Penser L Apres - CDEFI

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ANALYSES • İNİTİATİVES • TÉMOİGNAGES

Penser MARS 2021

l’après
Un an après le début de la crise,
la CDEFI a conçu cet ouvrage
pour nourrir les réflexions
sur la formation et le rôle
de l’ingénieur dans la société.

CHAPİTRE 01 CHAPİTRE 02 CHAPİTRE 03 CHAPİTRE 04

Transmettre Pivoter Inclure Fédérer


Page 13 Page 21 Page 29 Page 37
Éditorial
En mars 2020, il y a tout juste un an, le monde s’est arrêté. Les
salles de classes se sont vidées et nos écoles ont fermé leurs
portes. Dans un climat de stupeur générale, l’enseignement
supérieur a dû faire face à de nombreuses incertitudes pour
adapter son fonctionnement. L’ouvrage que vous tenez
entre vos mains est nécessaire à plus d’un titre. Il se veut à
la fois bilan de l’année écoulée, tour d’horizon des initiatives
utiles et durables qui ont vu le jour dans les établissements,
mais aussi et surtout explorateur du monde d’après. Que
souhaitons-nous transmettre à nos élèves ? Quelle péda-
gogie voulons-nous imaginer pour le futur ? L’apprentissage
à distance a rebattu les cartes. Dans l’urgence, il a fallu
basculer vers le numérique, dont l’usage intensif a permis
de rappeler qu’on ne fait pas cours à distance de la même
façon qu’en présentiel. Dans le même temps, la question de
l’isolement s’est posée. Les équipes et les associations ont
redoublé de créativité pour fédérer la communauté, tout en
se mobilisant pour répondre à la détresse grandissante des
étudiantes et des étudiants. La crise, qui n’est pas terminée,
a prouvé que la mission des établissements dépasse la seule
formation. Penser le monde d’après est un ouvrage pour
garder trace. Pour se souvenir de toute l’énergie déployée.
Et pour nourrir les réflexions sur la formation et le rôle de
l’ingénieur dans la société. Nous avons pensé l’ouvrage de
nature volontairement optimiste. C’est un positionnement
fort qui ne nie pas que la communauté a souffert, nous
savons que certains sont en grande difficulté. Mais, dans les
pages qui suivent, vous découvrirez des expériences, des
témoignages qui montrent que, face à une contrainte, l’éco-
système a su trouver des solutions innovantes et durables.

La CDEFI

Dans un souci d’alléger le texte et sans aucune discrimination de genre,


l’emploi du genre maculin est utilisé à titre épicène.

PENSER L’APRÈS •5
ENGAGEMENTS CONSULAE OFFICALUS

ANALYSES • INITIATIVES • TÉMOIGNAGES

Sommaire
Edito
Page 05

Entretien avec Jacques Fayolle


Page 08

01
Transmettre
La pandémie de Covid-19 est venue b o uleverser
les modalités d’enseignement dans l’enseignement
supérieur ave c, au printemps 2020,
un passage forcé au distanciel.
Page 13

02
Pivoter
Sous la contrainte, les étudiants ont développé
un éventail de compétences qu’ils doivent à présent
valoriser pour réussir leur entrée sur un marché
du travail en pleine mutation.
Page 19

03
Inclure
La santé et le bien-être des étudiants sont des conditions
sine qua non du b on déroulement de leurs études. Une
évidence que la pandémie a so ulignée.
Page 29

04
Fédérer
La mise à distance forcée de promotions entières
est venue réinterroger les pratiques et rituels qui
permettent aux établissements de fédérer leurs publics.
Page 37

Faire société
Page 46

PENSER L’APRÈS •7
INTERVIEW
J AC Q U E S FAYO L L E

“Cette crise
n’est pas une
parenthèse”
Jacques Fayolle, président de la CDEFI

Le 16 mars 2020, les établissements Écoles et universités véhiculent l’image


d’enseignement supérieur fermaient leurs d’institutions où les transformations ne
portes du jour au lendemain. Un an après peuvent s’écrire que sur un temps long.
le début de la crise sanitaire, comment La crise est-elle un pied de nez à cela ?
vont les écoles d’ingénieurs ? Le 16 mars, lorsqu’il a fallu fermer nos éta-
Aujourd’hui, les écoles tiennent la barre, blissements dans l’urgence, tout le système
mais elles ont souffert et elles souffrent éducatif s’est mobilisé. Communautés
encore. Les derniers mois ont été très étudiantes et enseignantes, personnels, etc.
éprouvants pour les étudiantes et les Nous avons vécu le syndrome de la piscine :
étudiants, pour les enseignantes et ensei- on nous a poussés dans le grand bain et
gnants, mais aussi pour les personnels nous avons appris à nager. Il faut bien
administratifs et de direction. Certains reconnaître qu’aucun d’entre nous n’aurait
sont en grande difficulté et nous poursui- imaginé, dans le “monde d’avant”, être en
vons nos efforts pour accompagner au capacité d’absorber de telles transforma-
mieux nos communautés. Mais, malgré la tions dans un agenda si contraint.
dureté de cette période, malgré la fatigue Dans les premières semaines, un système
qui s’est installée, nos établissements artisanal s’est mis en place, pour pallier
ont poursuivi leurs missions. Ils ont su se l’urgence. Des solutions ont été “bricolées”
transformer pour s’adapter aux nouvelles car il fallait apporter des réponses rapides à
contraintes. Sans nier la souffrance qu’en- nos étudiantes et étudiants. Puis est venue la
gendre cette période, je dirais qu’il y a du période de l’été et le démarrage du premier
bon à en tirer. La crise a agi comme un semestre 2020-2021, qui ont vu des transfor-
accélérateur, comme un levier de trans- mations plus profondes se mettre en place.
formations sur bon nombre de volets. Les méthodes pédagogiques, les systèmes
Nous sommes aujourd’hui, je le crois, plus d’information, pour ne citer que ces aspects-
agiles et compétitifs qu’il y a un an. là, ont entamé une mue qui sera durable.

8• PENSER L’APRÈS
ENGAGEMENTS CONSULAE OFFICALUS

PENSER L’APRÈS •9
“Nous sommes
aujourd’hui,
je le crois,
plus agiles
et compétitifs
qu’il y a un an.”
Nos écoles d’ingénieurs ont prouvé qu’elles leur scénarisation de cours, leur contenu.
avaient une forte capacité de réactivité et Mais il faut bien garder en tête que ce
d’adaptation. Cela tient en la nature même n’est qu’une petite facette du métier
de nos établissements, qui sont tous des de pédagogue. L’accompagnement des
petites et moyennes structures. Nous apprenants ne peut pas être mutualisé,
avons pu aller vite, fédérer des actions il doit au contraire être individualisé.
entre écoles et réseaux d’écoles grâce à Cet élément est crucial : l’interaction
un large partage d’expériences. C’est cet élève-enseignant constitue le fondement
effort collectif qui nous permet aujourd’hui de nos métiers. C’est pourquoi nous ne
d’affirmer que la période est compliquée, voulons pas, par exemple, nous retrouver
certes, mais qu’elle est également riche en face à des supports de cours produits à
transformations. grande échelle par des géants de la tech,
qui seraient ensuite mis en musique au
Cet ouvrage met en lumière des initiatives niveau local.
mises en œuvre ou consolidées par la crise. La mutualisation a du sens lorsqu’elle
La mise en réseau (des compétences, des permet à toutes nos communautés
expertises, des cours) est l’un des éléments d’avancer plus sereinement, de trouver des
forts de la période. Est-ce le début d’un réponses aux interrogations techniques,
mouvement de mutualisation ? mais aussi structurelles. Depuis plusieurs
Pour adresser un cours dédié au traite- mois, nous avons vu les échanges, au sein
ment du signal par exemple, il peut être de la CDEFI, se multiplier. Il y a un réel
intéressant que plusieurs enseignants, de besoin de mutualiser les informations, les
différentes écoles, produisent et partagent expériences, les bonnes pratiques.

