J Ivanoff Question Macedonienne

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La Question

macédonienne
au point de vue historique, ethnographique
et statistique

AVEC DEUX CARTES EN COULEURS

PAR

J. IVANOFF
MEM5RE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES BULGARE
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE SOFIA

PARIS
En vente à la

LIBRAIRIE J. GAMBER
7, RUE DANTON (Vie)

1920
La Question
macédonienne
au point de vue historique, ethnographique

et statistique

AVEC DEUX CARTES EN COULEURS

PAR

J. IVANOFF
MEM5RE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES BULGARE
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE SOFIA

PARIS
En vente è In

LIBRAIRIE J. GAMBER
7, RUE DANTON (VI»)

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Préface.

Avant la guerre mondiale qui a pris fin, l'impérialisme


politique et économique présidait seul aux destinées des
Etats et de leurs peuples. Au cours de cette conflagration
universelle, le principe des nationalités fut peu à peu
respecté, pour triompher enfin des autres considérations
d'ordre politique et économique. Ce principe qui avait
débuté timidement, il parla Révolution
y a plus d'un siècle,

française, est devenu de nos jours le credo, la base fonda-


mentale de la constitution des peuples en Etats ou de
leurs groupements politiques. C'est en vertu de ce droit
sacré de l'autodisposition des peuples que furent créés de
nouveaux Etats et que furent affranchis de la tutelle
étrangère les Danois du Schleswig-Holstein, les Tchèques,
les Slovaques, les Croates, les Slovènes, les Serbes et les
Roumains de l'Autriche-Hongrie, les Albanais, les Litu-
aniens, les Géorgiens, les Arméniens, etc.
Si, cependant le principe des nationalités n'a pas pu
être appliqué partout et si certains pays ont dû rester sous

la domination étrangère, la cause doit en être recherchée


dans les constellations politiques, pendant la guerre. La
Macédoine est un de ces pays infortunés, car les Bulgares,
qui forment la majorité prépondérante de sa population
n'ont pas eu le bonheur de voir poindre l'aube de jours
meilleurs après une servitude cinq fois séculaire sous les
Turcs et tant de luttes religieuses et politiques. En d'autres
termes, la question macédonienne, source de tant de san-
— IV

glants conflits et des calamités qui se sont abattues sur


les peuples balcaniques, a tenu en haleine la diplomatie
européenne depuis un demi siècle. La question est restée
ouverte. Sa solution équitable et humaine s'impose si
l'on veut éviter de nouveaux conflits, inaugurer l'ère de
paix tant désirée dans les Balkans, et contribuer à résoudre
les problèmes mondiaux qui en dépendent.
Désireux de contribuer à cette œuvre réparatrice et
d'apaisement, nous livrons notre ouvrage à la publicité et
le dédions à tous ceux dont le cœur et l'esprit sont émus

des indicibles souffrances de l'humanité et qui consacrent


leurs plus nobles facultés à inaugurer cette ère de liberté,
de bonheur national et de prospérité sociale que les peuples
profondément éprouvés appellent de tous leurs vœux.
Les éclaircissements que ces pages apportent sur la
question macédonienne sont le fruit des quinze années
d'étude que l'auteur a consacrées à ce brûlant problème 1 ).
Ils sont le résultat des multiples voyages qu'il a accomplis

en Macédoine 2 ) pour y glaner des souvenirs historiques


ou y surprendre sur le vif quelque détail ethnographique
ou quelque touchante scène de mœurs, dans ces vallées
macédoniennes où de nos jours encore les échos répètent
l'appel suppliant des chrétiens du début de notre ère:
« Passe en Macédoine et viens nous secourir » I

*) Voir à ce sujet les études et les ouvrages du même auteur: La


Macédoine du nord. Sofia 1906. — Antiquités bulgares en Macédoine.
Sofia 1908. — Les dialectes bulgares de la Macédoine du nord. Sofia
1909. — La capitale du tsar Samuel à Prespa. Sofia 1910. — La ba-
taille de Bélassitsa en 1014. Sofia 1910. — Les diocèses de l'Archevêché
d'Okhrida au commencement du XI e siècle. Sofia 1911. — Les rapports
gréco-bulgares avant la lutte religieuse entre Grecs et Bulgares. Sofia
1911. — Carte ethnographique de la Macédoine du sud représentant la
répartition ethnique à la veille de la guerre des Balkans. Sofia 1913 (en
français). — Les Bulgares en Macédoine. Sofia 1915, l re édition; 2 e édition
en 1917. — St-Jean de Ryla et son couvent. Sofia 1917. — La Région
de Cavalla. Berne 1918 (en français). — Bulgares et Grecs devant l'opi-
nion publique suisse. Berne 1918 (en français). — Les Bulgares devant
le Congrès de la paix. Berne 1919, 2° édition (en français), etc.
) Voir la carte n° 1.
V

Ce cri de détresse ne s'adresse plus au grand apôtre


des Gentils mais à cette Société des Nations sur laquelle
se fondent tous les espoirs des peuples qui attendent la
délivrance. Puisse cet appel ne pas rester sans écho en
haut lieu et contribuer à faire réaliser les aspirations légi-
times de la population macédonienne.
Table des matières.

I. Les frontières de la Macédoine 1

II. Les Grecs 15


Les anciennes colonies grecques et la migration des Slaves . 15
L'hellénisme pendant l'époque turque 20
Statistique de la population grecque 36
III. Les Bulgares 39
Etablissement des Slaves en Macédoine 39
Les Slaves de la Macédoine appartenaient à la branche orientale
sud-slave 44
Les Slaves macédoniens adoptent le nom politique et national
de Bulgares 55
Les Bulgares macédoniens au moyen âge. Luttes gréco-bulgares 60
La domination serbe en Macédoine 69
La domination turque 74
La renaissance bulgare. Les champions macédoniens ... 78
Eglises et écoles bulgares 88
Luttes pour une Eglise nationale bulgare 97
Luttes révolutionnaires 108
L'émigration des Bulgares macédoniens 125
Territoire macédonien peuplé de Bulgares. Nombre des Bulgares 138
IV. Les Turcs 148
V. Les minorités ethniques : Albanais, Kouiso-Valaques, Juifs,
Tsiganes, etc 155
VI. Tableaux statistiques de la population macédonienne 163
VII. Les points de vue des peuples balkaniques sur la question
macédonienne 188
La thèse grecque 189
La thèse serbe 209
La thèse bulgare 231
VIII. La question macédonienne devant la science .... 245

Carte de la Macédoine.
Carte ethnographique de la Macédoine.
I.

Les frontières de la Macédoine,

Le berceau de l'ancien Etat macédonien se trouvait à


l'ouest de Salonique, dans les vallées de la Bystritsa (Ha-
liacmon) et du Kara-Azmak (Ludias) où s'élevèrent les capi-
tales de monarchie, Edesse (aujourd'hui Vodéna) et

Pella, aujourd'hui en ruines près du village de Postol. Après
une longue période légendaire, c'est au IV e siècle av. J.-C.
que le nom de Macédoine entra dans le domaine de la réa-
lité historique; c'est alors que le petit Etat de la tribu

«macédonienne» développa sa puissance militaire et étendit


ses limites. Il acquit une grande célébrité par les exploits de
Philippe II et surtout par ceux de son fils Alexandre le
Grand, dont conquêtes le conduisirent en Egypte, en
les
Perse et jusqu'à F Indus. En ce temps-là, la Macédoine,
élargie par l'annexion de la Péonie, de l'Illyrie et d'une
partie de la Thrace, comprenait les pays situés depuis
l'Olympe jusqu'aux contreforts sud du Char (Scardus) et
jusqu'au Ryla et le Rhodope. A l'est, sa frontière touchait
la rivière de Nestos (aujourd'hui Mesta) tandis qu'à l'ouest
elle s'arrêtait à la mer Adriatique. Mais, comme les régions
annexées, telles la Péonie, l'Illyrie, les Agrianes, conser-
vaient une certaine autonomie locale, tout en faisant partie
intégrante de la monarchie macédonienne, elles étaient con-
sidérées parfois comme hors des frontières de la Macé-
doine proprement dite. De même, les tribus apparentées,
celles des Péoniens, des Illyriens, des Mèdes, des Thraces, etc.
reçurent à côté de leurs noms ethniques locaux, la dénomina-
tion politique de l'Etat macédonien, celle de tribus « macé-
doniennes ».
Les géographes de l'antiquité ne sont guère d'accord
sur la fixation des frontières de la Macédoine. Strabon,
le père de la géographie, estime que la Macédoine était
limitée au nord par les montagnes de Bertiscus, Scardus,
Orbelus, Rhodope et Haemus 1). Quant à la frontière est,
il porte tantôt à Nestos, tantôt jusqu'à l'Hèbre (au-
la
jourd'hui Maritsa); pour lui, la frontière sud touche à
l'Olympe et celle de l'ouest à la mer Adriatique. Un autre
géographe célèbre de l'antiquité, Claudius Ptolémée, tout
en assignant le Char comme frontière septentrionale de
la Macédoine, place la ville de Scupi (aujourd'hui Scopié)
qui est au sud de cette montagne dans la Mésie supé-
rieure. Par contre, il fait entrer la Thessalie dans la
Macédoine 2 ). Dans ces conditions, il nous semble que Tite-
Live avait peut-être raison de dire que les Macédoniens
eux-mêmes ignoraient les frontières exactes de leur pays.
(Quanta Macedonia esset Macedones quoque igno-
. . .

rabant) 3 ).
A l'époque romaine et dans les premiers siècles de
l'empire byzantin, la Macédoine faisait partie d'une nou-
velle répartition administrative, mais en général elle con-
tinuait à conserver par intermittence son nom traditionnel.
Au moyen âge, après la grande migration des peuples
et l'établissement des Slaves dans les Balkans, il se pro-
duisit de grands changements politiques et administratifs.
Les traditions de l'antiquité furent interrompues et le nom
de Macédoine, presqu'oublié, ne se conserva que dans la
littérature.
C'est durant la longue domination des Turcs dans les
Balkans que le nom de la Macédoine sort peu à peu de
l'oubli médiéval pour reprendre enfin son sens réel de terme

*) Livre VII, fragm. 10.


») Geographia III, 9, 13.
3
) XLV, 30.
géographique. Cependant, avec la réapparition du nom de
la Macédoine, changent ses limites d'antan. Il faut noter
que ce ne furent pas les Turcs qui contribuèrent à la
résurrection des traditions de l'antiquité dans les Balkans.
Au cours même de leur conquête de la péninsule, ils donnèrent
lenom de Roumélie (Roum-ili, c'est-à-dire pays de Rome,
des Romains) à toutes les provinces de la péninsule, la
Bosnie et la Morée exceptées, et jamais ils ne se servirent
du nom de « Macédoine » en politique et en littérature.
Même pendant les dernières décades, le gouvernement
turc manifestait une antipathie notoire pour le nom de
Macédoine, ce dernier étant lié au mouvement révolution-
naire des Bulgares macédoniens, dirigé contre l'Etat turc.
La résurrection du nom de Macédoine à l'époque
turque est due d'une part à la littérature historique et géo-
graphique; d'autre part, elle est l'œuvre de la propre ini-

tiative des peuples balkaniques. L'historien grec Chalkon-


dylas qui, au XV e s., travailla dans l'Europe occidentale, y
transporta les traditions du passé, et dans son ouvrage se
rapportant aux événements du XIV e s., il se sert du nom
de Macédoine qu'il comprend dans les limites fixées par
Strabon et y englobe la région de Scopié 1 ). Les voya-
geurs européens introduisent peu à peu le terme dans leurs
journaux de voyage. Le Ragusain Petancius, dans son
journal de voyage à travers les Balkans de 1502, fixe la
limite septentrionale de la Macédoine au pont de Kadine-
Most sur la Strouma supérieure, à 15 kilomètres à l'est de
la ville de Kustendil 2 ). Le voyageur français Philippe
Du Fresne-Cannaye (1573) range la ville de Scopié parmi
les villes macédoniennes 3 ). Dans la grande géographie

l
) De rébus turcicis. Ed. Bonnœ, II, 60.

a
) Extraits de son itinéraire, publiés dans le Rad (travaux) de l'Aca-
démie yougo-slave, Zagreb, vol. XLIX. Cf. lretchek, Revue périodique,
vol. IV, p. 73 (en bulgare).
) Cf. Recueil de voyages et de documents pour servir à l'histoire de la
3

Géographie. Paris 1879, vol. XVI, p. 223 à 224.


— 4 —
du Grec Mélétios, du XVII e s., la Macédoine s'étend depuis
la mer Egée jusqu'à la Vitocha, y compris le bassin su-
périeur de la Strouma. La ville de Scopié est située en
Mésie, aux confins mêmes de la Macédoine 1), où entrent,
d'autre part, les villes de Koumanovo, Palanka, Chtip,
2
Kustendil, Doupnitsa, etc. ).

A la même époque, le nom de Macédoine apparaît avec


une plus grande fréquence chez les écrivains des peuples
balkaniques, Grecs, Bulgares, Serbes. C'est là un bel
exemple des traditions littéraires et religieuses stimulant
les peuples asservis à la recherche d'une meilleure des-
tinée. Lorsque, au cours des XIV e et XV e s. les chrétiens
des Balkans avaient perdu leur liberté politique et gémis-
saient sous le joug de l'étranger hétérodoxe, ils oublièrent
leurs dissensions et, sous l'égide de l'Eglise commune, unis
par les liens de l'amitié chrétienne, ils se mirent à nourrir
secrètement l'espoir d'un avenir meilleur. Et, pour donner
une impulsion vigoureuse à cette unité d'esprit, il fallut
chercher dans les traditions lointaines un stimulant panbal-
kanique, car le récent passé n'offrait rien de pareil. Ils
s'arrêtèrent à un nom célèbre de leur pays, sur le fameux
conquérant que fut Alexandre le Grand, connu chez eux
plutôt par la dénomination d'« Alexandre le Macédonien ».
Dans les apocryphes grecs, Alexandre était le fils de
Jupiter; les anciens Bulgares le vénéraient comme fils de
leur dieu Péroun. Les gens lettrés de l'époque turque
l'admiraient dans les chroniques et dans le Roman
d'Alexandre; les gens simples et illettrés s'émerveillaient
des exploits de leur compatriote, ce beau et jeune héros qui
avait parcouru les pays les plus lointains luttant en vainqueur
contre divers peuples et contre des êtres fabuleux, s'exposant
à tous les périls qu'il brava, pour périr ensuite, jeune
encore, sans avoir achevé une mission que le sort

l
) MsÀerîou, rewy pacpia TzaXacd re xaî véa. 'Ev Bevezîa 1724,
p. 414.
a
) Ibidem, p. 394.
— 5 —
devait confier à un successeur inconnu qui comblera un
jour le monde opprimé de liberté et de bienfaits.
Sous l'influence de telles réminiscences populaires et
légendes littéraires, la Macédoine, patrie du héros favori,
apparaît de nouveau, cette fois élargie dans ses frontières,
englobant presque toute la péninsule balkanique. Les
écrivains sud-slaves rivalisent pour incorporer leur pays
natal dans « la glorieuse contrée » qu'est la Macédoine,
patrie de leur tsar vénéré. La région d'Andrinople en
Thrace se trouve déjà en Macédoine; la grande bataille de
Tchirmen, en 1371, entre Turcs et chrétiens, fut livrée non
pas en Thrace, mais en « Macédoine »; Nicopol sur le Danube
est une ville de Macédoine, etc. Ecrivains et imprimeurs de
livres de Sofia, Kustendil, Samokov (en Bulgarie), Pod-
goritsa (en Monténégro) se déclarent depuis le XVI e s.
fièrement être natifs des régions macédoniennes.
Vers la fin du XVIII e s. et pendant la première moitié
du XIX e s., l'Eglise même de Constantinople permettra
aux évêchés de ressusciter le nom de Macédoine dans leurs
titres épiscopaux. Ainsi le métropolite de Monastir (Byto-
lia) est appelé « Exarque de toute la Macédoine bulgare »;

celui de Vélès sur le Vardar porte le titre supplémentaire


«Exarque de la Macédoine »; celui de Stroumitsa, «Exarque
de la Macédoine bulgare », etc.
Cet ardent désir des Balkaniques de ressusciter le nom
de Macédoine est stimulé par les publications des Européens
sur la péninsule balkanique, surtout depuis le commence-
ment du XIXe s. Nous ne citerons que les noms des explo-
rateurs les plus en vue: Félix de Beaujour, Cousinéry,
Pauqueville, Urquhart, Viquesnel, Boue, Grisebach, Gri-
gorovitch, etc. Dans leurs études sur les Balkans, ils consi-
dèrent la Macédoine comme une unité géographique.
Tandis que le littoral égéen à été compris de tout
temps comme la limite méridionale de la Macédoine, la
frontière septentrionale a varié suivant les époques. C'est
grâce aux recherches des savants susmentionnés qu'elle fut
— 6 —
fixée d'une manière plus naturelle, suivant la configuration
du terrain. D'après Félix de Beaujour, consul de France à
Salonique à la fin du XVIII e s., les bassins de la Strouma
et du Vardar, au sud du Char et de la Vitocha, entrent
dans Macédoine septentrionale. Beaujour dit que la
la
ville de Scopié est «la principale clef de la Macédoine » 1 ).
Son contemporain Pauqueville, consul français auprès de
Ali-Pacha, considère le Char, qu'il appelle mont de Priz-
rend, comme frontière naturelle des trois races balkaniques :

bulgare, serbe, albanaise : « Le mont de Prizrendi semble


la limite naturelle de la Bulgarie, de la Serbie et de 1' II-

lyrie 2
» ). Le naturaliste allemand
Grisebach ne diffère
pas de l'opinion des savants français en ce qui concerne la
délimitation de la Macédoine du nord. Dans la moitié sep-
tentrionale de ce pays (« die nôrdliche Hàlfte von Maze-
donien »), il place les villes et les districts suivants Scopié, :

Katchanik, Tétovo, Koumanovo, Kriva-Palanka,Kustendil


Kratovo, Chtip, Kotchani, Melnik, Stroumitsa, Radovich,
Kitchévo, Dèbre 3 ). Le savant français Ami Boue, qui de
1836 à 1838 avait parcouru les pays balkaniques en tous
sens, accompagné de quelques spécialistes, tel Viquesnel,
publia le premier ouvrage d'ensemble sur la Turquie d'Eu-
rope. Sous le nom de Macédoine, il comprend les provinces
entre le Char et le Ryla au nord, le Char et le Gramos à
l'ouest, la rivière Bystritsa et la mer Egée au sud, la Mesta
à l'est 4). Le défilé de Katchanik dans le Char est appelé
par lui «la porte de la Macédoine» 5 ). D'accord avec les
auteurs précités, le Grec B. Nicolaidy fixait en 1859 «les
limites naturelles» de la Macédoine comme suit: à l'est,
la rivière de Mesta; au nord, les chaînes de montagnes

x
) Voyage militaire dans l'empire ottoman. Paris 1829, p. 208.
2
) Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie pendant les années
1798, 1800 et 1801. Paris 1805, vol. III, p. 241.
3
) Reise durch Rumelien und nach Brussa im Jalire 1839. Gôttingen
1841, vol. 65 à 66.
II, p.
4
) La Turquie d'Europe. Paris 1840, vol. I, p. 177 à 198.
s
) Ibidem, vol. II, p. 339.
Ryla monts Borax, Pétrina, Spyri-
et Char; à l'ouest, les
dion, etc.; au sud, les monts Cambouniens, l'Olympe et
la mer Egée 1 ). Le savant grec M. G. Dimitsas rattachait
en 1870 à la Macédoine ainsi délimitée et l'Illyrie, jusqu'à
la mer Adriatique dans ce cas, il suit les frontières données
;

par Strabon 2).


Ainsi donc, grâce aux traditions indigènes et sous l'in-
fluence des investigations des savants étrangers, le nom de
Macédoine, après l'oubli médiéval, renaît peu à peu à la
vie. En même temps, ses frontières, si diverses à travers les
âges, sont fixées scientifiquement. Bientôt après, le nom de
Macédoine acquiert le droit de cité non seulement dans la
littérature et dans la presse en général, mais aussi dans la vie
de la population macédonienne. Déjà en 1745, Ivan Dimi-
trievitch Stalevsky, expatrié à Niéjine en Russie, s'inscri-
vait dans les registres de cette ville comme « Bulgare, de la
province de Macédoine, de la ville de Scopié » 3 ). L'historien
Païssi, des environs sud-ouest du Ryla, emploie en 1762 le
nom classique de sa patrie 4), et dans les retouches de son
ouvrage du début du XIX e s., parmi les villes de la Macé-
doine sont rangées entre autres Scopié, Vélès, : Koumanovo,
Kratovo, Serrés, Vodéna, Enidjé-Vardar, Katranitsa 5). Sur
un encadrement d'icône en argent, donné comme cadeau en
1822 par des commerçants macédoniens au couvent Zo-
graphe au Mont Athos, on lit, sur la dédicace, que les do-
nateurs sont des «Slavo-Bulgares macédoniens» 6 ). En 1849,

1
) Les Turcs et
la Turquie contemporaine. Paris 1859, vol. I, p. 17.
2
'Apyaia yscjfpacpca ttjç Maxedovîaç. Mépoç Tipœzov
) Xcopo- :

rpa<pia. 'AOrjvrjoc 1870, p. 8.


) Travaux du Congrès archéologique de Kharkov en 1902. Moscou
3

1905, vol. II, p. 225 (en russe).


*) Païssi, Histoire slavo-bulgare. Découverte et publiée par J. Ivanoff.
Sofia 1914, p. 13 (en bulgare).
6
) J. Ivanoff, Les Bulgares en Macédoine. Sofia 1917, p. 203 (en bul-
gare).
6
) J. Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine. Sofia 1908, p. 209 (en
bulgare).
— 8 —
dans une requête adressée à Al. Exarque, les habitants de
Gostivar, département de Scopié, se déclarent de la province
de Macédoine 1 ). Le folkloriste D. Miladinoff, de Strouga*
sur le lac d'Okhrida, dans une lettre de 1852, adressée au
célèbre slaviste russe V. Grigorovitch, donne à sa patrie le
nom de Macédoine 2). L'écrivain bulgare Parthéni, dans une
de ses études sur les dialectes bulgares, en 1858, se sert du
même nom pour désigner son pays, Galitchnik, dans la Macé-
doine occidentale 3). Le poète bulgare R. Jinzifoff, de Vê-
les, sur le Vardar, qui le premier chanta depuis 1861, les

souffrances de sa patrie, l'appelle «la Macédoine» 4 ). Un


journal bien rédigé, qui paraissait à Constantinople, depuis
1866 en langues bulgare et grecque, portait le titre de «Macé-
doine ». Sur le drapeau des insurgés de la région de Malé-
chévo (Macédoine), en 1876, figurait le même nom. Nous
passons sous silence le très fréquent emploi de ce nom dans
les actes de nature différente, dans la presse, dans la vie
politique pendant les dernières décades de notre époque.
C'est un fait suffisamment connu pour qu'il soit superflu
d'insister.
Les susdites frontières de la Macédoine, fixées par la
science du XIX e s., sont avant tout géographiques, mor-
phologiques. La Macédoine est un pays montagneux par
excellence, coupé de profondes vallées qui s'élargissent
parfois en des bassins et des campagnes plus ou moins on-
dulées. Les massifs de montagnes les plus élevés de la pé-
ninsule balkanique entourent la Macédoine et forment ses
limites naturelles: le Ryla (2934 m.), la Vitocha (2285 m.),
l'Ossogovo (2228 m.), le Char (2510 m.), le Pinde (2575 m).,
l'Olympe (2985 m.), le Rhodope (2640 m.). La Macédoine
ainsi délimitée s'incline au sud-est vers la mer Egée où
quatre rivières macédoniennes: la Mesta, la Strouma, le

J
) Archives du Musée ethnographique de Sofia, document n° 5080.
2
) J. Ivanoff,Les Bulgares en Macédoine, p. 269.
3
) Ibidem, p. 282.
*) Ibidem, p. 296.
— 9 —
Vardar et la Bystritsa déversent leurs eaux. Dans la même
mer, se déversent aussi les lacs et les marais du pays, ceux
de Pravichta, de Zirnovo, de Tachynos, de Boutkovo, de
Doïran, de Lagadina, de Bechik, d'Ardjan, d'Amatovo,
d'Enidjé-Vardar, d'Ostrovo, de Pétersko, de Castoria, de
Katlanovo près Scopié, etc. Les eaux du lac de Prespa se
perdent dans des gouffres souterrains, et le lac d'Okhrida
seul verse ses eaux par le Drin dans la mer Adriatique.
A cet ensemble géographique de la Macédoine corres-
pond une unité économique bien définie. Depuis les temps
les plus reculés, le golfe de Salonique a été le débouché
principal, sinon unique, du commerce de cette vaste pro-
vince. La ville de Cavalla qui n'est pas encore reliée par
chemin de fer à son arrière-pays, d'ailleurs peu étendu, ne
pourrait guère jouer le rôle d'un port comme Salonique, que
la nature elle-même a favorisé. Ce n'est pas en vain que les
anciens saluaient la ville de Salonique comme « mère de la
Macédoine ».
Donc, si l'on voulait tracer la frontière de la Macédoine
suivant la ligne de partage des eaux, elle devrait passer, en
commençant par le Ryla, par le Moussallah, le défilé de
Beltchine, la Véryla, la Vitocha, le Luline, le Visker, le
Stréchère, la Patéritsa, la Bélianitsa, le Rouène (de Kou-
manovo), la stationde Préchovo, la crête de la Forêt-Noire
près Scopié, Férizovo, la Nérodimska-Planina, la crête de
Tsernolévo vers le sud, le Prévalets, la crête du Char et de
la Roudoka, la Bystra, la Yama, le Stog, le Slivovsky-
Préval, le Pétrino, la Galitchista, la Zvezda, le Gramos, le
Pinde, la ligne de partage des eaux de la Bystritsa, l'O-
lympe, le littoral égéen, l'embouchure de la Mesta jusqu'à
la station d'Oktchilar, le Rouyan-Planina, le Kouchlar-
Dag, le Dospat, les Dospatsky-Hanové, le Belmekène, le
Ryla.
Pour des raisons politiques, économiques ou culturelles,
certaine confins de cette Macédoine géographique ont dû
subir quelques modifications. Tel fut le cas pour le district
— 10-
de Kustendil, comprenant le bassin supérieur de la Strouma.
Lors de la constitution de la principauté de Bulgarie en
1878, ce district lui fut annexé. Depuis ce temps, la fron-
tière septentrionale de la Macédoine est restée la ligne
— —
Ryla Ossogovo au lieu de Ryla Vitocha Ossogovo. —
Quant à la région d'Okhrida et du Haut Dèbre, quoique
appartenant géographiquement au bassin du Drin, elle a
été depuis longtemps considérée comme faisant partie de
la Macédoine. Les raisons d'ordre économique et ethno-
graphique décidaient. C'est la crête de la montagne, à
l'ouest d'Okhrida, qui constitue la limite des deux races,
bulgare et albanaise; elle sert également de limite principale
entre les agglomérations chrétiennes et musulmanes. De
plus, le manque de communications avec l'Albanie, peu
accessible, et les relations économiques d'Okhrida et Dèbre
avec le grand centre de commerce intérieur qu'est Monastir,
ont dicté de tout temps le rattachement de ces confins
à la Macédoine.
De nos jours, c'est dans ces limites notamment qu'est
comprise la Macédoine par les hommes d'Etat, publicistes
et par tous les savants qui se sont occupés des questions
balkaniques, tels: C. Iretchek, Louis Léger, V. Bérard,
Léon Lamouche, G. Weigand, P. Milukoff, N. P. Konda-
koff, Arthur Evans, Lubor Niederle, T. D. Florinsky, R. von
Mach, A. Jensen, etc. Parmi les peuples balkaniques, les
Bulgares et les Roumains ont admis ces mêmes limites
naturelles de la Macédoine, soit dans les travaux de leurs
savants et publicistes, soit dans la terminologie politique et
dans les dénominations des subdivisions des provinces bal-
kaniques. Les populations macédoniennes elles-mêmes, les
Turcs exceptés, désignaient du même nom de Macédoine
le pays qu'ils habitaient.

La Turquie, comme nous l'avons vu, ne voulait rien


savoir du terme de Macédoine et se servait toujours du nom
de «vilayets de Roumélie» pour désigner un pays que tout le
monde nommait « Macédoine ». Ce dernier nom ne plaisait
— 11 —
pas non plus à certains milieux serbes. Depuis qu'en Serbie
commença à mûrir la pensée d'un héritage de l'empire de
l'Homme malade, dans la presse et surtout sur les cartes
géographiques et ethnographiques serbes, la Macédoine
devint de plus en plus exiguë et toute sa moitié nord
reçut le nom de Vieille Serbie, appellation qu'on donne
depuis un siècle à la région en dehors de la Macédoine,
notamment à de Kossovo et à laMétohie 1). La
la plaine
science serbe fut entraînée aussi dans cette campagne poli-
tique. Yovan Tsviitch, professeur de géographie à l'Uni-
versité de Belgrade, déclara en 1903 que c'est une erreur
de compter dans la Macédoine la région de Scopié et de
Tétovo qui n'a « jamais été comprise dans la Macédoine ».
Cependant les citations ci-dessus sont suffisantes pour dé-
montrer la hardiesse d'une pareille assertion. Toujours au
service des exigences politiques, le même auteur dressa
en 1907 une carte 2) sur laquelle la Vieille Serbie est
augmentée de quelques localités, encore aux dépens de la
Macédoine. Outre Scopié et Tétovo, toute la contrée
jusqu'aux montagnes de Platchkovitsa, Babouna et Paba
est incorporée à la Vieille Serbie. En 1905, un autre pro-
fesseur serbe, M. J. Andonovitch, poussa la Vieille Serbie
jusqu'à la montagne de Bélassitsa et jusqu'au lac d'Ostrovo,
ne laissant à la Macédoine qu'une bande de terre dans le
sud 3). En 1908, un autre Serbe, P. M. Nikétitch, fit dis-
paraître complètement de sa carte le nom de Macédoine
pour étendre la Vieille Serbie jusqu'à Salonique 4). Ces dé-
formations géographiques destinées à instruire les jeunes

1
) Le célèbre ethnographe serbe, Vouk Karadjitch, considérait le Char
comme frontière nord de la Macédoine et la ville de Scopié comme ville
macédonienne. Cf. son dictionnaire classique, s. v. Scoplié.
2
) Remarques sur l'ethnographie de la Macédoine, par J.C vijié, 2 e édition
augmentée d'une carte de la Vieille Serbie. Paris 1907.
3
Carte ethnographique serbe avec les limites méridionales de la Vieille
)

Serbie et celles de la Serbie du tsar Douchan. Belgrade 1905.

*) Carte des terres serbes. Belgrade 1908 (en serbe).


— 12 —
Serbes et à éclairer l'opinion publique en Serbie et à l'é-
tranger, eurent quelque succès. Certains publicistes, voire
même quelques cartographes étrangers, peu au courant des
vérités sur les Balkans, adoptèrent le nom de Vieille Serbie
pour une partie de la Macédoine septentrionale. Mais la
vérité ne peut être cachée et éclate toujours. Ce même
Y. Tsviitch a dû modifier ses affirmations de naguère.
Dans son étude récente « Questions balkaniques » (Paris-
Neuchâtel 1918, p. 40), la Macédoine a regagné ses fron-
tières septentrionales du Ryla et de l'Ossogovo!
Les Grecs non plus ne veulent pas admettre les fron-
tières naturelles susindiquées de la Macédoine. Conformé-
ment à leurs aspirations politiques, ils n'assignent à la Macé-
doine que ses régions méridionales où l'élément grec est
plus ou moins représenté. Ainsi, sur la carte de Chassiotis
de 1881, la Macédoine ne comprend que les vilayets de
Salonique et de Monastir, quelques districts nord de ces
mêmes vilayets exceptés, tels ceux de Dèbre, Kitchévo,
Djoumaïa, Razlog 1 ). Le même point de vue est défendu
dans le mémoire et la carte du syllogne macédonien
d'Athènes de 1903. Il ne fait entrer dans la Macédoine
que les vilayets de Salonique et de Monastir et ceux-ci
amoindris par le retranchement de leurs districts septen-
trionaux 2 ).
N. Kasasis, recteur de l'Université d'Athènes et prési-
dent de la société « Hellénismos » a le mieux illustré la ma-
nière grecque de tracer les frontières de la Macédoine: « Où
commence la Macédoine, » écrivait-il, « où finit-elle ? Ques-
tion qu'on a intentionnellement embrouillée, en divisant la
Macédoine de la façon la plus arbitraire. On en recule, on
en restreint les frontières, au gré des intérêts que l'on dé-
fend » Et plus bas « Mais nous revendiquons comme
:

2
) G. Chassiotis, L'instruction publique chez les Grecs. Paris 1881.
c
a
) 7/ Maxedovia xal aï jUETappudfiyaeeç. Ï7rôjui<iç/ia roû èv
\46fjvacç Maxeoovcxou Z'Môyou. Adrjvqat 1903.
— 13 —
grecs les vilayets de Salonique et de Monastir qui consti-
tuent la vraie Macédoine 1 ). »

Ne font exception à ce point de vue et les toutes der-


nières publications grecques sur la Macédoine, celles de
Chalkiopoulos 2 ), de S.-P. Phocas Cosmétotos 3), de Colo-
cotronis 4), etc. Colocotronis limite la Macédoine au nord
par laBabouna, l'Ograjden, le Pirin, à l'est par la Mesta
inférieure, au sud par l'Egée, l'Olympe et le Pinde, et
enfin à l'ouest par une ligne allant depuis le Mont Touria,
Pétrino jusqu'au Pinde.
Dans les limites naturelles ci-haut indiquées
9 à 10) la (p.
Macédoine a une superficie d'environ 65 000 kilomètres
carrés. Depuis cinq siècles, jusqu'en 1912, elle faisait partie

des territoires de l'empire ottoman. Administrativement, elle

était divisée en trois vilayets (gouvernements) les vilayets :

de Salonique, de Monastir (Bytolia) et de Scopié. Les vila-


yets étaient divisés de leur côté en sandjaks (départements)
et ceux-ci en cazas (districts). Ces trois vilayets compre-
naient outre la Macédoine géographique tout entière,
la région dite Vieille Serbie (avec les villes de Prich-
tina, Prizrend, Ipek, Diakovo, Novi-Pazar, Mitrovitsa,
Pliévlié, etc.), les départements d'Elbassan et de Kortcha
en Albanie, ainsi que certains cazas de la Thessalie. Après
la deuxième guerre balkanique et aux termes de la paix de
Bucarest (1913), la Macédoine fut partagée entre la Serbie,
la Grèce et la Bulgarie. A la Serbie échut la partie septen-
trionale, à la Grèce la partie méridionale. La Bulgarie
reçut un petit coin montagneux du nord-est. La paix de
Neuilly, enfin (1919), détacha encore une portion de la

*) JV. Kasasis, L'Hellénisme et la Macédoine. Paris 1903, p. 56 etsuiv.


2
)
H. Maxedovca. 'EdvoÀoycxrj orarcavcx^ rœv ftdasriwv dsoaa-
Xovixrjç xal Movaarrjpioo. Publiée dans le journal <.CAdriVa.iv, numéros
de mars (23) et d'avril 1913.
3
La Macédoine, son passé et son présent. Lausanne-Paris 1919.
)

La Macédoine et l'hellénisme. Paris 1919, p. 23 et suiv., 607 et


*) suiv.,
planches I, XXII.
— 14 —
Macédoine bulgare (le district de Stroumitsa) pour l'attri-
buer à la Serbie.
La Macédoine géographique avait en 1912 une popula-
tion de 2,342,524 personnes, dont: 1,103,111 Bulgares,
548,225 Turcs, 267,862 Grecs, 194,195 Albanais, 79,401
Koutso-Valaques, 43,370 Tsiganes et 106,360 de nationalités
diverses.
Les deux guerres balkaniques, de 1912 et 1913, ainsi
que guerre mondiale de 1914 à 1918, dont la Macédoine
la
a été un des théâtres, ont amené des changements considé-
rables quant au nombre et à la composition ethnique de la
population macédonienne.
II.

Les Grecs.

Les anciennes colonies grecques et la migration


des Slaves.

Les plus anciens habitants connus de la Macédoine


appartenaient à la race thraco-illyrienne les Thraces oc-
:

cupaient la Macédoine orientale, les Péoniens tenaient le


centre et les Illyriens habitaient les régions occidentales. Une
tribu apparentée, celle des Macédoniens, occupait le coin
sud-ouest et grâce à son puissant Etat, surtout au IV e s.

av. J.-C, elle imposa son nom aux autres tribus annexées
du nord-est, notamment aux Péoniens, aux Illyriens, aux
Agrianes et aux Mèdes.
Au VII e s. av. J.-C. apparaissent les premières colonies
grecques dans la Macédoine méridionale. Les guerres civiles
à Athènes et à Sparte entraînèrent une expansion colo-
niale. Les partis vaincus furent obligés de s'expatrier. C'est
à cette époque que la presqu'île de Chalcidique, au sud-est
de Salonique, fut colonisée par les Grecs. Ils y fondèrent
quelques villes dont les plus importantes étaient Olynthe,
:

Potidée, Mendé, Scione, Torone, Singos, Acanthe, Argilos.


Plus tard, au Ve s. av. J.-C, apparurent d'autres colonies
sur le littoral égéen, dans le golfe strymonien et sur la côte
de Cavalla. En 437, Athènes fonda la colonie florissante
d'Amphipolis, aux bouches du Strymon. A l'est d'Amphi-
polis surgissent Apollonia, Daton près d'Eleuthéra, et Néa-
polis sur l'emplacement de Cavalla. Outre les villes du
— 16 —
Grecs fondèrent aussi la colonie du Pangée, à
littoral, les
25 kilomètres de la côte. Cette colonie intérieure s'était
établie autour du Mont Pangée, où se trouvaient les célè-
bres mines d'or. Voulant s'assurer la possession de cet
eldorado de l'antiquité, les Grecs essayèrent de s'infiltrer
vers le nord, dans la direction de Drabescus (aujourd'hui
Drama), mais une cruelle défaite leur fut infligée par les
Thraces, et ils furent obligés d'arrêter leur avance.
Depuis le IV e s., avec l'expansion de la monarchie
macédonienne, l'hellénisme fit de nouvelles conquêtes sur
le littoral et dans l'intérieur avoisinant de la Macédoine.
Les rois et la noblesse macédoniens, ayant adopté la langue,
la manière de vivre et les dieux des Grecs, se firent les
propagateurs fervents de la civilisation hellénique dans
leur patrie et dans les contrées du monde antique où
ils portèrent leurs conquêtes. Ce furent surtout les villes
macédoniennes qui portaient une forte empreinte de la civi-
lisation hellénique. Telles furent les deux capitales macédo-
niennes postérieures, Pella et Philippi, puis la ville de
Salonique (bâtie par Cassandre et portant le nom de sa
femme Thessalonique, fille de Philippe), Verria, Serrés, etc.
Quant à la campagne, elle resta plutôt barbare dans sa
langue, sa vie privée et publique. La bataille de Pydna (168
av. J.-C.) mit fin à la célèbre monarchie: la Macédoine
devint province romaine.
La domination romaine sur la Macédoine fut de très
longue durée; la romanisation d'une grande partie de la
population macédonienne en fut la conséquence. La
Macédoine méridionale gardait cependant toujours l'em-
preinte de l'hellénisme. La romanisation et l'hellénisation
du pays se poursuivirent surtout par l'introduction du
christianisme qui y fit apparition dès le 1 er siècle. Philippi,

Salonique, Verria furent les premières initiées à la nouvelle


religion par l'apôtre Paul en personne.
Cependant, les invasions des peuples du nord, dès le
IV e s., et la migration des Slaves au VI e s. changèrent com-
— 17 —
plètement la physionomie ethnique et culturelle de la Macé-
doine et de la péninsule balkanique. Le contemporain de
ces événements, Procope, termine son récit relatif à ces
agressions multiples, qui ont décimé la population indigène
dès le deuxième quart du VI e s., en ces termes: «A peine
l'empereur Justinien I er avait-il pris les rênes du gouverne-
ment, que l'Illyrie, toute la Thrace, le pays entier baigné
par la mer Ionienne jusqu'aux faubourgs de Constantinople,
l'Hellade, la Chersonèse, étaient presque tous les ans la
proie de bandes de pillards Huns, Slaves, An tes, etc. Les
:

habitants de ces provinces eurent à supporter les pires


excès. J'estime qu'à chacune de des incursions dévasta-
trices, plus de 200,000 Romains étaient tués ou emmenés

en captivité, si bien que ces régions devinrent bientôt


pareilles aux déserts de la Scythie » 1 ). Au cours des VI e et
VII e s., toute la Macédoine, la ville de Salonique exceptée,
la Thessalie, la Thrace, la Morée même étaient inondées de

la marée slave. Les Slaves y restaient en vrais habitants du


pays. L'écrivain grec, l'archevêque Théophylacte, parlant
de cet établissement des Slaves ajoute: « Quand ce peuple
(il s'agit des Avares) se retira, un autre, plus déloyal et cruel,

fit son apparition, les ainsi nommés Bulgares (Slaves)

venant des confins de la Scythie ... Et comme ils vainqui-


rent toute l'Illyrie, l'ancienne Macédoine jusqu'à la ville
même de Salonique, une partie de la Thrace, notamment
près de Verria et Philippopoli, et les régions montagneuses
adjacentes avoisinantes, ils s'y établirent en vrais citoyens.
Ils dispersèrent toute la population: les habitants des
villes sises dans les plaines furent obligés de s'établir dans
dans les endroits plus hauts et vice- versa » 2).
les villes situées
De plus, tout le pays changea de nom et reçut une topo-
nymie slave. L'empereur Constantin Porphyrogénète s'en
plaignait en disant: «Tout le pays a été slavisé et devenu

a
) Historia Arcana. Ed. Bonnae, p. 108.
2
) Migne, Patrologia grœca, t. CXXVII, col. 189.
— 18 —
barbare L'hellénisme implanté depuis des siècles en
x
» ).

Macédoine se vit presque complètement déraciné.


Jusqu'au IX e s., les Slaves établis en Macédoine vi-
vaient groupés en petits Etats à la tête desquels se trou-
vaient les princes du clan. Ceux qui habitaient les alentours
immédiats de Salonique, tout en conservant leur indépen-
dance intérieure, étaient soumis à Salonique ou étaient con-
sidérés comme ses alliés. Les autres tribus restèrent indé-
pendantes et toujours en guerre avec Byzance, qui réussis-
sait pour de courtes périodes à les soumettre à sa supré-
matie. En 658, l'empereur Constant II entreprit une expé-
dition contre eux; en 688, ce fut Justinien et en 758, II,

l'empereur Constantin V Copronyme. En 809,


Nicéphore I,
pour paralyser les tentatives des Slaves, fit habiter par des
Grecs et par d'autres peuples de l'Asie Mineure les parties
de la « Terre slave » n'offrant plus de sécurité, notamment
la vallée de la Strouma, Philippi près de Drama, Philippo-
poli, etc. Mais dès que les Bulgares de Kroum, avec lesquels
les Slaves sympathisaient, s'annoncèrent dans ces parages,
les colons grecs prirent la fuite ). Vers le milieu du IX e s.
2

presque tous les Slaves macédoniens faisaient partie du


royaume bulgare. Dès lors, ils adoptèrent la dénomination
de l'Etat comme nom national (Bulgare).
L'époque slavo-bulgare de la Macédoine dura cinq
siècles, c'est-à-dire depuis l'installation des Slaves dans le
pays jusqu'à la fin du premier royaume bulgare, soit en
1018. En cette année, la Macédoine tomba sous la domina-
tion byzantine pour une période de 180 ans. Le joug byzan-
tin ne changea en rien la physionomie ethnique de la Macé-
doine bulgare. Les multiples insurrections bulgares, les con-
jurations à Constantinople, les incursions des Pétchénègues
et des Normands, les expéditions contre les Turcs, le pas-
sage des croisés, etc. avaient affaibli Byzance à un tel point

*) De thematibus, lib. II, 6.

*) Theophan.es, Chronographia. Ed. De Boor, p. 486, 496.


— 19 —
qu'elle fut hors d'état de renforcer l'hellénisme en Macé-
doine.
La résurrection de l'Etat bulgare en Macédoine vers la
fin du XII e
s. eut des conséquences encore plus négatives

pour l'élément grec en Macédoine. Sous le tsar bulgare



Kaloïan (1197 1207), une grande partie de la Macédoine
fut incorporée à l'Etat bulgare. Constantinople tomba
entre les mains des Latins et Salonique devint la capitale
du royaume de Boniface de Montf errât. Sous Assen II
(1218 — 1241), après la bataille de Klokotnitsa, Salonique
tomba sous la souveraineté bulgare.
C'est vers le milieu du XIII e s. seulement que l'élément
grec de la Macédoine du sud put s'affirmer et même se ren-
forcer. L'empire latin de Constantinople est à sa fin. En
1261 second empire grec de Constantinople est ressus-
le

cité. Quelques années avant, la Macédoine tomba au pouvoir

des Grecs. La population grecque étant bien diminuée


dans cette province, les empereurs y envoyèrent de fortes
garnisons dans les forteresses et colonisèrent certaines loca-
litéspar des Grecs. Ainsi la petite ville de Melnik qui au
XI s. était encore peuplée de Bulgares 1), possédait une
e

colonie grecque. Ses habitants se vantaient en 1246 d'être


des Grecs purs, venus de Philippopoli 2 ). Les murs de Serrés
furent restaurés et les villages avoisinants reçurent des
colons grecs pour assurer la possession de la ville exposée
toujours à l'envahissement de la population rurale bulgare.
Cette colonie grecque a su se maintenir jusqu'à nos jours,
répartie dans cinq villages qui portent cependant des noms
bulgares et turcs: Veznik, Dovichta, Topoliani, Soubach-
Keuy, Sarmoussakly. Ces Grecs sont connus sous le nom
de « Darnakides », du nom «dari» pour « tora » (maintenant)

J
) Cedrenus. Ed. Bonnse, II, p. 460.
2
) ^Hfielç ai Ttdvreç ix (PdŒTzoùnoXeœç bpficbfieda, xadapol zb
yévoç ^Pœfiatoc. G. Acropolita. Ed. Bonnse, p. 82. Cette assertion est à
moitié vraie, parce que dix ans plus tard, en 1255, à Melnik, éclata une
insurrection bulgare sous la conduite du voïvode Dragota.
— 20 —
qu'ils ont coutume d'employer. L'ancienne colonie grecque
du Pangée se vit ainsi renforcée par le voisinage de nou-
veaux conationaux. Sous le Paléologues, au XIII e et au
XIV e s., on restaura les murs et les tours de Salonique, ainsi
que toute la citadelle. On y bâtit de nouvelles églises et on
restaura les anciennes.

L'hellénisme pendant l'époque turque.

La conquête turque de la Macédoine commença en


1371. Salonique tomba la dernière, en 1430, grâce à la
trahison des moines grecs. La domination turque, longue
de cinq siècles, ne prit fin qu'en 1912.
Les Turcs modifièrent totalement l'aspect ethnogra-
phique des villes et des points stratégiques. C'est pour cela
que la population grecque, qui s'était entassée dans les
villes, eut beaucoup à souffrir. Une partie des bourgeois fut

emmenée en captivité, une autre fut obligée d'embrasser


l'islam; une minorité seulement, sauvée des massacres, con-
tinua à y habiter. Salonique, Serrés, Drama, Doïran,
Démir-Hissar, Verria, Cavalla, etc. reçurent une grande
quantité de colons turcs et impliquèrent à ces centres un
cachet turc. Enidjé-Vardar fut à nouveau bâtie par les
Turcs qui s'y établirent. De grandes colonies rurales tur-
ques y furent formées telles que celles de Cavalla, Koukouch,
Doïran, Bechik-Gheul, Kaïlar. La population rurale grec-
que du cours supérieur de la Bystritsa, de Castoria jusqu'à
Grébéna, fut obligée d'embrasser le mahométisme. Ce der-
nier groupe excepté, avec le village de Lialovo, district de
Nevrokop, qui conserva encore la langue grecque comme
langue maternelle, tous les autres Grecs mahométans se
fondèrent dans l'élément turc.
Cependant, ces pertes de Grecs en Macédoine du sud
purent être compensées plus tard grâce à l'hellénisation
d'éléments allogènes. Cela tient à la situation privilégiée
— 21 —
qu'on attribua au clergé grec en Turquie. En effet, lors de
la prise de Constantinople en 1453, le patriarche œcumé-
nique obtint le privilège d'être le représentant suprême des
intérêts spirituels des populations chrétiennes en Turquie.
Les Turcs divisaient la population d'après sa religion maho-
:

métans et chrétiens. Ces derniers, sans distinction de na-


tionalités, étaient connus sous le nom de «raïas» (soumis,
troupeau) ou «ghiaour» (infidèles) ou bien «Ouroum» (Grec,
chrétien ressortissant à l'église grecque). Il était extrême-
ment rare qu'on désignât le vrai nom de la nationalité:
bulgare, turc, grec, serbe, albanais.
La Macédoine du sud-est, de Verria à Cavalla, entrait
directement dans la circonscription de Constantinople, alors
que celle du nord-ouest se trouvait sous la dépendance de
l'archevêché d'Okhrida qui, quoique ayant conservé le nom
et les traditions bulgares, était soumis au clergé supérieur
grec. En 1557, la Macédoine du nord fut soumise au Pa-
triarcat serbe d'Ipek, grâce au Grand vizir Mehmed Soko-
lovitch, un mahométan qui éleva au siège patriarcal serbe

son frère, le chrétien Makarius. Mais, en 1766 67, les Grecs
réussirent à persuader le gouvernement turc de supprimer
l'archevêché bulgare d'Okhrida et lePatriarcat serbe d'Ipek
et d'attribuer leurs éparchies directement à l'Eglise grecque
de Constantinople. Ainsi, toute la Macédoine tombait dans
les mains du clergé grec.
Dans ces conditions, les éléments chrétiens non grecs
de Macédoine se trouvèrent soumis à un double joug: poli-
tique sous les Turcs et religieux sous les Grecs. Bulgares,
Albanais et Koutso-Valaques devaient entendre la Parole
divine en une langue incompréhensible, pour eux le grec,
fréquenter les écoles, payer les hauts traitements des
évêques et patriarches, construire des églises et des écoles,
payer les instituteurs grecs, etc. Cela se pratiquait surtout
dans les villes, où siégeaient des évêques grecs. L'hellénisme
obtint le plus grand succès en Thessalie où il absorba tous
les Bulgares et les Albanais, ainsi qu'une partie des Koutso-
— 22 —
Valaques; en Macédoine du sud, l'hellénisme prospéra sur-
tout dans les villes, telles que Salonique, Verria, Castoria,
Serrés et les localités à groupements ruraux grecs, tels que
la Chalcidique, le Pangée, le Roumlouk, etc.
Salonique est considérée comme le centre le plus im-
portant de l'hellénisme en Macédoine. Cependant, par sa
population, c'est plutôt une ville israélite ou cosmopolite
que grecque. Dans les derniers siècles, la majorité de la
population salonicenne était toujours israélite; en deu-
xième lieu venaient les Turcs et en troisième les Grecs, les
Bulgares, etc. En 1912, Salonique comptait 130,000 per-
sonnes dont: 64,000 Israélites, 25,000 Turcs, 22,000 Grecs,
10,000 Bulgares, 9000 divers (Koutso-Valaques, Albanais,
Tsiganes, etc.). De plus, l'élément grec était de formation
récente, comprenant aussi les Bulgares et les Koutso-
Valaques refondus. Les paysans bulgares des environs
immédiats, qui s'établissaient dans la ville, devenaient
Grecs dans l'espace de deux ou trois générations. Privés
d'églises et d'écoles nationales, ces paysans étaient obligés
de se joindre à la seule communauté chrétienne existante, la
grecque. A ce propos, les notes de l'écrivain serbe Ghérassime
Zélitch, qui passa par Salonique en 1784, sont à relever:
« A Salonique, dit-il, les Grecs sont mêlés à la nation bul-

gare de telle sorte qu'on ne sait pas qui est Grec et qui Bul-
gare. On y parle le grec et le bulgare et surtout le turc») 1 ).
Par le Hatti-Houmaïoun de 1856, le sultan consacra le
droit de nationalité dans ses Etats. C'est depuis lors qu'à
Salonique aussi le sentiment national bulgare se ressaisit.
La constitution d'une communauté religieuse bulgare, l'ou-
verture d'écoles et d'églises bulgares formèrent un obstacle
sérieux à la grécisation ultérieure. L'hellénisme ne pouvait
donc plus songer à de nouvelles recrues; il dût se borner à
consolider les positions acquises et à raffermir la conscience
grecque d'une population hésitante encore dans son senti-
ment national.
a
) Vie de Ghérassime Zélitch. Belgrade 1897, vol. I, p. 111 (en serbe).
- 23 —
La propagande grecque intensifia ses efforts surtout
autonome bulgare
après la constitution, en 1870, d'une Eglise
et la formation, en 1878, d'une principauté bulgare. A part
les huit écoles primaires, les Grecs possédaient à Salonique,
avant les guerres balkaniques, deux gymnases, l'un de
garçons et l'autre de jeunes filles, et une école de com-
merce, celle de Marasli (un Bulgare grécisé), fréquentées
par 2000 élèves. La ville est entourée de villages bul-
gares qui, près de Galik, descendent vers les rivages de la
mer. Dans ce cercle bulgare, la culture grecque et le voi-
sinage de la ville implantèrent fortement le grécisme seule-
ment dans les quelques villages suivants Kolakia, Kapou-
:

djilar, Baldja, Drémiglava, Gvozdévo (Ghuvezna). A part


Kolakia, où depuis longtemps une colonie grecque vivait,
les autres villages n'ont que des Bulgares grécisés. Leur
grécisation eut lieu il y a deux générations environ; les
vieillards de ces villages savent encore le bulgare. Il y a
40 ans, dans les mariages on chantait les chants de céré-
monie bulgares. Une partie de la ville Lagadina, siège de
district, est en train également d'être grécisée. Entre Salo-
nique et la véritable Chalcidique se trouve la petite ville
bulgare de Païzanovo, appelée par les Turcs Kiretch-Keuy,
par les Grecs Asvesto-Horion ou Néohori. La grécisation de
cette ville touche à sa fin, malgré que sa population soit
bilingue. De là, au sud et à l'est jusqu'à la mer et au lac
Tachynos, s'étendent les villages grecs de la Chalcidique et
de Nigrita. Tout ce coin est peuplé seulement de Grecs et
de Turcs, à l'exception de la presqu'île du Mont Athos où
vivent aussi d'autres nationalités: Russes, Bulgares, en tout
10,200 personnes 1).

) En 1912, la République monacale du Mont Athos comptait:


x

3615 moines russes 18 moines serbes


3207 » grecs 52 » géorgiens
340 » bulgares 180 novices de différentes nationalités
288 » valaques 2500 ouvriers bulgares et grecs.
En tout 10,200 personnes.
Une partie des « moines grecs » (3207) sont Bulgares d'origine, mais
vivant dans des monastères grecs, ils sont considérés comme Grecs.
— 24 —
Qu'il y ait eu dans le passé encore des Bulgares
en Chalcidique, l'écrivain grec Athanase Stagiorites,
né dans ces parages, le témoigne. Il fait ressortir à cet
égard le fait suivant « .... Il résulte de ce qui précède
:

qu'il y a eu ici aussi une population bulgare, qui fut


obligée par l'Eglise et par les circonstances locales de
se gréciser, parce qu'elle n'avait ni prêtres, ni livres en sa
propre langue» 1 ).
Dans la Macédoine du sud-est,les Grecs ont deux cen-
tres urbains plus importants Serrés et Cavalla et le groupe
:

rural de Pangée, autour de la bourgade de Pravichta. Ici,


l'élément grec, comme nous l'avons déjà dit, date de l'anti-
quité. Au XIX e s. il se renforça au détriment des Bulgares,
Koutso-Valaques et Gagaouzes pour deux raisons. En 1821,
lors de l'insurrection grecque, les autorités turques pillèrent
les villages grecs de la Chalcidique, massacrèrent une partie
de la population et chassèrent l'autre. Les réfugiés s'établi-
rent dans des endroits plus sûrs, à Salonique, Serrés, Ca-
valla, et renforcèrent ainsi l'ancien noyau grec. Serrés les
attirait particulièrement, étant une ville de commerce riche,
centre de l'industrie du tabac
du coton, d'une foire cé-
et
lèbre où se donnaient rendez-vous les commerçants des
pays balkaniques, d'Allemagne et d'Autriche. Grâce à de
riches commerçants grecs et à la société grecque de pro-
pagande (Syllogue), on ouvrit à Serrés plus d'écoles grec-
ques et on y intensifia la propagation de l'hellénisme parmi
la population allogène de la ville et du département. Dans
l'espace de quelques décades, les Grecs réussirent à hellé-
niser la plus grande partie de la population urbaine bulgare
qui formait, jusqu'au commencement du non la XIX e s., si
du moins la moitié de la population chrétienne,
majorité,
comme on peut s'en rendre compte d'après le « Recueil des
actes de l'Evêché grecs de Serrés ». Les Koutso-Valaques

^AOavamoD rou frayéepkou,


'
*) Hnecpovtxâ. ^Ev Bcèvvrj zrfî
Aùarpcaç, 1819, p. 352.
— 25 -
furent hellénisés plus facilement encore que les Bulgares.
En 1839, leur nombre était encore considérable; aujour-
d'hui, à Serrés, ils se comptent sur les doigts.

La propagande grecque s'intensifia surtout depuis que


les Bulgares élevèrent la voix pour obtenir leur Eglise na-
tionale indépendante et depuis la formation, en 1878, de la
principauté bulgare. Pour s'attirer le soutien des Turcs, les

Grecs font valoir que les Bulgares, en leur qualité de


Slaves, sont les instruments des Russes, ennemis de l'Em-
pire ottoman 1). L'évêque grec de Serrés, Grégoire, dans une
lettre adressée au patriarche en date du 23 juin 1878, faisait
part à son chef de ses craintes et de ses projets:
« Ayant
réfléchi sur les effets de cette chasse enragée
que lepanslavisme dévorant donne en ces heures critiques à
l'hellénisme, à la suite de je ne sais quels décrets divins,
surtout en ce qui concerne ces régions-ci ce m'est un
. . . ,

devoir sacré d'intervenir autant que mes forces le permet-


tent pour organiser la défense de nos droits nationaux. Et
comme un des moyens les plus rationnels de nature à garan-
tir le salut de notre race c'est, à n'en pas douter, la création
d'écoles et la diffusion de la littérature grecque, surtout parmi
les Hellènes bulgarophones de la Macédoine, je me suis ap-
pliqué, comme
de juste, à l'étude de cette question impor-
tante entre toutes. Par malheur, cependant, les temps
troublés et des embarras financiers m'ont empêché de faire
quoi que ce fût dans ce sens jusqu'ici. Et ce qui m'attriste
le plus, c'est que nos établissements scolaires à Serrés, si

florissants jadis,donnent à peine signe de vie aujourd'hui.


Les causes de ce lamentable état de choses sont exposées
dans le document ci-inclus que je soumets à Votre- Sainteté
avec la prière de contribuer de votre part, par les moyens
que vous trouverez opportuns, au relèvement des établisse-

*) Parthénius, Journal de pérégrination et de voyage en Russie, Mol-


davie, Turquie et la Terre Sainte. Moscou 1856, 2 e édit., vol. II, p. 69
(en russe).
— 26 —
ments cœur de toute
scolaires de la ville la plus hellène, le
la Macédoine, la ville de Serrés » 1 ).
Turcs et Grecs ont de tout temps été d'intelligence
dans la question nationale bulgare. Déjà, le 10 mars 1885,
les Grecs de Serrés avaient remis au Grand vizir une re-
quête où ils déclaraient que, si le gouvernement turc per-
mettait l'installation d'évêques bulgares en Macédoine
«l'existence de l'Eglise orthodoxe en serait sérieusement
menacée, » de même que « la tranquillité et l'ordre dans
l'Empire en seraient gravement ébranlés ».
Cette thèse a été développée aussi, du côté grec, au
sein du parlement ottoman en séance du 17 janvier 1909.
Le député Traïan Nali, un Albanais hellénisé, à qui la ré-
alité macédonienne et la force de l'élément bulgare ne lais-
saient pas de déplaire, s'est exprimé à ce sujet comme suit:
« L'Exarchat bulgare s'est employé à étendre son influence

religieuse tout d'abord sur la Macédoine, à mettre ainsi


sous sa juridiction les populations chrétiennes, soumises à
la Turquie, lesquelles n'ont cessé de se trouver depuis les
temps les plus anciens sous l'autorité du Partiarcat, et à
anéantir de la sorte l'influence religieuse de celui-ci, ainsi
que, indirectement, la puissance politique de la Turquie.
Les hommes politiques discernaient très bien ces visées du
panslavisme, mais continuaient toujours à s'en tenir à la
politique du « divide et impera », qui était faite pour servir
leurs intérêts particuliers .... Et voici comment, grâce à
cette attitude de nos hommes d'Etat, les panslavistes dont
le centre était à Moscou, commencent à envoyer secrète-
ment dans le vilayet d'Andrinople et en Macédoine des
agents avec mission d'éveiller et d'attiser dans la masse du
peuple ottoman des sentiments bulgares et panslavistes.
Il ne faut pas oublier, au surplus, que la population bulgare

de la Macédoine est de race slave et qu'une Bulgarie forte


était la garantie du triomphe du panslavisme. Pour la dif-

) Ghéorghieff et Chichkoff, Les Bulgares dans la plaine de Serrés, Philip-


a

popoli 1918, p. 14.


— 27 —
fusion des sentiments bulgares et panslavistes parmi la po-
pulation du vilayet d'Andrinople et de la Macédoine, les
panslavistes estimaient nécessaire l'affaiblissement du Pa-
triarcat grec de Constantinople. Les agents politiques
russes, qui étaient les meilleurs agents de transmission des
idées panslavistes, ont eu pour tâche constante de protéger
l'Exarchat bulgare auprès du gouvernement turc et d'ob-
tenir de la Sublime-Porte un nombre aussi grand que pos-
sible de bérats d'évêques bulgares pour la Macédoine et le
vilayet d'Andrinople. La Sublime-Porte a octroyé succes-
sivement des bérats, nommant des évêques bulgares dans
les vilayets de Salonique, Scopié, Bytolia et Andrinople.
Elle est devenue ainsi cause de l'expansion du panslavisme.
Mais l'organisation panslaviste, qui devait réaliser les clauses
du traité de San-Stéfano, s'est heurtée sur son chemin au
Patriarcat de Constantinople, qui était l'adversaire naturel
de cette organisation, plus que ne l'était le gouvernement
despotique turc. Le Patriarcat se prévalant des droits et
prérogatives dont il jouissait dès l'époque byzantine, droits
et prérogatives maintenus et confirmés par le conquérant,
le sultan Mahomet II, et sachant, d'autre part, que l'inté-

grité de l'Empire était la condition même de l'existence de


l'Eglise, n'a point cessé de protester contre la propagande
panslaviste. Malheureusement, il ne put amener le gouverne-
ment despotique à reconnaître la justesse de ses vues.
Les doléances du Patriarcat étaient fondées, car il y
allait de son existence et de celle de l'Etat même, dont
les destinées se confondaient. Il était naturel dans ces

conditions que, si le panslavisme, notre ennemi et rival,


enregistrait de nouveaux succès comme il en a réellement
enregistré en Macédoine et dans le vilayet d'Andrinople,
l'Etat turc allait s'en trouver affaibli au même titre que
le Patriarcat.» Sur le même ton insidieux a parlé un autre

député grec, Karolidi, au sujet du mouvement religieux


et insurrectionel bulgare, et c'est le député turc Rahmi-
bey qui a dû leur dire, à tous deux, la vérité . . .
— 28 —
Après tant d'efforts et de sacrifices pécuniaires, les
Grecs firent en réalité beaucoup pour leur cause à Serrés.
Les Bulgares, qui environ un siècle auparavant habitaient
la partie ancienne de la ville, au Varoch, furent hellénisés,
ainsi que presque tous les Koutso-Valaques. Seuls les quar-
tiers extérieurs tels que Gorna et Dolna Kamenitsa et le
quartier d'Arabadji restèrent bulgares. La guerre bal-
kanique de 1912 les trouva Bulgares, avec des écoles pri-
maires, une école primaire supérieure et une école normale,
Cependant les succès de l'hellénisation en dehors de la ville
de Serrés, c'est-à-dire dans le département, furent limités
en cela, que quelques villages bulgares restèrent encore
sous le giron du Patriarcat grec et qu'on laissa intacts les
cinq villages purement grecs aux environs de la ville le :

reste de la population chrétienne était bulgare, comme le


reconnaissent les Grecs eux-mêmes dans une série de leurs
documents, secrets ou ostensibles 1 ).
Le groupe grec du Pangée est le plus considérable en
Macédoine sud-est. Il occupe l'espace, limité au nord parle
fleuve Dramatitsa, à l'ouest par le lac de Tachynos, au sud
par la mer Egée, à l'est par le marais de Pravichta, et au
centre le Mont Pangée. Les Grecs habitent dans 23 villages
grecs purs et dans 16 mixtes, se rattachant administrative-
ment aux districts de Zikhna et Pravichta. Une partie de
ces villages grecs avaient auparavant une population
bulgare et gagaouze, actuellement hellénisée. Quelques-
uns parmi eux ont conservé des quartiers bulgares;
les noms même de ces villages témoignent de leur an-
cienne population bulgare: Lokvitsa, Zdravik, Radolivo,

x
) M. reoeœv, "Eyypayo. Tiarpeap^uà xat a'jvodcxà Tzepl zoiï
BouXyaptxdb ÇyTïjjuaroç. "Ev KœvazavrtvouTzblzt 1908, p. 484, 488, 507,
508, etc. — Les rapports de A. Saktouris, consul de Grèce, à Serrés, au
Ministre des Affaires étrangères à Athènes, de 1909. — La liste des villages
bulgares du diocèse de Serrés en 1915 envoyée au ministère des Affaires
étrangères à Athènes par le métropolite de Serrés, Apostolos. Cf. Ghéorghieff
et Chichkoff, Les Bulgares dans la plaine de Serrés, passim. — J. Ivanoff,
La région de Cavalla. Berne 1918, p. 32 à 34, 70 à 76.
- 29 —
Voltchichta, Kormichta, Vitatchichta, Mochtian, Pravichta,
Tchista, etc.
Cavalla comptait à la veille de la guerre balkanique
9000 personnes de population grecque. Le reste, plus de la
moitié, était composé de Turcs, Israélites et Bulgares. Dans
le district de Cavalla il n'y a aucun village grec. Ces villages
sont principalement turcs et quelques-uns bulgares-maho-
métans. Il y a cent ans, Cavalla était une petite ville de 3000
habitants presque tous turcs, comme l'atteste le consul fran-
çais de Salonique, Félix de Beaujour 1). Dans un rapport du
vice-consul de Grèce à Cavalla, du 2 avril 1906, au Ministre
des Affaires étrangères à Athènes, on lit: «La population
compacte et florissante de Cavalla qui s'élève à plus de
10,000 personnes 2 ) .... Toutefois, les Bulgares s'opiniâ-
trent indubitablement à préparer le terrain pour leur œuvre
nationale à Cavalla. D'après les renseignements puisés
à bonne source, les Bulgares demeurant ici sont au nombre
de 1000 environ. Cette évaluation est aussi reconnue
comme exacte par le vicaire général qui a surveillé de près
le dernier recensement des habitants et avec le concours

duquel on a réussi, à prix d'argent et par d'autres moyens,


à ne faire inscrire comme Bulgares que 212 personnes dans
le tableau statistique» 3 ).
Dans le district de Drama il y a des Grecs dans les
villages de: Tchataldja, Doxat et Edirnédjik. La ville de
Drama, qui pour ainsi dire turque, comptait en 1912,
est
2000 Grecs à peine, dont la plupart étaient d'origine Koutso-
Valaques. Les villages bulgares de Drama et ceux du dis-
trict de Zikhna étaient le point de mire de la propagande
grecque pendant les dernières décades. A cela travaillaient
notamment le métropolite grec de Drama et le vice-consulat

*) «La petite villede la Cavale, peuplée, comme celle de Prava


(-Pravichta), de deux à presque tous Turks. » Voyage
trois mille habitants,
militaire dans l'empire ottomane. Paris 1829, vol. I, p. 230.
) Le vice-consul pensait à la population grecque.
2

) J. Ivanoff, Les Bulgares devant le Congrès de la paix, 2 édit., p. 233.


3 e
- 30 —
grec de Cavalla. Ils avaient réussi à maintenir sous le

pouvoir du Patriarcat grec quelques villages, d'y ouvrir des


écoles grecques, par exemple, dans les grands villages
bulgares de Prossotchani, Vissotchani, Alistrat et autres.
Les documents officiels grecs devenus propriété de la
science ces dernières années, témoignent de la façon la plus
convaincante de la force et de la faiblesse de l'hellénisme
de ces parages. Nous lisons entre autres, dans le rapport du
métropolite grec de Drama, Chrysostomos, du 25 août 1902,
au patriarche de Constantinople:
« Les bulgarisants font littéralement rage dans le sec-
teur situé au nord de Drama, aux environs du Mont Or-
bèle, secteur qui part de Zirnovo et de Gorno-Brodi, diocèse
de Nevrokop, suit le défilé de Gurédjik et s'étend sur toute
la lignede Volak et Plevna à Prossotchani et Vissotchani,
bourgs sis à une heure de Drama. Dans toute cette zone,
le bulgare est la langue de la population » {Kad" 'ôàov zo z/urj/ua

zoûzo jlœaoa. zou Xaou eîve rf


BooXfapiXYJ) 1
). Quant au sec-
teur de Zikhna, le même métropolite écrivait au patri-
arche en date du 28 septembre 1902 : « Il m'a été
impossible de répondre aussitôt car je me hâtais de faire
une petite tournée dans certaines communes toutes bulgaro-
phones du rayon de Zikhna .... Nous rencontrons heureuse-
ment un fort soutien dans les communes, chez les beys et
2
les agas turcs, qui haïssent et poursuivent les bulgarisants » ).

Quant aux Grecs du district de Sary-Chaban, à l'est


de Cavalla, le même vice-consul informait confidentielle-
ment son ministre « Nous ne trouverons comme Grecs dé-
:

clarés dans le district que 12 familles purement grecques » 3 ).

Les Grecs de Melnik*), dans la Macédoine orientale,


forment un îlot absolument isolé parmi la population bul-

1
) J. Ivanoff, Les Bulgares devant le Congrès de la paix, 2 e édit., p. 228.
2
) Ibidem, p. 230, 231.
3
) Ibidem, p. 235.
*) V. plus haut, p. 19.
— 31 —
gare. Ils habitent la bourgade de Melnik, au nombre de

2310 personnes. Tout le district de ce nom est peuplé de


Bulgares et, en partie, de Turcs.
Ce n'était pas seulement par l'œuvre ecclésiastique et
scolaire que les Grecs propageaient l'hellénisme dans ces
parages. Ils eurent recours aussi à des moyens de terrorisme.
Dans ce but, une organisation secrète fut fondée « La :

défense grecque de la Macédoine orientale » ÇEÀlrjvtxà


A/uova 'Avazohxrjç Maxedovïaç). A l'art. 58 des statuts de
v

l'organisation de Serrés on peut lire entre autres: «C'est


un fait connu que, grâce aux bandes armées grecques, l'esprit
national s'est ragaillardi et l'idée nationale s'est régénérée
dans la région de Serrés. Ce sont également ces bandes
armées qui ont endigué le torrent bulgare ». A l'art. 65 on
lit: «Le voïvode, conjointement avec la commission, dési-

gnera les jeunes gens de chaque village, qui seront envoyés


dans la Grèce libre pour apprendre le maniement des
armes Pour ce qui est de l'envoi de jeunes gens origi-
. . .

naires des villages de langue bulgare, le voïvode statuera


après entente à ce sujet avec l'autorité centrale ». A
l'art. 71 «... :Pour le triomphe de l'hellénisme, il faudrait
.

faire oublier à ces villages leur langue et étouffer le sentiment


bulgare de leurs habitants », etc.

Puis, de la réglementation, les Grecs ont passé aux


actes, à des assassinats de Bulgares. Le vice-consul grec de
Cavalla, très content, s'empressait d'en avertir son ministre.
Le 1 er octobre 1906, il rapportait: «... A Volak (district de
Drama) les nôtres ont repris courage et se sont adonnés à
des actes violentes de vengeance, comme de juste, de sorte
qu'aujourd'hui les Bulgares sont épouvantés, car ils ont eu
six victimes, dont l'une est le chef de la commune » 1 ). Le
ministre Skouzès, par dépêche secrète, reçue le 17 juillet
1907, avertissait le vice-consulat grec de Cavalla: «Nous
apprenons que de nouveaux assassinats de Bulgares ont eu

x
) J. Ivanoff, Les Bulgares devant le Congrès de la paix, 2 e édit., p. 255.
— 32 -
lieu . . . Nous devons nous rendre compte que l'Angleterre
s'indispose de jour en jour davantage contre nous, à cause
des actes que les nôtres commettent dans le rayon de
Drama » ). Par une dépêche secrète, reçue le 21 novembre
1

1907, le même ministre avertissait le vice-consulat grec de


Cavalla: «L'officier anglais de la gendarmerie à Drama 2)
nous a communiqué que le 10 octobre le Grec Armène
Kouptcho a été pendu pour complicité dans l'assassinat
d'un Bulgare. Avant que le verdict fût prononcé, il fut
visité par le prêtre grec et a fait une dernière déclaration
au colonel, commandant de la gendarmerie à
la section
Drama 5
déclaration d'après laquelle
accuse le métropolite
il

grec, qui dernièrement a été éloigné de Drama. Il a déclaré


avoir reçu des instructions de la part du métropolite qui
l'a payé, ainsi que son complice dans l'assassinat» 3 ). La

complicité du chef de l'Eglise grecque dans l'assassinat


ayant été également constatée par les copies de la corres-
pondance de ce dernier, saisies par les autorités turques, le
vice-consul grec de Cavalla, N. Suidas, par dépêche secrète,
du 14 août 1907, communiquait à son ministre « Nous fai- :

sons des démarches pour arriver à faire restituer secrète-


ment les copies du métropolite et pour les remplacer
par d'autres similaires qui ne puissent pas les compro-
mettre...» 4).
Le groupe grec de la Bystritsa et du Roumlouk com-
prend la vallée de la Bystritsa moyenne et inférieure, limitée
au sud par la Thessalie, au nord par une ligne allant de
Salonique à Castoria. Alors que la population grecque de
la Macédoine orientale est coupée du nœud principal de la
masse grecque et a toutes les particularités d'une colonie
isolée, les Grecs de la Bystritsa forment la suite ininter-

*) J. Ivanoff, Les Bulgares devant le Congrès de la paix, 2 e édit., p. 236.


