciné dans les « états vécus » (sentiments, sensations, etc.). Ceux-ci sont, à
cet effet, abordés grâce à l’intuition, à la perception, à l’intelligence interprétative (en tant que
théorie herméneutique du comprendre). Et cette approche aboutit à des conclusions crédibles
et défendables.
3.2.5. La vérité théologique
La vérité théologique ou religieuse est de l’ordre de la foi comme complément
qualitatif de la contemplation de la vérité révélée à travers les textes sacrés des religions et
l’univers. Pour y accéder, l’homme doit s’ouvrir à des mystères qui le dépassent et se
rapportent à la Vérité qu’est l’Etre suprême ou Dieu. Et dans la recherche de connaissance sur
cette Vérité, il est confronté à sa propre petitesse qui, loin de le pousser à la démission,
l’invite à l’humilité dans sa démarche.

47
Cette approche de la vérité est de Nicolas BOURBAKI, mathématicien du XXè siècle. Lire Denis HUISMAN,
Dictionnaire des philosophes, p. 284-285.
48
Cf. CUVILLIER, Textes choisis des auteurs philosophiques, p. 55-66.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 32
CHAPITRE IV : COURANTS EPISTEMOLOGIQUES MAJEURS
4.1. Le scepticisme
Le scepticisme est « la doctrine d’après laquelle l’esprit humain ne peut atteindre avec
certitude aucune vérité »49. Ses partisans soutiennent que dans la recherche de connaissances,
il faut s’en tenir aux apparences et impressions, plutôt que de s’adonner à porter des
jugements absolus (rationnels) sur la nature des choses ou leur utilité. Contrairement au doute
méthodique cartésien, qui est provisoire et vise la connaissance du vrai, le doute sceptique est
plutôt une conclusion et non pas un départ de la connaissance.
Les motifs (raisons) du scepticisme sont les suivants :
1) Les sceptiques ont une peur prononcée de l’erreur (surtout des sens), des rêves, des
hallucinations, de l’ivresse, de la folie, qu’ils considèrent comme très nuisibles au
jugement vrai ;
2) En voyant les contradictions des philosophes et des opinions humaines, ils concluent que
les hommes ne sont d’accord sur aucun sujet et donc incapables de produire des
connaissances vraies ;
3) Ils soulignent la relativité de la connaissance : celle-ci dépend surtout du sujet
connaissant, qui est la mesure de toutes choses et pour qui aucune chose n’est
connaissable en elle-même.

4.2. L’idéalisme
Ce courant, qui exalte les idées par-dessus tout, conteste la définition classique selon
laquelle la vérité consiste dans l’accord de l’intelligence avec le réel. Il a pour principe la
conviction qu’il est impossible à la pensée d’atteindre un objet extérieur à elle, comme si une
conscience ne pouvait que partir d’elle-même et aboutir à elle-même.
Il considère que l’activité rationnelle est un développement nécessaire des catégories, une
tâche purement conceptuelle ou notionnelle, et que l’intelligence construit l’objet qui n’a
aucune valeur en dehors du jugement. De la sorte, la connaissance est, pour l’idéalisme, une
activité créatrice de l’esprit dans le jugement, et la totalité de l’être est ramenée à la pensée.

4.3. Le realisme
Le réalisme soutient que les modèles scientifiques sont des approximations d'une
réalité objective qui existe indépendamment de l'observateur. En outre, il reconnaît la
complémentarité des différentes approches.

