L'Esprit de Philadelphie - La J - Alain Supiot
L'Esprit de Philadelphie - La J - Alain Supiot
L'Esprit de Philadelphie - La J - Alain Supiot
Direction d’ouvrages
Les Dédales du droit social
(avec Pierre Cam)
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1986
Droit et changement social
Les sans-emploi et la loi, hier et aujourd’hui
Calligrammes, 1988
Le Travail en perspectives
LGDJ, 1998
Au-delà de l’emploi
Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe
Flammarion, 1999
Servir l’intérêt général
Droit du travail et fonction publique
(avec Jean-Luc Bodiguel et Christian-Albert Garbar)
PUF, « Les voies du droit », 2000
Pour une politique des sciences de l’Homme et de la société
PUF, « Quadrige », 2001
Capacitas. Contract Law and the Institutional Preconditions of a Market Economy
(avec Simon Deakin)
Hart, 2009
ISBN 978-2-02-100776-3
Introduction
La renaissance féodale
Annexe
Introduction
C’est à Philadelphie, le 10 mai 1944, qu’a été proclamée la première
Déclaration internationale des droits à vocation universelle. Adoptée
quelques jours à peine après le débarquement allié en Normandie, cette
déclaration fut aussi la première expression de la volonté d’édifier au sortir
de la Seconde Guerre mondiale un nouvel ordre international qui ne soit
plus fondé sur la force, mais sur le Droit et la justice. Sous le titre modeste
de Déclaration concernant les buts et objectifs de l’Organisation
internationale du travail (OIT), ce texte proclame les principes « pleinement
applicables à tous les peuples du monde […] dont devrait s’inspirer la
politique de ses Membres ». Cette Déclaration de Philadelphie fut suivie
quelques semaines plus tard par la conclusion des accords de Bretton
Woods, puis l’année suivante par la création de l’Organisation des Nations
unies et enfin par l’adoption en 1948 de la Déclaration universelle des droits
de l’homme. À bien des égards, il s’agit donc d’un texte pionnier, qui
entendait faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre
juridique international, et dont l’esprit se retrouve à l’œuvre dans chacune
de ces étapes ultérieures.
On ne peut relire ce texte sans étonnement, tant il se situe aux
antipodes de la dogmatique ultralibérale qui domine les politiques
nationales et internationales depuis trente ans. Les propagandes visant à
faire passer le cours pris par la globalisation économique pour un fait de
nature, s’imposant sans discussion possible à l’humanité entière, semblent
avoir recouvert jusqu’au souvenir des leçons sociales qui avaient été tirées
de l’expérience des deux guerres mondiales. La foi dans l’infaillibilité des
marchés financiers a remplacé la volonté de faire régner un peu de justice
dans la production et la répartition des richesses à l’échelle du monde,
condamnant à la migration, l’exclusion ou la violence, la foule immense des
perdants du nouvel ordre économique mondial. La faillite actuelle de ce
système invite à remettre au jour, sous les décombres de l’idéologie
ultralibérale, l’œuvre normative de la fin de la guerre que cette idéologie
s’est employée à faire disparaître.
Les principes posés à Philadelphie sont le fruit d’une lourde expérience
historique et il faut se replacer dans le contexte où ils furent conçus si l’on
veut comprendre leur pleine signification1. En 1944 le bombardement
d’Hiroshima n’avait pas eu lieu, l’ampleur de la Shoah n’était pas encore
connue et les massacres extravagants commis par Staline, quand ils
n’étaient pas niés, ne pouvaient être évoqués entre Alliés. Mais la victoire
de ces derniers ne faisait plus de doute, et les auteurs de la Déclaration de
Philadelphie entendaient poser la première pierre d’un nouvel ordre
mondial qui tirerait les leçons de la « guerre de trente ans » qui a déchiré le
monde de 1914 à 1945. Cette période d’atrocités inédites a connu, de
Verdun à Hiroshima en passant par Auschwitz et le goulag, des variations
dans l’horreur. Mais il s’agit de variations sur un même thème, qui consiste
à considérer les hommes « scientifiquement », comme du « matériel
humain » (dans la terminologie nazie) ou du « capital humain » (dans la
terminologie communiste) et à leur appliquer les mêmes calculs d’utilité et
les mêmes méthodes industrielles qu’à l’exploitation des ressources
naturelles.
Certes, cette manière de regarder les hommes comme des insectes
s’était déjà manifestée durant les siècles précédents, lors de la découverte de
l’Amérique et l’exploration de l’Afrique. Jusqu’au XXe siècle, ce sont les
« primitifs » qui furent ainsi traités comme des choses à exploiter ou à
exterminer selon leur degré d’utilité ou de nuisance. L’exploitation des
classes laborieuses européennes se déployait en revanche sous l’égide des
principes d’égalité et de liberté contractuelle qui, loin de nier leur humanité,
étaient censés permettre son parfait accomplissement. Ces classes
laborieuses n’en furent pas moins les premières à expérimenter dans leur
chair l’asservissement au machinisme et à la gestion industrielle de la
ressource humaine, faisant surgir la « question sociale » au cœur des
interrogations du XIXe siècle.
La nouveauté des horreurs de la première moitié du XXe siècle
procédait de la synthèse de ces deux phénomènes jadis distincts : ce ne sont
plus seulement les « primitifs » qui furent regardés et traités comme des
choses, mais aussi les peuples « civilisés » ; et la gestion industrielle des
hommes n’a plus été cantonnée aux usines, mais s’est affirmée comme
principe général de gouvernement, en temps de paix comme en temps de
guerre. Cette synthèse s’est opérée sous l’égide du scientisme, qui prétend
fonder le gouvernement des hommes sur des lois immanentes censées régir
la nature ou la société. Les véritables scientifiques savent que les lois
découvertes par les sciences de la nature sont inhérentes aux phénomènes
observés, alors que celles qui donnent ordre et sens à la vie humaine sont
nécessairement postulées. Les scientistes au contraire croient trouver dans
une Science fétichisée les « vraies lois » qui régiraient l’humanité et
s’emploient à les faire régner.
Le XXe siècle a vu prospérer deux variantes du scientisme : l’une se
réclamant des lois de la biologie et de l’anthropologie, et l’autre des lois de
l’économie et de l’histoire. Les efforts pour fusionner ces deux variantes2 se
heurtent au fait qu’elles divergent sur bien des points qu’il ne faut pas sous-
estimer. Mais elles conduisent toutes deux à accorder le gouvernement des
hommes non à un idéal de justice, mais au jeu des « forces aveugles »
censées régir l’humanité. Engels écrit ainsi :
« Le socialisme est devenu une science, qu’il s’agit maintenant d’élaborer dans tous ses
détails et ses connexions. […] Ce n’est pas dans la tête des hommes, dans leur
compréhension croissante de la vérité et de la justice éternelles, mais dans les modifications
du mode de production et d’échange qu’il faut chercher les causes dernières de toutes les
modifications sociales et de tous les bouleversements politiques ; il faut les chercher non
dans la philosophie, mais dans l’économie de l’époque intéressée. […] Les forces
socialement agissantes agissent tout à fait comme les forces de la nature : aveugles,
violentes, destructrices tant que nous ne les connaissons pas et ne comptons pas avec elles.
Mais une fois que nous les avons reconnues, que nous en avons saisi l’activité, la direction,
les effets, il ne dépend plus que de nous de les soumettre de plus en plus à notre volonté et
d’atteindre nos buts grâce à elles3. »
1. Sur les conditions de son adoption, voir Eddy Lee, « La Déclaration de Philadelphie : rétrospective et
prospective », Revue internationale du travail, vol. 133, 1994, no 4, p. 513 sq.
2. Le projet de donner une base biologique aux lois supposées de l’économie remonte au XIXe siècle et refait
périodiquement surface. Les sciences neuronales le disputent depuis peu à la génétique dans l’esprit des
économistes soucieux d’ancrer le marché dans les lois de la nature. Voir Gary S. Becker, « Altruism, Egoism,
and Genetic Fitness : Economics and Sociobiology », in The Economic Approach to Human Behavior,
University of Chicago Press, 1976, p. 282 sq. ; Aldo Rustichini (éd.), « Special Issue on Neuroeconomics »,
Games and Economic Behavior, vol. 52/2, août 2005, p. 201-494.
3. Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880), Aden, 2005.
4. Voir Robert Tartarin, « Transfusion sanguine et immortalité chez Alexandre Bogdanov », in Alain Supiot
(dir.), Tisser le lien social, Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 305 sq.
5. Adolf Hitler, Libres propos sur la guerre et sur la paix, recueillis sur l’ordre de Martin Bormann,
Flammarion, 1952, p. 51.
6. Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité, rédigée sous l’égide de Lénine et approuvée par le
Congrès des Soviets le 25 janvier 1918.
7. André Pichot, Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, Flammarion, 2008.
8. Patrick Zylberman, « Les damnés de la démocratie puritaine : stérilisations en Scandinavie, 1929-1977 », Le
Mouvement social, 1999, no 187, p. 99-125 ; André Pichot, La Société pure. De Darwin à Hitler,
Flammarion, 2000.
