Memoire La Valorisation de L Action Apple en 2011
Memoire La Valorisation de L Action Apple en 2011
Memoire La Valorisation de L Action Apple en 2011
VUILLEMEY MARC
Résumé : Dans cette étude, nous avançons des éléments d’explication à la différence de
perception de la société Apple en 2011 entre les analystes sell-side, qui recommandent
massivement l’achat de l’action Apple, et le marché qui semble de son côté beaucoup plus
modéré dans son appétit pour le titre, comme en témoignent les faibles multiples de valorisation
qu’il lui accorde. Nous nous concentrons principalement sur quatre questions clés (faisant alors
débat parmi les acteurs du marché) que nous analysons, le cas échéant, à la lumière de la
littérature académique existante. Tout d’abord, nous nous intéressons à la perception par le
marché du risque d’une entreprise technologique en croissance rapide telle qu’Apple et à son
impact sur la valorisation. Nous nous demandons ensuite si le marché attribue une décote aux
colossales réserves de cash de la société, ce que les analystes sell-side ne font pas forcément. Nous
analysons dans un troisième temps la structure actionnariale d’Apple afin de savoir si le titre est
sous-détenu par les grands mutual funds et hedge funds américains relativement à sa capitalisation
boursière. Enfin, nous nous intéressons à la valeur des recommandations des analystes dans le
cadre de la théorie des marchés efficients.
Introduction
En juin 2011, Apple, dont la capitalisation boursière dépasse les 300 milliards de dollars,
est l’une des valeurs préférées des analystes sell-side. Une écrasante majorité d’entre eux est à
l’achat sur le titre et leur objectif de cours moyen de 472 dollars indique un potentiel
d’appréciation de plus de 40% par rapport au cours de clôture du 30 juin 20111.
Néanmoins, l’action Apple est valorisée par le marché à des multiples faibles au regard
des perspectives de croissance importantes de la société. Au 30 juin 2011, le multiple EV/EBIT
CY12E est de 6,3x et le PE CY12E de 10,6x, contre un PE CY12E de 13x pour le S&P5002. Si
l’on soustrait les revenus des placements financiers du BPA 2012E et que l’on ajoute les 70
dollars par action de trésorerie nette qu’Apple possède à son bilan, le PE CY12E « ex-cash »
tombe même à 8,5x.
Un an plus tard, le 21 septembre 2012, l’action Apple atteint son plus haut niveau
historique à 705 dollars.
Comment expliquer la divergence de vues, en juin 2011, entre les analystes qui
recommandent l’achat fort d’Apple et le marché qui semble lui plus modéré dans son appétit
pour le titre ? La capacité du marché à valoriser correctement une entreprise technologique aux
rythmes de croissance et d’innovation extrêmement rapides, mais présentant d’importants
risques, telle qu’Apple, peut-elle être mise en cause ? Ou bien est-ce la taille atteinte par la société
qui limiterait la valorisation que le marché est prêt à lui accorder?
Pour répondre à ces questions, nous étudierons dans une première partie la valorisation
de l’action Apple par le marché et par les analystes à la fin du mois de juin 2011, en nous
focalisant principalement sur l’étude des multiples. Nous analyserons les multiples de valorisation
historiques d’Apple, ainsi que ceux de ses comparables. Cette étude nous permettra d’affirmer
qu’Apple se négocie alors à des niveaux de valorisation faibles compte tenu de ses perspectives de
croissance.
Dans une seconde partie, nous tenterons de comprendre pourquoi le marché applique des
multiples aussi faibles aux résultats d’Apple, en nous focalisant principalement sur quatre
questions clés. Premièrement, comment le marché évalue le risque d’une société technologique
pesant plus de 300 milliards de dollars en bourse et dont le chiffre d’affaires et les profits sont
1 Nous décidons, de façon arbitraire, d’effectuer toute notre étude (notamment de la valorisation de l’action Apple) à
la date du 30 juin 2011
2 Apple clôture son exercice comptable à la fin du mois de septembre. Nous utiliserons les abréviations FY pour
1
principalement réalisés par un seul produit, l’iPhone ? Deuxièmement, quelle valeur le marché
attribue-t-il aux énormes réserves de cash d’Apple (65,8 milliards de dollars de trésorerie nette) et
quelles critiques émet-il concernant sa politique d’allocation du capital ? Troisièmement, nous
nous demanderons si l’action Apple est sous-détenue dans les portefeuilles des grands mutual funds
et hedge funds américains, notamment au regard de sa capitalisation boursière. Nous analyserons
également la question, qui voit le jour à partir du début de l’année 2011, de la substitution
d’investisseurs « growth » aux profits de fonds « value » au sein de la structure actionnariale d’Apple.
Enfin, nous nous intéresserons à la question de la valeur des recommandations des analystes sell-
side, dans le cadre de la théorie des marchés efficients.
2
Table des matières
3
I. La valorisation de l’action Apple en juin 2011 : les analystes et le marché
1) Rappels historiques et contexte
a) Rappels historiques sur la société
Afin de mieux comprendre et de mieux cerner le sujet qui nous intéresse dans cette
première partie – la valorisation d’Apple à l’été 2011 –, un bref retour sur le passé de la société
s’impose. Car l’histoire d’Apple, extrêmement mouvementée, est celle d’une entreprise qui, en
l’espace de quinze ans, est passée d’un état proche de la faillite (Steve Jobs a reconnu qu’Apple est
passé à « trois mois de la faillite » en 1997) au titre de première capitalisation boursière au monde,
en août 2011.
Lorsque Steve Jobs, cofondateur d’Apple avec Steve Wozniak en 1976, effectue son
retour dans la société en 1997 en tant que conseiller à mi-temps, Apple se trouve dans une
situation catastrophique, proche du dépôt de bilan. La société, dirigée par Gil Amelio, enregistre
une perte de plus d’un milliard de dollars pour l’exercice 1997, pour un chiffre d’affaires de sept
milliards de dollars. L’action cote alors treize dollars (soit un peu plus de trois dollars si l’on ajuste
le cours pour tenir compte des fractionnements d’actions qui auront lieu par la suite). La
capitalisation boursière dépasse tout juste les 1,6 milliards de dollars. Brent Schlender, journaliste
du magazine Fortune spécialisé dans la technologie, écrit dans un article daté de mars 1997 :
« Apple Computer, Silicon Valley's paragon of dysfunctional management and fumbled techno-dreams, is back in
4
crisis mode, scrambling lugubriously in slow motion to deal with imploding sales, a floundering technology strategy,
and a hemorrhaging brand name »3.
Après s’être fait nommer PDG par intérim en septembre 1997, la première priorité de
Steve Jobs est de refondre et de simplifier radicalement la gamme de produits de la société.
Dorénavant, Apple se concentrera sur quatre produits : un ordinateur pour les particuliers et un
pour les professionnels, chacun étant décliné en deux versions, ordinateur de bureau et
ordinateur portable. Steve Jobs met également un terme à la vente de la licence du Mac OS, le
système d’exploitation d’Apple, à d’autres fabricants d’ordinateurs. Ainsi, Jobs met en œuvre la
stratégie qu’il défendra toute sa vie : la construction d’un système fermé, contrôlé de bout en bout
par Apple, associant de façon intime matériel et logiciel, afin d’assurer une expérience utilisateur
optimale. Enfin, Jobs, en association avec Jonathan Ive, chef de l’équipe design d’Apple, redonne
toute son importance au design. Le premier grand succès commercial du tandem Jobs-Ive est
l’iMac, un ordinateur de bureau destiné aux particuliers, au design révolutionnaire, qui se vendra à
huit cent mille unités au cours des cinq premiers mois de commercialisation. Enfin, Tim Cook,
alors responsable logistique chez Compaq Computer, est recruté afin de restructurer les circuits
d’approvisionnement et les systèmes de gestion des stocks d’Apple. Au cours de sa première
année de retour aux commandes d’Apple, Jobs licencie plus de trois mille personnes. Pour
l’année 1998, Apple enregistre un résultat net de 309 millions de dollars.
Au début de l’année 2000, en pleine bulle internet, l’action Apple atteint les 100 dollars
(25 dollars après ajustement pour tenir compte des fractionnements d’actions). La capitalisation
boursière d’Apple dépasse les dix-sept milliards de dollars.
5
Exemples de produits Apple et dates de commercialisation (période 1998-1999)
Power Macintosh G3 (janv. 1999) PowerBook G3 (sept. 1998) iMac G3 (août 1998) iBook G3 (juil. 1999)
Professionnels Particuliers
Source: Apple
($m) 2001 2002 2003 2004 2005 2006 6Y CAGR Cours ($) Volume (m)
Chiffre d'affaires 5 363 5 742 6 207 8 279 13 931 19 315 29,2% 100 120
% croissance 7,1% 8,1% 33,4% 68,3% 38,6% 90
80 100
Marge brute 1 235 1 603 1 708 2 259 4 043 5 598 35,3%
70 80
% marge 23,0% 27,9% 27,5% 27,3% 29,0% 29,0%
60
ROC (333) 46 25 349 1 650 2 453 n.a. 50 60
% marge n.a. 0,8% 0,4% 4,2% 11,8% 12,7% 40
BPA -0,04 0,09 0,10 0,36 1,56 2,27 n.a. 30 40
% croissance n.a. 6% 274% 339% 46% 20 20
10
Source: Apple 0 0
janv.-01 janv.-02 janv.-03 janv.-04 janv.-05 janv.-06
6
appareils (dont l’iPod, l’iPhone et l’iPad), les ordinateurs iMac allaient voir leurs ventes dopées
pendant de nombreuses années.
Cette révolution stratégique fut initiée par le lancement d’iTunes en janvier 2001, un
logiciel permettant aux utilisateurs de Mac de lire et de gérer leurs contenus musicaux. Apple
comprit rapidement que l’étape suivante allait consister à créer un baladeur numérique
fonctionnant avec iTunes, d’autant plus que l’offre de baladeurs alors disponible sur le marché
était relativement pauvre. L’utilisateur se servirait d’iTunes pour gérer ses contenus musicaux,
créer des listes de lecture et les transférer sur le baladeur numérique. Ainsi naquit l’iPod, un
baladeur numérique extrêmement simple d’utilisation capable de stocker mille chansons.
Le premier iPod fut dévoilé en octobre 2001. Par la suite, Apple ne cessera d’enrichir sa
gamme de baladeurs numériques avec le lancement régulier de nouveaux produits. Parallèlement
à l’iPod, Apple fournit à ses utilisateurs, avec l’iTunes Store (lancé en avril 2003), un moyen
simple, légal et sécurisé de télécharger de la musique. Un million de morceaux furent vendus dans
les six jours qui suivirent le lancement de l’iTunes Store, et en février 2010, la barre des dix
milliards de morceaux vendus fut atteinte.