49
LALANDE, A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 949-950.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 33
4.4. Le rationalisme (17e siècle)
Ce courant épistémologique soutient que « toute connaissance valide provient soit
exclusivement, soit essentiellement de l'usage de la raison »50 et accorde la primauté aux
idées. Il privilégie le raisonnement en général et plus particulièrement le raisonnement
déductif (ou analytique) qui va de l'abstrait vers le concret comme mécanisme de production
de connaissances.
Pour ce qui est de la méthode, les rationalistes excluent l'expérimentation du
mécanisme de production de nouvelles connaissances. Et s’il est question de recourir à ce
procédé, celui-ci pourra servir tout au plus à vérifier ce qui a été déduit. Pour les rationalistes,
l'ensemble de tous les raisonnements possibles englobe nécessairement l'ensemble de toutes
les expériences possibles et la raison seule suffit pour séparer les expériences possibles dans
la réalité de celles qui ne sont possibles que dans l'imagination.
À l'intérieur du courant rationaliste, on distingue, entre autres :
- le platonisme qui croit, selon Barreau51, « à une harmonie inhérente à la nature qui se
réfléchit elle-même dans nos esprits »,
- le criticisme de Kant (1724-1804) qui considère que la connaissance dépend de structures
inscrites a priori dans l'esprit humain qui rendent possible la perception de la réalité.
Le rationalisme, positivement, nous indique l'importance du raisonnement, ce qui ne
doit nullement nous pousser à vanter celui-ci au détriment de l'expérience.

4.5. L’Empirisme (18e siècle)


Radicalement opposé au rationalisme, l'empirisme propose que toute connaissance
provient essentiellement de l'expérience. Il considère que les sciences progressent en
accumulant des observations dont on peut extraire des lois par un raisonnement inductif ou
synthétique qui va du concret vers l'abstrait. Pour les empiristes, les observations permettent
de rendre compte de la réalité.
Ils excluent la déduction comme méthode scientifique dominante, laquelle ne serait
qu'une étape temporaire permettant de faire une hypothèse ou servant à simplifier la
description de l'ensemble des observations réalisées par les scientifiques à une époque
donnée. Et si le raisonnement peut intervenir, c’est uniquement dans le but de produire des
idées qui permettront de faire de nouvelles expériences. On privilégie donc un raisonnement
créatif plutôt que rigoureux.

50
Cf. Dictionnaire actuel de l’éducation, 1994, p. 1003 ; LALANDE, A., Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, p. 889-890.
51
Cf. BARREAU, H., L’épistémologie, Paris, PUF, 1995, p. 50.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 34
À l'intérieur du courant empirique, on distingue :
- le matérialisme qui propose que tout ce qui n'est pas une expérience matérielle directe
n'existe pas,
- le sensualisme qui propose que toutes les connaissances proviennent des sensations et
- l'instrumentalisme, qui propose que toute théorie est un outil, un instrument pour l'action
et qu'elle ne nous apprend rien sur la nature de la réalité.
L’empirisme a le mérite de montrer l'importance de l'expérimentation dans le but de
mettre en évidence des lois approximatives ou de vérifier des hypothèses. Et à cet effet, il
nous faut chercher à découvrir les expériences cruciales à comprendre, à reproduire et à
maîtriser. Ce courant a toutefois tort de sous-estimer le raisonnement et la déduction.

4.6. Le positivisme (19e siècle)

S’inspirant de l'empirisme, le positivisme s'inspire s'en tient aux seuls faits


d'observation. Il reconnaît toutefois l'importance du raisonnement en ajoutant que les sciences
s'efforcent, en utilisant la mathématisation, de relier entre elles de façon aussi simple que
possible les données expérimentales52. Les positivistes insistent sur la rigueur du
raisonnement inductif qui permet de passer des faits aux hypothèses. En outre, cette école
considère que « la science décrit le comment des choses sans rien pouvoir dire de leur
pourquoi »53.

4.7. Le constructivisme (20e siècle)


L'école constructiviste n'accepte comme vrai que ce que l'on peut construire (en un
nombre fini d'étapes) à partir d'idées que l'intuition accepte comme vraies. En insistant sur le
caractère hautement construit des connaissances en général et des connaissances scientifiques
en particulier, elle remet en question la possibilité de toujours obtenir des relations objectives
sur lesquelles baser les sciences.
En renonçant à l'objectivité, les constructivistes ils considèrent la connaissance
scientifique au même titre que n'importe quelle autre connaissance et proposent que les
sciences construisent (plutôt que révèlent) une réalité possible à partir d'expériences
cognitives successives. Par ailleurs, ils constructivistes ne rejettent pas l'existence d'une réalité
ultime, mais ils affirment qu'on ne peut pas la connaître.

