Le Cycéon, Breuvage Rituel Des Mystères D'éleusis

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BULL .CL . LETTt'L, . A-C.A;O, fJ...oyAL ~EL6-1QVe.

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Le Cycéon,

breuvage rituel des mystères d'Éleusis

pa r Armand D ELATT E

L' un des renseignements les plus précieux et aussi les plus


én igmatiques relati fs a ux m ystères d'Éleusis nouS e:;t fourni par
Clémen t d'Alexandrie dans le Pro/rep/ique ( I nvita/ion aux P aùns) ,
II , zr, 2. Voici, dit-il, la for mule ("vv8~l-'a) des mystères éleu­
siniens: « J'ai jeûné ; j'a i bu le cycéon ; j'ni pris dans le pa­
nier et , après a voir t ravaillé, j'ai déposé dans la corbeille, puis,
reprenant de la corbeille, j'ai repl acé dans le panier,) ('). Telle
est la « profession » qu 'il met dans la b ouche du néophyte (2) .
Le texte sacré tait volontairement la nature de l'objet qui est
employé à un cert ain t ravail (3) qui n'est p as précisé. Pa r con­

(1) Ka(Jn 7"0 0';1,871P.« ' E'Awo(v{wl' p.uO'1]p{WII' ~ JI'7}OUVGa, tmov 'TOI' IWKt:wva,
ip('(loap.H'os a7Ti.:OliJ-1Jv t:ls I\U).(10011 f(a~ il( Ko).&801) fis KlC1T1jI'D.
ÉÀafJov (1( K[(]Tl/S,
Ce texte a été rep ris pa r EUSEBE, Praep . ev., II, 3. 35. Vo ici le texte correspondant
d' ARNOB E ,Ad.", gentes, V 26 : leiunav'i atquc ebibi cyceOllem,' ex cis/a sumpsi
et in calathum misi: auePi mysus, in cist1tlam tYMwnisi. On remarquera l'ab­
sence de l'équivalen t de l pYc'aaftEYos. Autre mention de l'e mploi du cycéon dans les
o mystèr es éleu siniens: ÉP I PHANE, F idei expos., ra.
n P R INGSHELM, A l'chaol. B ei/rage Zltr Gesch. des eleus. J(ul/s (Diss., :Munich,
1905) , pp. 49 et 5S,r, a émis l' hypothèse que le oVI.O'l}}-ta d'Éle usis pourrai t en fait
apparlenir aux mystères célébrés à ....\ lexand rie. Approu vée par \ ,VILAMOWlTZ,
Glaube der Hellellen , JI, 1>- 340, OTTO et BE)<GTSON , Zur Gesell. des. Niederganges
des PloZemaerreiehes = Abhandlungm der Akad. l"fünehett, XVII , 1938, pp. 79
et 88, par N ILSSO:-.', Geschichte der griech. Religion, T, p. 624, et p artiellement
par KOACK, Eleusis (1927). pp. 277 ss. (cL aussi Ch. PICARD, La patère d'Agui/eia,
dans l'Antiquité classique, 1951, p . 376. n. 2), cette t hèse n'a pas été, en général,
favorablement accueillie. A . KOER T E , Arc/iiv j. Religiollswiss ., 13 (1915). p. Il 6,
et F . SPEISER. Z e-ifscltri{t /iiY Ethnologie. 60 (1928) , p . 369, rejettent les mots :
Il dans la corbeille et d e la corbei ll e~.

( 3) Eu p lace de tpyc'aa.p,f:llos. RE I NESIUS a conjecturé 8raaap.(lIos. LOJ3ECK


A . Delatte. - Le Cyeeo", breuvage rü,.,e! des mystères d'tleusis

séquent, c'est u n appY)Tov ou dr.OPP'Y]TOV c'est-à-d ire u ne chose


J

d ont il est interdit de parler, un de ces objets conservés à l'abri


des regards et des contacts profanes dans les paniers secrets des
m ystères (').
Sur la nature de cet objet , les hypothèses les plus diverses ont
été émises par les modernes : des grains de blé (réels ou mys­
t iques) , des gâteaux, de la laine, de la glèbe (2) , maissurtout des
organes de la génération, masculin selon les uns, féminin selon
d'autres ou même l es deux à la fois, dont l a manipulation a urait
assuré soit l'un ion du myste avec l a divinité, soit une fil iation
divine, soit encore une re-génération du néophyte (3).
Toutes ces hypothèses ont soulevé de sérieuses object ions,
part iculièrement celles qui attribuent au geste mystérieux (.pya,

