Le TD ABC Levant

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Le Time-Driven ABC : la

simplification de l’évaluation des


coûts par le recours aux équivalents –
un essai de positionnement
Olivier de LA VILLARMOIS
Université de Lille 1
Yves LEVANT
Université de Lille I et ISFEM/Lille Graduate School of Management

Classification JEL : M40 – Réception : 06/2006 ; Acceptation : 01/2007


Correspondance
Email : [email protected] ; [email protected]
Résumé : Kaplan et Anderson, cons- Abstract : As Kaplan and Anderson
cients des limites de la méthode were aware of the limits of the ABC
ABC, en proposent une évolution : le method, they offered a developed
Time Driven ABC (TDABC). Il fait version : the Time Driven ABC
partie des méthodes d’équivalence method (TDABC). This version is
caractérisées par leur simplicité et one of the equivalence methods char-
leur faible coût d’utilisation. En effet, acterised by their simplicity and low
la principale contribution du TDABC cost of use. Actually, the main con-
est de n’utiliser qu’un seul inducteur tribution of the TDABC method is its
de coûts, le temps. Un autre apport use of only one cost inductor : time.
est la proposition d’une mesure de la The method is easy to set up. Fur-
sous-activité. Toutefois, non seule- thermore, subactivity can be meas-
ment l’imputation rationnelle n’est ured. However, rational imputation is
pas un concept nouveau mais encore, not a new concept and the results
les résultats proposés doivent être should be studied with caution. An-
considérés avec précaution. Une autre other difficulty should be emphasized
difficulté peut être soulevée : la pré- : the precision of the time measure
cision de la mesure des temps sur la- which the method relies on. In spite
quelle repose la méthode. Malgré ce- of this, the TDABC method is an
la, le TDABC est un outil simple et easy, low cost tool to set up and use.
peu onéreux à mettre en place et à
utiliser.

Mots clés : coûts complets – métho- Key words : full cost – equivalence
des des équivalences – Time Driven methods – TDABC method – ABC
ABC – méthode ABC. method.

Finance Contrôle Stratégie – Volume 10, n° 1, mars 2007, p. 149-182.


150 Le Time-Driven ABC…

La méthode ABC apparaît actuellement comme la méthode de réfé-


rence d’évaluation de coûts complets, même si de nombreuses diffi-
cultés dans sa mise en œuvre sont fréquemment soulignées (Anderson,
1995 ; Malmi, 1997 ; Gosselin, 1997 ; Krumwiede, 1998). Certaines
entreprises l’auraient même abandonnée (Ness et Cucuzza, 1995).
Malgré une grande complexité de mise en oeuvre et de maintenance,
l’ABC ne réduirait pas les erreurs dans le calcul des coûts (Datar et
Gupta, 1994 ; Kaplan et Anderson, 2004 ; Gervais, 2005). Sa com-
plexité ne serait pas la solution. Par ailleurs, la synthèse d’Alcouffe et
Malleret (2004), même si elle est essentiellement limitée au contexte
français, montre des divergences quant aux fondements conceptuels de
l’ABC et à son opérationnalisation. Mévellec (2005, p. 192) observe,
lui aussi, une famille de modèles à base d’activités très hétérogène. Les
principales différences concernent la constitution des activités et
l’agrégation de celles-ci. Kaplan et Anderson (2003, 2004), conscients
des limites opérationnelles de l’ABC, en proposent une évolution : le
Time Driven ABC (TDABC)1. Ils se positionnent dans le prolongement
des variantes de l’ABC qu’ont observé Alcouffe et Malleret (2004) et
Mévellec (2005). Tout en ne souhaitant pas abandonner le concept
d’activité, ils veulent simplifier la mise en œuvre de l’ABC (Kaplan et
Anderson, 2004, p. 132-133). Mais, les modifications qu’ils suggèrent
peuvent être qualifiées de substantielles. Elles les conduisent à désigner
les versions antérieures du modèle sous les vocables de Rate-Based
ABC2 (Kaplan et Anderson, 2003) ou de « traditional ABC » (Kaplan
et Anderson, 2004).
La principale contribution du TDABC serait de n’utiliser qu’un seul
inducteur de coûts : le temps. Une analyse plus fine décèle dans cette
proposition un recours au principe des équivalences. Cela rappelle que
la méthode des sections homogènes a elle-même suscité de nombreuses
propositions de méthodes alternatives telles les méthodes GP, des
nombres caractéristiques, des équivalences du Cnpf… (La Villarmois
et Levant, 2001). Il est possible d’identifier des points communs entre
ces propositions alternatives afin d’aboutir à un « cadre d’analyse inté-
gré ». En effet, il est étonnant de relever que dans les deux cas (ABC et

1
Dès 1998, Kaplan et Cooper (1998, p. 292-296) présentaient les prémisses du
TDABC, sans le nommer.
2
Kaplan et Anderson (2003) justifient la dénomination « Rate-Based ABC » par le fait
que les coûts unitaires par inducteur de coûts (ou rate) servent de base au calcul des
coûts des objets de coûts.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 151

sections homogènes), c’est la voie des méthodes d’équivalences qui a


souvent été choisie lorsqu’il s’agissait de proposer des simplifications.
Le TDABC étant issu d’un certain nombre de critiques formulées à
l’encontre de l’ABC, celles-ci seront rappelées dans un premier temps.
Dans un deuxième temps, le TDABC sera présenté et ses forces et fai-
blesses seront discutées. Enfin, une synthèse des méthodes de calcul
des coûts complets par équivalence sera proposée afin de positionner le
TDABC et de mettre en évidence son apport.

1. Les critiques à l’encontre de l’ABC

Le modèle ABC tel qu’il a été initié par Cooper, Johnson et Kaplan,
dans les années 1980, est une méthode d’évaluation des coûts complets
qui mesure la consommation de ressources par des activités, elles-
mêmes consommées par des objets de coûts : produits, clients, com-
mandes... Elle se fonde sur le fait que les coûts d’activités se ventilent
de manière pertinente sur les objets de coûts au prorata de la cause
principale de consommation : l’inducteur de coût. Malgré les avantages
importants de la méthode, beaucoup d’entreprises ont rencontré des
difficultés lors de sa mise en place et de son utilisation. Des abandons
ou des réductions du domaine d’utilisation sont relatés. Les facteurs
explicatifs des problèmes rencontrés sont multiples (Anderson, 1995 ;
Anderson et Young, 1999 ; Argyris et Kaplan, 1994 ; Bromwich et
Bhimani, 1994 ; Foster et Swenson, 1997 ; Krumwiede, 1998 ; Malmi,
1997). Le fait de ne prendre en considération dans chacune de ces étu-
des qu’un seul, voire un nombre limité de paramètres, expliquerait la
diversité des résultats (Gosselin et Pinet, 2002).
Pour évaluer un coût complet, les sources d’erreurs à éviter sont
nombreuses. Celles-ci sont décrites par Datar et Gupta (1994) et détail-
lées dans le tableau infra. Kaplan et Anderson (2003, 2004) et Gervais
et Lesage (2006) ajoutent même un type d’erreur supplémentaire avec
l’erreur d’imputation des charges fixes.
En recherchant la qualité du chiffrage, l’ABC serait un modèle
complexe, long et difficile à mettre en place et à maintenir (Kaplan et
Anderson, 2003, 2004).
152 Le Time-Driven ABC…

Tableau 1 – Les types d’erreur dans l’évaluation des coûts


Type d’erreur Description
Elle résulte de la difficulté pratique d’identifier les coûts d’une acti-
vité ou de mesurer les unités de ressources consommées par les ob-
jets de coûts. Elles correspondent, soit à une erreur de saisie dans les
comptes (tel montant de charges est attribué par erreur au compte B
Mesure
plutôt qu’au compte A), soit à une erreur sur l’estimation du niveau
de l’inducteur (exemple : une secrétaire estime qu’elle passe 20 %
de son temps à accueillir la clientèle alors, qu’en réalité, elle y
consacre 40 %).
Elle provient de l’oubli d’un inducteur, de l’emploi d’un mauvais
Spécification inducteur ou du recours à une relation fausse entre le coût de
l’activité et son inducteur (Gervais et Lesage, 2006).
Elle se produit quand le coût agrège des ressources qui sont
Agrégation consommées par les objets de coûts dans des proportions différentes
(problème de l’homogénéité du coût).
Imputation des
Elle survient lors d’une sous-utilisation des capacités productives.
charges fixes