52
Cf. BEGIN, R., Conception de la science, p. 12.
53
Cf. Le Dictionnaire actuel de l’éducation, p. 1003.

E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 35
Selon le constructivisme, le caractère arbitraire ou subjectif des modèles scientifiques
est important pour la construction de nos connaissances, sur base de l'expérimentation qui ne
sert qu'à vérifier la cohérence interne de la construction.

4.8. Le relativisme (21è siècle)


Le relativisme est une forme moderne du scepticisme et de la sophistique anciens.
Dans ce courant, l’existentialisme athée et le matérialisme historique tendent à contester la
valeur absolue de la vérité. Pour l’un, la raison est esclave des « situations » particulières et
contingentes ; tandis qu’elle est, pour l’autre, soumise aux conditions variables de l’évolution
historique et sociale. La vérité est, de la sorte, considérée comme l’œuvre de l’homme
créateur. Elle ne consiste pas dans la conformité de la pensée au réel, mais elle est une
adaptation qui s’opère « par l’accord de la réalité créée avec le projet et l’intention
axiologique » : l’homme est à l’origine et au terme des valeurs. Les valeurs (vrai, bien,
beau…) et les connaissances ainsi élaborées restent historiques, fallacieuses et toujours
conventionnelles, puisqu’elles sont subjectives : œuvres du sujet connaissant et agissant 54.

54
POLIN, R., La création des valeurs, Paris, PUF, 1944, p. 296-298.
E.N. KODJO – Cours de Philo, Epist. et Morale –USB G1 FAG ET MED – 2020-2021 Page 36
TROISIEME PARTIE : ELEMENTS DE MORALE PHILOSOPHIQUE

Au cœur de la morale se trouve la question du bien, précisément celle du bien à faire.


Ce bien, que les humains et leurs différents groupes comprennent et cultivent à leurs
manièrent, mérite des approches scientifiques qui puissent contribuer à le promouvoir
toujours davantage. Telle est, dans le cadre de ce cours, la raison d’être essentielle de la
philosophie morale qui se veut une science du bien.

CHAPITRE I: LA SPECIFICITE DE L’ETHIQUE COMME SCIENCE DE LA MORALE

1.1.Clarification terminologique sur l’objet du cours

1.1.1. Les termes « morale » et « mœurs »


Etroitement liés entre eux, les termes « morale » et « mœurs »55 viennent tous du
même mot latin mores. Le premier renvoie aux coutumes plus ou moins institutionnalisés
d’un peuple ; tandis que le second (« mœurs ») renvoie aux manières et au comportement
individuel. Sous l’angle étymologique, la morale est donc collective, communautaire ; tandis
que les mœurs sont individuelles.
Au-delà de la nuance susmentionnée, tous les deux vocables, couramment fusionnés
dans le premier (« morale »),se rapportent à un cadre de référence pour le comportement à
l’égard d’autrui, de la nature et de soi-même. Dans ce sens, la morale définit comme
l’ensemble des prescriptions admises à une époque et dans une société déterminées, l’effort
pour se conformer à ces prescriptions, l’exhortation à les suivre.56
La morale est acquise à travers la croissance et l’éducation dans un milieu déterminé,
par l’imitation des comportements donnés en exemples, la reconnaissance de symboles
directeurs, l’approbation et la désapprobation. Elle est ensuite renforcée par habituation
personnelle.

1.1.2. Le vocable « éthique »


Le terme « éthique » vient du mot grec éthos, qui signifie : lieu coutumier, coutume,
caractère. Il se rapporte au comportement humain pour ainsi rejoindre le concept de morale,
avec lequel il partage comme objet la régulation de la conduite humaine. Dans le
développement du savoir, le mot a gagné deux grandes significations.