10 • PENSER L’APRÈS
I N T E R V I E W • J A C Q U E S F AY O L L E

“Cette période a
rappelé que l’une
des missions de
l’enseignement
supérieur et de la de la recherche est de créer un lien social,
recherche est de de participer à l’intégration de nos commu-
nautés dans la société. C’est devenu d’une
créer un lien social, importance vitale.
de participer à Vous évoquez des transformations
l’intégration de durables. Il n’y aura donc pas de retour au
nos communautés fonctionnement d’avant Covid ?
Lorsqu’une certaine forme de normalité va
dans la société.” reprendre le dessus, le présentiel reprendra
une part importante de nos modalités péda-
gogiques, sans doute progressivement.
Mais nos établissements, nos communautés
Au-delà des missions de formation et auront tout intérêt à conserver certaines
d’insertion professionnelle, qui ont été modalités mises en œuvre durant la crise.
énormément questionnées par la crise, Cette crise n’est pas une parenthèse. La
cette période semble rappeler l’impor- pédagogie s’est transformée, les enseignants
tance d’autres missions de l’enseignement ont travaillé sur de nouvelles modalités de
supérieur, à savoir l’accompagnement cours, il est impensable qu’ils mettent tout
social, l’inclusion. ce travail formidable au placard. Des leviers
Les derniers mois ont rappelé à tous et intéressants se sont mis en place : l’accueil
toutes quelques fondamentaux de l’ensei- des étudiants internationaux, la gestion des
gnement supérieur, qu’il est toujours bon étudiants par petits groupes, etc. La ques-
de rappeler. Nous, acteurs de ce secteur, tion désormais n’est pas de se dire : “tiens,
travaillons avec des individus. Des individus nous allons pouvoir économiser sur notre
qui ont besoin d’un accompagnement logistique et notre patrimoine en bascu-
fin et personnalisé. Au printemps 2020, lant les formations à distance”, mais plutôt :
dans l’urgence, il y a eu une tendance à “comment capitaliser sur les apports de la
développer des solutions massives d’ensei- crise pour apporter plus de valeur péda-
gnement à distance. Or, très rapidement, gogique”. Aujourd’hui, la communauté
nos établissements se sont rendus compte enseignante est dans cette dynamique
que pour accompagner les étudiantes et pour préparer le second semestre 2021 et la
étudiants, pour s’assurer qu’ils ne décro- prochaine rentrée. Notre ouvrage s’appelle
chaient pas, il fallait avoir une approche Penser le monde d’après, car nous sommes
individuelle. convaincus qu’il faut arriver à concilier le
Cette période a rappelé que l’une des monde d’avant et le monde de la crise, pour
missions de l’enseignement supérieur et créer un nouveau modèle. u

P E N S E R L ’ A P R È S • 11
12 •• PP EE NN SS EE RR LL ’’ A
A PP R
R ÈÈ SS
CHAPITRE 01

Transmettre
Verbe transitif (latin transmittere)

Communiquer, faire parvenir,


donner quelque chose que l’on a reçu à quelqu’un.

P E N S E R L ’ A P R È S • 13
CHAPITRE 01
TRANSMETTRE

Quand la pédagogie
se réinvente
La pandémie de Covid-19 est venue bouleverser les modalités
d’enseignement dans l’enseignement supérieur avec, au
printemps 2020, un passage forcé au distanciel. À l’urgence
se sont substituées de nouvelles habitudes, avec une efficacité
hétérogène. La situation a eu le mérite d’ouvrir la réflexion sur
les fondamentaux de la transmission et d’apporter des pistes
d’évolution pédagogique.

C
ours magistraux, travaux dirigés, sérieusement remise en question. “La socia-
travaux pratiques, projets… En mars bilité est déterminante dans le processus
2020, la pandémie de Covid-19 a d’apprentissage”, rappelle Guillaume
conduit établissements et enseignants à Dumas, professeur en psychiatrie compu-
revoir en seulement quelques jours leurs tationnelle à la faculté de médecine de
modalités d’enseignement. Dans l’urgence, l’université de Montréal. “Même si l’on peut
il a fallu basculer les cours du présentiel au expérimenter le lien social de façon désin-
distanciel, par le biais d’outils numériques carnée, en recevant une lettre par exemple,
plus ou moins sophistiqués et adaptés aux la visioconférence se retrouve en bas de
besoins des enseignants et des élèves. Cette l’échelle de l’expérience sociale, car le lien
réponse technique, qui devait s’inscrire dans social y est très appauvri.” À cela, trois
un temps court, s’est finalement installée raisons : les aléas techniques, par exemple
dans la durée, avec la seconde fermeture un délai trop important entre la question
des établissements d’enseignement supé- et la réponse, peuvent casser l’interaction
rieur à l’automne 2020. Alors que l’année en temps réel, d’autant que les caméras
universitaire 2020-2021 aura été marquée des étudiants sont souvent éteintes pour
par des cours délivrés majoritairement à préserver la qualité de la connexion.
distance, cette situation conduit à dresser Deuxièmement, le manque de sollicitation
certains constats et réinterroge les des neurones miroirs qui permettent la
pratiques de transmission. connexion entre professeurs et étudiants,
et la difficulté pour les professeurs de faire
Interaction sociale et apprentissage jouer l’effet Pygmalion et ainsi encourager
À commencer par l’efficacité de l’ensei- leurs élèves. Enfin, la compétition d’atten-
gnement à distance dans l’apprentissage, tion entre la visioconférence et l’environne-

14 • PENSER L’APRÈS
TRANSMETTRE • QUAND LA PÉDAGOGIE SE RÉINVENTE

ment immédiat de l’étudiant (physique ou Augmenter interactivité


numérique sur d’autres fenêtres que celle et travail en groupe
du cours) nuit à la concentration, indispen- Ce passage forcé au distanciel a toutefois
sable dans le processus d’apprentissage. permis d’expérimenter puis de développer
certaines pratiques, qui pourraient venir
À l’arrivée, c’est l’ensemble des signaux nourrir les enseignements dans l’après-
non-verbaux, essentiels dans un échange crise. C’est le cas du recours à l’interactivité,
en face-à-face, qui disparaissent et par utilisée en ligne mais qui est une source
corollaire la vérification de la compré- d’inspiration pour dynamiser les cours en
hension et de l’adhésion au message du présentiel. “Le numérique impose à l’ensei-
cours. “À mon sens, le cours à distance gnant d’être très actif, et de moins laisser
empêche la dimension relationnelle, et la place à l’improvisation, pointe Guillaume
en particulier le retour immédiat des étu- Dumas. Des capsules vidéos, quiz et autres
diants sur ce que transmet l’enseignant. modules qui peuvent venir segmenter la
Autrement dit, l’implicite”, pointe Samuel séance permettent à l’étudiant d’être moins
Nowakowski, maître de conférences en passif et donc augmentent ses chances
Humanités numériques à l’université d’intégrer les compétences.”
de Lorraine et enseignant à l’École des
mines de Nancy. “L’interaction sociale L’importance cruciale du présentiel, sou-
permet de faire vivre le contenu du lignée par la pandémie, amène également les
cours, renchérit Guillaume Dumas. Le établissements à réfléchir à la multiplication
professeur, face aux étudiants, comprend des occasions de travailler en petits groupes,
ce qu’ils comprennent ou non, et fait pour amener les étudiants à se connaître et
progresser son cours si besoin.” à favoriser ainsi l’apprentissage. Une situa-

P E N S E R L ’ A P R È S • 15
CHAPITRE 01
TRANSMETTRE

tion qui pose en quelque sorte l’enseignant avec mes étudiants. Créer des forums de
face à sa responsabilité, pas toujours perçue discussion ou des pages dédiées à un cours
ni assumée, de faire lien. “Reprendre les cours sur les réseaux sociaux est intéressant en
en présentiel va représenter un enjeu énorme termes de cohérence, de collaboration et
pour les enseignants : créer ou recréer du de suivi”.
lien social va devenir un impératif éthique
en quelque sorte, pointe Guillaume Dumas. Se réinterroger sur la pédagogie
Retrouver leurs étudiants sera d’autant plus Toutes ces perspectives peuvent s’avérer
simple s’ils ne les ont jamais ‘perdus’, c’est-à- fructueuses. À condition toutefois de s’en
dire s’ils ont maintenu autant que possible ce donner les moyens et d’accompagner
lien à distance.” ses équipes pédagogiques sur cette voie.
Car d’une certaine façon, la pandémie
Quant au numérique lui-même, quelle pousse à revoir les bases de la pédagogie.
place lui accorder à l’avenir, au regard “Le présupposé selon lequel être doté de
de cette expérience d’un enseignement savoir suffit pour enseigner est encore trop
100 % à distance ? Le cours online appa- présent dans l’enseignement supérieur,
raît d’ores et déjà comme un bon moyen déplore Samuel Nowakowski. La crise a
d’augmenter l’accessibilité des enseigne- pointé la nécessité d’une formation à la
ments. “L’aspect positif du cours en ligne, pédagogie. Chacun doit être en mesure de
s’il est enregistré, est de permettre de se demander si le moyen ou le support qu’il
toucher les étudiants les plus introvertis, utilise sert ce qu’il souhaite transmettre.”
qu’on perd parfois en cours d’année, mais Une façon de remettre le numérique, aussi
aussi les étudiants qui travaillent pour bien que le cours magistral, à sa place : des
subvenir à leurs besoins, et qui sont moins modalités d’enseignement parmi d’autres,
disponibles”, indique Guillaume Dumas. qui doivent servir le but poursuivi à un
Pour d’autres, le numérique pourrait être instant donné.
réservé à la transmission du contenu, pour
mieux consacrer le cours en présentiel à Une nécessité qui concerne également la
l’interaction sociale : travail en groupes, ressource numérique. “Il est primordial
échanges enseignants-étudiants, travail d’apprendre, aux enseignants comme aux
en mode projet. “Attention cependant étudiants, à apprendre avec le numérique.
à ce que cette perspective ne soit pas Avant d’apprendre à écrire et à lire, on
synonyme de dérive sur les moyens apprend à parler, souligne Guillaume
humains dans l’enseignement supérieur”, Dumas. Dès le début de la pandémie,
alerte Guillaume Dumas. “Il ne faut pas y l’université de Montréal, via son centre
voir un moyen d’optimiser les coûts et de d’assistance pédagogique, a offert à ses
supprimer des postes d’enseignants !” Autre enseignants des cours sur la pédagogie
piste explorée chez certains à la faveur de la en ligne. C’est essentiel !” Aujourd’hui en
pandémie, dédier le numérique à la création France, à l’université, les formations au
d’un “au-delà du cours”, qui vient prolonger numérique se développent, mais sans
l’enseignement, selon Samuel Nowakowski : caractère obligatoire. Le passage par la case
“J’y avais déjà recours avant la pandémie pandémie devrait faire bouger les lignes. u