1.1. Un modèle complexe pour une pertinence discutable


Le système ABC a été conçu pour réduire les erreurs de spécifica-
tion souvent observées lors de la construction de modèles d’évaluation
de coûts complets. Ces erreurs apparaissent lors de l’utilisation
d’indicateurs volumiques de coûts si, dans la réalité, les coûts sont gé-
nérés par des activités non volumiques. L’ABC a également été conçu
pour réduire les erreurs d’agrégation. En effet, il y aurait plus de préci-
sion lorsqu’il y a plus d’activités et d’inducteurs de coûts pour suivre la
consommation des ressources par les produits/services. Selon une par-
tie de la littérature, des coûts de production plus précis seraient obtenus
en ABC si les ressources étaient éclatées en éléments plus fins. Égale-
ment, lorsque les activités deviennent plus complexes, le modèle né-
cessiterait que les activités soient divisées en unités d’analyse plus peti-
tes et plus fines (Kaplan et Cooper, 1998). Par exemple, lorsque le coût
du traitement des commandes ne dépend pas seulement du nombre de
commandes mais aussi du type de client, un système de coûts précis
devrait utiliser des inducteurs de coûts différents pour chaque type de
client. Tout ceci implique une inflation du nombre d’activités. Aussi,
Kaplan et Anderson (2003, 2004) prétendent que, parallèlement à
l’augmentation du besoin en information dû à celui de plus de précision
ou à l’extension du modèle à toute l’entreprise, il y a une escalade ex-
ponentielle en besoins informatiques, afin de stocker et d’exploiter les
données. Ils prennent l’exemple d’une société utilisant un modèle ABC
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 153

pour calculer les coûts de 600 000 objets de coûts (produits et clients)
au travers de 150 activités. Pour faire tourner le modèle mensuellement
pendant deux ans, une capacité de traitement et de stockage de deux
milliards de données3 serait nécessaire. Un tel besoin excède la capaci-
té des outils couramment utilisés, tels Excel ou la plupart des logiciels
ABC existants sur le marché.
De plus, il n’est pas certain que la seule multiplication du nombre
d’activités résolve ce problème (Datar et Gupta, 1994 ; Gervais, 2005 ;
Gervais et Lesage, 2006). On peut penser qu’un système avec moins
d’inducteurs serait moins coûteux et plus facile à comprendre (Mer-
chant et Shields, 1993). Des études théoriques ont d’ailleurs été menées
afin d’essayer de réduire le nombre d’inducteurs sans réduire la repré-
sentation du système ABC (Babad et Balachandran, 1993 ; Homburg,
2001).

1.2. Des erreurs de mesure importantes


Les raffinements exposés ci-dessus sont généralement obtenus au
prix d’erreurs de mesure (Datar et Gupta, 1994) car les informations
qu’ils nécessitent sont souvent difficiles à obtenir (Foster et Gupta,
1990). En effet, les mesures des coûts des activités et des coûts unitai-
res des inducteurs sont imprécises, lorsque les variables mesurées ne
sont pas associées à des techniques ou à des guides de mesure bien dé-
finis. Prenons, par exemple, un département « gestion des clients »
dans lequel la totalité des charges de ce département est répartie entre
trois activités (gestion des commandes, réclamations, encaissement).
L’imputation des charges est souvent faite en fonction de l’estimation
de la répartition du temps passé par le personnel pour assumer chacune
de ces trois activités (Kaplan et Anderson, 2003, 2004). Ces temps sont
généralement estimés au moyen de questionnaires et d’interviews
(Cooper et al., 1992). La pertinence de ceux-ci est souvent faussée par
le fait que, lorsque les employés estiment leurs temps de travail, ils ont
tendance à les surévaluer. Ceci implique que les coûts des inducteurs
sont eux-mêmes surévalués (Kaplan et Anderson, 2003 ; 2004).

3
150 x 600 000 x 12 x 2 = 2,6 milliards.
154 Le Time-Driven ABC…

1.3. Une mise en place longue


Beaucoup de modèles ABC tardent à être opérationnels lorsqu’ils
sont trop complexes, car ils nécessitent un temps de développement
trop long (Anderson, 1995). Des études de cas réalisées dans différents
pays montrent que l’importance du travail à fournir pour la mise en
place du modèle est considérée, aussi bien par l’équipe du projet que
par les comptables, comme un des principaux obstacles à son implanta-
tion (Cobb et al., 1992). Par exemple, l’analyse des activités nécessite
de nombreuses interviews pour une durée individuelle de 30 minutes à
deux heures (Cooper, 1990). De plus, très souvent, les activités sont
transversales entre les fonctions/départements, ce qui nécessite une
étude minutieuse pour déterminer leur nature (Cobb et al., 1992).

1.4. Des difficultés de mise à jour


Kaplan et Anderson (2003, 2004) observent que, dans un environ-
nement dynamique, les activités, les process, les produits, les clients…
changent fréquemment. Aussi, la mise à jour régulière du modèle peut
être très onéreuse. Chaque fois que l’on souhaite actualiser le modèle,
il faut repasser par la phase d’interviews et d’évaluation des temps
d’exécution des activités. Il faut ré-estimer la part des ressources affec-
tée aux différentes activités. La collecte de ces données étant fortement
consommatrice de temps de travail de personnel qualifié, elle est coû-
teuse. C’est la raison pour laquelle, selon Armstrong (2002), il est plus
difficile de dégager du temps pour mettre à jour le modèle que pour le
mettre en place. En conséquence, lors de l’implantation d’un modèle
ABC, il faut toujours trouver un compromis entre une complexité plus
grande et une possibilité de mise à jour plus simple. Ce problème aura
d’autant plus d’acuité que l’entreprise sera grande et que le champ
d’application du modèle sera large (unité opérationnelle ou entreprise
dans sa globalité). Afin de réduire ces difficultés, les utilisateurs cons-
truisent souvent des modèles séparés pour chacun de leurs sites ou le
limitent à un groupe de produits ou à un canal de distribution (Themido
et Arantes, 2000). L’inconvénient est alors la quasi-impossibilité
d’avoir une vision globale de la rentabilité des couples pro-
duits/marchés.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 155

2. La proposition de Kaplan et Anderson : le TDABC

Après avoir rappelé les principes qui fondent cette proposition, des
exemples seront développés.

2.1. Les principes du TDABC


Le TDABC ne remet pas en cause le raisonnement de base de
l’ABC : les ressources sont consommées par les activités, elles-mêmes
consommées par les objets de coûts. Ce qui fait la particularité du
TDABC, c’est l’utilisation de temps standards et la manière dont ces
temps sont valorisés.
Pour ce qui est des temps, il faut insister sur le fait que les temps
standards utilisés sont des temps unitaires ; il ne s’agira jamais,
contrairement à l’ABC, de répartitions (standards) de temps entre acti-
vités. En ce qui concerne la notion d’activité, elle n’est pas remise en
cause. Par contre, un concept nouveau est introduit : le groupe de res-
sources. Il s’agit de l’agrégation des activités qui consomment les mê-
mes ressources, sans nécessairement respecter le principe
d’homogénéité4. Au lieu d’identifier les ressources consommées par les
activités, les ressources sont imputées aux groupes de ressources.
Pour déterminer les coûts associés à un objet de coûts, le TDABC
détermine d’abord le temps normalement requis (c’est-à-dire le temps
standard) des divers groupes, à partir d’« équations de temps » où les
caractéristiques de l’action (ou inducteurs de temps) déterminent le
temps consommé ; puis il multiplie les coûts unitaires des groupes de
ressources par les temps requis pour la réalisation de l’objet de coûts.
Selon Anderson et Kaplan, ces équations de temps ont vocation à
« capturer la complexité » des opérations. De cette façon, on peut envi-
sager la multiplication des activités, sans pour autant entraîner des dif-
ficultés de collecte d’information et de répartition des ressources entre
celles-ci.
Mathématiquement, le raisonnement est le suivant.
Le temps Tigt d’un groupe de ressources g consommé par un objet
de coûts i au cours de la période t est égal à :

4
Les équations de temps permettront toutefois d’évaluer des coûts sans que cette sim-
plification nuise à leur précision.
156 Le Time-Driven ABC…

Tigt = ∑ X agit ⋅ τ agt0


a

avec τ agt0 le temps standard5 associé à l’inducteur de temps de


l’opération a du groupe de ressources g et X agit le nombre
d’inducteurs (de l’opération a du groupe g) consommés par l’objet de
coûts i au cours de la période t. Cet inducteur de temps peut être une
variable continue (le poids d’une palette), une variable discrète (le
nombre de commandes) ou une variable dichotomique, c’est-à-dire une
variable qui prendra pour valeur 0 ou 1 (type de client nouveau ou an-
cien, par exemple).
Le total des charges indirectes consommés par l’objet de coûts i au
cours de la période t, Rit , s’écrit alors :

Rit = ∑ Tigt ⋅ C gt
g

avec Cgt le coût unitaire du groupe de ressources g au temps t.