2
Lors de l'application des réformes en Turquie, les instructeurs anglais
)
avaient le secteur de Drama.
) J. Ivanoff, Les Bulgares devant le Congrès de la paix, 2 édit., p. 236.
3 e

4
) Ibidem, p. 237.
— 33 —
rompue de l'élément grec de la Thessalie. Aux XIV e et
XV e s.,l'élément bulgare peu nombreux de la Thessalie se
maintenait encore. Pendant la domination turque il dut
céder devant l'invasion de l'hellénisme. Ce dernier couvrit
encore la vallée de Bystritsa. Les vieilles colonies grecques
des villes de Verria et de Castoria contribuèrent à ce succès,
de même que le petit groupe rural du Roumlouk, aux en-
virons de Ghida et Klidi.
L'hellénisme envahissant reçut un coup sensible en
1821, au temps de l'insurrection grecque. Entre autres, la
ville florissante de Négouch (Niagousta), entre Vodéna et
Verria, souffrit particulièrement: la ville fut incendiée et
ses habitants dispersés. Un autre obstacle à la poussée
grecque vers le nord fut le grand groupement turc de Sary-
Gheul qui tenait depuis le lac d'Ostrovo jusqu'à la Bys-
tritsa moyenne. Un troisième obstacle furent les villages-
fermes bulgares au nord-est de Verria dont la terre appar-
tenait aux beys turcs. Ces beys défendaient les paysans
contre la propagande grecque. La région bulgare de Cas-
toria se montra particulièrement tenace. En dépit de l'in-
fluence du clergé et des écoles grecs et malgré la colonie
grecque de la ville de Castoria, la population rurale est
restée jusqu'à nos jours fidèle à ses traditions et à sa langue
maternelle, représentant un des dialectes les plus anciens de
la langue bulgare.
La frontière nord de l'élément grec, entre Salonique
et Castoria, avant la guerre balkanique de 1912, était la
suivante: De l'embouchure du Vardar elle suivait son af-
fluent Kara-Azmak jusqu'au grand marais de Enidjé- Var-
dar, puis elle tournait au sud vers la ville de Verria. Toute
cette région entre le marais de Enidjé- Vardar et la Bys-
tritsa, est connue sous le nom de « Roumlouk » c'est-à-dire
pays peuplé de Grecs (Ouroum). Au nord du Roumlouk,
est située la région des agglomérations bulgares, connue
sous le nom de « Voulgarokhor », c'est-à-dire pays peuplé de
Bulgares. La ville de Négouch avait déjà une population
3
„__ 34 —
bilingue gréco-bulgare. En quittant la ville de Verria, dont
la population chrétienne était grecque et koutso-valaque,
la ligne suivait au sud le cours d'eau de la Bystritsa, puis
quittait la rivière pour se diriger à l'ouest vers la ville de
Kojani et au nord jusqu'au lac de Castoria. A partir de ce
point, prenant une direction sud-ouest, elle aboutit au
Mont Gramos où se touchent quatre éléments: Bulgares,
Albanais, Grecs et Koutso-Valaques.
Au nord de cette ligne l'élément grec n'existe pas. Les
soi-disant «Hellènes» des villes de Vodéna et de Florina
sont Bulgares de race et de langue maternelle. A l'é-
poque turque, une partie de leurs habitants se trouvaient
encore sous la dépendance ecclésiastique grecque et étaient
obligés de fréquenter les écoles grecques. Les Grecs les
faisaient passer officiellement pour des « Hellènes ». A
Monastir (Bytolia) même, il n'y a que sept familles purement
grecques, toutes immigrées de la Grèce et de l'Epire. x) Tous
les autres «Hellènes» de Monastir sont des Koutso-Valaques
et des Bulgares reconnaissant la juridiction spirituelle du
Patriarcat grec. Avant le schisme religieux gréco-bulgare, les
Grecs ne cachaient pas la vérité sur Monastir. Dans le très
consciencieux ouvrage historico-géographique de P. Ara-
van tinos, on lit ce qui suit: « Pélagonie, ancienne ville et
région en Macédoine. Dans cette contrée, est située la ville
nouvelle de Bytolia, appelée encore Monastir et peuplée de
20,000 habitants . . . Ses habitants chrétiens parlent princi-
palement la langue bulgare. » (oî ^pcanavol xàxoaoi zyç

lalcyjoi xupiœç tïjv Au sujet de Né-


Boulyaptxrjv fkwaaav)
).
2

gouch (Niagousta), on lit: «Niagousta, ville nouvelle en


Macédoine, avec une population de 2000 familles de race

2
Démétrios Epaminondas, médecin; Georges Apostolidès, médecin;
)

Aristotélis Perry,pharmacien; Démétrios Dimotchos, avocat; Chronis,


boulanger; Georges Liondas, photographe; Georges Koundouradji, cor-
donnier.
2
) Xpovoypoupia trfî ^Hnelpoo zcuv zs ojubpcov kkkrjvcxœv xac
iÀfopaœv x w pâ v - Ev *
1856—57, II, 127.
Aiïrjvaiç,
— 35 —
bulgare (<puÀïjÇ BooXyapeajç), sous la dépendance adminis-
trative de Salonique 1 ). »

Malgré que la presse grecque prenne toutes les précau-


tions pour ne pas mentionner l'élément bulgare resté en
Macédoine méridionale sous la domination grecque, la
vérité échappe quelquefois et se fait jour, telles par exemple
les publications de P. Dékasos sur la situation agraire et
économique de la Macédoine grecque. L'auteur, chef de
l'agriculture auprès du Gouverneur général de la Ma-
cédoine en 1913, affirme que la population du district
de Niagousta « se sert habituellement de la langue
slavo-macédonienne » (pudouoac <ruvijôwç tïjv oàauofiaxedovrxrjv
ôidÀexzov) 2 ). Il énumère 17 villages du dit district, peuplés
d'« Hellènes » de langue slave. Et, malgré sa méthode de
compter les Bulgares patriarchistes comme des Hellènes,
l'auteur trouve 15,211 Bulgares (BoùXfapoi) dans le district
de Florina, 7000 Hellènes et Bulgares dans le district de
Vodéna et 6770 Bulgares dans le district de Karadjova, au
nord de Vodéna 3 ). Dékasos reconnaît de même que dans
« les villages grecs au sud de la plaine de Salonique, appelés

Roumlouk, la population est moins dense que dans les vil-


lages du nord qui sont de langue slave 4). »
Les Grecs, ceux de langue maternelle et conscience
nationale grecques, habitaient en 1912 dans les districts
suivants (plus de 1000 personnes) de la Macédoine géo-
graphique: Salonique, Lagadina, Cassandra (Chalcidique),
Mont Athos, Verria, Katérina, Melnik, Serrés, Zikhna,
Drama, Cavalla, Pravichta, Castoria, Anassélitsa, Kaïlar,
Kojani, Grébéna, Serfidjé. Les Grecs formaient la majorité

!) Ibidem, II, 116.


2
) Ncdooaa r?jç Maxzooviaç. OhovofioXoytxr] fitUrrj vrjç fecopytaç^
xttjvot pocpiaç xal daawv tt}v xepcipepeiaç raÔTirjç. ^Ev 'Adïjvatç 1913,
p. 26.
3
) Al fscopirexa: a%èoetç zrjç Maxsâovîag. 'Ev ^Admacç 1914,
p. 89, 96, 100, 101.
4
) Ibidem, p. 41.
— 36 —
de la population seulement dans cinq districts Cassandra, :

Katérina, Anassélitsa, Grébéna et Serf id je.


Charles Vellay, dans son livre sur l'Irrédentisme hellé-
nique, basé sur des documentations grecques et défendant
les intérêts grecs, trace la ligne de démarcation suivante
entre Grecs et Bulgares en Macédoine *) « Au nord-est de
:

Corytza, les rives des lacs d'Okhrida et de Prespa sont


habitées par des populations bulgares, ainsi que tcute la
partie septentrionaledu vilayet de Monastir. C'est donc
au sud de cette agglomération slave que passe la frontière
de l'hellénisme. En effet, depuis Monastir jusqu'à l'an-
cienne frontière hellénique, toutes les populations sont
grecques, à l'exception de quelques groupements bulgares
entre Florina et Castoria, et d'un fort îlot musulman dans
lecaza de Kaïlar. L'hellénisme se heurte encore au slavisme
dans le caza de Guevghéli (dont le chef-lieu est cependant
habité par des Grecs dans une proportion de 50 pour 100
de la population totale); il fléchit vers le sud jusqu'à peu
de distance de Salonique, laissant le caza d'Avret-Hissar
sous l'influence bulgare et musulmane, mais remonte bien-
tôt vers le nord, par Langadas, Serrés, Démir-Hissar, villes
au delà desquelles il ne pénètre plus dans les territoires
bulgares que sous la forme d'îlots sporadiques, comme ceux
de Startsovo, de Méléniko et de Papatsaïr. »

Statistique de la population grecque.

Le nombre des Grecs en Macédoine est évalué différem-


ment, suivant le point de vue du statisticien. Ceux qui en-
globent dans l'élément grec tous les chrétiens (Bulgares,
Koutso-Valaques, Albanais) soumis aux autorités ecclé-
siastiques grecques,donnent un chiffre plus élevé, telle la
statistique de 1878que les syllogues grecs présentèrent au
Congrès de Berlin. D'après cette statistique 2 ) la popula-

*) L'Irrédentisme hellénique. Paris 1913, p. 85 à 86.


*) Blue Book de 1877. Turkey, n° 31.
- 37 —
tion grecque des sandjaks de Salonique, Monastir, Serrés et
Drama ascendait à 438,000 personnes. Les statistiques
grecs récentes suivent la même méthode de considérer
comme Grecs tous les Macédoniens se trouvant sous la dé-
pendance religieuse du Patriarcat de Constantinople. De
plus, pour enfler le nombre des Hellènes, presque toutes
ces statistiques englobent dans la Macédoine l'île de Thasos
et tout le sandjak de Serf id je dont certains districts appar-
tiennent à la Thessalie. La statistique de Nicolaïdès, de
1899, évalue les Grecs de Macédoine à 647,384 personnes,
réparties comme suit:

Sandjak de Scopié 5,036 Grecs


Sandjak de Monastir 169,030 Orthodoxes, c'est-à-dire
de sentiment grec
Sandjak de Serf id je 71,230 Grecs
Sandjak de Salonique 232,621 Grecs
Sandjak de Serrés 124,247 Grecs
Sandjak de Drama 45,220 Grecs 1 )
Total 647,384 Grecs et orthodoxes.
La statistique de Chalkiopoulos 2
) de 1913 évaluait
lesGrecs à 600,000, celle du «Messager d'Athènes 3 ) » de 1913
à 608,466, celle de Colocotronis 4) de 1919 à 572,718, etc.
Dans la statistique officielle turque de 1905 pour les
trois vilayets, le nombre des «patriarchistes» (-Grecs), y
compris «une partie de Valaques et de Bulgares», monte
à 627,962 personnes 5 ).
Les statistiques des étrangers, basées sur le principe de
nationalité, donnent un chiffre inférieur. En 1877, la sta-
tistique russe du prince Tcherkasky évaluait les Grecs de

*) Cl. Nicolaïdès, Macédonien. Berlin 1899, p. 25 à 28.


a
) Cf. le journal 'AOïjvat, du 23 mars 1913.
3
) Cf. le numéro du 2/15 février 1913.
*) Colocotronis, La Macédoine et l'hellénisme. Paris 1919, planche
XXIII.
) Publiée dans
5
le journal turc de Salonique «Asr», numéros du 2 et
29 janvier 1905.
— 38 —
Macédoine à 124,250 personnes 1). Le Serbe S. Verko-
vitch 2), qui avait vécu plusieurs années en Macédoine, les
chiffrait en 1889 à 212,994. Le Français G. Routier 3) les
évaluait en 1904 au nombre de 322,000. La statistique
du Koutso-Valaque Const. Noe donnait en 1913 le chiffre
de 193,000 4). Le Tchèque Vladimir Sis 5 ) indiquait pour
l'année 1912 le chiffre de 204,367. La répartition des
Grecs par districts est donnée plus bas, dans le tableau
général statistique.
La population grecque en Macédoine vient en troi-
sième lieu, après les Bulgares et les Turcs. Le protocole
gréco-bulgare du 18/31 janvier 1912, fait en vue d'une col-
laboration des deux nationalités aux élections législatives
en Turquie, en témoigne suffisamment. Les deux parties
contractantes s'engageaient à agir d'accord pour l'élection,
dans le vilayet de Monastir, de deux députés bulgares et
un grec; dans le vilayet de Salonique, de trois députés bul-
gares et trois grecs; dans le vilayet deCossovo (Scopié), où
les Grecs présentent une minorité, ces derniers s'engageaient
à soutenir les candidats bulgares, au nombre de deux. En
d'autres mots, contre sept députés bulgares en Macédoine,
les Grecs se réservaient le droit d'élire quatre députés grecs.
Nous reviendrons sur ce protocole.
Après les guerres balkaniques de 1912/1913, bon
nombre de Grecs, réfugiés de l'Asie-Mineure et de la Thrace,
s'installèrent dans la Macédoine méridionale.

*) Documents pour
l'étude de la Bulgarie. Bucarest 1877 (en russe).
a
Esquisse topographique et ethnographique de la Macédoine. Pétro-
)

grade 1889 (en russe).


3
) La Macédoine et les Puissances. Paris 1904, p. 268.
4
) Les Roumains Koutso-Valaques, Bucarest 1913, p. 41 à 46.
5
) Mazedonien. Zurich 1918, p. 87.
III.

Les Bulgares,

Tandis que les Grecs occupent la zone méridionale de


la Macédoine et forment des colonies isolées sur le littoral
égéen, les Bulgares constituent la population prédominante
de la Macédoine centrale et septentrionale. Contrairement
aux Grecs, qui habitent plutôt les villes et s'adonnent au
commerce, l'élément bulgare, robuste et sobre, se voue à
l'agriculture et à l'élevage du bétail; il a été durant des
siècles le vrai citoyen de la Macédoine.

Etablissement des Slaves en Macédoine.

Les Slaves qui reçurent plus tard le nom politique et


national de Bulgares, immigrèrent en Macédoine au cours
des VI e et VII es. de notre ère. C'est la dernière grande
vague de la migration des peuples, qui couvrit toute l'Eu-
rope et lui donna une nouvelle physionomie ethnique. Un
bref exposé de l'établissement des Slaves dans la péninsule
balkanique nous fera mieux comprendre la base ethnolo-
gique du problème macédonien, devenu si compliqué par
suite de l'immixtion de la politique.
La migration des peuples dans la péninsule balkanique
commença au IV e s. de notre ère. Les Visigoths furent les
premiers qui, en 376, menacés par la pression des Huns,
cherchèrent hospitalité en Byzance, hospitalité qui leur fut
accordée. Mais dès l'année suivante, ces hôtes paisibles au
début, s'insurgèrent contre Byzance et battirent complète-
— 40 —
ment, en 378, l'armée impériale, près d'Andrinople, où l'em-
pereur Valens trouva la mort. En 402, après avoir saccagé
les provinces balkaniques, les Visigoths se dirigèrent vers la
partie occidentale de l'empire romain, en vue de nouveaux
pillages.
Avant même d'avoir eu le temps de se ressaisir, un
nouveau danger menaça ces provinces. En effet, en 441, le
terrible chef des Huns, Attila, traversa le Danube et se
livra, avec ses hordes, pendant cinq ans, au pillage et
aux incendies, réduisant en ruines les terres balkaniques,
tuant ses habitants ou les emmenant en captivité. En 446,
Attila partit avec ses armées pour l'Europe occidentale.
Trente ans après, les Ostrogoths, naguère esclaves d'Attila,
traversèrent à leur tour le Danube pour piller ce qui restait.
Toutefois, mécontents de Byzance appauvrie, les Ostro-
goths la quittèrent en 489 et partirent pour l'Italie.
Les terres au nord du Danube, qui avaient été délaissées
par lesHuns et par les tribus germaniques furent occupées
vers la fin du V e s. par les Slaves. Leurs voisins de l'est, sur
les rives nord de la mer Noire, étaient les Bulgares, appelés
en aide contre les Ostrogoths, par l'empereur Zenon, en 482,
Les Slaves entrent dans l'histoire sous leur nom propre
seulement au cours du VI e siècle, c'est-à-dire au moment
où ils commencent à attaquer les provinces byzantines.
Durant les VI e et VII e s., Byzance devient de nou-
veau le point de mire des invasions des peuples. Les
guerres en Italie, en Perse, les calamités naturelles, telles
que tremblements de terre désastreux, la peste, la famine,
les révoltes et les séditions dans la capitale, étaient suivis
d'incursions des peuples du nord. L'empire d'Orient se
trouvant à l'extrémité, on commença, en 507, la construc-
tion du « mur Anastasien » qui allait de la mer Noire
jusqu'à la Propondite (mer de Marmara) et qui était
destiné à protéger la capitale contre les barbares. L'em-

pereur Justinien I (527 565) fit restaurer et bâtir de nou-
veau sur la rive droite du Danube plus de quatre-vingts
— 41 —
forteresses et tours de défense. Malgré ces précautions, la
péninsule restait encore ouverte aux attaques et aux incur-
sions des peuples du nord : les Avares, les Bulgares et les
Slaves.
Les incursions se faisaient d'abord dans le but de piller
et d'emmener des esclaves; c'est plus tard seulement que
les Bulgares et les Slaves résolurent de s'établir définitive-
ment dans les provinces dépeuplées de Byzance. Nous
avons rapporté à ce sujet, page 17, le témoignage du con-
temporain byzantin Procope. Un autre contemporain, le
chroniqueur syrien Jean d'Ephèse, raconte ce qui suit:
« La troisième année de la mort de Justin et pendant le

règne du victorieux empereur Tibère 1 ), maudit peuple


le

des Slaves fit son apparition et occupa toute l'Hellade, les


environs de Salonique et toute la Thessalie. Les Slaves
s'emparèrent de plusieurs villes et forteresses, dévastèrent
et pillèrent le pays, en mettant tout à feu et à sang. Ils y
dominèrent en maîtres, absolument indépendants, tout
comme s'ils étaient chez eux. Cela dura quatre ans, pen-
dant que l'empereur faisait la guerre aux Perses. Les Slaves
disposèrent du pays tant qu'ils n'en furent pas chassés de
Dieu. Leurs pillages s'étendirent jusqu'aux murs extérieurs
de Constantinople et tous les troupeaux de l'empereur tom-
bèrent entre leurs mains. Jusqu'aujourd'hui même, ils
habitent, sans peur et sans souci, les provinces romaines où
ils s'adonnent au pillage, à l'assassinat et aux incendies.

Ils sont devenus riches, ils ont de l'or et de l'argent, possè-

dent des troupeaux de chevaux et une grande quantité


d'armes. Ils ont appris à combattre mieux que les Ro-
mains 2). »

x
) De 578 à 582.
x
Johannes von Ephesus, Kirchengeschichte. Aus dem Syrischen von
)

Schônfelder. Mùnchen 1862, p. 255. — D. A. Khvolson, Informations d'Ibn-


Dasta sur les Slaves et les Russes. Pétrograde 1869, p. 137 (en russe). —
Meilleure traduction dans L. Niederlé, Antiquités slaves, vol. II, p. 207
(en tchèque).
- 42 —
A la fin du V e et au commencement du VI e s. les futurs
Slaves du sud formaient deux grands groupes: le groupe
occidental et le groupe oriental. Le premier occupait le
Danube moyen, la Pannonie
Hongrie occi- d'autrefois, la
dentale actuelle; le second, le nord du bas Danube, la
Dacie d'autrefois, depuis la Theiss jusqu'aux bouches du
Danube, c'est-à-dire la Roumanie de nos jours. Le groupe
occidental (pannonien) tomba au milieu du VI e s. au
pouvoir des Avares, le groupe oriental (dacien) demeura
libre et indépendant. Tandis que les Slaves de Pannonie
attaquent Byzance avec leurs maîtres, les Avares, les
Slaves libres du bas Danube agissent à leur gré et s'instal-
lent les premiers dans la péninsule balkanique, en occupant
ses provinces du sud-est, la Mésie, la Thrace, la Macédoine
et en partie la Thessalie et la Morée. Plus tard, les Slaves
de Pannonie colonisèrent la partie nord-ouest de la péninsule,
la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Bosnie, l'Herzégovine
et la Dalmatie.
Au cours des VI e et VII e s., la Dacie (Roumanie ac-
tuelle), colonisée par les Slaves, s'appelait terre slave « Sla-
vinia » (IxÀafyvla) 1 ). Ils s'étaient établis ici, derrière la
rive nord du Danube et se divisaient en deux grands groupes
au dire du contemporain Procope 2): les Slaves propre-
ment dits (1/Ja^qvoi) et les Antes ('Avrat). Les Antes
qui tenaient la partie orientale et s'appuyaient sur les bou-
ches du Danube formaient un peuple nombreux avec une
multitude de tribus 3). Leurs voisins de la Valachie et de la
Transylvanie étaient en communication entre eux par les
cols des Karpathes. Ces Slaves, d'après Ménandre (576) me-
naient une vie sédentaire, avaient leurs villages (secouas) et

a
) Thcoph. Simocatta. Ed. Bonnse, p. 323.
2
) . . . 2/Àaflrjvol xal "Avzac, o? ôxep norafibv "forpov où fiaxpov
rrjÇ èxdvTj O^Oyç ïdpvvzat. Procopio di Cesarea, La guerra gotica. Ed.
D. Comparetti, vol. I, p. 187.
3
) "EOvï] zà 'Avzcov àpLerpa ïdpuvrcu. Idem, ibidem, vol. III, p. 23.
— 43 —
cultivaient la terre (tous àypoùç) 1 ). En outre, ils étaient
organisés en tribus et avaient leurs princes. Au cours du
VI e s., ils commencèrent, en vue de pillage, leurs incursions
dans les provinces byzantines, au sud du Danube; mais
aussitôt qu'ils avaient ramassé du butin et pris des esclaves,
ils rentraient chez eux.
C'est Byzance elle-même qui, la première, permit aux
Slaves daciens de s'installer dans les terres au sud du Da-
nube. Afin d'obvier aux inconvénients d'attaques inces-
santes, les Byzantins eurent recours, entre autres, au
moyen bien connu à Rome et à Byzance de se faire des
alliés (fœderati) même des barbares qui menaçaient l'em-

pire. A ces fins, les empereurs cédaient généralement des


terres limitrophes à leurs fédérés; leurs princes recevaient
aussi de Byzance un impôt annuel (annona). Ainsi, en 545,
Justinien voulut céder aux Antes la ville de Turris, avec
l'obligation pour ceux-ci de défendre la frontière contre les
Huns 2). A cette époque, il y avait dans l'armée byzantine
des détachements entiers de Slaves; plusieurs parmi ces
derniers arrivèrent jusqu'aux plus hautes fonctions, par
exemple, Hilboude, Dabragèse, Svaroun, etc.
Pendant les règnes des empereurs successeurs de Jus-
tinien I, les fréquentes guerres de Byzance avec la puis-
sante Perse affaiblirent la résistance byzantine contre les
Slaves. Sous le règne de l'empereur Phocas (602 610), —
notamment, le gros des armées byzantines du Danube étant
parti pour la Perse, les terres balkaniques restèrent sans
défense et les Slaves du bas Danube en profitèrent pour
s'établir dans les fertiles provinces de Mésie, Thrace et
Macédoine qu'ils connaissaient déjà par leurs incursions
antérieures; d'autre part, du temps d'Heraclius (610 641), —
Excerpta a Menandri, Historia. Ed. Bonnœ, p. 405.
*)
2
Niederlé (Antiquités slaves. Prague, 1906, vol. II, p. 400, en tchèque)
)

suppose que Turris est la ville actuelle de Pirot, à l'ouest de Sofia. Cepen-
dant, la note de Procope: elç Tiàhv àp%acav, Toùppcv ôvojua. 9] xûvat

fûv D7tep Kozapbv "Iavpov (La guerra gotica, II, 295) indique la position
de cette ville quelque part au delà du Danube.
— 44 —
des nouveaux venus, les Arabes, grossirent le nombre des
ennemis de l'empire. C'est alors que la Byzance d'Europe,
occupée en Perse, Syrie et Egypte, devint l'arène de puis-
santes attaques et de pillages de la part des Slaves, Avares
et autres, attaques qui se portèrent jusqu'aux portes même
de Constantinople et en Péloponèse. C'est alors également,
c'est-à-dire dans la première moitié du VII e s., que s'effec-
tua la plus grande colonisation définitive des Slaves au sud
du Danube. Tous les documents contemporains en témoi-
gnent; tels, par exemple, la chronique d'Isidore de Séville
et de son continuateur, la géographie arménienne, dite de
Pseudo-Moïse de Khoréné, les actes de St-Démétrius de
Salonique, etc.

Les Slaves de la Macédoine


appartenaient à la branche orientale sud-slave.

Les Slaves du sud, avant de s'établir dans les contrées


qu'ils habitent aujourd'hui, occupèrent pendant un certain
temps les provinces de la Pannonie sur le moyen Danube
et la Dacie. A cette époque déjà, ils formaient deux bran-
ches distinctes au point de vue ethnique et linguistique, *)
la branche occidentale (pannonienne) et la branche orien-
tale (dacienne). Les Slaves pannoniens, qui se trouvaient
sous la dépendance politique des Avares, descendirent vers
l'Adriatique et s'installèrent entre cette dernière et le
Danube. Les Slaves daciens ne quittèrent pas tous leurs
habitations; la plupart de ceux qui demeuraient entre le

l
) Une unité linguistique slave n'existait pas non plus à l'époque de la
patrie commune des Slaves. Le connaisseur le plus attitré en matière de philo-
logie paléoslave, le professeur Jagié, conclut ainsi ses recherches sur cette ques-
tion: «Il est plus que vraisemblable, on peut même dire qu'il est certain, qu'à
l'époque préhistorique de la langue slave, alors qu'on pourrait supposer une
prélangue slave, existaient déjà pas mal de différences de dialecte. Il n'y eut
pas unité de langue paléoslave sans dialectes. » (Einige Streitfragen. 3. Eine
einheitliche slavische Ursprache? Dans l'Archiv fur slavische Philologie,
XXII, p. 38).
- 45 -
Danube et les Karpathes, y restèrent. En revanche, ceux
qui habitaient entre les Karpathes et la mer Noire traver-
sèrent le Danube pour uns en Mésie et en
s'établir, les
Thrace, les autres en Macédoine, Thessalie, Péloponèse et les
îles égéennes. La colonisation s'effectuait par tribus; ces

dernières portèrent dans leur nouvelle patrie leurs anciens


noms, leurs traditions et leurs dialectes, car à cette époque
déjà, les différents groupes de Slaves se distinguaient
par des divergences de language. Le professeur d'histoire
serbe à l'Université de Belgrade, St. Stanoévitch, dit à ce
sujet: «Toutes les tribus, installées dans les contrées
d'Okhrida et de Dèbre, la Morava bulgare et le Timok
à l'est, avaient une parenté linguistique et ethnique
étroite 1 ).»

En voici les principaux témoignages d'ordre historique,


ethnographique et linguistique. Ils attestent tous que les
Slaves mésiens, macédoniens, thraciens, thessaliens et mo-
réens formaient une vaste entité ethnique et linguistique,
qu'ils possédaient déjà dans leur patrie, au nord du bas
Danube (en Dacie):
1° — La géographie arménienne du VII e s., attribuée à
Pseudo-Moïse de Khoréné, relate: «Au sud se trouve la
Thrace proprement dite, au nord, la grande Dacie, dans
laquelle habitent 25 tribus slaves Ces Slaves, ayant
. . .

passé le fleuve Danaï (Danube), s'installèrent dans une


autre contrée, en Thrace 2) et en Macédoine, et pénétrèrent
même en Achaïe (Grèce) et en Dalmatie 3). »
2° — La chronique du couvent Castamonite au Mont
Athos relate que les tribus slaves des Rynchiniens et des

x
) du peuple serbe. Belgrade 1910, 2 e édit., p. 32 (en serbe).
Histoire
2
) Dans
Géographie arménienne, la Thrace englobait aussi la Mésie.
la
Cf. Géographie arménienne du VII e s. Texte et traduction. Publié par K. Pat-
kanoff. Pétrograde 1877, p. 18 à 22.

) K. Patkanoff, Extraits d'un nouveau manuscrit de la géographie


3

attribué à Moïse de Khoréné (« Journal du ministère de l'Instruction pu-


blique ». Pétrograde, n° 226, p. 26, en russe).
— 46 —
Sagoudates, s'étaient établies dans les environs de Salo nique,
venant de la Bulgarie « Pendant le règne des empereurs
:

impies, les iconoclastes, qui faisaient la guerre aux saintes


images, peuples des confins danubiens, les Rynchiniens
les
ainsi nommés, ou plutôt Vlacho-Rynchiniens et les Sagou-
dates, profitant de l'anarchie d'alors, après avoir occupé
étendus peu à peu dans différentes direc-
la Bulgarie et s'être
tions, conquirent la Macédoine.
Enfin, ils vinrent à la
sainte montagne d'Athos avec leurs familles, n'ayant ren-
contré aucune résistance. Quelque temps après, on leur
enseigna l'Evangile, ils y crurent et devinrent chrétiens
fervents 1). »

Les actes de St-Démétrius de Salonique relatant les


événements du VII e s., nous fournissent des détails sur ces
mêmes Rynchiniens qui habitaient à l'est de Salonique, et
sur les Sagoudates à l'ouest de la même ville 2).
3° —
Théophylacte, archevêque d'Okhrida, à la fin du
XI e s., parlant de l'établissement des Slaves en Thrace, en
Macédoine et en Illyrie (Albanie) établit clairement que ces
Slaves, plus tard dénommés Bulgares, venaient, non pas
de la Pannonie, mais de la Scythie, la Russie méridionale :

« Quand », écrit Théophylacte, « ce peuple (il s'agit des

Avares) se retira, un autre plus déloyal et cruel, le rem-


plaça: ce furent les Bulgares (= Slaves) ainsi nommés ve-
nant des confins de la Scythie Et, étant donné qu'ils
. . .

vainquirent toute l' Illyrie, l'ancienne Macédoine jusqu'à


Salonique et une partie de la Thrace, notamment les
environs de Berrcea (Stara-Zagora), Philippopoli et les
régions montagneuses adjacentes, ils s'y établirent en vrais
citoyens 3). »

*) P. Ouspensky, Histoire du Mont Athos, vol. III, p. 311 (en russe).


Le chroniqueur grec, défenseur des saintes images, place tendancieusement
la colonisation des Slaves au temps des rois iconoclastes, au VIII e au
, lieu du
VII e s.
2
) Tougard, De l'histoire profane. Paris 1874, p. 148, 150 et passim.
3
) Theophylactus, Historia martyrii XV
martyrum. Patr, grœca,
t. CXXVI, col. 189.
— 47 —
4° — Dans les notes supplémentaires à l'ancienne tra-
duction bulgare de Chronique de Manassès il est question
la
d'une première émigration des Slaves en Macédoine au dé-
but du VI e s. En effet, les colons venant de la Valachie,
traversèrent le Danube près de Vidin et se dirigèrent vers
la Macédoine qu'on désigne dans les anciens documents
bulgares sous le nom de «Terre inférieure» 1 ). D'après le
manuscrit de la Bibliothèque du Saint Synode de Moscou
on sait que: « Sous le règne de l'empereur Anastase (491 à
518) les Bulgares (lisez: Slaves) commencèrent à occuper ce
pays. En traversant le Danube à Vidin, ils se mirent tout
d'abord à occuper la Terre inférieure, celle d'Okhrida;
ensuite ils conquirent le reste du pays 2 ). »

5° —
Lorsque le prince Asparoukh passa au sud du bas
Danube, en 679, et fonda l'Etat bulgare dans la Mésie infé-
rieure, il trouva sept tribus slaves qui y étaient déjà ins-
tallées {SxXaocvœv idvcov ràç hfofièvaç Itctù. yevedfg); une autre
tribu slave, les Sévères, s'était établie plus au sud, dans
les cols du Balkan oriental ).
3

6° — Les Slaves
dans leur nouvelle patrie en Mé-
établis
sie, en Thrace et en Macédoine, conservèrent pour long-

temps leurs anciens noms de tribus d'au delà du Danube.


Ce fait ethnographique confirme les témoignages histo-
riques de l'unité ethnique de ce groupe de Slaves et l'idée
de leur issue d'un foyer commun antérieur se trouvant
d'abord dans la Russie sud-ouest, ensuite en Roumanie.

x
) Dans une charte du bulgare Constantin Assen de 1277, on lit:
roi
« Dans de la ville de Scopié».
la Terre inférieure, sur la colline Virpino, vis-à-vis
— (G. A. Ilinsky, Chartes des rois bulgares. Moscou 1911, p. 15, 112, en
russe.) L'appellation « Terre inférieure » est conservée de nos jours encore
chez les Bulgares de Macédoine pour désigner la contrée s'étendant depuis
Ostrovo et Vodéna jusqu'à Salonique.
2
) Recueil du ministère de l'Instruction publique, vol. VI, p. 328 (en
bulgare). — J. Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine, p. 145.

)
3
Theophanes, Chronographia. Ed. de Boor, p. 358, 359. — Nicephori
Breviarium. Ed. Bonnae, p. 40.
— 48 —
Ainsi le nom de la tribu russe « les Sévères » rappelle
celui des Sévères {Zèftspecç) établis avant 679 sur les cols
orientaux du Balkan. La tribu russe des Smolianes nous
rappelle la tribu du même nom, installée en Macédoine
orientale et en Thrace de sud-ouest. Les Drégovitchs russes
(dans Constantin Porphyrogénète Apoufoopizac) portent
:

le même nom que les Drougovites en Macédoine (dpooy ouftizat) 9

qui, au VI e et X
e s., habitaient au nord-ouest de Saloninbe,

et que l'archevêque D. Chomatiane signale plus tard (au


XIII e s.) vers Tétovo, en Macédoine septentrionale. D'après
la chronique du couvent Castamonite, les Sagoudates et les
Rynchiniens venaient aussi du nord et, après avoir séjourné
un certain temps en Bulgarie septentrionale, se sont ins-
tallés en Macédoine 1). La plaine entre les Karpathes et le bas
Danube, peuplée au cours du VI e et VII e s. de Slaves, por-
tait le nom de Slavinia (ï/.kautvid). Après l'établissement
d'une grande partie de ces Slaves en Macédoine, la dernière
est appelée par les Byzantins, aux VII e et VIII e s., Slavinies
de Macédoine. Le nom de l'ancienne ville russe de Pliskov
(aujourd'hui Pskov) rappelle l'ancien camp retranché bul-
gare Pliskov ou Pliskova. Les noms des villes russes Péréïa-
slavle et Péréïaslavets rappellent les villes bulgares: Pre-
slavets sur le bas Danube et l'ancienne capitale bulgare,
Preslav, etc.
7° —A l'unité ethnique des Slaves daciens descendus en
Mésie, en Thrace et en Macédoine correspondait une unité
linguistique. Les Slaves pannoniens, connus plus tard sous
le nom de Croates, Serbes et Slovènes, formaient de leur
côté un groupe linguistique à part, différent de leurs voisins
de l'est. La ligne de partage entre les deux branches longeait
le Danube depuis Budapest jusqu'à l'embouchure de la
Morava, suivait le cours de celle-ci jusqu'à ses sources, puis
se dirigeait à l'ouest pour aboutir à la mer Adriatique vers
les bouches du Drin. Le fait est attesté par l'ancienne
toponymie où l'on a conservé les particularités linguistiques
a
) V. plus haut, p. 46.
— 49 —
de la branche orientale, notamment l'emploi des sons cht,
n
jd (dj) eà, o , en , etc. Ainsi, la prononciation cht est con-
servée dans le nom même de la capitale hongroise Pest, et
dans d'autres Kis Pes-
localités hongroises: Pesty Frigyes,
têny, Nagy Pestény, Pestere, Pestes, etc. La prononciation
du vieux slave e comme ea, Ta, à est attestée dans la topo-
nymie de la charte de l'empereur Basile II de 1019:
SpàjuLoç, (au lieu de Srëmû), Ataaxoupx^bv (Lëskovïtsï),
HpcÇdpedva (Prizrënû), Zouvdèaoxa (So n tëska), etc. La même
charte donne la prononciation des voyelles nasales dans
les noms de localités comme: I(pevzèpo/j.ov (Sme n dérovo),
Zouvdèaaxa (So n têska). Les noms des localités ci-dessus
mentionnées: Pest, Sirmie (dpdjuos), Smédérovo, Lesko-
vets, Prizrend, etc., déterminent la ligne à l'est de la-
quelle étaient établis les Slaves de la branche orientale,
plus tard appelés Bulgares.
Une quantité de mots hongrois et roumains em-
pruntés à la langue des Slaves de Dacie confirment une
fois de plus la thèse énoncée. Tous ces emprunts at-
testent les particularités linguistiques propres aux popu-
lations slaves de la branche orientale, aujourd'hui ma-
gyarisées ou roumanisées, et dont les congénères habitent
encore la Mésie, la Thrace et la Macédoine. Nous ne
citerons que quelques exemples que nous ferons suivre
de l'ancienne forme bulgare dont ils dérivent. Dans le
hongrois: mostoha (machteha), mezsgye (mejda), rozsda
(rûjda), lencse (le n chta), szerencse (sûre n chta), ontok
(o tùkû), bolond (blo dû), donga (do n ga), gomba (go m ba),
n n

galomb (golo m bû), goromba (gro m bû), kondor (ko n drû),


konkoly (ko n kolï), kompona (ko m pona), koncz (ko n sû),
korong (kro n gù), lanka (lo n ka), munka (mo n ka), abroncs
(obro n tchï), pank (pao n kû), szombat (so m bota), czomszed
(so n sëdû), otromba (tro m ba), gerenda (gre n da), péntek
(pe n tûkù), rend (re n dû), szent (sventù), etc. Dans le rou-
main: grindâ (gre n da), gânsac (go n sûkû), colinda (kole n da),
mândru (mo n drù), munca (mo n ka), oglinda (oglen dalo),
4
— 50 —
rind (re n dû), sfînt (sve n tû), scump (sko m pù), stînjen
(se n jmù), sâmbâta (so m bota), etc. 1
).

8° — D'anciens documents dès


s. déjà, nous ont le VII e
laissé des indicestémoignant de l'unité linguistique entre
les Slaves de la Macédoine et ceux de la Mésie et de la
Thrace. Quant à la langue serbo-croate de cette époque,
elle présentait des particularités qui la distinguaient de la
langue liturgique slave, un dialecte macédonien. Le philo-
logue serbe L. Stoïanovitch, dans son discours de réception
à l'Académie des sciences à Belgrade, a démontré qu'au
X e s. déjà le serbo-croate différait sensiblement du vieux

slave liturgique 2). En ce qui concerne le système phonétique


du X e s., voici les analogies entre

le vieux slave liturgique de Macédoine et le serbo-croate

-Ê (à, eâ, ia) e


a (o n ) ou
a (e n) e
*(û)
}ù(i)
b (ï)

h (y) i

i\i (cht) é
mn (jd) dj
S (dz) z
Voici quelques exemples, dont la plupart sont tirés des
documents grecs concernant les noms de localités et de

x
) Pour plus de Die slavischen Elemente im Ma-
détails, Cf. Miklosich,
gyarischen. Wien (Denkschriften der Akademie der Wissenschaften,
1872.
XXI). —
Miklosich, Die slavischen Elemente im Rumànischen. Wien
1868. (Denkschriften der Akademie der Wissenschaften, XII). — O. Asbot,
Quelques notes, etc. (Bulletin de la section linguistique et littéraire de l'Aca-
démie des sciences à Pétrograde, vol. VII [1903], livre IV, p. 246 et suiv.).
— A. Byhan, Die alten Nasalvokale in den slavischen Elementen des Ru-
mànischen (Fùnfter Jahresbericht des Instituts fur rumànische Sprache zu
Leipzig. Leipzig 1898, p. 298 et suiv. —
A. I. Yatsimirsky, Les emprunts
slaves dans le roumain (Recueil d'études dédié à Lamansky, vol. II, p. 792,
819, en russe). — A. 1. Recueil dédié à A. I. Sobo-
Yatsimirsky, dans le
levsky par ses élèves et ses admirateurs. Pétrograde 1905 (en russe).
) Cf. « Glas » de l'Académie des sciences de Belgrade, vol. LUI, 14.
a
— 51 —
personnes en Macédoine slave: Le prince de la tribu
slave des Rynchiniens, à l'est de Salonique, est nommé
nspfioùvdoç (Ilp-kÔAHt, sh ou n ) dans les Actes de St-Dé- =
métrios de Salonique du VII e s. 1). Dans une charte de
982, relative à l'achat de terres en Chalcidique, les témoins
slaves portent les noms: Nicolas Tou Aedvxou (J]/btko,
-b =
eâ), Antoine Pw^xd^va (PAiKaBHHa, x* = o n ),
Basile, Stoïmir, Vlassi Vladko ). La charte de l'empereur
2

Basile II de 1019 mentionne ainsi les noms de localités


en Macédoine et dans ses confins: IlpiXaizoç (Ilpiui-fent,

£ = à), Aedftoh (JJ'BBOJI'B, = eâ), ïlpôaaxoo, (llpoC'EK'b, 'B

3j = â), loDVTiacrxov (C;ftT ECKa, * = ou n £ = ia), Ilpc^dpidva r


,

IlpHsp'BH'L, — ia). TpcàdcrÇa (Cp-Eabiib = Sofia, £ = ia,


-e

b = La chronique de J. Skylitsès du XI s.: JlpUanoç


i)
3
).
e

(-fc= à), BaXaohÇa (B'BJiacnua, = à), IJpôaaxoç = à), 'è (-E

Ilpcadiava = ia), le chef bulgare de Scopié Boïzd%oç


('è

(BonTExt, = â), etc. Théophylacte, archevêque


'fe
4
).

d'Okhrida, de la fin du XI e s.
Bpayal-qviz^a (Ep'ferajibHHiia,
:

•fc = â, b = i)
5
). La grande ville macédonienne de
Monastir, qui porte le nom slave de Bytolia (BbiTOJiia),

conserve dans ses anciens monuments l'ancienne conson-


nance bulgare avec «, y (= h): dans la géographie de
l'Arabe Idrisi dans l'itinéraire de
de 1153: Butili 6 );
Guillaume de Tyr qui visita cette ville en 1168: Butella 7 ).
Dans le practicon du monastère de Notre-Dame de Pitié,
près de Stroumitsa, de 1152, nous lisons les noms de
personnes et de localités suivants: Aeaaxo^kC,a (JI-BCKOBHija,
-B = eâ), AsanirÇa (JI'Ennija, 'B = eâ), Apsdvoftov (JJp-EHOBO,

x
) Tougard, De 148 et passim.
l'histoire profane, p.
2
) Macédoine, p. 22.
J. Ivanoff, Antiquités bulgares en

) Publiée par Goloubinsky, Esquisse de l'histoire des Eglises orthodoxes.


3

Moscou 1871, p. 259 et suiv. (en russe), et plus tard par H. Gelzer dans By-
zantinische Zeitschrift, vol. II (1893), p. 42 à 46.
*) Dans G. Cedrenus, Hist. Compendium, passim.
5
) Historia martyrii XV t. CXXVI, col. 201.
martyrum. Patr. graeca,
6
) Tomaschek, Zur Kunde
der Hâmus-Halbinsel. Wien 1887, Teil II, 73.
7
) Historia rerum in partibus transmarinis gestarum. Patr. latina,
t. CCII, col. 783.
— 52 —
-fe = eâ), Mnpsaovix (Bp È3HHKT>,
,
'fe = eâ), BedXrjv (E-ejihh'L,
£ = eâ) ). Démétrios Chomatiane, au commencement
1

du XIII e s., transcrit le nom de la ville de Tétovo en


Macédoine du nord par Xredro^o (pour Xt"etobo, = eâ). 'fe

Une charte de 1345 mentionne pour les environs de Serrés:


npcdaaxa (IIp^CEKa, 'B = ia, a), UpoiToxvkv^q (npoTOKHA3H,
ûi = e n) ). La bourgade de Lagadina, au nord de Salonique,
2

porte, dans les anciens monuments (G. Acropolita), le nom


de Aayyààa. (provenant de Ji*n>, a* = a n ). L'évêque de
la même bourgade porte, dans une lettre du pape Innocent
III, le titre de Langardensis (* = a n ) 3 ).
Les Slaves qui ont pénétré par la Macédoine en
Albanie et en Epire, appartenaient à la même branche
orientale. Dans la toponymie de ces provinces, on rencontre
des noms tels que: Sventogorani (CBAToropaHH, a = e n )
dans une charte de 1274 4 ); Apeavoficoxôç (flp'BHOBO, ^ = eâ)
dans le poème de Manuel Philos de 1305 5); dans une
charte de 1321 Tptareauixov (TptCT'EHHK'b, 1* = eâ), dpedvoftov
:

(3p-BH0B0, 'B eâ) 6 ). =


Les emprunts lexicaux de jadis faits par les Grecs,
les Albanais et les Koutsovalaques à la langue des Slaves
de Macédoine sont aussi très instructifs. On retrouve
dans ces mots empruntés l'ancienne prononciation carac-
térisant les dialectes de la Macédoine, de la Thrace et
de la Mésie, distincte de celle de la langue serbo-croate.
Ainsi, les Koutsovalaques prononcent: Pirliap (IlppurEnt,
-fe =
ia), Preaspa (Ilp-Bcna, ea), neveast (HeB-Bcma,-fe =
*) Le Petit, Le monastère de Notre-Dame de Pitié (dans le Bulletin
de l'Institut archéologique russe à Constantinople, VI, p. 34 à 46.)
2
) Miklosich et Millier, Acta et diplomata graeca, t. V, 113, 114.
3
) 0. Tafrali, Thessalonique au XIV e siècle. Paris 1813, p. 92.
*) Hahn, Reise durch die Gebiete des Drin und Wardar. Wien 1867,
p. 277.
') Lopareff, Le poète byzantin Manuel Philos. Pétrograde 1891, p. 53
(en russe).
Xpovoypayia
'
6
) ApafîavTcvôç, rrjç 'Hnelpoo. ^Ev ''A&rjvouç
1856—57, II, p. 304, 305.
— 53 —
£ zmeana (H3MfcHa, £ = ea), streaha (cTp-fcxa,
= ea),
-fe = ea), (= le vent du nord, cfeBepi>, 1s = ea),
seaverle
etc. Le grec moderne des parages sud-macédoniens con-
tient aussi de pareils emprunts: la haute montagne de
la Macédoine du sud, Ch'Êjkhhk'b, est appelée par les
Grecs 2ved&xo (£ = ea), ipœuoç, (xp-fen-b, -fe = à), zoadfjXa
(irtiiiHJiKa, 'fc = a), oavôç (cêho, £ = à), etc. Le nom
de la Leaskovik,
ville en Albanie méridionale, atteste
aussi la prononciation archaïque,
r
fc = ea (JLfccKOBHK'L) 1 ).
Enfin, le dialecte moderne de la Macédoine slave, diffère
essentiellement du serbo-croate, soit par ses archaïsmes,
soit par ses formes nouvelles, qui dérivent de l'ancienne
langue liturgique; il constitue l'ensemble de la langue
parlée en Mésie et en Thrace. Nous en parlerons plus loin.
Quelques mots sur la branche occidentale des Slaves
du sud.
Les Slaves pannoniens, les futurs Serbes, Croates et
Slovènes, s'installèrent au VII e s. dans les provinces nord-
ouest de la péninsule balkanique. A la fin du VI e s., soit en
586 à 587, 598, 600 et 602, ils intensifièrent leurs attaques
contre l'Italie et l'Istrie, conquirent la Dalmatie et s'y éta-
blirent pendant le règne de Phocas (602-610). Du temps
d'Héraclius, l'empereur suivant (610-641), se fit la plus
grande colonisation des Serbo-Croates dans les pays qu'ils
occupent de nos jours. Les seuls renseignements que nous

*) En ce qui concerne les emprunts slaves au grec, cf.: Miklosich,


Die slavischen Elemente im Neugriechischen (Sitzungsberichte der Akademie
der Wissenschaften. Wien, B. LXIII). — D. Matoff y Etudes gréco-bulgares
(Recueil du Ministère de l'Instruction publique. Sofia. Vol. IX, 21 et suiv.,
en bulgare). — M. Fasmer, Etudes gréco-slaves (Bulletin de la section lin-
guistique et littéraire de l'Académie des sciences à Pétrograde. Vol. XI, XII,
en russe). — Hilferding, Ouvrages réunis. Vol. I, p. 281 296 (en russe). —

P. A. Lavroff a touché la question dans une critique (Journal du Ministère
de l'Instruction publique. Pétrograde, n° 336, en russe). — S. Mladénoff
dans sa critique sur le travail cité de Lavroff (Revue périodique. Sofia.
Vol. LXIII, en bulgare). — L. Niederle, Antiquités slaves. Vol. II, 441 et
suiv. (en tchèque). — V. Vassileff, Les Slaves en Grèce (Vyzantiisky Vré-
mennik, vol. V, 436 et suiv., en russe).
— 54 -
avons sur ces événements émanent de l'empereur Cons-
tantin Porphyrogénète, X
e s. Malgré leur
caractère légen-
daire par endroits, étant puisés à des sources officielles, ils
constituent au fond le seul document historique qui relate
la dite colonisation.
« Le pays des Croates, raconte entre autres Constantin

Porphyrogénète, s'étend depuis la rivière de Tsétina 1 ),


englobe le littoral jusqu'aux confins de l'Istrie, notamment
jusqu'à la ville d'Alboun et dépasse même la province is-
trienne. Du côté de Tsétina et de Khléviana, le pays croate
touche à la Serbie. Cette dernière s'étend à l'est, ayant
au nord les Croates, au sud les Bulgares. » En ce qui con-
cerne l'établissement des Serbes, le même écrivain relate:
« Les Serbes, après avoir traversé le Danube, prièrent l'em-
pereur Héraclius, par l'entremise du gouverneur de Bel-
grade, de leur assigner une autre habitation. Et puisque la
Serbie actuelle ainsi que la Paganie, la contrée des Zakhlou-
miens, celle des Kanalites et la Travounie avaient été dé-
vastées par les Avares (ils en avaient chassé les Romains
qui vivent actuellement en Dalmatie et à Durazzo), l'em-
pereur installa sur ces terres les Serbes qui devinrent ainsi
sujets de l'empereur des Romains» 2 ).
Les recherches des spécialistes modernes sur la colo-
nisation des tribus serbes ont abouti aux mêmes résultats :

elles placent l'établissement des Serbes entre le Danube, la


Morava et la mer Adriatique. Nous n'en citerons à cet
égard que le du professeur tchèque
dernier travail capital
Iretchek, sur l'histoire des Serbes. Iretchek détermine
ainsi les frontières de l'ancienne résidence serbe: « Le terri-

toire entre les rochers du Monténégro et ses alentours et le


bassin de la Morava est la plus ancienne et la plus du-
rable demeure du peuple serbe. » Et ailleurs « Parmi les :

tribus slaves qui sont descendues dans la péninsule balka-


nique, les Serbes proprement dits s'étaient établis à l'origine

x
) En Dalmatie, à l'est de la ville de Spliet (Spalato).
2
) De Thematibus, 30, 32.
- 55 —
dans l'intérieur du pays, un peu loin du Danube et de la
mer, dans les vallées des fleuves Lim, Ibar et Morava oc-
cidentale. » Ou encore « Le pays des Serbes proprement
:

dits embrassait ainsi le territoire du Lim et de la Drina


supérieure, avec la Piva et la Tara, la vallée de l'Ibar et le
cours supérieur de la Morava occidentale» 1).
Les Slovènes, ce petit peuple slave d'environ 1,500,000
âmes, occupe actuellement le territoire entre la rivière
Mour, le Mont Triglave, l'Isonzo et le littoral adriatique
jusqu'à Trieste et Fiume, ainsi que la partie nord de l'Istrie.
Les plus anciens monuments en langue slovène, ainsi que
le slovène moderne, témoignent dans certains cas d'une af-
finité avec la langue bulgare plutôt qu'avec la langue serbo-
croate, circonstance qui fit naître chez le grand philologue
slovène B. Kopitar l'hypothèse d'une ancienne unité terri-
toriale et linguistique slovéno-bulgare. L'établissement
postérieur des Serbo-Croates entre les Slovènes et les Bul-
gares aurait coupé en deuxle peuple slovéno-bulgare d'autre-
fois 2
). Séparées depuis, les deux branches continuèrent
leur vie à part et les nuances de leurs dialectes s'accentuèrent
de plus en plus pour aboutir à deux langues modernes assez
distinctes l'une de l'autre 3).

Les Slaves macédoniens adoptent le nom politique


et national de Bulgares.

Parmi les tribus slaves qui s'étaient établies en Macé-


doine, les documents grecs mentionnent: les Berzites, dans
la Macédoine centrale et occidentale, entre le Vardar et le
lac d'Okhrida; les Drougovites, entre Monastir et Salo-

) C. Jirecek, Geschichte der Serben. Gotha 1911. Vol. I, 9, 10, 120. (Le
x

travail de Iretchek a été traduit en serbe d'après le manuscrit par Y. Rado-


vitch, professeur d'histoire à l'Université de Belgrade).
2
) B. Kopitar, Glagolita Glozianus, Vindobonse 1836, p. XXX, XXXI.
3
) Il se peut même que
Slovènes descendaient de la branche orien-
les
tale des Slaves du sud, notamment de ceux qui occupaient la Hongrie
actuelle.
— 56 —
nique; les Sagoudates, entre Salonique et Verria; les Ryn-
chiniens, entre Salonique et Strouma;
Strymoniens oc-
les
cupaient le cours moyen et inférieur de la Strouma; les
Smolianes, à l'est, occupaient la région de Drama et le
cours moyen de la Mesta. A ces Slaves macédoniens se
rattachaient les Slaves qui avaient pénétré en Thessalie, au
Péloponèse et dans l'Archipel: les Vélégézites, les Voïou-
nites, les Milingues et les Yezertsi, etc. L'élément slave s'ins-
talla de même dans certaines parties de la presqu'île de
Chalcidique, colonisée depuis des siècles par des Grecs.
Jusqu'au commencement du IX e s. les Slaves macé-
doniens vivaient groupés en petits Etats à la tête desquels
se trouvaient les princes du clan. Ceux qui habitaient les
environs immédiats de Salonique étaient soumis à cette
ville, tout en conservant leur indépendance intérieure, ou
étaient considérés comme ses alliés. Les autres tribus de-
meurèrent tout à fait indépendantes guerroyant avec les
Byzantins, soit en entreprenant des expéditions contre la
ville de Salonique et les îles égéennes, soit en repoussant
les troupes byzantines dirigées contre eux 1 ). Vers le milieu
du IX e s., la plupart des Slaves macédoniens firent
partie de l'Etat bulgare fondé par les « Prébulgares ».
En 865, le prince bulgare Boris convertit tout son peuple
au christianisme et déclara la nouvelle confession religion
d'Etat.
On appelle « Prébulgares » ce peuple guerrier touranien
dont une horde, ayant à sa tête le chef Asparoukh, traversa
en 679 le bas Danube et posa en Dobroudja les assises d'un
nouvel Etat dans la péninsule balkanique. Leur forte orga-
nisation militaire permit à ces Prébulgares d'englober, de
force ou bénévolement, les tribus slaves ennemies de By-
zance. Grâce au grand nombre de la population slave et au
christianisme qui, par les mariages mixtes, contribuait à la

x
) Tougard, p. 118 et suiv. — Theophanes, Chrono-
De l'histoire profane,
graphia. Ed. De
Boor, p. 347, 364, 430. —
Joannes Cameniata, De excidio
Thessalonicensi. Ed. Bonnse, p. 495, 496, 514.
— 57 —
fusion des vainqueurs et des vaincus, la horde relativement
petite des « Prébulgares » d'Asparoukh fut engloutie par
les Slaves, et à la place des appellations locales des tribus,
les Slaves adoptèrent le terme politique unifié des vain-
queurs «Bulgares», tout en conservant leurs particularités
ethniques et la langue slave, à l'instar de la fusion des
Francs en Gaule, des Variagues (« Russes ») en Russie, etc.
Tant que dura le processus d'assimilation, les Slaves se dé-
nommèrent souvent différemment des Prébulgares » leur << ;

langue, qui contribua au développement d'une vaste littéra-


ture, porta longtemps encore la dénomination de « langue
slave ». L'assimilation terminée, la langue slave, jusqu'alors
commune, commença à s'appeler « bulgare », alors même
qu'elle différait complètement de celle des « Prébulgares ».

La fusion entre « Prébulgares » et Slaves avait com-


mencé, même avant Asparoukh, dans la principauté au nord
du Danube. Deux princes prébulgares, prédécesseurs d'As-
paroukh, portaient des noms slaves: Gostoun et Bezmer 1).
On voit de bonne heure apparaître les Slaves dans la
vie politique du royaume bulgare au sud du Danube. Ainsi,
à la tête de la délégation bulgare, envoyée par Kroum à
Constantinople en 809, pour négocier la paix, se trouvait
le slave Dargamir 2). En outre, les fils du souverain bulgare
Omortag (814 à 831) portaient des noms slaves: Nravota ou
Voïn, Zvinitsa, Malomir 3). Dans la délégation bulgare
chargée de négocier un traité d'alliance avec Louis le Ger-
manique, en 864, figuraient aussi des Slaves. A cet égard,
il est intéressant de noter les noms slaves des personnes de

la cour princière de Boris en 869, qu'on trouve dans le


manuscrit de Cividale: Bogomila, Vélégnève, Sobeslava,
Hrsaté. L'héritier de Boris s'appelait Vladimir. Au cours
du même IX e s., les deux premières capitales portent des

*) Dans la chronique généalogique des princes bulgares.


2
) Theophanes, Chronographia, 497.
3
) Theophylactus, Historia martyrii XV martyrum, P. gr. CXXVI,
col. 193.
— 58 —
noms slaves: Pliskov, Preslav, etc. Au X e s., l'assimilation
des « Prébulgares » fut si complète que le royaume de Bul-
garie était considéré comme le premier Etat slave par ex-

cellence. Déjà en 886, les disciples des apôtres slaves,ex-


pulsés de la Moravie par le clergé allemand, ne songèrent
qu'à la Bulgarie slave où ils trouvèrent un accueil fraternel *).
Vingt ans après, en 906, par suite des ravages causés par
l'invasion hongroise, une partie de la population morave et
slovaque trouva l'hospitalité et le salut dans la même Bul-
garie slave 2).
Plusieures causes contribuèrent à la fusion des deux
races et à l'annexion de la Macédoine au royaume et à la
nationalité bulgare. Tout d'abord ce fut l'animosité qui
régnait chez les Bulgares (Slaves de Mésie et de Thrace) et
chez les Slaves macédoniens envers Byzance, ce qui réunit
Bulgares et Macédo- Slaves dans une action militaire com-
mune, dirigée contre les Byzantins, telles, entre autres, les
opérations de 688, 758, 759, 762 et 765. Le Salonicien
Jean Caméniate (904) en racontant la manière de vivre des
Slaves macédoniens à l'ouest de Salonique, poursuit: « Ils
sont en relations commerciales avec les Bulgares depuis les
temps anciens, d'autant plus qu'ils vivent la même vie et
ont les mêmes besoins. Une paix profonde et merveilleuse
règne entre eux 3
» ). L'unité ethnique entre Slaves macé-
doniens et Slaves bulgares facilitait le projet des princes de
l'Etat bulgare de réunir sous leur sceptre tous les Slaves
voisins. Et tandis que les Slaves macédoniens collaboraient
dans ce but, les Serbo-Croates, se considérant comme un
groupe ethnique différent, répondirent aux tentatives des
princes bulgares par une action armée. L'unité de langue,
la littérature commune, le christianisme, le rite orthodoxe

*) « Vie de St-Clément d'Okhrida » par Théophylacte. Cf. l'édition de


Fr. Miklosich ou celle de Migne.
) Le fait est attesté par l'empereur C. Porphyrogénète (De Admini-
2

strando imperio, cap. 41) et par « La vie de St-Naoum », un document con-


temporain (J. Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine, p. 53, 54, 58).
3
) Cameniata, p. 496.
— 59 —
grec de Mésie, Thrace et Macédoine contribuèrent fortement
à cette fusion.
Une fois l'assimilation commencée, les rois bulgares
eux-mêmes en devenaient les instruments. En effet, Boris
offre d'hospitalité en 886 aux disciples des apôtres slaves,
Cyrille et Méthodes Clément, Naoum, Angélarius, Constan-
:

tin, etc., et il envoie Clément en Macédoine. Son successeur,

Siméon, y envoie Naoum. Boris lui-même se retire dans ses


vieux jours dans les monastères de Preslav et donne l'e-
xemple de l'abnégation chrétienne. Le frère et les neveux
de Boris invitent les jeunes littérateurs au travail en langue
slave; Siméon le Grand, lui-même ami des lettres, entasse
des livres slaves dans son palais et devient ainsi un nouveau
Ptolémée pour la terre bulgare. encourage les travaux
Il

ecclésiastiques et littéraires en Macédoine, sous la direction


de Clément, Naoum et leurs disciples. Il dirige dans la Bul-
garie danubienne une école littéraire, entouré de Jean
Exarque, de l'évêque Constantin, du prêtre Grégoire, etc.
C'est ainsi, qu'enfin, grâce aux conditions ci-dessus
indiquées, se produisit l'assimilation physique et morale
des deux races et que naquit le nouveau peuple,
les Bul-
gares, de langue slave « L'élément touranien,
le bulgare ».

relativement minime, se fondit à tel point dans la majorité


slave, qu'il ne resta aucune trace de la langue prébulgare
dans le bulgare moderne.
De tous les peuples, dont le sort avait été lié aux
Balkans et qui ont séjourné en Thrace, en Mésie et en
Macédoine, tels que les Celtes, Romains, Huns, Avares,
Slaves, Byzantins, Turcs, seul le peuple bulgare, grâce à sa
ténacité, put surnager au cours des siècles. Et si la natio-
nalité se détermine par la conscience de l'unité manifestée
dans la langue, l'origine, les coutumes, la manière de vivre
et les tendances communes, le peuple bulgare a toutes ces
qualités. Bien plus, il forme un noyau compact dans les
Balkans; il a été au bénéfice d'une histoire unifiée; il a
eu des joies et des souffrances communes, une religion,
— 60 —
une seule langue et une seule littérature, particularités qui
font défaut à la plupart des nationalités voisines. Les Bul-
gares de Macédoine ont fait durant des siècles partie inté-
grante du patrimoine bulgare commun; c'est ce que nous
allons démontrer dans les pages suivantes.

Les Bulgares macédoniens au moyen âge.


Luttes gréco-buigares.

Depuis la colonisation de la Macédoine par les tribus


slaves au cours des VI e et VII e s., ce pays a été jusqu'à nos
jours fermé pour la race hellène, excepté ses confins les plus
méridionaux, où se poursuit la lutte des deux éléments,
grec et bulgare. Les vicissitudes politiques facilitèrent tan-
tôt l'expansion grecque, tantôt celle des Bulgares. Les fon-
dements de la force grecque étaient les villes mêmes de
Salonique, Serrés, Verria, Castoria et les agglomérations
rurales de la Chalcidique, du Pangée et du Roumlouk.
Lorsque le pouvoir bulgare s'affermit dans la Macédoine
méridionale, comme par exemple, aux XIX e e XIII e s., , X ,

l'élément grec se mit automatiquement sur la défensive,


cramponné qu'il était seulement à Salonique et sur quelques
points du littoral égéen. Mais, même dans ces cas, l'élément
bulgare ne manqua jamais à ces bastions de l'hellénisme.
Salonique, la première forteresse de l'hellénisme en
Macédoine, était entourée de tous côtés de Bulgares dès
le moyen âge; elle ne communiquait avec le reste du
noyau grec que par mer. Les stèles monolites qui mar-
quaient la frontière méridionale de l'Etat bulgare en 904
furent érigées à 20 km. seulement au nord de Salonique 1 ).
Une forte colonie bulgare s'établit dans la ville même; au
marché on parlait le bulgare. Le comptoir commercial de

*) Pour ce qui concerne la découverte de ces stèles et les inscriptions


qu'elles portent, Cf. Bulletin de l'Institut archéologique russe de Constan-
tinople, vol. III, 184 à 194. — J. Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine.
Sofia 1908, p. 7 à 9 (en bulgare).
— 61 —
l'Etat bulgare fut transféré au X
de Constantinople à
e s.

Salonique. C'est dans cette dernière ville également que


naquirent les apôtres bulgares et slaves, les saints Cyrille
et Méthode (IX e s.); c'est en dialecte vieux bulgare de la
région de Salonique qu'ils prêchèrent l'évangile parmi les
peuples slaves, et c'est dans ce dialecte enfin qu'ils tradui-
sirent les saintes écritures et posèrent ainsi les bases de la
littérature bulgare ancienne. Les écrivains grecs, comme
Athanase de Paros, dans son acrostiche, devaient célébrer
Salonique, quelques siècles plus tard, comme phare du bul-
garisme 1).
du premier royaume bulgare que s'af-
C'est à l'époque
fermit sentiment national bulgare en Macédoine. Plu-
le

sieurs conditions y contribuèrent: la puissance de l'Etat


bulgare tout d'abord, où Byzance, le représentant de l'hellé-
nisme, s'y maintenait à peine à Constantinople moyennant
un tribut qu'elle devait payer à la Bulgarie. En second
lieu, ce fut l'effervescence religieuse et littéraire, à laquelle
la Macédoine bulgare prit une part considérable. La Macé-
doine donna au peuple bulgare ses premiers saints: les
frères Cyrille (m. en 869) et Méthode (m. en 885) de Salo-
nique, Clément d'Okhrida (m. en 916), Naoum d'Okhrida
(m. en 910), Jean de Ryla (m. en 946), Prohor Pchinsky du
district de Koumanovo (XI e s.), Gavril Lesnovsky du dis-
trict de Kratovo (XI e s.), Yakim Ossogovsky du district de
Kriva-Palanka (XI e s.).

*) Ecç tt]v 7repi(favfj deooaùovixrjv, zrjv èvejxdùaav zobç Oeocpo-


pouç xal loaTTOGTÔÀovç xrjpoxaç z?jÇ BovXyapiaç KùpdXov xal Medà-
diov, OlifOl TZoltZtXOV
^OXftcœzdzr) ndXat ou, nofoç SeoaaXovixr}*
Ilacplç yàp %p7}fjLa~Loaoa zwv vècov ''anoozbXwv,
^Andoaç Ô7iep7JÀa(jaç, zàç âUwç ô^ou/usvaç'
^Pâaza de zouzo àeixvuacv vuv àvacpavelaa,
-fj

c
I(7Topecov -fj SaujuaoTT], xal Çsvœv poazoypdcfoç'
e
'Odev xal yapiOT-qpca, Tidvzoiv BooÀydpœv Idvq,
loi âià KùpdXov zbv obv, abv xaatfvqzœ 6ùec.
— 62 —
Dans le même ordre d'idées, les tsars bulgares considé-
raient comme un devoir sacré de veiller à la sécurité du nou-
veau culte, de fonder des monastères, de bâtir des églises et
d'accorder leur protection aux pères de l'Eglise et aux écri-
vains religieux. Déjà le premier souverain bulgare chrétien,

Boris, avait fondé à Brégalnitsa (Macédoine du nord) une


église somptueuse et avait envoyé en mission apostolique
dans la Macédoine occidentale, Clément, un des plus fer-
vents élèves des saints Cyrille et Méthode. Clément visitait
la contrée, prêchait l'évangile, ouvrait des écoles pour
grands et petits et bientôt le nombre de ses élèves s'éleva
à 3500. Il fonda trois églises à Okhrida; l'une, le célèbre
couvent, portant son nom 1 ). En 900, fut bâti sur les bords
sud du lac d'Okhrida un autre sanctuaire, le couvent de
saint Naoum, un autre élève des apôtres slaves, que le tsar
bulgare Siméon avait envoyé en mission en Macédoine pour
remplacer Clément 2 ). Plus tard, au X e s., le tsar bulgare
Pierre érigea le monastère de Ryla et le monastère Saint-
Georges près Scopié, du siècle suivant, la Macédoine septen-
trionale s'enrichit encore de trois couvents: un à Pchinia,
l'autre à Lesnovo et le troisième à Ossogovo. La Macédoine
de l'ouest, elle aussi, avait ses couvents renommés ceux de :

Bigor et de Pretchista. Parmi les écrivains ecclésiastiques


de cette époque brillent surtout les noms de Clément et de
Naoum, tandis que Hrabre, toujours à la brèche, déploie en
Macédoine l'étendard de la défense nationale bulgare et
chante les lettres bulgares, contre les Grecs, négateurs des
droits, de la langue et de la littérature bulgares.
Enfin, à l'affermissement du sentiment national bul-
gare en Macédoine contribua surtout le transfert à Okhrida
de la capitale et du Patriarcat bulgares.

x
) L'œuvre apostolique et littéraire de Clément parmi les Bul-
gares de Macédoine est décrite magistralement par un Grec, l'archevêque
Théophylacte Bioç xac noforsia, etc. (édit. de Fr. Miklosich, de Migne, etc.).
:

2
) Cf. «La vie de Naoum», du X e
s., découverte au Mont Athos par l'au-
teur de ce livre: J. Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine, p. 50 et suiv.
— 63 —
Au moment même où, en 1018, Byzance fit main basse
sur la Macédoine, le bulgarisme y au point de
était si fort
vue ethnique et moral, que le vainqueur fut obligé de main-
tenir l'autonomie intérieure du pays et ses droits ecclésias-
tiques. A cet effet, la ville de Scopié fut désignée par les
Byzantins comme capitale des ducs de Bulgarie et Okhrida
comme siège de l'« Archevêché de toute la Bulgarie »; l'exis-
tence de cet archevêché s'est prolongée durant sept siècles
et demi, depuis 1018 jusqu'en 1767, et a fait de la ville
d'Okhrida le sanctuaire le plus vénéré de la patrie bulgare.
L'archevêché bulgare d'Okhrida avait sous sa juridiction
une trentaine d'évêchés, entre autres ceux de Monastir,
Castoria, Scopié, Vélès, Vodéna, Stroumitsa. Les arche-
vêques, quoique Grecs pour la plupart, maintenaient l'au-
tonomie de l'Eglise bulgare et respectaient les privilèges
qui lui avaient été octroyés par l'empereur Basile II. Ils
reconnaissaient tous le caractère bulgare du pays et por-
taient avec une certaine fierté le titre d'« archevêques bul-
gares». Théophylacte, à la fin du XI e s., protesta énergique-
ment contre le Patriarcat grec de Constantinople qui avait
tenté de s'immiscer dans les questions d'ordre religieux en
Macédoine: «Il n'a rien à faire avec les Bulgares,» disait-il.
«Il n'a pas le droit d'ordination dans ce pays, qui possède son

archevêque autonome, pas plus qu'un autre privilège quel-


conque » x). Théophylacte s'intitulait « Archevêque de
Bulgarie » {àp^cemaxonoç Bo>j?<yapîag); Démétrios Choma-
tiane, «Archipâtre des Bulgares» (Troijuevdp^oç BouXydpcov)\
l'empereur Andronie II Paléologue affuble l'archevêque
d'Okhrida du titre «Pasteur des Bulgares» (xocu.r}v BooÀydpcov),
etc. Les évêques de Macédoine rivalisaient eux aussi de
zèle pour faire ressortir qu'ils étaient chefs spirituels du
peuple bulgare. Le métropolite de Monastir s'intitulait
« Exarque de toute la haute Bulgarie » (içap%og nda-Qç âvw
Boufyaptaç) ou bien « Exarque de toute la Macédoine
bulgare » (iÇap^oç Tïdaïjç Boulyapmf Maxeâovlag); celui de
x
) Theophylacti epistola XXVII. Ed. Meursio.
— 64 —
Castoria « Exarque de toute la Bulgarie ancienne » (è$ap%oç
nàorjç naXatâç BouXyapiaç) ou bien « Primat de toute la Bul-
garie » (npwTÔdpovoç, Tzâoyç, BooXyapiaç) ; celui de Stroumitsa
« Exarque de la Macédoine bulgare » (£Çap%oç BouXyapcxr^
1
Maxedoviaç), etc. ).

Les mêmes archevêques grecs d'Okhrida glorifiaient


dans leurs ouvrages les saints et les apôtres bulgares qui
avaient prêché en Macédoine en langue bulgare. Ainsi,
Clément d'Okhrida est célébré comme «luminaire de la
Bulgarie » ((pwarrjp rrjg BooXyapîag); Jean Vladimir est
« l'orgueil de la Bulgarie » (rrjç BouXyapiaç rb xaùyTjfia);
Cyrille et Méthode et leurs disciples sont « le salut des Bul-
gares, les colonnes de la Bulgarie » {BouXydpcov rj oœrqpia., rîjç
BooXyapiaç robç azùXooç), etc.

La domination byzantine auxXI e etXII e s., avons-nous


dit, ne changea en rien la physionomie ethnique de la Macé-
doine. Au contraire, le joug étranger poussa le Bulgare
macédonien à se révolter; la première révolution éclata
vingt ans après l'installation des Grecs dans le pays, en
1040. Ces événements sont racontés en détail par le con-
temporain Jean Skylitsès 2 ); ils témoignent de l'ardeur du
sentiment national des Bulgares macédoniens et de leurs
aspirations à la liberté. Le foyer de la première révolte
était la ville de Scopié, appelée par le chroniqueur « ancienne
métropole bulgare ». Dans l'espace d'une année, toute la
Macédoine, Salonique exceptée, assiégée par 40,000 insurgés

*) Cf. Daniel de Moskopolé dans le titre de son ElaajcofiXT] dcdaaxaXia


TZSptèyouaa Xe&xbv rer pdyXwaoov, etc., 2 e édit. de 1802. — Grigorovitch,
Esquisse d'un voyage dans la Turquie d'Europe, 2 e édit., p. 95, en russe; la
liste officielle des évêchés soumis au Patriarcat de Constantinople, dans le
Recueil de Rallis et Potlis: Hùvzayjua tojv deccov xai lepwv xavôvcov,
vol. V; Martin Krus, Turcograecia, p. 174- Ofeicoff, La Macédoine au point
de vue ethnographique, p. 217 J. Ivanoff, Les Bulgares en Macédoine, p. 83,
;

190, 272.
2
) dans G. Cedrenus, Historiarum compendium. Ed. Bonnse,.
J. Skyîitzes
II, 527. —
B. Prokié, Die Zusâtze in der Handschrift des Johannes Skyîitzes,
codex Vindob. hist. Graec. LXXIV. Mùnchen 1906, p. 35 à 36.
— 65 —
Bulgares, fut libérée du joug byzantin. Grâce aux troupes
mercenaires normandes,l'insurrection fut étouffée; le chef
des Normands, Haraldus, est glorifié plus tard dans les
chansons Scandinaves sous le titre de « Bolgara brennir »

(destructeur, incendiaire des Bulgares). La révolte reparut,


en 1067, enThessalie, alors peuplée en partie de Bulgares 1 ). En
1073, c'est-à-dire 30 ans après la première grande insurrec-
tion macédonienne, les Bulgares de Scopié levèrent de nou-
veau l'étendard de la révolte contre l'autorité grecque, bat-
tirent les forces byzantines sur le Char et proclamèrent
Constantin Bodin tsar des Bulgares. Okhrida, Castoria
firent cause commune avec Scopié 2). Cette fois, les Grecs,
pour étouffer l'insurrection, eurent recours à des troupes
franques mercenaires qui incendièrent, entre autres, le
palais royal bulgare, ainsi que l'église patriarcale à Prespa,
bâtie par le tsar Samuel, afin de faire disparaître en Macé-
doine tout vestige de l'existence d'un Etat bulgare 3 ). Un
autre soulèvement bulgare, dans les régionsen 1081,
d' Okhrida et de Vodéna, réussit à délivrer pour un certain
temps toute la Macédoine à l'ouest du Vardar. En 1097, les
Bulgares de la région de Monastir (Bytolia) se déclarent
indépendants et attaquent les croisés, venant de l'Adria-
tique, de passage par la Macédoine occidentale. Guillaume
de Tyr qui voyagea en 1168 à travers la péninsule balka-
nique et s'arrêta quelque temps à Monastir, en Macédoine,
atteste l'importance des terres bulgares encore soumises
aux Grecs et ajoute: « Les Bulgares, venus du nord, traver-
sèrent le Danube et s'installèrent, depuis ce fleuve jusqu'à
Constantinople et la mer Adriatique, en en occupant toutes
les régions. Ce peuple changea les noms et les frontières des

provinces de cette grande étendue de terre qui s'étend, dit-

*) Cecaumeni Strategicon. Ediderunt Wassiliewsky et Jernstedt. Petro-


poli 1896, p. 69 à 70.
2
) Skylitzes et Cedrenus dans les ouvrages cités, II, 715 à 717. — Prokic y
p. 35 à 36.
3
) Fr. RaZki dans le « Rad » de l'Académie de Zagreb, XXV II, 128.
5
— 66 —
on, 30 jours de marche en longueur et plus de 10 jours en
1
largeur. Cette terre s'appelle la Bulgarie » ).

Vers la fin du XII e s. la lutte des deux races reprit de


nouveau en Macédoine. L'insurrection bulgare de Tirnovo
en 1186 ressuscita le royaume bulgare. Dix ans plus tard,
en 1195, les troupes bulgares firent leur apparition dans la
Macédoine orientale, aux environs de Serrés, alors « peuplés
de Bulgares », comme l'affirme l'historien contemporain
grec Nicétas Choniate. L'armée grecque y fut défaite et
son chef, Alexis Aspiète, fait prisonnier 2). L'année sui-
vante, en 1196, les Bulgares de la Macédoine centrale pro-
clamèrent leur indépendance; leur chef, Dobromir Strez,
conquit les forteresses de Stroumitsa et de Prossek et choisit
cette dernière ville, sise au bord du Vardar (aujourd'hui
Démir-Kapou), pour sa capitale. L'intrépide roi bulgare,

Kaloïan (1197 1207), fit la conquête de presque toute la
Macédoine et tomba sous les murs de Salonique lors du
siège de cette ville.

Sous Assen II (1218 — 1241), dont l'empire touchait les


trois mers, la dernière bande de terre en Macédoine qui res-
tait sous la domination grecque, tomba au pouvoir des Bul-
gares, notamment après la bataille de Klokotnitsa, en 1230.
Dans cette bataille, l'empereur de Salonique, Théodore
Comnène, fut battu par les Bulgares et fait prisonnier avec
toute sa suite. Salonique, Verria, la Chalcidique et une
partie de la Thessalie formèrent un despotat dont l'adminis-
tration fut confiée par le roi bulgare Assen II à son gendre,
Manuel Comnène. Au Mont Athos (en Chalcidique), Assen II
confirma les privilèges du couvent bulgare « Zographe » et
le gratifia de nouveaux dons il y enrichit de même le Protat
;

et le couvent dit Lavra. Il donna des privilèges aux com-


merçants de la république de Raguse, dans leur commerce t

*) Guillelmi Tyrensis Historia rerum in partibus transmarinis gesta


rum, lib. II, cap. III, IV, XVIII.
2
) Nicetse Chonitae Historia. Ed. Bonnse, p. 612 — 613.
— 67 —
avec de Macédoine Salonique, Scopié, Prilep, etc.
les villes :

Cavalla, sur lamer Egée, portait alors le nom bulgare de


Morounets. Les Bulgares, dont les agglomérations entou-
raient Salonique devenaient de plus en plus un élément
important de la vie sociale et politique de cette ville au
XIVe s. Ils jouèrent un rôle très actif dans la guerre socio-
religieuse de Salonique, où le parti des Zélotes, composé pour
la plupart d'artisans et d'ouvriers bulgares, extermina un
jour la classe riche et dirigea un certain temps les destinées

de la ville. Grégoire Akindyne, Bulgare de Prilep (Macé-


doine), célèbre polémiste byzantin, était un des chefs des
Zélotes.