16 • PENSER L’APRÈS
“La visio-
conférence se
retrouve en bas
de l’échelle de
l’expérience
sociale, car le lien
social y est
très appauvri”
Guillaume Dumas
Professeur en psychiatrie computationnelle
à l’université de Montréal

P E N S E R L ’ A P R È S • 17
CHAPITRE 01
TRANSMETTRE

OpenINSA
au coeur
de l’innovation
pédagogique
Au début du confinement, le
Groupe INSA a réussi à transformer
facilement les enseignements
pour basculer vers le numérique
en s’appuyant sur OpenINSA,
INTERVIEW. le dispositif qui rassemble les
cellules d’ingénierie pédagogique

“L’ingénieur de ses sept écoles. Lancé en 2018,


OpenINSA sélectionne les bonnes

pédagogique a pour pratiques au sein de chaque établis-


sement pour les faire connaître

mission d’accompagner à l’ensemble des enseignants.


“L’innovation pédagogique est

la transformation” stratégique pour le groupe depuis


plus de vingt ans, rappelle Jean-Yves
Plantec, directeur d’OpenINSA.
Notre service accompagne les
Sandra Lalanne est ingénieure pédagogique
enseignants dans la transformation
multimédia à l’université de Pau et des Pays de de leurs pratiques pédagogiques.
l’Adour. Présentation d’un métier que la crise La crise que nous traversons a
sanitaire a mis en lumière. accéléré le phénomène. Il est crucial
de poursuivre nos efforts en la
En quoi consiste le métier d’ingénieur pédagogique ? matière, pour continuer d’adapter
Le numérique a bouleversé l’enseignement et l’ingénieur péda- les formations aux nouveaux publics
gogique a pour mission d’accompagner cette transformation. et à leurs nouveaux besoins.”
C’est un vrai challenge. Nous sommes principalement associés aux En 2020, OpenINSA a piloté plus
plateformes d’enseignement en ligne, de la conception à l’accom- de 25 projets, de la formation des
pagnement des usages, mais nous effectuons aussi beaucoup enseignants à la création de deux
de veille sur les pratiques pédagogiques et les outils pour nous MOOCs (Massive Open Online
réinventer. L’objectif étant de rendre l’expérience apprenante Course). Il a également produit 30
interactive et adaptée aux apprenants d’aujourd’hui. cours en libre accès, en partenariat
avec OpenClassrooms.
Avez-vous ressenti des attentes nouvelles avec la crise ?
La précipitation du premier confinement a généré de nombreuses
sollicitations de la part des enseignants pour de l’assistance tech-
nique ou la mise en ligne des contenus pédagogiques. Ensuite, les
attentes ont davantage porté sur la scénarisation pédagogique. De
fait, la crise a transformé les espaces d’apprentissage, qui ne sont
plus seulement physiques mais également virtuels, et en ce sens a
bouleversé les postures enseignant/apprenant.

D’après vous, comment le métier va-t-il évoluer ?


Le nombre de postes explose pour accompagner les établissements
à l’hybridation des enseignements. Le chemin n’est pas fini. Et nous
ne mesurons aujourd’hui pas encore les conséquences de la crise
sur demain. Le maître mot sera toujours et encore l’adaptation.

18 • PENSER L’APRÈS
TRANSMETTRE • FOCUS

L’UCLouvain
forme ses
enseignants au
e-learning
Après l’expérience du confinement et des cours à distance imposés,
l’université catholique (UC) de Louvain a voulu se préparer à tous
Au KIT, des les scénarios possibles pour la rentrée 2020. Objectif : garantir la
continuité de l’enseignement dans de bonnes conditions. Parmi les
étudiants- mesures phares de cette préparation, l’université belge a investi sur

tuteurs formés
la formation des enseignants. Comment scénariser l’e-learning ?
Comment animer un cours donné à la fois en présentiel et en ligne ?

et valorisés Autant de questions auxquelles le Louvain Learning Lab, laboratoire


de pédagogie active et innovante de l’université, s’est donné pour
mission de répondre. “Là où, avant, seuls 20 % des enseignants
Lorsque l’État a annoncé la création sautaient le pas des nouvelles technologies pour dynamiser leur
de 20 000 emplois étudiants enseignement, aujourd’hui, ce sont plus de 80 % des professeurs
pour du tutorat, la question de la qui ont totalement revu leurs méthodes d’enseignement” se réjouit
formation s’est vite posée. Sur ce Benoît Raucent, directeur du laboratoire. La réussite de l’enseigne-
point, le KIT (Karlsruhe Institute of ment version 2020-2021 repose sur la diversité des outils utilisés et
Technology) a une longueur d’avance. l’alternance des modes d’enseignement. L’université propose donc
Le programme “Développement à chaque enseignant de trouver la méthode d’enseignement qui lui
pédagogique pour les étudiants- convient, en tenant compte de la matière enseignée. Il s’agit là de
tuteurs” de l’institut allemand fête “rendre les cours plus dynamiques et participatifs”, selon Benoît
ses dix ans cette année. Organisé Raucent. Et par la même occasion de repenser en profondeur les
sur un semestre, il rapporte deux pratiques pédagogiques.
crédits ECTS, un bonus valorisant
pour les tuteurs. Un premier
module accompagne les étudiants
dans la conception de leur tutorat
et la définition des bases de leur
enseignement. Plusieurs thèmes
sont abordés, de la planification à
la gestion de situations difficiles.
Viennent ensuite des ateliers de
spécialisation qui correspondent
au tutorat choisi et aux tâches
concrètes de la mission : réussir
une présentation, tester différentes
méthodes didactiques ou encore
diriger une équipe projet.

Le programme se termine avec un


dossier de réflexion. L’objectif étant
de réfléchir à ses propres expériences
pédagogiques pour donner le
meilleur enseignement possible.

P E N S E R L ’ A P R È S • 19
20 •• PP EE NN SS EE RR LL ’’ A
A PP R
R ÈÈ SS
CHAPITRE 02

Pivoter
Verbe intransitif

Tourner comme sur un pivot, autour d’un axe.

P E N S E R L ’ A P R È S • 21
CHAPITRE 02
P IVOTE R

La mue
des compétences
L’année 2020 a été un point
de bascule. Le contexte
exceptionnel du distanciel
a chamboulé les méthodes
classiques d’apprentissage, mars 2020, les étudiants ont rapidement
été confrontés à l’importance de commu-
tout comme l’intégration des niquer efficacement. Dans un projet de
jeunes diplômés en entreprise. groupe, chacun doit comprendre ce qu’il
Sous la contrainte, les étudiants doit faire et être précis dans ses interven-
tions. “Il est crucial de savoir briefer en
ont développé un éventail de deux minutes, en visioconférence, un sujet
compétences qu’ils doivent à sur lequel on a travaillé durant des heures,
présent valoriser pour réussir des semaines, ou encore de savoir créer
leur entrée sur un marché du une présentation courte et facile à com-
prendre”, illustre Alexis Baulu, diplômé
travail en pleine mutation. 2020 de l’ENSTA Bretagne qui a mené
un projet de fin d’études sur le travail à
“Depuis des années, on essaie de faire distance, dans le cadre de son stage chez
bouger des lignes dans les écoles d’ingé- Dassault Systèmes. “Les établissements
nieurs mais ça ne va pas aussi vite qu’on le vont devoir insister davantage sur cette
souhaite. La pandémie a constitué un vrai approche dans les années à venir. On
levier de transformation, tout le monde aborde déjà les tableaux de bord à l’école
s’est rendu compte que les méthodes mais ce mode de communication est capital
classiques d’apprentissage n’étaient plus à distance, et mériterait d’être approfondi
tenables”, observe Maxime Renault, prési- durant la formation.”
dent du Bureau national des élèves ingé-
nieurs (BNEI). Le distanciel a eu le mérite de Autre compétence majeure que beaucoup
questionner l’approche pédagogique, tout d’élèves vont pouvoir ajouter à leur CV :
en poussant les étudiants à faire preuve l’autonomie. De fait, le distanciel va de pair
de débrouillardise pour évoluer dans un avec une grande liberté d’organisation.
contexte plus que contraint. “Ils n’ont En entreprise, les étudiantes et étudiants
jamais autant été mis à l’épreuve, poursuit ont dû assumer plus de responsabilités,
Maxime Renault. Les étudiants font preuve mesurer la portée de chaque décision et
de résilience et vont sortir de cette crise en accepter les conséquences. “La crise
avec de nouvelles compétences.” a amplifié l’importance des fondamen-
taux : être autonome et savoir travailler
Autonomie accrue en équipe, résume Fabrice Losson,
Sur l’étagère de ces nouvelles compétences, directeur des relations avec l’ensei-
la communication occupe une place de gnement supérieur chez Sopra Steria, et
choix. Durant le premier confinement, en membre de la Commission des titres d’in-