Le C gt peut être évalué de différentes manières. Kaplan et Ander-
son (2003, 2004) recourent au coût standard ; Bruggeman et al. (2005)
préfèrent le coût réel.
Kaplan et Anderson (2003, 2004) déterminent le coût unitaire du
groupe de ressources en rapportant les ressources habituelles consom-
mées par le groupe aux heures de travail correspondant à sa capacité
normale disponible :

∑ ch
j
jgt 0
K
C gt 0 =
CAPgt0

avec CAPgt0 la capacité du groupe de ressources g de la période t et


chj gt

les ressources de nature j consommées.


Cette capacité disponible est déduite du temps de travail théorique.
Pour la déterminer, un coefficient tenant compte des temps de pause,
d’arrivée et de départ, de communication et de formation est appliqué
au travail théorique. Selon Kaplan et Anderson, ce coefficient est géné-
ralement de l’ordre de 80 %. Si, par exemple, un service emploie deux
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 157

personnes à plein temps, son temps de travail théorique mensuel est


de : 2 personnes * 150 heures * 60 minutes = 18 000 minutes. En ap-
pliquant un coefficient de 0,8, la capacité disponible sera de :

18 000 minutes * 0,80 = 14 400 minutes.

Ce mode de calcul revient à calculer les coûts des objets de coûts en


imputation rationnelle. Comme le démontre Gervais (2006), ce qui est
calculé est le coût préétabli de la production constatée du Plan compta-
ble général 1982. L’intérêt de Kaplan pour l’imputation rationnelle
n’est pas nouveau. Dans le cadre de l’ABC, elle était assez souvent
prise en compte : « Les managers doivent être encouragés à modifier
l’utilisation des ressources sur le court terme, sur la base d’une infor-
mation sur les capacités utilisées » (Robinson, 1990 ; Cooper et Ka-
plan, 1992). Kaplan et Cooper (1998) l’évoquaient dans un chapitre in-
titulé « Measuring the Cost of Resource Capacity ». En comparant la
somme de ces coûts au coût correspondant à la capacité normale dispo-
nible, on obtient un écart valorisé qui n’est rien d’autre que l’écart sur
volume d’activité du Plan comptable 1982.
Chez Bruggeman et al. (2005), le calcul du coût unitaire du groupe
de ressources s’effectue en rapportant les charges réelles au temps
normal pour le niveau d’activité réel, soit :

∑ ch
j
jgt
B
C =
∑T
gt
igt
i

Dans cette approche, le coût de la capacité inemployée est intégré


au coût des différents objets de coûts. Il n’est donc plus possible de
l’isoler (Gervais 2006). La sous-activité ne peut donc être prise en
compte qu’au niveau des temps (en comparant les temps standards aux
temps réels).
Gervais (2006) suggère une troisième option : celle de rapporter les
ressources réellement consommées à la capacité normale disponible.
∑ ch
j
jgt
G
C gt 0 =
CAPgt0

5
S’agissant d’un temps standard, il a été désigné par l’indice t 0 .
158 Le Time-Driven ABC…

Dans ce cas, le coût de la sous-activité serait exprimé sous la forme


d’un pourcentage des charges réelles.
Quelle que soit la solution choisie, elle conduit à simplifier
l’évaluation des coûts en réduisant les besoins en termes de collecte de
données. La mise en pratique de ces principes se traduit par
l’enchaînement des étapes suivantes pour évaluer les coûts au moyen
du TDABC :

Tableau 2 – L’évaluation des coûts au moyen du TDABC, selon les


approches Kaplan et Anderson (2003, 2004),
Bruggeman et al (2005) et Gervais (2006)
Phase Étapes
Kaplan et Anderson (2003,
Bruggeman et al. (2005) Gervais (2006)
2004)
- identifier les activités ; - identifier les activités ; - identifier les activités ;
- définir les activités d’un - définir les activités ap- - définir les activités ap-
même « groupe de ressour- partenant à un même partenant à un même
ces » ; « groupe de ressources ». « groupe de ressources ».
- estimer la capacité nor-
male de chaque groupe de
ressources en termes
Implantation d’heures de travail ;
- estimer les ressources
consommées normalement
par chaque « groupe de
ressources » ;
- calculer les coûts unitai-
res de chaque groupe de
ressources.
- déterminer pour chaque - déterminer la production - calculer les ressources
objet de coûts, les temps de chaque groupe de res- consommées par chaque
requis (et non pas sources en termes « groupe de ressources » ;
consommés puisque des d’heures de travail ; - calculer les coûts unitai-
standards sont utilisés) ; - calculer les ressources res de chaque groupe de
- multiplier les temps re- consommées par chaque ressources ;
quis par le coût unitaire. « groupe de ressources » ; - déterminer pour chaque
Exploitation - calculer les coûts unitai- objet de coûts, les temps
(évaluation res de chaque groupe de requis (et non pas
des coûts) ressources ; consommés puisque des
- déterminer pour chaque standards sont utilisés) ;
objet de coûts, les temps - multiplier le coût uni-
requis (et non pas taire par les temps requis.
consommés puisque des
standards sont utilisés) ;
- multiplier le coût uni-
taire par les temps requis.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 159

2.2. Une application du modèle


La mise en pratique des principes exposés supra se fera en deux
temps. Nous illustrerons, tout d’abord, le concept d’équation de temps
qui permet, selon ses promoteurs, de capter la complexité des opéra-
tions, avant de fournir des exemples des diverses modalités de valorisa-
tion des temps.
En ce qui concerne les équations de temps, l’exemple souvent expo-
sé d’un service clients peut être repris. Admettons que le temps pour
saisir une commande normale soit de 3 minutes ; chaque ligne de com-
mande nécessite 2 minutes de saisie, les opérations de saisie pour un
nouveau client sont de 15 minutes additionnelles et 10 minutes sup-
plémentaires sont encore exigées pour saisir une commande à livrer en
express. Nous avons un inducteur de temps métrique (le nombre de li-
gnes de commandes X1) et deux inducteurs binaires X2 (nou-
veau/ancien) et X3 (normal/express). L’inducteur X2 prend la valeur 1
lorsque le client est nouveau et 0 lorsqu’il est déjà enregistré. La varia-
ble X3 prend la valeur 1 pour une livraison express et 0 pour un envoi
normal. Le temps de saisie d’une commande se calcule au moyen de
l’équation suivante :

Temps de traitement d’une commande k : tk = 3 + (2 * X1) + (15 * X2)


+ (10 * X3)

avec : X1 = nombre de lignes de commandes ;


X2 = nouveau client (1)/client existant (0) ;
X3 = livraison express (1)/livraison normale (0).

Le temps de saisie d’une commande comprenant cinq lignes de


commandes en livraison express émanant d’un nouveau client Lambda
sera alors de :

tL = 3 + (2 * 5) + (15 * 1) + (10 * 1) = 38 minutes

Pour ce qui est de la valorisation des temps, l’exemple développé


par Kaplan et Cooper (1998) sera repris pour illustrer les différentes
versions. Il fait référence à un département clients ayant trois activités :
prise de commandes, suivi des réclamations et vérification de la solva-
160 Le Time-Driven ABC…

bilité des clients. Il consomme 560 000 € de ressources dans des condi-
tions normales de fonctionnement.
En utilisant la méthode ABC, le résultat d’interviews et
d’enregistrements des temps mène à des niveaux de coûts correspon-
dant au tableau 3.