(Agla ophamus , I , p. 25. 27) €yyEUcraluVOS. Cette correction, q ui a servi à étayer


l' hypothèse d es gâteaux sacrés, est généralement abandonnée aujourd'hui.
Le mot Épyaaa.fLvos constitue la p ierre d 'achoppement d e toutes les explications
proposées jusqu'ici et particulièr ement de celles qui font appel à la manipu lation
d 'organes de la génératio n artificiels.
(1) Les objets contenus dans les Xto.. a~ p.v(]~IKal des cultes à orgies (pas seu­
lement des mystères d'Éleusis) sont appelés appYf7a, arrOppTJ7a, l€pa, par exemple
par CLÉ:'lENT, Protr., II, 22 , 4, ApULÉE, Mel., V I, 2 (taâta secreta), Inser. d'An­
da nie, l\'Iiehel , 694, 1. 3 1 . Clément dévoile le contenu de certaines de ces cistes, mais
non de celles d'É leusis, b ien qu'on dise parfois le contrair e (EnREM, Opferritus ,
p. 296 : cn 22, 4, il s 'agit des cistes de Dionysos Bassaros) . Sur l a fête athénienne
des 'ApPTJ709opta, voyez L. DEUBNER, Attische Feste ( r932), pp. 9 ss. 11 est possible
q ue les cistes mystiques d'Éleusis aient contenu aussi une h uche, la 0: huche d e
Déméter li . Pollux, X, r62 , avait relevé clans certaius hymnes attiques, un mot
r are, o{.:pn~, auqu el certains lexicographes donnaient le sens de te,·re. Pollux croit
q u 'il désigne p lutôt« la huche d'où Déméter tirait la nourriture 1.'. L'étymologie
p araî t lui donner raison . Hésych ius rapporte aussi cette dou ble interprétation
(s. v. o[rplJov), mais sans choisir. Cf. L OBECK, Aglaophamus, p. 873.
(2) L OB ECK, op. C., p. 25. Ch. L E:-.fORMANT, Mémo ires de l' I nstitut impé rial de
F r a nce, 24( 1861), p . 243. P. FOUcART, L es mystères d'.tlcHSis(I9 I4), p . 376. A. LOI SY,
Les mystères païens el le myslere chrétien (1914). A. RUl"GERS VAK DER LOEFF,
M1/.emosyne , 45 (19i7) , p. 30 r (après DILLlNGER, l-Ieide·nthum w.d JlIdenliumt,
.1857, p. 158). E . 1>:IAAss, Archiv f. Relig-ionswiss. , 21 (1922), p. 260. F. SPEISER,
Zeitschrijt JÙY Etlmologie, 60 (1928). p . 369.
(3) A. DIETERICH, Eine lldithras/ih$ygie (Igo3, 3 e éd. a vec les notes de Wein­
r ei ch,I923), pp.I 25 et 245. A. KOERTE, Aychiv j. Relig.,13 (I9 15},p.II6.0. KERN,
Griech . l11ysteyien (J927), p. 62; Arch iv j. R eUg. , 19 (1919), p. 433 ; article Nlyste­
yiw dans la~RE""L.-ENCYCLOPXDlE, XVI, p. 1238. Ch. PICARD, Revue de l'histoire
desyeligions, 95(1927), p. 237 . Cf. M. NILSSON, Gesch. dey gr. Religion (1941), l, p. 624.
KOACK, E leusis (1927), p. 228. L . ROUSSE L, BulletiH de CarY. hellén ., 54 (1930). p.
69. S. ElTREM , Symbolae Osloenses, 20 (1940), p. 133.