22 • PENSER L’APRÈS
PIVOTER • LA MUE DES COMPÉTENCES

génieur (CTI). Demain, les stagiaires et les à la Direction générale de l’enseignement


alternants seront certainement une partie supérieur et de l’insertion professionnelle
de la semaine en télétravail, alors s’ils atten- (DGESIP) et professeur de biologie molécu-
dent qu’on vienne vers eux, s’ils ne sont laire à l’université Lyon 1, mais on n’y gagne
pas suffisamment proactifs pour avancer pas car il n’est pas possible de tout savoir.
sur un sujet, cela va être compliqué.” Le On devrait plutôt attendre de la part
télétravail est une nouvelle organisation à des étudiants qu’ils intègrent toutes les
laquelle les entreprises elles-mêmes, avec dimensions de la formation, qu’ils entrent
une culture du présentiel encore forte, dans une démarche d’acquisition des
n’étaient pas préparées. Le choc a été compétences et qu’ils soient capables de
brutal. Au point que les jeunes diplômés s’auto-évaluer.”
en font parfois les frais. “Le taux d’échec
en période d’essai pourrait se dégrader, La question de l’auto-évaluation a d’ailleurs
prévient Fabrice Losson, du moins tant été cruciale à l’approche des examens,
que les formations n’auront pas intégré ces en juin 2020. “Si on fait seulement de la
aspects de savoir-être.” restitution de cours, un étudiant peut avoir
un excellent résultat, sans n’avoir acquis
Plus que jamais, aucune compétence”, remarque Philippe
l’approche par compétences Lalle. Les équipes pédagogiques déjà sensi-
Du côté des établissements, l’urgence bilisées à l’approche par compétences ont
au début de la pandémie a surtout été imaginé avec plus de facilité des solutions
de savoir comment assurer la conti- alternatives, s’appuyant par exemple sur
nuité pédagogique, quels outils utiliser, le travail collaboratif. “C’est une démarche
comment enregistrer le cour, etc. Après qui implique de mettre en place des acti-
quelques mois, le débat sur l’approche vités plus chronophages mais l’objectif est
par compétences a fini par revenir sur la d’avoir une tête bien faite plutôt qu’une
table. “Le distanciel, ce n’est pas juste une tête bien pleine”, insiste celui qui accom-
transposition du présentiel, ça doit être un
enjeu pour transformer l’enseignement,
pour avoir des cours plus interactifs et
bilatéraux, pour favoriser l’apprentissage
par projet”, souligne le président du
“Les étudiants font preuve
BNEI. “On vise trop souvent l’exhausti- de résilience et vont sortir
vité des connaissances, ce que j’appelle
la ‘couverturite’ renchérit Philippe Lalle,
de cette crise avec de nouvelles
conseiller stratégique pour la pédagogie compétences”
P E N S E R L ’ A P R È S • 23
CHAPITRE 02
P IVOTE R

“La crise
a amplifié
l’importance des
fondamentaux :
être autonome et
savoir travailler
en équipe”
Fabrice Losson
Directeur des relations avec l’enseignement supérieur
chez Sopra Steria et membre de la CTI

24 • PENSER L’APRÈS
PIVOTER • LA MUE DES COMPÉTENCES

pagne de nombreuses écoles et universités d’ingénieur, s’est également prêté à l’exer-


dans leur mise en place de l’approche par cice du distanciel. La CDEFI a organisé un
compétences. Pour autant, “il ne s’agit groupe de travail, auquel la CTI participe,
pas d’opposer cours interactif et cours sur le thème de l’internationalisation at home,
transmissif”. L’important c’est de varier les dans une optique de réelle acquisition de
formats et de trouver le bon dosage. compétences. “À l’évidence, quand quinze
camarades partent en semestre acadé-
Vers des parcours hybrides mique sur un même campus, certains ne
Une certitude, donc, on ne formera plus les vont pas vraiment interagir avec les étu-
étudiants comme on les formait en 2019. diants et l’environnement du pays d’accueil,
On va attendre d’eux qu’ils deviennent observe Fabrice Losson. Ils cochent la case
acteurs de leur parcours. Les référentiels ‘quatre mois à l’étranger’ mais pas la case
de compétences ont déjà entamé leur ‘je sais travailler dans un contexte de projet
mue dans ce sens. L’Institut national de international’.”
recherche et sécurité (INRS) a lancé une
opération de refonte du référentiel Bases Le représentant de la CTI est confiant sur
essentielles en santé et sécurité au travail la question de l’ouverture internationale des
(BESST). “De manière générale, on sait que élèves-ingénieurs. Il affirme que les écoles
ce référentiel est très, voire trop complet, se sont montrées “très créatives” sur le
les étudiants éprouvent des difficultés à se sujet, en imaginant de nouvelles modalités
l’approprier, explique Loïc Bodin, chargé pour évaluer les compétences acquises, du
de projet à l’INRS. En concertation avec projet de groupe à distance avec des étu-
la CDEFI et la CTI, nous voulons le rendre diants internationaux au travail de réflexion
plus lisible pour les établissements. Notre géopolitique. Quant aux entreprises,
but est de toucher les 200 écoles d’ingé- “elles font toujours confiance au niveau
nieurs, en répondant à leurs attentes, et d’exigence demandé par les écoles”. Une
que les étudiants puissent suivre la forma- nouvelle plutôt rassurante pour les futurs
tion quel que soit le contexte.” ingénieurs qui se préparent à une entrée
hybride dans le monde de l’emploi. u
Durant le premier confinement, l’INRS a
monté le module Prévention et perfor-
mance, initialement prévu en présentiel,
de façon expérimentale. “Le contexte du
distanciel nous a conduits à adapter nos
pratiques pour proposer une formation
hybride, avec une partie en présentiel et une
partie en auto-formation.” Loïc Bodin est
formel : “Le distanciel, ça peut marcher. À
condition toutefois de proposer un format
court, maîtrisé et qui comporte beaucoup
d’interactivité pour maintenir l’attention”.

L’international autrement
Enfin, l’international, qui constitue norma-
lement un prérequis à l’obtention du titre

P E N S E R L ’ A P R È S • 25
CHAPITRE 02
P IVOTE R

INTERVIEW

Objectif ouverture
internationale
“Il faut parfois
à l’école Centrale trois entretiens
de Lille
Pour garder la coloration inter-
au lieu de deux
nationale de son diplôme, l’école
Centrale de Lille a imaginé un travail pour prendre une
décision”
de réflexion pour les étudiants privés
de mobilité. Ces derniers devront
consacrer un chapitre de leur
mémoire à la déclinaison internatio-
nale de leur sujet d’étude. Il s’agit de Adeline Roux, responsable projets recrutement
resituer les questions de ressource-
chez Sopra Steria, fait le point sur les nouvelles
ments matériels, d’organisation des
entreprises, de prise en compte des attentes en entretien.
questions culturelles, géopolitiques,
voire prospectives dans un monde Quelles sont les conséquences de la crise sur les entretiens de
qui évolue. “L’objectif est bien de recrutement ?
se poser la question de l’adaptation Le confinement a eu un impact non négligeable sur notre façon de
d’une démarche professionnelle recruter. Nous avons perdu la dimension physique : la présentation
en fonction de la région du monde des locaux, des équipes et tout l’aspect non verbal de l’entretien.
ciblée, commente Gilles Fleury, Nous sommes passés sur des entretiens en visioconférence avec
directeur délégué de l’école Centrale d’un côté plus de difficultés à évaluer les candidats (il faut parfois
de Lille. Ils peuvent s’appuyer sur trois entretiens au lieu de deux pour prendre une décision), et de
des échanges avec des branches l’autre des candidats qui peinent à se vendre en parlant à un ordina-
internationales de l’entreprise où teur. Ce qu’on arrivait à désamorcer en présentiel, on ne peut plus
ils effectuent leur stage, ou prendre le faire à distance.
attache avec des alumni qui travail-
lent à l’international.” Quelles nouvelles compétences attendez-vous des candidats ?
Une compétence que les écoles et universités vont devoir introduire :
L’initiative pourrait s’intégrer savoir se présenter efficacement devant une webcam. Nous atten-
durablement dans la pédagogie de dons des candidats qu’ils soient beaucoup plus proactifs, vendeurs,
l’établissement. “Le fait de passer un avec un niveau de discours plus dynamique. Nous les sensibilisons à
semestre à l’étranger ne valide pas leur image, à être maîtres de ce qu’ils ont envie de transmettre. Les
automatiquement la compréhension étudiants d’écoles de commerce sont souvent plus à l’aise que les
de ces enjeux”, souligne Gilles Fleury. ingénieurs parce qu’ils sont plus entraînés à l’exercice.