Les ventes d’iPods et de contenus musicaux constituaient alors une part de plus en plus
prépondérante de l’activité d’Apple, jusqu’à représenter 50% des revenus de la société pour
l’année 2006 (contre 38% pour les ventes d’ordinateurs). Apple n’était plus uniquement un
fabricant de micro-ordinateurs mais un créateur innovant de produits électroniques grand public.
iPod Classic (oct. 2001) iPod Mini (janv. 2004) iPod Nano (sept. 2005) iPod Shuffle (janv. 2005) iPod Touch (sept. 2007)
Source: Apple
7
2007-2011 : La transformation : iPhone et iPad
Bien que le succès de l’iPod fût éblouissant, les dirigeants d’Apple commencèrent à
s’inquiéter à partir de 2005 de l’essor des téléphones portables et de la menace qu’ils pourraient
représenter pour l’iPod. L’appareil photo numérique était alors fortement concurrencé par les
téléphones mobiles équipés d’appareils photo. La même chose pouvait arriver à l’iPod si les
fabricants de téléphone commençaient à les équiper de lecteurs de musique. Apple décida donc
de créer un téléphone portable révolutionnaire. D’autant que le marché était gigantesque : 825
millions de téléphones portables furent vendus dans le monde en 2005.
Le succès du premier iPhone fut phénoménal, tout comme celui des versions
ultérieures. Pour l’année 2010, Apple vendit près de 40 millions d’iPhone, représentant 39% du
chiffre d’affaires de l’entreprise (soit 25,2 milliards de dollars).
Lors de sa sortie en juin 2007, les utilisateurs de l’iPhone ne pouvaient pas acheter
d’applications à des développeurs externes à Apple. Steve Jobs s’y opposait fermement, lui qui
avait toujours milité pour la construction d’un système fermé, contrôlé de bout en bout par
Apple. Toutefois, celui-ci s’y résigna sous la pression des autres dirigeants d’Apple qui voyaient
dans l’écosystème des applications un potentiel gigantesque. Finalement, l’App Store fut lancé sur
iTunes en juillet 2008. Neuf mois plus tard, un milliard d’applications avaient été téléchargées.
8
Enfin, en avril 2010, Apple mit en vente sa tablette numérique, l’iPad, au design et aux
fonctionnalités directement inspirés de l’iPhone. Une fois encore, le succès est exceptionnel. En
moins d’un mois, un million d’iPads sont vendus et en mars 2011, neuf mois après son
lancement, quinze millions d’unités ont été écoulées. Cela fait de l’iPad le produit au lancement le
plus réussi de l’histoire d’Apple. De plus, en moins de cinq mois, les développeurs avaient écrit
vingt-cinq mille applications spécialement optimisées pour le grand écran de l’iPad. En juin 2011,
quatre cent vingt-cinq mille applications étaient disponibles aux utilisateurs de l’iPhone et de
l’iPad, et la barre des quatorze milliards de téléchargements d’applications avaient été franchie sur
l’App Store.
iPhone et iPad
Source: Apple
En l’espace de dix ans, Apple s’est donc profondément transformé en allant bien au-delà
de son activité historique de fabrication d’ordinateurs, devenue minoritaire en termes de
pourcentage du chiffre d’affaires total. Le chiffre d’affaires d’Apple est passé de cinq milliards de
dollars en 2001 à plus de cent-trois milliards de dollars en 2011 (consensus des analystes), soit un
taux de croissance annuel moyen époustouflant de 34%.
9
Evolution du chiffre d’affaires et cours de bourse (2006 - Q2 2011)
10
b) Eléments d’analyse financière
La création de richesse…
Un bref regard rétrospectif sur les performances financières passées (nous présentons ici
sept années d’historique de résultats afin de nous replacer dans une perspective de long-terme)
d’Apple appelle instantanément plusieurs constats.
($m) 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011E 7Y CAGR
Chiffre d'affaires 8 279 13 931 19 315 24 006 32 479 42 905 65 225 103 672 43,5%
% croissance 68,3% 38,6% 24,3% 35,3% 32,1% 52,0% 58,9%
Marge brute 2 257 4 042 5 598 8 154 11 145 17 222 25 684 40 822 51,2%
% marge 27,3% 29,0% 29,0% 34,0% 34,3% 40,1% 39,4% 39,4%
EBITDA 463 1 822 2 678 4 726 6 748 12 474 19 412 32 342 83,4%
% marge 5,6% 13,1% 13,9% 19,7% 20,8% 29,1% 29,8% 31,2%
ROC 313 1 643 2 453 4 409 6 275 11 740 18 385 30 668 92,5%
% marge 3,8% 11,8% 12,7% 18,4% 19,3% 27,4% 28,2% 29,6%
Source: Apple, Consensus des analystes
Tout d’abord, le chiffre d’affaires d’Apple a connu des taux de croissance phénoménaux
sur la période 2004 – 2011E, atteignant un taux de croissance annuel moyen astronomique de
+43,5%. Cette croissance des ventes, rythmée par les lancements de nouveaux produits et de
nouvelles versions, est avant tout le résultat d’une croissance des volumes de produits vendus. En
effet, les prix moyens de ventes pour les principales catégories de produits Apple (Macs, iPod,
iPhone, iPad) sont globalement stables après leur introduction (Voir annexe 1). Cela explique
d’une part la nécessité qu’a Apple de continuer à innover sans cesse afin d’être en mesure
d’introduire de façon régulière de nouveaux produits et d’autre part l’accélération de la fréquence
de lancement de nouvelles versions (exemple : l’iPhone).
Le deuxième constat évident est la très forte concentration du chiffre d’affaires d’Apple
autour de ses quelques produits phares, et notamment de l’iPhone, qui représente sur les six
11
premiers mois de 2011 plus de 44% du chiffre d’affaires total de la société, alors qu’il n’existait
pas en 2006.
% du chiffre d'affaires total 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 H1 2011
Ordinateurs de bureau 29% 25% 17% 17% 17% 10% 10% 6%
Ordinateurs portables 31% 20% 21% 26% 27% 22% 17% 14%
= Total Mac 59% 45% 38% 43% 44% 32% 27% 20%
iPod 16% 33% 40% 35% 28% 19% 13% 10%
iPhone n.a. n.a. n.a. 1% 6% 30% 39% 44%
iPad n.a. n.a. n.a. n.a. n.a. n.a. 8% 14%
Musique 3% 6% 10% 10% 10% 9% 8% 6%
Périphériques 11% 8% 6% 5% 5% 3% 3% 2%
Software & service 10% 8% 7% 6% 7% 6% 4% 3%
Source: Apple
Bien entendu, cette très forte concentration du chiffre d’affaires d’Apple sur quatre
produits (pour simplifier) crée un facteur de risque important, d’autant plus que la concentration
des profits par produit est encore plus grande (Apple ne communique par ses profits par ligne de
produits mais les analystes estiment que l’iPhone réalise plus de la moitié des profits d’Apple,
contre c. 45% du chiffre d’affaires).
Par ailleurs, Apple opère avec un besoin en fonds de roulement négatif, grâce
notamment à une excellente gestion de ses stocks, qui ne représentent en moyenne sur la période
12
2004-2010 que 5 jours de chiffre d’affaires. De plus, les clients payent en moyenne à 30 jours,
alors que les fournisseurs sont payés à 60 jours. Bien entendu, ce besoin en fonds de roulement
négatif est un atout important favorisant une politique de croissance autofinancée.
Trésorerie nette 5 464 8 261 10 110 15 386 24 490 33 992 51 011 65 767
Dette nette/EBITDA -11,8 -4,5 -3,8 -3,3 -3,6 -2,7 -2,6 -2,5
Source: Apple
Comme on le voit dans le tableau ci-dessus, la très forte génération de free cash flows
contribue, année après année, en l’absence de versement de dividendes et de rachats d’actions, à
l’accroissement de la trésorerie nette d’Apple qui atteint 65,8 milliards de dollars à la fin du T2
2011. La structure financière d’Apple est donc extrêmement inhabituelle avec l’absence de dette
financière ou bancaire au bilan et des réserves de cash représentant 21% de la capitalisation
boursière au 30 juin 2011.
13
De plus, le ROE est également très élevé (26% en 2010), bien au-dessus du coût des
capitaux propres. Son niveau moindre par rapport au ROCE s’explique par l’importance de la
trésorerie nette d’Apple qui rapporte des intérêts très faibles (0,75% avant impôts en 2010).
Source: Apple
En conclusion, on peut affirmer qu’en juin 2011, Apple est une entreprise en très forte
croissance (+83% au T2 2011 par rapport à l’année précédente4, après +71% au T1, et +52%
pour l’année 2010), à la rentabilité élevée, et aux besoins d’investissements limités. L’entreprise
est donc très fortement génératrice de free cash flows, qui contribuent, trimestre après trimestre, à
l’accroissement de la trésorerie nette au bilan.
4 Voir l’annexe 2 pour un aperçu des performances financières trimestrielles d’Apple sur les six derniers
trimestres
14
2) La valorisation de l’action Apple par les analystes sell-side
a) Le consensus des analystes
Ce qui frappe immédiatement lorsque l’on se penche sur le consensus des analystes sell-
side sur Apple à la fin du mois de juin 2011, c’est l’extraordinaire unanimité des analystes qui
recommandent presque sans exception l’achat du titre. Sur les 51 analystes qui suivent la valeur,
49 sont à l’achat, 1 recommande de conserver, et un seulement recommande de vendre le titre5.
15
L’objectif de cours moyen des analystes est donc de 472 dollars, correspondant à un
potentiel d’appréciation de 42% par rapport au cours de clôture du 30 juin 2011. Un tel
consensus parmi les analystes, avec de plus un tel potentiel estimé d’appréciation du titre, est
extrêmement inhabituel pour une société de cette taille. On peut affirmer sans prendre trop de
risques qu’un tel enthousiasme des analystes ne se constate mi-2011 à l’égard d’aucune autre large
cap.