Tableau 3 – Les coûts selon la méthode ABC


ABC
Coût total des ressources : 560 000€
Nombre
Coût unitaire par
Activité % Coûts affectés d’inducteurs de
inducteur
coûts
Saisie des commandes 70 % 392 000€ 7 000 56€/commande
Suivi des réclamations 10 % 56 000€ 200 280€/Client
Contrôle de la solva-
20 % 112 000€ 350 320€/Contrôle
bilité des clients
Total 560 000€

Selon la méthode TDABC telle que présentée par Kaplan et Ander-


son (2003, 2004) en admettant que la capacité normale du groupe de
ressources est de 8 000 heures, on obtient les résultats suivants :

Tableau 4 – Les coûts selon le TDABC version Kaplan et Anderson


(2003, 2004)
Time-Driven ABC (Kaplan et Anderson, 2003, 2004)
Coût total normal des ressources 560 000€
Capacité pratique du groupe de ressources 8 000 heures
Coût standard d’une unité de temps 70€/heure (560 000 €/8 000 heures))
Temps stan- Coût uni-
Quantité
dard par acti- Temps Total taire par Coût total
d’activités
vité activité
Activité 8 000h 560 000€
Saisie des
7 000 0,72h 5 040h 50,40€ 352 800€
commandes
Suivi des ré-
200 3,60h 720h 252€ 50 400€
clamations
Contrôle de la
solvabilité des 350 4,11h 1 440h 288€ 100 800€
clients
Capacité utilisée 7 200 h 70€ 504 000€
Capacité non inutilisée 800 h 70€ 56 000€

Les coûts unitaires par activité sont inférieurs à ceux calculés par
l’ABC, en raison de la prise en compte de la sous-activité.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 161

Selon la version Bruggeman et al. (2005), en supposant que les


charges réelles du groupe de ressources, pour la période t, soient de
576 000€, le coût horaire est donc de 80 € (576 000 € / 7 200 heures) et
la valorisation des activités devient :

Tableau 5 - Les coûts selon le TDABC version Bruggeman et al.


(2005)
Time-Driven ABC (Bruggeman et al., 2005)
Coût total réel des ressources 576 000€
Capacité pratique du groupe de ressources 8 000 heures
Coût réel d’une unité de temps 80€/heure
Temps stan- Coût uni-
Quantité Temps Total Coût total
dard par acti- taire par
Activité d’activités
vité activité
(1) (3) = (1) x (2) (5) = (1) x (4)
(2) (4)
Saisie des
7 000 0,72h 5 040h 57,60€ 403 200€
commandes
Suivi des ré-
200 3,60h 720h 288,00€ 57 600€
clamations
Contrôle de la
solvabilité des 350 4,11h 1 440h 328,80€ 115 200€
clients
Capacité utilisée 7 200 h 80€ 576 000€
Capacité non inutilisée 800 h

Enfin, selon la troisième version envisagée par Gervais (2006), le


coût horaire serait de 72 € (576 000 € / 8 000 h) et la valorisation des
activités deviendrait :

Tableau 6 – Les coûts selon la suggestion de Gervais (2006)


Time-Driven ABC (Gervais, 2006)
Coût total réel des ressources 576 000€
Capacité pratique du groupe de ressources 8 000 heures
Coût d’une unité de temps 72€/heure
Temps stan- Coût uni-
Quantité Temps Total Coût total
dard par acti- taire par
Activité d’activités
vité activité
(1) (3) = (1) x (2) (5) = (1) x (4)
(2) (4)
Saisie des
7 000 0,72h 5 040h 51,84€ 362 880€
commandes
Suivi des ré-
200 3,60h 720h 259,20€ 51 840€
clamations
Contrôle de la
solvabilité des 350 4,11h 1 440h 296,23€ 103 680€
clients
Capacité utilisée 7 200 h 72€ 518 400€
Capacité non inutilisée 800 h 72€ 57 600€
162 Le Time-Driven ABC…

Dans cette version, le coût de la sous-activité est égal au taux de la


sous-activité multiplié par les charges réelles soit : (800/8 000) ×
576 000 € = 57 600 €. Toutes les charges étant considérées comme va-
riables, le coût de la sous-activité est lui-même variabilisé (Gervais,
2006).

3. Les intérêts et les limites du modèle

Peu de travaux font référence à la mise en œuvre concrète du


TDABC : Kaplan et Anderson (2004, p. 133) évoquent plus d’une cen-
taine d’applications mais ne fournissent que des informations très suc-
cinctes relatives à deux mises en œuvre, alors que Bruggeman et al.
(2005) décrivent de manière plus détaillée le cas d’un négociant6. Les
avantages du modèle sont systématiquement mis en avant. La simplici-
té, la souplesse ou encore l’évaluation du coût de la sous-activité sont
souvent citées. Cependant, certaines limites peuvent aussi être relevées.

3.1. La simplicité du modèle


La simplicité du TDABC s’appuie sur trois points :
– les groupes de ressources sont a priori moins nombreux que les
activités, ce qui simplifie la ventilation des charges et réduit les erreurs
de mesure selon la terminologie de Datar et Gupta (1994) ;
– il n’y a plus d’informations à collecter fréquemment concernant le
nombre d’inducteurs consommés. Des standards sont utilisés. Il s’agit
seulement de s’assurer que les standards sont conformes aux pratiques
et régulièrement mis à jour (Gervais, 20067) ;
– aussi, il n’est pas nécessaire de faire des enquêtes régulières pour
déterminer la répartition éventuelle du temps de travail entre plusieurs
activités.
En outre, la mise en place est moins lourde que l’UVA, car il y a
moins de groupes de ressources que de postes de travail. Cette simpli-
cité n’empêche pas toutefois d’appréhender la complexité des opéra-
tions.

6
Il est possible de trouver quelques informations dans des revues professionnelles, par
exemple dans les numéros d’août/septembre 2003, de janvier et de mars 2005 de Busi-
ness Logistics.
7 Sur ce point, mais à propos de la méthode UVA.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 163

3.2. Les équations de temps : un outil commode pour saisir la


complexité
La souplesse du modèle doit aussi être soulignée ; on peut ajouter
facilement une activité supplémentaire, si elle est réalisée avec un
même groupe de ressources. Il suffit d’ajouter un terme à l’équation de
temps. Par exemple, face à la sous-activité récurrente du service com-
mercial étudié supra, il est possible de lui affecter une nouvelle tâche
comme les « relances clients ». Si le temps standard affecté à une re-
lance est de 20 minutes, l’équation de temps du service deviendra :

Temps de traitement d’une commande tk = 3 + (2 * X1) + (15 * X2) +


(10 * X3) + (20 * X4)

avec : X1 = nombre de lignes de commandes


X2 = nouveau client (1)/client existant (0)
X3 = livraison express (1)/livraison normale (0)
X4 = nombre de relances

Ainsi, les équations de temps permettent non seulement de capter la


complexité des opérations mais aussi d’avoir un outil d’évaluation des
coûts relativement flexible. Si une nouvelle activité est créée, il n’est
pas nécessaire d’identifier quelles sont les ressources consommées. Il
suffit d’identifier le groupe de ressources avec lequel elle est réalisée et
de déterminer le temps requis pour l’exécuter.
Toujours pour capter la complexité, Bruggeman et al. (2005) déve-
loppent la notion d’interaction dans les équations de temps. Un exem-
ple permet de l’illustrer. Supposons que le temps supplémentaire pour
saisir les commandes ayant des spécifications techniques particulières
dépende des compétences techniques de la personne assurant la saisie.
Admettons que le temps additionnel soit de huit minutes lorsque la
prise de commande est effectuée par un administratif et de seulement
trois minutes lorsqu’elle est effectuée par un personnel technique. Sup-
posons encore que le coût des personnels administratifs et techniques
soit le même. Dans ces conditions, la saisie d’une commande émanant
d’un client Delta va entraîner huit minutes de travail supplémentaire
par ligne, sauf si elle est effectuée par un technicien. Ce dernier passe
cinq minutes de moins par ligne de commandes qu’un administratif.
Afin d’inclure cet effet dans l’équation de temps une cinquième varia-
164 Le Time-Driven ABC…

ble doit être définie : le type de personne assurant la saisie, (X5). Dans
le modèle de consommation de temps, il se trouve désormais une va-
riable ayant un effet sur trois paramètres liés à la prise de commandes :
le nombre de lignes de commandes (variable métrique), le type de
client et la personne assurant la saisie (variables binaires). L’équation
générale de temps devient alors :

Temps de traitement d’une commande = 3 + (2 * X1) + (15 * X2)


+ (10 * X3) + (20 * X4) + (3 * X1 * X5) + (5 * X1 * X5 * X6)

avec : X1 = nombre de lignes de commandes


X2 = nouveau client (1)/client existant (0)
X3 = livraison express (1)/livraison normale (0)
X4 = nombre de relances
X5 = client Delta (1)/autre client (0)
X6 = commande saisie par des administratifs (1)/commande
saisie par des techniciens (0)

Le calcul du temps de saisie d’une commande normale comprenant


cinq lignes de commandes, émanant du client Delta, sans relance, avec
la saisie par une personne des services techniques prend 28 minutes
comme le montre le résultat de l’équation de calcul des temps :

Temps de traitement de la commande du client Delta = 3 + (2 * 5) +


(15 * 0) + (10 * 0) + (20 * 0) + (3 * 5 * 1) + (5 * 5* 1 * 0) = 28 minu-
tes.