Vers le milieu du XIII e s., les Grecs acquirent la prio-


rité sur lesBulgares dans la Macédoine méridionale. La
mort du roi bulgare, Assen II, et les troubles dans les Bal-
kans permirent à l'empereur Vatace de s'emparer durant
les années 1246 —
1254 de toute la Macédoine. Cependant,
en 1254, le pays fut restitué au royaume bulgare, grâce au
soulèvement de la population contre le pouvoir grec. L'agi-
tation bulgare dans la Macédoine centrale, à Prilep, Velès,
Chtip, et l'insurrection du voïvode Dragota dans les gorges
de Roupel 1 ) en 1255, servirent de leçon aux empereurs grecs.
Ces derniers renforcèrent les anciennes colonies grecques
affaiblies et en fondèrent de nouvelles. Ainsi, la petite ville de
Melnik, qui au XI e s. était peuplée de Bulgares, reçut une
colonie grecque 2 ). La population rurale du département de
Serrés fut de même renforcée de colons grecs, les nommés
Darnakides, conservés jusqu'à présent et répartis dans
cinq villages Veznik, Dovichta, Topoliani, Soubach-Keuy,
:

Sarmoussakly. L'ancienne colonie grecque du Pangée a été


également renforcée par de nouveaux contingents de colons
grecs, sa position étant devenue désespérée elle était pres- :

que submergée par le flot bulgare.

*) Manuscrit grec n° 1238 à la Bibliothèque Nationale de Paris.


a
) G. Acropolita. Ed. Bonnae, p. 54, 115, 125.
— 68 —
Quant à la Macédoine centrale et celle du sud-ouest, sa
population bulgare est restée intacte. L'élément bulgare y
formait non seulement une majorité écrasante mais s'éten-
dait plus au sud, en Thessalie et jusqu'à l'Epire. L'historien
byzantin Nicéphore Grégoras, qui passa en 1328 avec une
mission diplomatique par Petritch et Stroumitsa, en té-
moigne suffisamment 1 ). Un autre byzantin, George Acro-
polite 2), parle de l'élément bulgare de Vodéna, Prilep, Vélès,
Chtip, etc, au XIII e s. Le chroniqueur byzantin Phrant-
zès 3 ) affirme que la Macédoine occidentale, gouvernée au
XIV e s. par le roi Marko, était bulgare. Quant au caractère
bulgare de la population de la Macédoine du nord, de la
même époque, il est attesté par les chroniqueurs turcs qui
racontent la conquête turque de ce pays, tels: Hodja Sea-
deddine 4), Ramazan-Zadé 5 ), etc. Ces auteurs appellent la
région de Kratovo, Koumanovo, Kriva-Palanka, Chtip,
Kustendil, Radovich, etc. « diar bolgare » (pays bulgare).
Au XIV e s. les Bulgares de Thessalie et de l'Epire n'étaient
pas encore grécisés. En 1336, l'empereur byzantin, Andro-
nic III, parle dans une de ses chartes des agglomérations
bulgares en Thessalie centrale 6 ). En 1423, les Bulgares de
Thessalie luttent contre Turcs et Grecs et arrivent même
à prendre la ville de Larissa 7 ). En 1379, Bulgares, Albanais
et Valaques de l'Epire se révoltent contre le gouverneur
serbe du pays, Thomas Prélubovitch 8 ).

*) Nie. Gregorœ Hist. Byzantinae. Ed. Bonnae, I, 375 à 379.


2
) Cité plus haut, p. 67.
3
) Chron. Ed. Bonnae, p. 54.
4
) Manuscrit turc à la Bibliothèque Nationale de Sofia, fol. 51.
6
) Manuscrit turc à la même bibliothèque, fol. 298.
6
) Heuzey et Daumet, Mission archéologique de Macédoine. Paris 1876,
p. 453.
') D. Urquhart, Der Geist des Orients. Stuttgart & Tubingen 1839,
Vol. I, 226.
8
) ^loropabv, Kofiv^vou zoy ptova%ou xai IIpôxÀou fiova%ob nepl
dtayàpcov dzonozcTjv tïjÇ 'Hneîpou, etc. Ed. G. Destounis. Pétrograde
1858 p. 21 à 22.
;
— 69 —
La domination serbe en Macédoine.
Dans le passé médiéval, la Macédoine connut encore
une autre domination politique, celle des Serbes. Cette
domination ayant été de courte durée et se heurtant à une
forte population bulgare, ne changea nulle part sensible-
ment l'ethnographie du pays. A la fin du XII e s., lorsque
le grand joupan serbe Némania réussit à réunir les tribus

sud-est serbes en un Etat, l'élément bulgare habitait encore


au nord du Char, c'est-à-dire en dehors des limites naturelles
de la Macédoine; la ville de Prizrend restait dans le cadre
ethnique bulgare. C'est ici que se réunirent les révolution-
naires bulgares et y levèrent l'étendard de la révolte contre
l'oppression byzantine. Prizrend tomba entre les mains des
Serbes seulement sous Ouroch I (1243 —
1276); la Macédoine
du nord, avec les villes de Tétovo, Dèbre, Scopié, devint
serbe sous Miloutine (1281 —
1321). Son successeur, Stéphan

Detchansky (1321 1331) occupa Vélès et Chtip. Son fils,

Stéphan Douchan (1331 1355) réalisa les derniers succès
en conquérant progressivement toute la Macédoine ainsi, ;

en 1334, il annexa à son Etat, Prilep en 1342, Vodéna, ;

Stroumitsa et Melnik, et en 1345 Serrés. Reconnaissant


l'importance de l'élément bulgare en Macédoine annexée,
le premier roi serbe, qui mit pied en Macédoine septentrio-

nale, Miloutine, s'intitulait déjà quelquefois entre autres «roi


des Bulgares 1
» ). De même, le dernier souverain serbe de ce
pays, Douchan, portait ce titre, ainsi qu'il appert des actes
officiels de ce prince 2 ).
Immédiatement après la mort de Douchan, en 1355,
une anarchie complète régna dans l'Etat serbe. St. Sta-

x
) V. Makoucheff, Les archives italiennes (Cf. le supplément au vol. XIX e
des Mémoires de l'Académie des sciences russe. Pétrograde 1871, n° 4, p. 13,
en russe).
2
) Monumenta slavorum meridionalium. Zagrabise 1870, vol. II, p. 278.
— S. Novakovitch, Le code de Stéphan Douchan. Belgrade 1898, p. 3 (en
serbe). — S. Novakovitch, Monuments juridiques. Belgrade 1912, p. 708 (en
serbe). — Miklosich, Monumenta serbica, p. 124, etc.
— 70 —
noïévitch, professeur d'histoire serbe à l'Université de Bel-
grade, décrit ainsi la situation dans la Serbie d'alors: « Du
vivant de Douchan, le pouvoir central et l'autorité du sou-
verain étaient solides; il était donc possible d'y maintenir
l'ordre et d'obliger les partis centrifuges et les éléments
séparatistes d'associer leurs intérêts et leurs tendances à
ceux de l'Etat. Il y en avait assez, de ces intérêts et de ces
tendances, vu que le royaume de Douchan était composé
d'éléments différents par leur nationalité, religion, tradi-
tions, culture et tendances politiques. Le roi Douchan
n'avait ni le temps, ni le talent, ni la force de niveler ces
éléments. Sa personnalité seule maintenait cette hétérogé-
néité et empêchait la décadence. Après sa mort, sous le

règne de Ouroch (1355 1371), prince faible, sans volonté,
ni énergie, sans talent, ni autorité, la dislocation com-
mença son œuvre .... Certaines parties n'étaient pas
encore solidement inféodées au centre créateur du royaume
de Douchan; les différentes provinces de ce grand Etat
n'avaient pas pu s'amalgamer en si peu de temps, s'adap-
ter aux mêmes intérêts, tendances et idéaux. Dans cer-
taines de ces provinces, on n'avait pas encore pu effacer
les traces d'autres groupements politiques, d'autres sphères,
d'autres influences culturelles, politiques et religieuses, et,

souvent aussi, d'autres fondements nationaux. C'est pour-


quoi, quelques provinces, indépendemment de leurs sou-
verains, désiraient atteindre le but en vue duquel travail-
laient leurs ambitieux dominateurs féodaux qui étaient
prêts à affaiblir le pouvoir royal pourvu que leur influence
en sortit raffermie » x).
On sait ce qui advint de cet Etat: il se morcela en
lambeaux ayant à leur tête, des maîtres indépendants. En
dix ans, tout ce qu'avait bâti Douchan s'écroula: la Macé-
doine occidentale se sépara et mit à sa tête Volkachine
qui se proclama roi à Prilep en 1366; son frère Ouglech
2
) Stanoïévitch, Histoire du peuple serbe. Belgrade 1910, 2 e édit., p. 142
à 143 (en serbe).
— 71 —
garda la Macédoine orientale, alors que les fils de Deïan
s'attribuèrent la Macédoine du nord. Dans les anciens do-
cuments, ces gouverneurs de provinces macédoniennes
peuplées de Bulgares sont appelés « princes bulgares ». Le
roi Marko, de Volkachine, porte ce titre, ainsi que l'at-
fils

testent les mémoires du serbe Mikhaïl d'Ostrovitsa 1). Le


Byzantin Phrantzès affirme que Marko gouvernait une
partie de la Bulgarie 2), alors que dans les mémoires de l'Al-
banais Jean Mosachi, il est dénommé «Marco, roi bulgare » 3 )
et que le Grec, Théodore Spandouyn Cantacuzène, l'appelle
«seigneur de Bulgarie» 4), etc. De même, le prince de la
Macédoine septentrionale, Constantin, fils de Deïan, est
inscrit comme «voïvode bulgare» dans l'ancien obituaire
du couvent de Pchinia 5). Les chroniques turques, celle de
Hodja Seadeddine 6) et de Ramazan-Zadé 7) parlent de Cons-
tantin comme du souverain de « terre bulgare » (diar bol-
gare), etc.
De ce qui précède il résulte que la Macédoine pouvait
bien se trouver dans le cadre de l'influence serbe tant qu'elle
était sous la dépendance directe de l'Etat serbe, et tant que
les forteresses et les villes de Macédoine ne pouvaient se
fortifierque par des garnisons et les colons serbes. La ville
de Serrés resta dix ans seulement (1345 1355) dans l'Etat —
serbe; Vodéna, Stroumitsa et Melnik 13 ans (1342 1355); —
Prilep 21 ans (1334—1355); Velès et Chtip 25 ans (1330 à
1355); Scopié, Tétovo et Dèbre 73 ans (1283—1355). Les
documents ne nous parlent pas de colonies rurales serbes
en Macédoine; les colons serbes accompagnaient les auto-
rités dans les villes et les forteresses. Cette période a été

*) Cf. la revue académique serbe « Glasnik », XVIII, 80.


2
) Chron. Ed. Bonnse, p. 54.
3
) Hopf, Chroniques gréco-romaines. Paris 1873, p. 273.
4
) Petit traité de l'origine des Turcs par Théodore Spandouyn Canta-
casin. Publié par Ch. Schefer. Paris 1896, p. 272.
5
) «Spoménik » de l'Académie des sciences serbe, XXIX, 9.
6
) Manuscrit dans la Bibliothèque Nationale de Sofia, fol. 51.
7
) Manuscrit dans la même bibliothèque, fol. 298.
— 72 —
très courte. Après la mort de Douchan (1355) aucune émi-
gration ne se produisit de Serbie en Macédoine. Les colonies
serbes qu'il y avait à Scopié 1), à Verria 2), à Kratovo 3) et
ailleurs se sont retirées,en partie, après la séparation de la
Macédoine du noyau de l'Etat serbe et, en partie, se sont
fondues peu à peu dans la majorité de la population locale
bulgare. Ce qui en restait fut paralysé complètement par
l'arrivée des Turcs. Les villes étaient peuplées de colons
turcs et la plus grande partie de la population chrétienne fut
ou bien turcisée, ou bien obligée de se disperser dans les
villages. La population actuelle urbaine bulgare de Macé-
doine dans sa majeure partie est récente; elle est venue des
villages environnants au XVIII e et XIX e s. On sait que
dans les villes comme Scopié, Kustendil, Chtip, Prilep, la
population chrétienne avait considérablement diminué et
se maintenait dans quelques quartiers excentriques, comme
par exemple à Novo-Sélo près Chtip, à Varoche près de
Prilep, àKoloucha près Kustendil, etc.
fit sentir une fois encore en Macé-
L'influence serbe se
doine; ce fut pendant la domination turque. Grâce au
Grand vizir, Mehmed Sokolovitch, frère du patriarche
serbe Makarius, le Patriarcat serbe d'Ipek fut restauré
(v. plus haut, p. 21) et la Macédoine du nord rattachée à
la juridiction spirituelle serbe pendant deux siècles (1557 à
1766). Les villes de Tétovo, Scopié, Chtip, Kustendil, Kra-
tovo, Samokov étaient gouvernées spirituellement par le
clergé supérieur serbe qui s'efforçait d'y implanter des tra-
ditions serbes. Cependant, les espoirs serbes vinrent se briser
contre le sentiment national bulgare de la population.

*) Des fonctionnaires principalement.


2
) Douchan envoya à Verria une garnisonserbe, quelques mercenaires
allemands et des notables serbes. Lors de la prise de la ville par les Grecs
(1350), toute la garnison serbe, forte de 1500 cavaliers, capitula. Le reste de
la colonie serbe s'enfuit plus tard en Serbie (Cantacuz. Historia. Ed. Bonnœ,
III, p. 120, 129).
3
) La colonie serbe àKratovo se composait d'employés des mines de
plomb et de quelques marchands ragusins.
- 73 —
L'autorité ecclésiastique serbe dut reconnaître elle-même le

caractère bulgare de la population de la Macédoine du nord,


comme du reste, une série
l'attestent, de documents con-
servés. Les patriarches d'Ipek s'intitulaient: «Patriarche
de tous les Serbes, des Bulgares, etc. » 1 ). La correspondance,
les notes laissées, les rapports des patriarches serbes té-
moignent du caractère bulgare des chrétiens de la Macé-
doine septentrionale, telles les notes et la correspondance du
patriarche Arsène Tchernoévitch, de 1686 2), de 1688 3 ), le
rapport du patriarche V. Brkitch, de 1771 4), etc. Des
documents grecs contemporains confirment ce fait 5 ). En
1766, le Patriarcat serbe fut supprimé et la Macédoine
du nord passa au pouvoir du Patriarcat grec de Cons-
tantinople.
L'élément serbe dans la Vieille Serbie et l'élément bul-
gare dans la Macédoine septentrionale subirent de grandes
pertes pendant les guerres austro-turques. En 1689 1690, —
les Autrichiens occupèrent la Vieille Serbie et pénétrèrent
en Macédoine jusqu'à Vélès, Chtip, Kustendil. La popula-
tion chrétienne prit les armes et s'allia aux libérateurs. Mais
lorsque les Turcs, à leur tour, battirent les Autrichiens, cette
population épouvantée s'enfuit en masse vers le nord avec
les Autrichiens en retraite. Cette fuite fut stimulée par le
patriarche serbe Arsène III, qui négociait avec l'Autriche
l'émigration de ses ouailles dans la monarchie danubienne,
qui avait besoin de colonistes pour ses frontières. Arsène
émigra en Autriche méridionale avec le clergé, les moines
et une grande partie de la population. La Vieille Serbie, le

1
) L. Stoïanovitch, Inscriptions et notes vieilles serbes, Belgrade, n° 645,
751, 806, 843, 1202, 1749. — « Spoménik » de l'Académie des sciences serbe,
LI, p. 106, 110.
2
) 1. S. Yastréboff, Contributions à l'histoire de l'Eglise serbe. Belgrade
1879, p. 83 (en serbe).
3
) « Spoménik », XXXVIII, 73.

') « Spoménik », X, 47, 54.


5
) redscov, "Eyfpacpa 7Zo.zpcap%cxd, etc., p. 55.
— 74 —
centre politique et spirituel serbe d'autrefois, se dépeupla.
Alors les Albanaismahométans descendirent des montagnes
voisines, envahirent la Vieille Serbie et la Macédoine
septentrionale, restées à moitié désertes, massacrèrent
une partie des chrétiens, s'installèrent dans leurs villages
dévastés et imprimèrent ainsi un nouveau cachet ethnique
à ces contrées. L'élément albanais se renforça en Vieille
Serbie et plus tard, en 1737, au détriment des Serbes, qui,
par suite de la guerre austro-turque, émigrèrent de nouveau
en Autriche. Les colons albanais formèrent une enclave
entre les tribus serbe et bulgare et pénétrèrent jusqu'à
Vrania, Leskovets et Nich. La Macédoine était séparée de
l'élément serbe par une forte ceinture de colonies albanaises,
notamment dans les districts de Tétovo, Scopié, Kouma-
novo, Préchovo. C'est ainsi que, grâce à ces fluctuations, prit
fin le voisinage direct de Serbes et Bulgares en Macédoine
septentrionale.

La domination turque.

L'invasion des Turcs dans la péninsule balkanique pro-


duisit de grands changements ethnographiques. L'occu-
pation de la Macédoine commença en 1371; elle fut com-
plète en 1430, avec la prise de Salonique. Après une longue
domination de cinq siècles, la force turque fut brisée par la
Bulgarie régénérée en 1912, sur les champs de bataille de
Lulé-Bourgas.
La domination turque dans la péninsule balkanique
peut être définie en deux mots: injustice complète et
arbitraire inouï envers la population chrétienne. Dès l'in-
vasion des Turcs, le sultan distribua la terre conquise entre
ses chefs féodaux militaires, et déclara la population chré-
tienne raïa (soumis) digne seulement de travailler comme
esclave les terres des fermiers turcs. La Macédoine avait le
malheur de posséder la plus grande partie de ces domaines
féodaux. Une partie seulement des chrétiens restèrent
— 75 —
maîtres de leurs terres, quoique surchargés d'impôts. Outre
des impôts ordinaires, le Bulgare macédonien souffrait sur-
tout de l'impôt capital dont on frappait seulement la popu-
lation chrétienne mâle au-dessus de 14 ans. Une autre
charge qui pesait lourdement sur les familles chrétiennes,
c'était le corps des Janissaires, la grande force mili-
taire de la Turquie d'autrefois. On y incorporait les plus
beaux enfants chrétiens âgés de 10 ans, qu'on arrachait
violemment à leurs parents, qu'on élevait dans l'islamisme
et qu'on dressait dans l'art militaire pour la défense de l'em-
pire et de la religion mahométane. Non moins lourde et
arbitraire était la corvée dont on chargeait des villages
entiers, en vue de la construction de forteresses, routes,
ponts, etc.
Les perturbations ethnographiques causées par les
Turcs furent les plus sensibles au début de l'invasion. La
population chrétienne des villes macédoniennes souffrit
avant tout. Massacrée, turcisée, ou emmenée en captivité
en Asie Mineure, la population urbaine de la Macédoine fut
réduite à une minorité insignifiante. Les villes colonisées
par des Turcs venus de l'Asie Mineure, reçurent une em-
preinte tout à fait orientale. Des colons turcs ruraux furent
installés dans les localités les plus fertiles de la Macédoine;
de plus, dans certaines régions macédoniennes la population
rurale bulgare fut contrainte à embrasser l'islamisme: ce
sont les ainsi appelés « Pomaks », ou autrement dit, Bulgares
mahométans.
Cependant, quoique mahométans, les Pomaks sont de
purs Bulgares de race et de langue. Ils ont conservé leur
langue maternelle, se tiennent à l'écart des Turcs, évitent
les mariages avec eux et ne connaissent pas la polygamie
islamique. De plus, ont conservé leurs us et coutumes,
ils

leurs anciennes traditions locales, ainsi que leurs chansons


populaires bulgares. Les Pomaks eux-mêmes appellent leur
parler « bulgare »; c'est sous ce nom du reste qu'il est connu
des Turcs qui affirment dans un de leurs proverbes:
— 76 —
A Constantinople on parle le mieux le turc,

à Elbassan l'albanais,
à Tikvech 1) le bulgare.
Le plus grand nombre des Pomaks embrassèrent l'is-
lamisme au XVI e s., au temps où, aux fins de consolider
l'empire, les sultans avaient turcisé systématiquement.
La turcisation fut très puissante encore au XVII e s. et vers
le début du XIXe s. elle disparut. Dans
Annales bul- les
gares relatives aux événements des XVI e et XVII e s.,
on lit
entre autres « Le sultan envoya en Macédoine son Grand
:

vizir avec une armée forte de 33,000, qui procéda à la turci-


sation du pays. Il commença par Drama pour finir avec la
Bosnie. Furent alors turcisés le Rhodope, Tchépino, Kroup-
nik, Kotchani ».
Les Pomaks connaissent leur origine bulgare, mais ils
en parlent sans plaisir. Ils sont illettrés, s'attachent plutôt
à la religion qu'à la nationalité et aiment à s'appeler Turcs.
Chez leurs voisins, ils sont connus généralement sous le
nom de Pomaks, quoiqu'ils portent aussi d'autres noms
locaux, comme par exemple celui de Torbeches dans la
Macédoine occidentale, celui de Dilsyses (c'est-à-dire «sans
langue » qui ne connaissent pas le turc) à Tikvech. La dé-
nomination Torbeche est la plus ancienne; elle tient son
origine des Torbeches Bogomiles, ancienne secte dualiste
bulgare qui la première embrassa l'islamisme comme ce fut
le cas des Bogomiles en Bosnie. Les Bogomiles avaient

l'habitude de porter toujours un sac en bandoulière où ils


mettaient l'évangile et la frugale nourriture qu'ils rece-
vaient de la charité publique. Pour s'en moquer, les Bul-
gares orthodoxes les appelaient Torbeches (porteurs de sac)
du mot « torba » (sac) et les Grecs, Phoundaïtes, du mot
« phounda » (sac). Dans l'Albanie septentrionale, les Bogo-

miles qui avaient passé au catholicisme portent de nos jours


encore le nom de Phounda.

x
) Région de la Macédoine centrale, peuplée de Pomaks.
— 77 —
Il y a en Macédoine environ 300 villages pomaks, dont la

plupart sont privés de population bulgare chrétienne; les


Pomaks atteignent le nombre de 154,410 individus. A l'ex-
ception du Rhodope, nulle part ailleurs, ne forment un
ils

groupe trop étendu. La plus grande agglomération pomak


est donc celle du Rhodope, 100 villages environ, dans les
districts de Nevrokop et de Drama. Des villages séparés de
ce groupe, qui probablement embrassèrent plus tôt la reli-
gion de Mahomet, se trouvent du côté de Cavalla; dans la
plupart d'entre eux, la population mâle est bilingue et
s'absorbera vite par la masse turque. Le long de la
Strouma se trouve le groupe de Kroupnik-Simitly avec six
villages pomaks. Dans le bassin de la Mesta supérieure est
situé le groupe de Razlog, avec sept villages pomaks. Les
Pomaks de la Brégalnitsa supérieure sont répartis en douze
villages. Sur le moyen Vardar est situé le groupe considé-
rable de Tikvech, avec environ trente villages à peu près
;

égal est le groupe Mogléna, dans les districts de Sâbotsko,


Vodéna et Enid je- Vardar. Dans les confins de la Macédoine
occidentale, les plus grandes agglomérations pomaks sont
celles de Kitchévo, environ 15 villages, et de Dèbre-Réka,
avec 40 villages environ moindres sont celles de Castoria
; :

avec douze villages environ, Prespa avec dix villages, Okh-


rida avec huit, Scopié (le long de la Markova-Réka) six vil-
lages. Le grand groupe de Gora, dans le Char, n'entre pas
dans les limites naturelles de la Macédoine. Lors des guerres
balkaniques, depuis 1912, une partie de la population pomak
émigra, avec les Turcs, en Asie Mineure.
Par ce qui précède on comprend que la domination
turque jusqu'au XVIII e s. a causé la diminution de la
population bulgare partout dans les villes et dans certaines
agglomérations rurales, l'a rendue pauvre et l'a humiliée.
De plus, les privilèges accordés au Patriarcat grec par les
Turcs ajoutèrent au joug politique et matériel des Bulgares
un joug spirituel et moral, celui des Grecs. L'élément bul-
gare, privé de ses églises et de ses écoles nationales, perdit
— 78 —
doublement; dans certains confins méridionaux, il fut gré-
cisé, dans d'autres, tout en conservant sa langue et ses tra-

ditions nationales, il est resté en arrière au point de vue de


sa culture intellectuelle et de sa littérature nationale. Sa
renaissance ne commença qu'au XIX e s.

La renaissance bulgare.
Les champions macédoniens.
Exposé aux vexations des Turcs, tenu dans l'ignorance
par le clergé grec, leBulgare ne put songer à son réveil
national qu'au XIX e s. seulement. Quoique venu le dernier
sur l'arène du progrès moderne, grâce à son goût au travail
et à la ténacité de race, il a su réaliser des progrès et devan-
cer même l'élément dominant. Le Bulgare inaugura sa
renaissance par la diffusion de l'instruction du peuple en
langue populaire et par l'affermissement du sentiment na-
tional. L'étape suivante était marquée par une lutte contre
le clergé grec pour l'indépendance religieuse bulgare. De
cette lutte de 40 ans, le Bulgare sortit vainqueur: en 1870,
l'Eglise nationale bulgare fut constituée. Les décades sui-
vantes furent consacrées à l'émancipation politique du ré-
gime turc. Cette ère de révoltes et les insurrections en masse
de l'élément bulgare ne prirent fin qu'avec l'écroulement du
pouvoir turc en Macédoine, en 1912. Et dans toutes ces
trois manifestations nationales: instruction, luttes reli-
gieuses et luttes politiques, le cœur du Bulgare macédonien
battait à l'unisson et simultanément avec celui de ses con-
génères de Thrace et de la Bulgarie danubienne. Le plus
souvent même, l'initiative partait de la Macédoine bulgare
dont les fils éclairés devinrent les vrais précurseurs de la
renaissance bulgare.
Bien des circonstances contribuèrent au réveil national
des Bulgares en Macédoine, entre autres: les guerres de
la Russie et de l'Autriche contre la Turquie, le déclin rapide
de la Turquie, les insurrections serbe et grecque, la pros-
— 79 —
périté économique de la population bulgare du XIXe s.

ainsi que l'augmentation de sa population urbaine qui, plus


tard, tiendra, avec le clergé, l'étendard de la renaissance.

Les guerres que Russie et l'Autriche firent à la Tur-


la
quie dès la fin du XVII e s., amenèrent l'amoindrissement
progressif de l'Etat turc et la perte de son prestige. L'idée
de l'indestructibilité du pouvoir de la Turquie d'antan dis-
parut petit à petit au sein des populations chrétiennes
des Balkans, surtout depuis que des petits peuples, tels
Serbes et Grecs, réussirent, au début du XIX e s., à créer
des Etats autonomes. Le prestige du pouvoir central turc
diminuait graduellement, même en regard de la popula-
tion turque elle-même; des gouverneurs locaux indépen-
dants surgirent dans plusieurs endroits. Ainsi, Ali-Pacha de

Jannina (1741 1822) occupa l'Epire, l'Albanie du sud et
une partie de la Macédoine. A Okhrida et Dèbre sévissait
Djelaléddine bey; Moustapha Pacha de Scutari s'appro-
pria la Macédoine nord-ouest jusqu'au Vardar, etc. En
outre de multiples bandes de voleurs, les ainsi nommés
«Kyrdjaly» mirent la Turquie en pleine anarchie, à la fin
du XVIII e et au début du XIX e s. Ces bandes se com-
posaient non seulement de Turcs, mais aussi de chrétiens,
poussés par le désir de piller les biens privés et royaux. Ils
incendièrent des villes et villages, massacrèrent la popula-
tion et emportèrent dans leurs camps des richesses incal-
culables.
Les riches propriétaires fonciers turcs comprirent les
premiers l'insécurité de la situation. Les administrateurs
de leurs fermes quittèrent rarement la ville pour surveiller
leurs biens travaillés par la population bulgare; le pouvoir
central turc, ainsi que les fermiers turcs, commencèrent à
mieux considérer la population travailleuse bulgare. Elle
vint plus souvent en ville, elle fut autorisée à s'établir dans
les faubourgs des villes, à s'occuper de petits métiers, à
exploiter les champs, les vignes et les jardins dans les envi-
rons immédiats de la ville. Beaucoup de propriétaires-
— 80 —
fermiers turcs devinrent des rentiers après avoir cédé leurs
fermes à des locataires bulgares. Petit à petit, les Bulgares,
en quelque sorte esclaves des fermiers, acquirent une partie
des terres labourables.
Le petit noyau de la population bulgare des villes aug-
menta rapidement, grâce à l'afflux des paysans. Bytolia,
Prilep, Scopié, Chtip, Kustendil, qui avaient l'air de villes
turques, prirent de ce chef un autre aspect, celui de la
population mixte. Les artisans bulgares se groupèrent en
corporations. Ils se réunissaient en assemblées générales où,
à côté des questions d'ordre professionnel, on discutait des
questions religieuses et sociales telles que: construction d'é-
glises et d'écoles, engagement d'instituteurs, envoi de dé-
putations à Constantinople pour plaider la conquête de
certains droits, etc. Dans ce domaine, la bourgeoisie tra-
vaillait en accord commun avec le bas clergé bulgare (le

haut clergé était grec) et avec les moines.


Ayant ainsi créé un milieu conscient, dans les villes, de
nouvelles impulsions survinrent qui reflétèrent l'esprit pro-
gressif et éducatif qui avait imprégné l'Europe occidentale
et, en partie, la Russie, après la révolution française. Du
reste, les commerçants bulgares fort instruits de Macédoine,
vivant à Budapest, Novi-Sad, Belgrade, Vienne, Leipzig,
Odessa, Constantinople, Smyrne, etc. s'étaient déjà engagés
dans cette voie. La Macédoine, à cette époque, exportait
surtout du coton x ), du tabac, des peaux et autres produits.
Les grands centres commerciaux étaient Serrés, Salonique,
Velès, Prilep, Bytolia, Okhrida 2 ). Les foires de Serrés et
Prilep étaient les plus connues dans les Balkans; de nom-
breux commerçants indigènes et étrangers s'y donnaient

*) Actuellement, on sème relativement peu de coton en Macédoine. Les

plantations américaines de coton et l'industrie cotonnière anglaise ont tué


cette industrie naguère si prospère en Macédoine.
2
) Pour le commerce de coton et tabacs en Macédoine d'il y a cent ans,
consulter entre autres: Félix de Beaujour, Tableau du commerce de la
Grèce depuis 1787 jusqu'à 1797. Paris 1800, 2 vol.
— 81 —
rendez-vous. Alors que les Turcs se contentaient du
pouvoir nominal, Bulgares et Grecs devenaient les facteurs
principaux du commerce macédonien. Il y avait des comp-
toirs bulgares à Belgrade, Novi-Sad, Budapest, Vienne,
Leipzig, etc., à la tête desquels étaient placés des Bulgares
de Vélès, Razlog, Kratovo, Paîanka, Okhrida et autres
villes.

Les commerçants bulgares de l'étranger, qui étaient


témoins du progrès des autres peuples, compatissaient de
toute leur âme avec leur patrie asservie. Ils ne ménageaient
ni efforts, ni moyens pour lui venir en aide et pour contri-
buer à son relèvement national et spirituel. Les commer-
çants qui avaient vécu la plupart du temps parmi leurs
compatriotes de Macédoine, en faisaient autant. Ainsi, au
XVIII e s. se trouva à Venise et Budapest, parmi des com-
merçants bulgaro-macédoniens, leur compatriote, l'écrivain
et graveur Christophore Jéf arovitch, qui imprima à Vienne,
en 1741, sa « Stématographie » contenant les armoiries
nationales bulgares et yougoslaves et les images des saints
bulgares et serbes. Il était natif de Doïran (Macédoine).
L'archevêque serbe Pavel Nénadovitch le proclame:
« zélateur de la patrie bulgare ».

Ainsi, en 1792, le commerçant bulgaro-macédonien


Marko Théodorovitch fournit les moyens pour l'impres-
sion d'un abécédaire slave. Sur la couverture du livre, à
coté du nom de l'éditeur, il est écrit: «Marko Théodoro-
vitch, Bulgare, né à Razlog (Macédoine) ». Un autre com-
merçant macédo-bulgare à Budapest, Nécho Markovitch,
de Kratovo, fournit les moyens pour l'impression du premier
calendrier bulgare, en 1818, avec cette annotation: «pour
faciliter le peuple bulgare ». D'autres commerçants de la
Macédoine du nord, tels que: Hadji Petso de Chtip, Hadji
Stanko de Kratovo, Dimitri Philippovitch de Palanka, etc.,
soutiennent de leurs subsides l'écrivain Hadji Yakim de
Kitchévo, pour imprimer à Budapest, en 1814, 1817 et
1819, ses œuvres « rédigées dans la plus simple langue bul-
6
— 82 —
gare En 1822, la colonie macédo-bulgare commerciale
».

d'Odessa commande un cadre précieux en argent pour l'icône


de St- Georges et l'adresse au couvent bulgare de Zographe,
au Mont Athos, avec l'inscription suivante: «De la part des
commerçants slavo-bulgares d'Odessa, originaires de diffé-
rents diocèses de la Macédoine ».

D'autre part, les commerçants bulgares de Salonique


subventionnent l'écrivain bulgare Théodossi de Doïran
(Macédoine du sud), aux fins d'ouvrir dans cette ville, en
1838, une imprimerie bulgare. Georges Samourkache, no-
table commerçant bulgare à Bucarest, contribue à la tra-
duction de quelques livres de son compatriote Théodossi.
Nous passons sous silence les multiples exemples posté-
rieurs 1 ).
Le développement de la population urbaine bulgare,
ainsi que le renforcement économique de la population bul-
gare de la Macédoine devinrent l'ambiance favorable à la
culture du sentiment national. Nous avons déjà vu qu'à
cet égard les Bulgares macédoniens vivant à l'étranger et
les notables commerçants du pays y contribuèrent dans une
large mesure; ce fut le terrain où l'on ne devait pas tarder
à ensemencer le bon grain. Les instituteurs-écrivains bul-
garo-macédoniens en furent les meilleurs instruments et les
premiers de la renaissance en général, devançant ainsi leurs
comilitants des autres parties de la Bulgarie. C'est pour
cela qu'on peut affirmer avec infiniment de raison que la
Macédoine a été le berceau de la renaissance bulgare.
Après le susnommé Christophore Jéfarovitch de Doï-
ran, qui publia en 1741 les armoiries et les images des saints
bulgares, le moine Pàissi, des confins septentrionaux de la
Macédoine, fut le premier Bulgare qui, en 1762, proclama
catégoriquement les droits de la langue et de la nationalité
bulgares, rappela les exploits des rois déjà oubliés et

) Cf. les renseignements sur les champions de la renaissance bulgare en


l

Macédoine dans mon ouvrage: Les Bulgares en Macédoine. 2 e édit. Sofia


1917, passim (en bulgare).
— 83 —
des saints bulgares. Il stimula enfin son peuple à la lutte
contre les atteintes portées par les Grecs aux droits natio-
naux et religieux des Bulgares. Le cri d'alarme de Païssi fut
entendu, grâce à son «Histoire slavo-bulgare», écrite au Mont
Athos (Macédoine du sud), qui se répandit en une mul-
titude d'exemplaires manuscrits à travers la patrie bulgare,
jusqu'à ce qu'elle fut imprimée en 1844 également par un
Macédonien, Christaki Pavlovitch 1). Parallèlement à cette
activité, Païssi parcourait les villes et les villages, allumait
par son verbe l'étincelle qui, plus tard, devait devenir
une superbe flamme. On peut se rendre compte à la lecture
des lignes suivantes des accents que pouvait produire l'âme
révoltée et indignée du moine bulgare à la suite des exac-
tions turques et de la tyrannie du clergé grec:
« Inspiré d'un amour ardent pour mon peuple et ma

patrie, je me suis donné trop de peine pour recueillir dans


différents ouvrages les renseignements nécessaires et exposer
dans cet opuscule les annales du peuple bulgare. Je l'ai
écrit pour vous, qui chérissez votre peuple, votre patrie et
votre langue, afin qu'il vous profite et stimule votre dignité
nationale ... Et que dire de vous autres, tombés dans l'indo-
lence vis-à-vis de votre peuple, qui convoitez la langue et
la nationalité étrangères, qui apprenez à lire et à parler le
grec ? insensé pourquoi es-tu honteux de te dire Bulgare
!

et de ne pas lire et parler ta langue ? Est-ce que les Bul-


gares n'ont pas eu un royaume et une souveraineté ? Pen-
dant tant d'années ils ont régné, ont été glorieux et illustres
sur toute la terre. Plusieurs fois, ils reçurent un tribut
des puissants Romains et des subtiles Grecs. Des empereurs
et des rois étrangers leur donnèrent leurs augustes filles en
mariage, afin d'avoir la paix et l'amitié avec les tsars bul-
gares. De tous les peuples slaves, les Bulgares ont été les
plus glorieux les premiers,
: ils ont eu des tsars les premiers,
;

ils ont eu un patriarche; les premiers, ils ont embrassé le

l
) Païssi, Histoire slavo-bulgare, écrite en 1762. Publiée d'après l'ori-
ginal découvert au Mont Athos par J. Ivanoff. Sofia 1914.
— 84 —
christianisme et ont occupé de vastes territoires. Les pre-
miers saints slaves, d'autre part, sont sortis du peuple bul-
gare. Mais pourquoi, ô insensé, as-tu honte de ta race et
te laisses-tu traîner après une langue étrangère ? Ou bien r
direz-vous, les Grecs sont plus ingénieux et plus civilisés que
les Bulgares simples et n'ont pas des mots habiles
sots, qu'ils
à belle enseigne, qu'il vaut mieux suivre les Grecs. Regarde
donc, ô insensé, il y a beaucoup de peuples plus subtils et
plus glorieux que les Grecs; est-ce que pour cela quelque
Grec abandonne sa race, sa langue et son enseignement
comme tu le fais, ô insensé, sans en tirer un profit quel-
conque? Bulgare! ne te trompe pas, aie conscience de
ta race et de ta langue, fais ton enseignement en bulgare:
la simplicité et la bonne foi bulgares dépassent la finesse
grecque .... »
L'appel de Païssi retentit dans tous les coins du pays
bulgare et surtout en Macédoine. En effet, c'est la Macé-
doine qui vit naître les premiers fervents disciples du moine
du Mont Athos, les disciples rejetèrent la langue grecque
imposée jusqu'alors et commencèrent les premiers en pays
bulgare à imprimer des livres dans le dialecte populaire.
Tel, Hadji Yakim Kirtchovsky de Kitchévo, maître d'école
dans différentes localités de la Macédoine et premier écri-
vain bulgare, qui se servit du bulgare moderne dans ses
publications de 1814, 1817, 1819. Son premier livre, paru
à Budapest en 1814, porte le titre: «Nouvelle du terrible
et second avènement du Christ, tirée de divers écrits saints
et traduite dans la plus simple langue bulgare, à l'usage des
gens simples et des incultes ». Tous ses ouvrages, consacrés
à des sujets religieux et didactiques, étaient édités aux frais
des Bulgares de Macédoine, des districts de Kratovo, Chtip,
Palanka, Scopié, Koumanovo, Radovich, Stroumitsa, Vélès,
Monastir, Dèbre, etc.
Son plus jeune contemporain, Cyrille Peytchinovitch
de Tétovo (Macédoine septentrionale), fit imprimer ses
livres de 1816 — 1840, les uns à Budapest, les autres à l'im-
— 85 —
primerie bulgare de Salonique, nouvellement créée. Son
activité de moine et de maître d'école se déploya dans les
régions de Scopié et de Tétovo et son premier ouvrage porte
le titre : « Livre dénommé Miroir, écrit pour les besoins et
l'usage des lecteurs dans la plus simple langue populaire
bulgare, etc. » Dans la préface d'un autre de ses ouvrages,
« Consolation aux pécheurs », il est dit que la matière est

exposée « dans la langue populaire bulgare de la Mésie infé-


rieure, telle qu'elle est parlée à Scopié et à Tétovo, afin que
le simple peuple puisse le lire ».

Animé des mêmes sentiments, un autre Macédonien,


l'archimandrite Théodossi Sinditsky de Doïran, poursuivit
avec zèle l'œuvre de la propagation de la langue nationale
bulgare. Il enseigna le premier à Salonique, vers 1830, cette

langue aux enfants de la colonie bulgare de cette ville. Ce-


pendant son principal mérite pour la renaissance bulgare
consiste dans la fondation, en 1838, de la première typogra-
phie bulgare à Salonique. Théodossi y imprima ses propres
ouvrages et ceux de ses compatriotes 1 ), écrits, les uns en
« langue slavo-bulgare », liturgique, les autres en « langue

populaire bulgare ». Esprit pratique, Théodossi imprima en


1841, entre autres, une petite « Méthode pour apprendre les
trois langues le bulgare, le grec et le turc ». Ainsi donc
:

la Macédoine eut l'avantage de posséder à Scopié, au


XVI e s., la première librairie de livres slavons 2); c'est dans
ce même pays, à Salonique, qu'on créa également la pre-
mière typographie bulgare.
Ensuite de l'incendie de l'imprimerie et après la mort de

) Tels: Cyrille Peytchinovitch de Tétovo, Nédelko Boïkikeff de Sco-


x

pié, Jordan Djinote de Vélès, Georges Samourkach, et autres.


8
) Deux
écrivains et imprimeurs bulgares travaillaient vers le milieu du
XVI e à Venise, le premier, Yakov, de Kaménitsa (Macédoine du nord) et
s.

le second, Yakov Traïkoff, de Sofia; leur associé, Kara-Triphoun, avait


ouvert une librairie à Scopié. C'est par cette librairie que les livres liturgiques
M. Drinoff, Oeuvres, vol. II,
slavons étaient distribués en pays bulgares. Cf.
p.492 à 501 (en bulgare). — J. Ivanoff, La Macédoine septentrionale. Sofia
1906, p. 254 à 255 (en bulgare).
— 86 —
Théodossi, en 1843, la typographie cessa de fonctionner.
Un autre Bulgare macédonien, Kyriak Derjilen, de Vodéna,
entreprit de la reconstituer; les autorités spirituelles grec-
ques y mirent obstacle. Kyriak fut autorisé plus tard à
imprimer des livres bulgares mais avec caractères grecs.
Enfin, en 1852, parut dans cette imprimerie l'évangile en
traduction néo-bulgare du parler de Vodéna 1).
Le premier pédagogue bulgare, Néophyte Rylsky (1793
à 1881), de Razlog, est aussi un Macédonien. Par ses divers
manuels scolaires et par son activité de maître d'école et
directeur, notamment dans la Bulgarie du nord et en Thrace,
activité continuée par ses nombreux élèves, il devint le véri-
table éducateur des Bulgares de la première moitié du siècle
passé. Tous ses livres, les uns à l'usage des commençants,
les autres pour les plus âgés, poursuivaient un seul but: «l'ins-
truction bulgare pour employer ses propres termes. car . . .

2
c'en est assez de la profonde torpeur de notre Bulgarie » ).

Noter ici que les livres de Rylsky furent imprimés à Kra-


gouévats et Belgrade avec le concours du gouvernement
serbe.
La Macédoine donna au peuple bulgare d'autres cham-
pions encore dans le domaine scientifique et littéraire. Le
premier philologue qui travailla scientifiquement sur les
manuscrits du Mont Athos, en 1852, et dont les travaux ont
été imprimés dans les publications de l'Académie des sciences
de Pétrograde, fut Constantin Petkoff de Bachino-Sélo, près
Vélès. Au premier rang des écrivains et des champions bul-
gares qui luttent contre l'oppression intellectuelle du clergé
grec brillent des fils de Macédoine: Nathanaïl-Bogdan de

l
) le titre: « Evangile de notre Seigneur et Dieu
Cette traduction porte
Jésus-Christ, imprimé maintenant à nouveau en langue bulgare, pour chaque
dimanche successivement, du commencement à la fin de l'année. Transcrit
et corrigé par moi, Paul, le moine, protocyncelle du Saint Sépulcre, né dans
le diocèse de Vodéna, au village de Konikovo, Salonique, Typographie de
Kyriak-Derjilen, 1852. » Le traducteur Paul (ou Pavel) Bojigrobsky est un
pionnier connu du réveil national des Bulgares macédoniens.
J
) Grammaire bulgare. Krngouévats 1835, p. 70—71.
— 87 —
Scopié et Jordan Const. Djinote de Vélès en outre, les pre- ;

miers qui aient voué un intérêt très vif à l'étude de la poésie


populaire et du folklore bulgares furent les frères Miladinoff

de Strouga, sur les bords du lac d'Okhrida. Leur grand


recueil de « Chansons populaires bulgares », si apprécié
par la philologie slave, contient des chants recueillis princi-
palement dans les régions de Strouga, Monastir, Prilep,
Koukouch, Stroumitsa, etc. Ce recueil a été publié aux
frais et sous les hospices du grand mécène yougoslave
l'archevêque croate Strossmayer, en 1861, à Zagreb, c'est-
à-dire l'année même où ses auteurs devaient expier par la
mort leur culte de la patrie bulgare, empoisonnés dans les
prisons de Constantinople par les agents du Phanar. Le
premier poète bulgare enfin, qui a chanté les tristes destinées
de son pays, c'est encore un Macédonien, Raïko Jinzifoff
de Vélès. Loin de son pays, encore sur les bancs de l'Uni-
versité de Moscou, il protestait contre l'emprise des Grecs
sur sa patrie, en s'écriant:

Pour la nationalité et pour la justice,


Pour langue de nos aïeuls ....
la
Okhride et Tirnovo ont poussé le cri :

La Macédoine, terre merveilleuse,


Jamais, jamais ne sera grecque!
Les fourrés, les bois et les monts,
Les pierres même de ce sol,
Les oiseaux, les poissons du Vardar,
Les vivants et les morts se lèveront
Pour crier à l'Europe et au monde:
« Je suis Bulgare, je suis Bulgare,

Des Bulgares vivent dans ce pays » 1 ).


Hélas ! Jinzifoff ne pouvait supposer que sa patrie qui
souffrait déjà de l'hellénisme, se verrait un jour menacée
par les Serbes . . . Deux autres personnalités macédoniennes,

*) Publié dans la revue moscovite des étudiants bulgares « Bratsky


troud », 1862, livre IV, 16.
.

— 88 —
qui ébranlèrent fortement l'hellénisme envahissant dans
les pays bulgares et contribuèrent à son écroulement, étaient
Djinote de Vélès, agitateur exalté et maître d'école, et le
poète Parlitcheff d'Okhrida, dont la chanson retentissante
contre le clergé grec faisait fureur en Macédoine:
Jusques à quand, ô mes chers frères Bulgares,
Jusques à quand les Grecs vont-ils nous opprimer ? . .

Eglises et écoles bulgares.

Au commencement du XIXe s., la population bulgare


urbaine s'étant sensiblement accrue, il lui fallait, pour ses
besoins spirituels, des églises pour prier et des écoles pour
s'instruire. A cette époque l'obtention d'une autorisation
pour bâtir une église chrétienne était chose très difficile.
Pour en obtenir une du gouvernement turc, il fallait l'inter-
cession de notables et des dépenses considérables destinées
à surmonter les obstacles provenant de l'intolérance reli-
gieuse des Turcs. De plus, cette autorisation ne pouvait
être octroyée que pour la restauration des églises en ruines :

il en effet, défendu de bâtir de nouvelles églises. Pour


était,
se tirer d'embarras, les chrétiens étaient obligés de recourir
à la ruse et de produire des preuves témoignant de vestiges
réels ou fictifs d'une église d'antan. Sous le règne du sultan

Mahmoud (1808 1839), un souverain aux tendances libé-
rales, plusieurs églises, autant dans les villes que dans les
villages, ont été restaurées ou bâties à neuf; dans les « An-
nales de Pirdop » on lit à ce propos « Depuis 1814, le sultan
:

Mahmoud permit aux chrétiens de bâtir de nouvelles


x
églises » ).

La Macédoine, restée à l'abri des opérations militaires


russo-turques de cette époque, fut la première à profiter
des circonstances favorables. En 1814, on bâtit l'église de
St- Georges dans la ville de Kotchani. En 1816, on érigea

x
) « Revue périodique » de Sofia, XXX, p. 670.
— 89 —
à KustendilY église de Notre-Dame sur les ruines médiévales.

En 1817 1818, grâce au zèle de l'écrivain bulgare Cyrille
Peytchinovitch, couvent de Léchok, près Tétovo, fut res-
le

tauré. En même temps, fut bâtie l'église de Notre-Dame à


la bourgade de Varbéni près Florina. En 1818 fut érigée,
à Vélès, la chapelle de St- Georges. La restauration de
l'église du Sauveur à Scopié fut achevée en 1824. Son ico-
nostase, œuvre d'artistes du pays de Dèbre (Macédoine),
sculpté en bois de noyer est une merveille; une inscription
donne les noms des artisans qui avaient collaboré à cette
œuvre: «Exécuté par Pierre Philippovitch de Gari et par
Makari de Galitchnik, Bulgares de Mala-Réka, région de
Dèbre, 1824 ». L'église de Kriva-Palanka fut construite en
1833, grâce à l'assistance du prêtre David, fils de l'écrivain
bulgare Hadji-Yakim. La même année, 1833, commença
la reconstruction du couvent de Ryla, le sanctuaire bulgare
le plus majestueux et le plus vénéré, situé aux confins sep-
tentrionaux de la Macédoine. Ce fut sous les auspices et
sous la direction de Néophyte Rylsky, célèbre écrivain
macédo-bulgare, que commencèrent les premiers travaux
du monastère et pour l'achèvement duquel on mit une quin-
zaine d'années. Egalement en 1833 fut restauré complète-
ment le couvent de St-Yakim d'Ossogovo, avec l'assistance
du notable bulgare de Kriva-Palanka, Hadji-Stéphan. La
même année, on bâtit l'église de Strouga et celle de Bania
(de Razlog). L'année 1835 fut la plus heureuse en ce qui
concerne la construction de nouvelles églises bulgares en
Macédoine; c'est alors qu'on bâtit la cathédrale bulgare de
Scopié, l'église de St- Georges à Démir-Hissar, l'église de
la Ste Trinité à Bansko (de Razlog), celle de Dolno Brodi,
et 35 autres églises dans différents villages macédo-bulgares.
On bâtit en 1836 l'église de St- Jean le Précurseur à Kratovo
et celle de l'Assomption à Ostrovo. On bâtit ensuite, en
1838, l'église de Prilep, grâce à l'assistance et la médiation
auprès les autorités turques du notable bulgare Hadji-
Christo Logothète; l'église de l'Assomption à Okhrida, en
— 90 —
1839, et celle du Sauveur à Vélès, en 1840; l'église de
Gorna Djoumaia, en 1844; l'église de la bourgade Tsarévo-
Sélo, en 1857; l'église de la Ste-Dimanche à Monastir, en
1863, et ainsi de suite. Le firman impérial de 1870 cons-
tituant une Eglise autonome bulgare contribua considé-
rablement au progrès de l'oeuvre religieuse et du nombre
des églises bulgares en Macédoine qui, à la veille des
guerres balkaniques, atteignaient le chiffre de 1139 églises,
155 chapelles et 62 couvents.
Comme les églises étaient la propriété de certaines com-
munautés religieuses, la nationalité de ces dernières était
souvent mentionnée dans des actes publics ou bien dans les
inscriptions mêmes. Ainsi, par exemple, le firman impérial
autorisant en 1835 la construction de la cathédrale de
Scopié fut promulgué au nom de la nation bulgare («Bolgar
miléti ») la chapelle sépulcrale près l'église du Sauveur à
;

Scopié porte l'inscription: «Construite aux frais des Bul-


gares orthodoxes, le 1 er mars 1864, Scopié»; l'église delà
Ste-Dimanche à Monastir porte l'inscription en marbre:
« Ce sanctuaire a été construit, jusqu'à ses fondements,

au nom de la très sainte et glorieuse martyre Nédélia (Di-


manche), aux frais des Bulgares, sous l'épiscopat et avec la
bénédiction de Monseigneur Benoît de Byzance. Bytolia
(Monastir), le 13 octobre 1863». En 1867, fut restauré en
partie le couvent Treskavets près Prilep. Sur une de ses
portes on lit l'inscription suivante, gravée sur marbre:
«Construit aux frais de la corporation des tailleurs bulgares».
Dans le même ordre d'idées, notons que le médecin Cons-
tantin Michaïkoff de Patélé (district de Florina) offrit en
cadeau à la communauté bulgare de Monastir un vaste ter-
rain, situé au centre de la ville, pour la construction d'une
cathédrale et des écoles; la longue inscription gravée sur la
porte de la cour, faisant façade au marché, contient entre
autres la phrase suivante « Don offert au peuple bulgare,
:

à Bytolia (Monastir), le 25 mars 1876 ».


Pendant la domination turque, la langue grecque était
— 91 —
devenue la langue liturgique des églises, surtout dans les
villes, grâce aux privilèges accordés au Patriarcat grec et
à ses établissements scolaires. Au cours du XIX e s., à
mesure que le sentiment national bulgare s'affermissait, la
langue grecque cédait peu à peu la place à la langue bulgare ;

les écoles bulgares nouvellement fondées contribuèrent


beaucoup à cette substitution. Ces écoles formaient avant
tout des lecteurs et des chantres en langue nationale pour
l'église; les premiers pionniers de la nationalisation de
l'école et de l'église furent précisément les disciples issus du
milieu monacal bulgare qui avait conservé dans ses cou-
vents abrités les traditions nationales intactes.
Les premières écoles bulgares en Macédoine étaient
privées. Elles étaient dirigées par des moines envoyés par
l'un ou l'autre des grands
couvents bulgares de Zo-
graphe, Hilendar, Ryla, qui possédaient dans les villes bul-
gares leurs propres maisons ou fermes appelées « métokhs ».
Les moines connus sous le nom de taxidiotes (prêtres com-
mis) ou pénitenciers avaient pour mission de faire des quêtes
pour leurs couvents, d'y conduire les pèlerins, de prêcher
dans les églises et de donner l'enseignement aux enfants
dans leur langue maternelle. D'autres écoles privées étaient
dirigées par de simples particuliers, qui tout en pratiquant
leurs métiers de tailleurs, relieurs ou autres exerçaient en
même temps la fonction de maîtres d'école.
Bien qu'en nombre restreint, les écoles privées n'ont
jamais manqué en Macédoine; déjà avant le XIX e s., il y en
avait dans les monastères bulgares de Bigor, Prétchista, Kar-
pino, Prokhor, Lesnovo, St-Yakim, etc., et dans les villes de
Vélès,Chtip, Kratovo, Scopié, Razlog,etc. Les écoles de ce type
devinrent plus nombreuses au commencement du XIX e s.,
et, plus tard, furent remplacées dans les villes par des écoles

communales entretenues par les communautés bulgares


correspondantes ou par des riches commerçants. Ainsi, la
première école de ce genre a été celle de Vélès, en 1810, qui
était dirigée par le maître Mitre, natif de Nagoritchino
— 92 —
(Macédoine du nord). A cet égard, la Macédoine a devancé
la Bulgarie du nord où la première école communale n'a
été fondée que plus tard à Gabrovo, en 1835, et dont le
directeur était un Bulgare macédonien, le célèbre Néophyte
Rylsky. La méthode d'enseignement mutuel, celle de Bell
et de Lancaster, que Néophyte introduisit, fut finalement
adoptée par toutes les écoles bulgares. C'est un autre fils
de la Macédoine, Joseph Kovatcheff de Chtip, qui eut le
mérite d'introduire la méthode vocale, comme méthode
d'enseignement, devenue plus tard générale dans toutes les
écoles bulgares.
La communales au cours du XIXe s.
création d'écoles
témoigne d'un sentiment national bien élevé. Le mérite en
est d'autant plus grand qu'il fallait un effort immense du
Bulgare macédonien pour surmonter les obstacles à la pro-
pagation de l'enseignement en langue maternelle. A la dif-
ficultédécoulant du défaut d'un Etat protecteur, s'ajoutait
le joug du clergé grec qui s'efforçait d'étouffer par tous les

moyens possibles la noble initiative bulgare en vue de l'é-

mancipation intellectuelle et nationale.


Les maîtres d'école bulgares étaient suspects aux au-
torités turques; on les accusait d'être des agents moscovites
travaillant pour saper les bases mêmes de l'empire ottoman,
dont le Patriarcat grec était une des principales. D'autres
part, les évêques grecs ayant l'autorité sur les églises et les
écoles de leurs ouailles, les maîtres d'école bulgares se
voyaient soumis à des persécutions systématiques. Aucun
d'eux ne fut laissé tranquille, plusieurs étaient emprisonnés,
d'autres déportés. Constantin Djinote de Vélès dut expier
ses sentiments bulgares dans l'exil en Asie Mineure, Parli-
tcheff en Albanie et les frères Miladinoff de Strouga durent
mourir, comme nous l'avons déjà dit, dans les cachots de
Constantinople, où les agents de l'Eglise grecque les avaient
envoyés. La vie de ces maîtres d'école était véritablement
une vie de martyrs. Prenons un exemple entre cent, celui

du diacre Agapi Voïnoff (1838 1902). Son odyssée com-
9g

mence à Tsarévo-Selo (Macédoine du nord) où il introduisit


en 1857 la méthode d'enseignement mutuel. Deux ans plus
tard, il devait quitter son asile. A Salonique, le clergé grec
ne le laissa que deux mois dans ses fonctions de maître
d'école bulgare, et à Vodéna, il ne put enseigner qu'une
semaine. Par suite des intrigues de l'évêque grec Nicodème,
Voïnoff dut quitter l'école, maltraité, la moustache arrachée,
pour être conduit dans les prisons de Salonique en 1869.
Après deux ans de professorat à Stroumitsa, il fut assailli
une nuit dans son domicile par les hommes de l'évêque grec,
battu et chassé. Plus tard, en 1872, pendant les vacances
scolaires, Voïnoff assista à la grande foire de Prilep, où, par
ses discours et ses harangues, il réchauffa le sentiment na-
tional de ses compatriotes venus là pour leurs affaires. Tou-
jours à la brèche, on rencontre notre diacre successive-
ment maître d'école, à Zarovo 1 ) (district de Salonique), à
Vodéna, à Stroumitsa, à Pétritch, où il est attaqué en 1874
par les agents de l'évêque grec de Melnik, qui essaient de
l'étrangler. Le robuste Bulgare s'en tire sain et sauf après
avoir donné une bonne leçon à ses bourreaux. Exposé à des
persécutions constantes, Voïnoff chercha pour un certain
temps un refuge auprès des Bulgares catholiques protégés
par les Etats catholiques, et plus tard auprès des émigrés
Polonais, soutenus par les Turcs. Enfin, dès la création de
la principautéde Bulgarie en 1878, Voïnoff émigra en Bul-
garie où, pauvre et méconnu, il consacra sa vieillesse à sa
modeste profession de maître d'école.
Il est aisé de saisir que l'œuvre scolaire accomplie par

les Bulgares macédoniens dans de telles conditions, au


XIX e s. —
siècle de double joug, turc et grec, cons- —
titue une manifestation nationale de la plus grande enver-
gure.
Voici maintenant, en quelques mots, le cours de l'évo-
lution des écoles bulgares. En 1810, avons-nous dit, l'école

*) Grand village bulgare, brûlé entièrement par l'armée hellénique en


1913.
— 94 —
communale de Vélès était fondée. Bientôt après, les autres
villes Macédoine du nord, peu entravée par l'hellé-
de la
nisme, furent dotées d'écoles pareilles: Kratovo vers 1815,
Kustendil en 1816, Chtip vers 1830, Kriva-Palanka vers
1833, Scopié en 1835, Prilep en 1843, Bachino-Sélo (près
Vélès) en 1845, etc. Afin de les distinguer des écoles sub-
ventionnées par le clergé grec, les Bulgares appelaient leurs
établissements scolaires : « Ecole bulgare », « Ecole slavo-
bulgare », sceau de l'école de Vélès on lit
etc. Ainsi, sur le
les mots: «Sceau de l'école bulgare de Vélès, 1845». L'école
bulgare de Bachino-Sélo possédait également pareil sceau
de 1845. En 1847, l'école du quartier Partsorek à Vélès
se dénommait «Ecole slavo- bulgare de Partsorek».
L'école du quartier « Messokastro » à Okhrida portait l'in-
scription suivante: «Cet édifice scolaire pour l'instruction de
la jeunesse bulgare des quartiers de Messokastro, Hadji-
Kassym Skender-Bey a été bâti le 15 juillet 1852, Okhri-
et
da ». Vers la même époque environ, les écoles de Prilep se
divisaient en deux: «Ecole populaire bulgare» et «Ecole
hellénique »; cette dernière se trouvait sous les auspices du
métropolite grec de Monastir et était entretenue par les
Koutso-Valaques de Prilep. En 1851, l'«Ecole slavo-bulgare
de Scopié » était divisée en trois sections : école primaire,
gymnase et section ecclésiastique 1 ).
Après 1856, date à laquelle le gouvernement turc pro-
clama l'égalité du culte, de race et de langue, le nombre des
écoles bulgares en Macédoine augmenta sensiblement.
Toutes les villes de la Macédoine septentrionale et centrale
possédaient, dès avant 1870, des écoles primaires et des col-
lèges élémentaires; bon nombre de villages en avaient aussi.
Des écoles bulgares existaient dans les villes et les bourgades
suivantes: Scopié, Koumanovo, Gostivar, Palanka, Kra-
tovo, Kustendil, Donpaitsa, Djoumaïa, Bania (Razlog),
Chtip, Radovich, Nevrokop, Stroumitsa, Vélès, Prilep,

*) Cf. le « Journal de Constantinople » (en bulgare), n° 44 de 1851.


— 95 —
Krouchévo, Okhrida, Zagoritchani près Castoria, Strouga,
Monastir, Enidjé-Vardar, Vodéna, Koukouch, Salonique.
A Vélès, il y avait de plus une école de commerce. Les
jeunes filles étudiaient ensemble avec les garçons; mais il y
avait aussi des écoles spéciales pour jeunes filles, comme par
exemple à Vélès, Prilep, Kustendil, Chtip, Kriva-Palanka,
Scopié, Monastir, etc.
Après 1870, les écoles se multiplièrent à tel point qu'elles
couvrirent tout pays habité de Bulgares. L'institution
le
de l'Eglise autonome bulgare en cette année et la constitu-
tion des communautés religieuses bulgares facilitèrent l'ou-
verture des écoles et dans les autres villes de la Macédoine
méridionale, dont la population chrétienne était en partie
ou dans sa totalité bulgare, comme par exemple à Florina,
Ostrovo, Castoria, Doïran, Ghevghéli, Démir-Hissar, Ser-
rés, Drama, etc. Presque tous les villages bulgares d'une

certaine importance possédaient des écoles primaires. En


1912, c'est-à-dire la dernière année delà domination turque
en Macédoine, cette province possédait 1 141 écoles bulgares,
avec un personnel enseignant de 1884 instituteurs et 65,474
élèves, appartenant à l'Eglise nationale bulgare. Ces chiffres
ne comprennent pas les élèves des écoles bulgares catholi-
ques et protestantes de Koukouch, Enidjé-Vardar, Razlog,
Monastir, etc. L'enseignement secondaire était donné dans
les gymnases et dans les écoles normales. D'autre part,
dans toutes les villes on trouvait, outre les écoles pri-
maires, quelques classes inférieures du gymnase. Il y avait
des gymnases pour garçons, à Salonique et à Monastir;
des écoles normales pour garçons, à Scopié et à Serrés;
des écoles normales pour jeunes filles à Salonique, Monastir,
Scopié. A part son gymnase et son école normale, Salonique
possédait une école de commerce, un séminaire et une école
d'agriculture; le séminaire, situé dans le quartier dit Zéi-
tinlyk, était dirigé par les Bulgares unis, et l'école d'agri-
culture, près Salonique, par des Américains. A Scopié,
il y avait de plus un séminaire et à Monastir, un cours
96 —
préparatoire pour prêtres, et près Vélès une école d'agri-
culture. Il existait des écoles professionnelles pour jeunes
fillesà Monastir, Scopié, Salonique, Prilep, Vélès, Florina,
Kitchévo, etc. En 1912, le nombre des élèves dans les
écoles de ville dépendant de l'autorité de l'Eglise bulgare
était réparti comme suit:

Monastir 1741 Doïran 395


Prilep 1733 Vodéna 381
Vélès 1586 Stroumitsa 356
Scopié 1517 Goumendjé 352
Salonique 1321 Kavadartsi 318
Chtip 1011 Ghevghéli 316
Tétovo 808 Ressen 312
Okhrida 783 Strouga 301
Koumanovo 751 Radovich 266
Koukouch 634 Krouchévo 263
Dèbre 443 Palanka 243
Enidié-Vardar 432 Kratovo 240 etc.

La construction des églises et des écoles, l'entretien de


ces dernières et du personnel enseignant, se faisait grâce
aux moyens fournis par la population bulgare. Dès 1870,
année de de l'Eglise autonome bulgare avec une
la création
administration indépendante, l'Exarchat prit entre ses
mains l'inspection des églises et des écoles et subventionna
directement les établissements d'instruction secondaire.
Presque chaque école et église bulgare des villes et villages
bulgares de Macédoine possédait ses biens propres, prove-
nant soit de legs, soit de dons volontaires de patriotes
bulgares, soit, enfin, de l'impôt. Prenons par exemple la
villede Chtip. Son école centrale «Sts-Cyrille et Méthode»
possède les biens suivants: terrain 3,22 décares; jardin
1,21 décares; maison de 2 chambres de 28m 2 donnée parle ,

moine Ivanoff Témoff vigne, achetée avec les fonds parois-


;

siaux, de 5,6 décares et 3,4 décares donnée par Novakoff, en


tout 9 décares; prairies achetées avec les fonds paroissiaux
m

— 97 —
t

16,6 décares, donnée par Novakoff 5,8 décares, en tout 22,4


décares; forêt, donnée par les frères Chaleff 3,1 décares et
9,1 décares donnés par Kara-Ghéorghi, l'aubergiste, en tout
12,2 décares; 1 magasin à un étage donné par K. Hadji
Stantcheff 2 boutiques à un étage données par différentes
;

personnes; terrains de 132m 2 donnés et 60m 2 achetés, en


tout 192 décares; baraque. L'église de « St- Nicolas »
1 —
possédait: 1 bâtiment à trois étages de 195 2
et dépen- m
dances de 370 2
m
construits grâce aux sommes fournies par
,

le peuple; 1 boulangerie avec chambre bâtie sur 117 m 2


de-
puis des temps immémoriaux; 1 autre boulangerie construite
sur 56 m 2
donnée par Dimitri Stoïanoff ; 1 maison à deux
étages de cinq chambres chacun, de 200 m 2
,construite avec les
fonds paroissiaux; bâtiment à un étage avec cave de 63 2
1 ,

1 refuge de 10 chambres, bâti sur 434 m


2
et 1 boutique sur
56 m 2
Ces trois derniers donnés par Constantin Karanii-

.

loff 1 jardin donné par G. Tsritskoff.


; L'église de «Notre-
Dame » possédait: 1 moulin bâti sur 117 m 2 1 forge bâtie ,

sur 105 m 2 1 autre moulin sur 264 m 2 et 1 boutique sur


,

10 m 2 ces quatre biens achetés avec des fonds parois-


;

siaux; 1 boutique sur 12 2


m
donnée par Kotsé Aneff la ;

moitié d'une maison bâtie sur 135 m 2 avec trois chambres,


donnée par E. Kentreff 1 terrain de 63 2
de temps im-
; m
mémorial.

Luttes pour une Eglise nationale bulgare.

Le réveil national bulgare débuta par une activité


modeste et paisible, notamment, par l'ouverture d'églises et
d'écoles avec le vieux bulgare comme langue liturgique
et le bulgare moderne comme langue Ce mou-
scolaire.
vement d'émancipation fut, dès le début, entravé par le
Patriarcat grec qui tenait entre ses mains les destinées spiri-
tuelles et intellectuelles du peuple bulgare. Ce dernier se
vit obligé de s'engager, vers 1830, dans une lutte longue et
7
— 98 —
opiniâtre contre le clergé grec, lutte qui dura 40 ans et finit
par le triomphe de la cause bulgare. D'autre part, la création
d'une Eglise autonome bulgare en 1870 mit fin au litige en
Bulgarie danubienne, en Thrace et en Macédoine du nord;
la lutte se poursuivit cependant dans la Macédoine méridio-
nale: à l'heure qu'il est elle n'a pas encore pris fin.
Décrire ces luttes, c'est exposer les péripéties ainsi que
l'évolution de la vie intellectuelle et spirituelle de la nation
bulgare depuis un siècle 1). Nous n'esquisserons cepen-
dant que les étapes les plus importantes de cette lutte que
l'Américain Edson A. Clark définissait en ces termes:
« longue et âpre lutte, finalement couronnée de
Cette
succès, met en relief toute la force du caractère bulgare.
Menée sans violences et avec une fermeté inébranlable, cette
lutte fut une manifestation de l'indomptable résolution du
peuple bulgare de se libérer une fois pour toutes de la tutelle
du clergé grec ». Dans cet ordre d'idées c'est à la Macédoine
qu'échoit le mérite d'avoir levé, la première, l'étendard du
mouvement panbulgare.
En effet, ce mouvement commença dans la Macédoine
du nord, dans les diocèses de Scopié et de Kustendil-Chtip,
centres religieux, où les traditions du passé s'étaient mieux
conservées comme
par exemple dans les couvents bulgares
d'Ossogovo, Lesnovo, Karpino, Prokhor, Lechok, Vétersky,
etc. C'est dans ces parages également, comme nous l'avons vu,
que travaillèrent les premiers écrivains et maîtres d'école en
langue bulgare moderne, tels: Hadji-Yakim Kirtchovsky,
Cyrille Péytchinovitch, Daskal Mitre, et leurs disciples.

l
) Cf. V. Teploff, La question religieuse
gréco-bulgare d'après les sources
inédites. Pétrograde 1889 (en russe). —
A. d'Avril, La Bulgarie chrétienne.
Etude historique. 2 e édition. Paris 1898. — Th. Bourmoff, Le litige religieux
gréco-bulgare. Sofia 1902 (en bulgare). — R. von Mach, Der Machtbereich
des bulgarischen Exarchats in der Tùrkei. Leipzig — Neuchâtel 1906. —
y
M. redecov, Eyypa<sa xarptapyr/.à /.ai auvodaà nepl zo~j ttouÀyaptxoî)
^rjryjjuaroç.
J
Ev KcovoTavrtvour.ôXst 1908. — A. Ischirkoff, La Macédoine et
la constitution de l'Exarchat bulgare. Lausanne 1918. — S. Radeff, La Macé-
doine et la renaissance bulgare au XIX e s. Sofia 1918.
— 99 —
Avant 1829, le siège de métropolite de Scopié était
occupé par un Grec, Ananie. Les notables bulgares de la
ville, mécontents de l'apathie du prélat, étranger à leurs

besoins scolaires et spirituels, firent des démarches pour


provoquer son transfert. Le métropolite une fois révoqué,
la population bulgare de Scopié avec le notable influent
Hadji-Traïko en tête, demanda en 1830 au Patriarcat un
prélat de nationalité bulgare: le Patriarcat fit la sourde
oreille. Le nouvel évêque, Gédéon, arrivé l'année suivante,

1831, était aussi un Grec, de sorte que les protestations des


Bulgares continuèrent de plus belle. Les remplaçants de
Gédéon venus en 1832, étaient aussi des Grecs, ainsi Ghen-
nadios et Néophyte. Le mécontentement de la population
tournant à la menace, le Patriarcat fut obligé d'envoyer
en 1833 un évêque grec, Gabriel, connaissant le bulgare.
Ce dernier permit que le service divin se fît en grec et
en bulgare, et en 1836, autorisa l'ouverture d'une école
publique bulgare. Plus tard, le Patriarcat embarrassé
par le mouvement bulgare, nomma en 1832 un Bulgare,
Auxentios, évêque vicaire au siège du diocèse voisin, Kusten-
dil-Chtip, dont le chef, le Grec Artémios, continuait d'ha-
biter Constantinople. L'année suivante, 1833, les Bulgares
de Samokov demandèrent, eux aussi, un évêque de leur
nationalité. Leur exemple fut suivi, plus tard, par les habi-
tants de l'ancienne capitale bulgare, Tirnovo; malgré ces
réclamations, le Patriarcat grec n'alla pas plus loin dans le
domaine des libéralités et maintint l'ancien ordre des choses.
En 1838, les Bulgares, profitant du voyage du sultan
Mahmoud à travers leur pays, lui remirent une pétition
dans laquelle ils sollicitèrent son intervention auprès du
Patriarcat, en vue de la nomination d'évêques bulgares. Le
gouvernement turc promit en 1840 de soutenir la nomina-
tion au siège de Vidin du diacre bulgare Dionyse, originaire
de Kotel. Parti pour Constantinople, pour y être consacré
par le Patriarcat grec, le diacre ne revint plus: il y trouva
la mort, empoisonné par les Phanariotes. Les Bulgares
— 100 —
répétèrent leurs prières en 1845, lors du passage du sultan
Abdoul Medjid en Bulgarie, et en 1853 enfin, ils adressèrent
une pétition rédigée dans le même sens à l'ambassadeur de
Russie à Constantinople : toutes ces démarches n'eurent
aucun résultat.

La promulgation du Hatti-Houmaïoun dans l'empire


ottoman, en 1856, modifia un peu l'aspect du problème en
donnant des espoirs aux Bulgares. Cette charte, dans son
article 8, garantissait « la liberté du culte, de la langue et de
la race » des sujets ottomans. Sur l'invitation de la Porte,
les communautés non musulmanes devaient se conformer
aux prescriptions du Hatti-Houmaïoun et procéder à une
nouvelle élaboration de leur régime, conforme aux besoins
de l'époque. A cet effet, le Patriarcat fut forcé de convo-
quer en 1858 un conseil mixte, composé du clergé et des
laïques, dont quatre Bulgares. Les revendications bulgares
étaient plutôt modestes: ils demandaient le droit de prier
dans leur langue maternelle et d'avoir des évêques de natio-
nalité bulgare sous la juridiction du Patriarcat grec. La
majorité grecque de ce conseil jugea cependant les re-
vendications bulgares incompatibles avec les canons l'Eglise :

œcuménique, ne pouvait tolérer dans son giron


disaient-ils,
la distinction par nationalités; les traditions avaient con-
sacré pour cette Eglise une seule langue, le grec, une seule
nationalité, l'hellénique. Tout écart était, dans ces con-
ditions, considéré comme une hérésie, de sorte que les de-
mandes bulgares ne furent même pas soumises à une dis-
cussion. Les délégués bulgares ne purent que protester et
se retirer.
Après ce recommencer, plus
défi grec, la lutte devait
agitée, plus âpre. Le signal du mécontentement général
fut donné, cette fois aussi, en Macédoine, par les Bulgares
de la ville de Koukouch 1 ), dans la région de Salonique.
Afin de se soustraire à l'hellénisme, les Koukouchiotes pro-

*) Incendiée par les Grecs en 1913.


— 101 —
clamèrent leur union avec le Saint-Siège qui leur garantis-
sait un clergé national et le maintien de la langue liturgique
bulgare. Le 12 juillet 1859, en effet, ils adressèrent une
requête au pape Pie IX qu'ils déclaraient reconnaître
comme leur chef spirituel, à condition que leur clergé restât
bulgare, de même eu égard à la langue liturgique et à la
langue de l'enseignement 1 ). Le Patriarcat, redoutant l'ex-
tension du mouvement dans tous les pays bulgares et pris
d'une grande frayeur, fit une concession: le 4 novembre,
arrivait à Koukouch, reçu solennellement, un évêque bul-
gare, Parthéni Zographsky, envoyé par le Patriarcat grec.
Parthéni était originaire de Galitchnik, Macédoine de
l'ouest. Pour dompter l'agitation bulgare, le Patriarcat
promit de nommer ultérieurement dans les diocèses bul-
gares des évêques de leur nationalité, aussitôt que le siège
correspondant deviendrait vacant. Hélas! trois mois suf-
firent pour convaincre les Bulgares de la dissimulation du
Patriarcat: le métropolite d'Okhrida (Macédoine) Inoken-
tios mourut le 25 décembre 1859; la population d'Okhrida
demanda un évêque bulgare par une requête publique re-
vêtue de 5000 signatures. En réponse à cette requête, ainsi
qu'à celle qui la suivit, laquelle, présentée par le diocèse
d'Okhrida, portait 9000 signatures, le Patriarcat répondit
en envoyant de nouveau un métropolite grec, Mélétios,
dans la ville sainte des Bulgares macédoniens.
La mauvaise volonté du
Patriarcat étant devenue évi-
dente même
pour les aveugles, la colonie bulgare de Cons-
tantinople, pour donner satisfaction à la conscience natio-
nale révoltée, décida de rompre avec l'Eglise grecque. Le
3 avril 1860 (a. style), pendant la messe de Pâques dans
l'église bulgare du Phanar, le nom du patriarche ne fut
pas mentionné; ce fut le signal de la rupture. Hilarion,
évêque bulgare in partibus, qui officiait, fut proclamé chef

x
) La requête a été publiée in extenso dans le journal de Constantinople
« La
Bulgarie», n° 25 de 1859. Cf. J. Ivanoff, Les Bulgares devant le Congrès
de la paix. 2 e édition. Berne 1919, p. 150 à 151.
- 102 —
spiritueldu peuple bulgare. En outre, deux délégués com-
muniquèrent à la Porte le fait accompli. Les villes bulgares
de la province, dûment averties, se hâtèrent de donner leur
assentiment complet et leur aide. Dans ce but, une as-
semblée nationale, composée des représentants des diocèses
bulgares, fut convoquée à Constantinople à la fin de l'année.
Ainsi, de la province, la lutte passa dans la capitale
de l'empire ottoman. Dorénavant, elle allait être dirigée
par des représentants du peuple bulgare se trouvant
à Constantinople.
Le Patriarcat grec comprit enfin la gravité de la « Ques-
tion bulgare ». Il comprit que les quelques concessions ano-
dines grecques ne satisfaisaient plus les Bulgares. Le 15
mai 1860, les Bulgares du diocèse de Kustendil, qui com-
prenait aussi les villes de Chtip, Kratovo, Kotchani, adres-
sèrent une requête à Constantinople pour se plaindre des
méfaits de l'évêque grec. La commission d'enquête chargée
par le Grand vizir d'informer sur ces plaintes, constataque
l'évêque Dionysios avait frauduleusement escamoté 1200
livres turques à ses ouailles de Chtip et de Kratovo. Par
ordre du Grand vizir du 3 décembre 1860, l'évêque fut, de
ce chef, relevé de son poste. La même année, le 3 septembre,
les Bulgares de Scopié signèrent une résolution de ne plus
permettre l'emploi du grec dans leurs églises et l'année sui-
vante, enlevèrent solennellement les livres grecs de la cathé-
drale. Le 9 avril 1861, les Bulgares d'Okhrida, à leur tour,
réclamèrent, par l'entremise de leurs représentants à Cons-
tantinople, la restauration de l'archevêché autonome bul-
gare d'Okhrida supprimé par les Grecs en 1767. Le mouve-
ment d'émancipation fut suivi par les autres villes macédo-
niennes ainsi, en 1863, le service divin à Nevrokop est célébré
:

en bulgare en 1866, le pope Yané Témelkoff visite les vil-


;

lages de Radovich et de Stroumitsa et y office en langue


bulgare en 1867, les Bulgares de Stroumitsa adressent des
;

pétitions à Constantinople pour se plaindre de leur évêque


grec Hierothée qui bannissait la langue bulgare de leurs
— 103 —
écoles et de leurs églises; en 1867, le 20 juin, les Bulgares de
Prilep rompent avec l'Eglise grecque; la même année, les
villesde Vodéna, Ressen, Enidjé-Vardar protestent contre
les agissements des évêques grecs; en 1868, les Bulgares de
Koumanovo réclament un évêque bulgare pour le siège de
Scopié, devenu vacant après la mort du Grec Yoakim ; la
même année, également, les Bulgares de Vélès chassent l'é-

vêque grec de sa résidence, et ceux de Monastir chassent les


chantres grecs de l'église bulgare de Notre-Dame; en 1869,
le 5 octobre, les Bulgares du diocèse de Castoria s'attaquent
à leur évêque grec et ne veulent plus le reconnaître, etc. etc.
Dans la Bulgarie du nord, en Thrace, la lutte n'était
pas moins chaude; à Constantinople, se manifeste la même
tension extrême quoique d'une autre nature. Les Grandes
Puissances d'autre part s'intéressent à la « Question bul-
gare »: le Vatican veut gagner les Bulgares pour les faire
entrer dans son giron. Tchaïkovsky, un des représentants
de la colonie polonaise en Turquie, avait déjà intéressé à ce
sujet le ministère Guizot en France; en 1861, l'archimandrite
bulgare Joseph Sokolsky est consacré à Rome par le pape
Pie IX, patriarche des Bulgares, dignité confirmée aussi
par la Porte. La Russie, craignant l'union de ses frères bul-
gares avec Rome, fit des démarches auprès du Patriarcat
grec pour un arrangement en faveur des revendications
bulgares. D'autre part, la Turquie inquiète de l'immixtion
des Puissances dans la question bulgare, se hâta d'accélérer
la solution du problème. Le Patriarcat, cette fois, se montra
plus conciliant. On se mit de nouveau au travail, un travail
qui n'avança guère. En effet, malgré tant de commissions,
de projets, de contre-projets, de polémiques, de protesta-
tions, de mesures comminatoires, comme le bannissement
d'évêques bulgares, destitution de patriarches grecs, malgré
lesdix ans que durèrent les pourparlers, on n'aboutit à
aucun accord ce fut finalement, et de guerre lasse, le gou-
;

vernement turc qui décida.