16
b) Les méthodes de valorisation utilisées par les analystes
Méthodes de valorisation d’Apple utilisées par les analystes sell-side (juin 2011)
Broker Date Target Méthode Détails
Morgan Stanley 26/06/2011 428,00 PE 18x CY11 EPS of $23.76
Gleacher & Company 07/06/2011 450,00 PE ex-cash 13x CY12 EPS of $30.00 plus 70% of the $70 in net cash per share
FBN Securities 21/06/2011 500,00 DCF WACC of 12%, perpetual growth rate of 3%
Barclays 24/06/2011 465,00 PE ex-cash 14x FY12 EPS of $28.00 excluding interest income ($0.34) and adding back cash ($70)
BMO Capital Markets 27/06/2011 420,00 PE 14.5x FY12 EPS of $28.71
Morgan Keegan 28/06/2011 480,00 PE 18x CY11 EPS of $26.67
Sterne Agee 27/06/2011 460,00 PE ex-cash 12.5x CY12 EPS of $31.10 plus net cash
Piper Jaffray 23/06/2011 554,00 PE 18x CY12 EPS of $30.78
Oppenheimer 20/06/2011 420,00 PE 13x CY12 EPS of $32.34
JP Morgan 16/06/2011 450,00 PE & EV/EBITDA Weighted blend of EV/EBITDA (50%) and P/E (50%) scenarios
Caris & Company 07/06/2011 500,00 PE ex-cash 15x CY11 EPS plus net cash
Canaccord Genuity 06/06/2011 485,00 PE 18x FY12 EPS of $26.97
Susquehanna 07/06/2011 465,00 PE ex-cash 16x CY11 EPS excluding interest income plus net cash
Nombre de recommandations 13
Ce que l’on remarque tout d’abord, c’est que les analystes utilisent très majoritairement
(92% d’entre eux sur l’échantillon étudié) la méthode des multiples, et notamment du PE
(Price/Earnings). En effet, seul un analyste valorise l’action Apple avec la méthode DCF. C’est le
reflet, selon-nous, de la difficulté qu’il y a de prévoir les flux de trésorerie qui seront générés dans
l’avenir (même relativement proche) par l’entreprise. En effet, Apple opère dans un secteur où
l’innovation est permanente, où les goûts des consommateurs changent très rapidement, et où les
tendances peuvent se retourner de façon brutale.
Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’un pourcentage élevé (38%) d’analystes utilise
la méthode dite du « PE ex-cash ». Cette méthode est utilisée par les analystes en raison de la très
importante trésorerie excédentaire, et structurelle, d’Apple. Nous expliquerons cette méthode
dans le détail dans le paragraphe I.4) a) et en discuterons les principaux avantages et
inconvénients.
17
Enfin, nous notons que si certains analystes expliquent de façon précise le choix du
multiple qu’ils accordent au bénéfice par action d’Apple (moyenne historique, prime ou décote
par rapport au multiple du S&P500, etc), un grand nombre d’entre eux assignent un multiple de
façon relativement arbitraire. Il sera donc intéressant, et instructif, de regarder de façon plus
précise les multiples de valorisation historiques de l’action Apple ainsi que les multiples de
valorisation des entreprises comparables.
18
3) La valorisation de l’action Apple par le marché
a) Les multiples d’Apple et de ses comparables
Dans ce paragraphe, nous effectuons une comparaison entre les principaux multiples de
valorisation (EV/Sales, EV/EBITDA, EV/EBIT et PE) d’Apple et de ses comparables. Nous
calculons les multiples au 30 juin 2011, c’est-à-dire en utilisant les capitalisations boursières des
entreprises à cette date et les dettes nettes figurant aux derniers bilans publiés avant cette date.
Nous présentons ici les multiples pour les années calendaires 2010, 2011 et 2012. Pour cela, nous
avons calendarisé au 31 décembre de chaque année les données financières des sociétés étudiées,
afin de neutraliser l’impact sur les multiples du fonctionnement en exercice décalé de certaines
d’entre elles.
En ce qui concerne le choix des entreprises comparables, nous avons retenu 12 sociétés,
qui présentent des caractéristiques communes avec Apple. Sony, HP, Dell, Lenovo et Acer
produisent des ordinateurs personnels, à la fois portables et de bureaux, une activité comparable
au segment Mac d’Apple. RIM (à travers sa marque Blackberry), LG, Nokia, HTC et Samsung
produisent des téléphones portables et des smartphones, là encore comparables à l’activité iPhone
d’Apple. Enfin, Google (à travers son système d’exploitation pour smartphones Android) et
Microsoft sont des concurrents d’Apple sur la partie logicielle (système d’exploitation) des
smartphones.
6 A noter que nous avons exclu du calcul de la moyenne et de la médiane les multiples EV/EBIT
supérieurs à 20 de LG, afin de ne pas fausser le calcul.
19
Multiples d’Apple et de ses comparables au 30 juin 2011
EV/Sales EV/EBITDA EV/EBIT PE
Société
2010 2011E 2012E 2010 2011E 2012E 2010 2011E 2012E 2010 2011E 2012E
Google 4,4 3,5 3,0 11,2 10,0 8,0 12,4 11,1 8,9 19,2 17,1 13,8
RIM 0,7 0,6 0,5 2,4 2,6 2,6 2,9 3,4 3,3 4,6 5,3 5,3
Sony 0,2 0,2 0,2 2,9 2,6 2,2 9,1 6,8 4,5 n.a. n.a. 14,1
Microsoft 2,7 2,5 2,4 6,4 5,8 5,4 7,1 6,5 6,1 10,8 9,8 9,2
HP 0,7 0,7 0,6 4,4 4,4 4,2 5,9 5,9 5,7 6,9 6,9 6,6
Dell 0,4 0,4 0,4 4,9 4,3 4,1 6,1 5,1 4,9 10,4 8,7 8,5
Lenovo 0,1 0,1 0,1 5,6 4,5 3,8 8,5 6,2 4,9 24,1 16,9 13,3
LG 0,3 0,3 0,3 11,8 8,1 6,1 >20 >20 11,3 9,8 22,8 8,8
Nokia 0,2 0,3 0,3 2,6 4,3 4,4 3,3 6,2 6,3 7,2 18,3 18,7
HTC 2,4 1,3 0,9 15,0 8,4 6,5 15,3 8,6 6,7 19,0 10,9 8,5
Acer 0,1 0,2 0,2 4,5 10,6 6,4 5,1 13,5 7,3 8,9 >35 13,1
Samsung 0,7 0,6 0,6 3,8 3,6 3,2 6,4 6,4 5,7 7,5 7,7 6,9
Moyenne 1,1 0,9 0,8 6,3 5,8 4,8 7,5 7,2 6,3 11,7 11,3 10,5
Médiane 0,5 0,5 0,5 4,7 4,4 4,3 6,4 6,4 5,9 9,8 9,8 9,0
Apple 3,3 2,2 1,9 10,8 7,2 6,0 11,4 7,6 6,3 19,1 12,7 10,6
Le deuxième constat que nous faisons est que l’action Apple s’échange au 30 juin 2011 à
des multiples légèrement supérieurs (pour les années 2011 et 2012, c’est-à-dire les plus
intéressantes) à ceux de l’échantillon. Si le niveau absolu des multiples d’Apple nous étonne par sa
faiblesse (un PE11E de 12,7x pour une société dont le chiffre d’affaires sur les douze derniers
mois a cru de 70% par rapport à la même période de l’année précédente, et dont les analystes
anticipent une progression de 59% du chiffre d’affaires annuel 2011), nous ne sommes en
revanche pas surpris par la légère prime de valorisation de l’action Apple par rapport à ses
comparables. Cela est en effet aisément justifiable par les importantes perspectives de croissance
de la société, beaucoup plus prometteuses par exemple que celles des fabricants d’ordinateurs
personnels.
20
Arrêtons-nous maintenant un instant sur les multiples historiques d’Apple, en
remontant sur une période longue, afin de voir si l’action Apple s’est toujours échangée à ces
multiples, ou si au contraire il s’agit d’un phénomène récent.
21
b) Les multiples historiques d’Apple
Nous présentons dans les graphes ci-dessous les multiples EV/Sales, EV/EBITDA,
EV/EBIT et PE LTM (« last twelve months ») d’Apple et du S&P 500 pour la période allant de
janvier 2006 au 30 juin 2011 (sauf pour les multiples EV/Sales pour lesquels nous remontons à
l’année 2000)7.
7,0
6,0
5,0
4,0
3,0 3,2x
2,3x
2,0
1,6x
1,0
0,0
févr.-00 mars-02 avr.-04 mai-06 juin-08 juil.-10
40,0
35,0
30,0
25,0
20,0
17,8x
15,0
10,0 10,5x
5,0 8,6x
0,0
janv.-06 janv.-07 janv.-08 janv.-09 janv.-10 janv.-11
Apple S&P 500 Moyenne Apple
7Pour les PE LTM, nous avons enlevé les multiples supérieurs à 40, afin de ne pas fausser le calcul de la
moyenne.
22
Multiple historique EV/EBIT LTM d’Apple (janvier 2006 - juin 2011)
45,0
40,0
35,0
30,0
25,0
20,0 19,1x
15,0 11,7x
10,0
11,1x
5,0
0,0
janv.-06 janv.-07 janv.-08 janv.-09 janv.-10 janv.-11
Apple S&P 500 Moyenne Apple
50,0
45,0
40,0
35,0
30,0
25,0
27,3x
20,0
16,2x
15,0
16,0x
10,0
5,0
0,0
janv.-06 janv.-07 janv.-08 janv.-09 janv.-10 janv.-11
Ces graphes nous permettent de constater qu’à la fin juin 2011, l’action Apple s’échange
à des multiples proches des plus bas historiques. Le multiple EV/EBIT LTM au 30 juin (11,1x)
est certes supérieur au niveau de mars 2009 (8,0x) quand les marchés étaient à leurs plus bas, mais
le PE LTM est à la fin juin 2011 à un plus bas historique sur la période 2006-2011. Il est
également inférieur au multiple du S&P 500 (16,2x). Nous en concluons que les multiples de
valorisation de l’action Apple au 30 juin 2011 sont historiquement faibles, ayant été égalés
seulement lors de la période septembre 2008 – mars 2009, lorsque les marchés étaient en chute
libre (point bas de 667 sur le S&P 500 touché début mars 2009).
23
4) Autres questions sur la valorisation
a) Le PE « ex cash », intérêt et critiques
PE FY12E 11,2
PE FY12E ex-cash 8,9
% différence 26%
Les analystes utilisent le PE ex-cash pour valoriser Apple (mais aussi de nombreuses
autres sociétés disposant de larges excédents de trésorerie, comme Microsoft ou Cisco Systems)
en raison de l’importance de la trésorerie nette structurelle de l’entreprise. La trésorerie nette
d’Apple représente en effet 21% de sa capitalisation boursière à fin juin 2011. En théorie, Apple
pourrait donc distribuer cette trésorerie aux actionnaires (sous forme de dividendes ou de rachat
8A noter que certains analystes sell-side ne déduisent par les revenus générés par la trésorerie du bénéfice
par action. Il s’agit à nos yeux d’une erreur, même si les conséquences sur la valorisation sont marginales.
24
d’actions) à défaut de l’investir dans des projets rapportant au moins le coût du capital. Par
prudence, on devrait néanmoins considérer qu’Apple doit conserver à son bilan pour financer
son activité opérationnelle quotidienne un niveau minimum de trésorerie, estimé par les analystes
à moins de 10 milliards de dollars. En prenant cela en compte, on obtient un PE ex-cash très
légèrement plus élevé.