9. Leó Szilárd, « President Truman Did Not Understand », U.S. News & World Report, 15 août 1960.
10. Martin Broszat, Der Staat Hitlers, 1970, trad. fr. L’État hitlérien. L’origine et les structures du troisième
Reich, Fayard, 1985, p. 469.
11. Harold Berman, Law and Revolution, Harvard University Press, t. II, 2003, p. 19.
12. Voir Nicolas Werth, « Les crimes de masse sous Staline (1930-1953) », Online Encyclopedia of Mass
Violence, http://www.massviolence.org/Article?id_article=124, 2008.
13. Adolf Hitler, Libres propos sur la guerre et sur la paix, recueillis sur l’ordre de Martin Bormann, op. cit.,
p. 69.
14. Id., Mein Kampf, cité par Ernst Fraenkel, The Dual State. A Contribution to the Theory of Dictatorship,
Oxford University Press, 1941, reprint Lawbook Exchange Ltd, Clark, 2006, p. 136.
15. Manifestation particulièrement exemplaire de ce dualisme : le décret secret du 7 octobre 1939 par lequel
Hitler autorise Himmler à « éliminer les influences néfastes des éléments étrangers à la nation et qui
représentent un danger pour le Reich et la communauté du peuple allemand » (cité par Martin Broszat, L’État
hitlérien, op. cit., p. 462).
16. Cité par Rush Rhees, in Ludwig Wittgenstein, Leçons et conversations, trad. fr. Gallimard, « Folio », 1992,
p. 173.
17. Voir William Ebenstein, The Nazi State, Farrare & Rinehart, 1943, p. 3 sq.
PREMIÈRE PARTIE
Le grand retournement
I
La contre-révolution ultralibérale
1. Voir Harold Berman, Law and Revolution, Harvard University Press, t. I, 1983, et t. II, 2003.
2. Denis Kessler, « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! », Challenges, 4 octobre 2007. Ancien
sympathisant communiste devenu professeur d’économie, puis vice-président exécutif du Medef de 1998 à
2002, M. Kessler est aujourd’hui administrateur de nombreuses grandes entreprises (BNP Paribas, Dexia,
Bolloré, Dassault Aviation et INVESCO) et membre de diverses hautes instances publiques (Conseil
économique et social, Conseil des comptes de la nation, Conseil national des assurances).
3. Voir Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes de justice et
d’économie politique, vol. 2 : Le Mirage de la justice sociale (1976), trad. de l’anglais par R. Audouin, PUF,
1981, p. 123 sq.
4. « Le document tout entier, écrit-il à propos de la Déclaration universelle de 1948, est rédigé dans le jargon
propre à la mentalité organisationnelle, que l’on s’attend à trouver dans les déclarations des dirigeants
syndicalistes ou de l’Organisation internationale du travail […] ; ce jargon n’a rien qui s’accorde avec les
principes sur lesquels repose l’ordre de la Grande Société », Le Mirage de la justice sociale, op. cit., p. 126.
5. Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes de justice et
d’économie politique, vol. 3 : L’Ordre politique d’un peuple libre, PUF, 1983, p. 166 et 180.
6. Ibid., p. 197-198.
7. Ibid., p. 181 et passim chap. XVIII : « Le pouvoir contenu et la politique détrônée », p. 153 sq.
8. Sur l’histoire de la création en 1969 de ce Prix de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire
d’Alfred Nobel, contrefaçon réussie des véritables prix Nobel, voir Patrick Moynot, « Nobel d’économie :
coup de maître », Le Monde, 15 octobre 2008.
9. Voir Susan George, La Pensée enchaînée, Fayard, 2007, p. 30.
10. La déréglementation des marchés financiers a été largement l’œuvre du gouvernement Bérégovoy et
l’importation du modèle anglo-américain d’entreprise celle du gouvernement de M. Jospin et de son ministre
de l’Économie, M. Dominique Strauss-Kahn (détaxation des stock-options, autorisation du rachat par les
sociétés de leurs propres actions, etc.).
11. S.A. Golunsky et M.S. Trogovitch, Theory of State and Law, Moscou, 1940 ; cité par Pierre Lavigne « La
légalité socialiste et le développement de la préoccupation juridique en Union soviétique », Revue d’Études
comparatives Est-Ouest, vol. 11, 1980, no 3, p. 11.
12. Tamara Kondratieva, Gouverner et nourrir. Du pouvoir en Russie, Les Belles Lettres, 2002.
13. Aux termes de l’article 69 de la Constitution de l’URSS de 1936, « le citoyen de l’URSS est tenu de se
conformer à la Constitution de l’URSS et aux lois soviétiques, de respecter les règles de la vie en société
socialiste et de porter dignement le haut titre de citoyen de l’URSS ».
14. Voir James K. Galbraith, The Predator State, Free Press, 2008, trad. fr. par Françoise et Paul Chemla, L’État
prédateur, Seuil, 2009.
15. L’expression exacte (qui figure à l’article 15 de la Constitution de la République populaire de Chine) est
(shehuizhuyi shichang jingji) dont la traduction littérale est « économie de marché
socialiste ». La signification acquise du terme « socialiste » sur la scène politique française étant source de
possibles confusions avec l’idée d’économie mixte (qui servit un temps de doctrine au parti socialiste), la
traduction par « économie communiste de marché » m’a paru préférable.
16. Christopher Lasch, The Revolt of the Elites : And the Betrayal of Democracy, 1995, trad. fr. La Révolte des
élites et la trahison de la démocratie, Climats, 1996.
17. L’actuel président de la Commission, M. José Manuel Durão Barroso, a commencé sa carrière comme
membre du Mouvement de réorganisation du parti du prolétariat, groupe maoïste radical, avant de devenir
l’un des architectes de l’alliance des néoconservateurs américains et des anciens pays communistes
européens.
II
1. Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 8, cité et commenté par Clarisse Herrenschmidt, Les Trois Écritures.
Langue, nombre, code, Gallimard, 2007, p. 293 sq.
2. Francis Bacon, Essais de morale et de politique (1625), L’Arche, 1999, p. 67.
3. Friedrich A. Hayek, Le Mirage de la justice sociale, op. cit.
4. Thomas Friedman, The World is Flat, Penguin Books, 2005, trad. fr. La Terre est plate, Saint-Simon, 2006.
5. Jacques Derrida, Force de loi. Le « Fondement mystique de l’autorité », Galilée, 1994-2005, p. 56.
6. Sur cette critique du postmodernisme, voir Augustin Berque, Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux
humains, Belin, 2000, p. 26 sq. Voir aussi dans une perspective marxiste, Nkolo Foé, Le Post-modernisme et
le nouvel esprit du capitalisme. Sur une philosophie globale d’empire, Codesria, 2008.
7. Jean Carbonnier, Droit et passion du droit sous la V e République, Flammarion, 1996, p. 121 sq.
8. Voir Conseil d’État, Rapport public 2009. Droit au logement, droit du logement, La Documentation
française, 2009.
9. Voir l’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC ; en
anglais : TRIPS) annexé à l’accord de Marrakech instituant l’OMC.
10. Code de l’action sociale et des familles, art. L. 222-4-1 (loi du 31 mars 2006).
11. Matthieu, XXV,29. La mise en évidence de cet effet a d’abord été le fait de Robert Merton en matière de
financement de la recherche, « The Matthew Effect in Science », Science, vol. 159, 1968, p. 56 sq. Sur sa
pertinence en matière sociale, voir Hermann Deleeck, « L’effet Matthieu », Droit social, 1979, p. 375 ;
Jacques Bichot, « L’effet Matthieu revisité », Droit social, 2002, p. 575.
12. Voir notamment ses arrêts Bachmann (C-204/90 du 28 janvier 1992), Schumacker (C-279/93 du 14 février
1995), de Lasteyrie du Saillant (C-9/02 du 11 mars 2004), Laboratoires Fournier (C-39/04 du 10 mars 2005)
ou Manninen (C-319/02 du 7 septembre 2004). Les arrêts les plus récents semblent mettre un frein à cette
politique de désarmement fiscal des États (voir l’arrêt Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt,
C-157/07 du 23 octobre 2008, publié in Droit fiscal, 2008, no 50, p. 616, comm. J.-Chr. Garcia).
13. Ce dispositif limite le taux d’imposition des contribuables ayant les plus hauts revenus. Fixé à 60 % du
revenu en 2006, il a été abaissé à 50 % du revenu déclaré par la loi Travail emploi pouvoir d’achat (TEPA)
du 21 août 2007. En application de cette loi en 2008, 834 bénéficiaires, disposant d’un patrimoine supérieur à
15,5 millions d’euros, ont perçu de l’État en moyenne 368 261 euros chacun.
14. Au jeu des analogies, la bureaucratie céleste convient mieux que la noblesse d’Ancien Régime pour
caractériser la grandeur et la décadence de nos « élites » (voir Jacques Gernet, L’Intelligence de la Chine. Le
social et le mental, Gallimard, 1994, spéc. p. 31 sq. ; et du même auteur : « Organisation, principes et
pratiques de l’administration chinoise [11o-19o s.] », in Servir l’État, EHESS, 1987, p. 11 sq. ; Étienne
Balazs, La Bureaucratie céleste, Gallimard, 1968).