LETTRES . - 1954 . - 69 r ­
A. Delatte. - L e Cycéon,

O&l'<vo,) un rôle capital dans la transformation mystique du


fidèle ('). C'est ce qui me décide, bien qu' il puisse paraître témé­
raire d'intervenir dans un d ébat aussi ardu, parfois même pas­
sionné, à présenter u ne solution nouvelle qui me paraît tout à
la fois plus modeste et mieux fondée sur les tex tes.
Dans le deuxième livre du De abstinenti" (2) où il fait , d'après

(1) J. 1\-1. LAGRA;.lGE, Revue biblique, t6 (1919). pp. 157 et 206, et 38 (1929).
pp. 63 et 20"!. L. ZIEHEN, Gnomon, 5 (1929), p . l52. L. D EUB!'ER, Attische Feste
(1932) , p. 80. Fr. WE HRLI, Archiv {. Relig., 31 (r9 34), p. 81. W. P. OTTO, Eranos­
] ahrbllch 1.9.'3.9 (1940) , p. 96.
(2) II, 6 éd. l\-auck, p. 1 36; cl. ]. B ERNAYS, T heophraslos 'Schrilt t"iber From­
m-igkeit (1866), pp. 39 et 55. ; R EGENBOGEN, article Th eophrastos dans la R EAL­
E ~C YCLOPADI E. SuppL VII, p. 1511 (1940). On complétera le résu mé de Porphyre
par plusieurs textes. p rovenant des schol iastes et des lexicographes a ntiquaires ,
dont je don ne ici u ne traduction.
S CH OLIE à l'Jliade A 449 (A D ; cf. E T Yl'IL MAG::-r .). O v),oX~Ta5 : ... nom don né a ux
grains d 'orge p ou r les distinguer des grains égrugés ("'aw7<.I) . L'orge (Kp~O~) fut dé­
couverte avant le froment et fu t ainsi appelée parce qu'on la préférait (1TpO-~pL8ijva,)
a u x glands. On versa it des grains d'orge m êlés il du sel sur les victimes a vant le
sacrifice soit en vue de l'a bondance (des récoltes) soit en so uvenir de l'ancienne ali­
mentation. Car, comme le dit ThéoPhraste dans soa Olmrage sur les I nventiolls,
avant d 'apprendre à moudre le fr uit de Déméter, les hommes mangeaient les
grains d'orge en tiers: d 'où le nom de 0''\«, (sic) donné par le poète.
S CH OLIE à l'Odys sée, y HI. OI/AaC et OvÀoxuTaL, mots ayant le même sens:
ils d ésignent les offrandes p rélimina ires. On mêlait, en effet, des grains d 'orge et
du sel à de l' eau ou à du vin q ue l'on r épa ndait et d ont on faisait l'off rande
avant de sacrifie r la victime. On jeta it d es grains d'orge sur les victimes so it
en vue de la fertil ité des fruits de la terre, soit en souvenir de l'a ncienne alimen­
tation. On r aconte en effet qu 'a utrefois les hommes vivaient à la façon des bêtes
sauvages parce qu'ils n 'avaien t à leur d isposition ni blé ni rien de p ropre aux
humains :i ls mangeaient d es plantes et les bourgeons des arbres. Ensuite apparut
l'orge grâce à laquelle ils se d ist inguèrent et se séparèren t des bêtes sauvages
pour ce q ui est de la nourriture.
SUIDAS, s. v. OVÀOOVHtV (sic) verser d es g rains d 'orge sur les v ictimes du
sacr ifi ce. Car ils appelaient où),a{ les grai ns d'orge par opposi tion a ux grains
égrugés (palaTa), c'est-à-d ire aux grain s d 'orge broyés par la metde. Précédem­
ment en effet on les goba it en tiers, leur préparation (I(anpyaata) n 'ayant pas
encore été découverte. Aujourd'hui encore ceux q ui sacrifien t versent avec les li ­
bations des grains d 'orge entiers, en souvenir de la nourriture d'au trefois ... 10.,
s. v. Pal a nl: grains d'orge t rempés dans l' h ui le ou le vi n qu'on brfl lai t en
l'honneu r des dieux. Il s sont appelés ainsi en raison d u b royage de la meule ... Cf.
EU STATHE, Ad Odyss., fi 290 , p. 1445, 59·
EUSTATHE, A d U iad. , A 449, p. I32, 25. L es Où),oxuTa, étaient des grains d'orge
m êlés de sel qu'on versait Sllr les autel s avant le sacrifice. On fa isait cela soit pour
<;lugurer de l'abondance des récoltes, d ont l'orge était offerte en qualité de pré~
mices, so it po ur témoigner a ux d ieu x la reconnai ssan ce q u'on leur devait pou r le