Par firman impérial du 28 février (10 mars) 1870, c'est-
— 104 —
à-dire après une lutte acharnée qui dura quarante ans, on
institua une Eglise autonome bulgare administrée par
l'Exarchat bulgare. Les contrées qui s'étendent de la Mo-
rava bulgare aux bouches du Danube et à la mer Noire sont
reconnues par la Turquie comme peuplées de Bulgares et
passent immédiatement sous la juridiction spirituelle de
l'Exarchat. Parmi les diocèses reconnus indubitablement
bulgares figuraient deux diocèses de la Macédoine, celui de
Vélès (Kuprulu) et de Kustendil, comprenant les villes de :

Vélès, Chtip, Kotchani, Kratovo, Kustendil. Quant au


reste des pays bulgares, seuls ceux dont 2 /3 de la popu-
lation chrétienne se prononceraient par voie de plébiscite en
faveur de l'Eglise bulgare, passeraient sous la juridiction de
l'Exarchat. L'alinéa 2 de l'article 10 du firman stipulait ce
qui suit: « Si la totalité ou les deux tiers au moins des habi-
tants de rite orthodoxe des localités autres que celles énu-
mérées et énoncées ci-dessus veulent se soumettre à l'Exar-
chat bulgare pour leurs affaires spirituelles, et si cela est
constaté et établi, ils y seront autorisés; mais cela n'aura
lieu qu'à la demande et avec l'assentiment de la totalité
ou tout au moins des deux tiers des habitants ».
Le Patriarcat grec jugea le firman incompatible avec
les canons de son Eglise et protesta auprès du gouvernement
ottoman. Plus tard, cependant, il entama de nouvelles né-
gociations. Quant aux Bulgares, une fois en possession du
firman, ils s'employèrent à l'élaboration du statut organique
de l'Exarchat. Le conseil provisoire prépara un projet et
invita les diocèses à élire leurs représentants qui devaient
prendre part au congrès ecclésiastique bulgare chargé de se
prononcer sur le projet. L'assemblée fut convoquée pour
janvier 1871, à Constantinople. Après quelques séances pré-
liminaires, la première séance ordinaire fut tenue le 23 fé-
vrier (a. s.). Le congrès comprenait des délégués non
seulement des diocèses mentionnés dans le firman, mais
aussi des communautés qui, vu la majorité de leur popula-
tion bulgare, devaient rentrer après le plébiscite dans le
- 105 —
giron de l'Eglise bulgare. Les délégués de la Macédoine
étaient : pour le diocèse de Kustendil-Chtip : Dimitri An-
ghéloff et le prêtre Apostol;pour le diocèse de Vélès: Cons-
tantin Chouleff pour le diocèse de Scopié: le prêtre Ghéor-
;

ghi, Stoïan Kostoff et Siméon Ghéorghieff pour le diocèse ;

de Monastir: Théodore Kousseff, actuellement métropolite


de Stara-Zagora; pour le diocèse d'Okhrida: Mikhaïl Mant-
cheff; pour le diocèse de Castoria: le prêtre Théodore et
Constantin Goutoff pour le diocèse de Vodéna: Ghéorghi
;

Gogoff pour le diocèse de Nevrokop: Costa Sarafoff, etc.


;

Le journal serbe « Yedinstvo », du 19 mai 1871, avant de


donner les noms des délégués bulgares, écrivait: « Il serait
intéressant de connaître les noms de ces représentants qui,
après 450 années (allusion à la chute du royaume bulgare
au XIV e s.), se réunirent le 15 mars 1871 dans la capitale
de l'ancienne gloire et de l'ancienne splendeur byzantines
pour délibérer fraternellement sur le moyen d'organiser leur
Eglise qui, il y a dix ans, était asservie aux phanariotes cor-
rompus même à l'heure actuelle souffre de leurs mé-
et qui
faits dans malheureuse Macédoine ».
la
Le congrès bulgare, tout en poursuivant ses séances,
menait des négociations secrètes avec le Patriarcat grec par
l'entremise du comte Ignatieff, ambassadeur de Russie. Le
patriarche Anthyme, afin d'arriver à une conciliation, cé-
dait aux Bulgares les diocèses macédoniens suivants: Kus-
tendil-Chtip, Vélès, Scopié, Okhrida et la partie nord du
diocèse de Monastir. Toutefois, quelques incidents cependant
hâtèrent la rupture. A la suite du service célébré par les
Bulgares, le jour de l'Epiphanie de 1872, sans l'autorisation
du Patriarcat, ce dernier destitua de leur dignité les évêques
bulgares qui avaient pris part à la cérémonie religieuse. La
Porte, sur la demande du Patriarcat, fit déporter ces évê-
ques, ce qui provoqua des troubles parmi les Bulgares de
tout l'Empire. Intimidée, la Porte décréta l'élection de
l'exarque bulgare: Anthyme, métropolite de Vidin, fut pro-
clamé exarque et, le 3 avril (v. s.) 1872, il recevait son
— 106 —
bérat; le jour suivant il était reçu en audience solennelle par
le sultan. Malgré le fait accompli, le Patriarcat toujours
intransigeant interdit au nouveau chef de l'Eglise bulgare
de célébrer la messe à Constantinople dont le diocèse ressor-
tait au patriarche grec. La rupture entre Grecs et Bul-
gares s'affirmait et était sur le point de se consommer. Le
prétexte qui la consacra définitivement fut le suivant Malgré :

l'interdiction du Patriarcat, le 11 mai, jour des apôtres


slaves Cyrille et Méthode, une messe solennelle fut célébrée
par l'exarque bulgare, assisté de six évêques bulgares dont
trois Macédoniens. Après la lecture de l'Evangile, en présence
d'un grand nombre de membres de la colonie bulgare, on
proclama V autonomie de l'Eglise bulgare. Le Patriarcat con-
voqua tout de suite après un concile ecclésiastique qui,
dans sa séance du 16 septembre 1872, déclara le peuple bul-
1
gare « schismatique » ) . . .

Depuis, les destinées spirituelles des deux peuples,


Grecs et Bulgares, suivirent des routes différentes : la Bul-
garie danubienne et une grande partie de la Thrace furent
incorporées dans l'Eglise bulgare. En Macédoine, deux dio-
cèses exceptés, on dut procéder à un plébiscite, le premier
dans Vhistoire des peuples balkaniques: la population devait
(art. 10 du firman) déclarer sa nationalité et se décider
pour l'Eglise grecque ou pour l'Eglise bulgare sous l'auto-
rité du gouvernement turc.
Le gouvernement turc ajournait toujours la mise en
vigueur du firman toutefois, en suite des manifestations et
;

des troubles qui éclatèrent en Macédoine, il ordonna le plé-


biscite, au mois d'avril 1872, dans deux diocèses, ceux de
Scopiê et d'Okhrida. On commença
par le premier de ces
diocèses. Des fonctionnaires turcs ad hoc, les uns envoyés

J
L'art. 1 er de cette sentence d'excommunication du peuple bulgare
)

porte: «Nous blâmons, condamnons et déclarons contraires à l'enseignement


de l'Evangile et aux canons sacrés des heureux Pères l'ethnophylétisme, soit
les distinctions de races et les discussions nationales dans le sein de l'Eglise
du Christ.»
— 107 —
de Constantinople, les autres ressortissants de Scopié, se
dispersèrent dans Féparchie en vue de procéder au recense-
ment de la population chrétienne et au vote direct pour
l'incorporation dans l'Eglise nationale bulgare ou dans celle
du Patriarcat grec. Or, malgré
agissements de l'évêque
les
grec resté en fonctions, les résultats du plébiscite furent écra-
sants pour l'hellénisme: toute la population chrétienne de
la vaste éparchie de Scopié — avec les villes de Scopié,
Koumanovo, Vrania, Tétovo, Gostivar et 660 villages dont
quelques-uns mixtes (chrétiens et musulmans) se pro- —
clama de nationalité bulgare et affirma sa ferme volonté
d'être incorporée dans l'Eglise bulgare. Firent exception
60 maisons à Tétovo, 150 à Scopié (toutes koutso-valaques),
50 à Koumanovo et un nombre insignifiant à Vrania. Quant
aux en retenir à lui
villages, l'évêque grec réussit à peine à
10 à 11. Les Scopiotes bulgares qui avaient inauguré la
mtte contre le clergé grec en 1830, célébrèrent quarante ans
après, en 1872, leur victoire nationale. Dans ces conditions,
la Porte fut obligée de s'incliner devant le fait accompli et
d'incorporer toute l'éparchie de Scopié dans l'Eglise auto-
nome bulgare. Le 8 juin, les représentants du diocèse,
réunis dans la métropole, procédèrent à l'élection de l'é-
vêque bulgare. L'élu fut Sa Grandeur Monseigneur Doro-
thée et le choix fut approuvé par l'exarque bulgare de Cons-
tantinople.
Le plébiscite d'Okhrida donna les mêmes résultats. A
part deux villages koutso-valaques et deux villages bulgares
sous la dépendance du couvent de St-Naoum alors sous —
l'autorité du Patriarcat grec —
toutes les autres villes (Okh-
rida, Strouga, Ressen, Krouchévo) et villages, au nombre de
220, se prononcèrent en faveur de l'Eglise nationale bulgare.
Au siège de l'ancienne Eglise bulgare d'Okhrida, usurpée en
1767 par les Grecs, fut élu Monseigneur Nathanaïl, un Macé-
donien du district de Scopié.
Deux ansaprès, en 1874, l'éparchie macédonienne de
Vélès eut aussi son évêque bulgare et, successivement, jus-
— 108 —
qu'à ce qu'en 1912 la Macédoine possédât sept sièges d'é-
vêque, à Scopié, Okhrida, Vélès, Monastir (Bytolia), Dèbre,
Stroumitsa, Nevrokop et presque autant de vicariats pour
les éparchies sans titulaires, à Salonique, Castoria, Florina,
Vodéna, Koukouch, Serrés, Drama, Melnik.
A la veille de la guerre des Balkans (1912) l'Eglise bul-
gare comptait en Macédoine: 7 évêques et 7 vicaires pour
les sept sièges episcopaux restés vacants, 1 132 prêtres desser-
vant 1139 églises, 154 chapelles et 62 monastères. La Macé-
doine, qui était toujours à la tête de tant de manifestations
nationales et culturelles bulgares, donna onze de ses fils

comme métropolites au haut clergé bulgare.


En 1913, le régime des Grecs et des Serbes en Macé-
doine supprima l'Eglise autonome bulgare, s'appropria ses
domaines, chassa le clergé et anéantit l'œuvre religieuse et
nationale d'un peuple chrétien qui avait trouvé plus de jus-
tice auprès du Turc, « mahométan et barbare »...
Le plébiscite, tant désiré de nos jours, fut étouffé par
les Serbes et les Grecs.

Luttes révolutionnaires 1 ).

Après l'activité scolaire et les luttes religieuses, nous


entrons dans la troisième étape de la vie du peuple bul-
gare, savoir ses aspirations à des droits politiques. Et,
tandis que les résultats du différend religieux avec les

l
) Cf. Le livre jaune. Affaires de Macédoine, 1902, 1903, 1905. -
Blue Book. Turkey for the period of March-September 1903. — Documenti
diplomatici presentati al Parlamento italiano dal ministro degli affari esteri.
Macedonia. Roma 1906. — R. Pinon, L'Europe et l'empire ottoman. 7 e éd.
Paris 1913. — La Macédoine et la région d'Andrinople (1893 — 1903). Avec
deux cartes. Mémoire de l'Organisation intérieure, 1904 (en bulgare). —
A. Tomoff et G. Bajdaroff, La lutte révolutionnaire en Macédoine. Avec
33 portraits. Scopié-Sofia 1917 (en bulgare). — G. Strézoff, Les luttes
politiques des Bulgares macédoniens. Genève 1918. — Le Mémoire présenté
à la Conférence de Paris par le Comité exécutif des sociétés de l'émigration
macédonienne en Bulgarie. Sofia, février 1919.
— 109 —
Grecs se dessinaient déjà, les agitations politiques contre
la tyrannie turque devinrent plus fréquentes en Bulgarie
danubienne et thracienne. Le grand soulèvement de Thrace
de 1876, les centaines de villages détruits, les milliers de
Bulgares massacrés provoquèrent l'intervention des Grandes
Puissances, les décisions de la Conférence de Constantinople
de 1876 —1877 et, enfin, la guerre russo-turque de 1877 à
1878 qui libéra une partie du peuple bulgare. Parallèlement
à l'insurrection thracienne, éclata en Macédoine du nord
ce qu'on a appelé « la révolte de Maléchévo ».

Le Congrès de Berlin de 1878, l'œuvre la plus néfaste


de la diplomatie européenne, laissa de nouveau la Macé-
doine entre les mains des Turcs. La même année les Bul-
gares de Kresna et Razlog, en Macédoine, élevèrent leurs
faiblesmains contre le régime turc; l'insurrection fut noyée
dans le sang et dans le feu par les armées turques et les
bachibozouks. Deux ans après, on découvrit un complot
ourdi par les Bulgares d'Okhrida et de Monastir, et dénoncé
par le supérieur grec du monastère Sleptché; la révolte de
Prilep fut également étouffée.
L'Europe néanmoins, resta ferme quant à ses décisions
de Berlin et la tyrannie turque continua à sévir sur les popu-
lations chrétiennes de Macédoine. Le voisinage de la prin-
cipauté bulgare nouvellement créée, considérée comme en-
fant de la Russie et comme l'avant-garde des plans de con-
quête de cette dernière, firent que la situation du Bulgare
macédonien devint intolérable. Les droits scolaires et reli-
gieux que la population bulgare avait réussi à conquérir
furent l'objet de toutes sortes d'attaques; le gouvernement
turc adoptant la formule du divide et impera, ajourna l'ap-
plication du firman relatif aux droits ecclésiastiques des
Bulgares, excita les Grecs et permit plus tard l'implanta-
tion en Macédoine d'un nouveau fléau — la propagande
politique serbe — qui commença à recruter des « Serbes »

parmi la macédonienne. L'éminent homme


population
d'Etat serbe, l'un des fondateurs de l'union balkanique en
— 110 —
1912, M. Milovanovitch,
écrivait à ce sujet: «Jusqu'en 1885,
la Serbie n'avait jamais pensé à la Macédoine » 1).
La situation des Bulgares macédoniens devint plus
critique. pour détourner les yeux
L'Autriche-Hongrie,
de Bosnie et l'Herzégovine,
la Serbie des terres serbes, la
achemina ses aspirations politiques vers la Macédoine en
escomptant la prompte succession des patrimoines de
l'homme malade —
la Turquie. La Russie qui jusqu'alors
protégeait les Bulgares, tourna, elle aussi, son char. In-
quiète de la consolidation rapide de la Bulgarie, de son
agrandissement en 1885 par l'annexion de la Roumélie
Orientale, effrayée d'une rivalité possible sur la mer Noire
et aux Dardanelles, la Russie commença à coqueter avec la
Serbie. Enfin, la politique austrophile du gouvernement du
prince Ferdinand et de son premier ministre Stambouloff
contribua non moins au refroidissement de la Russie envers
la Bulgarie. Les consuls russes de Macédoine reçurent des
instructions de collaborer à la propagande serbe et de miner
le terrain de tout renforcement bulgare en Macédoine. Ainsi
inspiré, le consul russe de Bytolia, Rostkovsky, publia en
1899 sa statistique de la population macédonienne, dans
laquelle il proclama simplement comme « slave » la popula-
tion bulgare de la Macédoine, ce qui répondait précisément
aux aspirations serbes. Un vif mécontentement s'empara
des cercles bulgares: certains parmi les patriotes macédo-
niens estimaient qu'il fallait continuer l'œuvre scolaire,
religieuse et civilisatrice sur une base loyale, comme jus-
qu'alors; d'autres, vu
massacres systématiques de l'élé-
les
ment bulgare en Macédoine de la part des Turcs, son
anéantissement économique, sa forte émigration, la dé-
moralisation provoquée par la propagande des Serbes et
des Grecs, décidèrent de commencer un mouvement poli-
tique et révolutionnaire qui amènerait l'autonomie du pays.
Cette dernière opinion prévalut: les Bulgares commen-

*) La revue serbe « Délo » de 1898, vol. XVII, p. 300.


— 111 —
cèrent à travailler à leur libération politique. Le moyen
choisi était le plus radical: soulèvement armé de la popu-
lation bulgare contre le pouvoir turc. Il constituait la mani-
festation la plus expressive de la conscience nationale bul-
gare en Macédoine. Le but était, sinon le rattachement des
Bulgares à leurs compatriotes de la principauté, du moins
l'obtention d'un gouvernement autonome en secouant la
torpeur de la diplomatie occidentale. L'Organisation ré-
volutionnaire macédonienne, dite « Organisation intérieure »

commença en 1893; on fonda alors ses premiers comités, à


Ressen, à Salonique, etc. Trois ans après, en 1896, eut
lieu à Salonique également, une assemblée générale des
chefs de l'organisation, où apparurent comme premiers
pionniers: Damian Groueff, Gotsé Deltcheff, Péré Tocheff,
Christo Matoff, DrTatartcheff, Ghéortché Petroff, Théodore
Lazaroff, Peter Pope Arsoff, tous enfants de Macédoine.
Indépendamment de l'Organisation intérieure, les émi-
grés macédoniens en Bulgarie avaient fondé des sociétés
patriotiques dans le but de coopérer à la libération de
leur pays natal. En 1895, ces sociétés se réunirent en con-
grès et créèrent le Haut comité macédonien dont le premier
président fut Traïko Kitantcheff de Ressen. La même
année, Comité voulant raviver l'intérêt de la diplomatie
le
européenne sur la question macédonienne, qui était déjà
saisie du problème arménien, organisa une insurrection
dans la Macédoine du nord, principalement dans la vallée
de la Strouma. Cette insurrection fut dirigée par les émigrés
macédoniens, officiers dans l'armée bulgare; les prin-
cipaux étaient: Boris Sarafoff, Yankoff, Darvingoff, Pro-
toghéroff, Sarakinoff, Athanassoff, Pojarlieff, S. Stoïanoff,
Drangoff, Nasteff, etc. Après quelques mois de résistance,
la révolte fut étouffée par la troupe turque ; ce fut le pré-
texte d'un grand nombre de persécutions et d'emprisonne-
ments de la classe suspectée de la population bulgare. Ces
événements placèrent le gouvernement bulgare dans la né-
cessité de demander aux Grandes Puissances l'application
— 112 —
de l'art. 23 du Traité de Berlin, qui prévoyait une certaine
autonomie pour les provinces ottomanes en Europe. L'année
suivante, le gouvernement bulgare renouvela ses démarches
auprès des Puissances qui se bornèrent à un simple échange
de vues sans aucun résultat pratique.
Quant à l'Organisation intérieure, les premières années
de son activité furent employées à la préparation de l'esprit
de la population à une résistance armée et à l'organisation
même des combattants. Tant que dura cette période
d'entraînement et malgré les mesures prises pour le cacher,
quelques affaires surgirent qui firent comprendre à la Tur-
quie que quelque chose se préparait en Macédoine. La
première fut l'affaire du village Vinitsa, district de Kot-
chani, en 1897. A la suite de port d'armes, 628 Bulgares
y furent arrêtés et maltraités 300 autres s'enfuirent. Après,
;

vinrent de Valandovo en 1899, de Tikvech en


les affaires
1900, d'Enidjé-Vardar en 1900, de Salonique en 1901, de
Serrés en 1902, de Bytolia, Prilep, même année, etc. Simul-
tanément, des soulèvements partiels éclatèrent, à Melnik en
1895, à Djoumaïa et Serrés en 1902, etc. La Turquie usa de
représailles pour étouffer le mouvement libérateur: arres-
tations en masses, condamnations, tortures et déportation de
la population bulgare. Ces mesures n'affaiblirent guère l'ar-
deur de l'esclave macédonien; l'organisation continuait à
renforcer sa préparation combative.
En 1903 — l'année de la grande insurrection — l'orga-
nisation embrassait toute la Macédoine. Dix membres for-
maient un groupe; quelques-uns de ces groupes formaient
« l'organisation locale » dirigée par un comité local. Les
comités locaux (de district, de département, rural ou urbain)
étaient soumis au comité central, dont le siège était « par-
tout et nulle part ». La force guerrière de l'organisation
étaient les « tchétas » (bandes) et la réserve, c'était toute la
population au courant du secret.
En 1903, tout était en ébullition. La multitude des
bandes et le large réseau de l'organisation ne pouvaient pas
.

— 113 —
échapper à la vigilance du gouvernement turc. C'est pour
cela que les rencontres entre les bandes et la troupe devin-
rent toujours plus fréquentes. Lorsque les bandes se glissaient
entre les mains de la troupe, la population était maltraitée,
enfermée et massacrée. Les représailles turques furent plus
violentes surtout après les attentats de Salonique, les der-
niers jours d'avril 1903, lorsqu'on mit le feu au bateau
français « Guadalquivir » portant des munitions pour l'ar-
mée turque, lorsque les conduites de gaz à Salonique furent
coupées et lorsque l'usine à gas et la Banque ottomane
furent sautées en l'air. Ces attentats étaient perpétrés par
un courageux groupe semi-indépendant de l'organisation
de Vélès. La plupart de ses auteurs périrent sur place et
250 personnes de la paisible population bulgare furent
égorgées par les Turcs, 1000 furent enfermées dans les pri-
sons de Salonique, tandis que d'autres étaient envoyées en
exil en Asie Mineure et en Fezzan, dans le Tripolis du sud.
La flotte européenne jeta l'ancre devant le port de Salo-
nique. Au mois de mai suivant les représailles turques se-
mèrent la panique à Monastir et à Smerdech (district de
Castoria). A Monastir 14 Bulgares furent massacrés et
eurent 40 blessés; d'autres périrent en prison. A Smerdech,
on massacra 87 habitants; 50 furent blessés, 167 maisons,
incendiées, etc. En un seul mois, le nombre des Bulgares
de Macédoine et de Thrace, enfermés dans les prisons
turques, s'éleva à 20,000 personnes!
Pour ne pas disperser ses forces dans les combats sé-
parés, l'Organisation décida le soulèvement en masse. Et,
afin de masquer le centre de l'insurrection qui se trouvait
dans la région de Monastir, elle simula un mouvement aussi
dans les autres provinces, à Salonique, Scopié, Serrés, etc.
L'insurrection fut proclamée le jour de la St-Elie, le 20 juil-

let 2 août 1913, et à sa tête furent placés les dirigeants;
Damian Groueff, Boris Sarafoff et Anastase Lozantcheff
Les insurgés détruisirent d'abord les communications
télégraphiques, les ponts sur les lignes de chemin de fer,
8
— 114 —
occupèrent les passages et les points de croisements
des routes, ensuite ils attaquèrent et anéantirent les
petites garnisons turques disséminées et incendièrent les
tours beylicales, tout cela rapidement afin de provoquer la
panique.
Au début, les grandes garnisons turques ne purent
s'orienter, parce que les insurgés menaient une guerre de
partisans et évitaient les combats réguliers avec la troupe.
Ils conquirent plusieurs villes et bourgs, comme: Krou-
chévo, Neveska, Klissoura, gardèrent quelques
etc., les
jours, puis les abandonnèrent pour se transporter ailleurs.
La population bulgare se retira dans les montagnes où l'on
établit des camps gardés par les bandes. A la fin d'août, les
renforts turcs arrivèrent de Salonique et de Scopié; une
armée de 80,000 hommes sous le commandement de Orner
Roujdi Pacha, d'abord, de Nazir-Pacha ensuite, commença
l'assaut méthodique contre les insurgés de tous les côtés.
A la fin de ce même mois commencèrent les rencontres sang-
lantes, pendant lesquelles les insurgés eurent à combattre
contre de nombreuses armées turques, pourvues d'artillerie
et de la cavallerie. Les groupes les plus forts d'insurgés comp-
taient environ 400 hommes, devant tenir tête à des déta-
chements armés de 2 à 10,000 hommes et plus, de longues
heures durant, jusqu'à ce qu'ils arrivassent à se frayer un
chemin et se transporter dans un autre rayon.
De grands combats eurent ainsi lieu près des villages
suivants de Monastir: Smilévo, Boïchta, Tsapari, Boudi-
mirtsi, Sloévichta, Elha, Roudari; à Bélovoditsa, district
de Prilep; à Douchégoubets, Siklé, district de Florina;
à Tourié, Staro-Véléisko, Kouratitsa, Svinichta, district
d'Okhrida; à Zagoritchani, Aposkep, district de Cas-
toria; à Lopouchnik, district de Kitchévo, ainsi que dans
beaucoup d'autres localités montagneuses de la Macédoine
occidentale. Les combats continuèrent jusqu'en novembre,
parce que les froids et les neiges empêchaient les insurgés —
les uns dispersés, les autres tués — de les continuer. Rien
— 115 —
que dans le département de Monastir, 150 combats furent
livrés, avec la participation de 14,000 insurgés.
L'insurrection se termina par une dévastation générale :

ainsi, dans le vilayet de Monastir, 91 villages bulgares furent


totalement incendiés, 12 le furent à moitié et 19 en partie,
notamment, dans les districts de Monastir 38, Florina 9,
:

Castoria 23, Okhrida 42, Kitchévo 10. Le nombre total des


maisons bulgares incendiées fut de 8646; la population
privée de gîte s'éleva à 51,606 personnes, et 1179 personnes
appartenant à la population paisible furent massacrées. La
contrée insurgée eut beaucoup à souffrir au point de vue
économique; ainsi rien que dans le district d'Okhrida furent
dévastés 42 villages, emportées 3181 têtes de bétail, 28,226
moutons et chèvres, 827 chevaux, 149 ânes, 542,900
kilos de blé et 404,500 kilos détruits. En général, 12 dis-
tricts de Macédoine souffrirent, 135 villages furent incen-
diés avec 9830 maisons, 2129 bulgares égorgés et tués,
privés de logements 60,953, 2245 femmes violées et emme-
nées en captivité et 1500 emprisonnés comme détenus
politiques.
Les effetsde l'insurrection qui dura trois mois furent
écrasants. L'apathique diplomatie européenne ne se se-
coua qu'à la vue des torrents de sang et de ses intérêts
économiques menacés. Les rapports des consuls européens
de Monastir, Salonique, Scopié, etc. émurent les gouverne-
ments respectifs. Déjà, dès que retentirent les premiers
coups de fusil de l'insurrection, le vice-consul britannique
de Monastir, McGregor communique, le 4 et 6 août, à son
consul général de Salonique, ce qui suit:
« Il est impossible, en ce moment, d'estimer la propor-

tion de la population rurale, qui a abandonné les villages,


soit partiellement, soit en masse, pour se retirer dans les
montagnes en donnant suite aux sommations de dimanche
soir, mais elle atteint plusieurs milliers, y compris non

seulement des Bulgares exarchistes, mais aussi des patriar-


chistes et des Valaques, qui ont passé jusqu'ici pour de
— 116 —
fermes adhérents de la propagande hellénique. Voici les
noms des villages insurgés dans le voisinage immédiat de
Monastir: Kristofor, Pozdech, Gorno-Orizari, Dolno-Orizari,
Karaman, Tirnovo, Magarévo et Jabiani, et un peu plus au
nord Koukouretchani, Tchernaboka et autres ... Le Vali
m'informe que les villages chrétiens dans la région près de
Bouf et Florina comme Resna, Armensko, Popoljani, Zabâr-
déni, Banitsa et Hassan-Oba sont déserts et il en est de
même, semble-t-il, pour la contrée de Korechta entre les
lacs de Prespa et de Castoria où l'on ne trouverait plus que
des enfants et des personnes âgées ». Et plus loin : « Je
m'efforce de dresser une liste des villages dont les habitants
se sont sauvés dans les montagnes, mais pour le moment je
dois me
borner à constater que V insurrection est complète
dans les districts de Monastir, Resna, Prespa, Okhrida, Kit-
chévo, Krouchévo, Korechta, Castoria, Florina et Morikhovo
et que les patriarchistes de nationalité slave et valaque ont
apparemment fait cause commune avec les insurgés et
gagné à leur cause les villages voisins de Boukovo, Tirnovo,
Magarévo et Nijopolé dont chacun a fourni quinze à trente-
cinq recrues ... Il est presque certain que toute la contrée
montagneuse entre Florina et Castoria est dans les mains des
insurgés. Ceux-ci auraient occupé les positions importantes
de Pissodère et Clissoura et mis en fuite ou défait les petits
détachements de troupes à Jéliovo, Roulia, Biglichta, etc.
On a formé dans ce district des camps de concentration
pour les femmes et les enfants mais on peut y voir aussi des
boulangers, des tailleurs et des cordonniers faire leur
besogne ».

Nous lisons dansrapport de l'ambassadeur de la Ré-


le

publique française à Constantinople, Constans, adressé à


M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, en date du
11 août 1903:
« On ne peut se dissimuler que la situation est grave, en
particulier dans le vilayet de Monastir que les insurgés parais-
sent avoir pris pour centre de leurs opérations. Chaque
- 117 —
jour de nouveaux méfaits sont signalés de la part des
bandes, incendies de villages turcs ou de récoltes apparte-
nant à des Musulmans, fils télégraphiques coupés, stations
de chemin de fer détruites, ouvriers de la voie enlevés ou
tués. Jamais à aucun moment, le mouvement insurrec-
tionnel n'avait déployé une pareille activité, jamais non
plus un aussi grand nombre de révolutionnaires n avait tenu
la campagne. Des gens en général bien informés assurent
qu'ils sont plus de 30,000 sous les armes. Je sais bien que
dans ce chiffre l'on comprend les paysans qui, excédés
d'avoir toujours à craindre d'être fusillés par les uns comme
complices des Bulgares, ou par les autres comme espions des
Turcs, ont abandonné leurs villages et leurs familles et se
battent peut-être sans grand enthousiasme. Je sais égale-
ment que tous ne sont pas parfaitement armés. Mais il n'en
reste pas moins qu'à l'heure actuelle, dans le vilayet de
Monastir les troupes turques cependant nombreuses sont im-
puissantes à rétablir V ordre et que, fait unique jusqu'à
présent, le village de Krouchévo est depuis plusieurs jours
entre les mains des insurgés sans que l'autorité ait pu par-
venir à le reconquérir ».

Dans son rapport du 22 août, le même ambassadeur


écrivait:
« Les faits insurrectionnels qui se sont produits, il y a
quelques jours, dans le vilayet de Monastir ont profondé-
ment troublé les habitants de cette province et surexcité
les Musulmans. Effrayés par la prise d'un certain nombre
de bourgs et de villages, ils étaient terrorisés par la crainte
d'événements que la prompte arrivée de sérieux renforts
de troupes a très heureusement prévenus. Les nombreux
bataillons envoyés dans le vilayet ont repoussé les bandes
et repris les points qu'elles occupaient. Krouchovo et cinq
villages qui entourent ce mudiriet sont tombés entre leurs
mains. Il en est de même d'un certain nombre de villages
au sud de Monastir et, d'après les affirmations de la Porte,
les troupes seraient maîtresses de la région de Perlépé et de
— 118 —
toute celle qui s'étend entre Castoria, Florina et les lacs
situés au nord-ouest de cette ville. Un rassemblement con-
sidérable de Bulgares insurgés serait même cerné par six
bataillons à quelques kilomètres de Florina. Ce succès des
troupes ottomanes permettait de supposer qu'un peu de
calme allait succéder à la période troublée que l'on venait
de traverser. Il n'en est rien cependant, et s'il est vrai que
plusieurs centaines d'insurgés ont mis bas les armes, il n'est
pas moins certain que l'action des bandes semble se géné-
raliser et qu'elle s'est déjà fait sentir dans le vilayet rf' Uskub
et dans celui d 'Andrinople. Il règne depuis quelques jours à

Uskub une grande inquiétude. Le vali a cru devoir faire


garder les mosquées par les troupes. Il a été tout récem-
ment autorisé à appeler les dernières réserves de sa pro-
vince et la Porte lui laisse toute liberté d'action pour les
employer comme il le jugera utile.
« Dans le vilayet d' Andrinople, jusqu'ici à peu près

tranquille, l'activité des bandes vient aussi d'être constatée.


Dans la nuit du 16 au 17 courant, près de Kouléli- Bourg as,
station de la ligne de Constantinople- Andrinople, de nom-
breux coups de feu ont été échangés entre les soldats
chargés de la surveillance de la ligne et les révolutionnaires.
Enfin, au lendemain de l'arrivée de la division navale russe
au mouillage d'Iniada, Bulgares ont attaqué et détruit
les
deux villages grecs situés entre cette baie et Kirk-Kilissé
qui a été également attaqué et dont le conak a été incendié.
« Si l'on rapproche de ces faits les divers attentats

commis par les rebelles sur les chemins de fer de Salonique à


Dédéagatch, de Salonique à Monastir et de Salonique à Uskub,
on est amené à constater que la circulation des voyageurs
et des troupes déjà, fort difficile, deviendra bientôt absolu-
ment impossible.
« J'ai vu plusieurs fois ces jours derniers Son Altesse
leGrand Vizir et le ministre des Affaires étrangères. Tous
deux affectent dans le prochain rétablissement de l'ordre
une entière confiance. Depuis ma dernière visite au Grand
— 119 —
Porte a donné l'ordre
Vizir, j'ai appris que, le 16 courant, la
au vali d'Andrinople de mobiliser les 32 bataillons d'ilavés
non encore convoqués dans la Turquie d'Europe. Il lui a
été enjoint encore d'appeler les 16 bataillons de rédifs dis-
ponibles dans son vilayet et les quatre restant dans celui de
Salonique. Les deux divisions d'ilavés d'Angora et de Césarée
ont également reçu l'ordre de se tenir prêtes à partir au
premier signal. La mobilisation de 84 bataillons ne demontre-
t-elle pas l'excessive inquiétude du Gouvernement otto-
man ? . . . .

Les moyens employés jusqu'à ce jour par les Puis-


«

sances pour mettre un terme à l'agitation macédonienne


sont évidemment impuissants. Les Bulgares se plaignent et
non sans raison, des excès commis par les troupes impériales
et des exactions dont ils sont victimes de la part des fonction-
naires ottomans. C'est pour les garantir contre toute vio-
lence,pour protéger leur personne et leurs biens qu'une série
de réformes a été proposée par les Gouvernements russe et
austro-hongrois. Je crois que S. M. le Sultan est décidé
à les appliquer ».

L'insurrection n'était pas encore achevée qu'un échange


de vues eut lieu entre les cabinets européens en vue des
réformes indispensables en Turquie d'Europe. Les Puis-
sances directement intéressées au sort des Balkans, l'Au-
triche-Hongrie et la Russie, assumèrent le mandat de l'Eu-
rope pour ces réformes. Le 30 septembre 1903, eut lieu à
ce sujet, une entrevue à Vienne, entre les empereurs Nico-
las II et François Joseph; quelques jours après ils partirent
pour Murzsteg, en Styrie, où fut élaboré le programme des
réformes, qui fut communiqué à la Turquie le 22 octobre
1903. Les réformes de Murzsteg prévoyaient la réorganisa-
tion de la gendarmerie turque en Macédoine et un système
de finances sous le contrôle européen. Elles ne touchaient
pas cependant les besoins immédiats de la population et,
partant, ne purent pacifier le pays et le mouvement révolu-
tionnaire reprit en 1904 et continua jusqu'en 1908. L'Or-
— 120 —
ganisation intérieure livra pendant ce laps de temps 172
combats contre les troupes turques. L'animosité entre les
races, l'action des bandes et leurs recontres avec les soldats
et gendarmes turcs aggravaient la situation, devenue
presque anarchique. On évaluait à 2000 par an les meur-
tres. Pour le seul mois de novembre 1907, le nombre des
assassinats en Macédoine atteignit le chiffre de 211, dont
142 de Bulgares, 41 de Turcs, 20 de Grecs et 8 de Serbes.
Lorsque les Puissances européennes se rendirent
compte, d'une part, de l'inconsistance de leur œuvre, et
d'autre part, de la mauvaise foi turque, elles firent un pas
en avant. Le 10 juin 1908, en effet, eut lieu à Reval une
entrevue entre le roi d'Angleterre et l'empereur de Russie;
où furent élaborés des projets de nouvelles réformes qui
prévoyaient l'autonomie de la Macédoine. Le parti jeune-
turc s'empressa,un mois plus tard, le 11 juillet (v. s.), dans
lebut de sauver la situation, de proclamer le régime consti-
tutionnel en Turquie, qui rendait superflue l'intervention
européenne.
La nouvelle ère d'égalité des peuples en Turquie fut
éphémère. En 1909 déjà fut publiée « La loi sur les associa-
tions » prohiba toute organisation de nationalités,
qui
parce qu'il ne pouvait exister en Turquie qu'une seule
nationalité —
l'ottomane. Les clubs constitutionnels bul-
gares, nouvellement créés, furent fermés. Les membres de
l'organisation révolutionnaire macédonienn et les chefs de
bande sortis des forêts, furent l'objet de persécutions et
tués, sous prétexte de chercher des armes parmi la popula-
tion. En Macédoine, 4973 Bulgares furent molestés, dont
73 périrent ou restèrent estropiés; un grand nombre s'en-
fuirent de nouveau dans les montagnes; d'autres enfin
émigrèrent en Bulgarie.
L'organisation révolutionnaire recommença son activité.
De 1910 à 1912, furent perpétrés 22 attentats sur les chemins
de fer, ports et établissements publics. Les Jeunes-Turcs
eurent recours à des représailles sur la population paisible :
— 121 —
le4 décembre 1911, 20 Bulgares furent tués à Chtip et 300
blessés; le 1 août 1912, à Kotchani, 39 Bulgares furent
égorgés, 50 gravement blessés et 170 légèrement. Ces événe-
ments émurent l'opinion publique en Bulgarie, des protes-
tations et des meetings eurent lieu partout. L'organisation
macédonienne envoya des députations à l'étranger pour
demander des réformes en Macédoine, l'Europe resta néan-
moins muette.
En automne 1912, l'Union balkanique des Bulgares,
Serbes, Grecs et Monténégrins déclara la guerre à la Tur-
quie et chassa le Turc de Macédoine. A cette guerre prirent
part 15,000 Bulgares macédoniens qui formaient la « Légion
bulgare macédonienne » et qui sous l'étendard bulgare,
prirent une part très active aux combats le long des mers
Egée et de Marmara.
La guerre interalliée, enfin, et le traité de Bucarest de
1913 laissèrent la plus grande partie de la Macédoine bul-
gare sous le joug étranger. Les régimes serbe et grec en
Macédoine provoquèrent une grande désillusion au lieu de
la liberté espérée après le joug turc cinq fois séculaire. La
population bulgare fut déclarée serbe dans la moitié nord
de la Macédoine, restée sous la domination serbe, et grecque
dans la partie sud, demeurée grecque. Déjà, au début de
la guerre serbo-bulgare de 1913, les Serbes se livrèrent à
des persécutions systématiques contre l'élément bulgare de
Macédoine: toutes les écoles bulgares furent fermées, les
instituteurs internés ou chassés, tous les métropolites et
vicaires bulgares expulsés hors du pays et les églises
bulgares expropriées; à Scopié on enleva 90 notables
et instituteurs bulgares pour les enfermer à Mitrovitsa; à
Vélès, 200 personnes furent arrêtées et cinq autres, avec un
prêtre, tuées et jetées dans le Vardar; à Monastir 600 per-
sonnes arrêtées, à Ressen 350, à Tétovo 200, à Koumanovo
110, à Kriva-Palanka 100, etc. Tout de suite après la signa-
ture du traité de Bucarest, le gouvernement serbe, prit les
mesures les plus draconiennes, inconnues dans les annales
— 122 —
de l'humanité, afin de paralyser toute manifestation du
sentiment national bulgare en Macédoine. Mentionnons à
cet égard, le « Règlement sur la sécurité publique » du 20 sep-
tembre pour les territoires nouvellement occupés, d'après
lequel il suffisait d'une dénonciation policière pour que les
suspects fussent punis de 5, 10 et même 20 ans de déten-
tion; ce même règlement prévoyait la déportation de fa-
milles entières, l'obligation pour les communes et les arron-
dissements de subvenir aux besions de l'armée, etc. 1 ).

*) Voici quelques articles de ce fameux règlement:


Art. 2. —
... Si le récalcitrant refuse de se constituer prisonnier
dans les dix jours qui suivront cette publication, il pourra être mise à mort
par tout officier public ou militaire.
Art. 3. —
Toute personne prévenue de rébellion aux termes d'une
décision de la police et qui commettrait un crime quelconque sera punie
de mort.
Si le prévenu se constitue lui-même prisonnier entre les mains des
autorités, la peine de mort sera commuée à dix ou vingt ans de travaux
forcés, si toutefois la commutation est jugée opportune par le tribunal.
Art. 4. — de rébellion se produisent dans une com-
Si plusieurs cas
mune et que ne regagnent pas leurs foyers dans les dix
les récalcitrants
jours qui suivront l'avis de la police, les autorités ont le droit de faire dé-
porter leurs familles là ou elles le jugeront opportun.
De même, seront déportés les habitants dans les maisons desquels
seraient recelées des personnes armées ou des criminels en général.
Le chef de la police fera parvenir à la préfecture son rapport sur
le mode de déportation qui doit être appliqué immédiatement . . .

Art. 5. —
Toute personne, déportée par arrêté de la préfecture, qui
rentrerait à son domicile primitif sans l'autorisation du Ministre de l'In-
térieur, sera punie de trois ans de prison.
Art. 6. —
maintien de la sécurité dans une commune ou dans
Si le
un arrondissement exige l'envoi de troupes, l'entretien de celles-ci sera
à la charge de la commune ou de l'arrondissement. Avis en sera donné
au préfet . . .

Art. 8. —
Toute personne qui ferait usage de matières explosives,
quelles qu'elles fussent, sachant que l'emploi en est dangereux pour la vie
ou les biens d'autrui, sera frappée de vingt ans de travaux forcés.
Art. 10. —
Toute personne qui, sans mauvais dessein, fait usage
d'une matière explosive, sera punie de cinq ans de travaux forcés.
Art. 12. —
Toute personne qui endommagerait délibérément les rues,
routes ou places de façon à créer un danger pour la vie ou la santé publique
sera punie de quinze ans de travaux forcés. Si le délit a été commis sans
intention, la peine sera de cinq ans . . .

Art. 14. — Toute personne qui endommagerait les communications


télégraphiques ou téléphoniques sera punie de quinze ans de travaux forcés.
Si l'acte n'est pas prémédité, la peine sera de cinq ans etc. . . .
— 123 —
Tandis que le gouvernement serbe, s'appuyant sur la
similitude de race et de langue entre Serbes et Bulgares,
s'efforçait, grâce aux mesures susmentionnées, de serbiser
lapopulation macédonienne sans vouloir la faire disparaître,
legouvernement grec procéda autrement. Tant que durait la
guerre et que les responsabilités pouvaient être dissimulées,
lesGrecs entreprirent l'anéantissement radical de l'élément
bulgare. En effet, la Commission internationale d'enquête,
envoyée sur place en 1913, tout de suite après les méfaits
grecs, constata que les armées grecques avaient, par ordre,
dévasté et incendié en Macédoine 161 villages bulgares,
en partie turcs, avec 14,480 maisons dont l'énumération
figure dans une liste spéciale 1 ). Là où ce moyen ne pouvait,
pour une raison ou une autre, être appliqué, le gouverne-
ment grec eut recours à la terreur pour obliger la popu-
lation bulgare à émigrer ou à se déclarer «hellène». Tous les
Bulgares aisés et instruits des villes et villages de Salonique,
Vodéna, Enidjé-Vardar, Florina, Castoria, Démir-Hissar,
Serrés, Drama, etc. qui n'avaient pas pris la fuite, furent jetés
en prison et envoyés en exil dans l'ancienne Grèce, aux îles de
Trikéri, Itaki, etc. où la plupart périrent dans d'atroces
souffrances. L'archimandrite Evlogios, vicaire de Salo-
nique, et son secrétaire Christo Batandjieff furent jetés
à la mer, durant le trajet de Salonique au lieu de leur exil.
Toutes les églises bulgares furent expropriées, leur clergé
chassé, les bibliothèques incendiées, les écoles fermées jus-
qu'à la dernière, les instituteurs exilés ou bannis.
Aucun autre peuple n'aurait supporté cette situation.
Le joug turc pâlissait à côté des jougs serbe et grec.
La population bulgare de Macédoine, malgré la pression
qu'on faisait peser sur elle, malgré les massacres et l'exil
de ses chefs, malgré l'émigration en Bulgarie et en
Amérique, ne courba pas l'échiné devant la nouvelle op-
pression. Les recrues bulgares recrutées dans les armées

a
) Dotation Carnegie pour la paix internationale. Enquête dans les
Balkans. Paris 1914, p. 321 à 324.
— 124 —
serbe et grecque désertaient tous les jours; ceux de Chtip,
emmenés à Kragouévats pour prêter serment, protestèrent
en masse, en entonnant des chansons bulgares. Le journal
serbe « Radnitchké Noviné », du 14 avril 1914, dit à ce
propos:
« Le cri: « Nous ne voulons pas jurer » retentit soudain
au loin. Tout comme un seul homme, refusait
le bataillon,

de prêter serment. Je crois qu'il est inutile de vous décrire


la suite des événements. J'ajouterai cependant que deux
détachements du onzième régiment, baïonnette au canon,
ont cerné « leurs frères nouvellement libérés ». La nuit est
tombée sur ces entrefaites. Que ces malheureux aient sur-
vécu à leur manifestation spontanée, c'est ce que per-
sonne ne saurait dire .... »
Toute la province macédonienne était en deuil, ané-
antie. Ceux, parmi les patriotes, qui n'étaient pas enfermés,
protestèrent à main armée contre le nouveau régime. Deux
mois après le traité de Bucarest, une insurrection éclata en
Macédoine occidentale; à sa tête se placèrent P. Tchaouleff
d'Okhrida, P. Christoff de Monastir et M. Matoff de Strouga.
Les insurgés défirent les armées serbes à Okhrida, Strouga
et Dèbre et y proclamèrent le pouvoir révolutionnaire bul-
gare. Ce fut seulement après l'arrivée de forts détachements
serbes et après des rencontres sanglantes dans le défilé entre
Ressen et Okhrida que la résistance des insurgés, insuffisam-
ment armés, fut brisée et que ces derniers se retirèrent vers
l'Albanie.
Le mouvement révolutionnaire ne s'arrêta pas là. Les
membres restés vivants de l'ancienne Organisation inté-
rieure continuèrent leur activité, dispersés dans les diffé-
rentes parties de la patrie macédonienne. Ils se divisèrent
comme naguère, en petites bandes, qui clandestinement
parcouraient les villages et les montagnes et stimulaient le

sentiment national de population outragée par les événe-


la
ments survenus. Ainsi firent les bandes de Monastir,
Ressen, Tikvech, Démir- Hissar, Koukouch, Vélès, Scopié,
— 125 —
Koumanovo, Kratovo, etc. Et lorsque éclata
Chtip,
le conflit austro-serbe de 1914, le mouvement révolution-

naire en Macédoine intensifia son action par des attentats


sur les ponts et les chemins de fer. Plus tard, en 1915,
quand la Bulgarie, elle aussi, entra en lice, des milliers de
Bulgares macédoniens s'enfuirent de l'armée serbe et grec-
que et, avec leurs compatriotes, formèrent de forts contin-
gents, au nombre de 60,000 personnes, qui se rangèrent sous
les drapeaux bulgares pour lutter contre les Serbes d'abord,
contre les Grecs ensuite. La population bulgare macédo-
nienne manifesta ainsi une fois encore sa conscience natio-
nale d'une façon éclatante, car il n'y a pas de plébiscite plus
évident d'autodisposition nationale que celui qui consiste
à donner sa vie pour sa patrie et pour son peuple.
La paix de Neuilly du 27 novembre 1919 replace de
nouveau lapopulation bulgare de Macédoine sous les jougs
serbe et grec. Cette population soutient depuis un siècle une
lutte acharnée pour conquérir une Eglise indépendante;
elle donna les meilleurs de ses fils qui périrent dans les com-
bats, dans les prisons et sous les potences turques, tout cela
pour la liberté sacrée qui est sur labouche de tous les
peuples Ces peuples méprisèrent les souffrances
civilisés.
d'une population, esclave depuis cinq siècles, se moquèrent
de ses nobles sacrifices pour la liberté et la vouèrent à une
servitude nouvelle. Le Bulgare macédonien s'est sacrifié
pour qu'en définitive d'autres en tirent tout le profit et
s'installent en maîtres dans sa patrie où lui, seul, demeure
l'esclave. Plus que jamais, c'est le cas de dire: « Il a tra-
vaillé pour le roi de Prusse ».

L'émigration des Bulgares macédoniens.

Le régime intolérable des Turcs et la constitution des


Etats chrétiens des Balkans au XIX e s.: de la Serbie en
1815, de la Grèce en 1830 et de la Bulgarie en 1878, pro-
voquèrent une émigration de la population chrétienne de
— 126 —
Macédoine vers ces pays. Cherchant la sécurité et guidés
par leur sentiment national, les émigrés s'installaient tantôt
dans l'un, tantôt dans l'autre des Etats voisins. Seuls les
émigrés koutso-valaques faisaient exception c'était le gain
:

qui déterminait le choix de leur nouvelle patrie. Là, ils


s'adonnaient à leur métier préféré d'aubergistes ou d'épi-
ciers, et leur deuxième génération était déjà assimilée.
hommes de lettres
Plusieurs personnalités politiques et des
de la Serbie moderne tirent leur origine de ces émigrés
koutso-valaques, tels, par exemple: VI. Djordéjvitch,
Tsintsar-Markovitch, K.Stoïnovitch, B.Nouchitch, S.Traïa-
novitch, Dimitriévitch, etc. Les Grecs de Macédoine émi-
graient de préférence en Grèce et les Bulgares macédo-
niens en Bulgarie. Notons en outre que les Grecs et les
Bulgares émigrés en pays étrangers, les pauvres ouvriers
exceptés, ont conservé en général leur nationalité.
Voici quelques exemples concernant les Bulgares ma-
cédoniens: Chrysanthe, patriarche de Constantinople de
1824 à 1826, natif du village Grammatikovo, caza de
Kaïlar, avouait sa nationalité bulgare; les Grecs eux-
mêmes soulignent son origine bulgare. A. Rizoff, de Strou-
mitsa, qui avait fait ses études au gymnase et à l'Université
d'Athènes, fut un des précurseurs de la renaissance bul-
gare de la première moitié du XIX e s. Ivan Siméonoff de
Târlis, caza de Nevrokop, affirmait en 1840 sa nationalité
bulgare même dans ses ouvrages publiés en grec à Buda-
pest. D. Miladinoff, de Strouga, sur le lac d'Okhrida,
avait fait ses études à Joannina, alors grand centre de
l'hellénisme. Plus tard, lui et son frère Constantin, qui
étudia à l'Université d'Athènes, devinrent les plus fer-
vents apôtres du bulgarisme, soit comme écrivains, soit
comme maîtres d'école dans leur pays natal. G. Pârli-
tcheff, d'Okhrida, étudiant à l'Université d'Athènes, hel-
léniste passionné et lauréat du concours poétique d'Athènes
en 1860, fut un défenseur ardent de la cause nationale
bulgare durant toute sa carrière de poète et de professeur
.

— 127 —
dans sa patrie. C'est toujours par les écoles d'Athènes
que passèrent toute une pléiade de jeunes gens macédo-
bulgares, qui ont consacré leur vie au service de la nation
bulgare à une époque où il n'y avait ni Eglise autonome
bulgare, ni Etat bulgare. Tels furent: l'évêque Panarète
de Pâtélé, caza de Florina son frère C. Michaïkof f médecin
; ,

à Monastir et grand mécène bulgare; les frères Robeff,


d'une ancienne famille d'Okhrida; Radeff, père et fils,
originaires de Vélès et installés à Monastir, etc. Le journal
serbe « Srbski Dnevnik», du 26 juin 1860, admirait dans
les termes suivants les Macédo-Bulgares et les émigrés
bulgares en Roumanie travaillant à leur renaissance na-
tionale : Je suis informé de Monastir (Macédoine), dit
«

le correspondant, que les Bulgares de l'endroit songent à


fonder une salle de lecture. P. Dimkoff Radévitch qui a fait
ses études à Athènes et à Vienne, travaille ardemment à
cette entreprise. Il est vraiment surprenant, et cela fait
honneur à cet homme, qu'il n'ait pas cessé de vivre pour
sa nation, après avoir étudié dans une ville où tant de
Bulgares se sont hellénisés. Je suis heureux de pouvoir
vous annoncer que les Bulgares travaillent encore pour leur
nationalité hors des véritables frontières de la Bulgarie;
cela est vrai surtout pour les Bulgares de Roumanie. .

A Galats, où leur nombre est assez considérable, ils ont


fondé une école bulgare et se proposent maintenant de
bâtir une église. Une souscription a été ouverte à cet
effet parmi eux et déjà 18 personnes ont souscrit 3000
ducats. C'est ainsi que le progrès est possible! »
Il en est de même des émigrés macédo-bulgares
en pays serbe. L'écrivain Chr. Jéfarovitch, de Doïran,
qui a vécu et travaillé parmi les Serbes, au XVIII e s., se
déclare Bulgare. Vers la fin de sa vie il émigra en Russie
et y mourut comme Bulgare en 1753, à Moscou, ainsi qu'en
témoigne son testament. Marko Théodorovitch, de Razlog,
qui a travaillé comme commerçant parmi les Serbes de la
Hongrie pendant la seconde moitié du XVIII e s., se déclare
— 128 —
également Bulgare dans les livres parus sous ses auspices.
Les réfugiés macédo-bulgares d'Okhrida, de Kratovo, de
Katranitsa, de Prilep dans les pays serbes au cours du
XVIII e s., figurent dans les registres des diocèses et des
couvents parmi les « Bulgares de nationalité, venus de la
terre bulgare » 1). Pierre Itchko, de Katranitsa, caza de
Kaïlar, l'intermédiaire entre la Serbie et la Turquie pour
la conclusion de la paix de 1807, paix portant son nom
(« Itchkoff mir »), est reconnu par les Serbes eux-mêmes

comme Bulgare 2). Les émigrés macédo-bulgares de Novi-


Sad, Zémoun et Belgrade, qui y formaient des colonies
considérables pendant le XVIII e s. et la première moitié
du XIX e passaient ouvertement pour Bulgares. Parmi
,

eux, mentionnons Anghelko Palachoff, originaire de Vélès,


qui devint vers le milieu du XIX e s. mécène zélé des écoles
bulgares de sa ville natale. Ilio Markoff, de Bérovo, caza
de Maléchévo, célèbre chef des volontaires macédoniens
luttant contre le régime turc, qui avait pris part aux com-
bats de Belgrade en 1862 et avait reçu une pension du
gouvernement serbe, affirmait hautement sa nationalité
bulgare. Et, lorsqu'en 1885 les Serbes envahirent la Bul-
garie alors aux prises avec la Turquie, le vétéran Ilio Mar-
rassembla ses dernières forces, et à la tête
koff, vieillard,
d'une bande de 200 volontaires, se porta au secours de
ses conationaux contre les Serbes.
Voici un autre fait bien significatif: Il y a une tren-
taine d'années, plusieurs jeunes gens pauvres de Macé-
doine, subventionnés par le gouvernement serbe, furent
attirés, dans les établissements scolaires secondaires et à
l'Universitéde Belgrade aux fins de former un cadre
macédonien pour la propagation du serbisme. Contraire-
ment à ce qu'on en attendait, toute cette jeunesse macé-

x
Spomenik » de l'Académie royale des sciences serbe, XLII, 104,
) «
118. — Rouvarats, Description des monastères serbes de Frouehka-Gora
de 1753. Karlovtsi 1905, p. 22, 42-43, 98, 99, 321, 322.
) Correspondance de Vouk Karadjic, vol. III, 91 (en serbe).
2
— 129 —
donienne, les études finies, rentra dans son pays natal et
se voua à sa propre cause nationale, la cause bulgare:
Damian Groueff, de Smilévo, par exemple, devint le fon-
dateur de l'organisation révolutionnaire des Bulgares ma-
cédoniens et trouva la mort dans une rencontre avec les
Turcs; Pope Arsoff, de Scopié, et Chr. P. Kotseff, de
Chtip, maîtres d'école et membres de la même organisa-
tion, durent expier leur sentiment national bulgare dans
lescachots de Salonique et dans ceux de l'Asie Mineure;
N. Naoumoff de Chtip, devint le rédacteur de la « Revue
macédo-andrinopolitaine »; K. Missirkoff se fit un nom
parmi par ses études philologiques et folk-
les slavistes
loristes sur la population bulgaro-macédonienne; D.Mir-
tcheff, de Prilep, se fit connaître par son étude des dia-
lectes bulgares de Prilep et de Vodéna, ainsi que par une série
de manuels scolaires bulgares; Cl. Karaguleff, d'Okhrida,
devint un des premiers grammairiens néo- bulgares;
N. Blagoeff, du caza de Kaïlar, professeur à l'Université
de Sofia, s'est adonné à l'étude de l'histoire du vieux droit
bulgare, etc.
Les Macédo-Bulgares émigrés en Russie ne font pas
exception. Nous avons à ce sujet le témoignage des re-
gistres de la colonie grecque de Niéjine du XVIII e s., où
on lit: « Siméon Théodoroff, Bulgare de Turquie, de la
ville d'Okhrida, installé à Niéjine depuis 1740; Ivan Dimi-
trieff Stalevsky, Bulgare de la province de Macédoine, de

la ville de Scopié, installé à Niéjine en 1745; Nako Bojik,

Bulgare de la province de Macédoine, de la bourgade de


Stroumitsa, établi à Niéjine depuis 1757; Stoïan Petroff,
de Salonique, en Turquie, installé à Niéjine depuis 1760 »,
etc. 1 ). D'autres Macédo-Bulgares, commerçants, établis
à Odessa, se déclarent, dès 1822, Bulgares dans un docu-
ment que nous avons cité plus haut, p. 82. D'autre part,
au cours du XIX e s. les écoles secondaires et les univer-

*) Travaux du XII e Congrès archéologique à Kharkov, vol. II. Moscou


1905, p. 215, 224, 225 (en russe).
9
,

— 130 —
sites de Russie sont fréquentées par plusieurs Macédo-Bul-
gares qui y déploient une vive activité littéraire et politique,
entrent en contact avec les représentants du panslavisme
et préparent les dirigeants russes à la défense de la cause
bulgare au point de vue de l'autonomie tant religieuse que
politique. Parmi ces Bulgares macédoniens dont quelques-
uns sont restés en Russie jusqu'à la fin de leur vie, nous
citerons les plus actifs: Nathanaïl de Scopié, écrivain et
plus tard métropolite d'Okhrida; C.Petkovitch, deBachino-
Sélo, près Vélès, investigateur des manuscrits vieux-bulgares
et consul de Russie; C. Miladinoff, de Strouga, auteur du
célèbre recueil de folklore bulgare le poète R. Jinzif off
;

de Vélès, etc.
Tandis que l'émigration des Macédo-Bulgares dans
les pays ci-dessus énumérés était plutôt partielle, celle qui
se poursuit en Bulgarie se fait en masse. Aussitôt que la
principauté de Bulgarie fut constituée en 1878, les Bul-
gares de Macédoine, restés sous le joug turc, commencèrent
à quitter en grand nombre leurs foyers pour chercher for-
tune et consolation auprès de leurs conationaux. Bientôt,
les villes les plus proches de la frontière macédonienne
furent inondées d'émigrés. Ces derniers allaient remplacer
les Turcs qui s'expatriaient définitivement, ne pouvant
tolérer la domination des Bulgares, leurs esclaves depuis
cinq siècles. La ville de Kustendil qui n'avait pas plus de
350 maisons bulgares avant 1878, compte aujourd'hui,
grâce à l'immigration macédonienne, une population de
15,000 habitants, presque tous Bulgares. Les émigrés de
Kustendil proviennent des régions macédoniennes de
Pianets, Maléchévo, des villes de Kratovo, Vélès, etc. Il

en est de même des villes de Doupnitsa et Samokov, en


Bulgarie, dont la population bulgare a doublé, même
à la suite des émigrations de Maléchévo, Razlog,
triplé,
Koukouch, etc.; la capitale bulgare même, qui en 1878
comptait 16,000 habitants, en a maintenant 150,000 grâce
surtout à la grande immigration macédo-bulgare. Le com-
— 131 —
merce de Sofia est entre les mains des Macédoniens et des
Juifs. Les centres de commerce bulgares: Varna, Pleven,
Philippopoli, comptent aussi des colonies considérables
de Macédoniens assimilés déjà à la population indigène
bulgare.
La grande insurrection de Macédoine en 1903 aug-
menta lenombre des émigrés. Cette fois, l'émigration se
faisait non seulement vers la Bulgarie, mais prenait aussi
une direction toute nouvelle, vers l'Amérique, qui attirait
les ouvriers par ses hauts salaires. Ce qu'il faut noter,
c'est que ces émigrants n'allaient pas en Amérique chercher
une nouvelle patrie, mais deux ou trois ans après ils ren-
traient dans leur pays natal, et avec les économies réa-
lisées achetaient les fermes des beys turcs que la situation
troublée de Macédoine jetait dans l'inquiétude. Jusqu'en
1906, l'émigration macédonienne en Amérique atteignait le
chiffre de 75,000 hommes, dont la plupart étaient des Bul-
gares. «Nous avons eu l'occasion de voir, raconte l'éminent
écrivain politique français, M. René Pinon, dans les gares
entre Vodéna et Florina des troupes de ces Macédoniens
attendant le train qui devait les emmener c'étaient de beaux :

gaillards solides et musclés, l'air un peu sombre, tristes sans


doute de l'appréhension d'un tel voyage. Les femmes et les
enfants les accompagnaient à l'embarcadère: beaucoup
de petites filles, blondes, avec les cheveux nattés et de
beaux yeux bleus, ressemblaient à des enfants russes. De
fait, plus de trois quarts de ces émigrants sont des Slaves
bulgarisants. Trente agences d'émigration et de transport
bonne aubaine. .» ). La grande majo-
1
se disputent cette . .

rité des émigrants allaient aux Etats-Unis, surtout à


Granité- City où ils étaient à cette époque 23,000;
d'autres, 10,000 environ, au Canada; d'autres enfin au
Brésil et au Chili. Le gouvernement turc encourageait
l'émigration parce qu'elle faisait entrer de l'argent dans
le pays et en éloignait une grande partie de la jeunesse
l
) L'Europe et l'Empire ottoman. Paris 1909, p. 228 à 229.
— 132 —
bulgare qui avait naguère combattu dans les rangs révo-
lutionnaires.
C'est surtout pendant la seconde guerre balkanique,
en 1913, que l'émigration prit des proportions jusqu'alors
inconnues. Le pillage et l'incendie des villes et des villages
bulgares, le massacre de la population bulgare de la Macé-
doine méridionale par l'armée hellénique et la poursuite
systématique de l'élément bulgare, forcèrent ce dernier à
prendre le chemin de la Bulgarie. Les lettres de soldats
grecs, saisies du courrier du 19 e régiment grec,
dans le sac
témoignaient éloquemment de la cruauté grecque et de
la cause de l'émigration bulgare en masse *).

a
) Nous lisons dans ces lettres grecques: a) Par ordre du roi, nous
mettons le feu à tous les villages bulgares ... b) Nous avons brûlé les
villages, comme nous en avons reçu l'ordre .... c) Sur les 1200 prison-

niers que nous avons faits à Nigrita, 41 seulement sont restés dans les
prisons et partout où nous avons passé, nous n'avons laissé aucune
racine de cette race. ... d) On m'a donné 16 prisonniers pour les remettre
à la division et je n'en ai amené que deux seulement. Les autres ont péri
dans les ténèbres, massacrés par moi. ... e) Ici à Brodi j'ai pris 5 Bulgares
avec une fille de Serrés. Nous les avons enfermés dans un poste de police
et retenus. La fille a été tuée. Ce que les Bulgares, de leur côté, ont aussi
souffert! Nous leur avons, vivants encore, crevé les yeux. ... f) Dans tous
les endroits que nous avons occupés, il n'est pas resté un seul Bulgare. Ils
se sont enfuis en Bulgarie, et nous avons massacré ceux qui sont restés. Nous
avons, en outre, incendié les villages. Il n'est pas resté un seul Bulgare.
Mais Dieu sait ce qu'il en adviendra. ... g) Et de Serrés jusqu'à la frontière
nous avons incendié tous les villages des Bulgares. ... h) Nous incendions
tous les villages bulgares que nous occupons et nous tuons tous les Bulgares
qui nous tombent entre les mains. ... i) Partout où nous passons, pas un
chat ne peut s'échapper. Nous avons incendié tous les villages bulgares que
nous avons traversés .... /fj Tu ne saurais t'imaginer comment nous nous
tirons d'affaire à la guerre. On brûle les villages et aussi les hommes. Mais,
nous autres aussi nous incendions et nous en faisons pire que les Bulgares. . . .

I) Quelle guerre cruelle se fait contre les Bulgares. Nous leur avons tout
hommes, c'est-à-dire nous massacrons les Bulgares.
brûlé, les villages et les
Grande cruauté. m) Ces choses qui se passent n'ont jamais eu lieu, même
. . .

avant Jésus-Christ. L'armée hellénique met le feu partout où elle trouve


des villages bulgares et elle massacre tous les gens qu'elle rencontre; les
choses qui se passent sont inexprimables .... (Extraits fac-similés de certaines
lettres trouvées dans le courrier du 19 e régiment de la VI e division grecque,
saisi par les troupes bulgares dans la région de Bazlog. Sofia 1913, 2 fasci-
cules.)
— 133 -
Les horreurs commises pendant la seconde guerre
balkanique en Macédoine, en 1913, attirèrent l'attention
du monde civilisé et une commission d'enquête internatio-
nale se rendit sur place, la même année. En ce qui con-
cerne les villes et les villages bulgares de Macédoine brûlés
par les Grecs, on lit dans le rapport de cette commission
entre autres : « La liste suivante des villages incendiés est
exacte, en ce sens qu'elle ne porte aucun village qui n'ait
pas été brûlé. Mais elle est loin d'être complète, sauf en
ce qui concerne les régions de Kukush et de Stroumitsa.
Beaucoup d'autres villages ont été incendiés, principale-
ment dans les districts de Serrés et de Drama. Souvent,
nous ne sommes pas parvenus à savoir le nombre exact
des maisons d'un village. On remarquera que cette liste
comprend quelques villages turcs brûlés par les Grecs en
territoire bulgare, et quelques villages brûlés par les Serbes.
L'immense majorité, toutefois, est faite des villages bul-
gares brûlés par l'armée grecque dans sa marche vers le nord.
Le nombre des villages détruits figurant sur cette
«

liste est de 161 et le nombre des maisons brûlées est d'en-


viron 14,480. Nous estimons que les Grecs, au cours de la
seconde guerre, n'ont pas brûlé moins de 16,000 maisons» 1 ).
Suivent les noms des villes et des villages incendiés avec
le nombre des maisons brûlées.
La récente grande guerre dont la Macédoine a été
un des théâtres (1915 — 1918) amena le suprême exode du
peuple bulgare de cette malheureuse province. Les villes
et les villages, dans la zone des opérations militaires,
d'Okhrida jusqu'à Cavalla, ont été rasés complètement
ou démolis en partie; leur population a dû se retirer
dans l'intérieur ou émigrer en Bulgarie. Et lorsque,
après l'armistice du 28 septembre 1918, les troupes serbes
et grecques réoccupèrent la Macédoine, l'exode vers la
Bulgarie se poursuivit intensivement. Ce fut surtout le
x
) Enquête dans les Balkans. Dotation Carnegie pour la paix inter-
nationale. Paris 1914, p. 321.
— 134 —
sud-est de la Macédoine qui du souffrir le plus, la Grèce
ne pouvant tolérer dans ses frontières une population qui
s'était déclarée ouvertement bulgare.
A partir de 1878 — année de la constitution de l'Etat
bulgare — jusqu'en 1918, l'émigration des Bulgares macé-
doniens en Bulgarie a dépassé le nombre de 300,000 per-
sonnes; d'autre part, ceux qui ont émigré les dernières
années aux Etats-Unis d'Amérique et au Canada se
chiffrent par plus de 50,000hommes.
Nous avons vu plus haut que la Macédoine est con-
sidérée, à juste titre, comme le berceau de la renaissance
nationale bulgare. Les Slaves macédoniens se considérant
toujours Bulgares par leur origine, leur langue et leurs
traditions, n'ont cessé, même comme émigrés en Bulgarie,
de prendre une part très active lors de la création, du déve-
loppement et de la stabilisation de l'Etat bulgare, au len-
demain de 1878.
L'émigration macédonienne en Bulgarie a joué un
rôle considérable dans la vie politique de l'Etat bulgare.
L'unité de race et de langue et la communauté de sentiment
national font du Bulgare macédonien un excellent citoyen du
royaume de Bulgarie. Déjà l'Assemblée Constituante bul-
gare, inaugurée le 22 février 1879 dans la vieille capitale
Tirnovo, comptait parmi ses membres sept émigrés ma-
cédoniens, originaires des villes suivantes: Okhrida, Prilep,
Vélès, Stroumitsa, Chtip, Florina, Kratovo. Ce qui est
caractéristique à cet égard c'est qu'un de ces Macédo-
Bulgares, le député C.Pomianoff, de Prilep, fut le rédacteur
du rapport sur le projet de la constitution bulgare. Le
Parlement de Sofia a compté depuis parmi ses membres
une centaine de députés appartenant à l'émigration ma-
cédonienne; cette même Macédoine a donné au gouverne-
ment de Sofia les ministres suivants:
1. Constantin Pomianoff, de Prilep.
2. Alexandre Radeff, de Monastir.
3. André Liaptcheff, de Ressen.
— 135 —
4. Nicolas Ghénadieff, de Monastir.
5. Général Clément Boïadjieff, d'Okhrida.
6. Nicolas Apostoloff, de Florina.
7. Ch. J. Popoff, de Ghévghéli.
8. Pierre Djidroff, de Chtip.
Un grand nombre de fonctionnaires et d'employés
très
des de l'Etat bulgare sont des émigrés
établissements
macédoniens. Ils tiennent une bonne place dans le corps
diplomatique et consulaire de Bulgarie. Nous pouvons
nommer les ministres plénipotentiaires et consuls de Bul-
garie nés en Macédoine:
1. Pantché Hadji Micheff, de Vélès.

2. Dimitre Rizoff, de Monastir.

3. Siméon Radeff, de Ressen.


4. Stephan Tchaprachikoff, de Gorna-Djoumaïa.

5. Georges Radeff, de Monastir.

6. Jivko Dobreff, de Drama.

7. Théodore Pavloff, de Scopié.

8. Dimitre Vlahoff, de Koukouch.

9. Pantché Doreff, de Monastir.

Une partie considérable enfin de la presse bulgare


(229 journaux en 1910) se trouve dans les mains de cette
même émigration macédonienne. Les journalistes bien
connus en Bulgarie, telsque Kitantcheff Rizoff, Liaptcheff,
,

Radeff, Mileff, Robeff, Naoumolf, Bajdaroff, Koulicheff,


Strachimiroff, Paskoff, Kraptcheff, Chakhoff, etc., sont
originaires de la Macédoine.
Le précurseur du socialisme en Bulgarie fut un Macé-
donien, Spiro Goulabtcheff, et le leader du parti socialiste
dit « étroit », d'aujourd'hui, est également un Macédonien,

D. Blagoeff.
Le coup d'Etat qui, en 1885, unit la Roumélie Orien-
tale à la Bulgarie doit beaucoup au Macédonien D. Rizoff,
de Monastir, qui fut un des principaux conjurés. Cet
événement fit éveiller la jalousie de la Serbie dont les
troupes ne tardèrent pas à envahir la Bulgarie. Animée
— 136

d'un ardent sentiment national bulgare, l'émigration macé-


donienne forma trois bataillons de volontaires sous les
ordres du capitaine Panitsa et un quatrième sous le com-
mandement du vétéran macédonien Ilio Markoff, qui se
portèrent au secours de l'armée bulgare contre les Serbes;
ces volontaires macédoniens furent les premiers qui en-
trèrent à Pirot, ville de Serbie.
Et plus tard, lorsqu'en 1912 l'Alliance balkanique,
sous l'égide de la Bulgarie, fit sonner la dernière heure de
la tyrannie turque en Macédoine et en Thrace, les Bulgares
macédoniens fournirent les contingents de 15 bataillons
de volontaires, formant la « Légion bulgare macédonienne ».
Celle-ci se couvrit de gloire dans les combats mémorables
livrés sur les côtes de la Marmara. Enfin, dans la Grande
guerre qui vient de prendre fin, la Macédoine a grossi de
60,000 de ses fils les rangs de l'armée bulgare, qui compte,
en outre, plusieurs généraux et un grand nombre d'officiers
(976) originaires également de la Macédoine.
Ce n'est pas seulement au point de vue politique et
militaire que l'émigration macédonienne joua un rôle im-
portant dans la vie du nouvel Etat bulgare; elle prit
une part très active aux manifestations religieuses et
intellectuelles des Bulgares du royaume et ne cessa de
s'intéresser au triste sort de ses frères de Macédoine. La
Macédoine offrit à l'Eglise nationale bulgare, en qualité
d'évêques, onze de ses fils les plus vénérés:
Lieu de naissance Siège

1. Ghénnadius, Okhrida, Vélès.


2. Panarète, Patélé (d. Florina), Philippopoli.
3. Nathanaïl, Koutchevichta (distr. Okhrida et
de Scopié), Philippopoli.
4. Mélétius, Stroumitsa, Sofia.
5. Cosma, Orlantsi (d. Ktichévo), Dèbre.
6. Théodose, Tarlis (d. Nevrokop), Scopié.
7. Méthode, Prilep, Stara-Zagora.
8. Parthénius, Galitchnik, Pirot.
— 137 —
Lieu de naissance Siège

9. Méthode, Zarovo(d. Salonique), Okhrida.


10. Mélétius, Bytolia (Monastir), Vélès.
11. Néophyte, Okhrida, Scopié.
Dans un autre ordre d'idées, les forces intellectuelles
de la colonie émigrée ont continué leur travail parmi les
conationaux de Bulgarie. La science historique et ethno-
graphique bulgare est redevable aux études et recueils de
Macédoniens, tels que E. Karanoff, de Kratovo; Chapka-
reff, d'Okhrida; D. Matoff, de Vélès; G. Balastcheff, d'Okh-

rida; A. P. Stoïloff, de Djoumaïa, etc. Parmi les écrivains-


pédagogues, il faut mentionner: Cl. Karaguleff, Iv. Doreff,
S. Baroutchisky, D. Mirtcheff, G. Palacheff écrivains mili-
;

taires les colonels K. Nicolof f Vénédikoff Darvingoff écri-


: , , ;

vains politiques A.Drandar, G. Strézoff; critique d'art: A.