15. Le Point, 19 septembre 2008.
16. Lettre à Robert le Pieux (circ. 1020), citée par Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval,
Arthaud, 1964, p. 319-320.
III
Le Marché total
« Le propre de notre situation consiste en ceci que la contrainte du record règle nos
mouvements et que le critère de performance minimale qu’on réclame de nous accroît
l’ampleur de ses exigences de façon ininterrompue. Ce fait interdit totalement que la vie
puisse en quelque domaine que ce soit se stabiliser selon un ordre sûr et indiscutable. Le
mode de vie ressemble plutôt à une course mortelle où il faut bander toutes ses énergies pour
ne pas rester sur le carreau4. »
Le darwinisme normatif
Sur ce Marché total, le Droit (tout comme la religion, les idées ou les
6
arts ) est considéré comme un produit en compétition à l’échelle du monde,
où s’opérerait la sélection naturelle des ordres juridiques les mieux adaptés
à l’exigence de rendement financier. Au lieu que la libre concurrence soit
fondée sur le Droit, c’est le Droit qui devrait être fondé sur la libre
concurrence. Ce darwinisme normatif avait déjà été théorisé par Hayek. Ne
croyant pas à « l’acteur rationnel » en économie, il se fiait à la sélection
naturelle des systèmes normatifs, par la mise en concurrence des droits et
des cultures à l’échelle internationale. Selon lui, les adeptes du darwinisme
social ont eu le tort de se focaliser sur la sélection des individus
congénitalement les plus aptes, processus trop lent pour pouvoir être pris en
compte, « alors qu’ils méconnaissaient l’évolution – décisivement
importante – par sélection des règles et pratiques7 ».
Dans le domaine des échanges économiques, ce sont les libertés
associées au libre-échange (liberté d’établissement, de prestation de
services et de circulation des capitaux et des marchandises) qui sont
invoquées pour autoriser les investisseurs et les entreprises à se soustraire
aux lois des pays où ils opèrent et à en choisir une autre, qui leur est plus
profitable. Jadis cantonnée au Droit de la mer, la pratique des pavillons de
complaisance se répand ainsi sur terre, sous la forme d’un law shopping, qui
traite les droits nationaux comme des produits en compétition sur un
marché international des normes8. En Europe, cette orientation est
activement promue par la Cour de justice des communautés européennes
qui a consacré le droit pour une entreprise d’éluder les règles de l’État où
elle exerce toutes ses activités en s’immatriculant dans un autre État dont
les règles sont moins contraignantes9. La représentation juridique du monde
à l’œuvre dans ces évolutions est celle d’un « marché des produits
législatifs » ouvert au choix d’individus libres de se placer sous la loi qui
leur est la plus profitable.
Pour aider les « consommateurs de droit » à faire leur choix sur ce
« marché des normes », la Banque mondiale publie chaque année depuis
2004, dans le cadre de son programme Doing Business, un rapport évaluant
les droits nationaux à l’aune de l’efficacité économique10. La base de
données chiffrées ainsi tenue à jour est destinée à fournir des « mesures
objectives » du Droit de cent soixante-dix-huit pays (rebaptisés
« économies »). Elle contient notamment des indicateurs chiffrés de la
« rigidité » des droits du travail de ces pays. Le rapport « Doing Business »
2005 contient par exemple un chapitre intitulé « Hiring and Firing
Workers », qui est spécialement consacré à la mesure des entraves à
l’investissement que représenterait dans chaque pays le Droit du travail. Le
tableau comparatif de tous les droits du travail du monde est construit
autour des indicateurs suivants : difficulté d’embauche ; difficulté de
l’allongement ou de la réduction de la durée du travail ; difficulté du
licenciement économique d’un travailleur ; indice de rigidité de l’emploi ;
coût d’embauche et coût des licenciements11. On aura compris que
« difficultés » ou « rigidités » désignent des règles, et « coûts » des droits
protecteurs des salariés. L’indice de « rigidité de l’emploi » inflige ainsi des
points de pénalité aux États qui reconnaissent trop de droits aux travailleurs,
tels qu’une protection sociale aux salariés à temps partiel ; des salaires
minima jugés trop élevés par la Banque (20 dollars par mois est ainsi jugé
trop élevé pour les pays africains) ; une limitation à moins de soixante-six
heures par semaine de la durée du travail ; un préavis de licenciement ou
des programmes de lutte contre la discrimination raciale ou sexuelle12.
L’instauration de ce « marché des produits législatifs » doit conduire à
l’élimination progressive des systèmes normatifs les moins aptes à satisfaire
les attentes financières des investisseurs. La compétition que se livrent les
entreprises sous l’égide des marchés financiers ne devrait donc pas se
cantonner à la sphère économique, mais devenir le principe d’organisation
de la sphère juridique. Ce darwinisme normatif est aujourd’hui relayé en
France par de hauts magistrats13, et les critiques qui lui sont adressées visent
moins le principe de cette notation que la « note » attribuée aux Droits
continentaux (jugés moins « compétitifs » que ceux des pays de Common
law)14.
Depuis son élargissement aux pays postcommunistes, l’Union
européenne est devenue une terre d’élection de cette mise en concurrence
des législations sociales et fiscales des États membres. Tel est l’objet de la
méthode ouverte de coordination consacrée par le traité d’Amsterdam15.
Cette technique de gouvernance vise à décliner dans le domaine social les
grandes orientations de la politique économique de la Communauté, et
notamment à promouvoir l’adaptation de la main-d’œuvre aux besoins des
marchés. Les « performances » des États au regard des objectifs qui leur
sont fixés sont mesurées par des batteries d’indicateurs chiffrés élaborés par
la Commission et régulièrement réexaminés au sein de peer reviews
(évaluation par les pairs). Ainsi incités à améliorer leur score statistique, les
mauvais élèves de la classe européenne sont censés suivre l’exemple des
bons, selon la technique dite de benchmarking (étalonnage).
À cette mise en compétition « douce » et sans force juridique
contraignante s’ajoute celle qu’impose depuis peu la Cour de justice des
communautés européennes. Bien qu’ignorée des médias et du grand public,
cette juridiction détient une part essentielle du pouvoir législatif dans
l’Union européenne. À l’instar des cours souveraines de l’Ancien Régime
ou des Hautes Cours de Common law, elle statue pour l’avenir par
disposition générale et à l’égard de tous, comme la loi elle-même.
Composée d’un juge par État membre, la Cour échappe aux règles de
pondération démographique qui régissent le Parlement ou le Conseil
européen. Aussi est-elle devenue, à la faveur de l’alliance idéologique des
pays de la « Nouvelle Europe » (pays postcommunistes et ultralibéraux), un
levier particulièrement puissant de mise en œuvre de l’économie
communiste de marché. Se détournant de l’objectif « d’égalisation dans le
progrès » qui figure dans le Traité européen et qui inspirait sa jurisprudence
antérieure, elle s’emploie désormais à permettre aux entreprises installées
dans ces pays à bas salaires et faible protection sociale d’utiliser à plein cet
« avantage comparatif ». À cette fin, la Cour a exempté ces entreprises du
respect des conventions collectives16, ainsi que des lois indexant les salaires
sur le coût de la vie17 ; elle a écarté les présomptions de salariat posées par
les droits des pays étrangers où elles opèrent18 ; elle a condamné les
dispositifs permettant aux États d’accueil de contrôler efficacement le
respect des droits des travailleurs qu’elles emploient19 ; elle a affirmé que le
recours aux pavillons de complaisance ressortissait au principe de libre
établissement20 ; elle a interdit en principe les grèves contre les
délocalisations21. Dans l’un des arrêts les plus récents rendus dans cette
veine, la Cour affirme que les objectifs de protection de pouvoir d’achat des
travailleurs et de paix sociale ne constituent pas un motif d’ordre public de
nature à justifier une atteinte à la libre prestation de service22. On ne saurait
mieux exprimer le renversement actuel de l’esprit de Philadelphie.
1. Voir Karl Polanyi, The Great Transformation : The Political and Economic Origins of Our Time, 1944, trad.
fr. La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, 1983,
p. 102 sq.
2. Une dette ou une créance est dite liquide lorsqu’elle peut être convertie en une quantité déterminée de
monnaie. La liquidation d’un bien consiste à le rendre fongible, à le convertir en droits monétaires (voir
Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 1987, voir « Liquidation et Liquide »). Dans le langage
courant, le liquide désigne aussi bien l’argent disponible en espèces que tout ce qui coule comme de l’eau et
n’a pas de forme propre.
3. Ernst Jünger, Die totale Mobilmachung, 1930, trad. fr. « La mobilisation totale », in Lion Murard et Patrick
Zylberman, Le Soldat du travail, Recherches, septembre 1978, no 32-33, p. 34-53 (article séminal qui a
inspiré le concept d’État total développé ensuite par Carl Schmitt).
4. Ernst Jünger, Der Arbeiter, 1932, trad. fr. Le Travailleur, Christian Bourgois, 1989, p. 223.
5. Sur ce mot d’ordre managérial inspiré de Ricardo, voir Michael Porter, The Competitive Advantage of
Nations, Free Press-Macmillan, 1990, trad. fr. L’Avantage concurrentiel des nations, Interéditions, 1993.
