Soriat Cmu Cote Ivoire 2021
Soriat Cmu Cote Ivoire 2021
Soriat Cmu Cote Ivoire 2021
2021
ISBN : 979-10-373-0359-2
© Tous droits réservés, Ifri, 2021
Couverture : © Niyazz/Shutterstock.com
Ifri
27 rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 – FRANCE
E-mail : [email protected]
INTRODUCTION .................................................................................... 6
CONCLUSION ...................................................................................... 26
Introduction
1. Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet « Faire des politiques publiques en
Afrique » (FAPPA), porté par Sciences Po Bordeaux/Les Afriques dans le Monde et financé
notamment par l’Agence française de développement et le Conseil régional Nouvelle
Aquitaine.
L’émergence de la CMU :
formulation et
reformulation d’une
politique importée
4. Les questions de santé apparaissent comme révélatrices des inégalités qui structurent les
sociétés. En particulier, la santé est un bon moyen de penser les inégalités économiques et
les inégalités de genre, qui ont tendance à se renforcer mutuellement. Les femmes en
situation de précarité économique sont ainsi celles qui ont le plus souffert de la remise en
cause des gratuités.
5. D’un point de vue financier, le Fonds mondial et la Banque mondiale ont annoncé à
l’occasion de la sixième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de
l’Afrique (TICAD VI) de 2016 un investissement de 24 milliards de dollars sur la période
2017-2019 pour accélérer la transition des pays africains vers la CSU.
6. Universal Health Coverage 2030
7. M. Nauleau, B. Destremau et B. Lautier., « En chemin vers la couverture sanitaire
universelle. Les enjeux de l'intégration des pauvres aux systèmes de santé », Revue tiers-
monde, n° 215, 2013, disponible sur : www.cairn.info.
encore une fois, l’impact sur les systèmes de santé est loin d’être
évident. En Côte d’Ivoire, l’OMS a ainsi activement relayé les discours
sur les vertus de la CSU et s’est livrée à un plaidoyer auprès des
autorités étatiques. Ce plaidoyer s’est notamment traduit par le
financement de toute une série d’ateliers de réflexion autour du
concept ou encore par l’appui à l’élaboration des documents
stratégiques qui incarnent aujourd’hui la « politique nationale » en la
matière.
On voit bien ici tout ce que l’inscription de la CMU à l’agenda des
responsables politiques ivoiriens doit aux débats qui traversent les
arènes de la santé globale. Pour autant, l’adoption de la CSU par les
autorités ivoiriennes n’est pas le fruit d’une réaction purement
opportuniste. Le processus alimente au contraire des stratégies
nationales et fait l’objet d’appropriations dans le cadre de la
compétition politique.
Ivoirisation de la CSU
Pour comprendre la façon dont la CSU alimente des jeux politiques
locaux, il faut revenir au processus par lequel le régime construit sa
légitimité depuis l’indépendance. Devenue colonie française en 1893,
la Côte d’Ivoire accède à l’indépendance en 1960. Le pays est alors
dirigé par Félix Houphouët-Boigny, qui reste au pouvoir jusqu’à sa
mort en 1993. Poursuivant la politique coloniale, Houphouët-Boigny
développe le secteur agricole et en particulier les filières café et cacao
et insère le pays dans l’économie capitaliste. L’enjeu pour la Côte
d’Ivoire est de faire émerger une économie performante ouverte à
l’international, tout en maintenant les équilibres socio-politiques
locaux.
L’habileté politique d’Houphouët-Boigny le conduit à inventer
une sorte de paternalisme politique et à bâtir un compromis social et
politique qui fonctionne jusque dans les années 1980. Ce compromis
peut être défini de la façon suivante : « en contrepartie de garanties
données aux ruraux sur les prix, les débouchés, les intrants et
l’amélioration de leur niveau de vie, il est attendu d’eux une totale
soumission politique ainsi que la reconnaissance du monopole de
l’État-parti et de ses agents sur l’appropriation et la gestion de la rente
agricole8 ». Le pacte a garanti la stabilité politique lors de la période
du « miracle ivoirien », qui se caractérise par « la disponibilité
financière, le faste des investissements et, de façon générale,
14. A. Oga, M. Samba, B.-T. N’Guessan et L.-P. Kouadio, « Réflexions sur la gratuité des
soins en Côte d’Ivoire en 2011 », Cahier de santé publique, 10(2), 2011.
sa campagne électorale, avec la promesse d’un accès aux soins pour
les plus pauvres. Concrètement, la CMU reprend les grands principes
de l’AMU, à savoir son caractère universel, obligatoire, et un niveau
de contribution variable selon les capacités des bénéficiaires. Deux
régimes sont envisagés. Le régime contributif propose un package
minimum de soins offerts à tous les citoyens et les résidents de la Côte
d’Ivoire à raison d’une contribution mensuelle de 1 000 FCFA
(1,5 euro environ) par assuré. Le régime non contributif concerne les
personnes « en situation d’indigence » pour qui une exemption de la
contribution de 1 000 FCFA est prévue. Ce régime non contributif
devient un symbole de la réactivation du mythe houphouëtiste et est
censé témoigner de l’attention que le gouvernement porte aux
couches sociales précarisées. Il est aussi un argument permettant de
contrer les critiques selon lesquelles les retombées de la reprise
économique spectaculaire15 ne bénéficient pas aux plus pauvres et que
les inégalités sociales se font de plus en plus criantes en dépit des
discours sur l’insertion de la Côte d’Ivoire dans l’économie mondiale.