55
Voir Otfried HÖFFE, « Morale et mœurs », dans Otfried HÖFFE (éd.), Dictionnaire de Morale, Paris, Cerf,
1983, p. 129-130.
56
D. CORNU, L’éthique de l’information, p. 5. L’auteur cite A. LALANDE (éd.), Vocabulaire technique et
critique de la philosophie, Paris, PUF, 8e éd., 1960, pp. 305-306.
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1) L’éthique comme science
Depuis et avec Aristote, l’éthique s’est développée comme science de la morale qui
traite de la moralité des actes humains, plus précisément la discipline philosophique de l’éthos
ou de la morale (philosophia moralis). Dans cette optique, la morale se présente non pas
comme science mais comme l’objet de l’éthique, caractérisée alors par une exigence de
systématisation et d’appréciation critique pour la distinction du bien et du mal.57
Par ailleurs, il faut noter que l’éthique comme science n’est pas exclusivement
philosophique, menée par la raison seule. Elle peut aussi, par exemple, se servir des repères
religieux puisés dans la foi en Dieu, cas dans lequel on parlera de l’éthique théologique ou de
la théologie morale. Et sur ce point, il est à signaler que c’est la tradition des Eglises de la
Réforme qui a retenu le terme d’éthique, tandis la tradition catholique a gardé principalement
celui de théologie morale, tous les deux désignant la même réalité.
L’éthique comme étude (philosophique ou théologique) de la morale peut, selon
l’approche utilisée, prendre trois formes. Elle peut, en effet, être :
a. descriptive ou empirique, lorsqu’elle cherche à décrire les différents phénomènes de la
vie morale, à les expliquer et éventuellement à en tirer une théorie empirique générale du
comportement humain58 ;
b. de la méta éthique, s’occupant d’analyser et de comprendre les données de la morale dans
leurs formes linguistiques et suivant la logique formelle, en évitant le plus possible le
jugement de valeur sur celles-ci;
c. normative, qui s’adonne à un examen critique des régulations morales existantes en vue
de définir des normes à observer pour l’action juste.59

2) L’éthique comme orientation existentielle


L’éthique signifie le système de principes réfléchis et conscients qui régissent ou
doivent régir les comportements humains dans un groupe déterminé, dans un domaine de la
vie ou d’activité ou chez un individu. C’est dans ce sens que, pour un groupe, on parlera, par
exemple, de l’éthique sociale, professionnelle, médicale, politique, économique …
Mais sur ce point, il importe de signaler courant de pensée qui veut que le concept
«éthique » soit appliqué aux convictions et options morales individuelles seulement et non à

57
Cf. Ibid.
58
L’éthique descriptive ou empirique recourt davantage à l’histoire et aux sciences humaines comme
l’ethnologie, la psychologie et la sociologie.
59
O. HÖFFE, «Morale et mœurs », p. 61.
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des groupes. Ici s’inscrivent Jacqueline Russ et Clotilde Leguil, qui affirment : « L’éthique
renvoie chacun à son propre choix, à partir de sa propre conscience.»60
Notons enfin la préférence moderne pour le mot « éthique » par rapport à la morale.
Jean-Louis Bruguès l’exprime en ces termes: « De nos jours, le mot de ‘morale’ est
singulièrement dévalorisé ; il évoque l’univers des contraintes et du sur-moi de l’enfance ; il
fait penser aux leçons que l’on s’administre les uns les autres et aux conflits qui en découlent.
On le remplace donc volontiers par celui d’éthique»61

1.2. Les actes humains comme objet de l’éthique

1.2.1. La spécificité des actes humains


L’éthique comme science a comme objet matériel l’agir humain. Son objet formel,
cependant, se réduit aux actes vraiment humains que le sujet peut poser. Un acte humain
(actus humanus) au sens « technique » du terme, c’est désigne un acte dont l’homme est
réellement maître et père, un acte vraiment libre qui est le fruit conjugué de deux facultés
supérieures de la personne humaine : l’intelligence (l’intellect ou la raison) et la volonté.

1) L’intelligence
L’intelligence a pour rôle de connaitre et de comprendre les réalités impliquées dans
un acte envisagé ou déjà posé. En cela, sa fonction concerne la dimension objective de l’acte
humain, c’est-à-dire ce qui est fait ou à faire sous es différents aspects.
Pour bien jouer son rôle, l’intellect a essentiellement besoin de la qualité appelée
advertance, qui désigne l’attention appliquée à l’acte à poser. A cette qualité s’opposent deux
défauts principaux : l’inadvertance, manque d’attention actuelle (sur cet acte déterminé), et
l’ignorance dans le sens de manque habituel d’attention au-delà d’un acte précis.
2) La volonté
La volonté est le pouvoir de se déterminer soi-même, sans subir une contrainte
quelconque, et de se diriger vers une fin appréhendée par l’intellect pratique. Son travail se
réalise dans le sujet en mouvement vers la fin, c’est-à-dire l’acte que la personne a choisi de
poser après le discernement de son intellect. C’est à cette condition que l’on peut parler d’un
acte vraiment volontaire.