Voyez la critique de James K. Galbraith The Predator State, op. cit., p. 69 sq.
6. Voir Ronald H. Coase, « The Market for Goods and the Market for Ideas », The American Economic Review,
vol. 64, 1974, p. 384-391. Sur l’application de ce concept de « marché des idées » aux religions par la Cour
suprême des États-Unis, voir Laurent Mayali (dir.), Le Façonnage juridique du marché des religions aux
États-Unis, Mille et une nuits, 2002.
7. Friedrich A. Hayek, L’Ordre politique d’un peuple libre, op. cit. p. 184.
8. Alain Supiot, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », Droit social, 2005, p. 1087 sq. Pour une
présentation d’ensemble et de nombreuses références, voir Horatia Muir Watt, Aspects économiques du droit
international privé (Réflexions sur l’impact de la globalisation économique sur les fondements des conflits de
lois et de juridictions), Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, t. 307 (2004),
Martinus Nijhoff, 2005.
9. CJCE, 9 mars 1999, Centros, aff. C-212/97, Rec. 1999, I, 1459 concl. La Pergola.
10. Voir www.doingbusiness.org, où l’on trouve notamment une mappemonde représentant la terre comme un
espace de compétition entre législations (Business planet mapping the business environment).
11. http://www.doingbusiness.org/ExploreTopics/HiringFiringWorkers/CompareAll.aspx. La Banque reprend ici
à son compte une méthodologie mise au point par des économistes des universités de Harvard et de Yale :
Juan Botero, Simeon Djankov, Rafael La Porta, Florencio Lopez de Silanes et Andrei Shleifer, « The
Regulation of Labor », Quarterly Journal of Economics, novembre 2004.
12. Face aux critiques émanant notamment du groupement syndical Global Unions (www.global-unions.org), la
Banque mondiale a annoncé en 2009 qu’elle renonçait à se référer aux « Employing Workers Indicators » et
allait se concerter avec l’OIT pour les réformer.
13. Voir le discours de rentrée solennelle 2005 du président de la Cour de cassation (nommé depuis membre du
Conseil constitutionnel), qui reprend à son compte la notion de « marché des codifications » et en appelle à
l’élaboration « d’indicateurs crédibles » susceptibles de justifier la « compétitivité mondiale » de notre
appareil juridictionnel (Guy Canivet « Vers une nouvelle pensée juridique », Les Cahiers du débat,
mars 2005).
14. Voir Association Henri Capitant, Les Droits de tradition civiliste en question. À propos des Rapports Doing
Business de la Banque mondiale, Société de législation comparée, 2006 (disponible en ligne sur le site de
l’association).
15. Traité UE, art. 125 sq. Voir Patricia Pochet, « La stratégie européenne pour l’emploi en 2001 », Droit social,
2001, p. 1090 sq. ; Stéphane de La Rosa, « Stratégie européenne pour l’emploi : les nouvelles orientations »,
Droit social, 2005, p. 1210 sq.
16. CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-341/05, Laval ; 3 avril 2008, aff. C-346/06, Rüffert, qui permet de payer des
travailleurs étrangers détachés dans un pays membre de l’UE la moitié du tarif des conventions collectives
applicables dans ce pays.
17. CJCE, 19 juin 2008, aff. C-319/06, Commission c/ Grand Duché du Luxembourg.
18. CJCE, 15 juin 2006, aff. C-255/04, Commission c/ France.
19. CJCE, 19 juin 2008, aff. C-319/06, Grand Duché du Luxembourg.
20. CJCE, 6 décembre 2007, aff. C-438/05, Viking.
21. CJCE, 6 décembre 2007, aff. C-438/05, Viking.
22. CJCE, 19 juin 2008, aff. C-319/06, Commission c/ Grand Duché du Luxembourg, voir § 53.
23. Voir Jean-Luc Gréau, L’Avenir du capitalisme, Gallimard, 2005, p. 212 sq.
24. CJCE, 6 décembre 2007, aff. C-438/05, Viking, et CJCE 18 décembre 2007, aff. C-341/05, Laval.
25. CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-341/05, Laval préc. § 98.
26. CJCE, 21 septembre 1999, aff. C-67/96, Albany § 60.
27. Voir sur ce point les fines observations de Leszek Kolakowski, « The Persistence of the Sein-Sollen
Dilemma », Man World. International Philosophical Review, no 10, 1977, p. 194-233.
IV
« On avait oublié la recherche. On s’appliqua à réparer cet oubli. Il y eut une réunion
spéciale. On prit la décision d’élever, d’améliorer et de rectifier. Puis on passa aux mesures
concrètes : 1) augmenter le nombre de docteurs de troisième cycle et de docteurs ès
sciences ; 2) améliorer la formation des chercheurs et le niveau théorique et scientifique des
thèses ; 3) augmenter le nombre de publications consacrées à l’actualité scientifique, etc.
Sitôt dit, sitôt fait. Comme on dit, il fallait que ça saute. Au bout de six mois le nombre de
docteurs de troisième cycle fut multiplié par 100 et celui des docteurs ès sciences par 99. Le
poids total des publications atteignit 100 millions de tonnes. Il ne faut pas lésiner dans ce
genre d’histoires. Autant faire les choses en grand. Et bientôt Ivanbourg fut pleine de science
à craquer20. »
1. Voir Alan Macfarlane, « The Mystery of Property : Inheritance and Industrialization in England and Japan »,
in Chris M. Hann (éd.), Property Relations. Renewing the Anthropological Tradition, Cambridge University
Press, 1998, p. 104 sq.
2. Voir notamment en France, l’ouvrage, au titre on ne peut plus explicite, publié il y a plus de dix ans par Jean-
Luc Gréau : Le Capitalisme malade de sa finance, Gallimard, 1998 ; ou plus récemment les mises en garde de
François Morin, Le Nouveau Mur de l’argent : essai sur la finance globalisée, Seuil, 2006.
3. Voir « Critique de la régulation », préface à l’édition « Quadrige » d’Alain Supiot, Critique du droit du
travail, PUF, 2002.
V
La renaissance féodale
1. Voir Alain Supiot, « L’inscription territoriale des lois », art. cit., p. 151-170.
2. La reconnaissance du « droit d’adapter son état civil à son genre revendiqué » est aujourd’hui l’une des
priorités de la gauche française (voir « Refusons la transphobie, respectons l’identité de genre ! », Le Monde,
16 mai 2009). Ernst Jünger observait, dès 1932, que l’univers libéral s’efforçant de transformer toute relation
en lien contractuel résiliable, l’un de ses idéaux « est atteint avec beaucoup de logique lorsque l’individu peut
résilier son caractère sexuel, le déterminer ou le changer par une simple inscription sur le registre de l’état
civil ». (Le Travailleur, op. cit., p. 158.)
3. Le Figaro économie, 30 août 2005.
4. Robert Castel, La Discrimination négative. Citoyens ou indigènes ?, La République des Idées-Seuil, 2007.
5. Charles Taylor, Multiculturalisme : différence et démocratie, Flammarion, 1997 ; Axel Honneth, La Lutte
pour la reconnaissance. Grammaire morale des conflits sociaux, Cerf, 2000 ; Nancy Fraser, Qu’est-ce que la
justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, 2005.
6. Voir sur le cas des États-Unis : Michael Piore, Beyond Individualism, Harvard University Press, 1995 ; sur le
cas canadien : Andrée Lajoie, Quand les minorités font la loi, PUF, 2002.
7. Sur ce glissement vers l’autodétermination de l’état des personnes au nom du respect de la vie privée :
Claire Neirinck (dir.), L’État civil dans tous ses états, LGDJ, 2008 ; Jean-Louis Renchon, « Indisponibilité,
ordre public et autonomie de la volonté dans le droit des personnes et de la famille », in Alain Wijffels (dir.),
Le Code civil entre ius commune et droit privé européen, Bruylant, 2005, p. 269 sq.
8. Christopher Lasch, Culture of Narcissism : American Life in an Age of Diminishing Expectations, 1979, trad.
fr. La Culture du narcissisme : la vie américaine à un âge de déclin des espérances, Flammarion, 2006.
9. CEDH, 11 juillet 2002, aff. Christine Goodwin c/ Royaume-Uni (no 28957/95).
10. Voir Habib Y., « Halal, haram, sport panarabe », Le Temps (Alger), 19 septembre 2008.
11. Pierre Legendre, Les Enfants du Texte. Étude sur la fonction parentale des États, Fayard, 1992, p. 352.
12. Jean Bodin, Les Six Livres de la République, éd. 1583, présentée par G. Mairet, LGF, 1993.
13. Voir Manuel Castells, La Société en réseaux, Fayard, 1998 ; François Ost et Michel van de Kerchove, De la
pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publications des facultés universitaires Saint-
Louis, 2002 ; Günther Teubner, Netzwerk als Vertragsverbund. Virtuelle Unternehmen, Nomos Verlag, 2004.
14. Aziz Al-Azmeh, « Chronophagous Discourse : A Study of Clerico-Legal Appropriation of the World in an
Islamic Tradition », in Franck E. Reynolds et David Tracy (éd.), Religion and Practical Reason, State
University of New York Press, 1994, p. 163 sq.
