M. Kehl - Cristologia
M. Kehl - Cristologia
M. Kehl - Cristologia
Comment comprendre alors qu'en tant que creatures nous vivons en Dieu et
que pourtant nous ne sommes pas Dieu ou une étincelle divine, une
manifestation ou une émanation divine, mais des êtres distincts de lui
auxquels a été conférée l’autonomie ?
Le mot clé déterminant a déjà été prononcé : ce paradoxe n'est pensable que
si Dieu est amour qui accorde en lui-même de l’espace à ce qui est autre.
C'est ainsi que la signification de l’affirmation majeure de Jean concernant
Dieu devient pleinement intelligible : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8).
Dieu n'est pas cela d'abord parce qu'il a créé le monde comme le vis-à-vis de
sa relation aimante; dans ce cas, en effet, il aurait besoin du monde de façon
nécessaire et surtout de nous-mêmes, les êtres humains finis, de maniêre à
pouvoir aimer réellement et être ainsi véritablement Dieu — une notion de
Dieu qui n'a pas de sens et qui est contradictoire en elle-même ! Non,
confesser que Dieu est amour signifie que l’amour est son essence la plus
intime, indépendamment de toute relation à la créature finie. Dieu ne crée
pas le monde pour pouvoir l’aimer, mais parce que depuis toujours déja il est
amour et parce qu'il veut faire participer le monde à la joie débordante de
cet amour.
Que signifie ici: « Depuis toujours déjà il est amour » ? À qui ou à quoi se
rapporte cet amour de Dieu ? Il ne peut pas être pensé comme simple amour
de soi, car cela conduirait à nouveau à l'absurde le discours sur Dieu comme
amour, et n’expliquerait jamais la possibilité même de la création, et à plus
forte raison sa réalité.
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À Voir également Benoir XVI, encyclique Deus caritas est aux evêgues, aux
prêtres et aux diacres, aux personnes consacrées et à tous es fidêles laíques
sur amour chrétien, Paris, 2006.
342 COHÉRENCE SYSTÉMATIQUE
C'est pourquoi I' évangile de Jean peut dire de Jésus: « Celui qui m'a vu a vu
le Pêre », le Dieu caché et révélé en Jésus (Jn 14, 9).
D'un autre côté, Jésus ne cesse de renvoyer les hommes au-delà de lui-même
vers le Pere: celui-ci seul est la source du salut; c'est à lui seul que sont dus
honneur et action de grâce. À la différence d' Adam, le type de "homme
pécheur,. Jésus ne succombe pas à la tentation de vouloir être comme Dieu.
Tout en étant profondément un avec le Pêre, Jésus n'efface jamais la
différence entre lui-même, le Pere et l’Esprit donné par lui: dans ce même
Esprit-Saint le Fils
1. Sur le fondement de la foi en Dieu trinité dans "expérience histo-
rique avec Jésus, voir W. KaspER, Der Gott Jesu Christi, Mayence, 1982
(trad. fse Jésus le Christ, Paris, 1976); B. FORTE, Trinitiit als Geschichie, g
Mayence, 1982 (trad, fse Triniré et histoire. Essai sur le Dieu chréttemt
Paris, 1989): J. WERBICK, art. « Trinitãtslehre », dans Th. SCHNEIDER
(éd.), Handbuch der Dogmatik, 2, Dússeldorf, 2000, p. 564-570:
J. Ackva, An den dreieinen Gott glauben, Francfort-sur-le-Main, 1994, p. 53-
193.
LE POINT CRUCIAL DE LA FOI CHRÉTIENNE... 343
C'est ainsi que l'Esprit-Saint qui « gémit» en nous (voir Rm 8, 22 s.26) se porte
garant de la grande promesse de Dieu, inscrite dans la création, à savoir
qu'un jour (pour autant qu'elle y est disposée) elle sera accueillie de façon
définitive dans cette communion parfaite avec son Créateur où toute faute
sera pardonnée, où toutes les blessures seront guéries et où toutes les
larmes seront effacées.
Un texte de Hans Urs von Balthasar, à qui je dois beaucoup concernant ces
questions, résumera encore une fois ce cheminement de la pensée (peut-
être un peu compliqué mais fondamental): «Le face-à-face “paradoxal” de la
créature avec un Dieu sans contradiction fait place à un vis-à-vis de la créa-
ture à l’intérieur du vis-à-vis éternel du Pêre et du Fils qui est le présupposé
éternel de leur rencontre, de leur amour, de leur union dans l’Espnit-Saint.
On ne peut pas dire que par là le mystêre de la création - comment est-il
possible que si Dieu est “tout”, la créature puisse être néanmoins “quelque
chose” qui n'est pas Dieu — se trouve dépassé et résolu, mais on est
en droit de dire que la dureté du paradoxe s’atténue par le fait que Dieu,
pour être amour pour nous, doit l’être d'abord en lui-même, et que le monde
trouve ainsi sa place dans le Fils comme toute la grande théologie l’a toujours
su . »