60
J. RUSS et Cl. LEGUIL, La pensée éthique contemporaine, p. 4.
61
BRUGUES, p. 162.
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Notons qu’il y a deux sortes d’actes volontaires. La première est l’acte volontaire
direct, qui désigne l’effet immédiatement voulu en lui-même et tout moyen immédiatement
voulu pour le produire. Exemple : décider de tuer son ennemi (fin visée) et tirer sur lui
(moyen).
La seconde sorte consiste dans l’acte volontaire dans sa cause, qui est la conséquence
logiquement ou habituellement prévisible d’une action projetée, mais que l’agent n’a
sciemment pas empêchée ou évitée. La notion d’ « acte volontaire dans sa cause » élargit la
responsabilité de celui-ci à tous ceux qui ont contribué à le produire, donnant ainsi lieu à
différents Cet acte peut avoir plusieurs types d’auteurs dans un acte donné, par exemple :
auteurs intellectuels, politiques, psychologiques, spirituels, économiques, exécutifs, etc.
Il existe des facteurs qui entravent le fonctionnement normal de la volonté dans l’agir
humain. Parmi eux il y a les passions, la violence, la crainte, les habitudes (surtout les
mauvaises), certaines maladies mentales. Le sujet a besoin d’apprendre à dominer e telles
réalités ou d’en guérir, afin que sa volonté puisse pleinement jouer son rôle un agir humain
vraiment libre.

1.2.2. Les principes ou sources de la moralité d’un acte humain


Les principes ou sources de la moralité de l’acte humain sont les aspects qui sont à
considérer dans celui-ci pour son évaluation morale. Il s’agit de l’objet de l’acte, de ces
circonstances et de son intention.
1) L’objet de l’acte
L’objet de l’acte désigne son contenu objectif, ce en quoi l’acte consiste. Des
exemples en sont : ravir le bien de quelqu’un, barrer une route, frapper une personne, danser,
jouer, siffloter. Du point de vue moral, l’objet d’un acte peut être bon, mauvais ou indifférent.
2) Les circonstances
Par circonstances de l’acte sont les conditions qui ont fortement joué dans la
commission de l’acte et nécessitent d’être prises en considération dans l’appréciation de celui-
ci. Les circonstances de l’acte peuvent porter sur trois aspects :
a. La nature ou la qualité de la personne ou de la chose sur laquelle l’acte a porté, par
exemple : un objet sacré volé, le genre de film regardé, l’âge ou l’état civil d’une victime
de viol, le type de punition administrée à un fautif, etc.
b. L’agent, dont la condition personnelle peut déterminer la bonté ou l’immoralité de son
acte. Par exemple, un acte peut être indifférent quand il est posé par un enfant, alors qu’il
sera moralement bon ou mauvais lorsqu’il vient d’un adulte ; ou une personne peut se

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permettre envers son enfant ou son conjoint des actes qu’il ne doit poser envers d’autres
personnes, etc.
c. Les modalités de l’acte en ce qui concerne le moment, le lieu et la manière de l’action. La
qualité morale d’un acte peut dépendre des circonstances de temps, de lieu et de manière
qui le portent.

3) L’intention
L’intention d’un acte humain signifie la fin (visée) poursuivie par le sujet en posant
l’acte. Il suffit que l’intention soit mauvaise pour que l’acte soit moralement mauvais. Un acte
produit avec une intention immorale (mauvaise), même s’il est extérieurement perçu comme
bon, ne peut être moralement mis à l’actif de son auteur. Par contre, une intention bonne ne
suffit pas pour la bonté de l’acte qui en découle : une intention bonne peut produire aussi bien
des actes bons que des actes moralement irrecevables.