15. Tandis que le souverain est titulaire d’un pouvoir suprême, qui peut s’exercer directement sur tous ses sujets,
le suzerain n’a de prise directe que sur ses propres vassaux et non pas sur les vassaux de ses vassaux (voir
Jean-François Lemarignier, La France médiévale. Institutions & société, Armand Colin, 1970, p. 256 sq.)
16. Voir les rapports publics du Conseil d’État, Les Autorités administratives indépendantes (2001), et Le
Contrat, mode d’action publique et de production de normes (2008).
17. Voir Marie-Anne Frison-Roche, Règles et pouvoirs dans les systèmes de régulation, Dalloz, 2004.
18. Ces lettres sont rendues publiques sur le site du FMI : www.imf.org/external/index.htm.
19. Voir Denis Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in L’Avenir du
droit. Mélanges en hommage à François Terré, PUF-Dalloz et Juris-Classeur, 1999, p. 603 sq. ; Christophe
Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Études offertes à JacquesGhestin, LGDJ, 2001,
p. 441.
20. Le juge sanctionne désormais l’abus dans la fixation du prix lorsque celui-ci n’est pas déterminé par le
contrat (Cour de cassation, assemblée plénière, 1er décembre 1995, Bulletin civil, 1995, no 9). Voir Marie-
Anne Frison-Roche, « De l’abandon du carcan de l’indétermination à l’abus dans la fixation du prix », Revue
de jurisprudence de droit des affaires, 1996, chron. 3 ; Muriel Fabre-Magnan, Contrat et engagement
unilatéral, PUF, 2008, p. 356 sq. Voir aussi Aymon de Senarclens, « La maxime “pretium debet esse verum,
certum, iustum” », Mélanges Paul Fournier, Sirey, 1929, p. 685.
21. Sur ce retour d’un protectionnisme tempéré, par grands ensembles continentaux, voir Jean-Luc Gréau,
L’Avenir du capitalisme, op. cit., p. 212 sq.
22. Voir Donald Kalff, L’Entreprise européenne : la fin du modèle américain, Vuibert, 2005.
23. Décision nº 72/2009 du 30 juin 2009, consultable sur le site de la Cour <www.bundesverfassungsgericht.de>.
Cette décision capitale a à peine été signalée, et jamais sérieusement été analysée, dans les médias français.
Pour une analyse en langue anglaise, voir le dossier spécial que lui a consacré le German Law Journal, vol.
10, nº 8, 2009 <www.germanlawjournal.com>.
VI
Le sens de la mesure
Pratique de la mesure
et diversité des formes de représentation
1. Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 6. Voir aussi Michel Villey, Le Droit et les Droits de l’homme, PUF,
1983, p. 52 sq.
2. Voir Christophe Dejours, L’Évaluation du travail à l’épreuve du réel : critique des fondements de
l’évaluation, op. cit.
3. Voir le bilan accablant dressé par le Bureau international du travail dans son Rapport sur le travail dans le
monde 2008 : les inégalités de revenu à l’épreuve de la mondialisation financière, OIT, 2008,
http://www.ilo.org/public/english/bureau/inst/download/world08.pdf.
4. Voir Robert Salais, « Usages et mésusages de l’argument statistique : le pilotage des politiques publiques par
la performance », Revue française des affaires sociales, 2009.
5. Voir Franck Jedrzejewski, Histoire universelle de la mesure, Ellipses, 2002.
6. Sur ces notions, voir Augustin Berque, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, op. cit.
7. Voir Witold Kula, Les Mesures et les Hommes, Maison des sciences de l’homme, 1984, p. 38 sq.
8. Voir Charles Malamoud, Une perspective indienne sur la notion de dignité humaine, conférence, Institut
d’études avancées de Nantes, avril 2009, à paraître.
9. Cette vieille antienne trouve toujours de nouveaux choristes : voir par exemple Jean-Philippe Feldman, « Le
comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution et la philosophie des droits de l’homme », Recueil
Dalloz, 2009, p. 1036.
10. Traité européen, art. 121, § 1. Il s’agit de quatre critères chiffrés : la stabilité des prix, la situation des
finances publiques, le taux de change, les taux d’intérêt à long terme.
11. Voir supra, chapitre III.
12. CEDH (Grande Chambre), 12 novembre 2008, Demir Et Baykara c/ Turquie (no 34503/97). Voir aussi
CEDH, 21 avril 2009, Enerji Yapi-Pol Sen c. Turquie (no 68959/01) appliquant cette méthode à la protection
du droit de grève.
13. Voir supra, chapitre III.
14. Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil, 2008.
15. Ce concept très fécond est dû à Marcel Detienne : Comparer l’incomparable, Seuil, 2000, p. 105 sq. ; Id.
(dir.), Qui veut prendre la parole ? Seuil, « Le genre humain », 2003.
16. Sur cette définition légale, qui traduit la notion anglaise de true and fair view, voir Yannick Lemarchand,
« Le miroir du marchand », in Alain Supiot (dir.), Tisser le lien social, op. cit., p. 213 sq.
17. Issu de l’allemand Statistik le mot est dérivé de Staat.
18. Voir Alain Desrosières, « Refléter ou instituer. L’invention des indicateurs statistiques » (1997), repris in
Pour une sociologie historique de la quantification, op. cit., p. 187 sq.
19. Sur le cas de l’emploi, voir le livre séminal de Robert Salais, Nicolas Baverez, Bénédicte Reynaud,
L’Invention du chômage, PUF, 1986.
20. Voir supra, chapitre III.
21. Voir Jean Gadrey et Florence Jany-Catrice, Les Nouveaux Indicateurs de richesse, La Découverte, 2007.
22. Voir, sur le cas du Mali, Ousma Sidibé, « Les indicateurs de performance améliorent-ils l’efficacité de l’aide
au développement ? », Journal de l’Institut d’études avancées de Nantes <www.iea-nantes.fr>.
23. Voir en ce sens la forte démonstration de Samuel Jubé, Droit social et normalisation comptable, thèse, op.
cit.
24. Voir Bernard Colasse, Les Fondements de la comptabilité, La Découverte, 2007, p. 77 sq.
25. Voir Alain Supiot (dir.) Protection sociale et travail décent. Nouvelles perspectives pour les normes
internationales du travail, numéro spécial de la Semaine sociale Lamy, 2006, no 1272.
VII
La capacité d’action
1. Nous soulignons.
2. Voir notamment Simone Weil « Réflexions sur les causes de l’oppression sociale » (1934), in Œuvres,
Gallimard, « Quarto », 1999, p. 275 sq. ; « La rationalisation » (1937), in La Condition ouvrière, Gallimard,
1951, p. 289 sq.
3. Cité par Jean Querzola, « Le chef d’orchestre à la main de fer. Léninisme et taylorisme », in Le Soldat du
travail, Recherches, no 32-33, septembre 1978, p. 58.
4. Bruno Trentin, La città del lavoro. Sinistra e crisi del fordismo, Feltrinelli, 1997.
5. « L’accompagnement » est devenu l’un des mots fétiches des politiques sociales en Europe (voir la
communication de la Commission, « Restructurations et emploi. Anticiper et accompagner les
restructurations pour développer l’emploi : le rôle de l’Union européenne », COM [2005] 120 final, qui a
débouché sur la création d’un Fonds européen d’ajustement à la mondialisation), au point de devenir l’objet
d’un nouveau droit individuel (voir Franck Petit, « Le droit à l’accompagnement », Droit social, avril 2008,
p. 413-423).
6. Voir « Les principes du novlangue », publié par Orwell en appendice de Nineteen Eighty-Four, 1949, trad. fr.
1984, Gallimard, « Folio », 2005, p. 395 sq. : « Le but du novlangue, écrivait-il, est non seulement de fournir
un mode d’expression aux idées générales en vigueur et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais
de rendre impossible tout autre mode de pensée. »
7. Simone Weil, « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale », art. cit., p. 279.
8. Id., « Expérience de la vie d’usine » (1941), in La Condition ouvrière, op. cit., p. 337.
9. Alain Supiot (dir.), Au-delà de l’emploi. Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe.
Rapport pour la Commission Européenne, Flammarion, 1999.
10. C’est l’ordre logique d’exposition des Institutes de Gaius : Omne autem ius quo utimur vel at personas
pertinet, vel at res, vel ad actiones. Sed prius videamus de personis. (« Les droits dont nous faisons usage se
rapportent tous, soit aux personnes, soit aux choses, soit aux actions. Voyons d’abord ce qui concerne les
personnes. ») Voir Gaius, Institutes, trad. J. Reinach, Les Belles Lettres, 1991, I-8, p. 2.
11. Voir Commission européenne, « Restructurations et emploi. Anticiper et accompagner les restructurations
pour développer l’emploi : le rôle de l’Union européenne », COM [2005] 120 final.
12. Sur cette notion, voir Amartya Sen, Commodities and Capabilities, Oxford University Press, 1999 ; Robert
Salais et Robert Villeneuve (dir.), Europe and the Politics of Capabilities, Cambridge University Press, 2005,
trad. fr. Développer les capacités des hommes et des territoires en Europe, ANACT, 2006.