- 69 2 ­
breuvage rituel des mystères d'Élwsis

Théophraste, un bref exposé h istorique des développements


de l' alimentation humaine et des sacrifices offerts au x dieux,
P orphyre rapporte q u'« à l'époque primit ive, les hommes offraient
des grains ent iers du premier fruit de Déméter (L1 rJIL~7"ptos
KGfY'T6s) qui fut cultivé, l'orge. Plus tard , quand ils eurent appris
à égruger les grains et à broyer leur nourriture, ayant caché dans
~m endroit secret les i nstruments qui ava'ient apporté 1tn secours
d.ivin à lenrs moyem d' existence, les hommes s'en approchaient
en les considérant comme sacrés (') . Ayant reconnu le carac­
t ère bienheureux de {. la vie au blé moulu» (') en la compa­
rant à la précédente, ils offrirent aux dieux, dans le feu du sacri­
fice, des prémices de la nourriture égrugée . De là vient la coutume
pra tiq uée a uj ourd'hui encore, de p rése nter. à la fin d u sacrifice,
des offrandes de grains broyés . Par ce t acte, nous témoignons
encore l'accroissement des offrandes qui fu t réalisé depuis le
début, m ais sans vo ir pour quelle raison nous accomplissons
chacun des rites l}.
E n ce passage (ch . 4 à 6) , Porphyre distingue trois périodes
dans l'histoire de l'alimentation des premiers hommes : celle de
l'herbe, des glands et des légumineuses ; celle de l'orge employée

b ien fai t accordé à l'exi stence. E n effet, les hommes ava ient écha ngé l'a limentation
constit uée par les gla nd s et les fru its d es a rbres sauvages contre un genre d e v ie
civilisé fon dé sur les semai lles. C'est pou r cela q u' ils jetaient des g rains d 'orge,
parce q ue l'orge, d it-on, fut semée et employée la première a près qu'on eu t aban­
donné les glands (su it l'étymologie de Kp18~ tirée de o,a.-Kpl l'HV, d is tinguer) .
C'est donc p~r un souven ir recon naissant de l'ancienne nourriture que les grains
d'orge éta ie nt épandus, eux q u 'on mangeait entiers a u début a vant l' usage d e
la meu le.. Cf. p. 357 (les ·gland s ser virent prim it ivement de n ourrit ure aux
hommes) .
SUlDA S, s. v. {J,ov à.ÀllÀW,u' I'OIl (d). Un a utre p roverbe dit : il n 'y a pas en effet
d 'épines. Il paraît rappeler le changement du genre de v ie. Alors que la v ie était
a u lrefois sauvage ct épi neuse avan t qu 'on ne s 'occupât de soigner la terre c t de
l' ensemencer, on parla , après la décou ver te de la culture, de la Il vic a u blé mou lu li .
EUSTATH E, Ad Odyss., T 163, P.1859, 48. La vieà la glandée qui, à la suit e du soin
(de la t erre) et de la découvert e de la mouture, a mena le proverbe : ~ la v ie a u blé
m oulu », s uccédant à la vie sauvage et épineuse. C'est ce q ue montre le m o t: il n 'y a
p as en effet d 'épi nes; il rappe lle le changement de la vie d 'au t refois. Cf. DlO GÉ­
l\'lEN, Cent ., l , 17 (Paroemiogmphi gra.eci , l , p . 183, L. et S.).
(1) · Y UTEpOV oi ipnea p.'vwv ·H aV7às ("Tel.s Kp~e às) KaL 7~V Tp01> ~V ,pa"ya}.L€vwv 7à
P- ~v TijS lpyau{as opyava Orlav ·:'"OLS plOtS bw<o up[av r.apaaxoV7a Kpurpavus ds Q"'OPPll­
7 011, WS tfpOt S aV70 tS à.l1~V7"WV .. •

(2) Sur la Hvie a u b lé moulu l', cf. la note ci-dessu s.