Pour prendre en considération ces interactions, si l’indice k désigne


les différents inducteurs d’une activité, le calcul du temps consommé
par l’objet de coûts pourra être formalisé de la manière suivante :

 
Tigt = ∑  ∏ X kagit  ⋅ τ agt0
a  k 

Il ne s’agit que d’une généralisation de la formalisation proposée


supra.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 165

3.3. Une mesure du coût de la sous-activité


Le TDABC se présente sinon comme une méthode d’imputation ra-
tionnelle, tout au moins comme une méthode permettant de mesurer
l’écart d’activité.
En effet, les différentes utilisations du TDABC permettent
d’apprécier l’écart d’activité au niveau des groupes de ressources. La
version proposée par Kaplan et Anderson (2003, 2004) valorise cet
écart. Si l’on se réfère au Plan comptable français 1982, ce qui est cal-
culé est un écart sur « volume d’activité », c'est-à-dire la différence en-
tre le coût préétabli de la production prévue et le coût préétabli de la
production réelle. La version de Bruggeman et al. (2005), qui est la
plus utilisée en pratique en Europe8, se contente de déterminer un écart
en volume. La capacité disponible de travail est mise en correspon-
dance avec le temps nécessaire à la réalisation des tâches de la période
évaluée au moyen des standards.
Le TDABC permet ainsi de réduire l’erreur d’imputation des char-
ges fixes qui survient lors d’une sous-utilisation des capacités produc-
tives.

3.4. Les limites du TDABC


Trois points au moins méritent d’être exposés : les modalités
d’évaluation du coût de la sous-activité, la place centrale accordée au
temps et les difficultés de mesure de ces temps.

3.4.1. Les limites de l’évaluation du coût de la sous-activité


Le TDABC est présenté comme ayant comme avantage d’introduire
l’imputation rationnelle dans l’évaluation de coûts, de proposer une
mesurer des coûts de capacité9. Qu’il soit nécessaire de rapporter les
ressources à un niveau normal d’activité pour présenter des coûts ho-

8
Bruggeman et al. (2005) dans leur étude de cas représentative de la façon dont la mé-
thode TDABC est mise en place en Europe par le cabinet Acorn (auquel appartiennent
Steve Anderson et Robert Kaplan) observent que les calculs sont faits mensuellement
en rapportant les charges réelles aux temps standards multipliés par le niveau d’activité
réel. C’est également ainsi qu’est utilisée la méthode UVA (voir infra), mis à part le
fait que les charges réelles et l’activité réelles sont lissées sur les 12 derniers mois.
9
Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une singularité du TDABC ; Kaplan ne fait que transposer
les arguments en faveur de l’évaluation des coûts de capacité avec l’ABC (Cooper et
Kaplan, 1992 ; Robinson, 1990).
166 Le Time-Driven ABC…

mogènes n’est pas une découverte récente. Gantt en a présenté le prin-


cipe dans sa forme actuelle dès 1915 (Bouquin, 2005, 2006). En
France, l’imputation rationnelle était préconisée par Rimailho (1947)10,
la Cegos dans les années 1920-1930 et le Plan Comptable Général
198211.
Il est possible de s’interroger sur le niveau normal d’activité. Est-ce
la capacité théorique, la capacité normale, la capacité budgétée, la ca-
pacité pratique… (McNair, 1994) ? Kaplan et Anderson (2003, 2004)
retiennent une capacité pratique, de l’ordre de 80 % de la capacité
théorique pour les heures de main-d’œuvre. Ce chiffre, non justifié, est
identique à celui que les responsables de General Motors employaient
dans les années 1920, le considérant comme le taux maximum
d’utilisation des capacités sur la longue période (Bouquin, 2006).
Par contre, l’intérêt du TDABC est de pouvoir manipuler des ni-
veaux d’activité, non au niveau de l’entreprise, mais à un niveau plus
fin : celui du groupe de ressources.
Se focaliser sur le coût de sous-activité peut induire des déconve-
nues. Cet indicateur est un signal de gaspillage de capacité et non une
mesure de coût d’opportunité comme cela est suggéré (Bouquin, 2006).
Certes on peut considérer que c’est un pont entre le court terme et le
long terme pour le manager. Mais pour cela, il faudrait savoir ce qu’il
serait possible d’économiser et proposer des emplois alternatifs.

3.4.2. Un modèle fondé sur les temps


La place centrale accordée aux temps de travail du personnel pose
également des problèmes. L’utilisation presque exclusive des heures de
main-d’œuvre pour répartir les charges a été à l’origine des critiques
conceptuelles des méthodes précédant l’ABC par les tenants de cette
dernière, entre autres Kaplan lui-même (Johnson et Kaplan, 1987). Il
leur reprochait de ne pas être adaptées à l’évolution des technologies
de production et au processus de création de valeur des organisations
(Johnson et Kaplan, 1987 ; Lebas, 1995 ; Lorino, 1989 ; Mévellec,
1993). S’agirait-il d’un retour en arrière ? Rien n’est moins sûr. En fait,
avec le TDABC, Kaplan et Anderson semblent vouloir mieux prendre
en compte la problématique des services dans le calcul des coûts et,

10
On peut attribuer à Rimailho la paternité de l’expression « imputation rationnelle ».
11
Il s’agit d’ailleurs d’une obligation pour l’évaluation des stocks (en normes françai-
ses et IFRS).
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 167

dans les activités de service, le travail manuel ou intellectuel de


l’homme reste prépondérant.

3.4.3. Les difficultés de mesure des temps


Kaplan et Anderson (2003, 2004) critiquent l’ABC dans lequel les
estimations par les employés du pourcentage de leur temps passé à dif-
férentes activités sont fausses. Le total de ces pourcentages est toujours
égal voire même supérieur à 100 %, alors que des capacités inutilisées
existent. Pourtant ils proposent, avec le TDABC, une solution qui
consiste en l’estimation des tâches élémentaires par les mêmes procé-
dures d’interviews ou d’observation directe. Or, c’est dans les activités
tertiaires que ces types de mesure sont les plus complexes. En effet, le
temps passé à des prestations de service est flou et instable ; c’est de
l’immatériel appliqué à de l’immatériel (une production consommée en
même temps que produite). Il s’en suit des difficultés de mesure ampli-
fiées en cas de prise en compte des temps déclarés. Cardinaels et Labro
(2005) identifient au moyen de simulations des biais de surestimation
importants, de l’ordre de 35 %. Dans leur étude menée au sein d’un
centre d’appels, Allain et Gervais (2007) montrent que même lorsque
les activités sont stabilisées, la durée des tâches peut être influencée par
divers paramètres tels que les demandes du client (demande exagérée,
demande multiple, demande vague…), la motivation de l’employé ou
la pression de l’environnement (nécessité de libérer la ligne)… l’usage
de l’informatique n’augmentant pas la fiabilité des mesures. Kaplan et
Anderson (2004) affirment que ces erreurs sont sans importance si el-
les restent faibles (de l’ordre de 5 à 10 %), mais bien souvent ces seuils
sont dépassés.