Mais de façon plus importante, utiliser le PE ex-cash revient à valoriser 1 dollar détenu
par Apple exactement 1 dollar. Nous pensons que valoriser la trésorerie au bilan de sociétés en
position de trésorerie nette structurelle massive à sa valeur faciale peut être trompeur. Cela n’est
légitime selon nous que lorsque la société indique de façon claire aux investisseurs les utilisations
qu’elle entend faire de ce cash, en particulier lorsqu’elle exprime sans ambiguïté sa volonté de
distribuer ses excédents de trésorerie aux actionnaires.
Aussi, nous pensons qu’il est parfois légitime (et les investisseurs le font dans le cas
d’Apple, comme nous le verrons dans le paragraphe II.2) d’attribuer une décote aux réserves de
cash des entreprises présentant une trésorerie nette structurelle. Dans le tableau ci-dessous, nous
effectuons le calcul du PE ex-cash d’Apple en appliquant une décote (arbitraire) de 30% aux
réserves de cash.
25
PE ex-cash d’Apple avec décote appliquée aux excédents de
trésorerie
26
b) Quel WACC pour une société en net cash structurel ?
Apple ayant une très large – et structurelle – trésorerie excédentaire, comment calculer
son coût du capital ? Tout d’abord, rappelons la structure du bilan de la société. C’est ce que nous
présentons dans les deux graphes ci-dessous.
$ Mds %
80,0 120%
70,0 3,6 5%
100%
60,0
80%
50,0
40,0 60%
65,8 69,3 95% 100%
30,0 40%
20,0
20%
10,0
0,0 0%
Actif Passif Actif Passif
Net cash Actif économique Capitaux propres Net cash Actif économique Capitaux propres
Source: Apple
Comme nous l’avons déjà indiqué précédemment, Apple possède une structure
financière extrêmement inhabituelle avec une trésorerie nette égale à 95% de ses capitaux propres
comptables et un actif économique ne représentant que 5% de ceux-ci9.
9 Apple porte à son bilan un niveau élevé d’impôts différés passifs (7,9Mds$ à la fin du Q2 2011). Nous
classifions ces impôts différés passifs (structurels chez Apple) en capitaux propres car nous pensons qu’il
est peu probable que ceux-ci donnent lieu à des flux de trésorerie sortants dans un avenir proche.
27
Le premier raisonnement qui nous vient alors à l’esprit lorsque l’on souhaite calculer le
coût du capital serait de considérer que la société doit gagner un taux de rentabilité sur ses
capitaux investis (c’est-à-dire à la fois sa trésorerie nette et son actif économique) égal au WACC
(pour l’exemple, disons 14%). Or, ce raisonnement implique de façon évidente que le taux de
rentabilité de l’actif économique soit nettement supérieur à 14%. En effet, la trésorerie nette
d’Apple ne rapporte qu’un taux de rentabilité extrêmement faible (de l’ordre de 0,75% avant
impôts), proche des taux du marché monétaire. Dès lors, afin d’obtenir un taux de rentabilité
global égal à 14%, il faudrait que l’actif économique génère une rentabilité de 18%10. Ce
raisonnement est à notre avis fallacieux, car il conduit à exiger un taux de rentabilité sur l’actif
économique trop élevé compte tenu de son risque.
A présent que nous avons établi le lien entre WACC et coût des capitaux propres dans
une société en trésorerie nette structurelle, effectuons maintenant le calcul du WACC d’Apple.
Nous en déduirons alors le coût des capitaux propres.
Nous calculons tout d’abord la prime de risque (equity risk premium, ERP) d’Apple, en
utilisant les primes de risque par zones géographiques données par Damodaran 12, pondérées par
le chiffre d’affaires qu’Apple réalise dans chacune de ces zones13. Nous obtenons une prime de
risque pour la société de 6,08%.
28
Calcul de la prime de risque d’Apple
Nous calculons ensuite le beta déleveragé d’Apple en utilisant là encore des moyennes par
secteur données par Damodaran, en les pondérant par l’EV estimée de chaque secteur dans l’EV
totale d’Apple (nous utilisons pour cela des multiples EV/Sales par secteur données par
Damodaran). On obtient un beta déleveragé égal à 1,51.
Nous pouvons désormais calculer le WACC d’Apple, en utilisant comme taux sans
risque le taux des obligations d’Etat américaines à 10 ans au 30 juin 2011, soit 3,18%. On obtient
un WACC de 12,4%.
WACC 12,4%
29
On peut donc utiliser ce WACC de 12,4% pour déduire le taux de rentabilité exigé par
les actionnaires d’Apple (coût des capitaux propres). Une simple application numérique14 donne
le chiffre de 9,9%.
30
c) DCF indicatif
Nous présentons ci-dessous, à titre indicatif, une valorisation de l’action Apple par la
méthode DCF. Les principales hypothèses que nous prenons sont les suivantes :
- Les données financières des années 2011, 2012 et 2013 sont issues du consensus des
analystes
- La croissance du chiffre d’affaires décroît rapidement vers sa valeur à l’infini de 3%
- La marge d’EBITDA atteint un pic de 32% en 2013 avant de refluer vers 27% en année
terminale
- Les charges de D&A convergent vers 2% du chiffre d’affaires en année terminale
- Le taux d’impôt sur l’EBIT converge rapidement vers 25%
- Le pourcentage capex/chiffre d’affaires décroît de 3% en 2011 à 2% en année terminale
- La variation du BFR converge vers 0,1% du chiffre d’affaires en année terminale
- Nous prenons le WACC calculé précédemment de 12,4%
($m) 2010 2011E 2012E 2013E 2014E 2015E 2016E 2017E Année terminale
Chiffre d'affaires 65 225 103 672 126 596 147 193 161 912 174 865 185 357 192 771 198 554
% croissance 58,9% 22,1% 16,3% 10,0% 8,0% 6,0% 4,0% 3,0%
EBITDA 19 412 32 342 38 774 47 060 50 193 52 459 53 753 53 976 53 610
% marge 29,8% 31,2% 30,6% 32,0% 31,0% 30,0% 29,0% 28,0% 27,0%
D&A (1 027) (1 674) (1 991) (2 616) (2 914) (3 148) (3 522) (3 663) (3 971)
% du CA 1,6% 1,6% 1,6% 1,8% 1,8% 1,8% 1,9% 1,9% 2,0%
EBIT 18 385 30 668 36 783 44 444 47 278 49 312 50 232 50 313 49 639
% marge 28,2% 29,6% 29,1% 30,2% 29,2% 28,2% 27,1% 26,1% 25,0%
Impôts (4 486) (7 575) (9 196) (11 111) (11 820) (12 328) (12 558) (12 578) (12 410)
Tax rate on EBIT 24,4% 24,7% 25,0% 25,0% 25,0% 25,0% 25,0% 25,0% 25,0%
D&A add-back 1 027 1 674 1 991 2 616 2 914 3 148 3 522 3 663 3 971
Gross cash flow 14 926 24 767 29 578 35 949 38 373 40 131 41 196 41 398 41 200
% du CA 22,9% 23,9% 23,4% 24,4% 23,7% 23,0% 22,2% 21,5% 20,8%
Net capex (2 121) (3 110) (2 912) (3 238) (3 562) (3 847) (3 892) (4 048) (3 971)
% du CA 3,3% 3,0% 2,3% 2,2% 2,2% 2,2% 2,1% 2,1% 2,0%
Variation du BFR 1 535 1 555 886 736 486 525 371 386 199
% du CA 2,4% 1,5% 0,7% 0,5% 0,3% 0,3% 0,2% 0,2% 0,1%
Operating FCF 14 340 23 212 27 553 33 447 35 297 36 809 37 674 37 735 37 427
% du CA 22,0% 22,4% 21,8% 22,7% 21,8% 21,1% 20,3% 19,6% 18,9%
Valeur actuelle 14 340 22 545 23 813 25 723 24 156 22 416 20 416 18 197 171 259
Valeur actuelle cumulée 22 545 46 358 72 081 96 237 118 653 139 069 157 265 328 524
(Dette nette)/cash net 65 767
Autres 0
Equity Value 394 291
Nombre d'actions 935 944
Valeur par action 421,3
Upside vs cours au 30/06/2011 26,6%
31
Nous obtenons ainsi une valeur par action de 421 dollars, soit une prime (importante)
de 27% par rapport au cours de clôture du 30 juin 2011. Ce chiffre est en particulier inférieur au
consensus moyen des analystes sell-side, ce qui signifie que ceux-ci ont, en moyenne, des
hypothèses plus optimistes que celles que nous avons utilisé.
32
5) Conclusion sur la valorisation
Notre étude de la valorisation de l’action Apple par les analystes sell-side d’un côté, et par
le marché de l’autre, met en évidence deux éléments principaux.
D’une part, l’action Apple se négocie en juin 2011 à des multiples faibles compte tenu
de ses perspectives de croissance. La valorisation par la méthode DCF indique également une
sous-valorisation de l’action.
D’autre part, les analystes sell-side confirment, dans leurs notes de recherche, que l’action
Apple est à leur yeux sous-évaluée. Ils la recommandent en effet massivement à l’achat et fixent
des objectifs de cours élevés.
Dans la deuxième partie de notre travail, nous nous penchons sur les raisons qui
peuvent expliquer, selon nous, cette différence de perception, et d’appréciation, de l’action Apple
entre le marché et les analystes.
33
II. La recherche d’éléments explicatifs
1) La perception du risque par le marché et son impact sur la valorisation
a) Les déterminants d’un multiple faible et la construction d’un « bear case »
Notre objet n’est pas ici d’analyser ou d’argumenter sur les prévisions de chiffre
d’affaires, de volumes vendus ou de marges des analystes, même si ces prévisions ne sont que la
quantification des perspectives de croissance et des risques auxquels la société fait face. On
affirmera donc seulement que l’écart entre le multiple accordé par le marché à l’action Apple et
celui (plus élevé) que les analystes considèrent comme légitime, traduit des perceptions
différentes du potentiel de croissance et du risque de l’entreprise.
Dans ce paragraphe, afin d’illustrer concrètement les principaux risques auxquels fait
face la société Apple en 2011, et l’extrême sensibilité de la valorisation de l’action à quelques
paramètres clés, nous construisons un « bear case » sur Apple (une pratique courante des analystes
et gérants buy-side, qui nous permet également de mieux appréhender leur façon de prendre des
15 Brent Schlender, « The Bill & Warren Show », Fortune Magazine, 1998.
34
décisions d’investissements) que nous comparons à un « base case » basé sur les prévisions des
analystes sell-side.
