Une École-Milieu de Vie: Jean Trudelle
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Relations
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Centre justice et foi
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0034-3781 (imprimé)
1929-3097 (numérique)
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Afin d’adapter davantage l’école québécoise L’école subit dès lors une pression supplémentaire. Mais
à la société actuelle, une approche holis- elle doit aussi composer avec le fait que l’environnement
tique de l’éducation est de mise. Celle-ci dans lequel grandissent les jeunes a aussi profondément
dépasse le domaine de l’instruction et se changé. La cellule familiale s’est distendue; les jeunes sont
devenus la cible de sollicitations omniprésentes à la
préoccupe du développement physique, consommation ou à la distraction facile; Internet et les
culturel et social des jeunes. médias sociaux ont envahi l’espace social, transformant en
profondeur les rapports sociaux, mais aussi le rapport à
JEAN TRUDELLE l’information, à la connaissance et, osons le dire, le rapport
à l’effort. Convier les jeunes à l’étude dans ce contexte n’est
A
u Québec, le modèle de l’école actuelle découle du pas facile! L’auteur, professeur
rapport Parent. On peut légitimement se demander Cette contradiction – la nécessité d’une scolarisation plus de physique au cégep
s’il répond toujours à la réalité contemporaine, car un grande dans un environnement moins propice à l’étude – Ahuntsic, a été vice-
paradoxe domine les enjeux en éducation depuis deux ou génère des difficultés nouvelles. Les taux de décrochage et président (2002-
trois décennies : alors que les besoins augmentent inexora- d’échec ainsi que les problèmes d’attention des élèves n’ont 2009) et président
blement et que les « conditions d’exercice » de la mission pas nécessairement augmenté en soi, mais les attentes (2009-2012) de la
scolaire se détériorent, les moyens consentis à l’école dimi- envers l’école, elles, ont singulièrement changé. L’échec sco- Fédération nationale
nuent. À l’évidence, pour des gouvernements qui voient laire, il n’y a pas si longtemps, était en quelque sorte une des enseignantes et
l’éducation à travers les lorgnettes du néolibéralisme et qui responsabilité personnelle, imputable à l’élève, à sa famille des enseignants du
veulent en conséquence réduire leurs investissements dans ou à son milieu. On pointe dorénavant l’école du doigt : Québec (FNEEQ-CSN)
les missions sociales de l’État, toute réflexion pour repenser comment lire autrement ces contrats de performance liés
l’école est soumise d’avance à la nécessité du coût zéro – les aux taux de réussite, qui sont imposés depuis une dizaine
États généraux sur l’éducation (1995-1996) l’ont bien mon- d’années aux commissions scolaires? Dans les faits, on en
tré. L’austérité préconisée par le gouvernement libéral demande davantage au système scolaire, sans lui en con-
actuel ne risque pas d’infléchir cette tendance. L’éducation sentir les moyens et sans remise en question du modèle.
reste ainsi vue comme un poste budgétaire parmi d’autres
et les slogans scandés au fil des années (« L’éducation est un POUR UNE APPROCHE PLUS HOLISTIQUE
investissement, pas une dépense! » ou « L’éducation coûte Pourtant, la situation décrite plus haut plaide pour une
cher? Essayez l’ignorance! ») demeurent sans effet. école différente. Une école qui a les moyens des ambitions
Or, le fait que les besoins d’une qu’on a pour elle, qui dispose de
société en matière d’éducation aug- l’espace et des ressources néces-
mentent est une évidence. La scola- Si l’éducation doit être la priorité saires pour établir avec l’élève un
des sociétés modernes, il faut revoir
risation minimale nécessaire pour contact humain véritable, dépas-
considérablement à la hausse les
trouver un emploi et, plus largement, sant le seul champ académique.
subsides consentis à l’école, pour
pour accéder au plein exercice de la lui permettre de jouer pleinement Une école capable d’éduquer (et
citoyenneté, s’est allongée. Une pro- un rôle éducatif plus complet. non seulement d’instruire) et qui
portion croissante de notre jeunesse peut en faire plus, sur le plan du
doit donc poursuivre des études de cheminement scolaire des élèves
plus en plus longues avant d’accéder au marché du travail. comme sur celui de leur cheminement humain.