3.5. Bilan de synthèse : les types d’erreurs possibles dans le


TDABC
Pour clore cette analyse des intérêts et limites du TDABC, il semble
intéressant d’étudier l’impact de la méthode sur les différents types
d’erreur identifiés supra.
Les erreurs de mesure ont deux origines : une erreur d’affectation
d’une charge ou une erreur d’estimation du nombre d’inducteurs
consommés. Pour le premier type d’erreur, le TDABC permet de le ré-
duire, la maille d’analyse (le groupe de ressources) étant plus grosse
168 Le Time-Driven ABC…

que dans les autres techniques (ce qui peut poser des problèmes
d’homogénéité qui seront développés infra). Pour le second type
d’erreur, selon Kaplan et Anderson (2004), l’amélioration serait no-
toire. Il serait préférable d’estimer le temps nécessaire à l’exécution
d’une tâche plutôt que de travailler avec une proportion de temps dis-
ponible affectée à une activité. Il convient cependant de s’interroger sur
la précision des standards (cf. paragraphe précédent).
Pour ce qui est de l’erreur de spécification, le TDABC ne semble
pas induire de particularité significative. En effet, l’affirmation qui
consiste à dire que le TDABC utilise pour seul inducteur de coût, le
temps, est réductrice. Si le temps était le seul inducteur utilisé, cela in-
duirait effectivement des erreurs de spécification. Mais, en fait, de mul-
tiples inducteurs sont utilisés (le nombre de lignes de commandes, le
fait d’être un nouveau client, le type de livraison…) pour évaluer le
temps consommé. D’autres unités de capacité que le temps peuvent
également être utilisées (surface, capacités informatiques…).
L’erreur d’agrégation renvoie à la question de l’homogénéité des
coûts. Avec les modèles traditionnels (ABC ou méthode des sections
homogènes), il faut vérifier que les consommations de ressources sont
bien déclenchées par l’inducteur choisi et uniquement par lui, et que
les ressources de l’activité ou de la section sont utilisées dans les mê-
mes proportions pour tous les travaux qu’elle réalise. Si ce n’est pas le
cas, il faut créer une nouvelle activité. Avec le TDABC, à l’évidence, il
n’y a pas d’homogénéité au sein des groupes de ressources. Par contre,
le recours à une multiplicité d’inducteurs (voire aux interactions entre
inducteurs) permet probablement d’obtenir un meilleur ajustement
avec les consommations du groupe de ressources que ce que permet
l’inducteur unique avec les ressources consommées par l’activité. Cette
possibilité autorise aussi une mise à jour aisée du modèle d’activité, in-
dispensable à la maîtrise de l’erreur d’agrégation, ce qui est délicat
avec l’ABC (Kaplan et Anderson, 2004), voire très délicat avec des ap-
proches de type GP/UVA.
Enfin, une solution est proposée pour l’imputation des charges
fixes.
Pour conclure, le TDABC n’apparaît pas comme une méthode per-
mettant une simplification de l’évaluation des coûts aux dépends de la
précision.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 169

4. Une tentative de positionnement du TDABC

Pour positionner le TDABC parmi les méthodes d’évaluation de


coûts complets, nous mettons d’abord en exergue les points communs
qui existent entre cette méthode et d’autres fondées sur les équivalen-
ces. Dans cette optique, nous commençons par rappeler brièvement ce
que sont ces méthodes.

4.1. Panorama des méthodes fondées sur les équivalences


Elles ne seront pas systématiquement présentées car trop nombreu-
ses. En outre, elles n’ont souvent fait l’objet que de la publication d’un
article par un praticien n’ayant parfois eu l’occasion de l’expérimenter
que dans un nombre réduit d’organisations.
Face à la complexité des méthodes traditionnelles de calcul de coûts
complets (sections homogènes puis ABC), il a été tenté depuis long-
temps de mettre au point des méthodes ayant pour point commun de
n’utiliser qu’un seul inducteur de coûts. Ces méthodes, simples et peu
onéreuses, sont à la fois analytiques (car décomposant les processus
jusqu’aux opérations élémentaires) et synthétiques (car proposant une
unité commune pour toutes les opérations). Leur intérêt premier est la
simplification de l’évaluation des coûts en cherchant à cerner au plus
près les relations entre les coûts et les produits/services, tout en simpli-
fiant les processus comptables. Elles tentent de ramener l’ensemble de
la production à un multiple d’un article standard et donc de ramener
fictivement la production d’entités multi-produits/services à des entités
mono-produits/services.
Zimnovitch (1997, p. 178) fait remonter l’origine des méthodes fon-
dées sur les équivalences à la communication de Garry (1903) devant
la Society of Chemical Industry. Ce dernier, dans la méthode d’analyse
des écarts qu’il propose, utilise pour le calcul des standards une unité
de mesure propre à l’entreprise. Il serait également possible de se réfé-
rer aux travaux de l’américain Church (1901) qui impute les frais géné-
raux en fonction de taux modulés, afin de calculer des taux horaires
machines. Taylor, lui-même, aurait mis au point une méthode (inspirée
de Church) qui utilisait des nombres indices, afin de répartir des frais
(Garner, 1954, p. 196-197). En France, dans la seconde moitié du ving-
tième siècle, il est possible de retrouver trace de méthodes reposant sur
170 Le Time-Driven ABC…

des équivalences. Des documents professionnels ou syndicaux12, diffé-


rentes éditions de manuels de comptabilité analytique tels ceux de Lau-
zel (1971, 1973, 1977), de Lauzel et Bouquin (1985, 1988) et de Court
et Leurion (1981) font référence à de telles méthodes exposées sous les
noms de méthodes des équivalences, des points, des nombres caracté-
ristique et de méthode GP13 (La Villarmois et Levant, 2001). Georges
Perrin initiateur de la méthode GP fait même référence aux travaux de
Bedaux et au Troud14. Antunes (1988), cité par Rodrigues et Brady
(1991), rapporte l’existence dans l’entre-deux-guerres de techniques
similaires en Allemagne, en Italie, en France et aux États-Unis. Égale-
ment Howard (1966) expose l’application aux États-Unis d’une mé-
thode appelée Equivalent Unit Costing (EUCO) reposant sur les équi-
valences dans le secteur de la défense. Il s’agit de travaux dispersés is-
sus de la pratique qui constituaient tout au moins une communauté de
recherches repérée par Lauzel (1973) : « Ces exemples donnent une
idée de l’évolution qui est en cours et qui tend à cerner de plus près les
relations entre les coûts et les quantités d’œuvres ou de produits tout en
simplifiant les processus comptables ».
Plus récemment, Rodrigues et Brady (1992) et Dhavale (1996a, b)
ont observé des approches comparables au Brésil, en France, en
Grande-Bretagne et aux États-Unis. Il s’agit soit de la méthode UEP
(Unit of Production Effort ou Unitades de Esforco de Producao)15 soit
de diverses autres méthodes non dénommées mais ayant comme point
commun d’utiliser un inducteur unique pouvant être le temps16. Encore
aujourd’hui, beaucoup de ces méthodes n’ont pas fait l’objet de publi-
cations dans des revues académiques. Elles ont pour caractéristiques

12
Par exemple, le chapitre « Méthode indiciaire » de la brochure du Cnpf intitulée
« Méthodes rationnelles d’analyse et de calcul » (Cnpf, 1957), la brochure de la Cegos
publiée dans les années 1950 et intitulée « Les méthodes Indiciaires » ou l’article « La
méthode des nombres caractéristiques » dans la Revue Française de Comptabilité (Au-
doye, 1955).
13
La méthode GP a évolué en France pour prendre successivement les noms de UP
(Unités de Production) puis UVA (Unités de Valeur Ajoutée).
14
Le Troud fut une tentative en URSS, entre 1920 et 1921, de remplacement
de la monnaie par un équivalent en heures de travail (Levant et Nikitin, 2005).
15
Il s’agit en fait de l’évolution brésilienne de la méthode française GP. La méthode
GP, mise au point par Georges Perrin dans les années 1950 en France, a été développée
au Brésil par des membres de sa famille, principalement son neveu, H.V. Lage, un
consultant brésilien. Elle a eu dans ce pays une diffusion plus importante qu’en France
et a évolué de manière différente (La Villarmois et Levant, 2004).
16
Dhavale (1996b) utilise l’expression Time Based Costing Method.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 171

communes d’avoir été mises au point et d’être utilisées de manière lo-


cale et spontanée. Leurs initiateurs17 sont plutôt des ingénieurs18 œu-
vrant dans des ateliers de production, le plus souvent dans les secteurs
automobile, aéronautique ou de la défense et, fréquemment, dans de
grandes entreprises19.
La présentation plus détaillée des principales méthodes fondées sur
les équivalences permet d’identifier les points communs avec le
TDABC.

4.2. Les principales méthodes fondées sur les équivalences


Seules la méthode des équivalences du Cnpf et la méthode UVA se-
ront exposées, car ce sont celles qui ont fait l’objet de publications dé-
taillées, tout au moins en France et qui sont donc les plus formalisées.