CHAPITRE II: CRITERES DE LA MORALITE DES ACTES HUMAINS


2.1. Le bien comme principe moral fondamental
2.1.1. Le concept de bien moral en général
Le principe éthique fondamental est que le bien doit être poursuivi et fait, et le mal
évité. Cela veut dire qu’il faut poser des actes bons et éviter les actes mauvais. Dès lors, que
signifie « poser des actes bons » ou « faire le bien » ? La réponse à cette question est
déterminée par la vision que l’on a de l’homme, du but ultime de sa vie et des valeurs à vivre
dans le sens de ce but. Un acte ou un comportement bon est, par conséquent celui qui
s’accorde à ces valeurs.

2.1.2. Les fondements des valeurs morales


Les valeurs morales peuvent, à travers les visions de l’homme qui les engendrent,
avoir une origine soit interne au sujet, soit extérieure à celui-ci. Cela donne lieu à deux types
principaux d’éthique.
1) L’éthique autonome
L’éthique autonome considère que l’intelligence humaine à elle seule est suffisante
pour définir les normes devant régir la conduite humaine. Kant, une des grandes figures de
cette autonomie, va jusqu’à individualiser celle-ci. En effet, au lieu de parler de la raison
humaine en général, il soutient que les motifs pour lesquels chacun agit moralement doivent

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être tout à fait personnels et issus de sa propre délibération, plutôt que de lui être imposés de
l’intérieur.

2) L’éthique hétéronome
Pour l’éthique hétéronome, les valeurs ont leurs sources en dehors de l’homme,
notamment dans la nature, la société et Dieu. Cela se présente de la manière suivante :
- La nature, avec ses lois, est considérée par certains comme suffisante pour orienter ou
justifier les comportements humains, de telle sorte qu’est bon un acte qui obéit à une loi
de la nature;
- Pour ceux qui privilégient comme la société comme fondement de la moralité, est bon ce
qui est autorisé par la société, c’est-à-dire à ses traditions, à ses lois et coutumes ;
- Dieu est, lui aussi, considéré beaucoup d’hommes, surtout des croyants, comme source
incontournable, voire principale et même exclusive des valeurs morales ; ce qui implique
qu’un comportement bon est celui qui est conforme à la volonté de Dieu.

3) Remarques sur l’autonomie et l’hétéronomie


Chacun des deux types d’éthique avec chacune de ses sources est significatif, mais
doit être considéré à sa juste valeur. En effet, sans la raison, l’éthique serait irréfléchie ; en
faisant fi de la nature humaine, elle serait désincarnée ; sans la référence à la société, elle
raterait la dimension sociale de l’être humain ; et sans Dieu, elle manquerait le sens le plus
profond de toute démarche humaine.
Par ailleurs, les limites de la raison humaine, le caractère sauvage de la nature, les
dangers d’aveuglement collectif ainsi que la consistance de la sagesse divine, doivent être pris
en compte dans une axiologie qui se veut consistante. Cela signifie qu’une éthique qui se veut
vraiment digne de l’homme et constructive pour lui, doit être à la fois rationnelle,
relationnelle et ouverte à la Transcendance.

2.2. La conscience morale


2.2.1. Signification et fonction de la conscience morale
Le terme « conscience » vient du latin conscientia, juxtaposition de deux mots latins :
cum (avec) et scientia (science) du verbe scire(savoir). La conscience morale est la
détermination de la valeur d’un acte en fonction d’une échelle de valeurs, permettant de dire
qu’il est bon ou mauvais, en vue de la destinée de l’homme.

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La conscience joue le rôle de guide moral intérieur qui approuve ou désapprouve la
conduite, d’autorité morale intérieure qui nous juge et nous guide. Elle est la norme subjective
du bien aux côtés de la loi morale, qui est la norme objective. La conscience morale se
distingue de la conscience psychologique, qui désigne la saisie immédiate que la personne a
de son état ou de son action du moment.