26 • PENSER L’APRÈS
PIVOTER • FOCUS

Le Digital
Tech Camp
de l’EPF pour
rayonner à
l’international
La crise sanitaire a porté un coup
dur à la mobilité internationale,
dans le sens des départs mais aussi
celui des arrivées. Pour maintenir

Du stage au CDI, l’attractivité de ses formations, l’EPF


a organisé le Digital Tech Camp
durant une semaine, en juillet

entrer dans 2020. L’objectif de l’initiative était


de faire découvrir aux étudiants
internationaux l’innovation et

la vie active à l’ingénierie en France, et la scolarité


à l’EPF. Les étudiants étrangers

distance
ont pu s’inscrire à une dizaine de
présentations thématiques sur Zoom.
Une large amplitude horaire leur
était proposée, avec des créneaux en
début de matinée et en fin d’après-
Fraîchement diplômé, Alexis Baulu n’avait pas imaginé durant midi, pour s’adapter à toutes les
ses études à l’ENSTA Bretagne que son entrée dans la vie active zones géographiques. “L’objectif
allait s’effectuer presque entièrement à distance. “Mon stage de était de présenter le contenu de nos
fin d’études devait débuter en mars 2020 chez Dassault Systèmes formations d’ingénieurs en valorisant,
mais tout était paralysé. Il a donc été repoussé de six semaines en particulier, la RSE et la place des
et j’ai effectué le premier mois entièrement à domicile. Depuis, femmes dans les écoles”, commente
la majeure partie de mon parcours s’est passée comme ça, en Jean-Michel Nicolle, directeur de
distanciel, c’est très particulier”, relate-t-il. l’EPF. Mission accomplie puisque 650
étudiants étrangers se sont connectés
Recruté pour accompagner la mise en place d’un système
pour découvrir l’école.
d’analyses financières, un projet mobilisant une quarantaine de
personnes, Alexis Baulu a rencontré des difficultés inhérentes au
distanciel durant son stage. “C’est compliqué de piloter un projet
en connaissant les personnes juste par Skype. Il m’a fallu un peu
de temps pour trouver ma place dans l’équipe.” D’autant plus
qu’il n’avait accès, dans un premier temps, ni au réseau, ni à la
documentation interne de l’entreprise. “La situation m’a permis de
garder un peu plus longtemps un rôle de spectateur dans le projet,
afin d’analyser et comprendre ses enjeux, relativise-t-il. On était
tous en état de sidération donc chacun essayait de faire au mieux.”
Cette expérience inédite a conduit Alexis Baulu à transformer son
projet de fin d’études en réflexion sur le travail à distance.

P E N S E R L ’ A P R È S • 27
28 •• PP EE NN SS EE RR LL ’’ A
A PP R
R ÈÈ SS
CHAPITRE 03

Inclure
Verbe transitif (latin includere)

Faire figurer dans un ensemble quelqu’un,


quelque chose.

P E N S E R L ’ A P R È S • 29
CHAPITRE 03
I N C LU R E

Un intolérable
mal-être
La santé et le bien-être des étudiants sont des conditions sine
qua non du bon déroulement de leurs études. Une évidence
que la pandémie a soulignée, avec l’augmentation de la détresse
psychologique et sociale chez certains. De quoi questionner les
établissements sur leur rôle à jouer en la matière, au-delà de la
seule transmission des savoirs.

“Avec le passage de l’ensemble des ensei- jobs étudiants, la situation financière et


gnements à distance, la pandémie a sociale des étudiantes et étudiants s’est
complètement déstructuré l’espace de fortement dégradée. “Tout ce qui concerne
socialisation et recomposé non seulement le social doit être une priorité, car cela a
le lien des étudiants avec les enseignants, un impact fort sur la santé des jeunes”,
mais aussi le lien des étudiants entre rappelle Laurent Gerbaud, directeur de
eux, deux espaces normalement très l’Association des directeurs des services
structurants. Avec des effets hétérogènes de santé universitaires et directeur du pôle
en fonction du contexte familial.” Le santé handicap étudiants de l’université
tableau dressé par Sandrine Nicourd, Clermont Auvergne (UCA). Prêt d’équipe-
sociologue et maîtresse de conférences à ments, solutions de logement, organisation
l’université de Versailles Saint-Quentin- de banques alimentaires, mise en place
en-Yvelines, résume bien les défis des repas à un euro dans les restaurants
posés par la pandémie de Covid-19 aux universitaires… Si les réponses ont été
établissements d’enseignement supé- multiples, la question de leur pérennisation
rieur, en termes d’accompagnement (et donc des moyens) se pose aujourd’hui.
et d’accueil de leurs publics étudiants.
Répondre à la détresse psychologique
Soutien matériel et financier Un autre axe important concerne la santé
Premier élément d’inclusion, le soutien des étudiants, et notamment la santé
socio-économique. Selon la dernière étude psychologique. Le mal-être étudiant a
de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), augmenté à la faveur des difficultés liées
40 % des étudiants travaillent en parallèle à l’épidémie, comme le pointe l’étude de
de leurs études. Avec l’arrêt de bon nombre l’OVE : pendant le confinement du prin-
d’activités économiques et la fin de certains temps 2020, près d’un étudiant sur trois

30 • PENSER L’APRÈS
INCLURE • UN INTOLÉRABLE MAL-ÊTRE

(31 %) a présenté les signes d’une détresse faudrait un pour 1 500 étudiants, selon les
psychologique, en particulier des états de recommandations de l’Accréditation inter-
nervosité et d’épuisement. Une situation, nationale des services de santé mentale
plus prégnante chez les femmes et parmi universitaire. “Cette crise a révélé des
les étudiants étrangers, qui a mis en lumière fragilités majeures dans notre système de
l’énorme retard français en matière santé. Les services de santé universitaires
d’accompagnement psychologique de sa (SSU) comptent parmi les structures les
population étudiante : selon l’étude menée plus fragiles : ils n’ont pas été rénovés
par l’association Nightline France publiée depuis cinquante ans, par indifférence”,
en novembre 2020, on compte un poste commente Laurent Gerbaud, qui prône
ETP (équivalent temps-plein) de psycho- notamment l’intégration des SSU au sein
logue pour 30 000 étudiants, quand il en des universités et écoles.

P E N S E R L ’ A P R È S • 31
CHAPITRE 03
I N C LU R E

Face à cette situation, la réponse gouver- s’en sortent mieux, ceux qui se réunissent
nementale s’est traduite en janvier 2021 pour suivre les cours en visioconférence
par l’annonce du recrutement de 80 ETP également, indique Sandrine Nicourd. Il
de psychologues dans les SSU, ainsi que la faut à l’avenir trouver des espaces de socia-
mise en place de “chèques-psy”, permet- lisation en dehors des enseignements, c’est
tant aux étudiants de consulter gratuite- fondamental.” Laurent Gerbaud plaide
ment des psychologues en ville. “C’est une notamment pour une banalisation dans les
piste intéressante, car on ouvre la voie à plannings des temps de pratiques cultu-
un remboursement des soins de psy par relles, considérés de façon abusive comme
la Sécurité sociale, ce qui jusqu’ici n’a fait une option. L’engagement étudiant, en
l’objet que d’expérimentations. Il faudrait outre, très valorisé dans certaines écoles,
maintenir ce dispositif au-delà de la crise”, pourrait être renforcé. “À l’université, il
estime Laurent Gerbaud. La mise en place existe une UE ‘engagement’, mais pour
de la téléconsultation de psychologue, en bénéficier il faut déjà avoir eu une
maintenue partiellement depuis le premier expérience similaire de six mois”, regrette
confinement par certains bureaux d’aide Sandrine Nicourd. “Lancer une association
psychologique universitaires, pourrait égale- demande par ailleurs des compétences et
ment être pérennisée. L’aspect prévention une sécurité socio-économique, on l’oublie
doit par ailleurs être renforcé, par exemple trop souvent.”
par l’augmentation du nombre d’étudiants
relais-santé, qui font le lien entre les SSU L’annonce par le gouvernement, en janvier
et les acteurs de la vie étudiante (grâce à un 2021, du recrutement de 20 000 tuteurs
contrat étudiant de 10 heures hebdoma- étudiants dans les universités va dans ce
daires), mais aussi la formation des respon- sens. “Pour que le tutorat fonctionne, il faut
sables d’associations étudiantes. “Associer absolument une animation de ce dispositif,
les grandes écoles du territoire aux actions et donc des moyens. Le faible nombre d’en-
menées par les SSU est très porteur, c’est ce seignants titulaires constitue un vrai frein :
que nous faisons à Clermont-Ferrand avec les vacataires vivent parfois des situations
de bons résultats”, ajoute Laurent Gerbaud. de précarité et ont un besoin de formation
qui les empêchent de s’investir dans la vie
Créer et soutenir des corps collective”, souligne Sandrine Nicourd.
intermédiaires En arrière-plan, c’est bien la notion de
Reste que la santé ne se résume pas à vie commune qui est remise en question.
l’accès aux soins, elle passe également par “L’implication de tous les acteurs est
les temps de socialisation. “Dès qu’il y a un déterminante, le développement d’activités
minimum de collectif, c’est très soutenant. diverses garantirait l’accès à la socialisation,
Les étudiants dont les familles offrent une et par là-même une meilleure prévention”,
structuration du temps et des échanges conclut Laurent Gerbaud. u

32 • PENSER L’APRÈS
“Tout ce qui
concerne le
social doit être
une priorité,
car cela a
un impact fort
sur la santé
des jeunes”
Laurent Gerbaud
Directeur de l’Association des directeurs des services de santé universitaires
Directeur du pôle santé handicap étudiants de l’université Clermont Auvergne

P E N S E R L ’ A P R È S • 33
CHAPITRE 03
I N C LU R E

Une épicerie
solidaire
à Polytech
Nantes
Des étudiants de Polytech Nantes ont
décidé de se mobiliser contre
la précarité en ouvrant une épicerie
solidaire dans l’école.
“Depuis longtemps, nous savons qu’il
y a beaucoup de gaspillage dans la
grande distribution. Ce que nous
savions moins, et qui s’est accentué
avec la crise sanitaire, c’est que
beaucoup d’étudiants n’ont pas de
quoi s’acheter à manger”, confie
Thibaud Escola, élève en 4e année.