4.2.1. La méthode des équivalences du Cnpf (1957)


Elle est présentée dans un document du Conseil National du Patro-
nat Français (Cnpf), en 1957, sans qu’il y ait de référence précise à un
initiateur. Cette méthode recherche des lois de variation de certains
coûts (main d’œuvre, matières premières, énergie, matières consomma-
bles, amortissements, entretien...) en fonction des caractéristiques phy-
siques des produits fabriqués. Pour chacun des composants du coût de
revient des articles, il est déterminé un coefficient d’équivalence avec
l’unité de référence, dont la pondération permettra de calculer le coef-
ficient d’équivalence global du produit concerné. Pour simplifier les
calculs, le raisonnement n’est appliqué qu’à des familles d’articles
obéissant aux mêmes lois de variation des coûts. La validité de la mé-
thode repose sur la précision de l’analyse qui doit permettre de ventiler
un maximum de charges imputables ; le solde des frais considérés
comme non imputables est réparti proportionnellement au nombre
d’unités de référence produites. Les promoteurs de l’outil pensent qu’il
permet « de suivre avec facilité l’activité de l’entreprise par une ana-
lyse rapide des écarts entre prévision et réalité ». Sa limite, outre la
17
Ces méthodes n’étant que la conséquence d’observations des pratiques, l’initiateur
est celui qui les formalise ou les conceptualise.
18
En effet, la mise en place de ces méthodes nécessite une décomposition fine des pro-
cess imposant l’assistance d’ingénieurs.
19
Un des exemples de mises au point cité par Dhavale (1996b) est un atelier de Boeing
aux États-Unis.
172 Le Time-Driven ABC…

stabilité des rapports d’équivalence, réside dans la trop grande simpli-


cité de la répartition des charges « indirectes » en fonction d’éléments
« directs » avec lesquels elles n’ont aucun lien de proportionnalité
(Lauzel, 1973). Afin de répondre à ces critiques d’autres méthodes ont
été proposées, notamment la méthode GP/UVA.

4.2.2. La méthode UVA


La méthode UVA semble être la méthode la plus conceptualisée qui
soit la plus ancienne20 et la plus diffusée21 (La Villarmois et Levant,
2004). L’unification de la production se fait en déterminant l’unité de
valeur ajoutée. L’unité de valeur ajoutée est la consommation de res-
sources nécessaires à la réalisation d’un processus (ou d’un article) de
référence, choisi comme représentatif de ce qui se fait dans
l’entreprise. La méthode détermine la consommation de ressources de
chaque poste de travail dans les conditions habituelles d’exploitation
(optique coût standard), un poste de travail étant défini comme « un en-
semble de moyens matériels et humains nécessaires à la réalisation
d’une opération ». Chaque poste se voit ainsi attribuer des frais de
fonctionnement (une consommation de ressources directes) par unité
d’œuvre, c’est-à-dire un coût direct unitaire hors achats incorporés aux
produits et dépenses spécifiques-clients, ce que les auteurs appellent
encore un taux de poste. Pour chaque poste, est calculé un indice de
poste, c’est-à-dire le rapport de sa consommation de ressources à celle

20
La méthode UVA a comme origine la méthode GP créée par Georges Perrin en 1945
et qui l’a diffusée jusqu’à son décès en 1958. Sa veuve, Suzanne Perrin a continué la
diffusion jusqu’en 1969 en éditant l’ouvrage posthume de son mari (Perrin, 1962). À
compter de cette date, elle a tenté de continuer en passant des accords avec d’autres ca-
binets de consultants. Ce sera un échec, seul le cabinet Les Ingénieurs Associés (LIA)
fera survivre la méthode sous la dénomination de « méthode UP ». La méthode UP a
évolué ; elle est passée de la seule analyse des charges de production à l’analyse de la
quasi-totalité des charges de l’entreprise. Aussi, en avril 1995, afin de briser l’ancienne
référence à la notion unique de production, le nom de la méthode change et se trans-
forme, après quelques nouvelles modifications, en méthode UVA.
21
Outre quelques centaines d’applications en France sous les dénominations GP, UP et
UVA, la méthode GP aurait été mise en place au Maroc et en Suisse (La Villarmois et
Levant, 2005). De plus elle s’est diffusée au Brésil et en Grande Bretagne sous la dé-
nomination UEP – cf. ci-dessus – (Allora, 1996 ; Lage et Allora, 1961; Rodrigues et
Brady, 1992).
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 173

de l’« article de référence »22. L’indice de poste est donc égal au taux
de poste divisé par le taux de base (taux de l’article de base).
Le coût de chaque gamme opératoire est également estimé en unités
de valeur ajoutée. Toute l’activité de l’entreprise est ainsi exprimée en
UVA. Puis, lors de chaque période, le coût de l’UVA est établi. Il est
calculé à partir de l’ensemble des charges de la comptabilité financière
de la période. Si C est le montant des charges de la comptabilité géné-
rale, A le montant des achats incorporés aux produits, D le montant des
dépenses directes par rapport aux clients et Quva la production d’UVA
de la période, on a :

C − ( A + D)
Coût de l’UVA = .
QUVA

Le coût de la valeur ajoutée d’un produit est alors égal au coût de


l’UVA de la période multiplié par le nombre d’UVA consommées.
Quant au coût des ventes à un client, il s’obtient en sommant le coût
des matières incorporées aux produits vendus, les dépenses spécifi-
ques-client correspondantes et les coûts de la valeur ajoutée.
La méthode repose sur le « principe des constantes occultes », c'est-
à-dire que, quels que soient les prix unitaires, les efforts de production
dégagés par les diverses opérations élémentaires présentent entre eux
des rapports constants dans le temps23.
Le TDABC fait bien partie de ces méthodes reposant sur les équiva-
lences. Toutefois, contrairement à la méthode UVA qui définit des
équivalences entre l’ensemble des opérations (les constantes GP), avec
22
Le choix de l’UVA n’a pas d’incidence sur le niveau des coûts obtenus, même si les
taux de poste se modifient au cours des périodes suivantes (La Villarmois, 2004). Il est
toutefois souhaitable de retenir un étalon de mesure représentatif de l’activité, de ma-
nière à ce que les taux de poste et les équivalents UVA soient parlants pour les utilisa-
teurs. La méthode sera ainsi mieux intériorisée.
23
Les rapports restent constants si la technique reste stable et les prix de tous les pro-
duits augmentent sensiblement en même temps. Il en est de même si un ou plusieurs
postes de frais montent en flèche par rapport aux autres mais s’ils entrent dans des pro-
portions identiques dans les différentes opérations. C’est uniquement dans le cas où un
ou plusieurs postes de frais n’entrant pas avec des proportions identiques montent en
flèche que les rapports cessent d’être constants. Ainsi, le principe des constantes oc-
cultes serait quasiment toujours vérifié à court terme. Pratiquement, les observations
des industriels utilisateurs et du concepteur de la méthode ont dans leur grande majori-
té, montré qu’il n’y a pas à s’occuper de leur révision pendant plusieurs années (5 à 6
ans). Pour une étude mathématique de la stabilité de la méthode, voir Gervais (2006) et,
pour des études de cas, Gervais et Levant (2007).
174 Le Time-Driven ABC…

le TDABC, elles sont définies au niveau de chaque groupe de ressour-


ces. L’analogie avec le coût du point, dans la méthode des points, est
évidente (Lauzel, 1973, p. 134). Lauzel (1973, p. 142) conclut le chapi-
tre consacré aux méthodes fondées sur des coefficients d’équivalence
par cette remarque d’une étonnante actualité : « Ces exemples [métho-
des qui viennent d’être évoquées] donnent une idée de l’évolution qui
est en cours et qui tend à cerner de plus près les relations entre les
coûts et les quantités d’œuvres ou de produits tout en simplifiant les
processus comptables ». À l’évidence, plus de trente ans plus tard, le
processus est toujours en cours. S’il est établi que le TDABC est une
méthode « fondée sur des coefficients d’équivalence », il convient de la
positionner par rapport à l’ensemble de méthodes de calcul en coûts
complets.