La présidence a ainsi impulsé une politique publique spécifique
en la matière, qui fait l’objet d’une intense communication
institutionnelle visant à démontrer ses « résultats ». La campagne qui
a conduit à la réélection controversée du Président en octobre 2020 a
laissé à nouveau une place de choix à la promesse de la généralisation
de la CMU, dont il a rappelé lorsqu’il a prêté serment fin 2020 qu’elle
constituait un « chantier prioritaire » du nouveau mandat. L’épidémie
du COVID-19, certes relativement bien contenue en Côte d’Ivoire
comme dans de nombreux pays africains, est à nouveau l’occasion
pour la Présidence de communiquer sur les enjeux de santé en
appelant de ses vœux le renforcement du système de santé,
fondamental en matière de préparation aux épidémies et qui est vu
comme allant de pair avec la généralisation de la CMU.
Ainsi, la mise en œuvre du projet de CMU ne s’explique pas
uniquement par la nécessité pour l’État ivoirien de s’aligner sur les
normes actuelles en matière de santé globale. Ce projet a une fonction
politique bien particulière. Il permet au régime de mettre en scène
son action en faveur des populations précaires et son engagement
dans le domaine de la santé, contribuant à refonder sa légitimité de la
redistribution des bienfaits de la croissance.
15. Croissance moyenne de 8 % par an depuis 2012 selon les chiffres de la Banque
mondiale.
La mise en œuvre de la
CMU : configurations de
politiques publiques et
enjeux sectoriels
Deux points seront ici abordés. D’abord, il sera rendu compte des
éléments juridiques, institutionnels et financiers qui autorisent à
appréhender la CMU comme une politique sectorielle « consistante »,
tout du moins sur le plan formel. Nous décrirons ensuite comment
elle met en synergie tout un ensemble de parties prenantes étatiques
et privées. Ce point nous conduira à interroger les phénomènes plus
généraux de concurrence et de collaboration entre acteurs au sein de
l’État et le brouillage des frontières entre le public et le privé.
16. Voir « Stratégie nationale de financement de la santé pour tendre vers la couverture
universelle », République de Côte d’Ivoire, 2012 ; « Programme social du
Gouvernement 2018-2020 », République de Côte d’Ivoire, 2018.
17. Voir entre autres : décret n° 2017-46 du 25 janvier 2017 définissant les conditions et
modalités de l'assujettissement, de l'affiliation et de l'immatriculation au régime de base de
la CMU ; décret 2017-47 du 25 janvier 2017 fixant les modalités d'accès aux prestations de
soins de santé de la CMU ; décret n° 2017-123 du 22 février 2017 fixant le montant et les
modalités de recouvrement des cotisations dues au titre du régime général de base et du
régime d'assistance médicale de la CMU.
les OGD de prélèvement des cotisations, à savoir la Caisse
nationale de prévoyance sociale (CNPS), la Caisse générale de
retraite des agents de l’État (CGRAE) et les soldes civils et
militaires ;
les OGD de prestation, à savoir potentiellement la Mutuelle
générale des fonctionnaires et agents de l’État (MUGEF-CI), les
assureurs et les gestionnaires de portefeuilles maladies. Pour
l’heure, seuls la MUGEF-CI et des gestionnaires de portefeuilles
maladie (ASCOMA et MCI-Care Côte d’Ivoire) ont été retenus au
titre d’OGD de prestation. Leur mission est de contrôler la
conformité des feuilles de soins adressées par les centres de santé
qui expérimentent la CMU.
Source : auteur.
On voit bien ici que les agents de l’action publique, quand ils ont
les ressources adéquates, ne sont pas de simples exécutants des
programmes électoraux, allant parfois jusqu’à renverser ou faire
usage des injonctions politiques auxquelles ils sont soumis pour servir
leurs propres objectifs. La mise en œuvre d’une politique publique
comme la CMU est ainsi le résultat aléatoire des interactions entre
une multitude d’acteurs qui, y compris au sein de l’État, font valoir
des intérêts dont l’homogénéité est loin d’être évidente.
19. Premièrement, la Banque mondiale intervient sur la CMU à travers un projet plus
global de renforcement du système de santé et de réponse aux urgences épidémiologiques
d’un montant de 70 millions de dollars environ. Au moment de l’enquête, l’institution
s’était engagée à accompagner la réhabilitation de 102 structures de santé, pour un
montant total de 26 millions de dollars. La Banque mondiale s’est également impliquée
techniquement et financièrement afin d’élaborer une méthode d’identification des
indigents et d’appuyer l’État dans les premiers mois de leur prise en charge.
Deuxièmement, on relèvera la contribution de l’Agence française de développement au titre
principalement du C2D (Contrat de désendettement et développement) – santé, dont le
montant s’élève à 68 millions d’euros sur la période 2016-2020. Là encore, il s’agit d’un
programme global de renforcement du système de santé, qui vien t améliorer l’offre de soin
et ne traite pas spécifiquement de la CMU.
moins présents dans les réseaux transnationaux de l’expertise en
sécurité sociale. Le directeur de la CNAM évolue dans des univers
professionnels assez différents des bailleurs internationaux enquêtés.
Il est davantage en interaction avec des structures en mesure de
fournir à la CNAM un appui technique (à défaut d’un soutien
financier), comme la CNAM française et, indirectement, le
Programme d’appui aux stratégies mutualistes de santé (le PASS,
dont l’objectif premier est l’accompagnement de la mutuelle des
fonctionnaires, mais qui fournit également des conseils de façon plus
ou moins formelle dans le cadre de la CMU).
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