:

Protitch; S.Badjoff, professeur d'art décoratif à l'Ecole des


Beaux-arts de Sofia K. Saraf off artiste renommé du Théâtre
; ,

national de Sofia; S. Makédonsky, artiste d'opéra, etc.


Enfin, la nouvelle Université de Sofia s'honore aussi
des travaux de ses professeurs bulgares, originaires de
Macédoine, tels que:
Joseph Kovatcheff, de Chtip.
1.

Dimitre Matoff, de Vélès.


2.

3. Ivan Ghéorgoff, de Vélès.

4. Lubomir Milétitch, de Chtip.


5. Alexandre Balabanoff, de Chtip.

6. Nicolas Mileff, de Castoria.

7. Constantin Stéphanoff, de Razlog.

8. Athanase Yaranoff, de Koukouch.

9. Nicolas Tchervenivanoff, de Koukouch.

10. Stoïan Tilkoff, de Démir-Hissar.


11. Nicolas Blagoeff, de Kaïlar.
12. Stanicheff, de Koukouch, etc.
Le nombre des étudiants macédo-bulgares inscrits
dans la même université atteint le nombre de 517 dont
397 jeunes gens et 120 jeunes filles.
— 138 —
Territoire macédonien peuplé de Bulgares.
Nombre des bulgares.

La population bulgare de Macédoine, nonobstant ses


nombreuses émigrations, a la prédominance numérique,
eu égard aux autres groupes ethniques, tels que les Turcs,
Grecs, etc. Elle comptait en 1912 environ 1,100,000 âmes.
Les Bulgares habitent en masses compactes et dépas-
sent les autres nationalités surtout au centre de la Macé-
doine occidentale, notamment dans les régions de Ki-
tchévo, Prilep, Tikvech, Okhrida, Monastir, Vodéna,
Enidjé-Vardar. Ils forment à peu près la seule population

dans le nord-est de la Macédoine et dans les régions


d'Ossogovo et ses larges ramifications, de la Brégalnitsa
supérieure, de la Strouma supérieure et moyenne, de la
Mesta supérieure et moyenne. Dans certains parages
sud -macédoniens, les Bulgares font presque totalement
défaut, notamment dans la Bystritsa moyenne, dans
la péninsule Chalcidique et dans la bande étroite du lit-
toral égéen, depuis la Strouma jusqu'à la Mesta. Partout
ailleurs, peu ou prou, l'élément bulgare s'étend comme
une mer dont émergent ça et là des ilôts étrangers turcs, :

albanais et koutso-valaques.
Du côté nord-est, la population bulgare de la Macé-
doine se confond avec ses congénères de la Bulgarie et de
la Thrace, à Ossogovo, à Ryla et au Rhodope. L'ancien
voisinage de l'élément serbe du nord-ouest fut échangé pen-
dant la domination turque avec l'albanais, de sorte que
les Bulgares macédoniens, à l'heure actuelle, n'ont presque
nulle part un contact direct avec les Serbes. Dans ces
parages, les Albanais ont non seulement déplacé les Serbes,
mais ont aussi pénétré dans les localités antérieurement
bulgares, notamment les contreforts orientaux du Char
et de la Tcherna-Gora (Forêt-Noire) de Scopié. La ligne
brisée, allant depuis le Char jusqu'au Gramos, constitue
la frontière entre les deux races, bulgare et albanaise.
— 139 —
Toute la région de Gora située au nord-ouest de la crête du
Char est occupée par l'élément bulgare mahométan, les ainsi
dénommés « Torbeches de Gora », répartis dans une tren-
taine de villages. Par contre, les Albanais occupent les
flancs sud-est du Char depuis Tétovo jusqu'à Gostivar où
ils sont mêlés à des Bulgares. La ligne de démarcation
entre les deux éléments tourne ensuite vers l'ouest jusqu'à
Mavrovski Hanové (Auberges de Mavrovo), côte 1550, point
de la ligne de partage des eaux du Vardar et du Drin. De là,
la ligne se dirige vers l'ouest, vers le mont Korab (2050 m.),
en laissant du côté bulgare la vallée de Réka. Du Korab,
la ligne descend au sud, traverse le Drin un peu au nord de
la ville de Dèbre pour atteindre la montagne Yablanitsa
dont elle longe la crête et aboutit au promontoire de Line
sur le lac d'Okhrida, en laissant toute la vallée du Drin
depuis Dèbre jusqu'à Strouga, dans la zone bulgare. Puis,
partant du couvent St-Naoum, sur la rive sud du lac
d'Okhrida, la frontière se dirige vers le sud, passe par le
défilé de Zvezda, au sud du lac de Prespa, suit le partage
des eaux des cours supérieurs de Dévol et de Bystritsa,
entre Castoria et Kortcha (Korytsa) et aboutit au Gramos
(Pinde septentrional).
La frontière sud de la population bulgare suit les
points d'appui suivants: du Gramos à l'est, le gué de
Smiksi sur la Bystritsa, la montagne Snejnik (2068 m.),
le lac d'Ostrovo, la montagne Dourla, le marais d'Enidjé-
Vardar, Kara-Azmak, l'embouchure du Vardar, le golfe
de Salonique, le lac de Lagadina jusqu'au commencement du
lac deBechik-Gueul, le lac de Tachyno, la rivière Anghista,
Drama, Bouk sur la Mesta. Au nord de cette ligne, le terri-
toire est occupé par l'élément bulgare, au sud, parles Grecs
et par quelques groupements turcs. Par ci par là, des vil-
lages isolés grecs et bulgares pénètrent dans la zone opposée.
Au point de vue linguistique, les Bulgares macédo-
niens appartiennent dans leur majorité au groupe occidental
bulgare qui englobe les régions à l'ouest d'une ligne allant
— 140 —
de l'endroit où la rivière Vid se jette dans le Danube
jusqu'à Salonique. Seule la population des confins sud-est
notamment dans les districts de
parle le dialecte oriental,
Salonique (en partie), Lagadina, Démir-Hissar, Serrés,
Nevrokop, Drama, Zikhna. Nous reviendrons sur la
question du dialecte macédo-bulgare.
Suivant groupement, le parler, le costume et les
le
traditions, les Bulgares macédoniens ont des dénominations
locales différentes. La population qui occupe le centre de
la Macédoine occidentale, dans les régions de Vélès, Prilep,
Monastir, Kitchévo, porte encore la dénomination histo-
rique de Brsiaks (Brsiatsi). Au moyen âge, les Brsiaks
étaient une des tribus les plus grandes et les plus guerrières
de la Macédoine slave. Aujourd'hui leur nom s'est conservé
le mieux dans le district de Kitchévo. La population de la
région Mala-Réka, dans la Macédoine occidentale, forme
un groupement de 28 villages au surnom de Miaks. Sont
encore Miaks les habitants du village Smilévo, près Mo-
nastir, ainsi qu'un quartier des habitants de Krouchévo, etc.
A l'ouest des Miaks, dans la région de Dèbre, on distingue
les groupements des Poliani dans la plaine de Dèbre, les
Oulioufs, les Obialas. Dans la région de Castoria ce sont
les Kékovtsi, les Esti ou Estéovtsi; dans la région du bas
Vardar, près Salonique, les Kambarbatsi; les Marvatsi
occupent la région du Pirin du sud, dans la Macédoine
sud-est. La région de Morihovo, sur la Tcherna moyenne,
est peuplée de Torlatsi (Chopes) et de Douiki. Dans la
Macédoine du nord, notamment dans une partie des dis-
tricts de Chtip, Kratovo, Palanka, Koumanovo, de Malé-
chévo x ) la population est appelée Chopes. Le pays des
Chopes ne s'arrête pas là; il embrasse aussi une partie du
département de Kustendil, les départements de Sofia,
de Vratsa et de Vidin en Bulgarie, ainsi que le département
de Pirot et en partie celui de Vrania en Serbie. Les Chopes

) La population d'Ograjden-Planina, entre la Strouma et son affluent


x

Stroumitsa, est également appelée Chopes.


— 141 —
constituent la tribu la plus représentative du peuple bul-
gare. La Brégalnitsa supérieure est habitée par les Malê-
chévtsi, la Brégalnitsa moyenne par les Piantchani. Ces
dénominations sont en rapport avec les noms des régions
correspondantes, Maléchévo et Pianets, toutes deux con-
nues déjà par les documents du moyen âge. Les Bulgares
mahométans (Pomaks) de Dèbre, de Kitchévo et de Scopié
sont connus sous le nom de Torbechs 1 ).
Tous les témoignages des voyageurs étrangers, toute
la littérature ethnographique, de même que les cartes
ethnographiques des spécialistes compétents, sont una-
nimes à constater le caractère bulgare des régions que nous
venons d'indiquer comme peuplées de Bulgares. Parmi
les cartes nous signalerons les principales, telles que: la
carte tchèque de Safarik (1842); la carte française de
A. Boue (1847); la carte serbe de Davidovitch (1848); la
carte serbe de Desjardins (1853); la carte française de
Lejean (1861); la carte autrichienne de Hahn (1861); la
carte des Anglaises Mackenzie et Irby (1867); la carte du
Congrès slave de Moscou (1867); la carte tchèque du pro-
fesseur Erben (1869); la carte du géographe français E. Re-
clus (1876); la carte de l'ethnographe allemand Kiepert
(1876); la carte annexée aux procès-verbaux de la Con-
férence de Constantinople de 1876; la carte du professeur
allemand Weigand (1895), celle de l'ethnographe tchèque
Niederle (1909), celle du professeur russe Florinsky (1911);
la carte roumaine de C. Noé (1913); la carte du géographe
anglais miss Newbigin (1915); la carte de l'Institut géo-
graphique italien d'Agostini (1916); la carte de la Société
de géographie de New- York (1917); la carte de l'ethno-
graphe allemand Schâfer (1918); la carte de J. Gabrys,
secrétaire général de l'Union des Nationalités (1918); la
carte albanaise de N. Lako, présentée à la Conférence de
la Paix de Paris (1919), etc. Nous faisons abstraction des
cartes bulgares.

*) Voir p. 76.
— 142 —
Quant au nombre des Bulgares de Macédoine, les
statistiques désintéressées se tiennent au chiffre d'un peu
plus d'un million. Le Russe Youri Iv. Vénéline fut le
premier à donner en 1838 le nombre des Bulgares en Macé-
1
doine; il les évaluait ). Les troubles
à plus de 1*000,000
dans Balkans pendant les années 1875 et 1876 et la
les
guerre russo-turque de 1877 à 1878 ravivèrent l'intérêt
pour la Turquie d'Europe et pour ses populations chré-
tiennes. Les Russes qui étaient en guerre avec la Turquie
s'intéressèrent particulièrement à connaître, entre autres,
le nombre et la répartition des nationalités de la péninsule
balkanique. Dans les matériaux de 1877, recueillis à cet
effet sous la directiondu prince Tcherkasky, le nombre
des Bulgares de Macédoine est évalué à 872,700 personnes 2 ).
— E. G. Ravenstein, dans le « Journal de la Société de
Statistique », à Londres, de la même année, affirme que
les Bulgares constituent la nationalité prépondérante dans
les deux vilayets de Macédoine, Scopié et Monastir et les
Grecs dans celui de Salonique, savoir: 364,000 Bulgares
contre 159,000 Grecs 3 ). —
L'année suivante (1878) parut
à Constantinople une statistique basée sur le recensement
turc qui ne comptait que la population mâle (nofous).
D'après cette statistique, il y avait dans la Macédoine
méridionale (sandjaks de Salonique, de Monastir et de
Serrés) 369,429 Bulgares (population mâle) contre
25,366 Grecs 4 ). —
N. Skriabine, vice-consul de Russie à
Monastir, dans son rapport au gouvernement russe, évalue
le nombre des Bulgares dans le vilayet de Monastir pour

les années 1883 à 1884, à 285,000 personnes (dont 10,000

*) La renaissance de la littérature bulgare moderne. Moscou 1838,


p. 6 à 7 (en russe).
2
) Documents pour l'étude de la Bulgarie. Bucarest 1877. Partie II,
4° édition.
3
) E. G. Ravenstein, The population of Russia and Turkey (Journal
of the Statistical Society of London, 1877).
*) Ethnographie des vilayets d'Andrinople, de Monastir et de Salo-
nique. Extraits du « Courrier d'Orient ». Constantinople 1878.
— 143 —
mahométans) contre 12,000 Grecs (dont 4000 maho-
métans) 1 ). —
Le Serbe S. Verkovitch, membre de la «So-
ciété savante serbe » (plus tard Académie des sciences
serbe), a passé plusieurs années en Macédoine, publia en
1889 la statistique détaillée de la Macédoine d'après les
données recueillies par l'auteur pendant les années 1860
à 1883. Il évalue le nombre des Bulgares chrétiens de
Macédoine à 1,029,119 et des Bulgares mahométans (Po-
maks) à 288,092, contre 212,994 Grecs chrétiens et 9746
Grecs mahométans 2). —
Le Russe V. Teploff qui travailla
longtemps comme fonctionnaire à l'ambassade de Russie à
Constantinople et connaissait bien les populations de la
Turquie d'Europe, publia en 1889 à Pétrograde son im-
portant travail couronné par l'Académie des sciences russe :

«La question religieuse gréco- bulgare d'après des sources


inédites Parlant de la distribution des races en Macédoine,
».

il constate que «les Grecs habitent seulement une étroite

bande de territoire sur le littoral, tandis que tout le reste


du pays est peuplé de Bulgares». Dans sa statistique, tout
en mettant de côté les districts sud sur lesquels les Grecs
émettent des prétentions plus ou moins fondées et ne con-
sidérant que la Macédoine centrale et septentrionale, il
arrive au chiffre de 940,270 Bulgares chrétiens. En 1900 —
parut l'ouvrage capital de V. Kantchoff 3 ), un des con-
naisseurs les plus compétents de la Macédoine qu'il avait
parcourue dans tous les sens. Dans sa statistique très
détaillée des populations macédoniennes, il chiffre les
Bulgares comme suit: vilayet de Salonique, 454,180 chré-
tiens et 97,620 mahométans; vilayet de Scopié, 244,197
chrétiens et 13,114 mahométans; vilayet de Monastir,

) « Rapport sur le vilayet de Monastir au point de vue politique et


x

économique ». Une copie de ce rapport daté de 1885, contenant 325 pages,


a été trouvée à Monastir en 1915, lors de l'entrée des troupes bulgares dans
cette ville.
2
) Esquisse topographique et ethnographique
de la Macédoine. Pétro-
grade 1889 (en russe).
3
) La Macédoine. Ethnographie et statistique. Avec 11 cartes. Sofia 1900.
— 144 —
333,856 chrétiens et 36,069 mahométans, ou en Macé-
doine: 1,179,036 Bulgares en tout dont 1,032,233 chrétiens
et 146,803 mahométans. — Le Français Gaston Routier,
qui visita la Macédoinede la grande insurrection,
lors
évalue les Bulgares à 1,136,000 personnes 1). Deux —
ans plus tard, le gouverneur général des trois vilayets,
Hilmi-Pacha, qui, à cette époque d'intervention européenne
dans les affaires de Macédoine, avait tout intérêt à présenter
le pays comme peuplé d'une majorité musulmane, com-
muniqua à M. René Pinon une statistique qui est loin de
répondre à la réalité. La population y est répartie d'après
sa confession et non d'après sa nationalité; le nom de Bul-
gare n'y figure même pas. Dans cette statistique, les chré-
tiens exarchistes, c'est-à-dire ceux qui se trouvaient sous
ladépendance spirituelle de l'Eglise bulgare, sont au nombre
de 608,162, dont 184,912 dans le vilayet de Scopié, 178,527
dans le vilayet de Monastir et 244,723 dans le vilayet de
Salonique; 8108 patriarchistes et exarchistes du district
de Tétovo, 845 catholiques « bulgares » du vilayet de Salo-
nique n'entrent pas dans le chiffre global ci-dessus 2 ). —
Les statistiques grecques ne font que suivre la méthode
turque; la distribution des populations y est faite d'après
leur confession: sont considérés comme Grecs tous les
chrétiens soumis au clergé grec. De plus, les statistiques
grecques se rapportent généralement à la Macédoine méri-
dionale, celle des vilayets de Salonique et de Monastir.
Fidèle à ce point de vue, le Mémoire des syllogues grecs,
présenté au Congrès de Berlin (1878), comptait dans la
Macédoine du sud 337,000 Bulgares; Nicolaïdès, en 1899,
en portait le nombre à 427,644; Chalkiopoulos, en 1913, les
évaluait à 313,270; le «Messager d'Athènes» de 1913 donnait
de 269,760; Colocotronis, en 1919, compte 253,505
le chiffre

Bulgares ). 3 —
En 1905 fut publié un des ouvrages les plus
J
) La Macédoine et les puissances. Paris 1904, p. 268.
2
) R. Pinon, L'Europe et l'Empire ottoman. Paris 1913, p. 143 à 144.
3
) Pour ces auteurs, voir p. 37.
— 145 —
importants sur la Macédoine, celui de D. M. Brankoff
(= D. Micheff), secrétaire de l'Exarchat bulgare 1). Les
listes statistiques détaillées qui y sont jointes, relatives aux
Bulgares, sont empruntées aux registres des paroisses bul-
gares de 1899; pour les districts grecs l'auteur s'est servi
des registres turcs publiés dans les « Salnamehs », almanachs
officiels.D'après ces statistiques, les Bulgares chrétiens sont
au nombre de 1,172,136, dont 897,160 exarchistes, 269,641
patriarchistes, 2432 orthodoxes unis et 2388 protestants.
Par rapport aux autres groupes ethniques chrétiens (Grecs
190,047, Koutso-Valaques 63,895 et Albanais 12,000), les
Bulgares constituent 81,5 %
du total de la population
chrétienne. —
Const. Noé, secrétaire de la société Macédo-
Roumaine de Bucarest, a publié en 1913 une statistique de
la population des deux vilayets de la Macédoine, Salonique
et Monastir. Il évalue les Bulgares de ces deux vilayets
à 512,000 personnes, contre 193,000 Grecs 2). — Le Tchèque
Vladimir Sis qui a fait de fréquents voyages en Macé-
doine et étudié ses populations, compte 1,047,012 Bulgares
dans ce pays dont 896,982 chrétiens et 150,032 mahomé-
tans pour l'année 1912, et 996,890 Bulgares pour l'année
1917, réduits en nombre par suite des guerres balkaniques 3 ).
Ci-dessous nous donnons la statistique de la population
bulgare de Macédoine à la veille des guerres balkaniques
de 1912, basée sur les registres paroissiaux bulgares et com-
plétée d'après les statistiques électorales turques et les
vérifications faites par nous lors de nos multiples voyages
dans le pays. Elle comprend la Macédoine dans ses limites
naturelles (p. 8 et suiv.), divisée en vilayets (gouverne-
ments), sandjaks (départements) et cazas (districts). Les
sièges des vilayets sont imprimés en majuscules et ceux

*) La Macédoine et sa population chrétienne. Avec deux cartes ethno-


graphiques. Paris 1905.
2
)Les Roumains koutso-valaques. Les populations macédoniennes
et la crise balkanique. Avec une carte ethnographique en couleurs. Buca-
rest 1913, p. 44 à 46.
) Mazedonien. Zurich 1918, p. 87 à 88.
3

10
.

146

des sandjaks en italiques. D'après cette statistique de 1912,


on comptait en Macédoine: ) 1,103,111 Bulgares dont
945,486 chrétiens et 157,625 mahométans (Pomaks) ré-
partis comme suit:

Bulgares Bulgares
CAZAS (Districts)
chrétiens
mahométans TOTAL
(pomaks)

1. SALONIQUE .... 27,500 27,500


2. Lagadina 8,300 8,300
3. Cassandra
4. Mont Athos 1,430 1,430
5. Koukouch 17,416 820 18,236
6. Doïran 7,305 2,195 9,500
7. Ghévghéli 20,300 20,300
8. Enidjé-Vardar 19,950 19,950
9. Verria 7,250 7,250
10. Katérina
11. Vodéna 14,920 280 15,200
12. Sabotsko 9,273 20,227 29,500
13. Tikvech 21,410 21,090 42,500
14. Stroumitsa 18,500 18,500
15. Serrés 28,250 28,250
16. Démir-Hissar 20,782 1,318 22,100
17. Pétritch 22,700 22,700
18. Zikhna 12,000 12,000
19. Melnik 17,120 380 17,500
20. Nevrokop 31,050 35,950 67,000
21. Razlog 21,070 11,230 32,300
22. Gorna Djoumaïa . 22,200 3,300 25,500
23. Drama 8,300 6,200 14,500
24. Cavalla 1,200 4,320 5,520
25. Pravichta 600 600
26. Sary-Chaban 115 115
27. SCOPIÉ 45,450 4,150 49,600
- 147 —
Bulgares Bulgares
CAZAS (Districts)
chrétiens
mahométans TOTAL
(Pomaks)

28. Koumanovo 32,380 1,050 33,430


29. Kratovo 19,515 19,515
30. Kriva-Palanka .... 24,250 24,250
31. Kotchani 18,700 18,700
32. Maléchévo 18,500 5,850 24,350
33. Chtip 19,150 19,150
34. Radovich 9,050 9,050
35. Vélès 29,700 600 30,300
36. Tétovo 19,750 2,890 22,640
37. Gostivar 9,750 550 10,300
38. Préchovo 28,000 28,000
39. MONASTIR (Bytolia) 70,550 70,550
40. Prilep 48,080 2,020 50,100
41. Okhrida 39,000 1,400 40,400
42. Kitchévo 23,610 8,490 32, 100
43. Ressen 22,000 22,000
44. Florina 36,320 36,320
45. Dèbre 9,740 11,810 21,550
46. Réka 10,540 7,295 17,835
47. Biglichta (partie du
caza de Kortcha) . 6,890 6,890
48. Castoria 37,640 3,610 41,250
49. Serfidjé (partie du
caza)
50. Nassélitsa 1,100 1,100
51. Kaïlar 7,480 7,480
52. Kojani
53. Grébéna
Total 945,486 157,625 1,103,111
IV.

Les Turcs.

Après la défaite des chrétiens à la bataille de Tchirmen


en 1371, les Turcs firent leur irruption dévastatrice dans
la Macédoine, la subjuguèrent et la gardèrent en leur
pouvoir pendant plus de cinq siècles, jusqu'en 1912. Grâce
à cette longue domination d'abord, et par suite de l'établis-
sement des colons turcs et de l'islamisation forcée d'une
grande partie de la population indigène, la Macédoine
médiévale changea beaucoup son aspect ethnographique.
Ce changement fut le plus sensible dès le début de l'in-
vasion. Une partie des habitants chrétiens qui échappa
aux massacres et à la déportation, fut obligée d'embrasser
lemahométisme; une autre partie qui trouva quelque grâce
auprès du vainqueur, resta dans ses foyers avec l'obliga-
tion de travailler la terre devenue propriété des feudataires
turcs.
A cet égard c'est la population urbaine de la Macédoine
qui souffrit fanatisme religieux du vainqueur ne
le plus, le

pouvant tolérer la cohabitation des chrétiens et des musul-


mans dans les villes qui avaient reçu de fortes colonies
turques. Massacrée, turcisée, chassée, il en resta très peu
de familles; il y avait même des villes où toute la population
chrétienne périt. Les villes étaient occupées par les Turcs
émigrés de l'Asie Mineure: Monastir, Scopié, Chtip, Prilep,
Kustendil, Drama devinrent à un moment donné des villes
presque exclusivement turques. Les points stratégiques
— 149 -
furent immédiatement occupés par le vainqueur et, à leurs
côtés, surgirent de nouvelles colonies turques. Sur les
grands carrefours et dans les cols des montagnes, on re-
nouvela les anciennes fortifications et de nouvelles furent
élevées. Sur la voie, entre Salonique et Monastir, on bâtit
une nouvelle ville purement turque, Enidjé-Vardar; au
mont Char, on fortifia le col de Katchanik; pour protéger
le passage d'Ossogovo, on construisit la petite forteresse
Baïram-Pacha, actuellement la ville de Kriva-Palanka sur ;

le gué de la Strouma supérieure, entre Doupnitsa et Kus-


tendil, on jeta en 1470 le pont de Kadine-Most conservé
intact jusqu'à présent; plus au sud, dans le défilé de la
Strouma, on bâtit une nouvelle ville turque, Yokari-
Djoumaïa; le défilé entre Stroumitsa et Pétritch avec son
emplacement stratégique de Klutch (la clef) fut occupé
par des villages turcs; enfin, Vélès, sur le Vardar, fut dé-
placé plus haut que l'ancienne ville et reçut le nom turc
de Kuprulu, etc.
Le croisement profond de avec
différents peuples
l'élément turc primordial fit perdre à ce dernier son type
racial surtout dans les villes. La population turque des
villes devint bientôt très mélangée: elle était formée des
indigènes (« Potournaks », turcisants) autour d'un pur
noyau turc émigré tout de suite après la victoire. En
dehors des villes surgirent deux formes d'agglomérations
rurales turques: les unes purement turques, les autres
mélangées. Les premières forment les grands groupes
émigrés d'Asie Mineure, appelés Yourouks ou Koniars 1 ).
Généralement, ceux-ci ne se mélangent pas avec les Turcs
provenant des populations indigènes islamisées qui, pour
eux, sont des « Tchitaks », des « Erlis » ou des « Turcs

*) Yourouk (du verbe « youroumek », voyager, courir les chemins)


veut dire nomade et rappelle l'occupation de ces Turcs bergers errant avec
leurs troupeaux. Ils sont appelés Koniars par les Bulgares pour désigner
leur provenance de Konia (Iconium).
— 150 —
Baltaïlène» 1 ). Les Tchitaks parlent turc et se conduisent
comme Turcs. Seules quelques antiquités aux environs
de leurs villages, des traditions et des traces linguistiques
dénotent leur origine non-turque.
De tous les villages de la péninsule des Balkans, ceux
des Turcs étaient les plus inconstants. On voit partout
les restes d'anciens villages turcs abandonnés: des mos-
quées en ruines, des champs vastes avec des cimetières
turcs à moitié enfoncés dans la terre, etc. Le point de vue
mahométan, en vertu duquel tout vient de Dieu et qu'on
ne doit pas fuir la maladie, provoqua la destruction de
plusieurs villages turcs au temps des dévastations dues
à la peste, le choléra et autres maladies épidémiques. Des
villages nouveaux apparaissaient à côté des anciens ou, le
plus souvent, on les bâtissait sur de nouveaux emplace-
ments. En d'autres termes, les agglomérations turques
actuelles ne correspondent pas toutes aux anciennes.
Les agglomérations turques actuelles de la Macédoine,
à part les villes et quelques villages isolés, forment trois
grands groupes le groupe du littoral égéen, celui de Sary-
:

Gheul et celui du Vardar. Le groupe du littoral est la con-


tinuation de la grande zone de population turque, qui tient
du Rhodope et descend jusqu'à la mer Egée. De la Mesta
inférieure jusqu'à la Strouma inférieure (lac de Tachyno),
la grande majorité —
par endroits la partie exclusive de la
population —
est turque. En outre, les villes de Cavalla,
Drama et Serrés sont peuplées principalement de Turcs.
A ce groupe se rattachent les agglomérations entre Salo-
*) Les chrétiens nouvellement islamisés enduisaient de chaux les
haies de leurs maisons pour désigner que ces dernières étaient la propriété
de musulmans. Ainsi ils évitaient le campement de troupes ou de fonction-
naires turcs dans leurs habitations et les acheminaient vers celles des chré-
tiens. De là le nom de « Tchitaks » (tchite = haie, ak = blanche) donné
à ceux qui avaient leurs haies blanchies. — L'appellation de Turcs « erlis »
(indigènes) est donnée aux Turcs qui tirent leur origine non-musulmane du
pays (er = pays, terre), cependant turcisés complètement. — Les chrétiens
islamisés par la violence sont dénommés quelquefois « Turcs baltaïlène »,
c'est-à-dire contraints par la hache (« balta »).
- 151 —
nique, la Bélassitsa et le lac de Tachyno ainsi que les
villages turcs de la Chalcidique. Le groupe du littoral compte
plus de 450 villages turcs. — Le groupe de Sary-Gheul avec
130 villages environ tient entre le lac d'Ostrovo et la Bys-
tritsa moyenne ici se trouvent les riches bourgades turques
;

de Kaïlar, Djouma. Ce groupe sert de limite entre les popu-


lations bulgares et grecques. —
Le groupe du Vardar s'al-
longe sur la rive est du Vardar, depuis Doïran, à travers
Valandovo, Stroumitsa, Radovich, Chtip, Vélès, jusqu'à
la bourgade de Svéti-Nicolé (Clisséli) à Ovtché-Polé, avec
une ramification sur les pentes de la Platchkovitsa. Il
compte environ 240 villages turcs. —
A part ces trois
grands groupes, d'autres petits groupements turcs se sont
établis le long des couloirs inférieurs du Vardar près de
Maïa-Dagh, ceux de la Strouma moyenne dans le district
de Pétritch, les Koniars de la Ptchinia inférieure, ceux de
Kénali dans la plaine de Monastir, ceux qui tiennent les
couloirs du Drin au sud de Dèbre et d'autres plus petits
encore.
Au point de vue racial, on peut rattacher aux Turcs
les Turcs chrétiens habitant la Macédoine du sud-est. Ils
descendent en partie des « Turcopoules », mercenaires turcs
au service de Byzance, lesquels avaient finipar s'établir
définitivement sur le territoire de l'empire après mariage

avec des femmes du pays. D'autres tirent leur origine de


ces tribus turques qui, au XIII e et au début du XIV e s.,
se livraient au pillage sur les côtes de l'Egée conjointement
avec les catalans, et qui avaient fini par se convertir au
christianisme et s'établir dans la Macédoine du sud. Ca-
valla, Salonique, Ber (Karaféria), le Mont Athos, etc. sont
explicitement nommés dans les documents comme ayant
souffert de leurs rapines. Aujourd'hui ces Turcs chrétiens
habitent principalement le district de Zikhna. Ils parlent
turc, s'appellent «christianlar » et ce n'est que très récem-
ment qu'ils ont commencé à s'appeler « Ouroum » (Grecs).
Dernièrement, ceux d'entre eux qui ont reçu une instruc-
— 152 —
tion ou sont en relations commerciales avec les négociants
grecs de Cavalla, Serrés et Salonique, se piquent de parler
grec au marché ou même entre eux.
Les femmes, cependant,
restent attachées à l'idiome natal. Ces Turcs chrétiens
sont au nombre de 4000 et habitent dans les localités
suivantes: Zéliakhovo, Staro-Zikhna, Rakhovo, Porna,
Tolos, Tchépeldja, Mandil, Gorna et Dolna-Nouska, etc.
Dans ces dernières localités ils sont mélangés de Bulgares.
Quant aux Pomaks (Bulgares musulmans), grâce
à leur isolement et à la conservation de la langue et grâce
aussi à certaines traditions bulgares, ils sont restés non
turcisés; nous en avons déjà parlé plus haut, p. 75.
Avant les guerres balkaniques (1912) le nombre des
Turcs en Macédoine se montait à plus d'un demi million;
il a diminué sensiblement pendant ces guerres et après les

changements politiques qui s'effectuèrent ces derniers


temps dans les Balkans: une partie de la population
turque s'enfuit ou fut massacrée. Bientôt la plupart des
Turcs macédoniens vont émigrer de Macédoine et dans
quelques décades, ils y seront une petite minorité. Le
Turc, le maître cinq fois séculaire, ne peut pas vivre sou-
mis à ses anciens esclaves de religion différente. Avec
les Turcs émigreront également un grand nombre de
Pomaks qui, comme nous l'avons vu, confondent la reli-
gion avec la nationalité et accordent la priorité à celle-là.
Seul un régime qui leur garantirait pleine liberté civique,
nationale et religieuse pourrait les retenir en partie dans
leurs anciens foyers.
De toutes les statistiques relatives aux populations
macédoniennes celle qui concerne les Turcs est la moins
parfaite. En effet, tandis que les communautés chré-
tiennes ont des listes paroissiales avec le nombre exact
de leurs coreligionnaires, les Turcs, à défaut d'une statis-
tique, ont recours aux registres fiscaux où la population
mâle est inscrite en vue du service militaire ou de l'impôt
militaire. Considérant la corruption des fonctionnaires
— 153 —
turcs mal payés, on peut se rendre compte de la défec-
tuosité de ces registres où manquent souvent les habitants
de quartiers entiers d'un village ou d'une ville. De plus,
les Turcs y sont mêlés aux autres populations musulmanes,
telles les Albanais, les Pomaks, etc. et ne figurent que sous
une seule rubrique: mahométans, ce qui rend un peu dif-
ficile la répartition des habitants par races. Le seul critère

dans ce cas restent la langue, les traditions et les coutumes


des populations non-turques inscrites comme mahométanes.
Les étrangers qui ont écrit sur les populations de Turquie
se sont servi, eux aussi, de cette statistique turque, soit en
la copiant littéralement, soit en la corrigeant suivant les
données des communautés chrétiennes, etc. La statistique
russe du prince Tcherkasky, de 1877, comptait en Macédoine
516,220 musulmans (Turcs, Albanais, Pomaks). Le savant
serbe S. Verkovitch dont les données statistiques se rap-
portent aux années 1860 à 1883, évaluait la population
purement turque, sans mélange d'Albanais ou de Pomaks,
à 240,264. La statistique turque publiée dans les Salna-
mehs (almanachs officiels turcs) de 1894 et 1895 donnait
le chiffre de 820,000 musulmans en Macédoine. Si l'on

soustrait de ce nombre les 350,000 Albanais et Bulgares


musulmans, il resterait pour les Turcs 470,000. Dans la
statistique très détaillée de V. Kantchoff de 1900, les
Turcs comptent 499,204 personnes. G. Roustier les chiffrait
en 1904 à 474,000 âmes. La statistique officielle turque de
1905, publiée dans le journal turc «Asr», numéro du 29
janvier, évaluait les musulmans dans les trois vilayets
(y comprit les Turcs, les Albanais de la Vieille Serbie,
les Bulgares mohamétans, etc.) à 1,700,507 personnes.
L'année suivante le gouverneur général des trois vilayets,
Hilmi-Pacha, donnait un chiffre encore plus élevé pour les
musulmans, soit 1,795,359 *). Quant aux sandjaks formant
à peu près la Macédoine géographique, notamment ceux

*) René Pinon, L'Europe et l'Empire ottoman. Paris 1913, 7 e édition,


.

p. 144.
— 154 —
de Salonique, Serrés, Drama, Monastir, Serfidjé, Dèbre,
Scopié, la statistique de Hilmi-Pacha y compte 477,278
de population mâle musulmane. Le Tchèque VI. Sis évalue
les Turcs de Macédoine en 1912 à 520,845 personnes et
notre statistique pour la même année les estime à 548,225
âmes. Après les guerres balkaniques, ce nombre a diminué
considérablement.
V.

Les minorités ethniques:


Albanais, Koutso-Valaques, Juifs, Tsiganes,
etc.

Les Albanais de la Macédoine ne sont qu'une par-


tie de leurs congénères d'Albanie et appartiennent à
une des plus anciennes races de l'Europe, l'illyrienne. Ils
se sont établis en Macédoine durant la domination turque,
surtout pendant les deux derniers siècles.
Au moyen âge l'Albanie proprement dite contenait
de fortes colonies slaves, et une partie de la population
albanaise était slavisée. Plusieurs montagnes, rivières et
villagesen Albanie portent encore aujourd'hui des noms
slaves; la langue albanaise elle-même possèdeune grande
quantité d'éléments slaves. L'Albanie a été longtemps
soumise à l'Etat bulgare, au IX e X
e et dans la première
,

moitié du XIII e s. En outre, l'Albanie centrale et méridio-


nale se trouvait longtemps sous la dépendance spirituelle
de l'archevêché bulgare d'Okhrida, ce qui contribua beau-
coup au raffermissement des colonies bulgares dans lepays
et à la propagation de l'influence culturelle bulgare parmi
les Albanais. Il y avait alors en Albanie d'importantes
villes bulgares, comme Dévol, Glavnitsa, Bojigrad et
autres. Dans ces parages, les disciples des saints Cyrille et
Méthode, Clément et Naoum, répandaient le livre slave.
A Dévol, Marco, disciple de St-Naoum, était évêque; à
Glavnitsa (près de Valona, sur la mer Adriatique), St-
Clément avait ses palais dont le prince bulgare Boris lui
avait fait cadeau et où s'élevaient des colonnes en pierres
— 156 —
avec des inscriptions relatant l'événement de la conversion
du peuple bulgare au christianisme. Tous ces détails nous
sont conservés dans les biographies de St-Clément, l'une
écrite par Théophylacte au XI e s. et l'autre par Chomatiane
au XIII e 1
s. ).

L'arrivée des Turcs dans les Balkans et l'introduction


le plus grand nombre des Albanais eurent
de l'islam parmi
une répercussion fâcheuse sur l'élément bulgare; avec
Albanais devinrent les dominateurs des Bulgares
l'islam, les
chrétiens en Albanie. Les colonies bulgares furent pillées
et la population poursuivie ou massacrée. L'élément bul-
gare résista plus longtemps dans le sud-est de l'Albanie où
il était plus nombreux, notamment dans les régions du Dévol
et de la Chkoumbi supérieure. La province Opara, 30 à
40 km. à l'ouest de Kortcha, était encore peuplée des Bul-
gares au commencement du XVI e s. 2 ). Durant la seconde
moitié du XVIII e s. l'anarchie en Turquie était arrivée
à son comble; le pouvoir central était impuissant vis-à-vis
des gouverneurs des provinces révoltées. La ville valaque
de Moscopolé, entre Kortcha et Opara, si prospère et floris-
sante, fut ravagée à deux reprises par les Albanais, et sa
population dispersée, 1769, 1788. L'Albanais Ali-Pacha
de Joannina (1741 —
1822) se proclama souverain indépen-
dant et conquit entre autres toute la Macédoine occiden-
tale. L'Albanie du sud-est fut envahie par la population
albanaise, et les Bulgares chassés et massacrés. L'élément
albanais se cramponna aux rives du lac
alors solidement
d'Okhrida, jusqu'au couvent de St-Naoum. A la suite des
incursions albanaises ultérieures de Djélaléddine-Bey et
d'Arslan-Bey, les Bulgares diminuèrent sensiblement en
Albanie orientale. La population bulgare de la région de
Kortcha se maintenait encore il y a 40 ans à Boulgarets,
Sénitsa, Bradvitsa, Rembets, Soviani et dans la ville même

*) Cf. La vie de St-Clément par Théophylacte et le sinaxaire de St-Clé-


ment par Chomatiane.
2
) Ch. Hopf, Chroniques gréco-romanes, p. 280.
— 157 —
de Kortcha 1); actuellement les grands villages entièrement
bulgares sont Bobochtitsa et Drénovo.
A l'instar d'Ali-Pacha, Moustapha-Pacha de Scutari
(première moitié du XIXe s.), ravit aux Turcs les terres
jusqu'au Vardar. C'est avec une grande peine que le pouvoir
central réussit à écarter lescampagnes dévastatrices des
Albanais, mais la population bulgare en souffrit beaucoup:
en Macédoine occidentale, par exemple à Prespa, Monas-
tir, Prilep, surgirent des colonies albanaises. Les attaques
albanaises de Dèbre et le pillage des troupeaux et des biens
bulgares furent les plus récents. Ces vexations albano-
mahométanes obligèrent plusieurs localités bulgares à
émigrer ou à se déplacer pour être occupées par de petites
ou grandes agglomérations albanaises, comme par exemple
celles entre Kitchévo et Gostivar et sur les contreforts
sud-est du Char, dans la région de Tétovo. Les Albanais
tiennent le défilé de Scopié jusqu'à Tétovo ainsi que la
vallée du Vardar à l'ouest de Scopié. Un autre groupe
albanais descendit même jusqu'au Vardar, au sud de
Scopié, en face de l'embouchure de la Ptchinia. La Forêt-
Noire de Scopié, surtout sa partie nord-est, est entière-
ment albanaise. La plupart des colonies albanaises du
district de Scopié remontent à la guerre austro-turque de
1689, quand une partie de la population chrétienne de ces
parages émigra en Autriche.
Les Albanais, privés de livres dans leur langue et
d'une forte conscience nationale, se laissent facilement
prendre à l'influence étrangère, sitôt qu'ils se trouvent dans
un milieu différent. Les habitants turcs de Monastir,
Okhrida, Strouga, Gostivar, Scopié, etc. sont composés prin-
cipalement d'Albanais. Les familles albanaises chrétiennes
installées dans les villes et villages grecs ou bulgares se trans-
forment en Grecs ou Bulgares et perdent vite leur langue.
*) A Kortcha, il y a des Bulgares dans deux quartiers de la ville; ils

sont bilingues et sur le point de s'assimiler. En 1888, ils avaient ouvert une
école bulgare avec 40 élèves et un maître d'école, mais à la suite des dé-
marches du Patriarcat grec, l'école fut fermée.
— 158 —
Numériquement, les Albanais de Macédoine for-
maient jusqu'en 1912 un contingent important: ils étaient
194,195 personnes, la plupart mahométans. Dans les
districts de Préchovo et de Dèbre ils formaient la majorité
de la population. Leur nombre était également assez con-
sidérable dans les districts suivants: Scopié, Koumanovo,
Tétovo, Gostivar, Monastir, Kitchévo, Castoria, le nahié
de Bilichta, etc.
Les guerres balkaniques et la révolte albanaise contre
le régime serbe en 1913 amenèrent une diminution con-
sidérable de l'élément albanais. Un certain nombre de vil-
lages furent incendiés, les populations massacrées, les maisons
saccagées, le bétail emporté. Ces atrocités peuvent être
considérées comme la manifestation de la vengeance des
Serbes contre les méfaits séculaires commis par les Alba-
nais mahométans sur la population serbe et chrétienne en
général. En effet, d'après notre propre enquête, ont été
détruits entièrement ou en partie dans les vilayets de
Monastir et de Scopié les villages suivants et leur popula-
tion massacrée ou contrainte à émigrer: Mourgach, Sou-
hodol, Pribiltsi, Obednik, Tsernéets, Gradichté, Kajani,
Ramna, Dolentsi, Sop, Zaïass, Toursko-Rétchani, Vroutok,
Zdounié, Raven, Gorno-Elovtsi, Ortchouch, Simnitsa, Ghio-
novitsa, Dobri-Dol, Kalichta, Tchégrané, Forino, Tchaïlé,
Groumtchin, Tchiflik, Lomnitsa, Tsérovo, Sénokoss, Novo-
Sélo, Dobertsa, Kopatchine-Dol, etc. Sur la dévastation
des districts de Dèbre et de Liouma par les Serbes on
possède le rapport officiel présenté aux Grandes Puissances
et publié dans le « Corriere délie Puglie » du 21 décembre
1913. Nous avons, sur ce sujet, des témoignages serbes. Le
député socialiste serbe, Katslérovitch, déclarait: «L'in-
surrection albanaise a été étouffée par la Serbie dans le sang.
L'armée serbe a incendié 35 villages albanais sans per-
mettre à leurs habitants de les quitter. Je ne veux pas par-
ler des atrocités anciennement commises sur les Albanais.
L'armée serbe, d'ordre de son gouvernement, a massacré
— 159 —
120,000 Albanais Le correspondant (un militaire) du
»
1
).

journal serbe «Radnitchké Noviné» du 9/22 octobre 1913


donnait sur la répression de la révolte albanaise ce qui
suit: « . . . . Je n'ai pas le temps de t'écrire longuement
mais je peux te dire qu'il se passe ici des choses affreuses.
J'en suis terrifié et je me demande sans cesse comment les
hommes peuvent pour commettre de
être assez barbares
telles cruautés. Je n'ose pas
C'est horrible. le temps, —
du reste, me fait défaut —
t'en parler davantage, mais je
peux te dire que Liouma (c'est une région albanaise le long
de la rivière du même nom) n'existe plus. Tout n'est plus
que cadavres, poussière et cendre. Il y a des villages de
100, de 150, de 200 maisons où il n'y a plus un seul homme
mais, à la lettre, plus un seul. Nous les réunissons par
groupes de 40 à 50 et ensuite nous les perçons de nos baïo-
nettes jusqu'au dernier. Partout on pillait. Les officiers
chargeaient les soldats d'aller vendre, à Prizrend, les ob-
jets volés». Le journal serbe accompagnait cette lettre
de la note suivante « Notre ami nous raconte des choses
:

encore plus affreuses. Mais elles sont si horribles et si dé-


chirantes que nous préférons ne pas les publier ».

Les Koutso-Vaîaques de Macédoine tirent leur ori-


gine de l'ancienne population thraco-illyrienne latinisée
lors de la domination romaine. Ils sont connus sous les
noms de Valaques, Koutso-Valaques, Tsintsars, Kara-
Katchans, Sary-Katchans que les autres peuples des Bal-
kans leurs donnent. Eux-mêmes s'appellent «Aromounes »
c'est-à-dire Roumains 2 ).
Au moyen âge l'élément koutso-valaque était plus
considérable en Macédoine, comme il ressort des témoi-
gnages des écrivains byzantins et des chartes des souve-

*) Bulletin International No 4 de la Commission Internationale Socia-

listeà Berne (1916).


) Les mots commençant par r prennent en koutso-valaque un a pro-
a

thétique: Romouni = Aromouni.


— 160 —
rains byzantins, bulgares et serbes. Avec
temps presque le
tous ces anciens Koutso-Valaques macédoniens se sont
fusionnés avec les populations prépondérantes du pays,
les Grecs et les Bulgares. Toutes les agglomérations ac-
tuelles des Koutso-Valaques en Macédoine proviennent de
la Thessalie, de l'Epire et du Pinde où l'élément roumain,
refoulé vers les montagnes, a su se maintenir dès le haut
moyen âge jusqu'à nos jours. C'est surtout durant les
dévastations albanaises aux XVIII e et XIX e s. que les
Koutso-Valaques ont émigré en Macédoine. Seuls ceux
de Mogléna doivent être considérés comme ayant immigré
avant cette époque. Presque toute la toponymie des ré-
gions occupées actuellement par les Koutso-Valaques en
Macédoine porte une empreinte slave, ce qui prouve de
plus que l'établissement de ces derniers a eu lieu à une
époque postérieure à l'installation des Slaves en Macédoine.
Les Valaques macédoniens vivent les uns dans les
villes, les autres forment des agglomérations rurales. Dans
ces dernières, ils sont agriculteurs et surtout éleveurs,
errant avec leur troupeau, suivant la saison, dans les mon-
tagnes ou dans la plaine du littoral égéen. D'autres vont
à l'étranger comme aubergistes ou commerçants. La po-
pulation valaque des villes fusionne facilement avec Grecs
et Bulgares. La plus grande partie des grécisants de Mo-
nastir,de Serrés, de Drama, etc. sont des Koutso-Valaques.
Le bulgarisme a exercé une grande influence sur les Valaques
de Mogléna où l'on trouve des villages entiers bulgarisés
et où se trouve le seul village valaco-mahométan, Nâté.
Les Valaques de Macédoine n'ont aucune importance
à cause de leur petit nombre et de leur dispersion. Le
Prof. G. Weigand qui a visité toutes les agglomérations de
Valaques macédoniens, évalue leur nombre à 80,000 âmes 1 ).
Aujourd'hui encore, ils n'ont pas un grand centre spiri-
tuel et culturel. Dans les villes où comparativement il y
a plus de Koutso-Valaques, telles que Monastir, Krouchévo,
:

*) Die Aromunen. Leipzig 1895. Vol. 1 er , p. 286 à 288, 294.


— 161 —
Serrés, Barakli-Djoumaïa, Khroupichta, etc. leur nombre
est inférieur partout à celui des autres nationalités cohabi-
tant dans les mêmes villes, bulgares, turques ou grecques 1 ).
La population rurale des Valaques de Macédoine est
répartie en plusieurs groupes. Le groupe de Monastir, y
compris la population de la ville de ce nom, est le plus con-
sidérable à tous les points de vue. Il est formé de quelques
grands villages situés près de la ville de Monastir, tels que :

Tirnovo, Magarévo, Malovichta, Nijopolé, Gopech. Le


groupe de Mogléna compte une dizaine de villages situés
dans le Haut Mogléna et sur la montagne de Païak, dont
les plus grands sont: Nâté (mahométans), Lioumnitsa, Li-
vada. Le groupe de Verria compte huit villages et hameaux.
A ce groupe appartiennent aussi les Valaques des villes de
Verria et de Négouch qui, grâce à leur dénationalisation
facile, on grossi de tout temps l'élément indigène grec. Le
groupe de Vlakho-Klissoura, entre Castoria et Kaïlar, possède
un petit centre, mais conscient au point de vue national, la
bourgade de Vlakho-Klissoura. Au nord de cette dernière
se trouve le village valaque Neveska. Les villages du sud
sont sous une forte influence grecque, tels Vlachko-Blatsa
:

grécisé à moitié, et Sissani, dans sa totalité. Les Koutso-


Valaques sont moins nombreux encore et plus dispersés
dans la Macédoine septentrionale et orientale.
Les villages valaques de Monastir et de Mogléna ont
beaucoup souffert pendant la grande guerre. Se trouvant
sur le front des opérations, ces villages ont été presque
anéantis et leur population dispersée.

La population juive (espagnole) en Macédoine est


urbaine et s'occupe exclusivement de commerce. Elle
compte 78,000 personnes et se trouve cantonnée à Salonique
(64,000 âmes), Verria, Monastir, Castoria, Serrés, Cavalla,

x
) D. Micheff, Les Koutso-Valaques en Macédoine. Sofia 1913, p. 12
à 31 (en bulgare).
11
— 162 —
Scopié. Une partie des Juifs de Salonique ont embrassé
l'islam, les ainsi nommés «Deunmés» (convertis, tournés);
ilsont joué un rôle considérable dans la vie politique de la
Turquie moderne, notamment dans le mouvement jeune-
turc.

La population tsigane est la plus dispersée de


toutes; elle partage, comme partout ailleurs, les particu-
laritésde sa race. Elle ne forme aucune agglomération de
quelque importance et vit à côté des autres nationalités,
principalement dans la Macédoine méridionale. Elle ne
se prête à aucune statistique précise, vu qu'à plusieurs
endroits, les Tsiganes apparaissent comme Turcs, ailleurs
comme Bulgares, suivant la religion qu'ils professent. Ils
sont environ au nombre de 43,000.

Avant 1912, en Macédoine cantonnaient un certain


nombre de Gircassiens qui s'y étaient installés il y a un
demi-siècle, après leur dispersion par les Russes; d'autres
étaient venus de la Bulgarie lors de sa constitution en prin-
cipauté autonome, en 1878. y avait en Macédoine quel-
Il

ques villages de Serbes mohamétans (Bosniaques) dont le


gouvernement turc encourageait l'immigration aux fins
d'augmenter le nombre des musulmans dans cette Macé-
doine devenue la pomme de discorde entre les Etats voisins
chrétiens. Ce fut surtout après la révolution jeune- turque
du 11 juillet 1908 et après la proclamation d'une natio-
nalité ottomane que le gouvernement turc entreprit l'ins-

tallation de plusieurs familles bosniaques en Macédoine.


Lors des guerres balkaniques, Circassiens et Bosniaques,
connus par leurs méfaits envers les chrétiens, s'empres-
sèrent de quitter la Macédoine et de s'expatrier en Asie
Mineure. Une bonne partie des Bosniaques retournèrent,
aidés par le gouvernement autrichien, dans leur ancienne
patrie, la Bosnie.
.

VI.

Tableaux statistiques
de la population macédonienne.

1. La Macédoine.
Statistique russe du prince Tcherkasky, 1877.

Lors de la guerre russo-turque, 1877, une commission


russe, à Bucarest, sous la présidencedu prince Tcherkasky,
fut chargée de recueillir des données statistiques et autres
relatives à la Turquie d'Europe. Dans les publications
de cette commission, notamment dans les « Documents
pour l'étude de la Bulgarie », Bucarest 1877, 2 e partie,
on trouve la statistique suivante concernant la population
de la Macédoine:

Sandjak Sandjak Sandjak Sandjak


Nationalités de de de de TOTAL
Salonique Monastir Scopié Serrés

Bulgares orthodoxes . . 202,500 267,200 148,000 255,000 872,700


Musulmans, Turcs, Al-
banais 60,000 320,540 45,680 90,000 516,220
Grecs 89,250 35,000 124,250
Koutso-Valaques 187,800 187,800
Juifs 40,000
}
2,850 42,850
Tsiganes
Circassiens 20,000 20,000
Catholiques 5,000 5,000
Divers 2,400 2,400

Total 416,750 775,540 198,930 380,000 1,771,220


— 164 —
2. La Macédoine méridionale.
Statistique grecque de 1878.

En 1878, les syllogues grecs firent parvenir au Congrès


de Berlin, par l'entremise de lord Layard, ambassadeur
britannique à Constantinople, un mémoire pour la défense
des intérêts grecs. D'après ce mémoire, publié dans le
Blue Book, Turkey, n° 31, les populations de la Macédoine
du sud sont réparties comme suit:

Sandjaks de Salonique, Monastir, Serrés, Drama:

Musulmans 349,000
Grecs 438,000
Bulgares 337,000
Valaques 70,000
Divers 100,000
Sujets étrangers 35,000

Total 1,329,000

3. La Macédoine méridionale.
Statistique officielle turque, 1878.

En 1878, lors de la guerre russo-turque, on a publié


à Constantinople, dans le journal français « Courrier
d'Orient », la statistique turque sous le titre
officielle
« Ethnographie des vilayets ». Le recensement fut opéré
sur la base de la population masculine (noufous). Par
cette publication turque on cherchait à démontrer l'im-
portance numérique de l'élément musulman, en vue des
changements territoriaux par suite de la guerre. En ce
qui concerne la Macédoine, cette statistique ne nous ren-
seigne que sur les sandjaks de Monastir, de Salonique et
de Serrés. Le total des chiffres présente quelques inexac-
titudes. Nous les laissons tels quels.
.

— 165

Noufous (population mâle) du sandjak de Monastir (Bitolia).

Musulmans Bulgares Albanais Grecs Juifs Valaques Tziganes TOTAL

5,922 31,084 395 683


Caza de Lerine (Florina) 5,706 16,667 1,300 790 —
Caza de Ressine et Prespa .... 2,404 7,963 3,335
Caza de Kitchovo (Kertchovo) 4,353 8,741
Caza de Djoumali 3,585 5,549
Caza de Ochrida 4,191 19,356 981 410
Caza de Bitolia 9,500 40,000 1,500 2,500 5,800 1,000
4,575 23,074 1,675 700 750 4,032

Total 40,236 152,534 3,175 700 3,250 15,843 2,883 267,899

Noufous (population mâif) du sandjak de Salonique,

Musulmans Bulgares Grecs Tziganes Pomaks

Gaza de Salonique 10,335 23,517 7,441


Caza de Vodina 2,459 24,060 5,838
Caza d'Havret-Hissar 10,840 37,396 1,621
Caza de Keuprulu (Velesse) 2,759 16,877 1,277
Caza de Stroumnitza 6,365 18,732 130
Caza de Dorian 6,683 5,418 1,585

Total 39,441 126,000 7,441 1,751 8,700

Noufous (population mâle) du sandjak de Sérès.

Musulmans Bulgares Pomaks Grecs Valaques Tziganes

9,591 18,510 11,058 870


Caza de Nevrokop 6,638 26,375 13,873 215
Caza de Démir-Hissar . . 4,480 20,010 460
Caza de Melnik 3,310 11,208 560
2,551 7,241 6,168 577 300
Caza de Petritch 2,774 7,551

Total 29,334 90,895 13,873 17,225 1,812 1,170


— 166

4. La Macédoine.
Statistique turque.

En 1881, parut en français une statistique détaillée


par localités de la population macédonienne, sous le titre
« Ethnographie de la Macédoine », Philippopoli 1881. Les
données y sont puisées aux sources officielles turques; les
chiffres ne représentent donc que la population mâle. Nous
en extrayons les chiffres se rapportant aux cazas (districts)
qui entrent d'après l'auteur anonyme dans les frontières
naturelles de la Macédoine, pages 45, 73 et 106 de l'ouvrage:

Vilayel de Salonique.
Population mâle.

CAZAS (districts) Musulmans Bulgares Grecs Valaques Joiis Tsiganes Divers

8,692 21,888 5,329 10,800 925


Enidjé-Vardar 3,549 13,955
Avret-Hissar 10,638 29,965 716 275
Vodéna 7,331 16,147
Serrés 9,099 20,155 9,873 105 765 708
Nevrokop 20,832 34,416 150
Démir-Hissar 6,220 27,227 865
Melnik 3,083 15,261 560
Zikhna 1,958 10,071 5,039 398 225
Petritch 2,884 12,226
Doïran 8,514 5,237 85 290
Tikvech 19,175 28,830
Stroumitsa 8,699 19,220 45
Vélès 5,636 19,734

Total 116,310 274,332 20,801 2234 11,650 1543 925

Sandjak d'Uscup (Scopié).


Population mâle.

CAZAS (districts) Musulmans Bulgares Grecs Valaques Juiis Tsiganes

Uskup (Scopié) .... 7,372 10,793 476


1,990 14,062 69
811 4,800 35
Tétovo 9,300 12,921 — 365
Palanka 450 15,214 146
Radovich 3,355 5,730
3,178 12,693 16 324
2,100 10,583
Total 28,556 86,796 — 16 476 939
167 —
Vilayei de Monastir.
Population mâle.

CAZAS (districts) Musulmans Bulgares Grecs Juifs Tsiganes

Monastir (Bytolia) .... 8,358 31,053 5 8,384 1,279


Prilep 4,414 20,968 320 87 524
Kitchévo 3,914 9,267
Ressen 1,230 4,843 1,603 200
Prespa 849 3,052
Okhrida 4,827 17,706 380 275
Florina 5,769 16,557 1,300 715
Djouma 3,499 4,496
Castoria 7,809 31,484 1,764 3,256 585
Total 40,669 139,426 2,091 15,010 1,865 1,714

Récapitulation de la population mâle:


Bulgares 500,554
Musulmans 1 ) 185,535
Grecs 22,892
Valaques 17,260
Juifs 13,991
Tsiganes 4, 196
Divers 925
Total 745,353

5. Le vilayet de Monastir.
Statistique russe du vice-consul N. Skriabine, 1885.

Le vice-consul de Russie à Monastir (Bytolia), N. Skria-


bine, envoya en 1885 à son gouvernement un rapport
détaillé sur « Le vilayet de Monastir au point de vue poli-
tique et économique ». Une copie de ce rapport, contenant
325 pages, a été trouvée à Monastir en 1915, lors de l'en-
trée des troupes bulgares dans cette ville. Parlant de
l'autorité ecclésiastique grecque dans le vilayet de Monas-

*) Y compris les Turcs, les Albanais, les Pomaks (Bulgares).


— 168 —
tir qui comptait alors sept éparchies (Monastir, Okhrida-
Prespa, Dèbre-Kitchévo, Castoria, Mogléna, Kortcha,
Sissani), l'auteur dit:
«A part l'éparchie de Sissani, pour laquelle on ne
possède pas de données précises et celle de Kortcha,
qui ne comprend que deux villages bulgares et autant de
grecs, étant peuplées d'Albanais, les autres cinq éparchies
grecques sont superflues dans le vilayet où on devrait
fonder des éparchies bulgares... Excepté 11 villages
grecs dans l'éparchie de Castoria et 18 villages valaques
dans toutes les autres, la population est exclusivement bul-
gare. A part les 11 villages grecs susmentionnés, 18 va-
laques et 1 albanais, tout le reste, quoique sous la juridic-
tion du Patriarcat grec, compte 325 villages exclusivement
bulgares. Dans cette même circonscription ecclésiastique,
505 autres villages bulgares étaient sous la juridiction de
l'Exarchat bulgare, soit en tout 830 villages bulgares dans
les districts de Monastir, Prilep, Okhrida, Dèbre, Kitchévo,
Florina, Vodéna, Kailar, Enidjé-Vardar, Castoria».
Voici données statistiques concernant
d'autres le

sandjak de Monastir, pour les années 1883 1884: —


Districts Villages bulgares Valaques Turcs Mixtes

Monastir 169 6 12 46
Prilep 114 — — 21
Kitchévo 87 — — 16
Okhrida 80 2 3 8
Florina 40 3 1 12

Total 490 11 16 103

6. La Macédoine septentrionale et centrale.


Statistique russe de V. Teploff, 1889.

V. Teploff qui fonctionna longtemps à l'ambassade


de Russie à Constantinople et connaissait les discussions
religieuses entre Grecs et Bulgares, publia en russe en
— 169 —
1889 son important ouvrage « La question religieuse gréco-
bulgare, d'après des sources inédites », Pétrograde, ouvrage
couronné par l'Académie des sciences.
Nous en extrayons les passages suivants: «On a
beaucoup discuté sur la question de savoir si les Bulgares
ou les Grecs formaient la majorité de la population en
Macédoine. Les voyageurs et les savants impartiaux, à
commencer par Lejean et Kiepert, ont établi que les Grecs
habitent seulement une étroite bande de territoire sur le
littoral, tandis que tout le reste du pays est peuplé de
Bulgares; le baron Ring, délégué français à la commission
de la Roumélie orientale, qui a parcouru toute la Macé-
doine à cheval, confirme ces constatations. »*) Laissons . .

maintenant de côté la Macédoine du sud sur laquelle les


Grecs, en raison de la composition ethnique de ses habi-
tants, émettent des prétentions plus ou moins fondées
et considérons la Macédoine septentrionale et centrale. Voici
quelle est sa population, d'après les dernières données:

Districts (Cazas) Bulgares Grecs Valaques

Koukouch 74,910 — 1,790


Razlog 14,860 — —
Djoumaia en partie laissés 7,000 — —
— —
( ï

Kustendil à la Turquie 25,000



( }

Nevroskop 30,000 408


Démir-Hissar 68,000 — 2,160
Melnik 38,000 1,800 —
Petritch 30,000 — —
Doïran 13,090 — —
A reporter 300,860 1,800 4,358

*) Le baron Ring fut le représentant de la France dans la commission

chargée d'élaborer le statut de la Roumélie orientale. Teploff raconte de


lui que: « Ayant parcouru à cheval le pays de Sofia à Salonique, il fut frappé
du caractère presque exclusivement bulgare de la population du territoire
visité. Il déclara ouvertement, qu'à son avis, les frontières fixées par le

traité de San-Stéfano concordaient avec les limites ethnographiques de


la nationalité bulgare en Macédoine » (page 169).
— 170 —
Report 300,860 1,800 4,358
Tikvech 72,000 — —
Stroumitsa 48,000 — —
Vélès 49,300 — —
Scopié 26,900 — —
Koumanovo 35,100 — —
Kratovo 12,000 — —
Tétovo 32,300 — —
Kriva-Palanka 38,000 — —
Radovich 14,300 — —
Kotchani 31,700 — 40
Chtip 26,400 — —
Bytolia (Monastir) .... 77,550 12 21,000
Prilep 52,400 800 200
Kitchévo 23,100 — —
Ressen 8,600 2 7,480
— —
-

Prespa 7,600
Okhrida 42,760 2 2,450
Florina 41,400 3,250

Total 940,270 2,616 38,778

7. La Macédoine géographique.
Statistique serbe de Verkovitch, 1889.

Stéphan Verkovitch, membre de la « Société savante »

de Belgrade, séjourna quelques dizaines d'années en Macé-


doine où il était envoyé par le gouvernement serbe et
publia des ouvrages importants sur l'ethnographie de ce
pays. En 1889, il fit paraître à Pétrograde, en russe, son
« Esquisse topographique et ethnographique de la Macé-
doine ». Les données statistiques détaillées dans cet ouvrage
se rapportent aux années 1860 à 1883. Les chiffres des
habitants turcs, puisés aux registresofficiels, ne donnent
que la population mâle. Nous avons doublé ces chiffres
pour avoir le total de la population mahométane.
.

171

Bulgares chrétiens 1,029,119


Bulgares mahométans 288,092
Turcs 240,264
Grecs chrétiens 212,994
Grecs mahométans 9,746
Albanais 78,790
Valaques 74,375
Juifs 1 ) 1,612
Gagaouzes 3,483
Tsiganes 10,568
Total 1,949,043

8. La Macédoine méridionale.
Statistique grecque de Nicolaïdès, 1899,

Le D Cléanthes Nicolaïdès publia à Berlin en 1899


r

son ouvrage « Macédonien » avec des tableaux statistiques


puisés aux sources officielles turques et grecques ces der- ;

nières ont été recueillies par les communautés grecques


et par les consuls de Grèce en Macédoine (p. 25 à 28):
Sandjak de Scopié.

Latins (ca-
CAZAS (districts) Grecs Musnlmans Bulgares Serties
tholiques)
Juifs Tsiganes

4,337 23,506 21,245 2,208 105 724 1,405


2. Chtip 23,362 17,714 541 608
3. Koumanovo . 87 11,885 21,106 7,623 11 477
4. Kotchani .... 90 10,977 16,590 343
5. Radovich . . 10,402 7,509 149
6. Palanka 396 2,125 19,937 297
7. Kratovo 37 3,196 16,891 409
8. Katchanik . . 69 7,528 282 305 480
9. Maléchévo . . 9,900 16,192 60
5,036 117,781 137,184 9,831 398 1,570 4,208

En tout 27( î,008 hab itants.

*) L'auteur a omis de mentionner les Juifs de Salonique, Monastir,


Verria, Gavalla.
.

— 172 —
Vilayei de Monasîir.
a) Sandjak de Monastir.

Grecs orthodoxes Schismatlgues Musulmans

Cazas et autres c.-à-d. Bulgares c.-à-d. Turcs, Albanais, Juifs

de sentiment grec exarchistes etc.

33,545 11,415 22,860 4,200


2. Prilep 415 20,074 6,000
3. Morihovo 2,400 4,670
4. Pélagonie 1,800
5. Okhrida et Prespa 22,625 31,725 8,950
6. Mogléna 22,225 8,225 6,790
62,195 11,050 12,790 800
23,815 6,050

169,030 87,159 63,440 5,000

En tout 324,629 habitants.

b) Sandjak de Serfidjé-Kojani.

Musulmans
Cazas Grecs
(Turcs)
Valaques Juifs Tsiganes

14,545 2,650
2. Koiani 9,325 17,055
3. Grébéna 21,830 4,800 1,275
4. Elassona 25,530 2,970 21 180

71,230 27,475 1,275 21 180

En tout 100,1 81 habitants.

Vilayei de Salonique
a) Sandjak de Salonique.

Cazas Grecs Bulgares Valaques Turcs


Tsiganes
Juifs TOTAL
cnrèt.

1. Salonique . . 57,247 3,800 33,673 430 72,700 172,096


2. Lagadina . . 18,965 1,100 13,539 33,614
3. Katérina 15,827 3,865 3,000 22,692
4. Cassandra. . 38,569 3,466 42,035
20,320 5,449 7,125 100 250 33,244
13,161 3,072 56 20,257 652 10 37,208

A reporter 164,089 7,972 9,370 81,060 1182 72,960 340,889


. . .

173

Cazas Grecs Bulgares Valaques Tnrcs


Triaanes
chrét.
jQifs TOTAL

Report 164,089 7,972 9,370 81,060 1,182 72,960 340,889


7. Vodéna 17,295 4,825 12,824 34,944
8. Ghevghéli . . 14,985 7,875 6,760 16,810 25 46,455
9. Avret-Hissar 3,305 17,379 14,488 50 35,202
10. Doïran 3,864 8,660 30 18,059 308 70 30,991
11. Stroumitsa . 16,481 7,280 11,355 100 400 35,616
12. Tikvech 13,403 13,774 27,177
13. Vélès 3,000 24,005 1,150 12,340 50 40,545
14. Mont Athos . 9,602 299 184 25 3,500 13,650
Russes
232,621 91,708 17,494 180,735 1670 73,455 605,469

b) Sandjak de Serrés.

Cazas Grecs Turcs Bulgares Divers

56,632 21,428 7,130 4570


2. Zikhna 20,925 6,710 1,740 95
3. Nevrokop 5,931 45,155 24,903 50
9,980 18,660
500 6,430 14,858 120
6. Petritch 7,296 15,816 15,510
7. Melnik 5,899 5,731 7,408 60
8. Démir-Hissar . . 17,064 16,560 17,934 300
124,247 127,810 108,143 5195
I In tout 365,3Ç 15 habitants

c) Sandjak de Drama.

Cazas Grecs Turcs Juifs Divers TOTAL

1. Drama 12,800 46,550 3400 180 20 63,650


2. Pravichta . 12,099 16,200 15 28,305
3. Sary-Chaban 103 27,500 27,630
4. Cavalla .... 7,100 13,000 50 1500 165 21,815
5. Thasos 13,100 13,100

45,220 103,250 3450 1580 200 153,800


Population totale de la Macédoine 1,825,482.
— 174 —
9. La Macédoine géographique.
Statistique bulgare de Kantchoff, 1900.

Vassil Kantchoff qui avait parcouru la Macédoine


en tous sens et étudié ses populations au point de vue
ethnographique, publia en 1900 son ouvrage capital:
«Macédoine. Ethnographie et statistique». Avec 11 cartes.
Sofia 1900. Nous y empruntons le chiffre global se rap-
portant à la Macédoine géographique avec une partie des
cazas de Serfidjé et de Starovo, p. 289:

Nationalités Chrétiens Musulmans Juifs TOTAL

1,032,533 148,803 1,181,336


2. Turcs 4,240 494,964 499,204
3. Grecs 214,329 14,373 228,702
4. Albanais 9,510 119,201 128,711
5. Valaques 77,626 3,500 80,717
6. Juifs 67,840 67,840
7. Tsiganes 19,500 35,057 54,557
8. Russes 4,000 4,000
2,837 2,837
400 300 700
300 300
12. Nègres 200 200
13. Géorgiens 60 60
8,810 200 9,010

1,370,949 819,235 68,040 2,251,224

10. La Macédoine et la Vieille Serbie.


Statistique française de G. Routier, 1904.

Gaston Routier, qui visita la Macédoine après la


grande insurrection de 1903, donne la statistique suivante
(p. 268) dans son ouvrage « La Macédoine et les puis-
sances », Paris 1904:
— 175 —
Bulgares 1,136,000
Turcs 474,000
Grecs 322,000
Serbes 1) .... 210,000
Valaques 183,000
Albanais 2 ) 661,000
Tsiganes 69,000
Juifs 93,000
Total 3, 148,000

11. Les vilayets de Salonique, Monastir et Kossovo.


Statistique officielle turque, 1905.

Le journal turc « Asr » paraissant à Salonique publia


dans son numéro du 2 janvier 1905 une statistique offi-
cielle de la population des trois vilayets, puisée, comme
il est dit, « aux renseignements récents et officiels présentés

dernièrement à Son Excellence l'Inspecteur Général des


vilayets de la Roumélie par les Bureaux de recensement
des vilayets de Salonique, Kossovo et Monastir ». Mal-
heureusement, et cette statistique partage les défauts de
toutes les statistiques turques où les notions de nationalité
et de confession sont confondues. Et pour obvier à cet
inconvénient, la statistique officielle turque se contente
de corriger le mal par la phrase: « Une partie de Valaques
et de Bulgares a été comprise parmi les patriarchistes ».
Le chiffre des musulmans est enflé, le but de la statistique
étant de démontrer que la population musulmane possède
une majorité et que les Bulgares qui aspirent vers une
autonomie politique sont en minorité.

*)Les Serbes de la Vieille Serbie faisant partie du vilayet de Kossovo.


2
Y compris les Albanais de la Vieille Serbie et de quelques cazas
)

de l'Albanie proprement dite faisant partie du vilayet de Monastir.


— 176 —
Vilayet de Salonique.
Musulmans 485,555
Patriarchistes 323,227
Bulgares 217,117
Total 1,025,899

Vilayet de Kossovo.
Musulmans 752,534
Patriarchistes 13,452
Valaques et Serbes 169,601
Bulgares 170,005
Total 1,105,592

Vilayet de Monastir.
Musulmans 260,418
Patriarchistes 291,283
Valaques et Serbes 30,116
Bulgares 188,412
Total 770,229

Récapitulation pour les trois vilayeis.

Musulmans 1,500,507
Patriarchistes 627,962
Bulgares 575,734
Valaques et Serbes 199,717
Total 2,903,920

«Dans ce chiffre de 2,903,920 ni les Israélites, ni les


catholiques ne sont compris, mais le nombre de ceux-ci
dépasserait le chiffre de 100,000 ».

Dans son numéro du 29 janvier 1905, le même jour-


nal Asr » s'empresse de se rectifier en grossissant le nombre
«

des Musulmans. Nous y lisons: «Nous disions que le


nombre des habitants musulmans de Monastir est de
260,418, tandis que ce chiffre s'élève à 460,418; dans
— 177 —
ce cas, c'est comme ci-après que la statistique doit être
comprise :

Musulmans 1,700,507
Patriarchistes 627,962
Bulgares 575,734
Valaques et Serbes 199,717
Total 3, 103,902

D'après ce chiffre, le pourcentage doit être calculé


comme suit:

Musulmans 55 %
Patriarchistes 20,20 %
Bulgares 18,80 %
Valaques et Serbes 6 %
Total 100 %»

12. Les vilayets de Salonique, Monastir et Kossovo,


Statistique officielle turque de Hilmi Pacha, 1905.

Un recensement officiel turc a été exécuté en 1905


d'après les ordres de l'inspecteur général de Macédoine,
Hilmi Pacha. Les chiffres globaux de cette statistique,
restée non M. René Pinon par
publiée, ont été dictés à
l'Inspecteur général lui-même (René Pinon, L'Europe et
l'empire ottoman. 7 e éd. Paris 1913, p. 143 à 144). Quoi-
qu'un peu plus complète que la statistique publiée dans
le « Asr », celle de Hilmi Pacha n'en est pas moins fautive

en ce qui concerne la répartition de la population par


nationalité :
Vilayet de Kossovo *).

Patriarchistes 164,476
Exarchistes 184,912
A reporter 349,388

A
) Nous omettons les chiffres se rapportant aux provinces hors de
la Macédoine.
12
. .

— 178 —
Report 349,388
Patriarchiste et exarchistes
du sandjak de Prizrend
(Les exarchistes sont
principalement à Kalkan-
delen, c.-à-d. Tétovo) . . 8,108
Catholiques 3,300
Israélites 2,639
Musulmans 420,388
Total 783,824

Vilayet de Monastir.
Patriarchistes grecs 272,586
Auxquels il faut ajouter (comp-
tés d'après l'ancien recen-
sement) 37, 173
Patriarchistes roumanisants . 11,301
Patriarchistes serbes 8,461
Exarchistes 178,527
Incertains entre exarchistes et
patriarchistes, dont la plupart
sont des Serbes 11,722
Israélites 7,692
Musulmans 509,307

Total 1,036,769

Vilayet de Salonique.
Patriarchistes 311,982
Patriarchistes valaques 22,377
Exarchistes 244,723
Arméniens 639
Arméniens catholiques 55
Catholiques (latins) 113
Catholiques grecs 2,000
A reporter 581,889
— 179 —
Report 581,889
Catholiques bulgares 845
Israélites (surtout dans la ville

de Salonique) 52,645
Musulmans 531,645
Total 1,166,830

13. La Macédoine méridionale.


Statistique roumaine de Noe pour Vannée 1905.

Cette statistique est insérée dans l'ouvrage de Const.


Noe, secrétaire de la Société macédo-roumaine de Buca-
rest: «Les Roumains koutzo-valaques », Bucarest 1913,
p. 44 à 46. L'auteur grossit démesurément le nombre de
ses compatriotes, au détriment des Bulgares et des Grecs.

Musulmans (Turcs, Albanais et


autres) 1,030,420
Bulgares chrétiens 512,000
Grecs 193,000
Valaques 350,000
Albanais chrétiens 25,000
Serbes et serbisants 21,700
Juifs 65,600
Divers 2,807
Total 2,200,527

14. La Macédoine.
Statistique allemande de R. von Mach, 1906.

Richard von Mach, qui a vécu longtemps en Orient


et qui connaissait les langues balkaniques, publia en 1906
son ouvrage «Der Machtbereich des bulgarischen Exarchats
in der Turkei », Leipzig-Neuchâtel, avec des tableaux
statistiques de la population chrétienne en Macédoine.
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180

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15. Les vilayets de Salonique et de Monastir.


Statistique grecque de Chalkiopoulos, 1913.

A. Chalkiopoulos, secrétaire du consulat de Grèce à


Scopié, dans sa statistique publiée dans le journal a'AOijvae»,
numéros de mars et avril 1913, répartit les populations
macédoniennes des vilayets de Salonique et de Monastir
suivant leur confession. Les Bulgares, les Albanais et les
Valaques, placés sous la juridiction spirituelle du Patriar-
cat grec, sont considérés comme des Grecs; de même les
Bulgares et les Albanais mahométans ne figurent que sous
larubrique des Musulmans. Il y a même des « Catholiques»,
compris comme nationalité:

Musulmans 618,147
Grecs orthodoxes 660,915
Bulgares schismatiques 313,270
Roumanisants 8,500
Serbisants 4,000
Catholiques 2,400
Juifs 88,000
Russes (au Mont Athos) 3,615
Divers 6,052
Total 1,704,899

16. Le Diocèse de Serrés.


Renseignements officiels grecs de 1913 et 1915.