Arts et métiers
Pour préparer leur projet,
les étudiants se sont rapprochés
de l’épicerie gratuite de l’université

à l’écoute de ses
Rennes 2 et de la SurpreNantes
épicerie, qui a ouvert ses portes
à l’université de Nantes en 2020.

étudiants
“Les associations nous épaulent
pour les démarches administratives
et sur le matériel nécessaire.”

Le projet de cellule d’écoute coordonné par Amaëlle Mayer, cheffe Dans l’espace qui va prochainement
de cabinet depuis 2018, a pris tout son sens avec la crise sanitaire. ouvrir à Polytech Nantes, les
“Nous avons fait le constat qu’il manquait un dispositif national pour bénévoles distribueront des paniers
accompagner les étudiants pouvant être en situation de mal-être, alimentaires, préparés avec des
explique-t-elle. Arts et Métiers est un établissement multicampus invendus des supermarchés.
avec huit sites en France dans des villes de tailles variables : certaines “À terme, l’objectif est de pouvoir
proposent des dispositifs de médecine universitaire, d’autres non. organiser la distribution plusieurs
Très vite, on s’est dit qu’il faudrait un dispositif d’aide national.” De fil fois par semaine et de l’ouvrir à tous
en aiguille, l’école s’est rapprochée de la Soce, association d’anciens les étudiants, pas seulement ceux
de l’école, qui travaillait sur ce sujet. Ensemble, ils ont rencontré de l’école.”
la FSEF (Fondation santé des étudiants de France), très active sur
le sujet, avec qui ils ont construit le programme Écoute, veille et
accompagnement (EVA).

En partenariat avec les associations étudiantes, Arts et Métiers a


mis en place un maillage de référents, étudiants et personnels, pour
communiquer sur le dispositif et repérer les personnes fragiles.
Jusqu’à six consultations gratuites sont prises en charge par la
convention. “En externalisant le service, l’objectif était aussi de
souligner que l’écoute est un vrai métier auquel il faut être formé et
que la camaraderie a ses limites”, insiste Amaëlle Mayer. La cellule
EVA a vu le jour en octobre 2020 mais les psychologues de la FSEF
avaient commencé à répondre à certains étudiants dès le premier
confinement.

34 • PENSER L’APRÈS
INCLURE • FOCUS

Une plateforme
pour lutter
contre
l’isolement
Grégory Tordo est directeur au sein de la société InTech et préside
le conseil d’administration de Polytech Nancy, dont il est lui-même
diplômé. “Quand le directeur de mon école m’a rapporté qu’il n’allait
pas pouvoir organiser de forums en présentiel pour les étudiants, j’ai
Appel aux voulu aider les établissements d’enseignement supérieur.” InTech a
développé une plateforme en marque blanche pour permettre aux
dons inédit écoles et universités d’organiser des forums et des journées portes

à la CIUP
ouvertes virtuels. La plateforme va également servir à proposer en
ligne les semaines de l’égalité, organisées par Polytech Grenoble en
partenariat avec l’association Elles bougent.
Un élan de solidarité s’est formé
à la CIUP (Cité internationale À présent, Grégory Tordo souhaite pousser la plateforme un peu
universitaire de Paris) pour plus loin en l’utilisant pour lutter contre l’isolement des étudiants,
faire face à la précarisation d’un “à l’intermédiaire entre l’appel d’urgence et Doctolib”. Il monte
nombre croissant d’étudiants et de actuellement une opération spéciale avec un département. Le prin-
chercheurs internationaux hébergés cipe : “Des bénévoles donnent du temps pour écouter, donner de
sur le campus. Ils sont près de l’inspiration, et les étudiants qui le souhaitent peuvent se connec-
6 000 à s’être confinés sur le campus, ter pour échanger dans des salons limités à quelques personnes.”
dont 10 % ont été identifiés comme Une initiative qui a vocation à grandir puisque le fondateur de
éprouvant des difficultés financières. cette plateforme veut la mettre à disposition de tous ceux qui en
Une fois le loyer payé, le reste à ont besoin, “pour que n’importe quel étudiant en détresse puisse
vivre est parfois faible en dépit des trouver de l’aide”.
aides proposées par le CROUS ou
la Ville de Paris. Fidèle à ses valeurs
de partage, la CIUP a multiplié les
initiatives pour apporter une aide
rapide aux résidents les plus démunis.
Elle est également parvenue à
débloquer un fonds d’urgence de plus
de 80 000 euros en mobilisant ses
partenaires et mécènes.

La crise se poursuivant, la CIUP a


lancé une campagne inédite d’appel
aux dons grand public, en novembre
2020. Objectif : créer une antenne
médicale, une épicerie solidaire et un
deuxième fonds d’urgence. En mars
2021, 130 000 euros avaient déjà été
récoltés et la collecte est toujours
ouverte.

P E N S E R L ’ A P R È S • 35
36 •• PP EE NN SS EE RR LL ’’ A
A PP R
R ÈÈ SS
CHAPITRE 04

Fédérer
Verbe transitif (latin foederare)

Grouper, réunir en fédération, c’est-à-dire en


une association de plusieurs états en un état unique.

P E N S E R L ’ A P R È S • 37
CHAPITRE 04
FÉDÉ RE R

La vie étudiante
en pause
La mise à distance forcée
de promotions entières
d’étudiantes et d’étudiants est
venue réinterroger les
pratiques et rituels qui
permettent habituellement aux tions matérielles et l’organisation de la
établissements de fédérer leurs vie de tous les jours ont pris le dessus”,
publics. Après la gestion des constate Monique Ronzeau, présidente de
l’Observatoire de la vie étudiante (OVE).
urgences sanitaires et
sociales, se pose la question, à Reconfigurer l’espace
moyen terme, de la réinvention De fait, en 2016, seuls 38,8 % des étudiants
de la “vie étudiante”. en France s’estimaient très satisfaits ou
satisfaits de leur intégration à la vie de leur
établissement, selon l’enquête Conditions
de vie de l’OVE, un chiffre qui est monté

O
rganiser une remise de diplômes à 41 % dans l’enquête 2020. “Il y a une
en visioconférence, proposer sous-utilisation des services des campus
des campagnes de BDE (bureau et établissements”, commente Monique
des élèves) dématérialisées, sonder la Ronzeau. Une situation à nuancer selon
communauté des étudiants sur le contenu le type d’établissement et d’études : chez
des cours… La période de pandémie a vu les élèves-ingénieurs par exemple, le
naître des pratiques inédites pour tenter sentiment d’être bien intégré à son éta-
de maintenir le lien entre les étudiants et blissement était de 58 % environ lors des
leur établissement, mais aussi entre étu- deux enquêtes. “Ces disparités sont liées
diants. “La vie associative a réussi à aux différences en termes d’encadrement,
s’adapter tant bien que mal lors du premier mais aussi de construction des campus.
confinement, en passant principalement Dans de nombreuses universités, l’espace
par les réseaux sociaux”, observe Maëlle n’a pas été pensé pour les étudiants : il y
Darnis, vice-présidente du BNEI (Bureau manque des lieux de vie permanents,
national des élèves ingénieurs), en charge la qualité de la connexion Internet n’est
de la représentation. “Avec l’installation pas la même partout, les déplacements
de la fermeture des campus dans la manquent de fluidité”, pointe la présidente
durée, on assiste cependant à un certain de l’OVE. Faire des temps sur les campus
essoufflement.” Une situation renforcée des moments plus qualitatifs, mieux
par le fait que l’urgence est ailleurs : réguler l’emploi du temps étudiant entre
“L’appartenance à une communauté est transports, présentiel, distanciel et emploi
un thème important qui a pourtant peu étudiant sont autant de perspectives
émergé dans nos enquêtes. Les condi- d’amélioration pour l’après-pandémie.