Notre « bear case » est le suivant. Apple, au cours des dix années précédentes, a créé et
introduit trois produits révolutionnaires (l’iPod, l’iPhone et l’iPad) qui expliquent la croissance
phénoménale de son chiffre d’affaires sur la période. Apple ne dispose plus en 2011 de relais de
croissance significatifs (notamment comparés à sa taille actuelle) liés à l’introduction de nouveaux
produits. La croissance de son chiffre d’affaires est donc amenée à ralentir très fortement : 40%
en 2011, 15% en 2012 et 5% en 2013. De plus, les smartphones et les tablettes d’Apple, qui assurent
l’essentiel du chiffre d’affaires et des profits de la société, souffrent d’une concurrence croissante
de la part d’acteurs asiatiques (notamment Samsung), qui pèse fortement sur les marges. Toute
tentative de la part d’Apple d’élargir sa base de clients (par exemple en introduisant un iPhone
« low cost ») se fait au dépend de ses marges. La marge brute de la société passe donc de 39% en
2010 à 30% en 2013, et la marge opérationnelle passe de 28% en 2010 à 20% en 2013. Le tableau
ci-dessous résume nos hypothèses « bear », et les compare avec les données du « base case »,
construit en utilisant le consensus des analystes sell-side présenté précédemment.
Chiffe d'affaires 65 225 91 315 105 012 110 263 65 225 103 672 126 596 147 193
% croissance 40% 15% 5% 59% 22% 16%
Marge brute 25 684 31 960 33 604 33 079 25 684 40 822 49 305 58 483
% marge 39,4% 35,0% 32,0% 30,0% 39,4% 39,4% 38,9% 39,7%
EBIT 18 385 22 829 24 153 22 053 18 385 30 668 36 783 44 444
% marge 28,2% 25,0% 23,0% 20,0% 28,2% 29,6% 29,1% 30,2%
Résultat net 14 013 17 461 18 560 17 088 14 013 23 359 28 100 34 028
EPS 15,1 18,7 19,8 18,3 15,1 25,0 30,0 36,4
% croissance 24% 6% -8% 65% 20% 21%
A partir de ces hypothèses sur les croissances du chiffre d’affaires et sur les marges dans
les deux scénarios, nous construisons deux modèles liant comptes de résultats, bilans, et tableaux
de flux de trésorerie. Nous reproduisons ces deux modèles, et nous précisons les quelques
hypothèses supplémentaires que nous avons prises, en annexe 3.
35
Nous construisons maintenant notre valorisation en utilisant la méthode du PE ex-cash
appliquée aux résultats 2013. Nous appliquons un PE ex-cash « conservateur » de 8,0x dans les
deux cas.
On obtient donc une valeur de 432 dollars par action dans le base case, un chiffre
légèrement inférieur à l’objectif de cours des analystes sell-side que nous avons détaillé dans la
première partie de ce travail, mais seulement 253 dollars dans notre bear case, soit 24% de moins
que le cours au 30 juin 2011.
Cet exemple de construction d’un bear case, bien qu’exagérément simpliste, illustre selon
nous de façon pertinente la sensibilité de la valeur de l’action Apple à quelques hypothèses clés
sur les croissances du chiffre d’affaires et les marges. Cela nous permet également d’appréhender
de façon plus intime le mode de pensée de nombreux gérants de fonds et leur façon de valoriser
l’action. Nous pensons notamment que la faiblesse des multiples de valorisation de l’action Apple
en juin 2011 est liée en partie au fait que les analystes et gérants buy-side accordent sans doute une
importance plus grande à leurs bear cases que ne le font les analystes sell-side.
36
2) Le marché attribue-t-il une décote aux réserves de cash d’Apple ?
a) La politique d’allocation du capital et son impact sur la valorisation
Rappelons pour commencer quelques chiffres sur les réserves de cash d’Apple ainsi que
sur sa gestion par l’entreprise.
- A la fin du T2 2011 (clôturé le 26 mars), Apple possède à son bilan une trésorerie nette
(Apple ne possède aucune dette financière ou bancaire à son bilan) de 65,8 milliards de
dollars, soit 70,3 dollars par action. Ces réserves de cash représentant 21% de la
capitalisation boursière au 30 juin 2011.
- Environ 31% de ce montant est investi dans des titres d’état américain, et 35% dans des
titres d’entreprise. Le taux d’intérêt perçu par Apple sur sa trésorerie est très faible :
0,76% au Q2 2011, 0,75% au Q1 2011 et 0,75% pour l’année fiscale 2010, soit des taux
proches de ceux du marché monétaire.
- De plus, la très solide génération de free cash flows d’Apple contribue à accroitre, trimestre
après trimestre, les réserves de cash de l’entreprise, en l’absence d’acquisitions
importantes, de versement de dividendes ou de rachats d’actions. Sur les quatre derniers
trimestres clôturés (T3 2010 à T2 2011), Apple a accru en moyenne sa trésorerie nette de
6 milliards de dollars par trimestre.
- Enfin, sur les 65,8 milliards de trésorerie nette d’Apple, 40,2 milliards de dollars sont
détenus par des filiales étrangères (soit 61%), le reste étant détenu aux Etats-Unis (25,6
milliards de dollars). Si Apple choisissait de rapatrier aux Etats-Unis la trésorerie détenue
dans des filiales étrangères, il s’exposerait à une taxe de l’ordre de 35% sur les sommes
rapatriées.
16Par exemple : « An open letter to CEO Steve Jobs and Apple’s Board – Time to return cash to
shareholders », T. Sacconaghi, BernsteinResearch, 12 août 2010
37
Que penser alors d’une part du niveau absolu de trésorerie qu’Apple conserve à son
bilan, et d’autre part de sa politique d’allocation du capital ?
La première remarque que nous pouvons faire est que les entreprises (notamment
américaines) ont, dans le contexte de crise financière et économique auxquelles elles ont fait face
depuis 2007, renforcé de façon significative leurs réserves de cash (perçues à juste titre comme
une protection contre les aléas de conjoncture). Cela se mesure par exemple par le ratio
trésorerie/capitalisation boursière. Selon UBS, ce ratio passe en moyenne dans le monde de
moins de 5% à plus de 10% entre 2005 et 201117.
$Mds
70 66
60
50
38
40 33
30 27
20 13
10 7
0
Apple Microsoft Google Cisco Samsung Dell
Source : Sociétés
38
Trésoreries nettes en pourcentage de la capitalisation boursière
%
35% 31%
30%
25% 22% 21% 21%
20% 17%
15% 11%
10%
5%
0%
Cisco Dell Apple Google Microsoft Samsung
Source : Sociétés, Yahoo Finance
La situation d’Apple n’est donc pas unique. Le montant absolu de ses réserves de cash
n’en reste pas moins extraordinaire. Il s’agit en effet de la plus grande position net cash de toutes
les entreprises américaines cotées. Pourquoi Apple, ainsi que d’autres sociétés, notamment du
secteur technologique, décident-elles alors de conserver de telles réserves de cash dans leurs
bilans ? Selon nous, pour deux raisons principales.
Tout d’abord, dans un secteur où les mutations technologiques sont fréquentes et où les
attentes des consommateurs rapidement changeantes, les retournements de tendance sont très
rapides et les entreprises du secteur peuvent se trouver confrontées brutalement à des situations
extrêmement compliquées. Les exemples historiques sont multiples : pensons par exemple aux
difficultés de Nokia dans les smartphones ou à celles de RIM plus récemment. Maintenir un niveau
élevé de réserves de cash (un « trésor de guerre ») permet à ces entreprises de garder une plus
grande marge de manœuvre en cas de difficultés financières, d’autant plus qu’une augmentation
de capital ne peut alors pas toujours être réalisée à des conditions acceptables.
39
entreprise mature. De nombreuses autres sociétés technologiques connaissant un grand succès
(comme Google ou Amazon) ne payent pas de dividendes.
Pourquoi le marché attribuerait-t-il alors une décote à la trésorerie nette d’Apple ? Une
des raisons principales (invoquées notamment par de nombreux actionnaires d’Apple) réside dans
le coût d’opportunité du cash inactif. Ces excédents de trésorerie sont en effet placés dans des
instruments financiers très sûrs mais rapportant des taux d’intérêts faibles, en général inférieurs à
l’inflation. Cette trésorerie est donc très loin de rapporter le coût des capitaux propres. De plus,
en l’absence d’une volonté clairement affichée par l’entreprise de redistribuer aux actionnaires ces
excédents de trésorerie (ou bien de les utiliser pour d’autres projets, ou encore pour financer des
acquisitions), les investisseurs savent que les profits futurs seront réinvestis à un rendement
faible. Le marché applique donc une décote à la trésorerie nette excédentaire qui se trouve au
bilan, mais a tendance également à abaisser le multiple qu’il accorde aux résultats de l’entreprise
car ses profits futurs seront réinvestis de façon sous optimale.
Essayons maintenant de quantifier la décote que le marché attribue aux réserves de cash
d’Apple à la fin juin 2011. Pour cela, nous calculons dans un premier temps l’EPS CY12E
« opérationnel » d’Apple (c’est-à-dire hors impact des produits de la trésorerie nette) en nous
fondant sur le consensus des analystes 18. Nous en déduisons alors le PE CY12E ex-cash d’Apple
qui est de 8,5x. Ce PE ex-cash, tel qu’il est calculé ici, suppose bien entendu qu’aucune décote
n’est appliquée à la trésorerie nette.
18 Nous calculons dans cette partie des EPS et des multiples pour l’année calendaire 2012, et non pour
l’année fiscale d’Apple qui se termine en septembre. C’est pour cela que l’EPS et le PE ex cash ne sont pas
égaux à ceux calculés au paragraphe I.4) a)
40
Afin de quantifier la décote que le marché attribue aux réserves de cash d’Apple, nous
procédons de la façon suivante. Nous sélectionnons les trois comparables d’Apple qui nous
paraissent les plus pertinents (Microsoft, Google et Samsung). Ces trois entreprises ont de plus,
tout comme Apple, de très importantes positions de trésorerie nette à leur bilan, comme nous
l’avons vu plus haut. Nous calculons ensuite leurs PE CY12E ex-cash, sur la base de leur cours
de bourse au 30 juin 2011 et du consensus des analystes pour les données financières. Enfin,
nous calculons la moyenne de ces trois chiffres. Le tableau ci-dessous présente les résultats
obtenus.
Nous considérons ensuite qu’Apple mérite (au moins, pourrions-nous sans doute
justifier) ce multiple de 8,9x. Autrement dit, nous considérons que le marché applique ce multiple
« juste » de 8,9x aux résultats d’Apple, mais que parallèlement, il attribue une décote à sa
trésorerie nette, que nous pouvons alors aisément calculer.
41
Ainsi, en attribuant un multiple de 8,9x aux résultats d’Apple, le marché valorise
implicitement la trésorerie nette d’Apple avec une décote de 18%. Il s’agit d’une décote
importante, qui correspond d’ailleurs à peu près au montant de la trésorerie nette qu’Apple
pourrait distribuer s’il rapatriait la trésorerie détenue dans les filiales étrangères et s’acquittait de la
taxe de 35%19.