Le phénomène est complexe : la « massification » de l’ensei- Est-ce si utopique d’envisager une école beaucoup
gnement supérieur n’est pas nécessairement synonyme de mieux nantie, pensée en fonction de la réalité actuelle? Le
démocratisation véritable, et des tensions subsistent tou- Québec s’est montré capable, dans le passé, de s’adapter à
jours entre les aspirations des jeunes, l’offre de formation et des changements sociaux d’importance et d’inventer des
les besoins réels du marché du travail. Mais au-delà de ces solutions novatrices, comme il l’a fait, par exemple, avec le
considérations, il est clair que la scolarisation moyenne a réseau des garderies. Nous croyons que l’importance que
tendance à augmenter1. prend l’éducation dans les sociétés modernes commande
d’adopter une approche plus holistique envers elle. L’être
1. À l’échelle mondiale, la proportion d’étudiants inscrits aux études humain ne se définit pas seulement par son travail futur, ni
supérieures a augmenté de 19 % à 26 % entre 2000 et 2009 (P. Altbach,
L. Reisberg et L.E. Rumsley, Évolutions de l’enseignement supérieur au par le savoir utilitaire qu’il accumule. Dépassant le strict
niveau mondial : vers une révolution du monde universitaire, ONU, domaine de l’instruction, une éducation holistique se pré-
2009). occupe ainsi du développement physique, culturel et social
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Les murs Tombées sous le regard de leur voisine qui leur est venue
en aide par solidarité et « par sens du devoir professionnel »,
des écoles québécoises Noémie et Amélie font partie des 200 000 à 500 000 per-
sonnes sans statut d’immigration (selon les estimations)
sont-ils des frontières? qui vivent au Canada aujourd’hui. Absentes des discours
des partis politiques, invisibles dans la plupart des actions
LINDA GUERRY ET ADRIEN JOUAN des ONG et dans les médias, ces personnes vivent avec
nous et aspirent, comme chacun d’entre nous, à mener une
Les auteurs sont
membres du Col-
lectif éducation
À l’automne 2013, peu de temps après la rentrée scolaire,
Asma, une enseignante qui réside à Montréal, se met en
contact avec le Collectif éducation sans frontières. Elle écrit:
vie normale. Au Canada, cependant, ce n’est pas une « vie
normale » qui attend les immigrants sans statut, mais bien
une vie compliquée et, parfois, impossible.
sans frontières «J’ai été très touchée par la situation de Noémie et de sa sœur Comment porter plainte contre un employeur abusif
Amélie, deux fillettes de neuf et cinq ans, jeunes immigrantes quand on risque de révéler son statut et d’être expulsé en-
sans statut d’immigration et non scolarisées. C’est donc avec suite? Comment accéder aux soins de santé quand les hôpi-
un sens du devoir professionnel que j’ai voulu apporter mon taux et les cliniques vous refusent? Comment demander
soutien à la famille, en offrant des cours de francisation l’aide des autorités quand elles risquent à tout instant de
bénévolement et de façon assez régulière. Noémie et Amélie vous transformer en coupable? Au Québec, un autre pro-
se trouvent dans le calvaire de l’exclusion sociale, privées de blème s’ajoute : l’accès à l’école primaire et secondaire est
leur droit fondamental qu’est la scolarité et de leur épa- soumis à une condition de statut de résidence ou de paie-
nouissement à la lumière du jour, dans un climat rassu- ment de frais d’inscription de l’ordre de 5000 $ à 6000 $ par
rant, comme tous les enfants de leur âge.» année et par enfant.
Regardons un instant la situation ailleurs. Dans la plu- familles sans statut de sorte qu’elles se montrent compré-
part des pays européens, l’accès à l’école publique est hensives, laissant les enfants accéder à l’école sans contre-
gratuit pour tous les enfants. Plus près de nous, aux États- partie financière.
Unis, l’accès à l’école gratuite sans discrimination est pro- Interpellé sur cette question, le gouvernement québé-
tégé par la Constitution et par un arrêt de la Cour suprême cois a annoncé de nouvelles directives en juin 2013. Si
prononcé en 1982. Ils sont ainsi près d’un million de celles-ci témoignent d’un certain assouplissement, les
mineurs sans statut à pouvoir bénéficier d’un accès équi- réalités sur le terrain ont très peu changé. La plupart des
table à l’éducation. Dans plusieurs États, les élèves sans enfants sans statut n’ont toujours pas droit à l’école gratuite
statut qui souhaitent poursuivre leurs études dans des éta- au Québec, en particulier ceux dont les parents ont un per-
blissements supérieurs peuvent même concourir pour mis de travail ou d’études périmé depuis plus d’un an, ou
l’obtention de financement. Plus près de nous, en Ontario, ceux à qui l’État a refusé l’asile et qui sont interdits de séjour
la Loi sur l’éducation reconnaît le droit d’accéder à l’école sur le territoire. Pour eux, la seule solution repose sur la
pour tous, indépendamment du statut migratoire. De plus, bienveillance des services sociaux et des commissions
la politique du « don’t ask, don’t tell » (« ne demandez pas, scolaires, ce qui, on en conviendra, est loin de la recon-
ne dites pas »), qui fait en sorte qu’on ne demande pas aux naissance du droit à l’éducation pour tous les enfants.
immigrants de révéler leur statut, protège les familles, faci- Est-ce cela l’école que nous voulons? Il faut changer la
lite l’accès et assure la confidentialité des données liées au Loi sur l’instruction publique afin de reconnaître enfin le
statut migratoire. Si la question de la facturation de droits droit de tous les enfants à l’éducation gratuite, un droit
de scolarité internationaux pose parfois problème, les fondamental qu’il est temps de respecter.
commissions scolaires et les écoles ontariennes sont de
plus en plus sensibilisées à la situation précaire de ces