38 • PENSER L’APRÈS
F É D É R E R • L A V I E É T U D I A N T E E N PAU S E

“L’appartenance à
une communauté
est un thème
important qui a
pourtant peu émergé
Former à l’accompagnement dans nos enquêtes.
Le passage au tout numérique imposé par
la crise sanitaire a par ailleurs mis au jour
Les conditions
de nouveaux besoins. Côté associations matérielles et
étudiantes, la nécessité de se former au
soutien et à l’orientation de public en l’organisation de la
difficulté (notamment psychologique) se vie de tous les jours
fait sentir. “Les écoles ont un rôle majeur
à jouer en ce sens”, estime Maëlle Darnis. ont pris le dessus”
Développer la partie prévention des BDE,
proposer via les associations étudiantes
des séances de sport, de gestion du stress,
de méditation ou de bien-être font partie qu’avant dans les choix pédagogiques
des pistes à explorer dans l’avenir. des établissements. Une situation qui a
résulté du passage au tout distanciel, mais
Le BNEI s’est lancé de son côté dans la qui pourrait se pérenniser. “On a assisté
rédaction de petits guides pratiques, dont dans certaines écoles à la co-construction
le premier, publié en novembre 2020, des modalités pédagogiques, notamment
donne quelques clés aux élus étudiants pour la rentrée de septembre 2020”,
sur la “gestion de crise”. En quelques explique Maëlle Darnis. “Certains élus
pages, les élus sont incités à monter des ont fait des sondages pour que les ensei-
initiatives qui permettent de garder le gnants adaptent leurs exigences et les
lien : rendre visibles les mesures prises par modalités d’évaluation. C’est un sujet sur
les établissements pour lutter contre l’iso- lequel beaucoup d’étudiants souhaitent
lement, organiser des retours réguliers continuer à jouer un rôle.” Reste à savoir
sur les enseignements et les évaluations, comment chaque établissement pourrait
se rapprocher des délégués de promo- intégrer cette aspiration.
tion, etc. Un autre guide, en préparation,
concerne l’organisation des campagnes Autre leçon de la pandémie, la possibilité
dématérialisées pour les BDE. “Il y a un de mettre en place des événements d’un
gros enjeu de transmission, de passa- genre nouveau. “Le distanciel a permis
tion, alors que les mandats associatifs d’organiser facilement des webinaires.
durent généralement un an. Au sein des On peut penser qu’à l’avenir, il y aura
associations étudiantes, il n’y a pas eu plus d’événements inter-écoles à l’inté-
ces échanges qui permettent de passer la rieur d’un même groupe, grâce à cette
main facilement”, souligne Maëlle Darnis. potentialité”, commente Maëlle Darnis.
Les traditionnelles soirées étudiantes
Réinventer l’événementiel étudiant - souvent décriées pour leurs risques
Au-delà de l’accompagnement et du suivi en termes de santé - ont par ailleurs
des étudiants, la pandémie a poussé les laissé la place à des événements en ligne
représentants étudiants à s’investir plus autour de thématiques d’actualité (le

P E N S E R L ’ A P R È S • 39
CHAPITRE 04
FÉDÉ RE R

“Les soirées
festives
n’intéressent
pas tous les
étudiants,
il y a un vrai
potentiel dans
l’idée de fédérer
selon d’autres
modalités”
Maëlle Darnis
Vice-présidente du BNEI (Bureau national des élèves ingénieurs)

40 • PENSER L’APRÈS
F É D É R E R • L A V I E É T U D I A N T E E N PAU S E

développement durable par exemple).


“Les soirées festives n’intéressent pas tous
les étudiants, il y a un vrai potentiel dans
l’idée de fédérer selon d’autres modalités,
en essayant de capter une audience large”,
indique Maëlle Darnis. Pour Monique
Ronzeau, les nouvelles façons de fédérer
passeront par l’organisation d’événements
ailleurs que sur les campus, mais aussi
par le développement d’événements en
petits groupes : “Ce sont les événements
à taille humaine qui permettent de créer
du lien”. Quant aux événements tradition-
nellement fédérateurs, au moins sur le
plan symbolique, comme les remises de
diplômes, ils pourraient être reconfigurés.
“On pourrait imaginer des rituels d’inté-
gration dispatchés tout au long du cursus”,
indique Monique Ronzeau.

Entretenir les liens


Enfin, l’esprit de promo de l’après-crise
passera, à n’en pas douter, par une
communication beaucoup plus fluide.
“Comment accéder aux étudiants est
devenu une question cruciale pour les
établissements”, souligne la présidente
de l’OVE. Si les réseaux sociaux semblent
les grands gagnants de la pandémie, ils
ne répondent pas à tous les besoins. “Les
groupes WhatsApp marchent très bien
mais ne sont pas adaptés à une commu-
nication d’établissement”, pointe Monique
Ronzeau, qui souligne que la connexion
lors d’évaluations en ligne pourrait devenir
un canal pour faire passer des messages. sentiment d’appartenance à une commu-
Autre sillon à creuser côté communica- nauté. Les alumni peuvent développer
tion, le renforcement de la présence des leurs actions en agissant en rôle-modèle,
alumni, plus ou moins importante selon en utilisant leurs compétences de mana-
les établissements, et très peu active à gers pour mentorer des étudiants. Un rôle
l’université. “Le tutorat des étudiants par que pourrait jouer in fine, à l’université,
les jeunes diplômés est très intéressant, l’emploi étudiant. “Ce levier est sous-utilisé
notamment en cette période où beau- en France, conclut Monique Ronzeau de
coup craignent une dévalorisation de leur l’OVE, or, en travaillant au service de l’uni-
diplôme”, confirme Maëlle Darnis. Les versité, les étudiants prennent conscience
associations d’anciens, au-delà du main- de l’existence du groupe, et développent
tien des liens, contribuent à alimenter le une certaine fierté.” u

P E N S E R L ’ A P R È S • 41
CHAPITRE 04
FÉDÉ RE R

Confinés mais
“tous en forme”
à Université
de Paris
“Au cours du premier confinement, l’enjeu de rester en forme et
de garder une activité physique a très vite été un point clé”, relate
Aurore Tixier, directrice déléguée Vie de campus à Université de Paris.
Heureux hasard, le directeur du service des sports, Thierry Barrière,
était justement en train de réaliser une application, en collaboration
avec un neurochirurgien. Celle-ci a été lancée rapidement et télé-
chargeable gratuitement depuis App Store et Play Store. Le principe :
tester sa condition physique de manière autonome et obtenir un bilan
global de son état de forme avec des recommandations d’exercices en
Carto Talents met
vidéo pour l’améliorer. les enseignants
“Pour aller plus loin, les étudiants avaient la possibilité de commu-
en réseau
niquer leurs résultats à un enseignant de l’université pour obtenir
Proposer un espace de partage et
des conseils”, poursuit la responsable Vie de campus. L’application
de mise en relation aux enseignants.
mobile a rapidement été complétée par une playlist sportive
Telle est la mission de Carto
sur la chaîne YouTube de l’université, avec des séances filmées
Talents, dispositif de cartographie
et postées par des enseignants. Tout cela a donné naissance au
dédié à l’enseignement supérieur
programme Tous en forme. L’application, qui est depuis utilisée par
français et lancé par l’IMT (Institut
l’Union nationale des sports scolaires pour les collégiens et lycéens,
Mines-Télécom). À l’origine, Carto
compte 8 000 utilisateurs. 200 vidéos ont été postées sur YouTube
Talents est venu répondre à un
pour 11 600 vues cumulées au moment où nous écrivons ces lignes.
besoin remonté par les enseignants
de l’institut : pouvoir identifier et
contacter directement des collègues
enseignants dans le but d’échanger
sur les pratiques pédagogiques.
D’abord expérimentée par des
enseignants IMT, l’initiative est
aujourd’hui ouverte à l’ensemble
des établissements d’enseigne-
ment supérieur francophones.
L’appartenance à d’autres réseaux
est même encouragée pour
favoriser l’enrichissement mutuel.
En créant ce collectif de talents
pédagogiques, Carto Talent soutient
le développement professionnel des
enseignants-chercheurs.

42 • PENSER L’APRÈS
FÉDÉRER • FOCUS

PSA inaugure une


nouvelle organisation
Le constructeur automobile n’a pas attendu la fin du entreprise doit servir à travailler en équipe et à
premier confinement pour lancer une transforma- rencontrer ses collègues. L’open space classique
tion profonde de son organisation. Dès septembre avec des postes individuels laisse place à des espaces
2020, le télétravail est devenu la norme pour toutes collectifs et modulables pensés pour entretenir le lien
les activités non liées à la production. 40 000 salariés social. Les habitudes de travail sont également bous-
sont concernés dans le monde, dont 18 000 en France. culées. Il est demandé aux collaborateurs de préparer
PSA entend travailler plus efficacement et améliorer la les réunions de façon à limiter leur durée ou encore
qualité de vie des salariés grâce au projet NEA - nom d’effectuer des réunions téléphoniques seulement
de code pour “nouvelle ère d’agilité”. Le temps passé lorsqu’ils sont à distance. Quant aux managers, ils
au bureau a été réduit à un jour et demi par semaine, doivent apprendre à fonctionner par objectifs et faire
soit 30 % du temps de travail. confiance aux collaborateurs. PSA est conscient que ce
changement est radical et se donne le temps d’affiner
Sur le site de Poissy, un plateau de 2 000 mètres carrés l’organisation. Ainsi, 90 NEA leaders, répartis dans 23
a été choisi pour expérimenter le réaménagement pays, font le point régulièrement pour remonter les
des locaux. Désormais, le peu de temps passé en difficultés ou diffuser les bonnes pratiques.