Sur la demande du Ministère des affaires étrangères


à Athènes, l'archevêque grec de Serrés présenta une liste
des villages bulgares de son diocèse faisant partie, après
1913, du royaume de Grèce. L'original de cette liste,
daté du 13 juillet 1915, s'est trouvé aux archives de l'arche-
vêché de Serrés (Cf. Ghéorghieff et Chichkoff. Les Bul-
gares dans la plaine de Serrés, page 58). En voici le texte
grec avec la traduction en regard:
— 182 —
Mrjzponohzcxrj nepcyèpeta Etendue du diocèse de
leppœv. Serrés.
A/ Kaâapœç Boulyapbipwva I. Les villages bulgaro-
yjwpia 'EÇap%exà, fjroe pu] àva- phones purs, c'est-à-dire les
yvœpi^ovza ztjv '/. MiqzpàTzoXcv, villages qui ne reconais-
rjaav npb zijç xazaÀfaecoS bnb saient pas le saint arche-
'EÀÀyvexov ozpazov zà éfzfs* vêché, avant l'occupation
par l'armée hellénique, étai-
ent les suivants:
1. Apdvofta 1. Drianovo 1)
2. MoiïxÀev 2. Mâklen
3. Adxxoç 3. Lacos
4. Aouztt 4. Doutlia
5. Pa%o)[iïzça 5. Rakhovitsa
. 6. Mndvczaa 6. Banitsa
7. "Aveu 0pd<jztavq 7. Gorno Frachtani
8. Kdza) (Ppdaztavq 8. Dolno Frachtani
9. Mepzdzc 9. Mertatovo
10. Mezô^eov 10. Métokh
11. *Jvû> Bpovzou II. Gorno Brodi
12. Auftta 12. Koula
13. Xpcazàç, 13. Khristos
14. KaÀévâpa 14. Kalendra
15. /eviy Airoe 15. Yeni-Keuy
16. KapazÇâ Kcoï 16. Karadja-Keuy
17.
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J^° ^%«>*a 17. Ago-Makhala
18. '^vras 18. Adata
19. K£-Ilexeoi 19. Kiz-Pékessi
20. revr}-Ma%aXà 20. Yeni-Makhala
21. KoùvzeXc 21. Goudéli*
22. Bedix-MaxaXâ 22. Beylik-Makhala
23. Bipz&avi 23. Virginia
24. KeotoXix 24. Kechichlik
25. TooozocovXix 25. Tchoutchouligovo

J
) La transcription est donnée d'après la prononciation du pays.
— 183 —
26. Zaxdupzaa 26. Siakavtché*
27. Ilèpau KapazÇâ Kcoï 27. Dolno-Karadjovo*

B '. Boulyapbipùiva ptcxzà %a)- IL Villages bulgarophones


pia eu oïç xazwxouu %peozeauol, èx mixtes habités par des chré-
za>u bnoiwu Tcuèç fxkv àueyud)pcC,ou tiens dont les uns reconnais-
ttjv 7. MrjzpoTtoXcv rcueç de ztju saient le saint archevêché et
"EÇapyiav les autres l'exarchat:
28. Upbautx 28. Prossénik
29. "EÀaeavq 29. Elchani
30. Maxêae 30. Makech*
31. 'OapauÀTJ KaprjÀa 31. Gorna-Kamila

r\ BouXfap6(po)va àfiqr) iza- III. Villages bulgaro-


zpeap%txà yoipia, rpot àuayuwpi- phones patriarchistes purs,
Çpuza jubuou ztju *hp. Mrppbitohv c'est-à-dire ne reconnaissant
que le saint archevêché:
32. KafiaxÀjj 32. Kavakli
33. Biaaceu 33. Vichène
34. MehuxhÇ, 34. Melnikitch
35. ^Xpcoztàu Kaprjla 35. Dolna-Kamila
36. XopLoudoç 36. Khomondos
v
37. 0phaxo 37. Orliak*
38. Pdfiua 38. Ravna*
39. Mépreu 39. Mérian*
40. "Ancdcèç 40. Apidia*

2r)p.. Mezà ttju xazdX^tu zt)ç Note. Après l'occupation


c
%wpaç bnb zoiï EÀÀ7jucxou az pareil) du pays par l'armée hellé-
ànauza zà àucozépa) yoipia aua- nique, tous les villages ci-

fuwpiZouacu ztju Y. Mqzpbnohu. dessus reconnaissaient le


saint archevêché.
'EuZèfôatç, TYj Wloutiou 1915. Serrés, le 13 juillet (v. s.)

1915.
'0 2èpp(hu ^AnbaroXoç. Apostolos,
métropolite de Serrés.
*) Les villages marqués d'un astérisque sont situés à l'ouest de la
Strouma.
— 184 —
*

Le 29 octobre (v. s.) 1915, l'archevêché de Serrés


s'adressa à la Préfecture de Serrés avec prière d'accumuler
les arrérages de l'impôt d'évêque dans quelques villages
bulgares, pour les années 1913 et 1914. Dans cette liste
figurent encore quatre villages bulgares non mentionnés
dans la liste précédente, à savoir:

41. KapXrj Kcoï 41. Karly-Keu


42. Kaxapdaxa 42. Kakaraska
43. NeoXeaviQ 43. Névoliani
44. 'Ahjfjuteq Kcoï 44. Ali-Bey-Keuy

Par conséquent, l'autorité spirituelle grecque recon-


naît par les deux listes ci-dessus que le diocèse de Serrés
renfermait en 1915 quarante-quatre (44) villages bulgares,
parlant le bulgare, dont 8 à l'ouest de la Strouma et 36
à l'est de cette rivière.

Quant aux villages grecs du même diocèse à l'est de


la Strouma, c'est-à-dire dans la région de la Macédoine
orientale, ils sont au nombre de cinq, notamment: Vez-
nikovo, Dovichta, Topoliani, Sarmoussakly, Soubach-
Keuy.
En d'autres mots, la population rurale du diocèse
de Serrés à de la Strouma est exclusivement bul-
l'est
gare, à l'exception de deux ou trois villages turcs, déjà
migres en 1912, et de cinq villages grecs.

17. La Macédoine géographique.


Statistique tchèque de Sis, 1912 —1917.
Le Tchèque Vladimir Sis, qui a vécu dans les pays
des Balkans, connu leurs langues et fait un long séjour
en Macédoine, publia en 1918 à Zurich un ouvrage bien
documenté sur cette dernière province : « Mazedonien ».

Voici ses chiffres pour les années 1912 et 1917 (p. 87 à ^):
— 185 —
Pour Tannée 1912:

, chrétiens . . 896,982 1 . A/ir, Aio


Bul ^ areS [
1 ' 047 ' 012
| mahométans 150^32 l

Turcs 520,845
Grecs 204,367
Albanais 184,300
Valaques 67,865
Tsiganes 43,100
Divers (Juifs, Circassiens, etc.) 106,360

Total en Macédoine 2,173,849

Pour Tannée 1917:

Bulgares 996,890
Turcs 480,900
Grecs 333,360
Albanais 130,000
Valaques 58,000
Tsiganes 43,370
Divers 106,360

Total en Macédoine 2,148,880

18. La Macédoine géographique.


Statistique américaine de la «Geographical Society» à New-York,
1917.

Dans l'ouvrage capital de Léon Dominian: «The


frontiers of Language and Nationality in Europe. Pu-
blished for the American Geographical Society of New
York», 1917, nous lisons à la page 205:
«Les habitants chrétiens de la Macédoine peuvent
en quatre groupes, d'après leur langue mater-
être divisés
nelle :
186 —
Bulgares 1,172,136 ou 81,5%
de la population
Grecs 190,047 ou 13,22 % totale
Valaques 63,895 ou 4,44 %
chrétienne
Albanais..... 12,006 ou 0,84%

19. La Macédoine géographique.


Statistique de l'auteur de cet ouvrage pour 1912.

Notre tableau statistique est collationné d'après les


renseignements détaillés des communautés bulgares et
grecques, les statistiques électorales turques et les véri-
fications faites par nous lors de nos multiples voyages à
travers la Macédoine. Dans cette statistique, la Macé-
doine est comprise dans ses limites géographiques (v. p. 9 et
suiv.), avec 51 cazas (districts) et 2 nahiés (cantons) faisant
partie des cazas de Kortcha et de Serf id je. Les Bulgares,
les Grecs, les Valaques et les Albanais mahométans sont
comptés parmi leurs conationaux de race et de langue
maternelle et non comme des Turcs. Par suite des guerres
dont la Macédoine a été le théâtre de 1912 à 1918, cer-
taines populations ont eu à subir de ce fait des pertes
et des émigrations considérables au point de vue numé-
rique. Les diminutions affectent surtout les Turcs, les
Albanais et en partie les Bulgares. La statistique ci-dessous
expose donc la situation ante bellum 1912:

Bulgares 1,103,111
Turcs 548,225
Grecs 267,862
Valaques 79,401
Albanais 194,195
Tsiganes 43,370
Divers 106,360

Total en Macédoine 2,342,524


.

187

ou dans les détails:

Cazas (Districts) Bulgares Turcs Grecs Valapes Albanais Tsiganes Divers TOTAL

1. Solonique 27,500 28,000 31,000 2,000 2,500 2,500 67,500! 161,000


Lagadina 200
2.
Cassandra —8,300 19,500 8,900 50 150 37,100
3.
4. Mont Athos 1,430 —
3,500 33,000
4,330 300 4,140 a
36,500
10,200
5. Koukouch 18,236 18,000 60 500 36,796
6. Doïran 9,500 19,900 750 50 30,200
7. Ghevghéli 20,300 14,200 15 9,200 30 620 350 44,715
8. Enidjé-Vardar . . 19,950 12,500 12 1,000 80 1,500 35,042
9.
10.
Verria
Katérina —7,250 6,280
2,000
15,000
14,000
8,500
1,500
500 1,900 8503 40,280
17,500
11. Vodéna 15,200 7,200 1,350 20 800 24,570
12. Sabotsko 29,500 1,600 25 15 920 32,060
13. Tikvech 42,500 1,850 100 900 45,350
14. Stroumitsa 18,500 14,200 40 1,800 800* 35,340
15. Petritch 22,700 14,000 50 700 1,1 006 38,550
16. Melnik 17,500 6,150 2,310 1,620 1.290 28,870
17. Serrés 28,250 26,600 28,410 2,480 10 5,960 2,2406 93,950
18. Démir-Hissar .... 22,100 17,160 215 1,730 715 590 42,510
19. Zikhna 12,000 6,500 13,400 375 35 420 3,360' 36,090
20. Drama 14,500 37,500 6,700 1,600 40 3,000 980 64,320
21. Cavalla 5,520 14,000 14,000 1,250 2,300 2,850 8 39,920
22. Pravichta 600 11,160 10,600 50 470 22,880
23. Sary-Chaban 115 20,000 30 30 270 20,445
24. Nevrokop 67,000 12,000 720 1,020 55 1,305 115 82,215
Gorna-Djoumaia
25.
26. Razlog
. 25,500
32,300 —
3,300 200 780
800
40
600
770 215 30,805
33,700
Skoplé
27.
28. Préchovo
49,600
28,000 —
20,765 220 356 13,240
20,000
2,800 7,500» 94,481
48,000
29. Koumanovo 33,430 6,400 55 130 9,300 1,600 1,05510 51,970
30. Kriva-Palanka . 24,250 2,700 380 27,330
31. Kratovo 19,515 3,850 55 210 23,630
32. Kotchani 18,700 14,620 90 1,160 30 860 150 35,610
33. Maléchévo 24,350 700 450 850 26,350
34. Chtip 19,150 27,300 30 120 630 1,950" 49,180
35. Radovich 9,050 12,560 15 190 100 21,915
36. Vélès 30,300 10,160 300 5,100 500 520 46.880
37. Tétovo 22,640 13,750 25 27,230 320 10 63^80
38. Gostivar 10,300 7,135 35 16,000 400 33,870
39. Monastir 70,550 13,250 170 19,500 14,400 860 6,500u 125,230
40. Prilep 50,100 7,950 55 115 8,400 1,120 5 67,745
41. Okhrida 40,400 5,000 1,750 8,000 570 55,720
Dèbre
42.
43. Réka
21.550
17,835 —
4,500 33,375
7,100
1,050 60,480
24,935
44. Kitchévo 32,100 45 110 7,800 565 15 40,635
45. Florina 36,320 13,150 30 3,860 5,155 725 190 59,430
46. Ressen 22,000 1,750 740 2,025 400 26,915
47. Castoria 41,250 7,530 12,035 5,150 6,515 320 1,270 13 74,070
du
48. Bilichta (partie
caza de Kortcha) — 180
49. Anassélitsa
. 6,890
1,100 — 31,000 500
6,400 13,470
32,600
380
50. Kailaré
51. Kojani —7,480 36,740 3,800 30 48,430

52. Grébéna — 20,270


500
15,490
300
35,760

53. Serfidjé14 — 500


18,000
4,000
9,000
500
200 28,000
5,000

1,103,111 548,225 267,862 79,401 194,195 43,370 106,360 2,342,524

64,000 Juifs. — Dont 4042 Russes, 80 Géorgiens, 18 Serbes. — Dont 820 Juifs,
—DontJuifs.
1 2

— Bosniaques mahométans. — Juifs et Circassiens. — Gagaouses. —


3
6 6
La
Juifs, Serbes> Bosniaques mahométans. —
8

plupart Juifs. —
*

Bosniaques. — u Bos-
'
9 10

niaques. — La plupart Juifs. —


12
La plupart Juifs. — " La partie entrant dans
13
la
Macédoine géographique.
VIL

Les points de vue


des peuples balkaniques sur la question
macédonienne.
Il y a plus d'un siècle déjà que la diplomatie inter-
nationale est tenue en haleine par problème du proche
le
Orient, source intarissable de malheurs pour les peuples
des Balkans ainsi que pour ceux de l'Asie Mineure et qui
fut une des causes principales de la guerre mondiale qui
vient de se terminer. Néanmoins, la question n'est équi-
tablement qu'à moitié résolue; on pourrait même dire
qu'elle est plus embrouillée que jamais, ce qui ne présage
guère pas l'ère prochaine de tranquillité et de paix durable,
tant désirée.
Le problème d'Orient a surgi de deux raisons prin-
cipales: premièrement, la rivalité de certaines Grandes
Puissances, telles que la Russie, l'Autriche-Hongrie, l'Alle-
magne, l'Angleterre, qui toutes tendaient à mettre la main
sur une partie de la péninsule balkanique, soit remplacer
le joug cinq fois séculaire des Turcs par le leur, ou bien

à s'assurer une voie sûre pour leurs intérêts politiques et


économiques; deuxièmement, les légitimes aspirations des
peuples balkaniques à l'obtention de la liberté nationale
et politique, à laquelle ils ont un droit sacré. La disparition
d'une de ces Puissances (l'Autriche-Hongrie) et la neutra-
lisation des Détroits, écarteront l'un des principaux ob-
stacles qui s'opposaient à la solution du problème d'Orient.
Il reste donc à résoudre les questions locales, balkaniques,
189 —
c'est-à-dire les questions macédonienne, thra-
albanaise,
cienne, etc., car certaines résolutions prises par le vain-
queur au détriment d'autrui sont chancelantes et ne peu-
vent qu'engendrer de redoutables conflits et de nouveaux
malheurs.
Pour cela, il faut d'abord préciser les droits des peuples
balkaniques et, ensuite, procéder à la fixation des frontières
de leurs Etats ou de leurs confédérations d'Etats, ce qui
fera renaître le calme politique et permettra aux peuples
leur développement social, économique et moral.
La solution actuelle de la question macédonienne
étant basée sur la force et non sur les droits et la volonté
des peuples qui habitent la Macédoine, nous estimons qu'il
est de notre devoir impérieux d'attirer sur cette question
la bienveillante attention de la Société des nations, des
hommes d'Etat et de tous ceux dont les nobles efforts
tendent à donner à l'humanité souffrante plus de liberté,
de bonheur et de prospérité.
Les points de vue des peuples balkaniques, intéressés
à un règlement équitable de la question macédonienne,
diffèrent sensiblement les uns des autres. Nous en donnons
ci-après un exposé suivi de nos considérations critiques.

La thèse grecque.

Comme on le sait, l'idée de nationalité envisagée


comme doctrine politique est d'origine récente; elle remonte
à la Révolution française. La notion de nationalité a été
formulée à une époque plus près de nous encore: elle a
été exprimée pour la première fois dans le célèbre discours
du professeur de droit international de Turin, Pascal
Mancini. Malgré le fait que depuis cette époque la litté-
rature sur cette question s'est considérablement enrichie,
la définition de Mancini, qui date de 1851, a conservé
jusqu'aujourd'hui son importance et a acquis, du moins
dans ses lignes générales la valeur d'un axiome politico-
— 190 —
social. La voici : « La nation est une société naturelle
humaine, basée sur l'unité de territoire, d'origine, de mœurs
et de langue, qui se manifeste dans une communion par-
faite de vie et de conscience sociales ». Les chercheurs
modernes du problème des nationalités, tels p. ex. Ramsay
Muir, professeur à l'université de Manchester, donnent à
peu près la même définition de la nation et des éléments
qui la composent: l'unité géographique, la race, la langue,
la religion, les coutumes, les traditions, les intérêts éco-
nomiques et les aspirations communes. Plus ces éléments
sont manifestes chez telle nationalité, plus le sentiment
national est prépondérant.
Ce critère vient d'être consacré par le Traité de paix
avec l'Autriche et signé à St- Germain par les représentants
des Etats alliés et associés, le 10 septembre 1919. En effet,
les articles 51 et 60 de ce traité stipulent que les minorités
ethniques, c'est-à-dire celles « qui diffèrent de la majorité
de la population par la race, la langue ou la religion »
devront être protégées par des dispositions que ces puis-
sances jugeront nécessaires.
Alors que cette conception de l'idée de nation s'est
répandue partout, seuls parmi les peuples européens, les
Grecs considèrent la religion comme le facteur principal
pour ne pas dire unique, qui détermine la nationalité.
Ils sont d'accord sur ce point avec les Turcs pour qui la

religion est le seul élément constitutif de la nationalité.


La conception grecque est en honneur non seulement
dans les milieux politiques grecs, mais aussi dans les mi-
lieux lettrés et dans le public. Aux yeux des Grecs, est
Grec tout chrétien orthodoxe qui se trouve sous la juri-
diction directe du patriarche de Constantinople, qui fré-
quente une église ou une école grecque. Cette étrange con-
ception de l'idée de nationalité a trouvé sa consécration
dans la première constitution grecque de 1822, dont l'ar-
ticle 2 est ainsi conçu « Tous les habitants de la Grèce
:

qui croient en Jésus-Christ sont des Hellènes ».


— 191 —
Le clergé grec emboîtait le pas sur le gouvernement
grec; il considérait comme Hellènes les populations bal-
kaniques qui lui étaient immédiatement soumises, quelle
que fût appartenaient et quelle que
la race à laquelle elles
fût leur langue. Reconnaissant cependant la force de ces
deux éléments (la race et la langue), le clergé grec entreprit
de semer la haine contre toute langue non-grecque de ses
ouailles. L'invitation en vers que lança le pope Daniel
à la population de Macédoine au début du siècle dernier
est typique à cet égard. Elle débute ainsi: «Albanais,
Valaques, Bulgares et vous peuples parlant d'autres
langues, réjouissez-vous et apprêtez- vous tous à devenir
Grecs. Délaissez votre langue et vos mœurs barbares,
délaissez-les si complètement qu'elles puissent paraître
un jour à vos descendants comme une fable! » 1) Cet appel
devint au XIX e siècle le credo
de la « grande idée » grecque
qui, entre autres, avait pour but de fortifier l'hellénisme
chez les populations de Macédoine et de Thrace et de la
propager parmi les peuples hétérogènes de ces deux pro-
vinces, ainsi que des provinces voisines, qui constitueraient
un jour la Grande Grèce. En d'autres termes, la dénatio-
nalisation des Bulgares, Albanais, Koutso- Valaques, vivant
dans les provinces méridionales de la péninsule balkanique,
devint la préoccupation principale de l'hellénisme.
Le Patriarcat grec abondait dans le même sens. Sous
prétexte que l'Eglise du Christ est une et que son chef
est le patriarche grec, ce dernier alla jusqu'à déclarer qu'il
ne saurait reconnaître d'autres religions nationales. Ainsi,
lorsqu'en 1870 les Bulgares se constituèrent en Eglise
autonome avec leur clergé et leur langue propres, comme
ce fut le cas de bien d'autres peuples, les Grecs convo-
quèrent en 1872 à Constantinople, un Concile œcuménique
qui excommunia les Bulgares et qui, dans l'article 1 er for-
mula cette sentence « Nous blâmons, condamnons et dé-
:

*) Eiaaj-coyaij deÔaamiïa, etc. 1802, préface.


— 192 —
clarons contraire à l'enseignement de l'Evangile et aux
canons sacrés des heureux Pères l'ethnophylétisme, soit
les distinctions de races et les discussions nationales dans
le sein de l'Eglise du Christ ». Les Grecs ne voulaient pas
de distinctions de races afin de pouvoir instaurer la domi-
nation de la race hellénique sur les autres races bulgare, :

albanaise et koutso-valaque.
La littérature ethnographique et les statistiques grecques
de nos jours adoptèrent le même point de vue. Bulgares,
Koutso-Valaques, Albanais et Gagaouzes de Macédoine
et de Thrace, se trouvant sous l'autorité spirituelle grecque,
sont classés comme « Hellènes » et rangés à côté de la race
grecque dans les statistiques. Alors que ces allogènes
étaient appelés par les voyageurs de l'Europe occidentale
« Patriarchistes », chez des Grecs, ils passent pour « Hel-

lènes » ou bien, d'après leur terminologie, pour des « Hel-


lènes bulgarophones », « Hellènes albanophones », « Hel-
lènes valaquophones ». Cette distribution est celle de la
dernière statistique grecque, la plus détaillée sur la Macé-
doine, celle de l'ancien secrétaire du Consulat de Grèce
de Scopié, M. A. Chalkiopoulos 1 ). Afin d'augmenter le
nombre des Grecs de Macédoine, l'auteur de la statistique
n'a pas hésité à faire entrer dans le giron de l'hellénisme
les Tsiganes qui reconnaissent le patriarche comme leur
chef spirituel. Ces Tsiganes sont dénommés dans la susdite
statistique « Hellènes d'origine tsigane ». Cette manière
orientale de comprendre la nationalité est partagée aussi
par la presse grecque. Le journal grec « Néa Iméra », du
1 er novembre 1914, déclarait avec suffisance qu'en Macé-

doine il n'y a pas de Bulgares, et que ceux qui parlent


cette langue étaient Grecs parce qu'ils se trouvaient sous
le pouvoir du patriarche grec: « Il n'y a pas, ajoutait-il,
de plus purs Grecs que les patriarchistes bulgarophones! »
Enfin, le président du Conseil grec, Vénizélos lui-
même, dans son exposé des revendications grecques devant
a
) V. plus haut, p. 181.
— 193 —
la Conférence de Paris, déclarait, entre autres, que le seul
critère de la nationalité est la conscience nationale, non
pas la race ou la langue. Dans cet ordre d'idées, il s'est
empressé de citer les noms de quelques personnages d'ori-
gine albanaise, qui ont joué un certain rôle dans la vie de
la Grèce moderne, tels le vice-président actuel du Conseil
:

des ministres de Grèce, M. Répoulis; le commandant en


chef de l'armée hellénique, général Danglis; le commandant
en chef des forces navales, amiral Coundouriotis, ainsi que
la majorité des équipages de la flotte grecque, ont l'al-
banais pour langue maternelle.
L'exposé qui suit nous montrera cependant si la thèse
grecque sur la notion de nationalité est juste et jusqu'à
quel point les «Hellènes bulgarophones », ou «patriarchistes
parlant le bulgare » ainsi qu'on les nomme, sont Grecs.
1° —
Les patriarchistes bulgarophones qui, à la veille
des guerres balkaniques de 1912 habitaient les parties
plus ou moins grandes sur la ligne qui va de Castoria jus-
qu'à Derkos près Constantinople, sont de pure origine
bulgare et n'ont rien de commun avec la race grecque. Ils
se sont établis sur cette zone déjà au moyen âge et y sont
demeurés jusqu'aujourd'hui. Nous mentionnerons deux ou
trois seulement des anciens et innombrables témoignages
grecs. Ainsi, dans les « Actes de St. Démétrius de
Salonique », où sont narrés en détail les événements du
VII e siècle et la grande immigration slave en Macédoine
méridionale, il est dit que la ville de Salonique était entou-
rée, à cette époque déjà, au nord, à l'est et à l'ouest, de
tribus slaves 1 ). La chronique grecque du monastère
Castamonite au Mont Athos, relatant les événements du
VIII e siècle, ajoute: «Pendant le règne des empereurs
impies, les iconoclastes, les peuples des confins danubiens,
les Rynchiniens et les Sagoudates ainsi nommés, profitant
de l'anarchie des temps, après avoir occupé la Bulgarie
et s'être étendus peu à peu dans différentes directions,

J
) Tougard, De l'histoire profane. Paris 1874, p. 148, 150 et passim.

13
.

— 194 —
conquirent la Macédoine. Enfin, ils vinrent à la sainte
montagne d'Athos avec leurs familles, n'ayant rencontré
aucune résistance. Quelque temps après, on leur enseigna
l'Evangile, ils y crurent et devinrent chrétiens fer-
vents » 1 ). Jean Cameniate, Salonicien, en sa qualité de
contemporain, en 904, affirme qu'à cette époque la Macé-
doine du sud, depuis Verria jusqu'à la Strouma, était
peuplée de tribus slavo-bulgares, les Sagoudates, les Drou-
gouvites, Strymoniens 2 ). Théophylacte, archevêque
les
d'Okhrida et écrivain grec de la fin du XI e s., relate comme
suit l'établissement des Bulgares dans la péninsule bal-
kanique: «Les Bulgares vinrent des confins de la Scytie. . . .

Ils occupèrent toute l'Illyrie, l'ancienne Macédoine jusqu'à

Salonique et une partie de la Thrace, notamment les


environs de Berrœa, Philippopoli et les régions mon-
tagneuses adjacentes, et s'y établirent en vrais citoyens» 3 ).
Mille ans plus tard, les premiers explorateurs étran-
gers de ces parages y trouvaient les descendants de ces
mêmes Bulgares. E. M. Cousinéry, consul général de France
à Salonique au commencement du XIX e s., qui connaissait
bien la Macédoine méridionale pour l'avoir parcourue dans
tous les sens, relate, entre autres, au sujet de la plaine
de Salonique « Colakia: grand village entièrement
. . .

peuplé de Grecs, qui paraissent y avoir toujours résidé,


malgré la domination des Bulgares, dont ils sont entourés
dans toute l'étendue de la plaine » 4 ). De la région de Vo-
déna il dit: « Diocèse peuplé entièrement de Bulgares. .

Tous les archevêques qui se succèdent à Vodéna, quoique


Grecs de nationalité, sont dans l'obligation d'apprendre
la langue bulgare; leur diocèse se compose de plus de cent
villages, dont les habitants ne parlent que cette langue » 5 ).

1
) V. plus haut, p. 40.
2
) J.Cameniata, De excidio Thessalonicensi : Ed. Bonnae, p. 495,
496, 514.
3
) V. plus haut, p. 46.
4
) Voyage en Macédoine. Paris 1831, vol. I, p. 6t.
6
) Ibidem, p. 77.
— 195 —
Et, de la plaine de Serrés: «A compter du X e s. presque
toute la plaine que parcourt le Strymon et toute la côte
du mont Cercine furent occupées, comme elles le sont
1
encore aujourd'hui, par des Bulgares » ).

2° —
Bulgares d'origine, les Bulgares patriarchistes
appartiennent à la nationalité bulgare par leur langue,
leurs traditions, leur folklore, leurs costumes et leurs senti-
ments. Les écrivains grecs contemporains, la presse
grecque en témoignent aussi tant qu'ils ne partagent pas
la manière de voir générale grecque sur la question; ces
témoignages sont particulièrement précieux si l'on s'adresse
aux documents secrets grecs qui, ces derniers temps, ont
été livrés à la publicité. Dans cet ordre d'idées, nous
donnerons, en premier lieu, quelques extraits des témoi-
gnages de l'historien grec P. Aravantinos sur quelques-
unes des villes macédonniennes et leurs provinces « Péla- :

gonie, ancienne ville et région en Macédoine. Dans cette


contrée la ville nouvelle de Bytolia, appelée encore Monas-
tir est peuplée de 20,000 habitants Ses habitants

. . .

chrétiens parlent principalement la langue bulgare ».


« Stroumitsa. Ville de Macédoine. peuplée aujourd'hui
. .

de 2000 habitants de race bulgare, avec métropolite, autre-


fois évêquesous la dépendance de l'archevêque d'Okhrida ».
— «Tikvech. Ville et diocèse en Macédoine. La ville et
le diocèse sont peuplés de Bulgares sous la juridiction spi-

rituelle du métropolite de Vélès ». « Prilep, —


ville de
Macédoine... De nos jours, sa population est de 1200
familles, mahométanes et chrétiennes; les dernières sont
de race bulgare et valaque ». —
« Niagousta. Ville nou-
velle en Macédoine, avec une population de 200 familles
de race bulgare, sous la dépendance administrative de
Salonique ». —
« Kustendil. District et ville de Macédoine

avec population bulgare; siège du métropolite», etc. 2 ).

*) Ibidem, p. 53.
2
) V. plus haut, p. 34.
— 196 —
Dans l'ouvrage de M. Gédéon, secrétaire du Patriarcat
grec, sur le différend gréco-bulgare 1 ), il est affirmé que la
majorité de la population chrétienne des diocèses de Serrés,
Drama et Melnik est bulgare. Au sujet des élèves du cou-
vent de St-Jean le Précurseur à Serrés, en 1872, il est
dit: « Ils sont pour la plupart des Bulgares provenant des
villages des trois diocèses susmentionnés, notamment de
Drama, de Serrés et de Melnik ». Les pères du couvent
« eux aussi », y est-il ajouté, « sont des Bulgares, un quart

à peine sont Grecs ».

Le correspondant du journal grec « Hellas » (n° 10 de


1913) raconte ce qui suit de la propagande grecque dans
le grand village bulgare Nestram, district de Cgstoria:
« Ce qui m'a particulièrement impressionné, ce furent les
écoles .... Les instituteurs obligent les enfants à apprendre
des poèmes épiques et leur défendent de parler la langue
bulgare, leur langue maternelle. C'est ainsi que l'hellé-
nisme a été sauvé en Macédoine. Dans le village, il y a une
école de jeunes filles. Les maîtresses en sont très jolies. .» .

P. Décasos, chef de l'Agriculture auprès du gouverneur


général grec de Macédoine en 1913, a publié deux livres
sur la situation agraire et économique de la Macédoine
grecque. Concernant la population du district de Nia-
gousta, l'auteur reconnaît qu'elle « se sert habituellement

de langue slavo-macédonienne ». Il énumère 17 villages


la
du dit district, avec des « Hellènes » de langue slave.
Malgré sa manière de considérer, à la grecque, les Bulgares
patriarchistes comme des Hellènes, l'auteur trouve 15,211
« Bulgares » dans le district de Florina, 7000 Hellènes et

« Bulgares » dans le district de Vodéna, et 6770 « Bulgares »

dans le district de Sabatsko (Karadjova). L'auteur re-


connaît de même que, dans les «villages grecs au sud de
la plaine de Salonique appelée Roumlouk, la population

i) M. redeœv, "Eyypaça narpcap-^cxà xat ouvodexà, etc., p. 484,.

507, 508.
— 197

est moins dense que dans les villages du nord, qui sont de
x
langue slave » ).
Lors des élections de 1915, les Vénizélistes comblaient
de promesses et de complaisances les électeurs bulgaro-
phones. Ils s'adressaient à ces « Hellènes » en ces termes :

« Si vous nous donnez vos suffrages et que Vénizélos arrive

au pouvoir, nous donnerons à la Bulgarie non seulement


Serrés, Drama et Cavalla, mais aussi toute la région slavo-
phone qui s'étend jusqu'à Castoria » 2 ).
Le publiciste grec, S.-P. Phocas-Cosmetatos, dans son
livre, récemment paru, « La Macédoine, son passé et son
présent », Lausanne-Paris, 1919, affirme entre autres: « Le
traité de Bucarest (1913) a enlevé le vilayet de Monastir
aux Bulgares Dans le vilayet de Salonique, il y avait
. . .

25 cazas; les Bulgares possédaient la majorité sur les Grecs


dans les neufs cazas suivants: Doïran, Avret-Hissar,
Stroumitsa, Tikvech, Petritsi, Mélénikon, Nevrokop, Djou-
ma-Bala, Raslog ». (p. 38.)
Sur la demande du Ministère des affaires étrangères
d'Athènes, le métropolite grec de Serrés, Apostolos, pré-
senta le 13 juillet 1915 une liste des villages bulgares de

son diocèse, au nombre de 40. Dans une autre liste du


29 octobre 1915, adressée à la Préfecture de Serrés, figurent
encore quatre villages bulgares non mentionnés dans la
liste Par conséquent, l'autorité spirituelle
précédente.
grecque reconnaissait que le diocèse de Serrés en Macé-
doine orientale renfermait en 1915 quarante-quatre (44)
parlant le bulgare, dont huit à l'ouest
villages bulgares,
de la Strouma et 36 à l'est de la même rivière 3 ).
Quant aux villages grecs du même diocèse à l'est de la
Strouma, ilssont au nombre de cinq, notamment: Vez-
nikovo, Dovichta, Topoliani, Sazmoussakly, Soubach-
Keuy. Dans son rapport du 31 janvier 1909, adressé au

l
) V. plus haut, p. 35.
a
) Cf. le journal grec «T6 0côç» du 24 mai 1915.
3
) V. plus haut, p. 181 et suiv.
.

— 198 —
Ministère des affaires étrangères d'Athènes, le consul de

Grèce à Serrés, M. A. Saktouris, constatait la même chose :

c'est-à-dire que l'élément grec de la ville de Serrés et des


cinq villages grecs reste isolé, étant entouré de tous côtés
de villages bulgares 1 ).
En ce qui concerne le sentiment national de ces villages
bulgares appelés « hellènes », après leur annexion au
royaume de Grèce, il suffit de consulter le rapport, sous
le n° E. P. 75 du 26 mars 1915, adressé par le commandant
du 18 e régiment grec tenant garnison à Serrés, au com-
mandant de la 6 e division. On y lit que « les recrues du
régiment étaient non seulement des bulgarophones mais
de purs Bulgares, par conviction et dans l'âme, et cela
à un tel degré qu'il devient extrêmement dangereux. . .

Je vous communique, de même, qu'en qualité de comman-


dant, je ne puis avoir aucune confiance dans les sentiments
de ces soldats pour le présent aussi bien que pour l'avenir.
De sorte que des mesures s'imposent. Je vous fais remar-
quer, qu'à la répartition des recrues dans mon régiment,
ont été incorporés, si non presque exclusivement du moins
dans une grande majorité, des Bulgarophones et surtout
des Bulgares convaincus. Peu nombreux sont ceux qui
comprennent le grec, même parmi ceux qui prétendent
le parler ». A la suite d'autres rapports rédigés dans le

même sens, le commandant de la 6 e division, le général


Bairas, adressait, le 15 mars 1915 (n° E. P. V. 195) une
lettre au commandant du 4 e corps d'armée et sollicitait
« que tous les habitants des villages du littoral du district

de Serrés soient installés dans l'ancienne Grèce et remplacés


par des émigrés grecs imbus de véritables idées helléniques
et ne sachant pas un mot de bulgare ». Le rapport ci-haut
mentionné, du commandant de la 6 e division, contient de
même une statistique de la population des villages soumis
à la circonscription militaire de Serrés. D'après ce relevé,
le nombre des habitants de langue grecque est de 1199,

*) J. Ivanoff, La région de Cavalla, p. 73 et suivantes.


— 199 —
les Turcs sont au nombre de 1680 et les Bulgares au nombre
de 14,363 âmes 1 ).
3° — La conscience nationale des Bulgares patriar-
chistes est si peu douteuse qu'il suffit qu'ils jouissent d'une
certaine liberté religieuse pour qu'ils se déclarent Bulgares
et se rallient à l'Eglise autonome bulgare.
Jusqu'il y a un siècle, les Bulgares de Macédoine et
de Thrace, pris dans les filets du clergé, des écoles et des
églises grecs, passaient, aux yeux de l'étranger, pour
« Hellènes ». Cependant lorsque commença la renaissance
nationale bulgare et surtout lorsque fut proclamée la
liberté des confessions, de langue et de nationalité par le
Hatti-Chérif de 1839 et le Hatti-Houmaïoun de 1866,
l'hellénisme des Bulgares s'évanouit sensiblement. Alors
commença une lutte religieuse intense entre les éléments
grecs et bulgares qui débuta en 1830 à Scopié, en Macé-
doine, dura 40 ans et se termina par le triomphe des Bul-
gares. En 1870, ces derniers se séparèrent et constituèrent
une Eglise nationale autonome, avec son clergé, ses écoles,
sa langue scolaire et liturgique propres.
L'article 10 du firman impérial qui constituait l'Eglise
indépendante bulgare englobant outre la Bulgarie danu-
bienne, la plus grande partie de la Thrace, fit aussi entrer
dans ses frontières deux éparchies macédoniennes: Vélès
et Kustendil-Chtip.

En ce qui concerne les autres diocèses macédoniens


à population mixte, l'alinéa 2 du même article 10 prévoyait
que ceux où les 2 /3 de toute la population chrétienne
sont formés par les Bulgares seront attribués à l'Eglise
bulgare, s'ils en manifestaient le désir. Pour donner corps
à ce désir, on choisit le mode du plébiscite, et ce fut là le
premier cas historique de consultation de la volonté des
populations balkaniques se trouvant alors sous le joug turc.

a
) La question bulgare et les Etats balkaniques. Edition du Minis-
tères des Affaires Etrangères. Sofia 1919, p. 83-84, et fac-similé n° 9.
— 200 —
Ce plébiscite historique eut lieu en avril 1872 dans les
deux diocèses macédoniens, Scopié et Okhrida; ses résultats
furent écrasants pour l'hellénisme: les habitants de 880
villes et villages des deux diocèses se proclamèrent de
nationalité bulgare et affirmèrent leur ferme volonté d'être
incorporés à l'Eglise bulgare 1 ).
Lorsque en 1870, on accorda à la population macé-
donienne bulgare le droit d'autodisposition, elle commença
petit à petit à s'affranchir du clergé grec, de ses écoles
et de ses églises. En 1912, à la veille de la guerre bal-
kanique, au moment où prit fin le joug cinq fois sécu-
laire des Turcs en Macédoine, les Bulgares y avaient gagné
les sept éparchies suivantes avec des métropolites et des
prêtres bulgares, des écoles et des églises nationales Vélès, :

Scopié, Okhrida, Monastir, Dèbre, Stroumitsa, Nevrokop.


Dans les autres sept éparchies: Vodéna, Koukouch, Flo-
rina, Castoria, Serrés, Melnik et Drama, ils avaient des
vicariats au lieu de métropolites. L'Eglise orthodoxe auto-
nome bulgare avait cette année-là, en Macédoine, 1139
églises, 155 chapelles, 62 monastères, où officiaient 1132
prêtres et quelques dizaines de moines. Les écoles bul-
gares étaient au nombre de 1141, avec 1884 maîtres et
65,474 élèves. Ne sont pas compris dans ces chiffres les
églises, les prêtres, les écoles et les élèves des Bulgares
catholiques et protestants.
4° — Les Patriarchistes bulgares ont aussi manifesté
leur conscience bulgare lors des grandes insurrections poli-
tiques de Macédoine Thrace contre le régime turc
et de
en 1902 et 1903. La plus grande partie des patriarchistes
bulgares de cette époque manifestèrent leur nationalité
en prenant les armes et en se ralliant à leurs compatriotes
révoltés, alors que les Grecs aidaient les Turcs à étouffer
la révolte. Des témoignages français, anglais et turcs ont
corroboré unanimement ce fait, bien connu, des péripéties
de la question d'Orient.
x
) Pour plus détails, v. p. 106 à 107.
— 201 —
Ainsi, à l'occasion de la grande insurrection bulgare
en Macédoine de sud-ouest de 1903, le vice-consul de
Grande-Bretagne à Monastir, McGregor, écrivait, entre
autres, au consul général Graves à Salonique « Pour le :

moment je dois me borner à constater que l'insurrection


est complète dans les districts de Monastir, Resna, Prespa,
Okhrida, Kitchévo, Krouchévo, Korechta, Castoria, Flo-
rina et Morihova et que les patriarchistes de nationalité
slave et valaque ont notoirement fait cause commune avec
les insurgés »
x
). De son côté, le vice-consul français de
Monastir, Choublier, communiquait à Delcassé, au sujet
de l'espionnage des Grecs en faveur des Turcs: «Les
autorités grecques de Monastir elles-mêmes ne craignent
pas d'encourager ce mouvement et de prendre le parti des
Turcs contre ces mêmes populations chrétiennes qu'elles
prétendent devoir un jour revenir à la Grèce » 2 ). Les
Grecs d'Hellade adoptaient la même conduite que leurs
compatriotes de Macédoine: étudiants et officiers grecs
rivalisaient de zèle dans l'aide à prêter aux Turcs contre
la population bulgare insurgée en Macédoine et Thrace
en 1903. Les Turcs eux-mêmes ont reconnu le fait. On
lit, en effet, dans le journal « Stamboul » de Constantinople,

du 14 août 1903, ce qui suit: «Les journaux turcs repro-


duisent des journaux athéniens la nouvelle qu'une dépu-
tation des étudiants de l'Université d'Athènes s'est adres-
sée à Saadeddine-bey, chargé d'affaires de Turquie à
Athènes, pour le prier de vouloir bien obtenir leur admis-
sion dans l'armée impériale ». Et, dans le même journal
du 20 mai: « L'Ikdam» annonce que « quelques officiers
appartenant à l'armée hellénique se sont adressés à la
légation ottomane à Athènes et ont sollicité, tant en leur
propre nom qu'en celui d'un millier d'officiers et soldats,

*) Blue Book. Turkey for the période of March-September 1903,


n° 308, p. 261.
2
) Documents diplomatiques. Affaires de Macédoine 1902. Paris
1903, p. 4.
— 202 —
d'être admis dans l'armée impériale pour la répression
des bandes bulgares. Le ministre ottoman, tout en les
remerciant chaleureusement de leurs sympathies, les a
informés que leur demande ne pouvait pas être agréée,
attendu que, grâce à l'activité des troupes et des gendarmes
ottomans, les susdites bandes seront sous peu complète-
ment dispersées ». Ce fait est attesté et par M. Maurice
Gandolphe lors de sa tournée en Macédoine insurgée. « Un
certain nombre de volontaires grecs », dit-il « ont demandé
à être incorporés ces jours derniers et sont en instruction
à Constantinople. D'autre part, le Patriarcat œcuménique
a soumis au Grand-vizir un mémoire signé par les métro-
polites grecs de Macédoine, de Thrace et les notables des
communautés .... Une défiance est toujours nécessaire
de ces manifestations violentes, inspirées visiblement par
l'éternelle rivalité du Patriarcat œcuménique et de l'Exar-
chat bulgare. Il paraît que, dans l'intérieur, les évêques
grecs se sont livrés à de hardies évangélisations, sous forte
1
escorte turque. -» ) . .

5° — En 1908, le régime despotique turc fut renversé


et remplacé par le régime parlementaire. Cette ère, dite
de la « liberté » (houriète), permit à la population de la
Macédoine et de la Thrace, de réclamer devant le nouveau
parlement ottoman ses droits ecclésiastiques et scolaires
usurpés par le Patriarcat grec. Les patriarchistes bulgaro-
phones se rangèrent les premiers du côté des mécontents contre
Vhellénisme. Des dépêches et des pétitions émanant des
villes et des villages patriarchistes, depuis Castoria jusqu'à
la mer Noire, affluaient à la Chambre turque. Cette popu-
lation, protestant contre l'usurpationde ses droits, déclara,
en sa qualité de bulgare, qu'elle veut passer sous la juri-
diction de l'Eglise bulgare et demanda la permission d'ou-
vrir ses écoles et ses églises bulgares. Protestèrent égale-
ment, les Bulgares dont les églises et les écoles restèrent

1
) M. Gandolphe, La crise macédonienne. Enquête dans les vilayets
insurgés. Paris 1904, p. 31.
— 203 —
fermées sous régime hamidien qui protégeait la pro-
le

pagande grecque au détriment de la population bulgare.


Du côté des protestants s'étaient rangés des villes
et des villages suivants, en Macédoine:
Du caza de Florina, les villages: Armensko, Gorno-
Névoliani, Karpéchina, Gorno-Kotori, Lajani,
Nérète,
Sourovitchévo, Ekchi-Sou, Patélé, Srébréno, Altos, Lag-
hen, Pessotchnitsa, Vochtarani, Batch, Gornitchévo, Sé-
tina.— Caza de Castoria, les villages Nestram, Gorentzi,
:

Dolno-Koumanitchévo, Staritchéni, Osnitchéni, Jélovo.


— Caza de Kdilaré, les villages: Emboré, Paléor, Dorou-
tovo, Assam-Keuy. —
Caza de Vodéna, les villages Tsar- :

marinovo, Orizari, Samar, Messimer, Kaménik, Piskopia,


Svéti-Ilia, Trébouletz, Vertekop, Vladovo, Nissia, Tché-
gan, Arsen, Golichani, Pranéni. —
Caza de Verria, les
villages: Vechtitsa, Dolno-Kopanovo, Gorno-Kopanovo,
Monospitovo. —Caza de Enidjé-Vardar, la ville de Enidjé-
Vardar et les villages: Postol, Guptchévo, Kariotitsa,
Vethi-Pazar, Vadrichta, Assarbégovo, Mandalévo, Babian,
Kadiino-Sélo, Kroucharé, Pilorik, Damian, Ramna, Tchi-
tché-Gass, Tcherna-Réka, Kochinovo, Pet-Gass, Kriva,
Pétrovo, Bozetzt, Barovitsa. —
Caza de Salonique, les
villages: Toptchiévo, Yalladji, Gorno-Koufalovo, Daout-
Bal, Zourbata, Sarytchévo, Tchohalari. —
Caza de Laga-
dina, le village: Névrogan. —
Caza de Doïran, la ville de
Doïran et les villages: Valandovo, Fourka. Caza de—
Ghevghéli, la ville de Ghevghéli et les villages: Mouine,
Négortsi, Séhovo, Kara-Souly, Ochan, Davidovo, Bog-
dantsi. — Caza de Démir-Hissar, la ville de Démir-Hissar
et les villages: Saviak, Barakli, Koumli, Latarévo, Spa-
tovo. — Caza de Serrés, les villages: Mekech, Elchani,
Kamila. — Caza de Drama, le village de Prossetchen. —
Caza de Zykhna, les villages: Gorontsi, Egri-Déré, Kar-
loukovo, etc. etc.
6° — Depuis 1913, alors que la Macédoine du sud a été
attribuée au royaume de Grèce, les Bulgares qui y habi-
— 204 —
taient, les patriarchistes et tous les exarchistes, ont été
soumis au pouvoir du patriarche grec de Constantinople.
La presse grecque officielle d'alors évite de parler de « Bul-
gares sous le joug grec »; de temps en temps seulement elle
fait allusion à des « Hellènes bulgarophones ». Dans son
exposé devant la Conférence de la paix sur les revendica-
tions territoriales grecques, Vénizélos ne souffle mot de
ces Bulgares qui sont environ 290,000 (sans compter des
Pomaks bulgares au nombre de 40,000) dans la Macé-
doine du sud.
Cependant, à la veille de la première guerre balkanique
de 1912, à l'occasion des élections au Parlement ottoman,
les Grecs reconnaissaient ouvertement le caractère pure-
ment bulgare de la population en question de la Macé-
doine du sud. En effet, le protocole signé le 18/31 janvier
1912, entre les représentants des Bulgares ottomans et ceux
du peuple et du Patriarcat grecs, en vue d'une action
commune aux élections, consacre la proportion suivante
des candidats bulgares et grecs en Macédoine du sud sand- :

jak de Monastir: 2 députés bulgares et 1 grec; sandjak


de Salonique: député bulgare et 2 grecs; sandjak de
1

Serrés: 2 bulgares et 1 grec; dans la Macédoine du nord,


dans le vilayet de Scopié, où il n'y a pas de Grecs, ces
derniers accordent toutes les places de députés chrétiens
aux Bulgares 1 ).
En d'autres termes, en 1912, les Grecs eux-mêmes,
en accordant cinq mandats de députés aux Bulgares de
la Macédoine du sud et quatre aux Grecs, reconnurent non
seulement l'élément bulgare de cette province, mais sa
supériorité numérique sur l'élément grec. Une année
après cette reconnaissance, la Grèce officielle « refusait
d'avoir sur son territoire n'importe quel Bulgare ».

*) Ce protocole se trouve joint in-extenso comme annexe n° 2 à


«l'Exposé sur la question de la Thrace occidentale», présenté par la Délé-
gation bulgare à la Conférence de la Paix.
— 205 —
7° —A
quel point la population de langue bulgare
dans la Macédoine méridionale, actuellement sous la do-
mination grecque, est de sentiment hellénique, le fait sui-
vant le montrera. Lors de l'occupation grecque de ces
parages en 1913, l'armée hellénique, par ordre du roi Cons-
tantin, mit le feu à ces mêmes villages, réclamés maintenant
comme grecs, dans le seul but d'en finir avec l'élément
bulgare. Furent incendiés non seulement les villages des
Bulgares exarchistes, mais aussi des Bulgares patriar-
chistes y périrent. Dans le rapport de la Commission
d'enquête internationale à ce sujet, nous lisons entre autres:
« La liste suivante des villages incendiés est exacte, en ce

sens qu'elle ne porte aucun village qui n'ait pas été brûlé.
Mais elle est loin d'être complète, sauf en ce qui concerne
les régions de Koukouch et de Stroumitsa. Beaucoup
d'autres villages ont été incendiés, principalement dans
les districts de Serrés et de Drama. Souvent, nous ne som-
mes pas parvenus à savoir le nombre exact des maisons
d'un village. On remarquera que cette liste comprend
quelques villages turcs brûlés par les Grecs en territoire
bulgare, et quelques villages brûlés par les Serbes. L'im-
mense majorité, toutefois, est faite des villages bulgares
brûlés par l'armée grecque dans sa marche vers le nord.
Le nombre des villages détruits figurant sur cette
«

liste est de 161 et le nombre des maisons brûlées est d'en-


viron 14,480. Nous estimons que les Grecs, au cours de
la seconde guerre, n'ont pas brûlé moins de 16,000 maisons.
Les chiffres qui suivent les noms indiquent le nombre
des maisons de chaque village.
District de Stroumitsa. —
Onze villages bulgares brûlés
par les Grecs: Dabilia (50), Novo-Sélo (160) Veliussa,
Monastira, Svrabité, Popchévo (43), Kostourino (130),
Rabortsi (15), Tcham-Tcheflik (20), Baldevetsi (2), Zou-
bovo (30);
neuf villages turcs brûlés par les Grecs: Anzali (150),
Guetcherli (5), Tchanakli (2), Novo-Mahala (2), Ednokou-
— 206 —
kovo (80), Sekirnik (30), Souchitsa (10), Svidovitsa (10),
Borissovo (15);
deux villages « patriarchistes »: Mokreni (16) el
Makrievo (10),
ainsi que les trois quarts de la ville de Stroumitsa,
soit environ 1000 maisons et boutiques. En tout 1620
maisons.
District de Pétrits. —
14 villages brûlés par les Grecs :

Charbanovo, Breznitsa, Mouraski, Mitinovo, Ormanli,


Michnévo, Starochévo, Klutch, Koniarené, Kolarévo, Mi-
krévo, Gahréni, Skrit et Smolari (Zes deux derniers en
partie).
District de Razlog (Méhomia). — Dobrinitché (298).
District de Gorna-Dzumaja. — Simetli, Dolno-Sou-
chitsa et Serbinovo (200), ce dernier village incendié par
les Grecs après le traité de Bucarest.
District de Melnik. —
16 villages bulgares incendiés
par les Grecs: Makriko- Sténo vé, Sklava (30), Svéti-
Vratch (200), Livounovo (60), Dolno-Orman (90), Tchifli-
tsité, Prépetchénévo (20), Kapotovo, Kromidovo, Har-

sovo (100), Dolno-Oumitsa, Hotovo, Spatovo (16), Span-


chévo (30), Otovo (60).
District de Névrokop. —
Sept villages bulgares brûlés
par les Grecs Dolno-Brodi (300), Libiachovo (400), Kara-
:

Keuy (40), Godlévo, Tarlis (10), Obidin, Tcham-Tcheflik,


et 10 maisons de la ville de Névrocop, ainsi que le village
turc de Koprivnik (100).
District de Salonique. —
Villages bulgares brûlés par
les Grecs: Négova, Ravna, Bogorod.

District de Ziliakovo. — Villages bulgares brûlés par


les Grecs: Skrijévo, Libiachovo, Kalapot (en partie),
Alistrati (en partie) et Guredjik.
District de Koukouch (Kukush). — 40 villages bulgares
brûlés par les Grecs: ville de Koukouch 1846 maisons,
612 boutiques, 5 moulins; Idjilar (70), Alivdjalar (50),
Goliabaché (40), Salamanli (15), Ambarkeuy (35), Karaja-
— 207 —
Kadar (25), Atchaklich (15), Seslovo (30), Stresovo (20),
Chikirkia (15), Irikli (20), Gramadna (100), Alexovo (100),
Morartsi (350), Roschlévo (40), Motolévo (250), Planitsa
(en partie), Nimantsi (40), Mostolar (38), Jensko (45),
Koujoumarli (30), Bigliria (18), Kazanovo (20), Dramo-
mirtsi (115) en partie, Galavantsi (45), Kretsovo (45),
Michaïlovo (15), Kalinovo (35), Tsigountsi (35), Harsovo
(50), Novo-Sélo (20) en partie, Malovtsi (20), Vrighitourtsi
(15), Garbachel (30), Haïdarli (10), Daoutli (18), Tchem-
nitsa (40), Rayahovo (150) en partie, Gola (15). En tout
4725 constructions.
District de Doïran. —
11 villages bulgares brûlés par
les Grecs: Akanjéli (150), Dourbali, Nicolitch, Pataros,
Sourlévo, Popovo, Hassanli, Brest, Vladaia, Dimontsi,
Ratartsi.
District de Démir-Hissar. —
Cinq villages bulgares
brûlés par les Grecs: Kruchévo (800), Kirchévo (180),
Tchernovitsa (170), Gherman (80) et Djouta-Mahala.
District de Serrés. —
6 villages bulgares brûlés par
les Grecs: Doutli (100), Orchovats (130), Drénovo, Moklen,
Trouchtaïn, Banitsa (120).
District de Ghevghéli. — 15 villages bulgares et trois
villages valaques brûlés, surtout par les Grecs, deux d'entre
eux, par les Serbes Séhovo, Schlopentsi, Matchkoukovo,
:

Smol, Baïaltsi, Marventsi, Orchovitsa, Smokvitsa, Ba-


lentsi, Braïkovtsi, Kortourino, Mouiné, Stoyakovo, Fourka
et Ohani, Houma et Longountsa (valaque).
District de Tikvech. —
Cinq villages bulgares brûlés
par les Serbes: Mégotin (800), Kamendol, Gorno-Dissol,
Haskovo, Kavadartsi (15), en partie, etc.
District de Kotchani. — Trois villages bulgares brûlés
par les Serbes : Slétovo, Bézikovo, Priséka, etc. »

8° — Afin de diminuer le nombre des Bulgares en


Macédoine, la thèse grecque sur la nationalité considère
les Bulgares mahométans (Pomaks) comme Turcs. Or,
154,000 Pomaks habitent cette province Tombant ensuite !
— 208 —
dans une inconséquence inexplicable, ces mêmes Grecs
considèrent également comme Grecs les Grecs mahométans,
ceux de l'île de Crète, par exemple!
9° — Pour leurs prétentions sur la Macédoine, les
Grecs ont recours très souvent à l'argument des statistiques
scolaires. Et pour enfler le nombre des élèves fréquentant
les écoles grecques, ils comptent toutes les écoles grecques
des vilayets de Monastir et de Salonique, quoiqu'elles
soient en dehors des limites de la Macédoine proprement
dite, telles les écoles de Korytsa, en Albanie, d'Elassona,
en Thessalie, etc. En outre, ce qui est répréhensible:
ils considèrent comme Grecs tous les élèves d'origine allo-

gène (bulgare, albanaise, koutso-valaque), qui fréquentent


les établissements grecs. Telle est « la statistique officielle
grecque » de 1904 que Delyannis, de Grèce à
ministre
Paris, fit paraître dans « Le Temps
(n° 15897). D'après
»

cette statistique, il y arait eu dans les vilayets de Salonique


et de Monastir, 998 écoles grecques, avec 1463 instituteurs
et 59,640 élèves. Dans l'ouvrage polémique de V. Colo-
cotronis «La Macédoine et l'hellénisme», Paris 1919,
p. 614, on lit: «D'après la statistique officielle grecque,
nous avons dans les deux vilayets de Salonique et de
Monastir 1011 écoles, 1463 instituteurs et 59,640 élèves».
Dans le vilayet de Kossovo, les Grecs n'ont presque point
d'écoles. Suivant les renseignements puisés à des sources
grecques, le nombre rond des élèves dans les écoles grecques
du vilayet de Kossovo se montait à 3000 1).
L'argument grec basé sur les statistiques scolaires,
avec leurs défauts signalés, perdra de sa valeur si l'on prend
en considération le nombre des écoles bulgares en Macé-
doine. Or, à la veille de la guerre balkanique de 1912,
sans compter les écoles des Bulgares catholiques et pro-
testants, la Macédoine possédait 1141 écoles avec 1884

) Johannes Friedrich Dùrr, Das griechische Unterrichtswesen. Unter


2

Mitwirkung der kôniglichen griechischen Regierung herausgegeben. Leip-


zig 1910, p. 129.
— 209 —
instituteurs et institutrices et 65,474 élèves, appartenant
à l'Eglise nationale bulgare.

Il devient donc évident que la conception grecque

du principe de nationalité ne repose sur aucune base réelle


et scientifique, qu'elle est arbitraire et que, comme telle,

elle se contredit elle-même toutes les fois qu'il s'agit de


l'appliquer ou là. Il est non moins évident que les rai-
ici

sons qui déterminent cette conception ont pour but l'an-


nexion à la Grèce de terres habitées par une population
non-grecque: bulgare, albanaise et koutso-valaque.

La thèse serbe.

La façon de voir des milieux officiels et savants serbes


sur la question macédonienne au cours du siècle dernier
a passé par deux phases, dont la première englobe la pé-
riode qui aboutit au Congrès de Berlin (1878) et la seconde
date à partir de ce Congrès.
Pendant la première période, l'Etat serbe, les hommes
politiques savants serbes ainsi que la presse serbe
et
étaient unanimes à reconnaître que le territoire de la région
macédonienne s'étendait du mont Char à la mer Egée
et que la population slave de cette région, tant par ses
origines et son passé que par sa langue et son sentiment
national, faisait partie de la nation bulgare. Le célèbre
ethnographe serbe Vouk Karadjitch publia le premier, en
1815 et en 1822, des chansons populaires recueillies en
Macédoine, qu'il intitula « Chansons bulgares ». D'après
Vouk, Razlog et Kratovo, villes de la Macédoine du nord,
étaient bulgares. D'autre part, les cartes ethnographiques
serbes (celle de Davidovitch dressée en 1848, celle du pro-
fesseur Desjardins, dressée en 1853, et celle de Fr. Zach,
directeur de l'Ecole militaire de Belgrade, dressée en
1858) excluent toutes de la région ethnique serbe la
Macédoine comprise entre Scopié et la mer Egée, en la
14
— 210 —
désignant comme région bulgare. En 1850, le Bosniaque
St. Verkovitch, membre de Savante serbe, de-
la Société
venue plus tard Académie des Sciences, fut chargé par
le gouvernement serbe d'une mission scientifique en Ma-

cédoine. Après y avoir fait des recherches qui durèrent


près de dix ans, il fit paraître à Belgrade un recueil in-
titulé « Chansons populaires des Bulgares macédoniens ».
Ce recueil fut imprimé, à l'Imprimerie Nationale serbe,
aux frais du gouvernement et dédié à la princesse Julie
Obrénovitch. Un an plus tard, en 1861, à Zagreb, ville
principale de la Croatie, les frères Miladinoff, originaires
de Strouga (Macédoine), firent paraître leur ouvrage
capital intitulé Chansons populaires bulgares » et con-
«

tenant des chansons recueillies surtout en Macédoine. Ce


recueil fut imprimé sous les auspices et aux frais de l'arche-
vêque croate Joseph Strossmayer, fondateur de l'Aca-
démie des Sciences yougoslave. F. Racki, éminent savant
croate et président de l'Académie yougoslave, parlant
en 1862 de la future Yougoslavie, désignait le territoire
s'étendant du Danube à la mer Egée comme peuplé de
Bulgares. Le Slovène Fr. Miklosich, fondateur de la phi-
lologie slave,a reconnu dans tous ses ouvrages que la
Macédoine est une terre bulgare et que les dialectes macé-
doniens appartiennent à la langue bulgare. Un autre
Slovène, V. Oblak, qui s'est particulièrement distingué par
ses recherches savantes sur les macédoniens,
dialectes
établit le caractère incontestablement bulgare de ces der-
niers.

Toute la presse serbe, officielle et non officielle, de


l'époque qui va jusqu'au Congrès de Berlin, était unanime
à affirmer le caractère bulgare de la Macédoine. Le Srbski
Dnevnik paraissant sous la rédaction du secrétaire du prince
Miloch de Serbie, ne manquait pas d'insérer fréquemment
des articles sur les Bulgares de Macédoine et sur leur senti-
ment national bulgare qui se manifestait dans les villes
de Chtip, Vélès, Monastir, Okhrida, Koukouch, Doïran,
— 211 —
Drama, etc. (Cf. les numéros des 4 juin 1858, 13 mars 1860,
14 avril 1860, 20 avril 1860, 26 juin 1860, 3 juillet 1860,
etc.). Dans le même sens écrivaient aussi les autres jour-
naux serbes: Srpské Narodné Noviné (de 1841 à 1844),
le journal officiel serbe Srpské Noviné (1850 et suiv.)
Vidov-Dan (1862 et suiv.), Yedinstvo (1871 et suiv.) etc. etc.
C'est ainsi que, pendant le troisième quart du XIX e s.,
lorsque l'idée d'une fédération yougo-slave avec les Bul-
gares commença à se dessiner de plus en plus nettement,
legouvernement serbe, avec le ministre des Affaires étran-
gères Garachanine en tête, accepta de la manière la plus
empressée le projet du 5 avril 1867 relatif à la constitution
d'une confédération serbo-bulgare et dont l'article 2 por-
tait :« Le Royaume yougoslave se composera de la Serbie

et de la Bulgarie; dans la Bulgarie seront comprises la


Thrace et Macédoine ». A cette époque, la Serbie offi-
la
cielle aussi que l'élite intellectuelle serbe étaient
bien
pénétrées de l'idée yougoslave et ne songeaient point à
émettre des prétentions sur cette région bulgare. Svétozar
Markovitch, éminent publiciste et précurseur du socia-
lisme en Serbie, parlant de l'entente serbo-bulgare, écrivait
en 1871 « Notre but commun est la libération des peuples
:

serbe et bulgare, et jamais nous n'entamerons une dis-


cussion pour savoir si la frontière entre Serbes et Bulgares
sera la Morava bulgare ou la Morava serbe. Ce sera finale-
ment au peuple affranchi d'en décider seul, s'il arrive qu'il
ait besoin d'une frontière ».
Plus tard, en 1870, lorsque le peuple bulgare de Mésie,
de Thrace et de Macédoine, après 40 ans de lutte contre
le clergé grec, finit par obtenir son Eglise nationale auto-

nome, les Serbes accueillirent avec une joie non déguisée


ce succès des Bulgares. L'année suivante, en 1871, une
assemblée nationale bulgare fut convoquée à Constanti-
nople en vue d'élaborer les statuts de l'Eglise bulgare. A
cette assemblée prirent part les représentants des éparchies
bulgares de Macédoine qui suivent: Okhrida, Vélès, Skopié
— 212 —
(Uskub), Monastir, Vodéna, Kostour (Castoria), Kusten-
dil-Chtip, Nevrokop, etc. A cette occasion, le journal
serbe Yedvinstvo, dans son numéro du 19 mai, saluait la
délivrance religieuse des Bulgares de Macédoine dans ces
termes de sympathie marquée « Il serait intéressant de
:

connaître les noms de ces représentants qui, après 450 ans


(allusion à la chute du royaume bulgare au XIV e s.), se
réunirent le 15 mars 1871 dans la capitale de l'ancienne
gloire et de l'ancienne splendeur byzantines pour délibérer
fraternellement sur le moyen d'organiser leur Eglise qui,
il y a dix ans, était asservie aux Phanariotes corrompus
et qui, même à l'heure actuelle, souffre de leur fait dans
la malheureuse Macédoine ...»
Le traité de Berlin (1878), cet acte funeste de la diplo-
matie européenne qui attira tant de malheurs sur les
peuples balkaniques et même sur les nations plus éloignées,
jeta la semence de la rivalité entre Bulgares et Serbes et
engendra des guerres sanglantes. Ce traité, en enlevant
aux Serbes provinces essentiellement serbes de Bosnie
les
et d'Herzégovine pour les attribuer au puissant empire
d'Autriche-Hongrie, brisa l'essor du développement de
l'Etat serbe et soumit ce dernier à l'oppression économique
de son grand voisin. Afin de détourner du littoral adria-
tique les regards de la Serbie, l'Autriche-Hongrie lui montra
le chemin de Salonique où devait s'affectuer, dans un avenir
prochain, partage de la succession de l'Homme malade
le

et où les Serbes n'avaient pas à craindre une résistance


bien sérieuse. La dynastie serbe des Obrenovitch, qui était,
à cette époque, entièrement au service de l'Autriche-
Hongrie, ne tarda pas à diriger la politique serbe vers la
Macédoine.
En Miatovitch se rendit à Vienne et négocia
1882,
une alliance avec l'Autriche-Hongrie, alliance qui fut con-
clue sur les bases suivantes: Les Serbes renonçaient à
toute agitation en Bosnie et en Herzégovine; de son côté
l'Autriche-Hongrie s'engageait à soutenir les prétentions
— 213

serbes sur la Macédoine. C'est ainsi que l'impérialisme


austro-hongrois en Bosnie et en Herzégovine engendra
l'impérialisme serbe en Macédoine.
Pour justifier ses plans de conquête dans le sud devant
son peuple et aux yeux de l'étranger, le gouvernement
serbe s'employa, par l'intermédiaire de la presse et au
moyen de publications quasi scientifiques, à se convaincre
lui-même et à convaincre les autres que la population slave
de Macédoine était tout autant serbe que bulgare, qu'elle
était dépourvue de conscience nationale, de sorte qu'elle
pouvait très bien être partagée entre la Bulgarie et la
Serbie. Dominé par cette idée, il créa auprès du ministère
des Affaires étrangères, à Belgrade, une section spéciale
chargée de la direction de la propagande serbe par l'école,
l'église et les comitadjis. Simultanément il fit quelques
tentatives de s'entendre avec le gouvernement bulgare au
sujet d'un partage éventuel du pays.
Le Bulgare macédonien continuait de gémir sous les
Turcs, de s'insurger contre leur domination et de mourir
dans les les gibets, lorsqu'en 1912, au moment
cachots et sur
même où dans un élan où il y allait de son exis-
la Bulgarie,
tence même, s'employait à briser en Thrace la force redou-
table de l'Empire ottoman, l'armée serbe s'installait en Ma-
cédoine et proclamait le teritoire occupé partie intégrante
de son patrimoine, au mépris du traité serbo-bulgare du
29 février 1912. Pour consolider la mainmise sur la Macé-
doine, la Serbie conclut, à la date du 19 mai (1 er juin) 1913,
une convention secrète avec la Grèce, convention dirigée
contre leur alliée, la Bulgarie, dont les armées continuaient
à briser les assauts répétés des hordres turques sur la ligne
de Tchadaldja. La trahison de la Serbie et de la Grèce amena,
un mois plus tard, la seconde guerre balkanique, celle des
alliés de la veille, puis la paix de Bucarest qui livrait la

Macédoine à la nouvelle coalition. En 1915, la plus grande


partie de la Macédoine devint la possession de la Bulgarie.
Trois ans plus tard, aux termes de l'armistice conclu le
214 —
29 septembre 1918 entre la Bulgarie et le commandement
de l'armée d'Orient, la Bulgarie devait rentrer dans ses fron-
tières d'ante hélium et évacuer la Macédoine. Le traité de
paix de Neuilly, du 27 novembre 1919, ne fit que sanctionner
les décisions de l'armistice; de plus, il attribua à la Serbie
un nouveau territoire en Macédoine, notamment l'arron-
dissement de Stroumitsa.
Nous avons déjà noté qu'après le Congrès de Berlin,
la Serbie,sous le règne du roi Milan, se prit à songer sérieuse-
ment à s'approprier sinon toute la Macédoine, du moins une
partie de cette province. Elle abandonna tous ses anciens
projets et tentatives d'accord avec les Bulgares, ainsi que
l'idée d'une confédération yougoslave avec la Bulgarie, qui
était déjà reconnue comme héritière de la Macédoine bulgare.
L'union de la Roumélie-Orientale à la Bulgarie, en 1885,
fut très mal accueillie par la Serbie qui, sous prétexte de
rétablir l'équilibre dans les Balkans, déclara la guerre à la
Bulgarie. Cette guerre créa de nouveaux germes de haine
entre les deux peuples frères. La Serbie ne se gêna plus de
contester le caractère bulgare de la Macédoine et de prétendre
au caractère serbe ou, du moins, slavo-macédonien de la
population macédonienne. Dans ce but fut fondée à Belgrade
la société « Saint Sava », destinée à la défense et à la propa-
gation de l'idée serbe. Cette société élabora ses statuts en
1886 et l'année après, en 1887, elle commença la publication
de son organe Bratstvo où trouvaient place des articles ultra-
patriotiques sur la terre et le peuple serbes. Le point de mire
de ces articles était la Macédoine bulgare. Deux ans plus
tard, en 1889, parut à Vienne l'ouvrage connu du chauvin
serbe Sp. Goptchevitch Makedonien und Alt-Serbien, qui
:

fut traduit en serbe et imprimé à Belgrade en 1890. Toutes


les sociétés savantes et toutes les académies des pays slaves
ainsi que tous les spécialistes en ethnographie slave condam-
nèrent ce pamphlet téméraire: pour cet aventurier de la
plume, les Bulgares macédoniens n'existaient plus; ils
étaient convertis en « bons Serbes » !
— 215 —
Simultanément, le gouvernement serbe intensifia l'ac-
tivité de ses agents consulaires en Macédoine et institua
des consulats serbes même dans des localités où il n'y avait
pas une seule âme serbe ni le moindre intérêt économique
serbe. Il se mit d'accord avec le Patriarcat grec pour la
nomination d'évêques serbes à la place des évêques grecs,
et cela au détriment des intérêts ecclésiastiques bulgares.
A cette propagande du gouvernement serbe s'allia le
concours de maints savants et publicistes serbes, tels que
S. Novakovitch, P. Sretkovitch, Y. Tsviitch, A. Bélitch, Pro-
kitch, Andonovitch et autres.
* *
*
D'après les savants, les publicistes et les hommes d'Etat
serbes, la thèse serbe peut être résumée par les formules
suivantes

:

2° « Le nom de Bulgares, que se donnent généralement


les Slaves macédoniens, n'est pas un nom ethnographique et
ne signifie pas Bulgare de nationalité,)) affirme Y. Tsviitch 1).
Un autre serbe, le ministre C. Stoïanovitch, s'aventure plus
loin dans ce passage où, d'une plume maligne et ignorante,
il «Avec le nom de Bulgare on ne désignait pas la
écrit:
nationalité bulgare, mais la simplicité, vu que cette appel-
lation vient du latin vulgaris homme simple, paysan, =
cultivateur, alors que pour la détermination nationale on
emploie le mot mongole «bolgare », inconnu en Macédoine! » 2)
L'assertion du professeur Tsviitch est trop hasardée et
ne poursuit que des buts politiques. Elle est en flagrante
contradiction avec l'histoire et l'ethnographie. C'est un fait
de notoriété universelle, que la population macédonienne
slave manifeste sa nationalité par le nom de Bulgare pour
se distinguer de ses voisins, Serbes, Albanais, Grecs, Turcs.
C'est ainsi qu'elle est nommée, depuis douze siècles, par ses
x
) J. Cvijic, Remarques sur l'ethnographie de la Macédoine, 2 e éd.
Paris 1907, p. 7.

) Nuova Antologia, n° de 1915; la revue serbe «DéloD du


2
juillet
15 août 1915, p. 201.
— 216 —
voisins mêmes. L'ancienneté de cette appellation nationale
est attestée par les nombreux et divers témoignages de sources
grecques, serbes, turques, européennes se rapportant au
moyen âge ou à l'époque turque. Au IXe s. déjà, la Macédoine
faisait partie du royaume bulgare; c'est alors que le prince
Boris proclama le christianisme religion officielle de ses Etats,
que les Slaves macédoniens reçurent la dénomination politico-
nationale de Bulgares et que la liturgie était célébrée, en
langue bulgare, comme à Brégalnitsa p. ex. (BouÀ^dpcov fXœrzr} 1).
Théophylacte, qui occupa le siège de l'archevêché d'Okhrida
(en Macédoine) vers la fin du XI e s., reconnaît, dans ses
œuvres et dans sa correspondance, que ses éparchies macé-
doniennes étaient habitées par «le peuple slave, appelé
aussi bulgare* (ro zwv lOXofievœv yévoi eïz obv BouXyâpœv). Grec
d'Eubée, il hait ses ouailles et dans son mépris il les appelle
«Bulgares», «barbares», «vêtus de fourrures de moutons».
Il mentionne particulièrement les Bulgares d'Okhrida, de
Strouga, de Kitchévo, de Stroumitsa, ceux des régions de
Mogléna, de Vardar, etc. Parlant des migrations des peuples,
il ne fait pas de différence entre les Bulgares mésiens et ceux

de la Macédoine, et affirme que les Bulgares se sont installés


dans le pays comme de vrais citoyens depuis le Danube jus-
2
qu'à Salonique ).

Nous mentionnerons encore quelques faits d'ordre his-


torique.Dans la seconde moitié du X e s., lorsque la Bulgarie
proprement dite est asservie sous l'autorité byzantine, un
nouvel Etat bulgare se consolide en Macédoine et le Patriar-
cat bulgare est transféré à Okhrida, sa capitale. L'empereur
byzantin Basile II, qui plus tard fit la conquête du royaume
bulgare de Macédoine, reçut le surnom de « Bulgaroctone »
(tueur de Bulgares). De même, le chef des troupes norvé-
giennes, Haraldus, qui porta secours aux Byzantins pour

Theophilacti, Historia martyrii XV martyrum. Patr. gr. t. CXXVI,


col. 208.
*) Theophilacti epistola I, II. Ed. Lamio; epistola XXI, XXVII,
XXXIV, XLI, LXV. Ed. Meursio; epistola XVI, Ed. Finetti.
— 217 —
étouffer le soulèvement des Bulgares de Macédoine, en 1040,
est glorifié dans les poèmes Scandinaves comme «Bolgara
brennir » (destructeur, incendiaire des Bulgares). Toutes
les insurrections de la population macédonienne contre By-
zance et, plus tard, contre la Turquie, sont des insurrections
bulgares, en vertu des documents byzantins, turcs ou occi-
dentaux. Telles sont l'insurrection de Skopié, Okhrida et
Castoria en 1040, celle d' Okhrida en 1081, celle de Roupel
en 1255. Les soulèvements de Maléchévo en 1876, de Kresna
en 1878, d'Okhrida en 1881, du mont Pirin en 1895, de Mo-
nastir en 1903, etc.

Sans parler de l'ancienne littérature religieuse bulgare,


dont les représentants en vue ont travaillé aux IX e e et
, X
XI siècles en Macédoine, nous devons
e faire ressortir que les
écrivains et les promoteurs de la renaissance bulgare sont
sortis de la Macédoine qu'ils considèrent comme patrie bul-
gare et se servent de l'idiome du pays qu'ils appellent « langue
bulgare». L'historien Païssi, originaire de la Macédoine du
nord, publia, en 1762, son « Histoire slavo-bulgare ». Son
contemporain, Chr. Jéfarovitch, de Doïran, est glorifié par
lesSerbes comme «zélateur de sa patrie bulgare ». Dès 1814,
Hadji-Yakim, de Kitchévo, fit imprimer les premiers livres
en idiome bulgare moderne. Cyrille Peytchinovitch, de
Tétovo, fit paraître, à partir de 1816, ses livres «en langue
simple bulgare telle qu'elle est parlée à Scopié et Tétovo ».
C'est encore un Macédonien, Théodossi Sinaïtsky, de Doïran,
qui, le premier, installa une imprimerie bulgare. Le premier
pédagogue et philologue bulgare est le Macédonien Néophyte
Rylsky. Les Bulgares qui, les premiers, ont montré un vif
intérêt pour la poésie populaire et le folklore national bul-
gare, sont les frères Miladinoff de Strouga. R. Jinzifoff,
le premier poète bulgare, qui ait célébré les souffrances de
sa patrie bulgare, était macédonien, entre bon nombre
d'autres. Enfin, la lutte organisée contre le clergé grec, con-
flit qui a commencé en Macédoine en 1830 et a duré 40 ans,
est une manifestation nationale exclusivement bulgare.
— 218 —
Touchant le côté philologique du nom de Bulgare que
les Slaves macédoniens se donnent depuis des siècles, il faut
faire ressortir que, suivant les dialectes macédo-bulgares,
ce nom prononce comme suit: «Bougarin », dans la Ma-
se
cédoine du nord; « Bâgarin », dans la Macédoine du nord-est;
« Bolgarin », « Bogarin » et « Boulgarin », dans la Macédoine

du sud et du sud-ouest. A ces nuances correspondent les


prononciations similaires dans les contrées bulgares de la
Thrace et de la Bulgarie danubienne, soit « Bougarin », :

dans la Bulgarie occidentale; « Boulgarin », dans le Rhodope;


«Blâgarin», à Koprivchtitsa; «Bâlgarin», dans la Bulgarie
du nord-est, etc.
Quant au nom de « Slave », ce n'est qu'un mot savant,
absolument inconnu des populations macédoniennes.