Dans le tableau ci-dessous, nous présentons une table de sensibilité donnant la décote
implicite sur la trésorerie nette en fonction du PE CY12E ex-cash d’Apple.
PE ex-cash
8,5 8,6 8,7 8,8 8,9 9,0 9,1 9,2 9,3
Selon nous, le marché attribue un multiple plus haut aux résultats d’Apple que ne
l’affirment les analystes sell-side, mais attribue également une décote importante à ses réserves de
cash. On le voit, on peut donc affirmer avec une certaine force que le marché attribue une décote
non négligeable aux réserves de cash d’Apple. Cela peut expliquer, selon nous, une part de la
sous-valorisation d’Apple par le marché.
Comment Apple pourrait-il alors diminuer voir annuler cette décote ? Selon nous, en
annonçant au marché de façon claire l’usage qu’il entend faire de ses excédents de trésorerie. En
particulier, annoncer au marché un plan précis de distribution de la trésorerie excédentaire (en
l’absence d’acquisitions majeures), via l’initiation d’une politique de versement de dividendes ou
de rachats d’actions, réduirait de façon significative la décote que le marché attribue aux réserves
de cash d’Apple.
19Sur les 70,4 dollars de cash par action détenus par Apple, 42,9 sont détenus par des filiales étrangères. Si
Apple rapatrie ce cash et s’acquitte de la taxe de 35%, il devrait payer 15,0 dollars de taxes par action. Cela
correspondrait à une valeur de cash par action de 55,3 dollars (équivalent à une décote de 21%).
42
Nous présentons, en Annexe 4, une simulation de l’impact d’une offre de rachat
d’actions sur l’EPS d’Apple et la valeur pour les actionnaires. Dans le paragraphe suivant, nous
précisons, en nous appuyant sur la littérature académique existant sur le sujet, l’impact de
l’initiation d’une politique de versement de dividendes sur la richesse des actionnaires.
43
b) Initiation d’une politique de dividendes et richesse des actionnaires
Les chercheurs ayant mis en cause cette théorie affirmant l’absence de pertinence du
versement de dividendes se sont donc focalisés sur les imperfections, en particulier le régime
d’imposition différencié entre dividendes et plus-values. Les dividendes étant, dans de
nombreuses juridictions, et notamment aux Etats-Unis, imposés à des taux plus élevés que les
plus-values, le versement de dividendes aurait un impact négatif sur la richesse des actionnaires.
L’étude empirique que nous présentons ici, réalisée par Asquith et Mullins (1983), étudie
l’impact de l’initiation d’une politique de versement de dividendes sur la richesse des actionnaires,
en évitant les trois écueils, qui, selon les auteurs, expliquent les désaccords entre les études citées
ci-dessus. Tout d’abord, les deux chercheurs contrôlent et « isolent » les sources d’informations
« polluantes », comme les annonces de résultat, qui parfois sont concomitantes avec l’annonce du
versement d’un dividende. Deuxièmement, ils tiennent compte des prévisions et des anticipations
des investisseurs quant au versement et au montant des dividendes versés. Enfin, les chercheurs
étudient aussi la relation entre le montant absolu du dividende distribué et la performance de
l’action.
44
Les deux chercheurs analysent un échantillon de 168 entreprises ayant décidé de verser
pour la première fois un dividende, sur la période 1963-1980, et analysent les rendements
excédentaires (« excess returns ») moyens des actions en question.
45
3) La structure actionnariale d’Apple
a) L’action Apple est-elle sous-détenue par les gérants institutionnels ?
L’action Apple est-elle sous-valorisée car sous-détenue par les gérants institutionnels ?
Dans ce paragraphe, nous tenterons de répondre à cette question en analysant, sur une durée
longue, les tendances de possession de l’action Apple par les plus grands gérants américains de
fonds actions.
Précisons tout d’abord que la structure actionnariale d’Apple est extrêmement atomisée.
Nous présentons en Annexe 5, la composition de l’actionnariat d’Apple au 30 juin 2011.
Afin d’étudier les tendances de possession de l’action Apple par les grands gérants
américians, nous utilisons les données publiées chaque trimestre par le Chief US Equity Strategist de
Citi, Tobias Levkovich20. Ce dernier compile en effet à la fin de chaque trimestre les 10 plus
grosses positions des 50 plus gros fonds actions américains en termes d’actifs sous gestion, gérés
de façon active (i.e. excluant les fonds passifs). Il présente ensuite dans ses notes trimestrielles les
30 valeurs qui reviennent le plus souvent parmi les 10 premières positions de chacun des 50 plus
gros fonds, classées par nombre d’occurrences. Les 50 plus gros fonds, identifiés par Citi chaque
trimestre, représentent selon la période considérée entre 1 et 2 trillions de dollars d’actifs gérés,
soit 30% à 40% du total des actifs gérés par les fonds actions américains. L’échantillon est donc
particulièrement significatif. Nous présentons dans l’annexe 6 des statistiques plus précises sur les
échantillons de fonds analysés trimestriellement. Pour appuyer la démonstration que nous faisons
dans ce paragraphe, nous analyserons les données publiées par T. Levkovich de 2005 à la fin de
l’année 2012.
De plus, T. Levkovich publie à partir du deuxième trimestre 2011 les mêmes données,
avec la même méthodologie, pour les 50 plus gros hedge funds américains. Ces données nous
permettrons d’apporter un éclairage supplémentaire à la question posée dans ce paragraphe.
Nous présentons ci-dessous les données pour Apple et deux de ses comparables,
Microsoft et Google. La colonne « nombre de fonds » indique, comme nous l’avons expliqué plus
haut, le nombre de fonds (parmi les 50 analysés) qui possèdent l’action en question parmi leurs 10
plus grosses positions à la fin du trimestre considéré. Par exemple, à la fin du deuxième trimestre
2011, 16 des 50 plus gros fonds actions américains possèdent Apple parmi leurs 10 premières
20 Tobias M. Levkovich, Citi Investment Research & Analysis, « The Top Tens », notes trimestrielles.
46
positions21. Nous indiquons également les capitalisations boursières pour chacune des sociétés, à
la fin de chaque trimestre.
Détention des actions Apple, Microsoft et Google par les gérants actions américains
21Ces données nous permettent donc seulement de nous intéresser à la présence, ou non, parmi les dix
premières positions des fonds, mais non à la place précise parmi les dix premières positions (Il n’y a pas de
pondération en fonction de la place parmi les dix premières positions).
47
Cette première analyse nous permet de dresser plusieurs constats. A la fin de l’année
2005, l’action Apple ne figure pas dans les principales positions des grands fonds actions
américains, contrairement à Microsoft, qui est très présent, et même à Google, dans une moindre
mesure. En revanche, l’action Apple va, jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2011 (c’est-à-dire à
la date qui nous intéresse du 30 juin 2011), entrer dans un nombre de plus en plus grands de
portefeuilles institutionnels, parmi les principales positions, jusqu’à devenir plus représentée que
Microsoft et Google. Cela, bien entendu, est l’un des principaux facteurs de la hausse
spectaculaire de l’action Apple sur la période.
Nous pouvons maintenant représenter graphiquement les résultats obtenus. C’est ce que
nous faisons dans le graphe qui suit le tableau de données.
Le résultat obtenu est tout à fait parlant. L’action Apple est clairement sous-détenue par
les gérants de fonds actions, relativement à sa capitalisation boursière, à partir de la fin de l’année
2009. En revanche, ce n’est pas le cas pour les actions Microsoft et Google, qui sont plutôt sur-
détenues au cours de la période. La détention de l’action Apple n’augmente donc pas
proportionnellement à sa capitalisation boursière, qui passe de moins de 200 milliards de dollars
fin 2009 à plus de 560 milliards de dollars début 2012. Il s’agit selon nous d’un facteur clé
48
pouvant contribuer à expliquer la sous-valorisation d’Apple par le marché à la fin du mois de juin
2011.
Statistiques de détention des actions Apple, Microsoft et Google par les gérants actions américains
49
R-ratios d’Apple, Microsoft et Google et d’un échantillon plus large de large caps –
Mutual funds
R-ratio
0,120
0,100
0,080
0,060
0,040
0,020
0,000
4Q05 4Q06 4Q07 4Q08 4Q09 4Q10 4Q11 4Q12
R-ratios d’Apple, Microsoft et Google et d’un échantillon plus large de large caps –
Hedge funds
R-ratio
0,100
0,080
0,060
0,040
0,020
0,000
2Q10 3Q10 4Q10 1Q11 2Q11 3Q11 4Q11 1Q12 2Q12 3Q12 4Q12
Apple Microsoft Google Large caps
50
Ainsi, contrairement à ce que l’on observe chez les fonds actions traditionnels, l’action
Apple est surreprésentée dans les principales positions des hedge funds américains à la fin du
deuxième trimestre 2011. On notera que le R-ratio moyen des large caps chez les hedge funds
(calculé de la même manière que pour les mutual funds), est sensiblement inférieur à celui des
mutual funds. C’est le signe selon nous d’une gestion plus concentrée, moins « benchmarkée » et sans
doute davantage tournée vers les mid caps.
51
b) « Growth » versus « value » : une « rotation » de la base actionnariale ?
Ainsi, dès 2011, face à la fatale baisse des taux de croissance attendus d’Apple,
journalistes et analystes commencent à suggérer que les fonds growth, lesquels ont longtemps
surpondéré l’action Apple, commenceraient à vendre leurs titres, alors que les fonds value
commenceraient eux à acheter, séduits par la qualité du bilan (21% de la capitalisation boursière
en cash, aucune dette au bilan) de la société et par ses faibles multiples de valorisation.
Dans ce paragraphe, nous analysons les statistiques de détention de l’action Apple par
les plus gros mutual funds et hedge funds américains, en distinguant cette fois entre fonds growth et
fonds value. Nous utilisons de nouveau les études de T. Levkovich (Citi), qui fournissent
trimestriellement la liste des valeurs qui apparaissent le plus souvent parmi les 10 plus grosses
positions des 50 plus grands mutual funds et hedge funds américains, classés entre fonds growth et
fonds value. En raison d’un changement de méthodologie dans le choix de l’échantillon des 50
mutual funds au deuxième trimestre 2011, nous arrêtons l’analyse à la fin du premier trimestre 2011
pour cette catégorie de fonds.
Nous présentons les données obtenues pour Apple et ses deux comparables, Microsoft
et Google, dans le tableau ci-dessous, pour les fonds actions américains traditionnels. Par
exemple, au premier trimestre 2011, sur les 50 plus gros fonds actions analysés, 13 sont classés
dans la catégorie value et 13 dans la catégorie growth, les 24 fonds restants étant hybrides. A la fin
de ce trimestre, l’action Apple figure parmi les dix premières positions de 9 fonds growth, soit dans
69% des fonds growth (9/13). Nous représentons les résultats obtenus dans le graphe qui suit le
tableau de données.