4.2.3. Une mise en perspective des méthodes d’évaluation des coûts


complets
La proposition de simplification que représente TDABC va dans le
sens de nombreuses autres méthodes. Le TDABC en suggère deux :
une maille d’analyse plus grossière et, comme l’indique son nom, le re-
cours à un inducteur de coûts unique, le temps. La maille d’analyse est
plus grossière, les « groupes de ressources » étant, d’une certaine ma-
nière, une agrégation d’activités. Les équations de temps permettent de
prendre un compte la diversité des opérations réalisées au moyen d’un
même groupe de ressources. Cette simplification n’est pas nouvelle, la
notion de processus permet une simplification du même type, à la diffé-
rence près que les regroupements sont a priori plus transversaux. La
seconde simplification apportée est la mesure de la complexité de ces
opérations au moyen d’un inducteur unique, le temps que leur exécu-
tion nécessite. L’opposition entre ABC24 et TDABC est toutefois ré-
ductrice. Il est possible d’imaginer toutes les situations intermédiaires
entre les applications utilisant une grande variété d’inducteurs (ABC)
et celles ne prenant en compte que le temps comme inducteur
(TDABC).
Toujours pour simplifier, l’évaluation des coûts, la méthode des
équivalences du Cnpf ramène l’ensemble de la production à un multi-
ple d’un article standard. Elle repose sur l’identification d’équivalences
24
Dans cette partie, nous ne discuterons pas spécifiquement de la méthode des centres
d’analyse. Nous assimilerons la méthode des centres d’analyse à l’ABC.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 175

entre opérations ou entre produits. Cette méthode est tellement simpli-


ficatrice que Dhavale (1996b) n’évoque son application que pour une
partie du processus de production, même si le principe pourrait être
étendu à l’ensemble d’une entreprise. Certains exemples décrits par
Dhavale (1996b) sont très proches de ceux d’Anderson et Kaplan
(2004), au niveau d’un groupe de ressources. Là encore, un continuum
existe du TDABC, qui définit des équivalences au niveau de chaque
« groupe de ressources », à la méthode des équivalences qui, dans son
stade ultime, définit des équivalences entre l’ensemble des produits ou
des opérations de l’organisation.
La méthode UVA peut être présentée de deux manières, (1) par
comparaison avec la méthode des équivalences du Cnpf ou bien (2)
avec l’ABC. (1) Par rapport à la méthode des équivalences, la méthode
UVA est plus sophistiquée. Des équivalents entre produits sont
calculés mais indirectement ; ce sont les équivalences entre opérations
qui permettent, au moyen des gammes de production, de déterminer les
équivalences entre produits. On pourrait la qualifier de méthode
d’équivalence à double niveau. (2) Par rapport à l’ABC, la phase de
mise en place de la méthode UVA présente de nombreux points
communs. Les analyses faites pour définir des activités homogènes ou
des rapports d’équivalence (les constantes GP ou indices UVA) entre
les opérations sont très semblables (Gervais 2005, p. 701).
Enfin, il est délicat de présenter le TDABC comme une
simplification de la méthode UVA ou réciproquement. Le TDABC
dans la conception de Bruggeman et al. (2005) est plus complexe que
la méthode UVA, car il nécessite l’évaluation des ressources
consommées pour chaque groupe de ressources lors de chaque période.
Par contre, la méthode UVA est plus complexe que le TDABC à cause
de la diversité des inducteurs qui peuvent être utilisés.
Le TDABC apparaît comme une simplification d’utilisation
possible de l’ABC au même titre que la méthode UVA. Ces différentes
comparaisons entre méthodes sont synthétisées dans la figure 1.
176 Le Time-Driven ABC…

Figure 1 – Positionnement des méthodes d’évaluation en coûts


complets

Les simplifications sont de


trois ordres : TDABC
Une maille d’analyse plus
grossière (les groupes de
ressources rassemblent des Ressources La simplification porte sur la
activités) détermination des
Un seul inducteur est utilisé, équivalences qui se font
le temps. uniquement par rapport à un
Les temps utilisés sont des Groupe de ressources produit (ou une opération) de
standards. référence
Cependant, les équations de Temps
temps permettent de prendre
en compte la complexité des Objets de coûts
opérations.
Méthode des centres d’analyse

Equivalences entre les


produits ou entre les

équivalences du CNPF
Rate-Based ABC (ABC)/

Les consommations de ressources ne temps d’opération


Ressources Une maille d’analyse plus sont étudiées que pour la période de

Méthode des
grossière référence. Cependant, sur cet aspect, il y
a identité entre la conception d’Anderson
et Kaplan et la méthode UVA. Unification de la
Activités production
Inducteurs
de coûts Equivalences entre les
opérations
Objets de Valorisation du produit ou
coûts de l’opération de
référence
Equivalences entre les
produits

Unification de la
production
La simplification induite par le
principe des constantes Les équivalences sont
occultes permet d’envisager directement définies entre
une maille d’analyse plus produits Légende
fine. Valorisation du produit de
référence
Simplification
Méthode UVA apportée

Conclusion

Le choix d’une méthode de calcul de coûts et de son utilisation est


fonction de la nature de la décision à prendre, de la technologie et de
l’utilisateur. Par ailleurs, les méthodes d’évaluation des coûts sont mul-
tiples et leur combinaison permet de faire face à chaque situation
(Bouquin, 2006 ; Kaplan, 1989).
L’ambition de Kaplan et Anderson (2003, 2004) est de proposer une
évolution de l’ABC, afin de répondre à des critiques ayant parfois
même abouti à son abandon. Le principal apport du TDABC semble
être la proposition d’une solution réduisant la complexité des opéra-
tions avec des équations de temps. L’introduction d’interactions dans
ces équations permet ainsi de prendre en considération l’impact de
phénomènes relativement complexes sur les coûts.
Olivier de La Villarmois, Yves Levant 177

La mise en place du TDABC, plus précisément, l’identification des


consommations de ressources, est facilitée par l’agrégation des activi-
tés en groupes de ressources. Son utilisation réduit la collecte
d’information, des standards étant utilisés. Elle met en évidence, quelle
que soit la façon de s’en servir (coût complet historique ou imputation
rationnelle), une comparaison entre les temps consommés et les temps
« disponibles ». La maintenance du système est allégée en cas de modi-
fication des process d’activité, avec la facilité d’ajout d’une activité ré-
alisée au moyen d’un groupe de ressources existant. Enfin, il convient
de relever que l’analyse au niveau des groupes de ressources permet de
réduire la sensibilité des coûts des inducteurs aux variations d’activité.
Par contre, l’appréciation des coûts des capacités inutilisées n’est
pas une nouveauté. La formalisation de l’imputation rationnelle est
vieille de près d’un siècle. Certains utilisateurs pourront être déçus par
le calcul du volume ou de la valeur de la sous-activité proposés. Ces
indicateurs ne sont qu’un signal de gaspillage de capacité et non une
mesure de coût d’opportunité comme cela est sous-entendu. Au-delà du
problème de définition de ce que doit être la capacité normale, ce qui
est calculé est l’écart sur « volume d’activité » au sens du PGC 1982,
constatant que l’on n’a pas utilisé la capacité normale (Gervais, 2006)
et non un coût d’opportunité (Bouquin, 2006).
Par ailleurs, la place centrale accordée aux temps pose des problè-
mes. La précision de la méthode d’estimation des temps proposée est
discutable. Lorsque l’observation directe de ceux-ci n’est pas possible,
le recours aux temps déclarés reste la seule solution, avec toutes les
imprécisions que cette mesure entraîne (Allain et Gervais, 2007).
Le TDABC est bien une simplification d’utilisation de l’ABC. Il
fait partie des méthodes d’équivalence dont la simplicité et le faible
coût d’utilisation séduisent mais à qui l’on reproche souvent un man-
que d’assises théorique et de fiabilité. Il est toutefois trop aisé de dé-
noncer l’archaïsme et le simplisme de ces approches. Que penser des
modèles idéaux qui ne peuvent pas être opérationnalisés, à tel point que
lorsqu’il s’agit de les mettre en pratique, la solution des coefficients
d’équivalence est parfois évoquée ? Innes et Mitchell (1995) la propo-
sent à propos de l’ABC. Également, Brimson (1998), avec le « feature
costing », recommande de s’attacher à la valorisation d’un produit ba-
sique et de chacune des options, plutôt que de chercher à valoriser in-
dépendamment les différents produits. Aussi, alors qu’elle est souvent
utilisée dans les bureaux d’études et les ateliers par les ingénieurs, les
178 Le Time-Driven ABC…

comptables la redécouvrent régulièrement au travers d’une « nouvelle


méthode ».

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