13. Voir Simon Deakin et Alain Supiot (éd.), Capacitas. Contract Law and the Institutional Preconditions of a
Market Economy, Hart, 2009.
14. Voir l’article L. 6321-1 du Code du travail introduit par la loi du 4 mai 2004 et l’arrêt Union des opticiens,
rendu par la Cour de cassation le 23 octobre 2007 (no 06-40950).
15. Bruno Romano, Fondamentalismo funzionale e nichilismo giuridico. Postumanesimo « noia »
globalizzatione, Giappichelli, 2000.
16. Voir la décision du Conseil européen relative aux lignes directrices adoptées pour les politiques de l’emploi
des États membres (2006/544/CE, JO L 215 du 5-8-2006, p. 26-27), qui leur fixe comme priorité d’investir
davantage dans le capital humain.
17. Joseph Staline, L’Homme, le capital le plus précieux, [suivi de] Pour une formation bolchévik, Éditions
sociales, 1945.
18. Gary S. Becker, Human Capital. A Theoretical and Empirical Analysis, With Special Reference to Education,
University of Chicago Press, 1964.
19. Au sens précis du terme, le capital humain désigne l’actif inscrit au bilan d’un propriétaire d’esclaves : voir
Cheryll S. Mc Watters et Yannick Lemarchand, « Comptabilité et traite négrière », in Jean-Guy Degos et
Stéphane Trébucq (dir.). L’Entreprise, le Chiffre et le Droit, université Montesquieu (Bordeaux), 2005,
p. 209-236.
20. C’est la définition qu’en donne la Commission européenne. A person is employable when he or she has the
marketable skills, competence or features which are regarded by labour market demand as necessary
conditions for hiring (« Une personne est employable quand elle possède les caractéristiques, qualifications,
ou compétences négociables, qui sont considérées sur le marché du travail comme des conditions nécessaires
à l’embauche »). Citée par Philippe Pochet et Michel Paternotre, « Employabilité » dans le contexte des
lignes directrices de l’Union européenne sur l’emploi, Observatoire social européen, 1998.
21. Commission européenne, « Vers des principes communs de flexicurité : Des emplois plus nombreux et de
meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité », communication du 27 juin 2007 (COM [2007]
359 final).
22. Simone Weil, « Lettre à un ingénieur », La Condition ouvrière, Gallimard, 1951, p. 187.
VIII
Est responsable celui qui doit répondre de ses actes à l’égard d’autrui.
À l’origine de la notion se trouve la promesse solennelle du Droit romain :
le spondeo d’un premier promettant trouve son écho dans le re-spondeo
d’un second promettant. Originellement accompagné d’une libation aux
dieux, cet échange de promesses a pour effet de leur donner force
obligatoire1. Ces actes dont on doit répondre peuvent être juridiques ou
matériels, ou même consister en une abstention, mais la responsabilité
existe si, et seulement si, on peut les imputer à un sujet déterminé qui doit
en répondre devant un tiers. La responsabilité implique donc une relation
ternaire entre trois personnes : un responsable, qui est le point causal
d’imputation de l’acte2 ; un demandeur, dont les intérêts sont affectés par
cet acte ; et un Tiers (juge ou arbitre) devant qui le responsable est
susceptible de devoir répondre de son acte. Ainsi entendue, la responsabilité
ne désigne pas seulement l’obligation de réparer les conséquences
dommageables de ses actes, mais aussi l’obligation de prévenir de telles
conséquences et de garantir qu’on en répondra. Dans le Droit contemporain
de la responsabilité, ces devoirs de prévention et de garantie ont pris une
importance croissante, au fur et à mesure de l’augmentation des risques liés
au développement scientifique et technique.
Plus que tout autre, l’acte d’entreprendre (sens premier de l’entreprise)
mobilise les ressources de la technique et représente donc un facteur majeur
de risque. Au tournant du XXe siècle, c’est la question des accidents du
travail et des risques inhérents à l’entreprise qui a conduit dans tous les pays
industriels à des évolutions majeures de la responsabilité civile, en faisant
place à l’idée d’une responsabilité objective, fondée non pas sur la faute du
responsable, mais sur le risque que son activité fait courir à autrui. Ces
évolutions ont emprunté ensuite des voies différentes selon les pays. Là où
par exemple le Droit français a généralisé cette idée de responsabilité
objective et étendu corrélativement les obligations d’assurance, les autres
pays ont plus volontiers cantonné ce remède aux activités ou aux produits
dangereux ; en revanche, là où le Droit américain a largement ouvert la
possibilité d’actions de groupe (class actions) devant des jurys prompts à
condamner lourdement les grandes entreprises3, le Droit français s’en est
généralement tenu (sauf en Droit du travail) à une conception individualiste
de l’action en justice. Mais partout les entreprises ont été soumises à des
règles qui les obligent à prendre en considération d’autres intérêts que les
leurs dans la conduite de leurs affaires. Sans doute Milton Friedman
pouvait-il écrire, peu d’années avant d’obtenir le prix d’économie « à la
mémoire d’Alfred » Nobel, que « l’unique responsabilité sociale de
l’entreprise est celle de faire des profits4 ». Mais une telle conception
monofonctionnelle des entreprises n’est concevable que dans un cadre
juridique et institutionnel national, qui les oblige à tenir compte des
conséquences de leurs activités sur les hommes et la nature.
Un tel cadre faisant défaut au plan international, la notion de
« responsabilité sociale des entreprises » (RSE) est censée y suppléer. Les
grandes entreprises prétendent s’organiser en mini-États, animés par
d’autres « préoccupations » que celle de l’enrichissement de leurs
actionnaires5. Mais sans responsable clairement identifiable, sans
organisation susceptible de demander des comptes et sans Tiers devant qui
répondre, cette responsabilité n’en est évidemment pas une. La
responsabilité sociale des entreprises est un symptôme d’une crise de
l’idéologie économique, plutôt qu’un remède susceptible de conjurer les
détraquements sociaux engendrés par la globalisation. Placée en état
d’apesanteur juridique par l’effacement des frontières commerciales, qui
émancipe les grandes entreprises des ordres juridiques nationaux,
l’économie découvre ses fondements dogmatiques insus et se trouve en
quête des débiteurs, des créanciers et des juges sans lesquels plus personne
ne répond de rien.
Dans les codes de conduite consacrés à la responsabilité sociale des
entreprises, la notion d’entreprise est le plus souvent donnée comme allant
de soi. Vainement chercherait-on par exemple, dans la communication que
la Commission européenne a consacrée à ce sujet, une définition de
l’entreprise6. Elle se borne à remarquer que « le concept de RSE a
principalement été élaboré par et pour les grandes multinationales » et se
déclare décidée, dans son style inimitable, à « stimuler la RSE des PME7 ».
Les codes de conduite élaborés par de grandes organisations internationales,
tels « Les Principes directeurs de l’OCDE » ou la Déclaration tripartite de
l’OIT, témoignent sur le sujet d’un certain embarras, mal dissimulé par une
affirmation péremptoire. Selon l’OCDE, « une définition précise des
entreprises multinationales n’est pas nécessaire8 » et selon l’OIT « une
définition juridique précise des entreprises multinationales n’est pas
indispensable9 ». Mais c’est aussitôt pour donner une telle définition, du
reste assez proche, tout en précisant, dans le cas de l’OIT, que cette
définition n’a pas valeur de définition10…
On ne peut que comprendre et partager l’embarras éprouvé par ces
organisations internationales pour désigner exactement les « entités »
auxquelles s’adressent leurs codes de bonne conduite sociale. L’entreprise
est d’abord une action fondée sur la liberté d’entreprendre et ne se fige
jamais entièrement en institution. La situation est simple lorsque
l’entrepreneur, personne physique, apparaît lui-même sur la scène juridique,
en tant que commerçant. Elle est encore facile à saisir lorsqu’il fonde une
société commerciale qui se confond avec son entreprise et lui donne forme
juridique. Les choses se compliquent lorsque cette société crée des filiales
ou passe sous le contrôle financier d’une autre, et s’inscrit ainsi dans un
groupe de sociétés aux contours flous et mouvants. Elles deviennent
opaques lorsque l’entreprise se ramifie en liens contractuels de dépendance
unissant des sociétés sans lien capitalistique, par exemple dans le cas de
sous-traitance ou de concession d’exploitation de brevets. Cette
organisation en réseaux a pour effet une dilution du pôle patronal de la
relation de travail, qu’il devient difficile et parfois impossible d’identifier.
La notion de firme, est ainsi de moins en moins fidèle à son sens premier
(firm [du latin firmus : solide, durable] a d’abord désigné en anglais la
signature, puis par extension le nom sous lequel opère une entreprise). La
liberté d’organisation juridique de l’entreprise est devenue un moyen pour
l’entrepreneur non plus de s’identifier sur la scène des échanges, mais tout
au contraire de disparaître derrière les masques d’une foule de personnalités
morales et de fuir ainsi les responsabilités inhérentes à son action
économique.
L’un des principaux problèmes juridiques posés par la libre circulation
internationale des marchandises et des capitaux est dès lors celui de
l’identification des vrais opérateurs économiques. Le rapprochement du
Droit social et du Droit de l’environnement, auquel conduit l’idée de
responsabilité sociale de l’entreprise, est ici riche d’enseignements.