2.2.2. Les qualités principales requises pour la conscience morale


1) La véracité
L’idéal est que la conscience morale soit vraie, c’est-à-dire régie par les vérités
morales. Celles-ci sont objectives en ce sens qu’elles ne sont pas conçues ou créées par la
conscience morale. Son travail consiste à adhérer à la vérité morale qui peut exister
indépendamment d’elle et dont la source première lui est extérieure et transcendante.
2) La droiture et la bonne foi
La conscience est droite ou pure lorsqu’elle porte une volonté constante de persévérer
dans le bien. A la droiture de la conscience est étroitement liée la bonne foi, qualité de la
personne qui, dans son dire ou dans son action, suit le jugement de la raison, dans la
cohérence avec sa perception de la vérité. Dans le parler, comme le précise André Comte-
Sponville, l’homme de bonne foi est celui qui dit ce qu’il ce qu’il croit.62
3) La certitude
Mérite aussi d’être suivie une conscience certaine : celle qui juge de manière ferme
sans avoir de raison de craindre une erreur quelconque. Pour parler de certitude morale, il
suffit donc que toute peur raisonnable d’erreur soit exclue. Cette certitude recommande
l’obéissance à cette conscience même si, par hasard, il y avait une erreur qui échappe au sujet,
laquelle erreur ne serait alors pas de mauvaise foi et serait, de la sorte, non coupable.

2.2.3. L’obligation d’obéir à sa conscience


Toute personne doit pouvoir librement obéir à sa conscience et personne ne devrait
être contraint d’agir contre celle-ci. Cette liberté, cependant, n’équivaut pas à une autonomie
absolue de cette dernière. En effet, la conscience, d’une part, ne se donne pas sa propre règle
et, d’autre part, elle reste liée par le bien dans ses exigences objectives. En outre, elle n’est
une sécurité pour le sujet que si elles a les qualités requises, notamment la véracité, la
droiture, la bonne foi et la certitude.

62
A. COMTE-SPONVILLE, Petit traité des grandes vertus, pp. 256-257.
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2.2.4. La formation de la conscience morale
Sans la conscience, il n’y a pas de personnalité morale. C’est en effet à travers la
conscience que l’homme prend la responsabilité personnelle de ses actes pour les orienter vers
son bonheur et pour les évaluer après coup. Selon sa qualité, la conscience peut conduire
l’homme vers sa vraie fin ultime ou l’en éloigner. Aussi l’obligation et le droit de suivre notre
conscience impliquent la nécessité de la former soigneusement pour en faire un guide
intérieur efficace et fiable.
La formation de la conscience se fera essentiellement à travers la recherche de la vérité
par notre intellect et la conversion continuelle de notre volonté à celle-ci. Elle consiste
précisément dans l’éducation aux vraies valeurs morales; tâche qui incombe aux individus, à
la société et, pour les croyants, à leurs communautés de foi.

CHAPITRE III : QUELQUES COURANTS ETHIQUES CELEBRES DE


L’HISTOIRE
3.1. L’épicurisme

L'épicurisme est la doctrine fondée à Athènes par le philosophe grec Épicure (341-270
av. J.-C.) en 306 dans son école63 appelée le Jardin. Pour Epicure, le seul but et la fin naturelle
de l’effort humain, c’est le plaisir procuré par la satisfaction des seuls désirs « naturels et
nécessaires ». Et ce plaisir comporte deux dimensions : l’absence de souffrances corporelles
(aponie) et de troubles de l’âme (ataraxie). Mais le plus grand accent repose l’ataraxie, qui est
une inébranlable tranquillité de l’esprit faite de désirs dominés et d’une parfaite indépendance
des circonstances.

Cette recherche du plaisir est à comprendre par rapport aux désirs qu’Epicure classe en
3 catégories :

a) Les désirs naturels et nécessaires, qui sont très faciles à apaiser, comme ceux du pain et de
l'eau ;
b) Les désirs naturels et non nécessaires, tels que le mariage, l'amour, les affections de la
famille, désirs dont le sage sait s'affranchir, en se gardant de compliquer sa vie et de se
donner des occasions de souffrir ;
c) Les désirs ni naturels ni nécessaires, tels que le désir de la richesse, du pouvoir, des
grandeurs et de la gloire ; lesquels désirs se renouvellent sans cesse, ne sont jamais apaisés
et enlèvent à l'âme la sérénité qui fait le bonheur, et dont le sage s'abstient.

D’autres grandes figures de l’école épicurienne : Hermachus, Polystrate, Denys, Basilide, Apollodore, Zénon
63

de Sidon, Sciron, poètes Lucrèce et Horace.