2° —
« La masse des Slaves macédoniens n'a pas de senti-

ment national ni de conscience nationale bien déterminée. Elle


ne se sent ni serbe, ni bulgare, quoiqu'elle soit apparentée de
très près à ces deux nations » affirme Y. Tsviitch 1
).

Cette affirmation serbe est non moins téméraire que la


première. Rappelons donc les principales circonstances du
passé des Slaves macédoniens où s'est manifestée une cons-
cience nationale, notamment dans les événements politiques,
dans les luttes religieuses, dans les écoles et la littérature.
Or, jusqu'à nos jours, nulle part la population macédonienne
n'a manifesté un sentiment national serbe; au contraire,
toute l'histoire de ce malheureux peuple est la manifestation
la plus convaincante de l'existence d'une conscience natio-
nale bulgare agissante et bien déterminée.
Grâce à la puissance de l'Etat bulgare et à l'effervescence
religieuse et littéraire, le sentiment national bulgare s'était
affermi à tel point en Macédoine, sous le premier royaume
bulgare, que, lorsqu'au XI e s. Byzance mit la main sur elle,
le vainqueur fut obligé de maintenir l'autonomie intérieure

du pays et de sauvegarder ses droits ecclésiastiques bulgares.

a
) Remarques, etc., p. 7.
— 219 —
Ne pouvant cependant tolérer un joug étranger, les Macé-
doniens se sont révoltés à plusieurs reprises, comme étant
Bulgares. «En 1040, raconte un contemporain
Jean grec,
Skylitsès, après une servitude et soumission de 21 ans, les
Bulgares se révoltèrent. Pierre Délian (petit-fils du roi bul-
gare Samuel) incita à la révolte le peuple bulgare qui était
tombé récemment dans la servitude mais gardait bonne sou-
venance de son antique liberté. Les insurgés se soulevèrent
en masse à Nich et à Scopié, ancienne métropole bulgare,
proclamèrent Délian roi des Bulgares aux ovations enthou-
siastes de la foule et massacrèrent sans pitié tout Grec qu'ils

y trouvèrent» 1 ). Dans l'espace d'une année, toute la Macé-


doine, Salonique exceptée, assiégée par 40,000 insurgés
macédo-bulgares, fut libérée du joug byzantin. Relatant
le nouveau soulèvement de 1073 en Macédoine, le même
chroniqueur byzantin l'attribue aux seigneurs bulgares de
Scopié, qui battirent les Grecs sur le Char et proclamèrent
Constantin Bodin tsar des Bulgares. Les villes d'Okhrida,
Castoria firent cause commune avec Scopié 2
).

Sans nous arrêter aux soulèvements bulgares de Macé-


doine en 1081, 1097, 1168, 1195, 1254, 1255, nous passerons
à l'époque contemporaine et mentionnerons les insurrections
toujours bulgares -contre le régime intolérable des Turcs en

Macédoine celles de Maléchévo en 1876, de Kresna en 1878,


:

d'Okhrida en 1881, de Melnik en 1895, l'affaire de Vinitsa


en 1897, les insurrections de Serrés en 1902, de Monastir et
de toute la Macédoine occidentale en 1903, que nous avons
relatée, p. 112 à 119. Lors de la première guerre balkanique
contre la Turquie, en 1912, 15 bataillons de volontaires ma-
cédoniens se rangèrent sous les drapeaux bulgares. En 1913,
pendant la seconde guerre balkanique, ces mêmes bataillons
se sont battus contre Serbes et Grecs. Pendant la grande
guerre, la Macédoine a donné à la patrie 60,000 de ses fils

*) Skylitsès, dans Cedrenus, Hist. compendium, II, p. 527. Ed. Bonnœ.


2
) Idem, Ibidem, II, p. 527, 715 à 717.
— 220 —
issus de toutes les classes du peuple, pour la revendication
des droits usurpés de la race bulgare.
L'intolérable régime turc a chassé de leurs foyers 300,000
Macédoniens qui se sont réfugiés en Bulgarie où ils ont pour-
suivi leur tâche politico-culturelle en Bulgares dévoués, s'il
en fût, à la cause nationale. Cette émigration macédonienne
a donné au parlement bulgare une centaine de députés,
huit ministres, neuf ministres plénipotentiaires et consuls,
plusieurs fonctionnaires et évêques, etc. Pendant la grande
guerre, la Bulgarie comptait parmi ses officiers environ mille
Bulgares macédoniens.
Passant à la vie religieuse des Slaves macédoniens, c'est
toujours le même sentiment national bulgare qui se manifeste

dans leurs actes. La Macédoine a donné au peuple bulgare ses


premiers saints: les frères Cyrille et Méthode de Salonique,
Clément d'Okhrida, Naoum d'Okhrida, Prohor Ptchinsky,
Gavril Lesnovsky, Yakim Ossogovsky. Le Patriarcat bul-
gare avait son siège en Macédoine, à Okhrida. Il devint
plus tard archevêché, en 1018; il le resta jusqu'en 1767.
De la sorte, la ville d'Okhrida devint le sanctuaire le plus
vénéré de la patrie bulgare. Mais ce qui est plus signi-
ficatif encore pour la conscience nationale des Slaves macé-
noniens, c'est la combat livré par cette population contre
le clergé grec, la langue liturgique grecque et les écoles

grecques. Cette lutte, commencé en Macédoine, en 1830,


comme l'a remarqué l'Américain E. A. Clark, « met en relief
toute la forcedu caractère bulgare. Menée sans violence et
avec une fermeté inébranlable, cette lutte fut une manifes-
tation de l'indomptable résolution du peuple bulgare de se
libérer une fois pour toutes de la tutelle du clergé grec ».

C'est en Macédoine, dans les diocèses de Scopié et d'Okhrida,


que, en présence d'une autorité étrangère, la Turquie, eut
lieu en 1872 le premier plébiscite national dans les Balkans.
Le 95 %
des voix se prononcèrent en faveur de la nationalité
bulgare et de l'Eglise bulgare. Ce ne fut donc pas l'Exarchat
bulgare, institué en 1870, qui donna un caractère bulgare
— 221 —
à la Macédoine; c'est plutôt à la Macédoine qu'échoit le
mérite d'avoir levé, la première, en 1830, l'étendard du mou-
vement religieux panbulgare. Jusqu'en 1912, comme nous
l'avons relaté plus haut, la Macédoine comptait sept métro-
polites bulgares et sept vicaires. Pendant la même époque
ily eut en Macédoine 1132 prêtres avec 1139 églises, 154
chapelles et 62 couvents abritant quelques centaines de
moines bulgares (les couvents bulgares du Mont Athos y
compris).

Enfin, le sentiment national bulgare des Slaves macé-


doniens s'est manifesté non seulement parmi la classe des
paysans, dans laquelle se recrutaient les insurgés les plus
tenaces et les plus dévoués, mais aussi parmi les habitants
des villes. Le professeur serbe Y. Tsviitch l'avoue lui-même.
Il constate en Macédoine « une classe instruite imbue d'idées
et d'aspirations bulgares, et dans la population slave de pres-
que toutes les villes, c'est le parti bulgare qui est la majorité,
généralement une majorité notable» 1). En 1912, à la veille
de la guerre balkanique, les Bulgares avaient en Macédoine
des gymnases de garçons et de jeunes filles, des écoles nor-
males, des séminaires, des écoles d'agriculture, des écoles
primaires, soit un total de 1141 établissements, avec 1884
En ne comptant
professeurs et instituteurs, et 65,474 élèves.
ni les Bulgares soumis au Patriarcat et qui ne pouvaient
fréquenter les écoles bulgares en Macédoine, ni les Bulgares
mahométans, qui fréquentaient les écoles turques, les Bul-
gares exarchistes l'emportaient au point de vue de l'instruc-
tion sur les Serbes en Serbie et sur les Grecs en Grèce, qui
se sont annexé les Macédoniens « dépourvus », disent-ils, « de
sentiment national déterminé ». En outre, l'émigration ma-
cédonienne a donné à la Bulgarie maints savants, 12 profes-
seurs d'université, des académiciens, des publicistes éminents,
des auteurs-pédagogues. En d'autres termes, en dépit des
misères et des souffrances d'un long esclavage et animé d'un

*) Remarques, etc., p. 12.


3

— 222 —
profond sentiment national, le Bulgare macédonien a fait
davantage pour le progrès bulgare, en général, que tout autre
peuple, ayant à vivre dans les mêmes conditions.

3° — En ce qui concerne la langue des Slaves macédo-


niens, la thèse serbe se sentant chancelante, émet des for-
mules indécises ou contradictoires. Ainsi, Al. Bélitch, pro-
fesseur de philologie slave à Belgrade, affirme ce qui suit:
« C'est bien connu que la Macédoine méridionale a été le berceau

de V ancienne langue liturgique slave, en laquelle ont été traduits

les premiers livres de V Ecriture sainte, au temps des apôtres


slaves, les frères Cyrille et Méthode. Cette langue ne faisait
qu'une seule langue avec celle de la Bulgarie orientale ». Quant
à la langue moderne macédonienne, Bélitch la divise en deux
dialectes, celui de la Macédoine du nord-ouest, qu'il appelle
dialecte macédo-serbe, et le dialecte du sud-est, qu'il appelle
dialecte macédo-bulgare, suivant les traits linguistiques pré-
pondérants, serbes ou bulgares 1).
Le professeur Tsviitch s'exprime ainsi: «On ne peut
pas, d'après la langue, résoudre dansun sens exclusif la ques-
tion de V ethnographie, encore moins la question politique macé-
donienne» 2 ). «Cependant tous les travailleurs sérieux s'ac-
cordent à reconnaître que les données actuelles ne permettent
pas encore de se faire une idée exacte des dialectes macédoniens» 3 ).
Nous reviendrons plus loin sur la langue des Slaves
macédoniens. Nous nous contenterons ici de rappeler que
les as sertions ci-dessus vont à l'encontre de la vérité, car tous
les « travailleurs sérieux » et les spécialistes étrangers les plus
éminents sont d'accord sur ce points: 1° l'ancienne langue
slavo-macédonienne était un dialecte bulgare 2° les dialectes ;

slavo-macédoniens d'aujourd'hui font partie des dialectes


bulgares modernes (V. Oblak, V. Jagié, A. Leskien, W.Von-
drak, A. I. Sobolewsky, Th. Florinsky, A. Kalina, A. Sélich-
tcheff, L. Niederle, etc.).

*) Serbes et Bulgares clans la guerre balkanique. Belgrade 1913,


p. 39 à 40 (en serbe).
2— Questions balkaniques. Paris-Neuchâtel 1918, p. 49, 51.
)
— 223 —
La population macédonienne elle-même appelle son
dialecte, langue bulgare; c'est ainsi que l'appellent les écri-
vains macédoniens de l'époque du réveil national et de nos
jours (Païsï en 1762, Hadji Yakim en 1814, Cyrille Peytchino-
vitch en 1816, Néophite en 1835, Théodossi en 1840, etc.).

Ce dialecte participe des particularités les plus caractéris-


tiques qui séparent le bulgare moderne des autres langues
slaves et surtout du serbe. La langue serbe est synthétique,
avec déclinaison complète, comportant sept cas au singulier
ainsi qu'au pluriel; elle a des infinitifs, avec des constructions
spéciales pour le comparatif et pour le futur; elle présente
des longueurs dans le système des voyelles, avec un vocabu-
laire spécial, etc., autant de caractères distinctifs qui le dif-

du bulgare. Le bulgare et les dialectes


férencient nettement
macédoniens forment un tout et se distinguent du serbe et
de toutes les autres langues slaves par leur structure ana-
lytique moderne. Ils sont dépourvus de déclinaisons et de
cas, et sont seuls parmi toutes les langues slaves qui emploient
l'article défini. C'est avec raison qu'un savant croate a dit
que le domaine de la langue bulgare s'étend jusqu'où va
l'emploi de l'article défini.

4° — «Les coutumes qui


se rattachent à la slava, la fête
du patron de la famille, sont spécifiquement serbes : on ne les
retrouve pas chez les Bulgares, mais elles se rencontrent dans
presque toute la Macédoine », assure Tsviitch 1 ). Le professeur
Bélitch, se basant sur les allégations du publiciste serbe Ves-
sélinovitch et sur l'affirmation du consul russe Yastréboff,
soutient l'opinion énoncée par Tsviitch 2
).

Sur ce point, la thèse serbe est dépourvue de sens scien-


tifique. Ond'une part, que les us et coutumes, les rites,
sait,
les façons des costumes, les chansons et les motifs de la poésie
populaire, etc., se transmettent facilement d'un peuple à
l'autre et font le tour du monde entier. On sait d'autre part

*) Questions balkaniques, p. 53.


a
) Serbes et Bulgares, p. 72 à 73.
— 224 —
que de slava, la fête du patron, d'une famille, d'un
la fête
clan ou d'un village est célébrée non seulement chez les Serbes,
mais aussi chez les Russes, les Bulgares, les Albanais, les
Koutso-Valaques. Tsviitch et Bélitch ignorent les recherches
par des savants russes, tchèques, serbo-
faites sur ce sujet
croates, bulgares, tels que P. Koulakovsky, M. Drinoff, Ciro
Truhelka, St. Banovié, A. Mitrovitch et autres. Dans ses
travaux à ce Truhelka est arrivé à la conclusion que
sujet,
voici: «La fête de slava n'a rien de praslave ou de serbe;
elle est d'origine pataraine (bogomiliènne) »
1
). Et Mitrovitch
dit: «L'origine de notre fête slava d'aujourd'hui ne doit
être cherchée ni chez les Serbes, ni ailleurs à une source ortho-
doxe; elle est issue réellement de la tradition païenne du
dieu-patron; les patarains du moyen âge ont servi peut-être
d'intermédiaires et légué la coutume aux générations sui-
vantes » 2).

Ce qui est plus intéressant encore, c'est que le témiognage


le plus ancien relatif à la fête de slava chez les Slaves remonte
à l'an 1018 et qu'il se rapporte à l'histoire bulgare, mais non
à l'histoire serbe. Le fait est attesté par le chroniqueur
byzantin, Jean Skylitsès, qui nous raconte que le chef bul-
gare Ivatsès célébrait sa « sloujba, slava » (èopTy) [le jour
l'Assomption de la Ste- Vierge 3 ).

5° — « Il n'y a pas, dans la Macédoine, de traces de civi-

lisation matérielle bulgare. De plus, les recherches que j'ai


effectuées parmi les paysans macédoniens m'ont permis de
constater que les traditions historiques bulgares font défaut
dans toute la Macédoine », affirme de nouveau Tsviitch 4).
Si l'on voulait tirer des conclusions politiques du nombre
des monuments du passé, les monuments turcs en Macé-
doine l'emporteraient sans doute sur tous les autres. Il est évi-

dent que la civilisation bulgare en Macédoine, aux IX e , X e

>) Glasnik zemaljskog muzeja, XXIII (de 1911), XXIV, 265 à 274-
2
) Ibidem, XXIV (1912), 396.
3
) Cedrenus, II, 470 à 471.
*) Questions balkaniques, p. 53.
— 225 —
et XIII e ne pouvait léguer à la postérité que des
siècles,
monuments en nombre restreint: le temps, l'animosité des
Grecs envers tout ce qui est bulgare et l'intolérance turco-
musulmane ont anéanti la plupart des monuments histo-
riques et nationaux du peuple bulgare. A ce propos, nous
pouvons nous référer aux témoignages historiques émanant
des Byzantins Jean Skylitsès et Théophylacte Lors de la :

conquête de la Macédoine, en 1018, l'empereur Basile II


détruisit la forteresse d'Okhrida pour ôter à la population
la possibilité « de s'insurger dans ce grand centre du royaume
bulgare ». En outre, il incendia, à Monastir, les palais du
prince héritier bulgare. Lorsqu'elle étouffa la révolte bul-
gare de 1073 en Macédoine, Byzance eut recours à des troupes
mercenaires franques qui incendièrent, entre autres, le palais

royal bulgare, ainsi que l'église patriarcale de Prespa, bâtie


par le roiSamuel, afin de faire disparaître tout vestige de
l'existence d'un Etat bulgare. Plus tard, lorsque l'Eglise
bulgare tomba sous l'obédience spirituelle du Patriarcat grec,
le clergé grec procéda à la grécisation des inscriptions an-
ciennes en langue bulgare tant sur les édifices publics chré-
tiens que sur les églises. Les recherches et les fouilles faites
récemment dans les couvents et dans les églises de Macé-
doine prouvant suffisamment ce fait. Les Turcs contri-
buèrent dans une plus large mesure encore à l'anéantissement
ou à la transformation des édifices chrétiens. C'est un fait
bien connu que la plupart des mosquées turques sont d'églises
chrétiennes d'autrefois. En outre, jusqu'au commencement
du XIX e s., legouvernement turc donnait l'autorisation de
restaurer les églises et non d'en bâtir des nouvelles.

Il ne faut toutefois pas déduire de ce qui précède qu'en

Macédoine il n'y a aucune trace palpable de civilisation bul-


gare, comme la thèse serbe le soutient. Bien au contraire,
la Macédoine, qui possédait dans le passé tant de monuments
publics et privés, malgré les circonstances désavantageuses,
exposées ci-haut, a conservé jusqu'à nos jours encore non
seulement des traces de la civilisation matérielle bulgare
15
— 226 —
d'autrefois, mais aussi des monuments entiers de l'archi-
tecture religieuse bulgare, des fresques, des inscriptions, des
objets d'art, etc.

En voici quelques exemples. Parmi les ruines de Phi-


lippi, entre Cavalla et Drama, il a été découverte une ins-
cription lapidaire du VIII e au IX e s., relative aux con-
quêtes bulgares dans ces parages 1 ). — Trois stèles mono-
lites qui démarquaient la frontière méridionale de l'Etat
bulgare en 904; elles avaient été érigées par le roi bulgare
Siméon à 20 km. au nord de Salonique et ont été décou-
vertes in situ par l'archéologue danois King 2 ). Près de
l'ancienne église de Gherman, à Prespa 3 ), on a trouvé
un document, le plus ancien non seulement parmi les monu-
ments bulgares, mais slaves en général; il porte une ins-
cription lapidaire du tsar bulgare Samuel et datant de
l'année 993. Sur l'île au lac de Prespa, subsistent
d'Achil,
encore de nos jours de dimensions considérables
les ruines
de l'église patriarcale bulgare, bâtie par le même roi Sa-
muel. — Sur l'île Golémi-Grad du dit lac s'élèvent
encore les restes d'une forteresse du même roi. Un autre
fortin en ruines de la même époque ayant la forme d'un
cône tronqué, a subsisté sur l'élévation méridionale de
4
l'île d'Achil ). —
Deux autres fortifications analogues de
l'époque du tsar Samuel se trouvent, l'une au défilé de
Klutch près Stroumitsa, où fut livrée en 1014 la célèbre
bataille entre le roi bulgare Samuel et l'empereur byzantin
Basile II 5 ); l'autre au sud du village Bârzechta, dans la

*) J, Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine, p. 1 et suiv.


2
) Cf. Bulletin de l'Institut archéologique russe de Constantinople,
vol. III, 184 à 194. — J. Ivanoff, Antiquités bulgares en Macédoine, p. 7 à 9.
3
) Bulletin de l'Institut arch. russe de Constantinople, IV, 1 à 20. —
J. Ivanoff, Ouvrage cité, p. 24 à 26. — Idem, Les Bulgares en Macédoine,
p. 126 à 127.
*) Au sujet de ces antiquités v. Bulletin de la Société archéologique
bulgare, vol. I.

5
Les résultats des
) fouilles que nous avons pratiquées à Klutch vont
paraître prochainement.
— 227 —
vallée de la Chkoumli supérieure. — Les tours et les ruines
situées sur la colline dominant laville de Stroumitsa sont
connues dans les traditions orales du pays sous le nom de
« Maisons du tsar Samuel ». — A Okhrida sont conservés
les fondements et une partie des murs de la forteresse de
ce même roi. — Sur les hauteurs escarpées qui forment
le défilé de Démir-Kapou, sur le Vardar moyen, on re-

marque les ruines des fortifications que le chef bulgare


Strèze y fit ériger au commencement du XIII e s., forte-
resses qui étaient reliées autrefois par un pont en fer jeté
sur le Vardar. —Sur la colline qui domine le village de
Kirtchévo, district de Démir-Hissar, on voit encore les restes
de la fortification élevée au XIV e s. par le chef militaire
bulgare Vrana, avec une ancienne inscription bulgare gra-
vée sur le rocher.
L'architecturereligieuse est représentée, en Macé-
doine, par beaucoup plus de monuments qui y ont été res-
taurés ou dont les ruines sont conservées.
St. Clément avait été envoyé en Macédoine pour y
accomplir une mission, sous l'égide du prince Boris. Le
roi Siméon, fils de ce dernier lui confia ensuite le siège
d'évêque à Vélika et il fonda, à Okhrida, trois églises,
dont l'une fut le célèbre couvent de St-Pantéleimon. Après
cinq siècles d'existence, lors de l'invasion turque, ce mo-
nastère fut transformé en mosquée musulmane et les re-
liques de St-Clément furent transférées à l'église de la
Ste- Vierge où elles sont encore conservées actuellement.
Le 27 juillet, à Okhrida, se réunit une multitude consi-
dérable de pieux pèlerins, venus de tous les coins de la
Macédoine pour célébrer la mémoire de St-Clément. De
là se répandent dans tout le pays les traditions liées au
nom du saint, à ses exploits spirituels et à ses travaux
littéraires. Le nom de Clément (Climé) est un des plus
en vogue au sein des populations bulgares de la Macédoine
occidentale. — Sur la rive méridionale du lac d'Okhrida
s'élève le couvent de St-Naoum, sanctuaire vieux bulgare,
— 228

édifiéen l'an 900 par Naoum, autre disciples des apôtres


slaves, que le roi bulgare Siméon envoya en mission apos-
tolique en Macédoine pour remplacer St-Clément. Suivant
la tradition, la fille du prince Boris, sœur du roi Siméon,
ayant été guérie par le saint, le prince combla ce dernier
de bienfaits et l'aida richement pour la construction du
couvent. Cette scène de la guérison de la princesse attire
tout particulièrement l'attention parmi les fresques de ce
monastère sur lesquelles figurent le prince Boris et les
apôtres slaves avec leurs principaux disciples. Le saint
y est vénéré non seulement par les Bulgares, mais aussi
par les Albanais mahométans qui déposent leurs armes,,
dont ils ne se séparent pourtant jamais et ôtent pieusement
leurs souliers avant d'entrer dans le sanctuaire de St-
Naoum. —Vers le milieu du
- X
e s., le roi bulgare Pierre

érigea le couvent de Ryla, situé aux confins septentrio-


naux de la Macédoine, en l'honneur du premier anacho-
rète bulgare, St-Jean de Ryla. Grâce à sa situation, au
milieux des terres bulgares, à son existence millénaire,
et aux donations dont l'enrichirent les rois bulgares sui-
vants, tels que Assen, Jean Alexandre, Ivan Chichman,
le couvent de Ryla devint le vrai centre religieux bulgare
et le gardien le plus vigilant des traditions nationales
bulgares. Sa mission évangélique, ainsi que le rôle litté-
parmi les Bulgares, pendant
raire et national qu'il a joué
la domination cinq fois séculaire des Turcs, ont eu une
portée considérable. Après le Mont Athos, c'est le lieu de
pèlerinage le plus important dans toute le péninsule bal-
kanique. — Le même roi bulgare, Pierre, fit bâtir le cou-
vent de St- Georges près Scopié, dont les ruines ont été
découvertes récemment. —
Au XI e s., les élèves de St-Jean
de Ryla fondèrent encore en Macédoine septentrionale trois
monastères: à Ossogovo, à Lesnovo et à Ptchinia; tous
trois conservés jusqu'aujourd'hui. —
La Macédoine occi-
dentale, elle aussi, possède ses anciens couvents bulgares
de Bigor près Dèbre et de Pretchista près Kitchévo. —
— 229 —
En Macédoine méridionale, le Mont Athos abrite un autre

sanctuaire bulgare, le couvent de Zographe dont l'influence


nationale et littéraire n'a cessé de s'exercer depuis dix
siècles. Les traditions littéraires et orales font remonter
sa fondation au X e s. et l'attribuent à la famille royale
du tsar Samuel et de ses frères. Plus tard, il fut restauré
par les rois Assen II et Jean Alexandre. C'est là que le
père de l'histoire bulgare, Païsi, mit la dernière main à
son ouvrage patriotique de 1762. —
Quant aux couvents
et églises bulgares en Macédoine bâtis à neuf, ou restaurés
depuis un siècle, v. p. 88 et suivantes.
En parlant des monuments de l'architecture religieuse
bulgare en Macédoine, nous ne devons pas passer sous
silence l'art décoratif bulgare qui se manifeste de la ma-
nière la plus frappante et la plus originale. Au cours des
XVIII e et XIX e s., existaient en Macédoine deux écoles
de sculpture et de ciselure sur bois: l'une à Dèbre, l'autre
au Razlog. Les artistes confectionnaient surtout des ico-
nostases, des trônes, des cadres, des corniches, des colonnes.
Ils sculptaient sur bois, à la perfection et dans les moindres
détails, des scènes bibliques encadrées de motifs orne-
mentaux, empruntés aux règnes végétal et animal. Les
entrelacs et l'élément tératologique, mis en honneur par
les maîtres de l'art vieux-bulgare, constituent l'originalité
de cet art bulgare nouveau, dont certains chefs-d'œuvre
ont exigé dix ans de travail et la collaboration de plusieurs
artistes, maîtres et élèves. Parmi les boiseries sculptées
et ciselées dignes d'admiration, il faut mentionner celles
des églises de Chtip et du Sauvear à Scopié, « exécutées
par Pierre Philippovitch, de Gari et par Makari de Gali-
tchnik, Bulgares de Mala-Réka, région de Dèbre, 1824 »,
ainsi que celles du couvent de Bigor.
La peinture religieuse était cultivée aux mêmes foyers
artistiques, à Dèbre et au Razlog et, souvent, par les mêmes
artistes sculpteurs et ciseleurs. Dès la fin du XVIII e s.,
les peintres religieux bulgares commencent à s'affranchir
— 230 —
des procédés des vieilles écoles bulgares et byzantines et
se mettent résolument à faire de l'art réaliste. C'est l'effet
de l'influence de l'Académie des Beaux-Arts de Vienne
et des Académies russes, où avaient fait leurs études
quelques-uns des représentants de la peinture religieuse
Dospevsky de Samo-
bulgare, tels que Moléroff de Razlog,
kov, etc.
L'ornementation des anciens parchemins et manuscrits
bulgares est non moins attrayante surtout pour ce qui est
des vignettes et des majuscules ornementées. C'est ce
qu'on appelle en paléographie « style vieux-bulgare », le-
quel est né sous l'influence des styles oriental et roman,
puis s'est développé en Bulgarie où des apports nationaux
et des procédés d'exécution originaux lui ont imprimé
une nouvelle direction. Le style bulgare du XII e au XIV e s.
se dégage de l'influence étrangère. Les marques, les plus
prononcées de son originalité, sont les entrelacs, la bizar-
rerie et la tératologie. Les manuscrits des régions d'Okhrida
et de Bytolia, de la Macédoine du nord, du Ryla, des ré-
gions de Sofia, Tirnovo, ornés tous dans ce style-là, at-
testent l'unité de culture des différentes provinces bulgares.
Les mêmes manifestations artistiques se retrouvent
dans l'ornementation du costume féminin et du mobilier
bulgares. Elles sont représentées dans les broderies an-
ciennes et modernes, sur les manches, autour des cols, sur
le corsage et au bas des chemises, sur les oreillers, les cou-

vertures, etc. Par leur style, par l'exécution, par leur colo-
ris, ces broderies rappellent fort l'ornementation des
manuscrits bulgares et trahissent la communauté des pro-
cédés de l'ancien scribe bulgare et de la femme bulgare.
Sous l'influence orientale, romane et, plus tard, sa-
xonne, l'orfèvrerie de la Bulgarie médiévale et moderne,
prend un essor considérable, surtout dans la spécialité
de l'encadrement des icônes, dans celle de la confection
de châsses pour les reliques de saints, de chasubles, de
coupes, de croix, de plateaux, de reliures de manuscrits*
— 231 —
etc. Les foyers principaux de cet art se trouvaient à
Sofia, Kratovo, Kiprovtsi, Bytolia, etc. Les travaux en
filigrane des maîtres de cet art forcent notre admiration
par leur beauté, leur variété et le fini de l'exécution des
motifs sur or et argent. Les savants et les profanes s'exta-
sient à la vue des églises d'Okhrida, des monastères de
Ryla et de Batchkovo, avec leurs objets d'orfèvrerie, vrais
chefs-d'œuvre.

En ce qui touche la question macédonienne, il ressort


à l'évidence combien l'ancien et le nouveau point de vue
serbes sont contradictoires et jusqu'à quel degré le second
correspond au véritable état de choses, étant donné que
ce point de vue repose sur l'échafaudage des aspirations
politiques du gouvernement serbe à l'annexion de toute
la Macédoine ou d'une partie d'elle.

La thèse bulgare.
Le point de vue bulgare est basé sur le principe des
nationalités, tel qu'il a été établi par la sociologie et la
science politique. En vertu de ce principe, la nationalité
est une collectivité de citoyens ayant une individualité
physique et morale, des traditions et des aspirations com-
munes. Les éléments qui constituent et maintiennent l'in-
dividualité nationale sont: l'unité de race, l'unité de terri-
toire, la langue, la religion, l'unité politique, l'histoire et
mœurs et les manifestations
les traditions, la littérature, les
de la civilisation commune. Plus ces éléments sont mani-
festes chez telle nationalité, plus ses organes sont unis, et
plus le sentiment national qui les anime est ardent et vivace.
Basée sur cette vérité primordiale, la thèse bulgare,
relative à la population slave en Macédoine, peut être
soutenue par les arguments suivants qui la résument:

1° — Les Slaves macédoniens appartiennent au groupe


oriental ou dacien des Slaves daco-pannoniens qui franchirent
— 232 —
le Danube, au cours des VI e dans
et VII e s., et s'établirent
la péninsule balkanique.Les Slaves de Mésie et de Thrace
rentrent également dans ce groupe, tandis que les Serbo-
Croates descendent du groupe occidental ou pannonien.
(Quant à l'exposé des arguments, v. p. 44 à 55.)
2° — Vers le milieu du IX e
s., la plupart des tribus

slavo-macédoniennes firent partie de l'Etat bulgare et


portèrent le nom national de Bulgares qu'elles ont gardé au
cours des siècles suivants et jusqu'à nos jours pour dénommer
leur nationalité, leur langue, leurs institutions religieuses
et civilisatrices. (Voir l'exposé des arguments, p. 55 à 60.)

3° — Au point de vue physique, les Bulgares macé-


doniens et les Bulgares de Mésie et de Thrace sont identiques.
Les Serbes en diffèrent sensiblement.
Ainsi, les Bulgares du nord et les Bulgares macédo-
niens sont d'une taille moyenne, de 166,5 cm. quant aux
premiers et de 167,5 cm. quant aux seconds dans la partie
occidentale de la Macédoine, tandis que ceux de la partie
orientale mesurent jusqu'à 168,5 cm. Les Serbes sont de
haute stature: 171 cm. 1 ).
Par leur indice céphalique, les Bulgares du nord sont
des mésocéphales en général (79,65 %) comme les Bulgares
de Macédoine (79,46 2
%
), tandis que les Serbes accusent

une brachycéphalie nettement prononcée (84,5 %).

) Cf.
l r
D
S. Wateff, Contribution à l'étude anthropologique des Bul-
gares (Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1904,
p. 438 et suiv.). —
J.Deniker, Les races et les peuples de la terre. Paris 1900,
v. lesAppendices. — R. Martin, Lehrbuch der Anthropologie. Jena 1914.
— E. Pittard, Les peuples des Balkans. Recherches anthropologiques dans
la Péninsule des Balkans, spécialement dans la Dobroudja. Genève et Lyon
1920. — Nous avons consulté aussi l'étude importante de K. Drontchiloff,
assistant de géographie à l'Université de Sofia: «Anthropologie des Bul-
gares macédoniens », qui paraîtra prochainement.
Les Bulgares de la Macédoine occidentale, ceux d'Okhrida, Monastir,
a
)

Tétovo, etc., sont généralement brachycéphales, probablement sous l'in-


fluence de l'élément albanais connu par sa brachycéphalie très accusée
(86,5 %), tandis que les Bulgares de la Macédoine centrale et orientale
sont mésocéphales, comme les Bulgares de la Bulgarie proprement dite.
— 233 —
Quant au pigment (des yeux, des cheveux et de la
peau), le type brun et le type mélangé dominent chez les
Bulgares du nord et chez ceux de la Macédoine. Le type
blond est assez rare. Groupés par types, ils se répartissent
comme suit:
Type brun Type mélangé Type blond

Bulgares du nord 45 % 44,5 % 10,5 %


Bulgares de Macédoine . 41,96 % 46,27 % 11,77 % x
)

4° — La langue des Slaves macédoniens est un dialecte

bulgare, autant dans sa phase médiévale que dans son état


actuel.
La langue est, sans contredit, une des caractéristiques
les plus essentielles d'une nation, puisqu'elle permet à
ses divers membres de communiquer leur pensée, dont
elle est l'expression; elle conditionne l'éclosion et l'épa-
nouissement d'une littérature nationale; c'est par elle,
enfin, qu'une nation manifeste son idéal, c'est son meilleur
instrument.
La langue bulgare, cet organe puissant de la natio-
nalité bulgare, date de plusieurs siècles. Elle est connue
par les documents, dont les plus anciens remontent à
mille ans en arrière. C'est en cette langue bulgare, en
vieux dialecte sud-macédonien, que, au IXe s., les apôtres
slaves, les Saloniciens Cyrille et Méthode, ont traduit les
livres liturgiques, ainsi que cela est établi aujourd'hui par
la linguistique slave et par ses représentants les plus émi-
nents du monde entier, soit par Leskien, professeur à
Leipzig, Jagié et Vondrak de Vienne, Sobolevsky et Lav-
roff de Pétrograde, Florinsky de Kiev, L. Léger de Paris,etc.
Les slavistes serbes eux-mêmes, comme nous l'avons
mentionné plus haut, ne font pas exception à ce sujet et

) Dans l'étude de K. Drontchiloff nous avons, pour Macédoine,


l
la
un groupement un peu différent:
Type brun 41 %
Type mélangé 56,7 %
Type purement blond 2,3 %.
234

reconnaissent que le macédonien en lequel les


dialecte
livres liturgiques ont été traduits, au IX e s., était un dia-
lecte bulgare. L'inscription lapidaire du tsar bulgare
Samuel, portant la date de 993, découverte dans la région
de Prespa, en Macédoine, est le plus ancien document daté,
en vieux bulgare. C'est également le plus ancien monu-
ment linguistique slave.
C'est aussi en ce dialecte macédo-bulgare que se déve-
loppa une littérature considérable pour les besoins du
clergé, de l'Etat et des œuvres sociales de la nation bul-
gare tout entière. Alors que, au moyen-âge, toute l'Europe
centrale et occidentale se servait d'une langue morte et
étrangère, le latin, seuls les Bulgares furent assez heureux
pour créer leur langue littéraire issue d'un dialecte parlé
et compréhensible, de développer une littérature natio-
nale, de la transmettre plus tard aux Serbes, Russes et
Roumains, et de la conduire, après bien des vicissitudes,
jusqu'à nos jours. Tandis que le parler populaire était ban-
ni, en tant que langue littéraire, pendant des siècles dans

les pays occidentaux, le Bulgare n'a cessé de glorifier son


Dieu et d'écrire en sa langue maternelle, depuis mille ans
environ 1 ). Ainsi, le dialecte macédo-bulgare, grâce aux
travaux des saints Cyrille et Méthode et de leurs élèves,
devint la langue sacrée du monde slave, la clef de sa cul-
ture spirituelle, la pierre angulaire de sa philologie et l'ins-
trument puissant de la science linguistique indo-euro-
péenne.
Déjà au X e s., le macédo-bulgare ou le bulgare en
général différait sensiblement du serbe, comme cela a été
démontré, entre autres, par le philologue serbe L. Stoïa-
novitch dans son discours inaugural à l'Académie des

) En 1199, le pape Innocent III condamna à l'autodafé la traduction


l

de l'Ecriture sainte en langue française. Il n'y a pas longtemps, les Grecs


brûlèrent à Athènes, en pleine rue, la traduction de l'Evangile en grec
moderne. En outre, ce qui est plus suranné encore, l'art. 2, alinéa 2, de la
Constitution de l'Etat de Grèce interdit l'emploi du texte biblique en grec
moderne.
— 235 —
sciences à Belgrade 1 ). Différent du serbe à cette époque
lointaine, le bulgare dans tous ses dialectes en diffère encore
plus sous sa forme moderne.
Le dialecte moderne des Slaves macédoniens
n'est pas
uniforme; il au contraire, par des parlers dif-
se manifeste,
férents. Ainsi, à l'extrême nord de la Macédoine, le long
de la Pchinia supérieure, de la Moravitsa, des contreforts
de la Forêt-Noire et en partie du Char, règne le parler
qui vient de la vallée de la Morava bulgare. Le plus ré-
pandu est le parler central qui tient le cœur de la Macé-
doine: Monastir, Prilep, Kitchévo, Vélès, Chtip, la ville
de Scopié avec ses régions du sud et de l'est (Kàrchi-
Yaka, Blatia), etc. Le parler du sud englobe les régions
méridionales de la Macédoine: Okhrida, Dèbre, Castoria,
Vodéna, Koukouch, Salonique. A l'est de Salonique et
de la Strouma inférieure, jusqu'à la mer Noire, régnent
les parlers du bulgare oriental.

Tous ces parlers macédoniens par les


se caractérisent
signes les plus typiques de la langue bulgare moderne,
qui les différencient des autres langues slaves et surtout
du serbe. Voici ces particularités les plus caractéristiques:

a) La langue bulgare, seule entre toutes les autres


langues slaves, est devenue analytique. En général, elle
se sert d'un seul cas, et ce n'est que par exception qu'elle
emploie parfois le vocatif et l'accusatif. Les parlers macé-
doniens partagent les mêmes particularités que le bulgare
commun. Les Serbes, au contraire, ont une langue syn-
thétique, avec déclinaison complète, comportant sept cas,
tant au singulier qu'au pluriel. Cas échéant, la différence
entre le serbe d'un côté et le macédo-bulgare, de l'autre,
est donc énorme. Voici, p. ex., la déclinaison, au singulier,
du nom « jéna » (femme) en serbe, en bulgare et macédo-
bulgare :

') « Glas » de l'Académie des sciences serbe, vol. III, 14.


— 236 —
Serbe : Bulgare et macédo-bulgare :

Nom. jén-a jéna-ta 1 )


2
Gén. jén-é na, ot ) jéna-ta
• > •
Dat. jen-i na jéna-ta
Ace. jén-ou jéna-ta
Voc. jén-o jén-o
Instr. jén-om s, so jéna-ta
Loc. jen-i v, vo jéna-ta
b) La langue bulgare, seule entre toutes les autres
langues slaves, se sert largement de V article défini pour
tous les trois genres; cet article suit les substantifs, les-

adjectifs, les adjectifs numéraux, les pronoms, les parti-


cipes. Cette particularité, même si elle était isolée, est
suffisante pour distinguer le bulgare du serbe car, comme
Fa dit un savant Croate : « Le domaine de la langue bulgare
s'étend jusqu'où va l'emploi de l'article défini ». Cet ar-
ticle se rencontre également dans tous macé- les parlers
doniens. En outre, ces derniers, du comme les parlers
Rhodope en Bulgarie, possèdent formes dif- même trois
férentes d'articles définis, servant à exprimer trois nuances
différentes 3 ).
c) La langue bulgare et les parlers macédoniens, seuls
parmi les autres langues slaves, n'ont pas d'infinitif, alors
que le serbe l'emploie régulièrement.
d) Par la richesse, de leur conjugaison, la langue
bulgare et les parlers macédoniens occupent la première
place parmi toutes les langues slaves. Ils surpassent le
serbe par le large emploi des formes de l'aoriste et de l'im-
parfait, tombés en désuétude dans le serbe.

1
) Ta, art. déf. pour le féminin.
2
) Na, ot, prépositions à, de.
) L'emploi de l'article défini, même dans le parler de l'extrême nord
3

de la Macédoine, est constaté dans les travaux philologiques des Serbes et


des étrangers: S. Tomitch, La Forêt Noire de Scopié (Naselja srpskih ze-
malja, 1905, vol. III, p. 485, 486, 487, 489, 490, 491, 498. - Y. Hadji-
Vassiliêvitch, La Vieille Serbie méridionale. Belgrade 1909, vol. I er passim, ,

vol. II, passim. — A. Sélichtcheff, Rapport sur mes occupations pendant


les vacances d'été de 1914. Kazan 1914, p. 18 et suiv.
— 237 —
e)La langue bulgare, seule parmi toutes les langues
slaves, forme le comparatif des adjectifs et des adverbes
au moyen du préfixe po et le superlatif par l'emploi du
9

préfixe naï. Il en est ainsi de tous les parlers macédoniens.


En serbe, le comparatif se forme d'une autre manière et
le superlatif se fait en faisant précéder le comparatif du

préfixe naï. Une autre particularité inconnue dans le


serbe, mais commune au bulgare et aux parlers macédo-
niens, consiste dans l'emploi des degrés de comparaison
pour les substantifs et les verbes. P. ex. younak (= héros,
:

homme vigoureux, gaillard), po-younak, naï-younak; obi-


tcham (j'aime), po-obitcham (j'aime plus), naï-obitcham
(j'aime le plus), etc.

f) La langue bulgare et tous les parlers macédoniens


ne connaissent pas de longueur et de brièveté des voyelles;
ilsse servent de l'accent tonique, qui, comme en russe,
peut se déplacer d'une syllabe à l'autre, d'après une règle
donnée. Le serbe, en revanche, est très sensible aux vo-
yelles longues et brèves, qu'il emploie sous quatre nuances
différentes; il n'a pas d'accent tonique proprement dit.

g) Les voyelles du slavon T> (ù) et b (ï), excepté les


groupes avec r, 1, ont dans le serbe une seule variante, la
voyelle a, tandis que les dialectes bulgares et macédoniens
remplacent le T> par i>, o, le l par t>, e.
h) A la voyelle nasale a* (o n a n ) du slavon, correspond
,

toujours un ou dans le serbe. Les parlers bulgares et ma-


cédoniens la remplacent par i> n t>, a, o n o. Celui de l'ex-
, ,

trême nord macédonien y substitue ou dans les racines


des morts et a dans les suffixes et les terminaisons.
i) Les anciens groupes cht, jd (de *tj, *dj) donnent
toujours en serbe é, gj. Les parlers de la Bulgarie et de la
Macédoine les remplacent par cht, jd; chtch, jdj; k\ g\
Les variantes k\ g' dans la Macédoine septentrionale s'ex-
pliquent par l'influence du serbe.
j) Le vieux slave 5 (dz) qui n'est pas connu dans le
serbe, est trop employé par les Bulgares du nord et ceux
238 —
de la Macédoine, surtout à Scopié, Tétovo, Okhrida, Vo-
déna, Salonique, etc.
k) La labiale 1', si caractéristique et fréquente dans
le serbe, fait défaut ou est très rare dans les parlers bul-

gares et macédoniens.
I) Alors que le serbe vocalise la consonne 1 en o,quand
elle termine une syllabe, les parlers bulgares et macédo-
niens la conservent.
m) La langue bulgare et les parlers macédoniens ont
une unité lexique beaucoup plus grande que le serbe et
ces mêmes parlers.
n) La toponymie macédonienne reflète la manière
de prononcer bulgare.
Toponymie macédonienne La prononciation serbe
à prononciation bulgare: aurait été:

Scopié Scoplié
Chtip Chtiplié
Dèbre Dabar
Sâmbotsko Subotsko
Lâgadina Lugadina
Blatets Blatats
Gradets Gradats
Dambovo Dubovo
Dâmbéni Dubéni
Glâmbotchani Dubotchani
Râmbets Rubats
Kândrevo Kudrevo
Rojden Rogjen
Grajdino Gragjino
Radojda Radogja
Bârjdani Brgjani
Mejdourek Megjourek
Ograjden Ogragjen
Krivogachtani Krivogacani
Pechtnik Peénik
Pechtani Pecani
Païak Paouk, etc.
— 239 —
5° — La Macédoine et la Bulgarie du nord ont partagé,
pendant des siècles, la même destinée politique.

Depuis le milieu du IX e
s. jusqu'en 1018, la Macédoine

prit une part très active à la vie politique du royaume de


Bulgarie. Vodéna, Mogléna, Prespa, Okhrida furent tour
à tour les capitales de l'Etat bulgare. Au cours de la do-
mination byzantine, aux XI e et XII e siècles, les deux pays
furent de nouveau soumis au même régime politique. Le
vainqueur octroya une certaine autonomie au pays et
maintint ses droits ecclésiastiques. La ville macédonienne
de Scopié fut désignée comme capitale des « ducs de Bul-
garie ». Les fréquents soulèvements des Bulgares de Scopié,
Okhrida, Philippopoli, de la région du bas Danube contre
les Byzantins, contribuèrent à l'affermissement du senti-
ment national bulgare et au maintien de son unité politique
et morale dans tout le territoire peuplé de Bulgares. Au
déclin du XII e s., la Macédoine, entrant de nouveau dans
les frontières du second royaume bulgare, obtint sa li-
berté nationale pour la perdre au cours de la seconde moitié
du XIII e s. Vers la fin du XIV e s., le joug cinq fois sécu-
laire des Turcs s'appesantit sur tous les pays bulgares: la
Bulgarie danubienne, la Macédoine et la Thrace formèrent
une grande province turque, celle de Roumélie, et la ville
de Sofia devint le siège administratif et militaire du chef
de la Roumélie, Beyler-Bey. En 1878, la Bulgarie du
nord et une partie de la Thrace, obtinrent leur autonomie,
après tant de souffrances et d'insurrections. La Macédoine
eut le malheur de gémir quelques décades encore, sous le
régime du sultan. Ce ne fut qu'après plusieurs révoltes,
comme celle de Maléchévo en 1876, de Kresna en 1878,
d'Okhrida et de Prilep en 1881, du Pirin en 1895, de Mo-
nastir en 1903 x ), et après la première guerre balkanique,
en 1912, que les forces turques furent brisées à Lulé-
Bourgas par l'armée bulgare, que la Macédoine fut sauvée

') Voir p. 108 et suiv.


— 240 —
d'une tyrannie néfaste, pour être rejetée, hélas, peu après,
sous le régime de nouveaux maîtres.

6° — Les Bulgares de la Macédoine ainsi que ceux


de la Bulgarie danubienne et de la Thrace ont eu durant des
siècles la même vie religieuse et ecclésiastique.

Après qu'en 865, le prince Boris et son peuple se furent


convertis au christianisme, la nation bulgare, dans sa grande
majorité, se rattacha à cette religion, rite orthodoxe. Le
siège du Patriarcat bulgare changeait de place, selon les
circonstances politiques, Preslav, Okhrida, Tirnovo; et
lorsqu'en 1767 1'« Archevêché bulgare d' Okhrida» fut usurpé
par le clergé grec, il y avait plus de capitale religieuse
bulgare, le Patriarcat grec de Constantinople étant devenu
chef spirituel de tous les Bulgares chrétiens. C'est au cours
du XIX e s., après une lutte organisée contre le clergé grec,
lutte qui dura 40 ans, le peuple bulgare se vit octroyer,
en 1870, le droit d'avoir une Eglise nationale et autonome.
Cette lutte débuta en 1830, en Macédoine, à Scopié, elle
est considérée par tout le monde comme la manifestation
la plus convaincante de l'existence d'une conscience natio-
nale bulgare active, et des sentiments qui animent toute
âme de Bulgare. C'est en Macédoine, dans les diocèses
de Scopié et d'Okhrida, qu'eût lieu, en 1872, le premier
plébiscite national dans les Balkans. 95 des voix se %
déclarèrent en faveur de la nationalité bulgare et de l'Eglise
bulgare. Jusqu'en 1912, la Macédoine comptait sept métro-
polites sept vicaires, 1132 prêtres avec 1139
bulgares,
églises, 154 chapelles et 62 couvents. La Macédoine a
donné à l'Eglise nationale bulgare, après 1870, 11 métro-
polites: Ghennadius d'Okhrida, Panarète de Florina,
Nathanaïl de Scopié, Mélétius de Stroumitsa, Cosma de
Kitchévo, Théodosius de Nevrokop, Méthodius de Prilep >

Parthénius de Galitchnik, Méthodius de Zarovo (départe-


ment de Salonique), Mélétius de Monastir, Néophyte
d'Okhrida.
— 241 —
Il y a plus :Macédoine a participé à la vie religieuse
la
du peuple bulgare auquel elle a donné ses premiers saints :

les frères Cyrille et Méthode de Salonique, Clément d'Okh-


rida, Naoum d'Okhrida, Jean de Ryla, Prohor Pchinsky*
Gavril Lesnovsky, Yakim Ossogovsky. Durant la domi-
nation turque, une série de martyrs macédoniens ont donné
leur vie pour le christianisme, tels St- Georges de Kratovo,
brûlé vif à Sofia par les Turcs, Ste-Zlata de Vodéna, St-
Spass de Radovich, St-Anghel de Monastir, etc.
Les Bulgares du nord et, enfin, ceux de la Macédoine,
ont coopéré à l'évolution générale de l'humanité, par la
doctrine religieuse et sociale du « bogomilisme », précur-
seur de la Réforme de Huss, de Calvin, de Zwingli et de
Luther et pionier des doctrines démocratiques des temps
modernes. Le bogomilisme apparût dans les pays bulgares
au X e s. et se développa par ses deux écoles: l'une en
Bulgarie proprement dite et l'autre en Macédoine dont
les localités de Bogomila, Babouna, Koutoughertsi, etc., en
évoquent le souvenir. Dans maintes manifestations de la
vie sociale, religieuse et littéraire des Bulgares, le bogo-
milisme ramène les esprits à la réalité par ses incitations
à la révolte contre les seigneurs et le clergé corrompu, ses
commandements enjoignant au peuple de ne plus travailler
pour le compte de ses maîtres, ses conceptions religieuses
dualistes et le genre de vie austère qu'il préconise. Il fran-
chit les frontières bulgares, provoque de violentes com-
motions en Byzance, favorise ï'éclosion de communautés
bogomiliennes en Bosnie, en Italie, en France, où ses
adeptes, sous le nom d'Albigeois (Bugri, Bougres, Bulgares)
donnent le signal d'une croisade et d'une longue et sang-
lante guerre.

7° — La Macédoine a pris une part considérable à la


vie littéraire bulgare. Sans parler de la vieille littérature
religieuse bulgare, dont les auteurs en vue ont travaillé
en Macédoine pendant les IX e , X
e et XI e s., tels que

16
— 242 —
Clément, Hrabre, le prêtre Jean, etc., pour ne nous arrêter
qu'à l'époque moderne, nous devons faire ressortir que les
premiers écrivains bulgares et les promoteurs du réveil natio-
nal bulgare, viennent de la Macédoine. Le mouvement lit-
téraire et national ne se propagea que plus tard en Bul-
garie danubienne et en Thrace. Le père de cette renais-
sance est le macédonien Païssi qui, en 1762, lançait par
son « Histoire des Bulgares » cet avertissement si profon-
dément national « Bulgare ne te trompe pas, aie cons-
: !

cience de ta race et de ta langue, enseigne en bulgare: la


simplicité et la bonne foi bulgares dépassent la finesse
grecque ...» Le premier écrivain bulgare, Hadji Yakim
Kirtchovsky, qui, depuis 1814, se servit de la langue bul-
gare moderne dans ses publications, est également un Ma-
cédonien, de Kitchévo. Dès 1816, le cadet de ses contem-
porains, Cyrille Peytchinovitch de Tétovo (Macédoine du
nord), fit imprimer des livres « en langue simple bulgare
telle qu'elle est parlée à Scopié et Tétovo ». Le Bulgare
qui installa la première imprimerie bulgare, à Salonique,
était encore un Macédonien, Théodossi Sinaïtsky de Doïran.
Il y imprima ses propres ouvrages et ceux de ses compa-

triotes, écrits « en langue slavo-bulgare » ou « en langue


populaire bulgare ». Un autre macédonien, Néophyte
Rylsky, est le premier pédagogue bulgare. Le premier
philologue bulgare, qui compulsa les manuscrits du Mont
Athos est C. Petkoff de Vélès. Les premiers grands folk-
loristes bulgares sont les frères Miladinoff, de Strouga, sur
les bords du lac d'Okhrida. Le premier poète bulgare qui
a chanté les tristes destinées de son pays natal, la Macé-
doine, c'est R. Jinzifoff, qui s'écriait en 1862: «Je suis
Bulgare. Des Bulgares vivent dans ce pays! »

8° — Après promulgation du Hatti-Chérif et surtout


la
du Hatti-Houmaïoum, en 1856, par lequel le gouvernement
turc proclama l'égalité de race, surgirent en Macédoine
maintes corporations d'artisans et nombre de salles de lec-
— 243 —
ture, avec désignation de leur nationalité. Tandis que le
mot de « bulgare » figurait sur leurs sceaux et enseignes,
celui de serbe p. ex. ne s'y rencontrait jamais. Ainsi:
« Corporation des tailleurs bulgares » à Salonique (1817),
« Corporation des tailleurs bulgares » à Prilep (1867),
« Corporation des boulangers bulgares » à Monastir (1867),

« Salle de lecture bulgare », à Vodéna (1870), « Salle de

lecture bulgare » à Vélès (1870), etc.

9° —
Le caractère bulgare de la population slave en
Macédoine a été, à maintes reprises, consacré par la science.
A ce sujet, voir le chapitre suivant.

10° — La majorité depopulation de la Macédoine


la
a été consacrée bulgare en vertu des actes officiels et des
décisions diplomatiques et internationales. Voici les prin-
cipaux de ces documents: 1° Le projet de fédération de
1867 entre la Serbie et la Bulgarie, dans lequel on lit que
la Bulgarie comprend les Bulgares, habitant la Bulgarie,
la Thrace et la Macédoine. — 2° Le firman impérial de
1870, instituant une Eglise nationale bulgare. Sous l'auto-
rité de cette Eglise entraient directement (art. 10) les dio-
cèses macédoniens de Vélès et de Chtip-Kustendil; pour
les autres diocèses, on prévoyait (art. 10, alinéa 1) le plé-
biscite. Le plébiscite de 1872 fit entrer dans le giron de
l'Eglise bulgare les diocèses de Scopié et d'Okhrida, et
ainsi de suite. —
3° Les décisions des Grandes Puissances
à la Conférence de Constantinople, en 1876 1877, selon —
lesquelles toute la Macédoine, excepté la région de Salo-
nique, devenait partie intégrante de l'Etat de Bulgarie. —
4° Le traité de San-Stéfano, de 1878, qui faisait entrer
dans de la Bulgarie presque toute la Macédoine
les limites
géographique, excepté la ville de Salonique, la presqu'île
Chalcidique. —
5° L'action entreprise par les Grandes
Puissances, en vue des réformes à introduire en Macédoine.
— 6° Le traité serbo-bulgare de 1912, qui consacrait le
caractère bulgare de la Macédoine. — 7° La note remise
— 244 —
au gouvernement bulgare le 29 mai 1915, par les Puissances

de l'Entente France, l'Angleterre, la Russie et l'Italie),


(la
note d'après laquelle toute la Macédoine centrale avec
Monastir, Okhrida, Vélès, la Macédoine orientale avec Ca-
valla sont concédées à la Bulgarie. Pour plus de détails
sur les actes, voir « Les Bulgares devant le Congrès de la

paix». 2 e éd. 1919, passim, de J.Ivanoff.


VIII.

La question macédonienne devant


la science.

Parmi les éléments d'ordre politique, économique et


ethnographique qui constituent le problème macédonien,
la place la plus importante doit être assignée à l'élément
relatif à la nationalité des Slaves macédoniens qui forment
la majorité de la population du pays. Et comme les points
de vue des peuples balkaniques intéressés ne sont pas tou-
jours d'accord sur la question, on doit avoir recours à
l'avis des savants et des spécialistes les plus éminents de
l'étranger qui ont élevé leur voix en faveur de la vérité,
d'autant plus que leur opinion est unanime et désintéressée.
Les hommes d'Etat et les hommes politiques qui sont
appelés à régler de la Macédoine n'ont qu'à suivre
le sort

les suggestions de ces spécialistes, s'ils veulent obtenir la


pacification longtemps attendue des pays balkaniques.
Dans la revue des décisions de la science, émises sur
la question qui nous occupe, nous avons omis intentionnel-
lement toute citation de source balkanique, surtout bul-
gare. Néanmoins, nous nous sommes servi des assertions
des savants serbes provenant de l'époque antérieure au
conflit macédonien.
L'exposé des appréciations suit l'ordre chronologique.

1. — Vouk Karadjitch, Serbe, le plus grand ethno-


graphe de son peuple et le créateur de la langue littéraire
et de l'orthographe serbes modernes.
— 246 —
Il estimait que la Macédoine est une terre bulgare
et que ethnographique et linguistique serbe
le territoire
haute montagne Char-Planina. Dans le brouil-
s'arrête à la
lon de Karadjitch du 17/29 août 1836 on lit: «Limites
extrêmes de la Serbie au sud: la plaine de Kossovo, la
Métochie avec Prizrend, Ipek. etc. » (La Correspondance
de Vouk. Belgrade, 1907—1912, vol. III, p. 577.) Kratovo,
ville de la Macédoine septentrionale, est considérée par
lui comme ville bulgare (Correspondance de Vouk. I,

p. 348).
Karadjitch est le premier qui, en 1815 et 1822, publie
des chansons populaires de la Macédoine, chansons qu'il
a « chansons
intitulés bulgares », notamment dans son
recueil de chansons « Pesnaritsa » de 1815 et dans le sup-
plément aux dictionnaires comparés de St-Pétersbourg,
1822. C'est toujours lui, le premier, qui dans son « Supplé-
ment » a publié des notes sur la grammaire bulgare et des
textes en langue bulgare. Cette première contribution
scientifique du « Grand » Serbe, sur la langue bulgare a
été basée sur le dialecte macédonien.
En 1859, Karadjitch écrivait à Naïden Ghéroff, vice-
consul de Russie à Philippopoli une lettre pour lui demander
quelques renseignements aux terres bulgares alors
relatifs
sous la domination turque. La Macédoine entre autres
y était comprise, comme on peut en juger par la missive
suivante :

«Vienne, le 16/28 mars 1859.

Très honoré Monsieur,


En me référant à la courte entrevue que nous avons
eue ici et à votre zèle patriotique, je prends la liberté
de vous déranger par cette lettre et la prière qui en fait
l'objet.
liste de noms de plusieurs
Je vous envoie ci-inclus une
bourgs, villes et en Bulgarie, Macédoine,
cours d'eau
Roumélie, ainsi que dans l'Archipel et vous prie:
— 247 —
1° de rectifier les noms qui y figurent s'ils sont faux
ou si le peuple chez vous les désigne autrement;
2° de m'indiquer, pour chacune de ces localités, le
nombre des maisons turques, bulgares, grecques ou va-
laques, le nombre des mosquées turques, des églises,
prêtres, écoles et instituteurs ....
Je sais que cela est très difficile, mais j'espère que vous
vous y prêterez avec plaisir, surtout si je vous dis que ces
données me sont indispensables pour un ouvrage sur les
Serbes et les Bulgares que je suis en train d'écrire ....
Je suis respectueusement votre
Vouk Steph. Karadjitch.

Villes en Bulgarie:
Artchar-Palanka, Lom-Palanka, Drénovets,
Vidin,
Metkovets, Tchiprovets, Pirot, Berkovitsa, Nich, Rahovo,
Vratsa, Sopot, Nikopol, Svichtov, Pleven, Lovetch, Sév-
liévo, Rousse, Tirnovo, Osman-Pazar, Toutrakan, Silistra,
Razgrad, Djoumaïa, Choumen, Rassovo, Kutchouk-
Kaïnardji, Kustendja (Constantsa), Mangalia, Pazardjik,
Raltchik, Provat, Varna, Vrania, Katchanik, Babadagh,
Hirsovo, Kozloudja, Djoumaïa, Tikvech, Tétéven, Dria-
novo, Radomir, Kaménopolé, Bélogradchik, Koumanovo 1 ),
Scopié, Sofia, Doupnitsa, Kratovo, Etropol, Zlatitsa, Sa-
mokov, Tatar-Pazardjik, Grabovo, Kalofer, Plovdiv, Ka-
zanlyk, Klissoura, Yambol, Sliven, Zagar ou Zagra, Kotel,
Karnavad, Aïtos, Missivria, Bourgas, Chtip, Vélès, Kava-
dartsi, Prilep, Radovitch, Stroumitsa, Petritch, Doliani,
Nevrokop, Melnik, Souchitsa, Stanimaka, Ouzoundjovo,
Issaktcha, Matchine, Toultcha, Ikhtiman, Novi-Han, Trn,
Béla-Palanka, Djezaïr, Tchirpan, Sozopoli, Enidjéli, An-
hialo.
Cours d'eau en Bulgarie:
Lom, Ogoust, Isker, Vit, Rossitsa, Drista, Taban,
lac Devno, Kamtchik, Sitnitsa, Lépènitsa, Vardar, Strouma,

l
) Les noms en italique sont en Macédoine.
— 248 —
Strema, Maritsa, Toundja, Tcherna-Réka, Brégalnitsa,
M esta, Téka, Stroumitsa.

Villes en Macédoine, en Roumélie et dans l'Archipel:


Vlaho-Klissoura, Salonique, Serrés, Drama, Orfano,
Oladjik, Yénidjé, Gumuldjina, l'île de Thasos,
Cavalla,
Tchirmen, Orta-Keuy, Dimotika, Makri, Troïanopol,
Féredjik, Hass-Keuy, Enos, Drenopol ou Edréné (Andri-
nople), Kirk-Klissé, Eski-Baba, Ouzoun-Kupri, Hieropol,
Ypsala, Aïnadjik, Malgara, Kéchan, Ahtopol, Sergan,
Midia, Viza, Sérail, Tchatal, Ormanli, Gallipoli, Silivria,
Erekli, Rodosto, Kilia, Tsarigrad (Constantinople), Scutari.

Cours d'eau en Macédoine, en Roumélie et dans l'Archipel:


Matnitsa, Anghista, Arda, Régina, Tchorlou, Bélo-
Moré (Archipel)» 1).

2. — Le professeur Victor Iv. Grigorovitch, un des


fondateurs de la slavistique en Russie, après son voyage
dans les Balkans en 1844 et 1845, a publié en 1848 son
« Aperçu d'un voyage en Turquie d'Europe ». C'est « un
livre classique, dit un slaviste russe contemporain, d'où
émane l'amour le plus profond et le plus intense pour les
Slaves et leur culture ». Grigorovitch, cette grande auto-
ritédans le domaine des études slaves, reconnaît que les
Slaves macédoniens sont des Bulgares par leur langue,
leur passé et leurs aspirations. Voici quelques extraits
de cet ouvrage, tirés de la 2 e édition, de Moscou 1877.
« Etant donnée l'impossibilité de parcourir le vaste

champ de la langue bulgare dans toute son étendue, j'ai


cherché à visiter au moins les endroits où je croyais pou-
voir trouver des particularités de dialectes. Au fond,
mon plan de voyage était dominé par une idée recueillir :

des renseignements dans des régions où la situation géo-

*) Archives de Naïden Ghéroff. Publiées par l'Académie des Sciences


bulgare, 1911, vol. I, p. 739.
— 249 —
graphique faisait prévoir des différences de dialectes. C'est
pour cela que j'ai atteint les frontières de l'Albanie, pé-
nétré dans les forêts du Dospat, parcouru les plaines de
la Thrace et visité deux fois la Bulgarie danubienne En. . .

général, les Bulgares connaissent le turc ou le grec et cette


circonstance empêche de déterminer, dès le premier entre-
tien, quelle est leur langue maternelle. Ce n'est que dans
leur vie domestique, en présence des femmes, qui sont,
comme on le sait, très soumises, qu'il m'a été permis d'ap-
précier la richesse de leur langue et des formes employées.
En Macédoine, surtout, le Bulgare ne cherche pas dans les
entretiens au dehors à faire un choix de mots quelquefois ;

il emploie un langage qui est un mélange des trois langues

(le bulgare, le turc et le grec). Mais, dès qu'il est, dans

sa famille, il se sent à l'aise, sa langue se délie, son parler


devient plus pur et atteint la précision classique En. . .

ce qui concerne les dialectes, les Bulgares mêmes n'en ont


pas encore des notions précises. Ils en jugent plutôt par
le lexique; c'est pourquoi, en Macédoine par exemple, les
habitants, surtout ceux des villes, distinguent plusieurs
dialectes. Ainsi, on cite ceux de Vodéna, de Prilep, de
Vélès, le dialecte des Chopos. Cependant, tous ces idiomes,
étudiés de plus près, n'en font qu'un seul. On en peut
dire autant des autres régions où l'on parle le bulgare . . .

Je suis d'avis que la langue bulgare comprise dans toute


son acception peut être divisée en deux sections ... La
première, que j'appellerai occidentale, embrasse toute la
Macédoine jusqu'aux Rhodopes; puis, en suivant cette
chaîne de montagnes vers le nord, elle englobe une partie
de la Bulgarie danubienne, jusqu'à Vidin. La section
orientale comprend le pays à l'est des Rhodopes, au nord
et au sud du Balkan » (p. 162 et suiv.).
«De Salonique à Enidjé-Vardar, sont situés les vil-
lages ... Ils sont habités principalement par des Bulgares
qui se rencontrent déjà aux portes de Salonique, du côté
de l'ouest . . . Vodéna (anciennement Edessa) a une po-
— 250 —
pulation mixte, cependant bulgare en majorité. J'y ai
visiténeuf églises et l'école nouvellement ouverte, fré-
quentée seulement par des enfants bulgares, fait digne d'être
signalé .Ostrovo, village remarquable sur un lac de
. .

montagne, a une population moitié bulgare, moitié turque...


Bytolia (Monastir), avec une forte garnison, logée dans des
casernes construites par les Bulgares, a une population
de Bulgares, de Valaques et de Turcs. On m'a raconté,
ce que j'ai moi-même remarqué, que les Bulgares forment
la majorité ... La d'Okhrida est actuellement peuplée
ville
de Bulgares, de Valaques et de Turcs et en partie aussi
de Grecs et d'Albanais. Les premiers sont les plus nom-
breux. Les Bulgares d'Okhrida se distinguent par leur
instruction et par la vivacité de leur caractère ... A
Strouga, il y a une église dédiée à St- Georges où se trouvent
quelques manuscrits et de vieux livres slaves imprimés.
Près de l'église, il y a une école grecque. Les habitants
de la ville sont Bulgares et Albanais, mahométans et
chrétiens ... La ville de Ressen est peuplée de Bulgares . . .

Les habitants de Serrés sont des Turcs, des Bulgares, des


Valaques et des Grecs. Les deux derniers éléments sur-
passent considérablement l'élément bulgare ... A Démir-
Hissar (Valovichta) j'ai visité le varoch, c'est-à-dire la
partie supérieure (élevée) de la ville, peuplée de Bulgares »
(p. 91, 93, 96, 101—104, 107, 114, 121, 123).

3. —A. Hilf erding, autre slaviste russe éminent,


voyagea en Serbie, Bosnie, Herzégovine, en 1856 et 1857,
et pénétra en Macédoine. Il estime que le mont Char

sépare la Bulgarie de la Serbie et que les Bulgares ont passé


même au nord de cette limite. « Prizrend », dit-il, « est
situé encore en pays serbe, mais à son extrémité même,
au pied de l'énorme crête (le mont Char) qui a arrêté le
mouvement de la race serbe vers le sud. Cette crête sert
de limite entre elle et la race bulgare, laquelle a contourné
cette crête du côté sud-est, et a occupé la Macédoine et
— 251 —
la partie orientale de l'Albanie ... On y compte (à Priz-
rend) environ 3000 maisons mahométanes, 900 maisons
orthodoxes et 100 maisons catholiques abritant environ
12,000 habitants mâles. La majorité des musulmans et
la totalité des catholiques sont des albanais; les Serbes
forment majorité des orthodoxes, mais on compte aussi
la
bon nombre de Valaques-Tsintsares, des Bulgares et des
Grecs. La langue des Serbes de Prizrend se rapproche déjà
sensiblement du dialecte bulgare ... Il serait instructif
d'étudier cette fusion du serbe avec le macédo-bulgare de
la population habitant les vallées du Char et le district

de Tétovo ou Polog » (Oeuvres complètes. Vol. III.


Pétrograde 1873, pages 141—142).

4. — G. von Hahn, consul autrichien à Joannina


J.
et à Syra, connu par ses savantes publications sur la langue
et les légendes populaires des Grecs et des Albanais ainsi
que par ses voyages scientifiques à travers la péninsule
balkanique et surtout à travers la Macédoine.
Ses investigations sur l'ethnographie de la Macédoine
ont une importance capitale. Dans son premier voyage
en automne 1858 (Reise von Belgrad nach Salonik. Wien
1861) il était accompagné de Fr. Zach, de nationalité
tchèque, chef de l'Ecole d'artillerie de Belgrade. Grâce
à la collaboration de son compagnon officiel serbe, Hahn
a pu dresser sa carte ethnographique d'une manière plus
satisfaisante, les deux voyageurs s'entr'aidant par la
connaissance des langues de la péninsule. Les hommes
savants et politiques serbes s'intéressaient beaucoup aux
résultats de cette mission. Le grand ethnographe serbe,
Vouk Karadjitch, en fut averti tout de suite. En date
du 7 janvier 1859, Yovan Gavrilovitch écrivait de Bel-
grade à Karadjitch, entre autres « M. Fr. Zach, directeur
:

de l'Ecole d'artillerie de notre ville, a voyagé avec M. Hahn


de Belgrade jusqu'à Salonique et vient de rentrer ces
jours-ci de son voyage. Je suis allé le voir aujourd'hui et
— 252 —
lui ai demandé a noté au cours de son voyage les loca-
s'il

litées habitées par les Serbes, les Bulgares et les Albanais


dans ces régions. Il m'a répondu que non seulement il
avait noté, mais à ma très grande joie il m'a montré une
carte où il a marqué tout ce que nous désirons connaître »
(Correspondance de Vouk. Vol. III, p. 420).
Cette carte, qui ne répondait pas aux espoirs des
Serbes, n'a pas été admise dans la littérature serbe. Elle
a paru cependant dans l'ouvrage précité de Hahn, sur deux
grandes feuilles, sous les titres suivants 1° « Croquis de:

la région occidentale de la Morava bulgare, par J. G. von


Hahn et Fr. Zach« Croquis du bassin occidental du
»; 2°
Vardar supérieur, par J. G. von Hahn ». Sur ces cartes,
chaque nom de village est suivi des signes de convention
pour désigner la nationalité des habitants a = albanaise, :

b = bulgare, s = serbe.
Eh bien, d'après ces cartes, la frontière ethnographique
serbo-bulgare longe la rivière la Morava bulgare et va
jusqu'à la ville de Prizrend. Au sud-est de cette ligne
habitent les Bulgares, au nord-ouest les Serbes et les Al-
banais. La population à Kourchoumly, Prokouplié, entre
Prokouplié et Nich est serbe (Reise von Belgrad nach Salo-
nik, pages 22, 136, 137), tandis que Kourvin-Grad, Les-
kovets, Vrania sont peuplés de Bulgares (Ibidem, 28, 45, 144,
145, etc.). Ghilani, sur la haute Morava bulgare a une
population mixte, des Albanais et un peu de Bulgares. Au
nord du mont Char, la population est serbe et albanaise,
sauf à Prizrend où l'auteur signale des Bulgares.
En ce qui concerne l'intérieur de la Macédoine, Hahn
et Zach reconnaissent que sa population slave est bulgare
de langue et de nationalité. Hahn est arrivé aux mêmes
résultats après le second de ses voyages en 1863, accompli
sur l'invitation de l'Académie Impériale des Sciences à
Vienne et décrit dans le « Reise durch die Gebiete des Drin
und Wardar unternommen im Jahr 1863 » (paru en 1867
dans les Mémoires de la même Académie).
— 253 —
Nous au
laissons de côté les passages se rapportant
centre macédonien bulgare et mentionnerons seulement
les notes de l'auteur relatives à la périphérie de la Macé-
doine:
Koumanovo. Ville de 650 maisons, dont 300 maho-
«

métanes et 350 chrétiennes, bulgares; il y a en outre 30


hameaux tsiganes, de sorte que la population se monte
approximativement à 3500 habitants » (Reise von Belgrad
nach Salonik, page 56). Des 134 villages du district de
Koumanovo, 90 sont bulgares.
« Florina ... Le nombre de maisons (3000) qu'on
nous a indiqué pour Florina est peut-être exagéré. Les
Albanais mahométans et les Turcs forment la moitié de
la population, et l'autre moitié est représentée par les
Bulgares chrétiens » (Ibidem, p. 120).
« Okhrida ... Le quartier appelé Varoch est habité
principalement par des Bulgares chrétiens qui se consi-
dèrent comme des véritables citadins et forment une com-
munauté à part » (Reise durch die Gebiete des Drin und
Wardar, p. 113).
«Strouga est situé sur les deux bords de la rivière
Drin à la sortie du lac. La rivière le partage en deux. La
moitié bulgare chrétienne compte 361 maisons et occupe
lecôté occidental, tandis que la moitié orientale compte 220
maisons mahométanes et 30 chrétiennes » (Ibidem, p. 99).
« Ressert a 600 —
700 maisons dont 150 mahométanes,
60 tsiganes (10 chrétiennes), 100 koutsovalaques chré-
tiennes et le reste (300 à 400) bulgares chrétiennes . . .

Dans de la Haute-Prespa, on parle seulement


les villages
le bulgare et dans ceux de la Basse-Prespa l'albanais » —
(Ibidem, p. 139).
« Ghevghéli . . . Là, il y a une école lankastrienne dans
laquelle, dit-on, l'enseignement est donné en grec par un
maître d'école grec. Les environs cependant sont tout-
à-fait bulgares et même dans la ville, la langue des familles
est le bulgare » (Ibidem, p. 179).
— 254 —
« Prizrend, d'après le recensement officiel, a 11,540
maisons, dont 8400 mahométanes, 3000 orthodoxes et
150 catholiques. Le total de sa population serait de 46,000,
dont 36,000 mahométans, 8000 orthodoxes (Bulgares et
Koutso-Valaques) et 2000 catholiques» (Ibidem, p. 79).

5. Stéphan Verkovitch, Serbe. Subsidépar legouverne-


ment il fut chargé d'une mission scientifique en
serbe,
Macédoine, y passa quelques dizaines d'années pour acheter
des manuscrits et des antiquités pour le Musée serbe* En
1863 il fut élu membre de la « Société savante serbe », et
plus tard fut reçu à l'Académie Royale des sciences à Belgrade.
Outre quelques études archéologiques et historiques,
Verkovitch publia en 1860 un recueil de « Chansons popu-
laires des Bulgares macédoniens. Livre 1 er chansons de
,

femmes. Belgrade ». Ce recueil, fruit de dix ans de séjour


et de recherches en Macédoine, a été dédié à la princesse
serbe Julie Obrénovitch et imprimé dans l'imprimerie
de l'Etat serbe. Dans une longue préface, l'auteur énumère
les régions sud-macédoniennes peuplées de Bulgares, tels
les districts de Castoria, Vodéna, Enidjé-Vardar, Négouch
(Niausta), Koukouch, Doïran, etc. Le cours de la rivière
Bystritsa forme la ligne de partage des éléments grecs
et bulgares; puis, de Salonique cette ligne passe par les
villes de Koukouch, Doïran, Démir-Hissar, Serrés, Drama
pour aboutir à la basse Mesta qui sépare la Macédoine
de la Thrace (p. II à VIII de la préface).
En 1868, Verkovitch publia à Moscou son ouvrage
«Description de la vie des Bulgares macédoniens» conte-
nant de précieuses notes ethnographiques sur le terri-
toire de la Macédoine peuplé de Bulgares, notamment
de Char-Planina à Salonique, du lac d'Okhrida à la Mesta,
avec les villes de Scopié, Chtip, Kustendil, Vélès, Monastir,
Prilep, Okhrida, Castoria, Vodena, etc.
Dans son dernier ouvrage « Esquisse topographique
:

et ethnographique de la Macédoine », paru à Pétrograde


— 255 —
en 1889, Verkovitch pose comme frontière ethnique entre
Serbes et Bulgares la haute Char-Planina (p. 43). Il y
donne la statistique de la population macédonienne que
nous avons reproduite.

6. —Stoïan Novakovitch, président de l'Académie


Royale des sciences serbe, le savant le plus éminent parmi
les Serbes des temps modernes.
Le précurseur des prétentions serbes sur la Macédoine
fut Miloch Miloévitch. En 1872, il présenta à la « Société
savante des Serbes », plus tard «Académie Royale des
Sciences », son recueil de chansons populaires serbes de
la « Vraie Serbie » (y compris le Kossovo, la Macédoine,
etc.), la plupart composées par l'auteur. Miloévitch trouve
des Serbes partout, dans les Indes, en Asie Mineure, en
Afrique; les Romains et les Hellènes en venant en Europe,
s'installent sur des « terres serbes », etc. La commission
(S. Novakovitch et M. Kouyoundjitch) chargée d'examiner
le recueil, présenta son rapport dans la séance de la Société,
le 1 er février 1873: le recueil fut rejeté.
A
propos des prétentions de Miloévitch sur la Macé-
doine comme terre serbe, nous lisons dans le rapport de
la commission ce qui suit: «D'après les données ethno-
graphiques de ces chansons populaires, c'est à peine s'il
y aurait des Bulgares dans la péninsule des Balkans . . .