Lorsqu’une catastrophe survient, comme les marées noires de l’Erika ou du
Prestige, des mois se passent avant que l’on parvienne à identifier les
personnes physiques qui prennent les décisions ; à supposer qu’on y
parvienne… Dans le cas du Prestige, l’enquête a finalement buté sur le
Droit panaméen, qui garantit de fait leur anonymat11. Autant hisser le
pavillon noir des pirates, dont on sait qu’il n’a jamais été de bon augure
pour les honnêtes marchands. Au plan social, ce phénomène
d’insaisissabilité de l’employeur ne s’exprime pas seulement en matière
maritime, mais plus généralement dans toutes les entreprises à structure
complexe au sein desquelles les détenteurs du capital cherchent,
conformément à la maxime de Milton Friedman, à capter les profits et à fuir
les responsabilités. C’est en Droit pénal des affaires que cette question de
l’identification des opérateurs économiques a été le plus tôt perçue12, mais
elle est devenue un enjeu majeur du Droit de la consommation (avec des
catastrophes sanitaires comme celle de l’amiante ou de la vache folle) et
plus récemment du Droit financier, avec l’effondrement des banques et la
réapparition des États comme ultimes garants des montagnes de dettes
qu’elles ont accumulées. Le Droit du travail montre qu’il est possible
d’écarter les montages juridiques du Droit commercial pour identifier le ou
les véritables dirigeants de l’entreprise lorsque des impératifs d’ordre public
sont en jeu, notamment en matière de santé et de sécurité, de répression du
travail clandestin ou de représentation collective des salariés. Mais si
intéressantes soient-elles, ces techniques demeurent enfermées dans les
limites de l’ordre juridique national que la liberté de circulation des
marchandises et des capitaux permet aisément aux entreprises de franchir.
Le Droit se trouve alors mis en échec en son point le plus sensible : la
notion de sujet de droit et la possibilité d’imputer à une personne
déterminée la responsabilité d’un acte ou d’un manquement dommageable.
Deux remèdes sont alors envisageables, qui pourraient conférer à l’idée de
responsabilité sociale de l’entreprise une certaine crédibilité.
Le premier est celui de la responsabilité solidaire des entités juridiques
constitutives de l’entreprise. À la maxime de Milton Friedman « l’unique
responsabilité sociale de l’entreprise est celle de faire des profits », on peut
retourner l’adage hérité du Droit romain : Ubi emolumentum, ibi onus « où
est le profit, là est la charge (et donc le responsable) »13. Ce sont tous ceux
qui bénéficient d’une opération économique qui doivent être considérés
comme opérateurs, quels que soient les montages juridiques empruntés par
l’entreprise. Cette solution a été utilisée avec grande efficacité par les États-
Unis en matière de pollution marine. Depuis la marée noire de l’Exxon
Valdes, la loi américaine permet de poursuivre en responsabilité tous ceux
qui, de près ou de loin, ont pris part à l’opération de transport14. Le sens
premier de la solidarité, celui du Droit civil, longtemps éclipsé par les
techniques venues de l’assurance, refait alors surface : « Il y a solidarité de
la part des débiteurs lorsqu’ils sont obligés à une même chose, de manière
que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le paiement fait par
un seul libère les autres envers le créancier » (Code civil, art. 1200). La
responsabilité sociale des entreprises supposerait qu’une solidarité de ce
type, qui n’est pas inconnue du Droit interne du travail15, puisse exister
entre les diverses entités d’une filière ou d’un réseau transnational. Il y a de
bonnes raisons en effet de considérer que le Droit international privé, qui
sert à déterminer les tribunaux compétents et la loi applicable à un litige,
doit être interprété à la lumière du principe de justice sociale16. Sur cette
base, il deviendrait notamment possible de poursuivre en responsabilité,
dans les pays où elles ont leur siège, les entités « en mesure d’exercer une
grande influence sur les activités des autres » (pour reprendre la formule des
« Principes directeurs de l’OCDE ») et de les obliger à répondre des
manquements à ces principes observés dans les « pays d’accueil » par des
entités appartenant au même réseau ou à la même filière. Adopter une telle
interprétation encouragerait les bonnes pratiques de sous-traitance et
découragerait les mauvaises, comme le montre la mise en œuvre de l’Oil
Pollution Act américain, qui a rendu les grandes compagnies pétrolières
regardantes sur les garanties de sécurité dans le choix de leurs transporteurs.
En l’absence même d’une loi spéciale de ce genre, le Droit commun de la
responsabilité offre de grandes opportunités pour obliger les grandes
entreprises à répondre de la violation des droits fondamentaux des
travailleurs dans les pays où elles délocalisent leurs activités. Cette
méthode, qui suppose l’établissement de liens de solidarité entre syndicats
du Nord et travailleurs du Sud, a été employée avec succès aux États-Unis,
selon un modèle qu’il conviendrait d’importer en Europe17.
Le second remède consiste à organiser la traçabilité sociale du produit
et à faire peser la responsabilité sur celui qui met ce produit en circulation
sur un marché. Partir du produit pour identifier le responsable est la
méthode qui a été choisie en Droit communautaire en matière de
responsabilité du fait des produits défectueux18. Ce nouveau pan du Droit de
la responsabilité civile se caractérise par le fait que « le producteur est
responsable du dommage causé par un défaut de son produit » (art. 1er de la
directive ; l’article 1386-1 du Code civil précise : « qu’il soit ou non lié par
un contrat avec la victime »). La possibilité est ainsi ouverte de sauter par-
dessus les barrières ou les fossés du Droit des contrats ou des sociétés pour
atteindre celui qui a mis le produit en circulation, ou l’importateur du
produit, qui est « responsable au même titre que le producteur » (art. 3.2 de
la directive). L’incitation à la traçabilité vient de la règle selon laquelle « si
le producteur du produit ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera
considéré comme producteur, à moins qu’il n’indique à la victime, dans un
délai raisonnable, l’identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le
produit19 ».
Le Droit contemporain s’ouvre ainsi à l’idée que l’identification du
responsable s’opère en remontant la filière de production et de distribution
d’un produit et que l’organisation de la traçabilité des produits est un
instrument privilégié de cette identification20. Le produit demeure ainsi
chargé de l’esprit de celui qui l’a mis en circulation et qui doit continuer
d’en répondre nonobstant ses changements de propriétaire. Fait ainsi retour
la vieille idée médiévale selon laquelle le rapport de la personne à la chose
est toujours placé sous l’égide d’un rapport entre des personnes. Selon le
Droit féodal, l’on tenait toujours les choses d’autrui (fût-ce de Dieu) et l’on
n’était jamais propriétaire dans le sens absolu de l’article 544 du Code civil,
mais seulement tenancier de la chose. Les rapports des hommes aux choses
étaient toujours l’ombre portée de rapports entre les hommes21. Comme l’a
montré Louis Dumont, l’idéologie économique a impliqué au contraire que
les relations entre les hommes soient subordonnées aux relations entre les
hommes et les choses22. L’économie de marché a en effet besoin de biens
propres à l’échange, nettoyés de toute trace de liens personnels, et dans le
Code civil le rapport direct des hommes avec les choses (objet du Livre II)
est la base des rapports contractuels entre les hommes (régis, avec les
successions, par le Livre III). L’irruption des choses dangereuses dues au
développement technique a obligé à revenir d’une certaine manière à la
conception ancienne et à restaurer l’idée que toute chose doit avoir son
répondant.
Cette idée que toute chose doit avoir son répondant demeure cantonnée
aujourd’hui, sur la scène internationale, aux dommages qui résultent des
défectuosités du produit, et ne s’étend pas aux conditions sociales ou
environnementales de sa production. Selon l’Organisation mondiale du
commerce, la protection de la santé et la sécurité des personnes ne peuvent
justifier de restrictions à la libre circulation d’un produit que si c’est ce
produit qui est dommageable et non son mode de fabrication23. Mais il y a
cependant de bonnes raisons de penser que l’obligation de répondre de ses
produits pourrait englober leurs conditions de fabrication. Une raison
historique tout d’abord. En Droit interne, c’est en matière de relations de
travail que ce type de responsabilité s’est d’abord développé. L’ouvrier
tenant de celui qui l’emploie les objets de son travail (la chose travaillée ou
l’outil de travail), et n’ayant sur eux aucune espèce de droit, la législation
sur les accidents du travail oblige l’employeur à répondre des dommages
causés par ces objets. Remonter de l’objet dangereux à celui qui en tire
profit a été le moyen trouvé à la fin du XIXe siècle pour sortir des impasses
de la responsabilité pour faute et identifier de manière certaine un
responsable de ces accidents. Une raison juridique ensuite. Le refoulement
par le Droit du commerce international des conditions de fabrication des
biens échangés ne peut s’opérer que pour les biens qui ne véhiculent pas
avec eux des éléments incorporels, tels que la marque, le brevet ou le droit
d’exploitation, dont le propriétaire demeure distinct du détenteur matériel
du bien. Dès lors qu’on a affaire à un bien qui doit l’essentiel de sa valeur
marchande à ces droits de propriété intellectuelle, la police des marchés ne
peut s’exercer qu’en recherchant, en amont du produit, s’il a bien été
fabriqué ou transféré dans le respect de ces droits. Bien que rien ne
distingue matériellement la copie parfaite d’un enregistrement musical ou
d’un logiciel de l’original, un État a cependant le droit et le devoir
d’interdire sa mise sur le marché. La propriété intellectuelle se trouvant au
cœur de la « nouvelle économie », il est vital pour les entreprises
transnationales que ce genre de copies ne puisse circuler librement, et donc
que la libre circulation soit subordonnée au contrôle du respect de leurs
droits de propriété intellectuelle dans le processus de fabrication des
produits mis en circulation24. C’est dire que le droit de propriété occupe ici
la même place structurelle que les droits sociaux dans la réglementation des
échanges : il ne s’identifie pas à la détention matérielle des biens, mais
requiert une intervention positive des États ; et son respect ne peut être
assuré qu’en organisant la traçabilité du produit, qui seule permet de
garantir la licéité de son processus de fabrication.