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Si la théorie épicurienne des désirs et du plaisir est bien comprise, on ne peut attribuer
à l’épicurisme la recherche inconsidérée de tous les plaisirs ni considérer l'épicurien comme
un jouisseur, un bon vivant, voire un débauché. Or, s'il fait l'éloge du plaisir, c'est dans le
cadre d'un ascétisme raisonné.

3.2.Le stoïcisme

Le stoïcisme64 est une doctrine éthico-philosophique fondée vers 301 par Zénon de
Kition (Citium, Chypre) (v. 335-v. 264).65Le stoïcisme a pour finalité le bonheur de
l'existence humaine obtenu grâce à une acceptation rationnelle1 de l'ordre du monde et de son
évolution2. Il repose notamment sur la distinction centrale entre d'un côté les choses qui
dépendent de nous et sur lesquelles nous devons concentrer nos efforts3 et, d'un autre côté, les
choses qui ne dépendent pas de nous, contre lesquelles il est vain de lutter et que nous devons
au contraire supporter et accepter.
Les Stoïciens partent du principe que « ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les
choses mais les opinions qu'ils en ont »9. Ainsi, pour ne plus se laisser atteindre par ce qui ne
dépend pas de nous et parvenir à nous concentrer sur ce qui est en notre pouvoir, le stoïcisme
exhorte à la pratique d'exercices de préparation aux difficultés, de travail sur nos
représentations erronées8, nos conditionnements, nos désirs et nos aversions conduisant à
vivre et agir en accord avec la nature grâce à la raison1 (faculté de discernement basée sur la
connaissance scientifique10. L'objectif est de parvenir à l'ataraxie (« absence de troubles »)
grâce à l'apatheia (« absence de passions ».

En s'appuyant sur la « raison » (le logos)12, les stoïciens adoptent une


conception déterministe de l'organisation de l'univers13 qui est uniquement le résultat de la
succession rationnelle des causalités . La personne humaine, pour vivre heureuse n'a d'autre
choix qu'accepter ce déterminisme basé sur les lois de la nature »

Dans le langage courant, l'adjectif « stoïque » est utilisé pour désigner une personne
inébranlable, qui parvient à rester fixée sur ses objectifs et ne s'effondre pas devant la peur,
la douleur, le stress, les privations ou autres difficultés de l'existence.

64
https://fr.wikipedia.org/wiki/ stoïcisme (visité le 1/02/2020, à 21h52)
65
Le mot vient du grec ancien στοά, stoa, qui signifie « portique ». Il renvoie à l’école du Portique65 d'Athènes,
« stoïciens » signifiant « ceux du Portique ». Ce courant a été influencé par l'Académie de Platon et
le Lycée d'Aristote, entre autres. Parmi les autres grandes figures de ce courant, il y a Sénèque (v. 4 av. J.-C. –
65 ap. J.-C.), Epictète (v. 50 – v. 125) et l'empereur Marc Aurèle (121-180).

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3.3.Le subjectivisme

Pour ce courant, le bien est défini et cherché en fonction du sujet. Ici, un acte humain
est considéré comme moralement bon lorsqu’il répond aux intérêts personnels du sujet, peu
importent les exigences objectives et transcendantes du bien. La personne impliquée dans
l’action agit comme la seule mesure de la moralité, alors que son Alpha et son Oméga, qui
constituent la source de sa béatitude, se situent en dehors de l’homme. La définition du bien
moral en référence à la béatitude se heurte à la conception subjectiviste du bien et à l’éthique
de situation.

3.4.L’éthique de situation
Quant à l’éthique de situation, apparue dans les années 1950, elle est une option qui
veut que le bien à faire soit défini de façon ponctuelle en fonction de chaque situation dans
laquelle on se trouve. Elle considère chaque situation comme unique et suffisante pour servir
de source exclusive d’orientions morales. La raison pratique, certes, doit s’occuper de
l’analyse de toute situation particulière pour en tenir compte dans les décisions à prendre.
Néanmoins, une prise de décision sage ne saurait se passer des apports des sources de la
morale qui se trouvent en dehors de la situation du moment.

CONCLUSION GENERALE

A faire de façon participative avec les étudiants

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