L'auteur manque tout-à-fait de sentiment de fraternité


et de tact envers nos voisins à l'est (les Bulgares). C'est
par une telle mentalité et une politique d'accaparement
que nous fûmes livrés au moyenâge à la servitude des
Turcs. De nos jours, de nouveau, nous risquons de nous
exposer aux calamités d'autrefois si par notre conduite à
l'égard des Bulgares, nous imitons les procédés de M. Mi-
loévitch » (Glasnik XXXVIII, p. 346, 347).

7. — A. Dozon, Français, correspondant de l'Institut,


fit sa carrière consulaire à Philippopoli, à Salonique, à Mos-
tar (Herzégovine). Il se fit connaître par sa connaissance
— 256 —
des langues balkaniques et par ses travaux sur la poésie
populaire des Serbes, des Bulgares, des Albanais, etc. Do-
zon fut chargé par le gouvernement français d'une mis-
sion scientifique concernant le folklore bulgare. Voilà ce
qu'il a dit de la langue bulgare: « Cette langue est aujour-
d'hui dominante non seulement dans la Bulgarie, mais
dans la plus grande partie de la Thrace et de la Macédoine,
et elle a dû assez longtemps régner en Albanie et en Epire,
comme en témoignent de nombreuses dénominations géo-
graphiques et autres, dont une partie cependant doit être
rapportée à la domination serbe, qui précéda de peu celle
des Turcs. Ses limites occidentales sont le district de Bitol
ou Monastir, le lac d'Okhrida et la région des Dibras,
qu'elle dispute à l'albanais. Elle se divise en un grand
nombre de dialectes, qu'on peut ramener à trois types:
les orientaux ou de la Bulgarie et de la Thrace, les occi-
dentaux ou de la Macédoine méridionale et ceux de la
Macédoine du nord et de la vieille Serbie, qui se rapprochent
du serbe par certaines formes grammaticales. Les dia-
lectes occidentaux ou du sud-est de la Macédoine, diffèrent
beaucoup des autres, notamment en ce qui concerne la
prononciation et les élisions, dont l'abus semble trahir une
influence étrangère » (Chansons populaires bulgares. Paris
1875, p. XII).

8. — Louis Léger, membre de l'Institut, professeur


au Collège de France, par ses multiples et érudits travaux
sur les Slaves et ses voyages dans les Balkans, est peut-être
le Français le mieux qualifié pour dire la vérité sur la ré-
partition ethnique des Slaves du sud. Nous citons les
extraits suivants de ses ouvrages:
En parlant du paléoslave, un dialecte macédonien:
« Cet idiome n'est point, comme on pourrait le croire, une

langue-mère d'où dérivent les idiomes slaves modernes,


c'est simplement une sœur aînée, c'est l'ancienne langue
des Slaves bulgares, dans laquelle l'apôtre Cyrille (de Salo-
— 257 —
nique) traduisit les Ecritures au neuvième siècle » (Cyrille
et Méthode. Paris 1868).
« Au point de vue politique, on désigne sous le nom

de Bulgarie: 1° La principauté établie par le traité de


Berlin entre le Danube et les Balkans, avec Sofia pour capi-
tale; 2° le groupe formé par cette principauté et la province
autonome de Roumélie orientale, réunies à la suite de la
révolution qui s'est accomplie en septembre 1885 à Phi-
lippopoli. C'est de ce groupe que nous allons nous occuper
ici; mais il est bon de faire remarquer qu'il ne comprend

pas encore tout l'ensemble des Bulgares. Il laisse en dehors


les Bulgares de la Macédoine et de la Roumélie occidentale

destinés vraisembablement à être réunis quelque jour à


leurs frères affranchis, ceux de la Dobroudja, abandonnée
à la Roumanie par le traité de Berlin, ceux des départe-
ments de Pirot, Nich et Vrania, que le traité de Berlin
a donnés à la Serbie » (Grande Encyclopédie, t. VIII,
p. 400).
« L'intégrité de la Bulgarie comporte certains débou-
chés sur la mer Egée et la possession de la Macédoine,
pays essentiellement bulgare » (Brochure sur « Les luttes
séculaires des Germains et des Slaves ». Paris 1916,
p. 22 à 23).
« Privée de la Bosnie et de l'Herzégovine, la Serbie

étouffait dans ses frontières. On lui persuada qu'elle avait


ailleurs des frères à délivrer, que la plus grande partie de
la Macédoine était serbe —
alors qu'elle est en réalité bul-
gare — et on sema de nouveau des germes de discorde
entre les deux nations » (Ibidem, p. 35).
« Je reviens aux Bulgares. Ils ont pris rang parmi

nos ennemis et nous n'avons aucune raison d'avoir pour


eux une tendresse particulière. Mais le devoir des savants
est avant tout de rechercher et de proclamer la vérité.
La Macédoine, malgré les affirmations contraires des
Grecs et des Serbes, est à peu près entièrement peuplée de
Bulgares. Les prétentions des Grecs et des Serbes ne
17
— 258 —
sauraient prévaloir contre les constatations précises des
ethnographes indépendants tels que Lejean, Kiepert, Rit-
tich, Grigorovitch, Hilferding, Mackenzie. En réalité, le
mont Char (Char Dagh) indique la limite des nationalités
bulgare et serbe. Les Slaves macédoniens se considèrent
comme Bulgares et parlent un dialecte bulgare.
Ce n'est qu'après le traité de Berlin, lorsque la Serbie
s'est vu définitivement enlever la Bosnie et l'Herzégovine,
que certains de ses hommes d'Etat ont eu l'idée de chercher
une compensation du côté de la Macédoine et de supposer
des Serbes dans les pays peuplés de Bulgares » (Le pan-
slavisme et l'intérêt français. Paris 1917, p. 12).

9. — Constantin Jirecek, de nationalité tchèque,


professeur à l'Université de Vienne, est le connaisseur le

plus autorisé des Balkans.Il se rendit célèbre surtout par

ses: «Histoire Bulgares» (1876) et «Histoire des


des
Serbes » (1911 —
1918). Sur les limites de l'élément bul-
gare en Macédoine il se prononce comme suit:
« Les Bulgares se sont établis dans les anciennes pro-
vinces de Mésie, de Thrace et de Macédoine (d'après la
nouvelle nomenclature turque, ces provinces s'appellent
vilayets du Danube, d'Andrinople, de Salonique
et de
Monastir) en outre, dans une partie de la Bessarabie.
et.

Les Bulgares occupent ainsi un territoire d'environ 4000


milles carrés.
« La ligne de démarcation limitant le territoire où l'on
parle bulgare est formée par le cours inférieur du Danube,
de son embouchure jusqu'à Vidin; elle se dirige ensuite
sur le Timok, atteint la frontière de la Serbie qu'elle dé-

passe rarement, puis elle tourne vers Prokouplié et To-


plitsa. En longeant les hauteurs, sur la rive gauche de
la vallée de Morava, elle contourne la ville de Vrania,
gagne la Tcherna-Gora, se prolonge sur le Char, englobe
le Haut-Dèbre et aboutit à la rive occidentale du lac
d'Okhrida, au village de Line. Le pays situé au sud de ce
— 259 —
lac et de celui de Prespa,comprenant la plaine de Kortcha
et la vallée de Dévol, a une population mixte d'Albanais,
de Bulgares et de Valaques. Plus loin, la ligne de démar-
cation passe du Dévol par le lac de Castoria, les villes de
Vlaho-Clissoura, Niausta, en englobant les
Salonique,
environs de Drama, et près des pentes sud du Rhodope »
(Histoire des Bulgares. Edition russe d'Odessa, 1878, p. 743).
Quant aux Serbes, il place leurs habitations hors
de la Macédoine, entre Monténégro et la Morava « Parmi
le :

les tribus slaves qui s'établirent dans les Balkans, les


Serbes proprement dits se sont installés à l'origine dans
l'intérieur du pays, habitant un peu loin du Danube et de
la mer, dans les vallées du Lim, de l'Ibar et de la Morava
occidentale» (Geschichte der Serben. Gotha 1911, vol. I,
p. 9).

10. — Léon Lamouche, écrivain français contempo-


rain, connu par ses ouvrages sur les Balkans, prit part
à l'action réformatrice que les grandes puissances avaient
entreprise dans la Turquie d'Europe. Sa connaissance des
langues balkaniques et son long séjour en Macédoine lui
ont permis d'approfondir les causes de la querelle des races
de l'Orient européen.
Voici quelques appréciations glanées dans ses ouvrages :

« Le groupe de la population bulgare le plus important,

en dehors des limites de la Principauté est celui de la Macé-


doine, au sujet duquel les appréciations varient de un à
deux millions et pour lequel on peut accepter un chiffre
moyen de 1,500,000 âmes » (La Bulgarie dans le passé
et le présent. Paris 1892, p. 140).
« En Macédoine donc, la campagne intérieure est
exclusivement peuplée de Bulgares; mais ceux-ci, sauf dans
de Salonique, où ils sont du reste très peu nombreux,
la ville
n'atteignent jamais le bord de la mer. La limite méridio-
nale de leur race passe à Vodéna, Salonique, Sérès, Drama,
puis remonte vers le Rhodope » (p. 144).
— 260 —
« En Macédoine, la nationalité des Slaves qui forment

la grande majorité de la population, a été, particulièrement


depuis 1878, l'objet de discussions passionnées entre les
Serbes et les Bulgares qui revendiquent, chacun pour sa
race, la totalité de ces Slaves macédoniens.
« Jusqu'en 1878, on peut dire que le caractère bulgare

des Macédoniens ne faisait de doute pour aucun de ceux


qui avaient étudié cette question. Des voyageurs d'ori-
gines diverses, français, allemands, autrichiens, anglais,
tels que Lejean, Hahn, Ami-Boué, Kanitz, l'historien
tchèque Jirecek, etc., sont d'accord sur ce point. Les
Macédoniens eux-mêmes ont, depuis longtemps, cons-
cience de leur communauté de race avec les habitants de
la Bulgarie; lors des luttes religieuses entre Grecs et Bul-
gares, les habitants d'Uskup, de Prilep, de Monastir, furent
les plus ardents à défendre les intérêts bulgares. Aussi»
bulgare de la Macédoine était-elle alors con-
la nationalité
sidérée comme de notoriété publique. Dans le projet de
réorganisation de la Turquie d'Europe, élaboré en 1876
par la conférence desambassadeurs à Constantinople, la
Macédoine est rattachée à un vilayet ayant pour chef-lieu
Sofia; le traité de San-Stéfano la fait entrer presque tout
entière dans les limites de la principauté de Bulgarie, de
cette Grande-Bulgarie coupée plus tard en trois tronçons
par le Congrès de Berlin
« Les autorités turques, du reste, reconnaissent égale-
ment que les habitants des vilayets de Salonique, de Monastir
et du sandjak d'Uskup sont en majorité bulgares. J'ai pu
interroger à ce sujet des fonctionnaires de plusieurs villes
de Macédoine et leurs réponses ont été identiques » (La
Péninsule balkanique. Paris 1899, p. 21—22).
... « Pendant ce temps, on étudiait le tracé des fron-
tières. Là avançait lentement, car les dif-
aussi, le travail
ficultés étaient nombreuses. L'ensemble du tracé avait
été, dès l'origine, divisé en deux sections destinées à être
étudiées séparément. La première section dite du nord
— 261 —
et du nord-est, partant de la mer Adriatique dans la région
de Scutari et aboutissant au lac d'Okhrida, intéressait
lesEtats slaves, le Monténégro, la Serbie et, dans une cer-
taine mesure, la Bulgarie, à laquelle pouvaient revenir les
pays essentiellement bulgares de Dibra, Strouga et Okhrida.
La section sud qui s'étendait du lac d'Okhrida à l'Adria-
tique, vis-à-vis de Corfou, touchait surtout aux intérêts
grecs » — (« La naissance de l'Etat albanais » — Revue
politique et parlementaire, numéro du 10 mai 1914, p. 221).
Il publia dans le « Journal de Genève » du 17 octobre

1913 un article sur les événements politiques de 1913, en


Orient européen. Nous en extrayons les passages suivants:
« Il quiconque connaît tant soit peu
est impossible à
la situation ethnographique, culturelle et politique de la
partie occidentale de la Péninsule balkanique de penser
que l'Etat de choses établi par le traité de Bucarest
puisse être définitif ou même seulement de longue durée.
On ne peut imaginer défi plus complet à la logique et à
l'équité. Il est un fait primordial reconnu par tous les

témoins désintéressés, par les fonctionnaires turcs comme


par les consuls européens ou les officiers italiens, russes,
français, etc., qui ont travaillé depuis 1904 à réorganiser
la gendarmerie de cette région, c'est que, malgré sa bigar-
rure ethnographique, la Macédoine est, au fond, un pays
bulgare . . .

« Non seulement la majorité des Macédoniens est bul-

gare par la langue et les moeurs, mais la conscience nationale,


à laquelle les Grecs attachent tant d'importance quand
il s'agit d'étayer les revendications helléniques, est plus

développée peut-être chez eux que dans aucune autre


fraction des populations balkaniques. On peut dire que
depuis plus de cinquante ans, les Macédoniens n'ont pas
cessé de combattre pour l'idée bulgare, d'abord contre
le clergé grec pour l'autonomie de leur Eglise et de leurs
écoles, puis contre les Turcs pour l'autonomie politique
de la Macédoine.
— 262 —
« Quoique les organisations révolutionnaires aient pris

pour devise la Macédoine aux Macédoniens et que certains


de leurs chefs fussent ouvertement hostiles à toute idée
annexionniste, leur mouvement n'en était pas moins nette-
ment bulgare. On connaît l'importance de l'immigration
macédonienne en Bulgarie et la place prise dans la vie
politique et intellectuelle du royaume par les Macédoniens.
La solidarité bulgaro-macédonienne s'est encore affirmée
pendant la dernière guerre par la formation de bataillons
de volontaires macédoniens, d'un effet total de 15,000
hommes, les uns déjà fixés en Bulgarie, les autres venus
tout exprès pour combattre sous les drapeaux bulgares.
Rien de semblable n'existe à l'égard de la Grèce ou de
la Serbie ».

11. — Arthur John Evans. Au nombre des Anglais


qui ont parcouru la péninsule balkanique de long en large
et ont fait paraître des ouvrages sur le passé et le présent
des peuples balkaniques, il convient de placer au premier

rang savant Arthur John Evans, un des connaisseurs


le

les plus experts des Balkans, qui s'est illustré par ses « An-
tiquarian Researches in Illyricum », « Illyrian Letters »,
« Through Bosnia and the Herzégovine », etc. Il voyagea

en 1889 en Serbie, en Bulgarie et surtout en Macédoine,


alors province turque, et publia son article « La Macédoine
telle qu'elle est », dont nous citons ci-après quelques notes
ethnographiques :

« Rien n'est plus frappant pour le voyageur qui par-

court la Macédoine 1 ) que la haine profonde de la minorité


grecque envers l'élément bulgare dont elle est entourée.
Cette haine dépasse toute expression et s'il s'agissait de
l'anéantissement du slave détesté, je craindrais que plu-
sieurs Grecs fussent tout prêts à s'unir, dans ce but, aux
bachi-bouzouks turcs. A Castoria, petite ville dans la

*) D'après Evans, la chaîne du Char forme la frontière septen-


trionale de la Macédoine.
— 263 —
région du Pinde, située sur un promontoire du lac du même
nom, un Grec ne put se contenir et s'écria en ma présence:
« Nous devons préparer aux Bulgares un nouveau Batak! »

L'archevêque grec de la même ville s'évertua à me persua-


der de la justice du point de vue grec dans cette animosité
de race. Quand vous verrez, me dit-il, nos églises et
nos monuments avec leurs inscriptions grecques, vous
serez stupéfait que les Bulgares puissent contester que le
pays ait de tout temps fait partie de la Grèce. Mes con-
naissances parmi les Grecs nièrent tout d'abord la présence
de Bulgares à Castoria; plus tard, cependant, quelques
habitants bulgares me rendirent visite, accompagnés du
maître d'école, et me donnèrent quelques renseignements
à ce sujet. Selon eux, le quart de la ville, soit 250 maisons,
seraient purement bulgares. En dehors de la ville, comme
j'ai eu la pleine possibilité d'en faire l'observation, toute

la population, sauf les Valaques du Pinde, est purement


bulgare. Le dialecte local possède la particularité la plus
caractéristique de la langue bulgare, c'est-à-dire l'article
postpositif qui fait défaut dans toutes les autres langues
slaves.

«D'autre part, il est urgent que les Grecs deviennent


enfin objectifs et reconnaissent la nécessité de regarder
en face le fait palpable et indéniable que Vêlement bulgare
surpasse numériquement les autres dans toute la Macédoine,

soit depuis les frontières de l'Epire et de l'Albanie jusqu'à


cellesde la Roumélie orientale et de la principauté bulgare
actuelle. Ce n'est que dans certaines villes des districts
de l'extrême sud que l'on rencontre, par-ci par-là, l'élé-
ment grec, mais encore y est-il neutralisé et totalement
éclipsé par la masse rurale bulgare. Salonique, la seule
grande ville de la province, n'est habitée, à vrai dire, ni
par des Grecs, ni par des Bulgares, mais par des Juifs
espagnols et par des Turcs. Déjà à Monastir, la population
urbaine est plutôt bulgare et la langue bulgare est celle
du marché. Prilep, Scopié, Chtip, Kratovo, Palanka,
— 264 —
Stroumitsa, Melnik, Mogléna et autres villes de V intérieur
sont exclusivement bulgares. Ce n'est pas par ouï-dire que
j'avance mes affirmations, mais jeme base sur ma propre
connaissance du pays. J'irai même plus loin et déclarerai
qu'on peut parcourir toute la Macédoine, depuis Pinde
jusqu'à la frontière bulgare, sans rencontrer un seul Grec ».

... Personne ne peut nier que les Grecs ont certains


«

droits historiques sur une grande partie de la Macédoine.


Mais, en examinant minutieusement cette question, on
arrive à conclure que la population aborigène s'était plus
apparentée aux Albanais qu'à n'importe quelle tribu.
Avant la domination romaine, tout le pays était sous
l'influence hellénique. A l'époque de l'empire romain, la
partie septentrionale du pays fut notoirement romanisée.
Cependant, les migrations slaves qui s'ensuivirent sub-
mergèrent les éléments grecs et romains et la Macédoine
devint le centre d'un royaume bulgare. Le rétablissement
de la suprématie grecque conséquemment aux victoires
de l'empereur Basile, « le Tueur de Bulgares », puis les
dominations serbe et turque, n'altérèrent nullement le
noyau de la population qui est toujours resté bulgare dès
cette époque» 1 ).

12. — Antoine Kalina, Polonais, professeur de phi-


lologie slave à l'Université de Lwôw (Lemberg), a fait
paraître en 1891 dans les publications de l'Académie des
sciences à Krakovie un travail important: «Etudes sur
l'histoire de la langue bulgare ». Son ouvrage est basé non
seulement sur les recherches antérieures, mais il a examiné
le sujet lui-même et a voyagé en Bulgarie, en Macé-
doine, à Constantinople, etc. Dans l'introduction (his-
torique, géographique et ethnographique) il délimite le
territoire de la langue et de la nationalité bulgares en y

*) N'ayant pas sous la main l'original anglais, nous nous sommes


servi de la traduction insérée dans la « Revue périodique » de Sofia, livrai-
son XXXI, pages 58 et suivantes.
— 265

faisant entrer toute la Macédoine. A


chaque page de son
ouvrage, il considère le dialecte macédonien comme bul-
gare par excellence. Il fixe la frontière ethnographique
bulgare en Macédoine comme suit:
«... A partir de la petite rivière Lipkovka la fron-
tière se dirige vers Koumanovo à partir duquel, par un
grand arc, elle se dirige au-dessus de Scopié vers le Vardar
en se guidant sur les bases orientales de Tcherna-Gora
(Kara-Dagh). Enclavant le Char, elle se dirige par Kri-
tchévo vers le Drin Noir et par la Haute Dibra vers Okhri-
da. A partir du bord sud du lac d'Okhrida elle emprunte
une direction orientale jusqu'à Castoria vers laquelle elle
s'achemine en suivant au début le cours de la rivière
Dévol. Quittant le bord sud du lac de Castoria, elle se
dirige au-dessus de Bystritsa dans la direction sud-est,
qu'elle quitte au nord de Chatista et se poursuit au-dessus
de Verria vers Salonique. D'ici elle court par Langaza
vers le nord, contournant le lac Takhyno au sud de Serrés
et descend à petite distance de la mer jusqu'à l'embouchure
de la Maritsa » (II, p. 270 et suiv.).

13. — P. A, Lavroff, Russe, professeur de philologie


slave à l'Université de Pétrograde, considère aussi les dia-
lectesmacédoniens comme partie de la langue bulgare.
Dans son étude « Aperçu des particularités phonétiques
et morphologiques de la langue bulgare », Moscou 1893, il
dit entre autres:
«La langue bulgare appartient sans contredit au
nombre de celles qui avaient les voyelles nasales o n et e n .

La preuve en est que dans certaines localités de la Macé-


doine s'est conservée jusqu'à nos jours la prononciation
nasale dans les syllabes qui, dans la langue liturgique slave
accusaient un & et <a. En outre, la flexion nominale a
conservé un lien assez sensible avec le passé lointain non
seulement dans les dialectes macédoniens, mais sur tout
le territoire de la langue bulgare Comme il est notoire,
. . .
— 266 —
le bulgare diffère des autres langues slaves par l'emploi
de l'article. Dans quelques dialectes bulgares l'article
offre trois formes; par exemple, le parler des Roupalans
(des Bulgares du Rhodope) et le parler de Dèbre » (p. 13,
123, etc.).
Dans son « Précis de grammaire bulgare
(supplément »

au Dictionnaire bulgaro-russe par L. A. Mitchatek, Pétro-


grade 1910) ainsi que dans le « Précis de grammaire serbe »
(supplément au Dictionnaire serbo-russe par L. A. Mitcha-
tek, Pétrograde 1903) le professeur Lavroff traite le dia-
lecte des Slaves macédoniens comme un dialecte bulgare.
Il considère cependant certains parlers de la Macédoine

septentrionale au point de vue phonétique (^ = ou) comme


serbes, mais il s'empresse d'ajouter: «La proximité des
territoires des deux langues (serbe et bulgare) explique
suffisamment le fait que les serbismes de la langue bulgare
et les bulgarismes de la langue serbe ont dépassé les fron-
tières politiques et géographiques » (Précis de grammaire
serbe, p. — 1 2).

• — Vatroslav Oblak, Slovène,


14. spécialiste est le le
plus éminent peut-être en matière de dialectologie macé-
donienne. En 1891 — 1892, rendit en Macédoine et
il se

y étudia spécialement les dialectes de Dibra et de Salo-


nique (celui du bas Vardar et de Souho). En 1894, il publia
dans le Sbornik du Ministère de l'Instruction publique,
XI, ses « Contributions à la grammaire bulgare »; en 1895:
« Quelques chapitres concernant la grammaire bulgare»,

dans l'Archiv fur slavische Philologie, XVII; en 1896


parut un ouvrage classique « Macedonische: Studien »
dans les Comptes-rendus de l'Académie des Sciences de
Vienne, n° 134, etc.
Dans tous ses travaux, V. Oblak considère les dialectes

macédoniens comme
incontestablement bulgares. Dans
la première de ses études précitées, il classe dans le do-
maine de la langue bulgare tous les parlers macédoniens,
267 —
ceux de Salonique, Koukouch, Serrés, Démir-Hissar,
Nevrokop, Melnik, Razlog, Vodéna, Castoria, Okhrida,
Monastir, Prilep, Florina, Dèbre, Vélès, Koumanovo,
Chtip, Kratovo, etc.
Dans la seconde de ses études précitées, V. Oblak
fait des investigations détaillées sur le système des voyelles
et des consonnes des dialectes macédoniens. Il constate
que ce système, différent du serbe, est conforme à la pho-
nologie des autres dialectes bulgares. Il constate de même
que, par la perte de la déclinaison et par l'emploi des ar-
ticles définis, les dialectes macédoniens et ceux de la Bul-
garie proprement dite font un ensemble différent de toutes
les autres langues slaves, et avant tout du serbo-croate.
D'un autre côté, il constate (p. 102) que la langue bulgare,
et spécialement ses dialectes macédoniens, par la richesse
de ses formes verbales, par l'emploi surtout de l'aoriste
et de l'imparfait, tient la première place entre toutes les
autres langues slaves.
Comme conclusion de ses études sur la langue des
Slaves macédoniens, on peut citer le passage suivant
(Archiv fur slavische Philologie, XVI, p. 313): «A com-
mencer par Grigorovitch pour finir avec Kalina et
et
Lavroff, les dialectes macédoniens, dans leur ensemble et
jusqu'à quelques exceptions près, ont été rangés dans la
famille de la langue bulgare et, d'après notre connaissance
actuelle de ceux-ci, il ne se trouvera presque pas un seul
linguiste sérieux pour contester cette liaison ».

15. —
G. Weigand, professeur à l'Université de Leip-
zig, maître des séminaires roumain et bulgare à la même
université, a voyagé plusieurs fois dans les Balkans et
a publié des ouvrages importants sur les langues et l'ethno-
graphie des peuples balkaniques. Dans son travail « Die
nationalen Bestrebungen der Balkanvôlker », Leipzig 1898,
nous lisons, entre autres:
« Interrogés au sujet de leur nationalité, les Slaves de
la Macédoine se considèrent comme Bulgares . . . La langue
— 268 —
de population de la Macédoine du sud et celle du nord
la
est sûrement bulgare Quant à l'emploi de la langue
. . .

bulgare au nord-ouest de la Macédoine, la question n'est


pas encore tranchée positivement. Il est difficile d'indiquer
la ligne de démarcation entre les dialectes limitrophes
bulgares et serbes, étant donné que ces derniers, apparte-
nant à des langues apparentées, sont mixtes. En tout cas,
il n'y a aucun doute que Von parle bulgare à Okhrida et

dans la région de Dèbre, située au nord de cette ville, à


Monastir (Bytolia), à Prilep, à Scopié et même dans les
localités les plus méridionales de la Serbie, notamment
dans les environs de Vrania» (p. 19).
« propagande serbe n'est qu'une duperie in-
Toute la
aux Bul-
solente dictée par la jalousie de ce qu'il écherra
gares une grande partie de l'héritage turc, le jour d'un
partage équitable de l'empire caduc. Les Serbes ne veulent
pas abandonner ce projet d'autant plus qu'ils n'ont,
pour le moment, aucune espérance d'avoir le vaste ter-
ritoire serbe qui est sous la domination autrichienne. Leur
insolence est d'autant plus blâmable qu'ils pensent profiter
de l'ignorance du grand public au sujet des affaires bal-
kaniques, quoique tousles voyageurs et les philologues soient

unanimes à reconnaître que la Macédoine est un pays bul-


gare » (p. 21).

Ensuite de ses voyages scientifiques à travers la


partie sud-ouest de la péninsule balkanique, il a publié
son ouvrage « Die Aromunen », en deux volumes, Leipzig

1894 1895, accompagné d'une carte ethnographique dé-
tailléede la Macédoine du sud-ouest, de l'Albanie du sud,
de l'Epire et de la Thessalie. D'après cette carte, l'élément
bulgare forme la majorité de la population depuis le lac
d'Okhrida jusqu'à Salonique, notamment dans les districts
d'Okhrida, Ressen, Monastir, Krouchévo, Prilep, Florina,
Castoria, Karadjova, Vodéna, Enidjé-Vardar, Ghevghéli,
Doïran, Koukouch, Salonique.
— 269 —
16. — T. D. Florinsky, Russe, professeur de philo-
logie slave à l'Université de Kiev, s'est arrêté trois fois
à la question macédonienne dans ses travaux linguistiques
et ethnographiques.

Dans son « Cours de philologie slave », vol. I er Kiev ,

1895, il dit à propos de la langue bulgare: «La langue


bulgare est parlée par les Slaves qui habitent la moitié
orientale de la péninsule balkanique, à savoir les anciennes
contrées de Mésie, Thrace et Macédoine ou, d'après la
terminologie ultérieure des Turcs, les vilayets du Danube,
d'Andrinople, de Salonique et de Bytolia en outre, une et,

partie de la Bessarabie Quant à la Macédoine, elle est


. . .

l'objet jusqu'à présent d'une violente polémique entre les


savants: les uns la considèrent comme terre serbe, les
autres comme bulgare. Cette dernière opinion doit être
reconnue comme plus juste; nous considérons les dialectes
slavo-macédoniens comme bulgares, nous basant sur les
considérations exposées en détail dans le chapitre des
dialectes du bulgare. Mais à part la question macédo-
du territoire bulgare n'est
nienne, la frontière occidentale
pas sujette à une délimitation exacte. Là, la langue bul-
gare se confond imperceptiblement avec la langue serbe
et des parlers de transition se forment, parlers que les
philologues d'aujourd'hui rattachent tantôt au serbe,
tantôt au bulgare. Néanmoins, malgré toutes ces vicis-
situdes, on doit admettre qu'en général dans le traité de
San-Stéfano de 1878 les frontières ethniques bulgares sont
fixées exactement » (p. 58).

Tandis que dans cet ouvrage, p. 173, Florinsky con-


sidère le dialecte de la Macédoine septentrionale (les dis-
tricts de Scopié, Tétovo, Koumanovo, Chtip, Kratovo)
comme dialecte de transition bulgaro-serbe, douze ans
plus tard, dans son livre « La race slave », Kiev 1907,
p. 65 —
66, sous l'influence de quelques études serbes, il
estime plus juste d'attribuer la population slave de la Ma-
— 270 —
cédoine du nord à la race serbe, ce qu'il a marqué aussi
sur la carte ethnographique jointe au même livre.
Quatre ans plus tard, dans sa « Carte ethnographique
du monde slave occidental et de la Russie de l'ouest »,
Kiev 1911, grâce à des nouvelles investigations, Florinsky
apporte quelques corrections à sa carte qu'il appelle « plus
détaillée et plus exacte ». Eh bien, sur cette carte, les dis-

tricts entiers de Chtip, Kratovo, ainsi que la moitié des


districts de Scopié et de Tétovo sont indiqués comme pure-
ment bulgares. L'élément bulgare touche la ville de Scopié.
De même la population slave de la Macédoine centrale et
méridionale y figure comme bulgare et non comme serbe.

17. — L'Académie russe des sciences envoya en 1900


une mission de spécialistes en Macédoine, en vue d'étudier
sur place les questions concernant l'histoire, l'archéolggie,
l'ethnographie et la langue des populations macédoniennes,
ainsi que pour amener l'éclaircissement de la question
macédonienne, contribuer à sa solution équitable et par
cela même au rétablissement de la tranquillité dans les
Balkans. A la tête de la mission fut placé l'académicien
N. P. Kondakoff qui publia le résultat de ses recherches
dans les éditions de l'Académie, sous le titre « La Macé-
doine. Voyage archéologique ». Pétrograde 1909.
Au point de vue historique et ethnographique, Kon-
dakoff est arrivé à constater que la population slave de
Macédoine appartient à la race bulgare depuis son établisse-
ment dans pays et s'y rattache encore de nos jours. Les
le

conclusions du savant académicien sont bien catégoriques :

« Tout le monde se rend compte qu'étant données la dif-

ficulté et même l'impossibilité de prouver que la popula-


tion macédonienne est de nationalité serbe, on s'efforce
d'embrouiller toute la question, afin de présenter la po-
pulation macédonienne, non pas comme appartenant à
un seul groupe national, mais comme un mélange de races
de toutes espèces, un chaos sui generis . . . D'autre part,
— 271 —
il suffit même d'une courte excursion dans pays pour se
le

convaincre pleinement que les Slaves de Macédoine forment


un groupe national déterminé, correspondant d'une manière
très nette à la population qui habite la Bulgarie proprement
dite. Sur tous les territoires que nous avons passés en revue,

d'Okhrida à Scopié et Koumanovo, vit un seul et même peuple,


qui déjà au IX e siècle s'appelait bulgare, que les Grecs ap-
pelaient du même nom et que les premiers voyageurs
européens ont aussi appelé bulgare » (p. 293 294). —
Les autres membres éminents de la mission, envoyée
en Macédoine, étaient l'historien et homme politique russe
bien connu, P. N. Milukoff, et le professeur P. A. Lavroff.
Leurs rapports à l'Académie ne sont pas encore publiés,
mais ils ont déjà émis leurs opinions dans d'autres publi-
cations. Ainsi, le professeur Lavroff, dans son « Aperçu
des particularités phonétiques et morphologiques de la
langue bulgare », étudie les dialectes macédoniens dans
l'ensemble des dialectes bulgares (v. plus haut). Milukoff
aussi,dans son importante étude sur « Les rapports serbo-
bulgares dans la question macédonienne » (1900), et dans
d'autres travaux, a proclamé catégoriquement le caractère
bulgare de la population slave en Macédoine.

18. — Lubor Niederle, le plus grand ethnographe slave


moderne, professeur à l'Université de Prague, s'est pro-
noncé plus d'une fois dans ses érudits travaux sur le litige
serbo-bulgare concernant la Macédoine. Tout d'abord, il
a traité « La question macédonienne » dans une étude spé-
ciale parue à Prague en 1901 (2 e édition 1903), puis dans
son ouvrage « La race slave » paru en 1909, dans les édi-
tions de l'Académie des Sciences de Pétrograde 1 ), et plus
tard dans quelques articles de journal.
Arrêtons-nous à la conclusion de sa première étude:
« Si Von pouvait placer la question du sort futur de la Macé-

*) Il existe une édition en tchèque et deux éditions en français,


traduction de L. Léger, de l'Institut.
— 272 —
doine sur le terrain du droit naturel, la Macédoine devrait
être attribuée à la Bulgarie »Enfin, toujours dans la
(p. 36).
même conclusion, l'éminent érudit s'exprime par ces mots
vraiment prophétiques de 1901 et déjà réalisés: «D'après
tout, ce qui s'est passé, le litige macédonien ne peut être
arrangé à l'amiable ... il finira à la fin par une guerre
entre la Serbie, la Bulgarie et peut-être la Grèce, et dans
laquelle prendront part les grandes puissances, l'Autriche
avant tout »... (p. 37).
Et dans « La race slave » (2 e édition française,
p. 214): «Les Slaves de Macédoine Il est hors de doute
. . .

que la partie la plus considérable de ce peuple se sent et se


proclame Bulgare, qu'elle se rattache à l'Eglise bulgare
autocéphale dont le chef est l'exarque résidant à Ortakiôï.
D'autre part, il est certain que le nom des Bulgares est
dans ces régions un nom historique et qu'il n'y a pas pé-
nétré par la propagande religieuse des dernières années.
Bien que ces régions aient été naguère annexées à l'Etat
serbe, le nom de Serbe n'a pas pris dans le peuple ».
La frontière ethnique bulgare par rapport aux élé-
ments serbes, albanais et grecs en Macédoine est délimitée
comme suit: «(La frontière) suit la route de Nich et
Skoplie, contourne cette ville et se dirige à travers les
contreforts orientaux du Chardagh vers Sur la Dibra.
cette ligne très peu connue, le territoire des Bulgares et
de leurs voisins les Serbes est pénétré dans la direction
du sud-ouest par un coin albanais. De Vrania à Kouma-
novo, de Skoplie à Tétovo on rencontre un grand nombre
de villages slaves plus ou moins albanisés. Il est difficile
dans ces régions de tracer une frontière bien nette.
« Vers la Dibra la frontière bulgare tourne vers le

sud et suit la rive gauche du Drine noir dans la direction


du lac d'Okhrida qu'elle contourne en partie, puis suit la
rivière Devola, le lac Malik, gagne la ville de Goritsa et
ensuite celle de Kostour. Les environs de Kostour sont
encore bulgares jusqu'à Kroupichté sur la rivière Bystritsa.
— 273 —
Ici la frontière tourne au nord-est, vers le lac d'Ostrovo,
puis elle passe à Voden vers le cours inférieur de la Bys-

tritsa et gagne le golfe de Salonique qu'elle suit jusqu'à


cette ville».
Les environs de Salonique sont slaves. Après cette
«

ville la frontièrecourt à travers la plaine de Langadino


vers la Chalcydique, passe à Visoka, Zarovo, Soukho,
Niegovan jusqu'au confluent de la Strouma dans le lac
de Takhin et vers Serrés où se heurtent les populations
grecque, turque et bulgare » (La race slave, 2 e édition fran-
çaise, p. 191—192).

Provoqué par certains politiciens, le savant tchèque


publia 4 juin 1914, dans le « Narodni Listy » de Prague,
le

une lettre dont nous extrayons les passages suivants « Je :

dois répéter de nouveau que, d'après les résultats acquis


des recherches scientifiques faites jusqu'ici, la Macédoine
se révèle terre bulgare, et la politique serbe serait mieux
inspirée, si elle s'abstenait, en général, de se servir d'argu-
ments ethnographiques pour justifier ses plus récentes
prétentions J'aime donc bien mieux qu'on nous dise
. . .

franchement que la raison d'Etat commande à la Serbie


d'exiger la Macédoine centrale. Si la raison d'Etat exige
la conquête de cette province, quoiqu'elle soit pour ainsi
dire le coeur bulgare, c'est cette raison qui décide. Il ne
faut donc plus produire des arguments douteux ou géné-
ralement faux en faveur de la thèse insoutenable que la
Macédoine ne serait pas bulgare ».
L'ouvrage de L. Niederle « La race slave » est accom-
pagnée d'une carte ethnographique représentant la répar-
La population slave
tition territoriale des peuples slaves.
de la Macédoine, de Scopié à Salonique, d'Okhrida à
Drama, est présentée comme purement bulgare.

19. — Vaclav Vondrâk, Tchèque, professeur de phi-


lologie slave à l'Université de Vienne, est un des spécialistes
les plus approfondis en matière du paléoslave.
18
— 274 —
Il estime que le dialecte macédonien, dans son passé
et dans son présent, est un idiome bulgare « Le bulgare », :

dit-il, suffisamment caractérisé par les consonnances


« est
cht et jd au lieu des paléoslaves//, dj. Naturellement d'autres
signes s'y sont ajoutés au cours de l'histoire, comme la
disparition de la déclinaison et de l'infinitif. Au groupe
des dialectes macédoniens appartenait le slave liturgique
qu'on appelle aussi vieux bulgare. C'est le dialecte macé-
donien qui fut fixé par écrit par les deux apôtres slaves
Cyrille et Méthode; de ce fait, l'écriture slave était fondée »
(Vergleichende slavische Grammatik I, II, 1906 1908, —
p. 3). Dans son «Altkirchenslavische Grammatik», 2 e éd.
1912, p. 3, 5 —
6, il développe et précise le même point de
vue.


A, Leskien, professeur de philologie slave et
20.
indo-européenne à l'Université de Leipzig, le représentant
le plus éminent en matière de slavistique en Allemagne.
Il affirme que l'ancienne slave liturgique du IX e s. est un

dialecte macédonien appartenant à la famille bulgare et


que le serbe moderne du côté de la Macédoine s'arrête au
Char vers Prizrend:
« On aux plus grandes invraisemblances ou
a abouti
paradoxes, lors de tous les essais tentés pour établir, par
d'autres moyens que ceux que la langue même offre,
quelle est l'origine du vieux bulgare liturgique et sa pa-
renté avec l'une des branches de la langue slave, à nous
connues. Que la langue de la vieille église slave appartient
à la branche bulgare, cela est démontré catégoriquement
par le fait que les tj, dj, kt, gt sont remplacés par cht,
jd . . . » (Grammatik der altbulgarischen, altkirchenslavi-
schen Sprache. Heidelberg 1901, p. XXVII).
«... Lorsqu'il (Constantin) créa, étant encore à Cons-
tantinople, avant son activité en Moravie, un alphabet
pour la langue slave et qu'il traduisit l'Evangile dans la
langue slave, il ne pouvait être question que de la langue
— 275 —
slave qu'il connaissait, c'est-à-dire celle de sa patrie, la
Macédoine » (Ibidem, p. XIX).

Ce fut l'œuvre de deux hommes instruits de Salo-


«

nique, Constantin (Cyrille) et Méthode. Tous deux Grecs


de naissance et par leur éducation de souche noble, ils
étaient arrivés, ensuite des circonstances extérieures, à
entrer en contact avec la population slave de la contrée . . .

Quant au que ces deux hommes em-


dialecte lui-même,
ployèrent dans leurs traductions, il devait être parlé par
une tribu slave qui s'était fixée quelque part dans les régions
de l'hinterland, sur les bords de la mer Egée, entre Salo-
nique et Constantinople. Les populations de ces régions
se donnaient elles-mêmes le nom de « Slaves », nom qui
se répète si souvent dans les documents leur langue était
;

le « slave ». Plus tard, cette dénomination ethnique fut


remplacée par le nom politique de Bulgare. Ceci explique
pourquoi la science donne à la langue de l'Eglise slave
tantôt le nom de « vieux slave » et tantôt celui de « vieux
bulgare » (ibidem, p. 9 à 10).

Quant à la langue serbe moderne, Leskien place sa


frontière du sud-est sur la ligne de Timok-Morava-Char:
« Le territoire linguistique, esquissé ci-haut grosso modo

d'après la division politique, se trouve précisé plus exacte-


ment par la frontière suivante: à l'est et au sud par une
ligne allant de l'embouchure du Timok jusqu'au Danube,
en remontant le cours du Timok jusqu'à Zaïtchar; de là,

jusqu'à Stalatch, à la jonction de la Morava occidentale


du sud par Prokou-
et méridionale, puis dans la direction
plié Kourchoumlia jusqu'à Yanevo (quelque peu au
et
sud-ouest de Prichtina); plus loin, jusqu'à Prizrend ou
jusqu'au confluent du Drin Blanc et du Drin Noir; de là,
en suivant la frontière du sud du Monténégro actuel jus-
qu'à l'embouchure de la Boïana dans la Mer Adriatique »
(Grammatik der serbo-kroatischen Sprache. Heidelberg
1914, p. XX à XXI).
— 276 —
21. — A. J. Sobolevsky, Russe, professeur de philo-
logie slave à l'Université de Pétrograde, membre de l'Aca-
démie russe des sciences. Sobolevsky regardait toujours
avec amertume les dissensions entre les peuples slaves
et s'efforçait par ses écrits de réconcilier les frères en lutte
et les amener à la solidarité slave dont il était toujours
un fervent défenseur.
Pour lui, il n'y a aucun doute que le dialecte macé-
donien a été de tout temps un dialecte bulgare, autant
dans sa période médiévale que dans son état actuel.
« . Les données ci-énumérées », dit -il, «envisagées
. . .

dans leur ensemble, nous autorisent de faire la conclusion


suivante la langue liturgique slave, dans sa base, n'est
:

autre chose que le dialecte de Salonique de l'ancienne


langue bulgare, dialecte peut-être mort durant le temps
ou bien conservé en partie jusqu'à nos jours et mêlé à
d'autres dialectes bulgares parlés dans les endroits voi-
sins de la patrie (Salonique) de Cyrille et Méthode» (Le
paléoslave liturgique. Kiev 1910, p. 14).
A propos du livre du philologue serbe A. Bélitch
« Serbes et Bulgares dans l'Alliance balkanique », Pétro-
grade 1913, le professeur Sobolevsky s'arrête à la question
macédonienne et dit: « Il y a tout aussi peu de raisons
de parler du dialecte « serbo-macédonien »... Quelle que
soit notre opinion sur les travaux ethnographiques de Flo-
rinsky et de Niederle, publiés par notre Académie des
sciences, le fait qu'ils sont d'accord sur la langue et l'as-
pect ethnographique de la population slave de Macédoine
est très important. Aucun des philologues slaves ne
désigne comme serbe une langue qui ignore la déclinaison
et qui possède une série de traits incontestablement bul-
gares et très peu de traits serbes. Tous les plus récents
travaux concernant langue bulgare écrits en Russie
la
incorporent à cette langue les dialectes slaves de la Macé-
doine; cela n'a provoqué jusqu'ici d'objections que de la
part des savants serbes Mais si important que soit
. . .
— 277

le classement scientifique de la langue des Slaves macé-


doniens, l'attraction de ces derniers vers la Bulgarie est
d'une importance encore plus grande » (Bulletin de la
Société slave du 26 mai 1913).

22. — Alfred Jensen, Suédois, prof esseur à l'Université


de Stockholm, est peut-être le seul Scandinave qui ait
étudié sur place la question macédonienne et les rapports
des peuples balkaniques dont il connaît les langues. En-
suite d'un voyage à travers la Bulgarie, la Serbie, le Kos-
sovo et la Macédoine, il a publié en 1911 «La croix et le
croissant. Esquisses de voyage à travers l'Orient euro-
péen. Avec 38 images. Stockholm » (Kors och halfmâne.
Reseskissen frân den europeiske orienten. Med 38 bilder.
Stockholm).
D'après Jensen, Char-Planina est la frontière qui di-
vise la Vieille Serbie de la Macédoine, l'élément serbe de
l'élément bulgare. Il a visité Scopié, Vélès, Prilep, Monas-
tir,Okhrida, Vodéna, Salonique, Mont Athos, etc. Partout,
de Scopié à Salonique, d'Okhrida jusqu'à la Macédoine
orientale, il ne trouve qu'une seule population slave, les
Bulgares, dont il décrit la situation politique, l'état cul-
turel et scolaire, les révoltes, etc.

23. — Vatroslav Jagic, Serbo-Croate, professeur à


l'Université de Vienne, est considéré comme le connaisseur
contemporain le compétent de la philologie slave.
plus
Dans tous ses travaux insérés dans les éditions des aca-
démies des sciences serbe, croate, russe, ainsi que dans ses
multiples publications parues à part, il affirme avec une
compétence qui lui est universellement reconnue que le
dialecte macédonien de nos jours fait partie de la langue
bulgare et que la traduction des saintes Ecritures par les
apôtres slaves, Cyrille et Méthode, au IX e s., a été faite
en dialecte bulgaro-macédonien.
Son ouvrage classique sur l'« Histoire de l'origine de
— 278 —
la langue slave ecclésiastique »(Entstehungsgeschichte der
kirchenslavischen Sprache, 2. Auflage 1913) est imbu d'un
bout à l'autre d'une documentation magistrale prouvant
l'unité du dialecte macédonien avec les autres dialectes
bulgares de l'époque ancienne et moderne. Même un cha-
pitre spécial est consacré aux «Preuves de l'origine bulgaro-
macédonienne de la langue liturgique slave » (Beweise fur
den mazedo-bulgarischen Ursprung der kirchenslavischen
Sprache), p. 270 et suiv.
Dans un autre de ses ouvrages sur «Les langues slaves»
(Die Kultur der Gegenwart. Teil I, Abteilung IX, 1908)
il s'arrête de nouveau à notre question. Comme elle y est
traitée d'unemanière pas trop spéciale mais à la portée
de tous, nous en reproduisons quelques extraits. En par-
lant du vieux slave liturgique, il s'exprime comme suit:
« La langue bulgare. Parmi toutes les langues slaves,
le dialecte liturgique slave, si riche en formes grammaticales,
est originaire, comme il vient d'être dit, des contrées qui,
de nos jours, font partie du domaine des idiomes bulgares.
Le lien de parenté caractéristique entre le vieux slave
liturgique et la langue bulgare actuelle consiste dans l'em-
ploi des groupes de consonnes cht, jd (au lieu des groupes
praslaves //, dj); le Bulgare prononce encore de nos jours

nocht, mejda, et il est le seul parmi les Slaves à le faire


(peut-être le prononce-t-il un peu plus dur), principe que
nous avons à admettre d'avance, relativement au dialecte
duquel la langue liturgique slave a pris naissance. Mais
tandis que la langue liturgique slave se distingue par une
plus grande richesse de formes de déclinaison et de con-
jugaison, la langue bulgare moderne est la seule, par contre,
de toutes les langues slaves, qui ait perdu toutes les formes
originales de la déclinaison. Par l'emploi d'un article post-
positif (pouvant s'appliquer à n'importe quel nom), elle
n'a qu'une seule forme au singulier, comme casus generalis,
pour tous les cas du singulier et également une seule forme
plurielle pour tous les cas du pluriel. Les différentes pré-
— 279 —
positions viennent ici en aide, comme dans les langues
romanes » (p. 19).

« Dialectes bulgares. La langue bulgare se divise en


plusieurs dialectes qui, récemment, ont fait l'objet des
études assidues moins directement, il est vrai, par des dis-
sertations scientifiques qu'indirectement par la publication
du folklore, lequel a soigneusement respecté les particu-
larités de la langue, le plus fidèlement possible. Avant
tout, on établit une distinction entre les dialectes bulgares
orientaux et les dialectes Les pre-
bulgares occidentaux.
miers, qui se subdivisent en idiomes bulgares du nord et
du sud-est, ont sous plusieurs rapports un cachet plus
original et plus indépendant que les derniers. La langue
littéraire actuelle se fonde aussi sur le bulgare de l'est,
parlé au sud des Balkans (Panagurichté, Koprivchtitsa,
Kotel, etc.) un peu atténué, il est vrai, par le voisinage
immédiat du bulgare occidental. Sofia même, la résidence,
est située dans le domaine du bulgare occidental, celui des
Chopes, comme on les nomme. Les dialectes macédoniens,
par contre, occupent une position quelque peu spéciale;
par leur consonnance et la richesse de leur vocabulaire, ils
ont quelque analogie avec la langue serbe. Par la perte
de la déclinaison et l'emploi de l'article postpositif (même
sous une triple forme), le dialecte macédonien, se rattache
dans une plus grande mesure au bulgare qu'au serbe »

(p. 21).

24. — A. Sélichtcheff, professeur à l'Université de


Kazan (Russie), fut chargé en 1914 d'une mission scien-
tifique dans la Macédoine du nord par la Faculté des lettres
de l'Université de Kazan. Malgré la surveillance des auto-
rités serbes qui
redoutaient que la vérité ethnographique
de la Macédoine vînt à être dévoilée aux spécialistes, Sé-
lichtcheff a pu faire une moisson linguistique suffisante
dans régions de Scopié et de Tétovo, précisément dans
les
les régions sur lesquelles certains Serbes émettent des pré-
— 280 —
tentions d'ordre linguistique. en donne connaissance
Il

dans son « Rapport sur mes occupations pendant les va-


cances d'été de 1914 ».
Eh bien, dans ces dialectes nord-macédoniens, il a
constaté toutes les particularités caractéristiques de la
langue bulgare, particularités qui la distinguent du
serbe et des autres langues slaves, ainsi l'emploi de l'article
défini, le manque de conjugaisons, d'infinitifs, etc. Il

donne quelques détails sur Cyrille Peytchinovitch de Té-


tovo, un des écrivains de la renaissance bulgare, qui, il y a
cent ans, écrivait ses livresen langue simple bulgare telle
«

qu'elle est parlée à Scopié et Tétovo ». Sélichtcheff cite


également maintes épitaphes rédigées en slavon ou en
bulgare et empruntées aux cimetières de Scopié et Tétovo.
De son « Introduction à la grammaire comparée des
langues slaves », Kazan 1914, nous faisons les extraits
suivants relatifs aux frontières de la langue bulgare, y
compris du dialecte macédonien:
« Le territoire bulgare est délimité en grandes lignes
comme suit: Au nord, par le Danube, du Timok à la mer
Noire; à l'est, la mer Noire; au sud, par une ligne très
brisée allant de la banlieue de Constantinople vers Tchor-
lou, Ouzou-Kupru, la Maritsa inférieure, Drama, Serrés,
Salonique. Par endroits, cette ligne descend à la mer.
De Salonique elle longe la côte septentrionale du golfe
du même nom, se dirige à l'ouest vers la région de Castoria,
pour remonter ensuite au nord-ouest vers le lac d'Okhrida
et Dibra. Dans la Macédoine du nord commence la région
litigeuse entre Bulgares et Serbes; les contrées litigeuses
s'étendent plus au nord encore, vers Prichtina, Vrania,
Leskovets, Pirot, Zaïtchar, Vidin».
Les investigations impartiales sur les données dia-
«

lectiques existantes permettent d'affirmer que la partie


septentrionale de la Macédoine, les districts de Tétovo, de
Scopié et de Kratovo, d'après leurs parlers doit être attri-
buée au domaine de la langue bulgare. A ce dernier appar-
— 281 —
tiennent aussi les dialectes à l'est de la ligne Vrania, Pirot,
Bélogradtchik, ainsi que le cours inférieur du Timok, jus-
qu'au Danube » (p. 24).
Quant à l'époque ancienne du bulgare, le professeur
Sélichtcheff dit: «Dans la seconde moitié du IX e s., la
langue bulgare ou mieux dire son dialecte de la Macédoine
méridionale fut fixé par l'écriture. Ce furent notamment
les apôtres slaves Constantin (Cyrille) et Méthode qui les
premiers usèrent de la langue des Slaves bulgares habi-
tant à Salonique et dans ses alentours. Les principales
particularités de la langue dont Cyrille et Méthode se sont
servis dans leurs traductions sont conservées de nos jours
encore dans le bulgare cht, jd (pour *//, *dj), dz (provenant
:

de g devant e et i dans les racines et dans certaines suffixes


des mots), la prononciation de e comme à, certaines par-
ticularités lexiques, etc. » (p. 29 30). —
25. — La Société slave de Bienfaisance à Pétro-
grade qui joua un rôle considérable dans l'affranchissement
et la renaissance des Slaves du sud, déplora toujours les
querelles néfastes entre Serbes et Bulgares au sujet de la
Macédoine. La guerre fratricide de 1913 entre les deux
nations sœurs obligea les membres de la société à faire
entendre un vibrant appel à la concorde entre Serbes et
Bulgares; il y va donc de leur bonheur futur. « L'opinion
de la Société slave, à propos de la question macédonienne »
fut publiée dans le « Bulletin slave » de Pétrograde, numéro
de janvier 1915. En voici quelques extraits:
« Depuis longtemps, la Société slave de Bienfaisance
à Pétrograde, a acquis la conviction que, dans le domaine
politique, tous les efforts des Slaves doivent tendre à la
constitution d'Etats nationaux dans les limites naturelles
de chaque nationalité, prise à part ... Il est nécessaire
pour cela de provoquer à Belgrade et à Sofia une conver-
sion de la psychologie politique des deux peuples, de ma-
nière que les Bulgares adoptent de plein gré l'idée de l'an-
— 282 —
nexion des côtes de l'Adriatique à la Serbie, et que les
Serbes se persuadent enfin, dans la même mesure, que la
Macédoine est une terre bulgare, par la majorité de sa popu-
lation, dans laquelle l'élément serbe, n'est que très faible-
ment représenté et qu'ils devraient consentir, par consé-
quent, à ce qu'elle fasse partie intégrante de la Bulgarie
de San-Stéfano ».

26. — N. S. Derjavine:
« Les rapports bulgaro-serbes

et la question macédonienne ». Pétrograde 1914. Traduc-


tion française, Lausanne 1918.
L'auteur de l'ouvrage, professeur à l'Université de
Pétrograde, appartient à la jeune génération des slavistes
russes. Pour compléter ses connaissances académiques sur
il a fait de
la vie et la culture intellectuelle des Slaves,
fréquents voyages, surtout dans les pays des Slaves du
sud. Tout imbu de l'idée de l'unité de la civilisation des
peuples slaves, et éprouvant une profonde tristesse des
luttes entre nations sœurs, telles que celles des Serbes et
des Bulgares, Derjavine a mis le doigt sur la plaie, source
de dissensions, —
la question macédonienne. Et guidé par
ses sympathies, comme par son amour pour la vérité, il
étudie les rapports bulgaro-serbes en insistant tout parti-
culièrement sur problème macédonien et sur sa com-
le
plexité au point de vue historique, linguistique et ethno-
graphique, pour aboutir à la conclusion que « les Slaves
de Macédoine sont des Bulgares et que leur langue est un
dialecte bulgare ».

Il convaincu que seule une politique de sincérité,


est
basée sur droit national des peuples de disposer d'eux-
le
mêmes, est en état de faire disparaître les cloisons établies
par les intéressés eux-mêmes et apporter le bonheur à tous.
« Puisse enfin », dit-il, en terminant son ouvrage, « l'hé-

roïque peuple serbe trouver en lui la force morale néces-


saire — et cette force morale il l'a, elle vit en lui pour —
reconnaître spontanément ce qu'ont reconnu depuis long-
— 283 —
temps et à l'unanimité l'histoire, la science et le sentiment
national de la population macédonienne elle-même, une
population qui voit dans les Bulgares ses frères de langue
et de sang, et qui a lutté avec eux la main dans la main
pour la religion, pour la vie et pour la liberté ».

27. — La Mission évangélique protestante (anglaise


et américaine) en Macédoine. Il y a déjà un siècle que
cette mission poursuit son œuvre de propagande dans les
Balkans. Sa traduction de l'Evangile en langue bulgare mo-
derne date du premier quart du XIX e s. Ce n'est d'ailleurs
qu'après la guerre de Crimée que les sociétés bibliques
un travail organisé
anglaises et américaines se vouèrent à
au point de vue littéraire et scolaire. En tête de cette
œuvre fut placé la section balkanique du Board américain
créée en 1858 —59 sous le nom de « Mission évangélique
américaine en Turquie d'Europe ».

En 1873, son activité scolaire s'étendit en Macédoine.


Il néanmoins pour la propagande adopter la langue
fallut
de la population prépondérante du pays. Dans ce but,
on procéda de la manière suivante, comme nous le raconte
le vieux missionnaire américain, John W. Baird, qui a à

son actif une activité de plus de quarante ans en Macédoine :

« Nous avons choisi », dit-il, « une commission formée

d'Américains avec un représentant pour chacun des peu-


ples: grec, bulgare, valaque et turc. Il fut adopté à l'una-
nimité que la commission fît un tour dans Bytolia (Monas-
tir) un jour de marché, au moment de la plus grande afflu-

ence des habitants du vilayet, pour se rendre personnelle-


ment compte de la langue employée par les masses. A la
fin de la tournée, le soir du jour du marché, il était clair
pour tous les membres de la commission que la langue la
plus généralement connue et parlée de tout le monde,
Grecs, Valaques et Turcs y compris, était le bulgare. Nous
avons donc adopté cette langue dans les écoles et les églises
que nous avons ouvertes en Macédoine ».
— 284 —
Lorsqu'en 1913, après quarante ans d'activité féconde
de la mission évangélique américaine, le régime serbe fut
inauguré en Macédoine, toutes les écoles bulgares furent
supprimées et les établissements bulgaro-américains durent
mettre terme à leur activité sur ordre du gouvernement
serbe. La mission américaine adressa alors aux Puissances
et au chef du Foreign Office d'alors, Sir Eduard Grey,
son appel que nous reproduisons ci-après dans ses passages
essentiels :

« Excellence,
C'est un fait bien notoire que, pendant une période
de plus de cinquante ans, des missionnaires américains
protestants se sont consacrés à une œuvre religieuse et
civilisatrice dans diverses parties de la péninsule balka-
nique. Ils s'acquittaient de cette mission sans viser des
buts et sans avoir des attaches d'ordre politique ayant,
par principe, constamment évité toute immixtion dans les
affaires politiques. En considération de ces faits, un exposé
succint des pays où s'est accomplie cette tâche peut pré-
senter quelque valeur, en ce moment où se résoud le sort
de grandes portions de la péninsule balkanique. Vers le
milieu du siècle dernier, l'attention des missionnaires amé-
ricains était attirée par les Bulgares établis à Constantinople
et dans le voisinage de cette ville. L'impression qu'ils en
recueillirent fut si favorable que la mission décida d'étudier
les pays d'origine de ces Bulgares . . .

En 1873, après un voyage d'études, la ville de Bytolia


fut choisie comme centre le plus propice à notre activité
en Macédoine. De ce centre, l'œuvre de la mission s'étendit
dans toute la Macédoine; des temples et des locaux de pré-
dication furent créés à Bytolia, Ressen, Prilep, Vodéna,
Enidjé-Vardar, Kavadartsi, Vélès, Scopié, Prichtina, Rado-
vich, Raclich, Stroumitsa et dans les villages Velussa, Mour-
tino et Monospitovo près de de cette ville . . .

Quoique le plan initial de la mission prévît une action


aussi bien parmi les mahométans de la Turquie d'Europe
— 285 —
que parmi les Bulgares, elle dut en fait se borner à agir
parmi les Bulgares. La bible fut traduite en bulgare mo-
derne et vendue dans toute la Bulgarie, en Macédoine et
en Thrace. Plus de 600 cantiques furent aussi traduits
en bulgare et utilisés par tous les adeptes de la mission,
aussi bien en Bulgarie qu'en Macédoine. Toute la littéra-
ture imprimée par la mission est en bulgare. Partout où
avaient lieu des réunions, les prières étaient dites en bul-
gare, sauf à Prichtina et à Mitrovitsa où nous prêchions
en serbe. A Samokov et à Bytolia nous avons créé des
lycées avec un institut agricole et industriel à Salonique.
La mission entretenait des écoles dans beaucoup de villes
et villages. En Bulgarie, elle possédait ses écoles. En Macé-
doine, elle en avait: à Bytolia, Thodorak, Mejdourek,
Koukouch, Enidjé-Vardar, Koléchino, Monospitovo, Strou-
mitsa, Drama, Bansko, Bania, Méhomia et Elechnitsa.
Dans toutes les localités, l'enseignement se donnait et se
donne en bulgare, sauf au collège pour les jeunes filles à
Monastir où nous l'avons remplacé par l'anglais. Nous
étant librement réunis avec les populations, ayant vécu
parmi elles au cours d'un long séjour en Macédoine, dans
les villes, et durant des voyages fréquents dans l'intérieur
du pays, nous sommes absolument convaincus que la
grande majorité de la population du pays que nous avons
désignée comme champ de notre activité en Macédoine est
bulgare par ses origines, par sa langue, par ses coutumes
populaires, et qu'elle fait partie intégrante de la nation
bulgare ».

Le 5 août 1913.
Signé:
J. F. Clarke, D. D., missionnaire dans la Turquie d'Eu-
rope depuis 54 ans.
J. W. Baird, missionnaire dans la Turquie d'Europe
depuis 40 ans.
R. Thomson, d'Edimbourg, missionnaire depuis 30 ans
à Constantinople et dans la Turquie
d'Europe.
— 286 —
Les déclarations faites au sujet de la Macédoine par un
autre missionnaire américain, le D Edward
r
B. Haskell,
ont le même poids. Elles ont paru dans un des journaux
de la propagande, la « Zornitsa », du 19 juillet 1917, sous
le titre « La nationalité de la population macédonienne ».

En voici les principaux passages:


« On reparle encore dans les journaux de la population

en Macédoine. Ayant vécu 21 ans dans ce pays, je veux


bien croire que mes observations à ce sujet ne sont pas
sans intérêt. Je fus nommé missionnaire en 1891. Arrivé
à Samokov en décembre de la même année, j'appris, pendant
un an et demi, le bulgare. Puis je fus envoyé à Bytolia
(Monastir) exactement vingt ans après la désignation de
cette ville comme centre d'action évangélique parmi les
Bulgares de Macédoine.
«Après un séjour d'environ un an à Bytolia, je fus chargé
d'ouvrir un siège de propagande à Salonique avec le Dr.
Haus, ancien directeur à Samokov. Je restai à Salonique
depuis le 10 octobre 1894 jusqu'au 24 juin 1914. Il n'est
peut-être pas un Américain ayant parcouru, comme moi,
presque toute la Macédoine et l'Albanie. Après l'insurrec-
tion de 1903, je passai plusieurs mois à distribuer des secours
aux victimes et je visitai à cet effet 60 villages dans les
régions d'Okhrida, Ressen, Kitchévo, Florina et Castoria.
Pour les affaires de notre mission, je visitai les villes et les
régions de Prilep, Vélès, Scopié, Tétovo, Prichtina, Mitro-
vitsa, Chtip,Kotchani, Maléchévo, Radovich, Tikvech, Vo-
déna, Enidjé-Vardar et tous les pays à l'est jusqu'à Xanthi,
Gumurdjina, Daridéré et Akhâ-Tchélébi. Il va sans dire
que je connaissais parfaitement les régions comprises entre
le Vardar et la Mesta, car c'est là que j'avais le plus à faire.
«Comme missionnaire, je ne pouvais pas être partisan
de telle ou Je m'efforçais d'être impartial
telle nationalité.
envers tous ... Je ne suis ni historien, ni géographe. Je
puis parler seulement de ce que j'ai vu et entendu sur les
lieux que je visitais en personne.
— 287 —
«Mon long séjour et mes tournées en Macédoine m'ont
convaincu que la grande majorité de la population chrétienne
en Macédoine est bulgare. En traçant une ligne de Drama
jusqu'à Castoria, il restera peu de Bulgares au sud et peu
de Grecs au nord, mais les neuf dixièmes de la population
chrétienne au nord de cette ligne sont Bulgares. Les neuf
dixièmes sont aussi complètement Bulgares à l'est de la
frontière Castoria — — —
Okhrida Dèbre-Char Tcherna- Gora
et jusqu'aux anciens confins de la Serbie.
«Prenons par exemple Bytolia (Monastir). J'y ai trouvé
assez d'Albanais et de Turcs, beaucoup de Bulgares et un
certain nombre de Grecs et de Valaques. Mais, je n'ai ren-
contré aucun habitant serbe à Bytolia. Il est vrai qu'il y a
des nuances entre l'idiome des Bulgares à Philippopoli et
leur idiome à Bytolia. Cependant, ceux-ci se servent aussi
de l'article et les formes grammaticales de la langue sont
bulgares et non serbes. En 1893 —
1894, il n'y avait pas
d'organisation révolutionnaire et point d'agitateurs venus
de Bulgarie, néanmoins la population se déclarait bulgare.
Le Vendredi- Saint, en 1907, m'étant rendu à la cathédrale
grecque, j'entendis un des prêtres donner des ordres en
bulgare pour allumer des cierges ».

28. — Vladimir Sis, Tchèque, est le dernier savant


étranger qui, après ses voyages à travers tous pays
les
balkaniques, s'est occupé de la question macédonienne.
Sa parfaite connaissance du serbe, du grec et du bulgare
et son séjour prolongé en Macédoine, lui ont permis d'ap-
profondir la question surtout au point de vue linguistique
et ethnographique. Dans la conclusion de son livre « Ma-
zedonien », paru à Zurich en 1918, l'auteur émet une fois
de plus la vérité constatée déjà tant de fois et sans excep-
tion par tous les savants spécialistes qui se sont occupé
depuis un siècle de la brûlante question macédonienne:
« Pendant cette guerre », dit-il, « on a beaucoup parlé

en Europe du principe des nationalités. Tous proclamaient


— 288 —
que chaque peuple doit être maître de ses propres destinées
eton demandait que les petits peuples obtiennent leur
unité et leur indépendance nationales.
« Il faut maintenant que ce principe soit enfin appliqué

en première ligne dans la péninsule balkanique. La future


conférence de la paix doit se pénétrer d'une vérité, à savoir
que si on arrachait la Macédoine à la Bulgarie, ce serait
porter au principe de l'unité bulgare un coup mortel et
perpétuer le mécontentement. C'est pourquoi, il est absolu-
ment nécessaire, que les frontières de la Bulgarie, enfin
unifiée, englobent la Macédoine dans son intégrité; question
vitale pour la paix européenne, chroniquement mise en
péril par les querelles et les discordances balkaniques.
L'Europe veut avoir la paix, il faut que le spectre d'une
guerre future disparaisse. Or, qui veut la fin veut les
moyens, ce qui signifie que la Macédoine doit être réunie
à la Bulgarie.
«L'agrandissement de la Serbie aux dépens de la Macé-
doine ne saurait être justifié; il serait contraire au prin-
cipe des nationalités, car la Macédoine est bulgare, ce que
plusieurs Serbes ont reconnu, alors que la politique serbe
ne se souciait guère de la Macédoine. Je le répète, ce n'est
ni l'Exarchat, ni la politique de la Bulgarie libérée qui ont
bulgarisé la Macédoine, c'est la Macédoine même qui fut
le berceau de la renaissance bulgare. La Macédoine a donné
au peuple bulgare ses premiers promoteurs et protagonistes
nationaux: Païssi, Néophyte Rylsky, Peytchinovitch,
Kârtchovsky, les frères Miladinoff, etc. En fondant
l'Exarchat, la Macédoine s'est acquis les plus grands
mérites, car elle a travaillé de la sorte à la liberté de cro-
yance du peuple bulgare. Elle lui a donné une littérature
nationale écrite en langue populaire, car les premiers livres
bulgares ont été imprimés à Salonique. La Macédoine ne
cacha jamais ses sentiments patriotiques; elle comprit par-
faitement les besoins nationaux du peuple bulgare, qui
a souffert et dont le sang coulera encore, s'il le faut pour
— 289 —
sa nationalité jusqu'à ce que le soleil de la paix et de la
liberté se lève enfin sur toutes les régions bulgares unifiées.
Bulgare par tout son passé, la Macédoine est bulgare aussi
par le présent, malgré les deux années de domination serbe
et grecque. Il faut qu'elle reste bulgare pour l'avenir.
« Mais, qu'adviendra-t-il si les puissances européennes

détachent la Macédoine entière ou seulement une partie


d'elle, du corps national bulgare?

«La plaie saignante ne se cicatrisera jamais. Le peuple


bulgare, ainsi dépouillé, ne se taira pas longtemps. La
lave brûlante recommencera à s'échapper du volcan bal-
kanique; de sombres nuées s'amoncelleront et obscurciront
de nouveau le ciel, le spectre de la guerre reparaîtra et
l'heure sonnera où le paysan bulgare abandonnera pour
la troisième fois sa charrue, saisira le glaive vengeur et
versera les derniers gouttes de son sang pour la libération
de la Macédoine. Puisqu'il est profondément vrai que la
Macédoine est bulgare au point de vue ethnographique et
national, alors il faut qu'elle devienne aussi politiquement!
La science impartiale doit prononcer à ce sujet son ultime
sentence, avant que la diplomatie européenne prenne sa
décision. Qu'on rende enfin leur patrie aux milliers de
fugitifs macédoniens, qui fuyant devant les Turcs d'abord,
puis devant les Grecs et les Serbes ensuite, ont cherché
et trouvé un asile tutélaire en Bulgarie Sur les tombeaux
!

de milliers des Bulgares ayant combattu pour la libération


de la Macédoine, qu'on érige un monument digne de leurs
sacrifices et de l'idéal national pour lequel ils se sont im-
molés!
«Telle est la seule solution équitable de la brûlante
question macédonienne. Alors se trouvera réalisée le de-
vise du grand Gladstone: «Le Balkan aux peuples bal-
kaniques » Alors seront paralysées définitivement les vel-
!

léités des autres puissances de s'immiscer dans les affaires


purement balkaniques.
«Mais, l'Europe veut-elle vraiment la paix?»
19
— 290 —
29. —
Emile Kûpfer, Suisse, philologue, professeur
au collège de Morges, canton de Vaud. Il a vécu dans
les Balkans et en a appris les langues. Dans son étude
consciencieuse « La Macédoine et les Bulgares », Lausanne
1918, il écrit entre autres ce qui suit:
« Revenant maintenant à la Macédoine, nous aurons
donc à résoudre problème de la nationalité de ses habi-
le

tants slaves. Nous procéderons par les deux voies indiquées :

celle de la détermination objective, afin de savoir si ces


Slaves sont —
du point de vue ethnographique Serbes —
ou Bulgares; puis celle de la détermination psychologique
(ou subjective), pour connaître si jusqu'ici (1912 13), ils ont —
manifesté clairement leur volonté d'être Serbes ou Bulgares.
Deux questions se présentent donc —
une d'ethnographie,
puis une d'histoire. Pour les résoudre, une méthode unique,
celle des faits dûment constatés par des étrangers au débat » (p. 8).
Au lieu d'instruire ce procès dans les nuées, ne serait-il
pas infiniment plus simple d'interroger cette population
elle-même, ainsi que ses voisins? Or, dans leur immense
majorité, et avant l'occupation serbe de 1912 — 15, ces
Macédo- Slaves se nommaient « Bougari », ou « Bolgari »,
ou « Bogari ». Jamais leurs voisins Grecs ou Turcs, —
Albanais ou Valaques, Juifs ou Tsiganes ne les ont —
désignés autrement. Jamais non plus ces « Bougari » ne
se sont appelés simplement « Slaves » ou « Macédoniens ».
Dans la réalité ces noms ne s'emploient pas, car ce sont
de simples concepts scientifiques » (page 12).

« Nous avons admis, dans l'introduction à cette étude,


que le principal indice objectif de la nationalité ethnogra-
phique, c'est la langue. Quoi de plus probant, de plus
péremptoire? La langue d'une population paraît une des
rares choses indiscutables dans ce domaine. Mais hélas!
dans cette malheureuse Macédoine que l'on dépèce comme
une proie, tout est sujet à controverse, et l'idiome macédo-
slave a fourni la matière de longs débats. Nous devons
donc aborder ce sujet.
— 291 —
«Les langues serbe et bulgare sont de même souche
slave. Elles sont voisines par le vocabulaire, au point que
beaucoup de mots leur sont communs, et que beaucoup
d'autres ne se distinguent que par l'accentuation ou par
quelque nuance phonétique. Malgré cela, pourtant, sous
le rapport des sons déjà, chacune des deux langues a ses
caractères propres très marqués. Mais c'est au point de vue
des formes grammaticales que la différence des deux
idiomes est la plus grande. Le serbo-croate, comme les
langues slaves en général, possède des déclinaisons très
complètes. Seul le bulgare les a perdues, sauf quelques
vestiges. En revanche, il emploie un article qui présente
la particularité (comme en roumain ou en suédois) de
s'ajouter au nom ou à l'adjectif: gorà =
forêt; gorà-ta
== la forêt. Les rapports des mots, marqués en serbe par
la déclinaison, s'expriment en bulgare par des prépositions.
D'autre part, ce dernier idiome a aussi perdu complète-
ment le mode infinitif du verbe. Il ne peut donc exprimer
l'action en général que par une circonlocution. « Désirez-
vous ce livre ? » se traduira par « Désirez-vous que (vous)
lisiez ce livre ? » Cette structure grammaticale particu-
lière sépare avec une absolue netteté le bulgare du serbe,
et fait qu'il est difficile, quand on ne connaît qu'une des
deux langues, de comprendre vraiment l'autre . . .

«Depuis Schafarik, les maîtres de la linguistique slave


ont tous rattaché sans réserves au bulgare le plus authen-
tique les parlers de la Macédoine. C'est simplement qu'à
tous égards, et particulièrement sous rapport fondamen-
le
tal de la structure grammaticale, ces parlers présentent
sans exception les traits caractéristiques du bulgare »
(p. 13—15).
«Au cours de notre rapide enquête, un fait a été établi
rigoureusement. C'est que les Slaves macédoniens, sauf une
fraction infime, ont été universellement reconnus comme
Bulgares de langue (ou de race) jusqu'il y a quarante ans.
Par conséquent ils ne peuvent être autre chose aujourd'hui.
/
— 292

Et si nous soulignons cette vérité, c'est qu'il le faut bien

en un temps où il est si difficile de se faire entendre.


«Mais, nous tenons à rappeler le principe admis en com-
mençant, que la nationalité ethnographique d'une popu-
lation ne permet pas encore de préjuger de sa véritable
nationalité politique. En d'autres termes, et dans le cas
particulier, il ne suffit pas à nos yeux que les Macédo-
Slaves soient de langue bulgare pour qu'ils doivent, en
vertu de ce fait, être incorporés à la Bulgarie. Il faut pour
cela savoir s'ils sont aussi Bulgares de sentiments et d'es-
prit, si leur conscience nationale s'est prononcée dans le
sens de cette réunion. Cette enquête psychologique, l'his-
toire récente de ce peuple peut seule permettre de la faire
en connaissance de cause » (p. 22).
Puis, l'auteur passe en revue les différentes mani-
festations nationales bulgares de la population macédo-
nienne: la lutte contre le clergé grec pour l'autonomie
scolaire et religieuse, lutte commencée à Scopié (Macé-
doine), les insurrections sanglantes (surtout celle de Mo-
nastir, en 1903, toujours en Macédoine, contre le joug
séculaire des Turcs, l'enrôlement volontaire des Macé-
doniens soUs les drapeaux bulgares lors des guerres de
1912, 1913, 1915 —
1918, etc. Enfin, pour exprimer l'ardeur
du sentiment national bulgare chez les Macédoniens,
E. Kûpfer relève les vers du poète macédonien R. Jinzi-
foff (1862):
« La Macédoine, ce pays merveilleux,
Jamais, jamais ne sera grecque!
Les fourrés, les bois et les monts,
Les pierres mêmes de ce sol,
Les oiseaux, les poissons du Vardar,
Les vivants et les morts se lèveront
Pour crier à l'Europe et au monde:
« Je suis bulgare Des Bulgares vivent
1 ici ! »

Hélas! Jinzifoff ne pouvait supposer que sa patrie,


souffrant de l'hellénisme, se verrait un jour menacée par
les Serbes . . .
Carte de la Macédoine

LEGENDE
Frontière géographique
de la Macédoine

Frontière politique
Yougoslave

Frontière grecque

albanaise

„ bulgare

Itinéraire suivi par


l'auteur de cet ouvrage

Arghyrocastro

Lipsa C° . Berne (Suisse J


Echelle 1 : 1.500000
•<0 10 I o lOOKil.imL'ti'cs
Carte ethnographique de la Macédoine

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