22Par exemple, « Finer Lines Between Growth and Value », The New York Times, Robert D. Hershey, 8
janvier 2011
52
Présence d’Apple, Microsoft et Google dans les plus gros fonds growth et value américains – Mutual funds
Source : Citi
Pourcentages de détention des actions Apple, Microsoft et Google dans les plus gros
mutual funds « growth » américains
90% 18
80% 16
70% 14
60% 12
50% 10
40% 8
30% 6
20% 4
10% 2
0% 0
3Q06 1Q07 3Q07 1Q08 3Q08 1Q09 3Q09 1Q10 3Q10 1Q11
Source : Citi
53
Nous constatons ainsi que sur la période 2006-2011, l’action Apple a fait de plus en plus
souvent partie des principales positions des plus grands fonds growth américains, jusqu’à être
présente dans les 10 premières positions de 69% des 13 plus grands fonds growth. En revanche, le
titre Apple n’est pas présent parmi les principales positions des plus grands fonds value. Ce n’est
qu’au deuxième trimestre 2012 que l’action Apple y fera son entrée (elle est alors présente parmi
les 10 plus grosses positions de 2 fonds, sur 18 fonds value analysés). Ce n’est pas le cas de
Microsoft, qui, comme on le voit dans le tableau ci-dessous, fait partie depuis longtemps des
principales positions des grands fonds value américains, notamment en raison de son dividende.
Pourcentages de détention des actions Apple, Microsoft et Google par les plus
gros hedge funds « growth » américains
70% 40
60% 35
30
50%
25
40%
20
30%
15
20%
10
10% 5
0% 0
2Q11 4Q11 2Q12 4Q12
Source : Citi
54
Pourcentages de détention des actions Apple, Microsoft et Google par les plus
gros hedge funds « value » américains
45% 35
40%
30
35%
25
30%
25% 20
20% 15
15%
10
10%
5
5%
0% 0
2Q11 4Q11 2Q12 4Q12
Source : Citi
Comme on le constate dans ces graphiques, Apple est une des positions principales, à la
fin juin 2011, d’une proportion significative de hedge funds growth (40%) mais également value
(31%). La présence d’Apple à la mi-juin 2011 dans des portefeuilles value est donc avant tout le
fait de hedge funds, et non de fonds actions traditionnels.
55
c) Des facteurs techniques : le poids dans les indices et la gestion « benchmarkée »
Les fonds passifs (index funds) ont pour objectif de répliquer la performance d’un indice
(Nasdaq 100 ou S&P 500 par exemple), ou de très légèrement le « battre », dans le cas de l’
« enhanced indexing ». Pour ce faire, un fonds passif réplique la composition de l’indice (soit en
achetant les sous-jacents, soit par des méthodes utilisant des dérivés), en ajustant éventuellement
à la marge les pondérations afin d’essayer de battre l’indice. Ces fonds passifs ont connu un
développement spectaculaire au cours des années passées en termes d’actifs sous gestion. C’est
notamment le cas des ETFs (« Exchange Traded Funds ») aux Etats-Unis. Le plus important ETF
répliquant le Nasdaq 100 est le PowerShares QQQ, géré par Invesco PowerShares. A la fin du
mois de septembre 2010, ses actifs sous gestion sont supérieurs à 22 milliards de dollars23.
Or, le 4 avril 2011, l’entreprise en charge de la gestion de l’indice Nasdaq 100, Nasdaq
OMX Group, a annoncé une modification des pondérations des entreprises composant cet
indice. La pondération de l’action Apple dans l’indice est presque divisée par deux, passant de
20,5% à 12,3%. A l’inverse, les actions Microsoft, Cisco Systems ou Oracle voient leurs
pondérations dans l’indice augmenter.
En effet, en avril 2011, Apple a atteint une telle capitalisation boursière (314 milliards de
dollars) que l’opérateur de l’indice a décidé d’abaisser volontairement la pondération de la société,
afin de diminuer son influence sur les variations de l’indice. Calculer l’indice en pondérant les
entreprises par leurs capitalisations boursières donne trop d’importance, selon l’opérateur Nasdaq
OMX Group, à une seule valeur : Apple.
Dès lors, en raison de ce changement, des fonds passifs représentants plus de 330
milliards de dollars, et des ETFs représentant plus de 40 milliards de dollars, benchmarkés sur le
Nasdaq 100, doivent ajuster leurs portefeuilles 24 (c’est-à-dire vendre Apple, et acheter les titres
donc les pondérations dans l’indice ont augmenté). L’action Apple a perdu 3% suite à cette
annonce.
23 http://alistairmilne.com/2011/02/18/largest-etfs/
24 http://articles.latimes.com/2011/apr/05/business/la-fi-nasdaq-apple-20110405
56
Cette question de la pondération d’Apple dans les principaux indices (Apple fait
notamment partie du Nasdaq 100 et du S&P 500) a donc, nous le voyons, un impact significatif
sur les flux d’achats et de ventes de l’action Apple, en raison de l’importance prise par les fonds
indexés.
Par ailleurs, on imagine aisément que de nombreux fonds gérés de façon active,
benchmarkés par exemple sur le Nasdaq 100, soient contraints de sous-pondérer Apple simplement
en raison des limites imposées par leurs statuts à la concentration de leur portefeuille. Ainsi, avant
le changement de pondération d’Apple décidé sur le Nasdaq 100, de nombreux mutual funds growth
américains possédaient certainement Apple parmi leurs principales positions, sans forcément
atteindre un pourcentage de 20,5% comme c’était le cas pour l’indice.
57
4) Le marché n’écoute-t-il pas les analystes ?
La théorie des marchés efficients trouve son origine dans les travaux d’Eugène Fama
(1965). Celui-ci donne en effet une première définition de l’efficience : « an efficient market is a
market where, given the available information, actual prices at every point in time represent very good estimates of
intrinsic values ». Toutefois, de nombreuses études empiriques tendent à remettre en cause
l’hypothèse de l’efficience des marchés financiers, tels que définis par Fama, par exemple en
s’intéressant aux phénomènes de bulles.
La définition de l’efficience a donc évolué vers des formes moins strictes, où l’efficience
signifie l’impossibilité d’obtenir un gain substantiel25, et les recherches actuelles sur l’efficience des
marchés ne visent pas tant à savoir si les marchés sont efficients ou non dans leur ensemble, mais
cherchent plutôt à mesurer leur degré d’efficience.
La notion d’information financière est donc centrale dans la théorie des marchés
efficients. Les informations que reçoivent et analysent les acteurs du marché afin de prendre des
décisions d’investissement proviennent de plusieurs sources : communiqués de presse et conference
calls des sociétés cotées, rapports annuels mais également articles de presse et notes d’analystes.
Bien évidemment, la question de la fiabilité de l’information comptable donnée par les entreprises
est primordiale, comme en témoignent les nombreux scandales financiers de ces quinze dernières
années (Enron, Worldcom, Ahold, etc).
Une autre source d’information de premier plan pour les acteurs de marché est
constituée par la recherche sell-side. De façon régulière, les analystes suivant des valeurs cotées
25La définition de Jensen (1978) est la suivante : « A market is efficient if prices reflect information to the
point where the marginal benefit of acting on information (the profit to be made) does not exceed the
marginal costs »
58
publient des notes de recherche incluant des recommandations à l’achat ou à la vente, ainsi que
des objectifs de cours.
59
b) La capacité prédictive des analystes
Les analystes parviennent-ils à identifier les actions qui surperformeront dans l’avenir ?
En cas de réponse négative, on comprend aisément que le marché, par exemple en ce qui
concerne le titre Apple, soit relativement sceptique face aux recommandations à l’achat des
analystes.
Soulignons tout d’abord qu’il est particulièrement difficile d’effectuer des tests
pertinents sur la justesse des prévisions des analystes en raison d’un biais insurmontable. En effet,
lorsque les analystes publient leurs prévisions de résultats financiers (le « consensus des
analystes »), ils fixent, dans la pratique, un objectif de résultats à la société suivie. Si la société fait
mieux que ce que les analystes attendent, le cours de bourse est susceptible de monter. Dans le
cas contraire, le cours de bourse risque fort de chuter. Dès lors, les sociétés cotées sont fortement
incitées à « ajuster » leurs résultats (notamment par des opérations de window dressing) afin de
« battre le consensus ».
Les mêmes auteurs (Barber, Lehavy, McNichols et Trueman (2003)) effectuent la même
étude, selon la même méthodologie, sur la période 2000-2001. Les résultats obtenus sont tout à
fait différents. En 2000, le portefeuille contenant les actions préférées des analystes génère un
rendement (market-adjusted) négatif de -7,1%, alors que le portefeuille contenant les actions les
moins aimées des analystes génère un rendement excédentaire de 17,6%. Pour l’année 2001, les
chiffres sont respectivement -7,0% et +9,3%.
26Par exemple, “A Definite "Sell"? Gimme 100 Shares”, Business Week, Mara Der Hovanesian, avril 2001
(http://www.businessweek.com/stories/2001-04-01/a-definite-sell-gimme-100-shares)
60
En particulier, les chercheurs soulignent que ces résultats sont valables à la fois pour les
valeurs technologiques et pour les valeurs non-technologiques.
Ces études, qui soulignent les limites des analystes sell-side quant à leurs capacités
prédictives, tendent à justifier un certain scepticisme du marché à leur égard.
61
III. Conclusion et épilogue
Après avoir dressé le constat, dans la première partie de notre travail, de la forte
divergence de vue entre le marché et les analystes sell-side concernant la valeur intrinsèque de
l’action Apple en juin 2011, nous avons avancé quatre facteurs principaux, qui, selon nous,
contribuent à expliquer cette divergence :
- Les multiples faibles accordés par le marché à l’action Apple sont la conséquence d’une
prise en compte plus grande du risque spécifique de la société par le marché (et
notamment de scénarios pessimistes, mais non extrêmes) que par les analystes.
- La faible valorisation du titre par le marché est également la conséquence d’un sentiment
croissant parmi les gérants qu’Apple maintient une mauvaise politique d’allocation du
capital, en refusant d’être clair sur l’utilisation qu’il compte faire de sa trésorerie
excédentaire (en particulier sur la possibilité de distribuer ces excédents aux actionnaires
sous la forme de dividendes ou de rachats d’actions).
- L’action Apple apparait par ailleurs sous-détenue par les plus grands gérants actions
américains relativement à sa taille dans les indices. Cela est sans doute lié, comme nous
l’avons vu, précisément à la taille considérable prise par Apple dans les indices (S&P 500
et Nasdaq).