Le fait que la prise en considération du processus de fabrication des
produits soit obligatoire, quand il s’agit de protéger les droits de propriété
intellectuelle, et prohibée quand il s’agit de protéger les droits
fondamentaux des travailleurs, est une manifestation supplémentaire du
renversement des moyens et des fins intervenu sur le Marché total. Mais ce
rapprochement a au moins le mérite de montrer que des voies juridiques
existent, qui permettraient d’obliger les entreprises transnationales à
répondre de la manière dont leurs produits sont fabriqués.
1. Voir sur l’origine religieuse de la notion : Émile Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-
européennes, Minuit, t. II, 1969, p. 209 sq. ; Michel Villey, « Esquisse historique du mot responsable », in La
Responsabilité, Sirey, « Archives de philosophie du droit », t. XXII, 1977, p. 46 sq.
2. Sur la différence entre l’imputation, propre à la technique juridique, et la causalité en matière scientifique,
voir Hans Kelsen, Théorie pure du droit, trad. fr. de la 2e éd. de la Reine Rechtstheorie, par Ch. Eisenmann,
Dalloz, 1962, p. 105 sq. ; et du même auteur Allgemeine Theorie der Normen, 1969, trad. fr. Théorie générale
des normes, PUF, 1996, p. 31 sq.
3. Voir John G. Fleming, The American Tort Process, Clarendon Press, 1988 ; Muriel Fabre-Magnan, Droit des
obligations, t. II : Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 2007, p. 207 sq.
4. Milton Friedman, « The Social Responsibility of Business Is to Increase its Profits », The New York Times
Magazine, 13 septembre 1970, p. 32-33, 122-124.
5. Parmi une bibliographie foisonnante, voir Thomas Berns et alii, Responsabilités des entreprises et
corégulation, Bruylant, 2007.
6. Communication de la Commission concernant la responsabilité sociale des entreprises : « Une contribution
des entreprises au développement durable » du 2 juillet 2002, COM [2002] 347, § 3.
7. COM [2002] 347 préc., § 4.5.
8. « Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales » (1976, révisés en 2000)
§ 1.3.
9. OIT, Déclaration tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (1977, révisée en 2000),
§ 6.
10. « Le présent paragraphe est destiné à mieux faire comprendre la déclaration et non à donner une telle
définition » prévient la Déclaration tripartite.
11. Voir Marc Roche, « Où sont passés les responsables du Prestige ? », Le Monde, 21 novembre 2003
(remarquable enquête qui démonte minutieusement les mécanismes de dissimulation employés).
12. Voir Pierre Lascoumes, Les Affaires ou l’art de l’ombre. Les délinquances économiques et financières et leur
contrôle, Le Centurion, 1986.
13. Voir Henri Roland et Laurent Boyer, Adages du droit français, Litec, 4e éd., 1999, p. 915 sq.
14. Selon l’Oil Pollution Act de 1990, est responsable de la pollution causée par un navire « any person owning,
operating, or demise chartering the vessel » (toute personne ayant la qualité de propriétaire, d’opérateur ou
d’affréteur du navire).
15. Par exemple en matière d’intérim, de sous-traitance, de travail dissimulé ou de santé et de sécurité. Voir Elsa
Peskine, Réseaux d’entreprises et droit du travail, LGDJ, 2008.
16. Voir Upendra Baxi, « Mass Torts, Multinational Enterprise Liability and Private International Law », dans
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 276, 1999, p. 301-427.
17. Voir Antonio Ojeda et Lance Compa, « Globalisation, Class actions et droit du travail », in Isabelle
Daugareilh (dir.), Mondialisation, travail et droits fondamentaux, Bruylant, 2005, p. 265-307.
18. Directive européenne 85/374 du 25 juillet 1985.
19. Article 3.3. de la directive. La Cour de justice européenne a réduit la portée de ce principe de solidarité en
censurant la loi française de transposition, qui permettait à la victime de poursuivre en tout état de cause le
fournisseur, à charge pour celui-ci de se retourner ensuite contre le producteur (CJCE, 25 avril 2002, aff. C-
52/00).
20. Voir Marie-Angèle Hermitte, « La traçabilité des personnes et des choses. Précautions, pouvoirs et maîtrise »,
in Philippe Pédrot, Traçabilité et responsabilité, Economica, 2003 p. 1 sq.
21. Voir Paul Ourliac et Jehan de Malafosse, Histoire du droit privé, t. II : Les Biens, PUF, 2e éd., 1971,
p. 148 sq.
22. Louis Dumont Homo æqualis. 1. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Gallimard, 2e éd.,
1985, p. 13.
23. Accord Général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), art. XX, § b. Voir la critique de cette
interprétation restrictive par Robert Howse and Donald Regan, « The Product/Process Distinction – An
Illusory Basis for Disciplining “Unilateralism” », art. cit.
24. Voir l’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, annexé à
l’accord de Marrakech instituant l’OMC.
IX
1. Digeste, 45, 2,2. Voir Charles Demangeat, Des obligations solidaires en droit romain, A. Marescq, 1858.
2. Selon le premier article du Code français de la Sécurité sociale (art. L.111-1) : « L’organisation de la Sécurité
sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale. »
3. Voir Alain Supiot, « Sur le principe de solidarité », Zeitschrift des Max-Planck-Instituts für europäische
Rechtsgeschichte, no 6, 2005, p. 67-81.
4. CJCE, 17 février 1993, aff. C-159 et 160/91 (Poucet et Pistre), Droit social, 1993, 488, note Philippe Laigre
et obs. Jean-Jacques Dupeyroux ; CJCE, 16 novembre 1995, aff. C-244/94 (Coreva) ; CJCE 26 mars 1996,
aff. C-238/94 (Garcia). Voir Jean-Jacques Dupeyroux, « Les exigences de la solidarité », Droit social, 1990,
p. 741.
5. Voir Charles Malamoud (dir.), La Dette, EHESS, 1980, qui cite (p. 80) ce texte de la tradition brahmanique :
« L’homme, aussitôt qu’il naît, naît en personne comme une dette due à la mort. »
6. Gosta Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism. Princeton University Press, 1990.
7. Voir Josette Nguebou-Toukam, Muriel Fabre-Magnan, « La tontine : une leçon africaine de solidarité », in
Du droit du travail aux droits de l’humanité. Études offertes à Philippe-Jean Hesse, Presses universitaires de
Rennes, 2003, p. 299 sq.
8. L’instrument de ce report est la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Créée en 1996 pour
résorber le « trou » de la Sécurité sociale (qui s’élevait à l’époque à moins de 21 milliards d’euros) en
empruntant sur les marchés financiers, la CADES a en fait permis de le creuser impunément. Initialement
destinée à disparaître en 2009, son existence est régulièrement prolongée et le Parlement lui transfère
régulièrement la charge de déficits de plus en plus abyssaux (ainsi fin 2008, 26,9 milliards d’euros de dettes
supplémentaires lui ont été transférés au titre du déficit de la Sécurité sociale, dont 14,1 milliards d’euros au
titre de la seule assurance maladie).
9. Code de la santé publique, art. L. 1110-1.
Annexe
II
a) tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur
sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur
développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité
économique et avec des chances égales ;
b) la réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit
constituer le but central de toute politique nationale et internationale ;
c) tous les programmes d’action et mesures prises sur le plan national et
international, notamment dans le domaine économique et financier,
doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la
mesure où ils apparaissent de nature à favoriser, et non à entraver,
l’accomplissement de cet objectif fondamental ;
d) il incombe à l’Organisation internationale du travail d’examiner et de
considérer à la lumière de cet objectif fondamental, dans le domaine
international, tous les programmes d’action et mesures d’ordre
économique et financier ;
e) en s’acquittant des tâches qui lui sont confiées, l’Organisation
internationale du travail, après avoir tenu compte de tous les facteurs
économiques et financiers pertinents, a qualité pour inclure dans ses
décisions et recommandations toutes dispositions qu’elle juge
appropriées.
III
La Conférence reconnaît l’obligation solennelle pour l’Organisation
internationale du travail de seconder la mise en œuvre, parmi les
différentes nations du monde, de programmes propres à réaliser :
IV