P E N S E R L ’ A P R È S • 43
44 • PENSER L’APRÈS
P E N S E R L ’ A P R È S • 45
CONCLUSION
FAIRE SO CI É TÉ

Faire
société
Après l’effet de stupeur, la pandémie est l’occasion de repenser
la société. Les préoccupations environnementales de la jeunesse
doivent être entendues par les écoles et universités pour former
des citoyennes et des citoyens qui vont s’impliquer dans
la société de demain. Une société plus solidaire et soucieuse
de son empreinte écologique.

“Génération climat”, “génération Greta”... ou parcours de formation au développe-


Réinventer le monde, lorsqu’on a vingt ans, ment durable et à la responsabilité sociétale
ce n’est pas nouveau. Avec la crise sanitaire, prennent place dans les cursus. Ainsi, à
la prise de conscience s’est cependant Télécom Saint-Étienne, un parcours en
accélérée : il faut agir, et vite. Les étudiantes trois ans permet de passer de la sensibilisa-
et les étudiants s’impliquent dans des tion à la pensée systémique, en passant par
projets, proposent des idées et veulent l’action concrète.
qu’on leur enseigne comment s’insérer
dans la vie professionnelle en ayant des clés Autre exemple : E-mobility, qui s’inscrit
pour modifier la société en profondeur. dans un programme de recherche fran-
co-britannique piloté par l’ESTIA (École
Place au collaboratif supérieure des technologies industrielles
Des initiatives se développent en ce sens avancées), avec Grenoble École de
dans les écoles d’ingénieurs, qui associent Management et University of London.
les élèves à la conception des contenus de L’objectif est de réfléchir à la façon de
formation. À l’ISAE-ENSMA, le Bureau promouvoir l’international de manière plus
des actions solidaires et environnemen- éco-responsable. Une classe expérimen-
tales a ainsi vu le jour à la rentrée 2020. tale travaillera ainsi, en ligne et en anglais,
“Nous voulons modifier la maquette de la sur la COP 26, qui se tiendra en Écosse en
formation d’ingénieur pour l’adapter à nos novembre 2021. S’appuyant sur les retours
préoccupations et pouvoir répercuter nos des étudiants, les écoles évalueront les
compétences dans nos futurs emplois”, compétences associées à l’expérience
explique Édouard Butaye, étudiant en internationale, dans ce contexte particulier,
dernière année. Le premier projet consiste avant de proposer des bonnes pratiques.
à élargir le stage ouvrier à des stages soli- Inclure les élèves dans l’élaboration des
daires ou aux enjeux sociétaux. Dans futurs projets est bénéfique à tous points
nombre d’écoles d’ingénieurs, les modules de vue. “La gouvernance de l’établisse-

46 • PENSER L’APRÈS
CO N C LU S I O N • FA I R E SO C I É T É

ment doit associer les étudiants dans les doit être une brique fondamentale pour
commissions de travail, où ils seront force tous les secteurs. Ce nouveau profil de
de proposition mais surtout force de déci- l’ingénieur va apporter de la matière grise
sion”, estime Florence Dufour, membre de nouvelle à disposition des entreprises :
la commission permanente de la CDEFI. ce sera de l’intérieur que l’on pourra faire
En tant que directrice de l’EBI (École de levier pour répondre à l’impérieuse ques-
biologie industrielle), elle mène une expéri- tion de la finitude de nos ressources”.
mentation depuis trois ans où les étudiants
sont associés aux décisions concernant la La première étape consiste à déterminer
sécurité, l’informatique ou l’organisation les connaissances et compétences que
pédagogique. “Non seulement ils parti- l’ingénieur de demain doit acquérir. Cela
cipent à la décision, mais ensuite ils les passe par la compréhension des enjeux
véhiculent auprès de leurs camarades : socio-écologiques : “le changement clima-
cela permet une plus large adhésion de la tique, les contraintes des ressources, la
communauté.” biodiversité, mais aussi les moyens institu-
tionnels et techniques, le cadre juridique, les
L’ingénieur de demain décisions politiques, etc.”, énumère Damien
Dans le même esprit, le Groupe INSA s’est Amichaud, chef de projet ClimatSup au
associé au think tank The Shift Project Shift Project. Autrement dit, il faut sortir
pour mener une réflexion sur l’évolution l’ingénieur de son rôle cliché de décideur
du métier d’ingénieur et son rôle social. À technique. “On ne va pas lui demander
l’occasion de la présentation du rapport d’être hyper compétent sur tous ces
intermédiaire “Former l’ingénieur du XXIe sujets, mais d’avoir une vision holistique,
siècle”, Bertrand Raquet, président du qui intègre les sciences humaines et
Groupe INSA, a déclaré en début 2021 : sociales. Quand on travaille à la conception
“La connaissance que l’on peut avoir d’un produit, il faut penser aux répercus-
aujourd’hui sur les enjeux climat/énergie sions de sa fabrication : des conditions

P E N S E R L ’ A P R È S • 47
CONCLUSION
FAIRE SO CI É TÉ

“Il s’agit de
faire infuser
ces questions
écologiques dans
la plupart des
enseignements.
C’est l’enjeu
du siècle”
Damien Amichaud
Chef de projet ClimatSup au Shift Project

48 • PENSER L’APRÈS
CO N C LU S I O N • FA I R E SO C I É T É

de travail de l’ouvrier en Inde au gaz à effet pas forcément suffisante, puisque la prise
de serre en Chine.” de conscience reste une affaire individuelle.

Signe qu’on en prend le chemin, à l’EBI, le Parmi les préconisations : “Ne pas imposer,
cours optionnel de conception de systèmes mais chercher l’adhésion des établissements
RSE a attiré 30 % des étudiants cette année, en leur laissant l’autonomie de mettre en
contre 15 % les années précédentes. “La place leurs projets.” Cette appropriation
pensée écologique est plus mature chez les pourrait être inscrite dans chaque nouvelle
élèves, elle inclut le sociétal, observe Florence contractualisation quinquennale. La trans-
Dufour. Les entreprises qui ne proposeront formation pédagogique devra se faire en
pas cette vision systémique auront du souci continuité avec les enseignements du
à se faire.” Charge aux formations de s’em- secondaire, et concerner tous les cycles
parer de ces objectifs d’apprentissag e pour postbac. Elle impliquera aussi bien les sites
modifier, à leur rythme, leurs contenus que la vie étudiante, l’administration et
pédagogiques, en gardant cette vision l’entreprenariat. Quant au Hcéres (Haut
transdisciplinaire. “Il s’agit de faire infuser conseil de l’évaluation de la recherche et de
ces questions écologiques dans la plupart l’enseignement supérieur), “il devra jouer
des enseignements. C’est l’enjeu du siècle”, son rôle”, et “les financements devront être
martèle Damien Amichaud. Le Shift Project à la hauteur” de ses ambitions.
travaille au développement d’une plate-
forme collaborative pour les enseignants Former les enseignants
(enseignerleclimat.org). Intégrer ces notions dans les apprentissages
passe par la formation des enseignants.
Des recommandations “Mais on ne peut pas attendre qu’une
pour le ministère nouvelle génération d’enseignants soit
De son côté, le ministère de l’Enseignement prête. Beaucoup se forment sur le tas, s’in-
supérieur, de la recherche et de l’innova- vestissent dans des initiatives personnelles”,
tion a missionné, début 2020, un groupe souligne Jean Jouzel. Le représentant du
de travail sur l’intégration des enjeux de la Shift Project renchérit : “Il faut s’appuyer sur
transition écologique dans l’enseignement les enseignants-chercheurs déjà en place,
supérieur. Sa mission : “Faire en sorte en former d’autres, s’intéresser à la politique
que 100 % des étudiants à la sortie de internationale du développement durable,
leur cursus universitaire ou de leur école, à la stratégie du bas carbone… mais sans
sachent ce que signifient les mots “tran- oublier les fondamentaux des filières, que
sition écologique”, avec des éléments de ce soit l’ingénierie ou la finance.” L’idée n’est
connaissance scientifique”, expose le clima- pas de pointer d’un doigt accusateur tel ou
tologue Jean Jouzel, qui préside ce groupe tel secteur, mais de “donner un coup de pied
de travail. Une condition nécessaire, mais constructif dans la fourmilière”. u

P E N S E R L ’ A P R È S • 49
Ours

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Florence Levillain/Signatures, photographies www.cdefi.fr


issues de la série “Nébuleuse” (couverture,
pages 12, 20, 28, 36, 44 et 45),
Jodie Fayolle (page 9)

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