- Enfin, le scepticisme des marchés par rapport aux recommandations des analystes sell-
side, justifié par les nombreux articles de recherche sur le sujet, est également un facteur
de poids.
Cette « étude de cas » sur Apple nous a donc permis d’explorer (à la lumière des articles
de recherche existants) de nombreux débats qui, au milieu de l’année 2011, prennent une ampleur
croissante parmi les acteurs du marché.
En guise d’épilogue, on notera que le cours de l’action Apple, après avoir atteint un plus
haut historique en septembre 2012 à plus de 700 dollars, s’est « effondré » pour atteindre 390
dollars en avril 2013, soit une baisse de plus de 40%. Cette baisse s’explique notamment par
l’inquiétude croissante des investisseurs concernant la concurrence exercée par Samsung dans les
smartphones et les tablettes, et par les craintes sur la capacité d’innovation de la société.
Entre temps, Apple a annoncé le 19 mars 2012 l’initiation d’une politique de versement
de dividendes (2,65 dollars versés trimestriellement) et de rachats d’actions (10 milliards de
dollars), en réponse aux critiques de plus en plus fortes des investisseurs sur l’utilisation de la
62
trésorerie excédentaire. Cette politique de distribution de dividendes (le dernier avait été versé en
1995) a sans doute contribué à accélérer la transition de la base actionnariale entre investisseurs
growth et investisseurs value dont nous avons parlé ici. Par ailleurs, le 23 avril 2013, Apple a
annoncé avoir étendu son programme de rachats d’actions (60 milliards de dollars d’ici décembre
2015, soit la plus grande autorisation de rachats d’actions de l’histoire) et augmenté son dividende
trimestriel de 15% à 3,05 dollars. A la suite de cette annonce, le cours d’Apple est passé de 390
dollars à plus de 440 dollars, soit une augmentation de 13%. Cette redistribution massive de cash
aux actionnaires sera en partie financée par de la dette, Apple ayant levé plus de 17 milliards de
dollars sur les marchés par l’émission d’obligations. Cela souligne au passage l’importance des
discussions qui ont lieu actuellement entre le management d’Apple et ses principaux actionnaires
(en particulier d’importants hedge funds27) sur la structure financière optimale de la société et sa
politique d’allocation du capital, deux questions que nous avons abordées dans notre travail.
Les multiples de valorisation d’Apple restent aujourd’hui (21 mai 2013) à des niveaux
faibles (PE FY13E de 11,2x), alors que le consensus des analystes a profondément changé. Leur
objectif de cours moyen est de 539 dollars 28, mais de nombreux analystes sont maintenant neutres
voire à la vente.
27 Notamment Greenlight Capital, de David Einhorn, qui a fait pression sur le management d’Apple début
2013 pour que la société distribue ses excédents de trésorerie aux actionnaires
28 S&P Capital IQ
63
Bibliographie
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Shareholders' Wealth », The Journal of Business 56, 77-96
Barber, B., Lehavy, R., McNichols, M., and Trueman, B. (2001) : « Can investors profit
from the prophets ? Consensus analyst recommendations and stock returns », Journal of Finance,
531-63
Barber, B., Lehavy, R., McNichols, M., and Trueman, B. (2003) : « Reassessing the returns
to analysts’ stock recommendations », Financial Analysts Journal, 88-96
Black, F., and Scholes, M.S. (1974) : « The effects of dividend yield and dividend policy on
common stock prices and returns », Journal of Financial Economics 1, 1-22
Fama, E.F. (1965) : « The behaviour of stock market prices », Journal of Business, 34-105
Gordon, R.H., and Bradford, D.F. (1979) : « Taxation and the stock market valuation of
capital gains and dividends: theory and empirical results », Working Paper no. 456, National
Bureau of Economic Research
Jegadeesh, N., Kim, J., Krische, S., and Lee, C. (2004) : « Analyzing the analysts : when do
recommendations add value ? », Journal of Finance, 48, 1083-1124
Jensen, M.C. (1978) : « Some anomalous evidence regarding market efficiency », Journal of
Financial Economics 6, 95-101
Miller, M.H., and Modigliani, F. (1961) : « Dividend policy, growth and the valuation of
shares », Journal of Business 34, 411-33
Pettit, R.R. (1972) : « Dividend announcements, security performance, and capital market
efficiency », Journal of Finance 27, 993-1007
64
Annexes
Annexe 1
Unités vendues (k) 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 H1 2011
Ordinateurs de bureau 1 625 2 520 2 434 2 714 3 712 3 182 4 627 2 236
Ordinateurs portables 1 665 2 014 2 869 4 337 6 003 7 214 9 035 5 658
= Total Mac 3 290 4 534 5 303 7 051 9 715 10 396 13 662 7 894
iPod 4 416 22 497 39 409 51 630 54 828 54 132 50 312 28 463
iPhone 0 0 0 1 389 11 627 20 731 39 989 34 882
iPad 0 0 0 0 0 0 7 458 12 025
Prix unitaire ($) 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 H1 2011
Ordinateurs de bureau 1 460 1 363 1 364 1 481 1 509 1 359 1 340 1 419
Ordinateurs portables 1 532 1 410 1 414 1 451 1 445 1 322 1 248 1 279
iPod 296 202 195 161 167 149 164 177
iPhone 0 0 0 89 159 629 630 653
iPad 0 0 0 0 0 0 665 619
Chiffre d'affaires ($m) 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 H1 2011
Ordinateurs de bureau 2 373 3 436 3 319 4 020 5 603 4 324 6 201 3 172
Ordinateurs portables 2 550 2 839 4 056 6 294 8 673 9 535 11 278 7 234
= Total Mac 4 923 6 275 7 375 10 314 14 276 13 859 17 479 10 406
iPod 1 306 4 540 7 676 8 305 9 153 8 091 8 274 5 025
iPhone 0 0 0 123 1 844 13 033 25 179 22 766
iPad 0 0 0 0 0 0 4 958 7 444
Musique 278 899 1 885 2 496 3 340 4 036 4 948 3 065
Périphériques 951 1 126 1 100 1 260 1 659 1 475 1 814 1 173
Software & service 821 1 091 1 279 1 508 2 207 2 411 2 573 1 529
Total ($m) 8 279 13 931 19 315 24 006 32 479 42 905 65 225 51 408
% croissance 68% 39% 24% 35% 32% 52%
Source: Apple
65
Annexe 2
Number of shares (diluted) 919 783 922 878 927 361 927 925 933 154 935 944
EPS (diluted) 3,67 3,33 3,51 4,64 6,43 6,40
% growth 46,8% 85,7% 74,5% 67,4% 75,2% 92,0%
Source: Apple
66
Annexe 3
Nous détaillons ci-dessous les hypothèses retenues pour la construction des « bear case »
et « base case », et présentons les résultats obtenus :
67
Apple : Bear case et base case
68
Annexe 4
Dans cette annexe, nous simulons l’impact d’une offre de rachat d’actions sur l’EPS
d’Apple et nous essayons de quantifier la création de valeur pour l’actionnaire d’une telle
opération.
- Le montant du rachat d’actions s’élève à 41,7 milliards de dollars. Pour obtenir cette
comme, nous considérons qu’Apple rapatrie la trésorerie détenue par les filiales
étrangères et s’acquitte d’une taxe de 35% sur ce montant (40,2 x (1 – 35%) = 26,1),
utilise la totalité de sa trésorerie domestique (25,6 milliards de dollars) et conserve 10
milliards de dollars sur son bilan pour financier l’activité opérationnelle quotidienne
- La trésorerie rapporte 0,75% par an avant impôts, soit 0,53% après impôts de 30%
- Les rachats d’actions se font au prix moyen de 400 dollars par action (soit une prime de
20% sur le cours au 30 juin 2011 de 333,7 dollars)
69
Calcul de l’accrétion de l’EPS après l’offre de rachat
d’actions
Pré buyback
Post buyback
Accrétion/dilution 12%
Nous regardons ensuite l’impact sur la valeur des actions pour l’actionnaire, en faisant
des hypothèses sur les PE pré-buyback et post-buyback. L’action Apple s’échange au 30 juin
2011 à un cours de 333,7 dollars, soit à un PE FY12E de 11,2. On simule ensuite différentes
valeurs de PE FY12E post-buyback. On émettra l’hypothèse (certainement justifiée) que le PE
post-buyback est plus faible que le PE pré-buyback, en raison de risque accru lié à la modification
de la structure financière devenue plus risquée. Néanmoins, on pourrait peut-être justifier un
multiple post-buyback plus élevé, le marché « remerciant » la société pour sa gestion plus active et
volontariste de ses réserves de cash. La société étant davantage encline à distribuer sa trésorerie
excédentaire, les futurs profits seront distribués aux actionnaires avec une probabilité plus grande
(au lieu d’être réinvestis indéfiniment à 0,75% par an), justifiant un multiple plus élevé.
Ainsi, grâce au rachat d’actions, l’actionnaire peut revendre 11% de ses actions à 400
dollars (en les apportant à l’offre) et conserver 89% de ses actions qui valent maintenant 364,4
dollars (hypothèse d’une valorisation post-buyback sur la base d’un PE de 11,0x). Cela
70
correspond à une valeur moyenne de 368,4 dollars. Ainsi, l’offre de rachat d’actions a permis de
débloquer une valeur de 34,7 dollars par action.
Enfin, dans les tableaux ci-dessous, nous présentons des tables de sensibilités de
l’accrétion du bénéfice par action et de la valeur extériorisée par le rachat d’actions en fonctions
de différents paramètres du rachat d’actions.
Taille du buyback
12% 21,7 31,7 41,7 51,7 61,7
380 6% 9% 12% 16% 20%
Cours de rachat
71
Accrétion de l’EPS en fonction des PE pré et post buyback
PE pré buyback
3468% 10,2 10,7 11,2 11,7 12,2
10,0 34,9 20,1 5,2 -9,6 -24,4
PE post buyback
10,5 49,6 34,8 20,0 5,1 -9,7
11,0 64,4 49,5 34,7 19,8 5,0
11,5 79,1 64,2 49,4 34,6 19,7
12,0 93,8 79,0 64,1 49,3 34,4
72
Annexe 5
73
Annexe 6
Statistiques sur les échantillons des 50 plus gros fonds actions déterminés trimestriellement
par Citi
$ trillions %
2,0 45%
1,8 40%
1,6 35%
1,4 30%
1,2
25%
1,0
20%
0,8
0,6 15%
0,4 10%
0,2 5%
0,0 0%
3Q06 1Q07 3Q07 1Q08 3Q08 1Q09 3Q09 1Q10 3Q10 1Q11
Actifs cumulés gérés par les 50 fonds ($ trillions)
% du total des actifs gérés par l'ensemble des fonds actions américains
Source : Citi
74