- 693­
A. D elat/e. - L e Cyeéon,

au naturel; enfm celte de l'orge concassée d'abord et plus tard


moulue.
Des phénomènes religieux accompagnent les transformations
du genre de vie des hommes primitifs. A chaque période apparais­
sent des formes différentes de sacrifice où sont employés les
nouveaux types d'aliments. La découverte ou plut6t la révéla­
tion de l'art de concasser, pu is de moudre (comb ien grossièrement
encore) les grains d'orge, eut , sur le plan religieux, une autre
conséquence. Les hommes cachèrent les instruments de ce t ra­
vail, qu'ils t enaient pour une révélation divine (vraisemblable­
ment, nous le verrons, palU un nouveau cadeau de Délnéter
aussi précieux que l'avait été la culture de l'orge) et ils leur a ttri­
buèrent un caractère sacré.
Ne voit-on pas que Théophraste signale ici l'origine de certaines
cérémonies des lnystères éleusiniens , sans d'ailleurs citer ouver­
tement ceux-ci, parce qu'ils sont protégés par la loi du secret?
L'obj et que mentionne la formule de Clément est conservé lui
aussi en secret ; on lui attribue un caractère sacré. En certaines
occasions, on s'en sert pour un travail de type mystique :
ce travail (èpyaaâ.J.LEvos) rappelle l€pyaa!a (du texte de Théo­
phraste) pour laquelle il fut révélé. J e propose donc de voir dans
cet obj et l'instrument qui fut employé le plus anciennement
pour égruger le blé, c'est-à-dire le moulin rudiment aire des pre­
·miers t emps ('). L'opération à laquelte fait allusion le texte du
.aJv81JJ.La rapporté par Clément aurait consisté à retirer le moulin
sacré du panier où il était conservé, à moudre quelques grains,
puis à déposer l'instrument dans la corbeille avant cie le remettre
dans le panier (2). Il resterait à d éterminer la raison pour laquelle
le moulin clevait passer par la corbeille. Celle-ci étant plus spécia­
lement consacrée à Déméter (3). on peut supposer que ce con­

(1) Concernant les façons antiqu~s de broyer et de moudre le grain e t les


instruments qu i étaie nt employés, cf. BLÛMNER, TecJmologie u ad Termi'lOlogie
du Gewerbe w~d J{ûn sle der Gricchen WJd Romem, 1 (19I2), -pp. 3-57. A noter
particulièrement la notice de SERVIUS, Ad A en., l , 179: maiores molanmt HSIHlt
mm habeball~; frwnumla torreban~ et ca in pilas missa pinsebant et hoc erat genus
:mole-udi ; cf. ISIDORE. Orig., XV II , 3, 5·
(2) Sur les dimensions et le p oids des moulins portati fs b.:npop.tH'I}), voyez
l'ouvrage de BLÜM NER, pp. 22 SV ., 31 , 32, n O 7 ·
(3) Je pense à la p:ocession du cal3.thos décrite dans l'Hylnlle à Dtméte~d c

-694 ­
breuvage rit·/teZ des mystères d'ÉZeHsis

tact était destiné à renouveler après chaque emploi le pouvoir


de l'instrument (1).
n n'est pas interdit de penser qu'à l'époque primiti ve, les
grains moulus par l'instrument sacré servaien t à faire le cycéon,
comme la mouture des moulins sacrés de l'Acropole fournissait la
matière des offrandes destinées à Athéna. Cela expliquerait
l'association de ces deux éléments, le cycéon et l'instrument, dans
'une seule et même formule d 'initiation. A qui objecterait qu'une
telle opération répétée par chaque myst e aurait demandé beau­
coup de t emps , on peut répondre que le nombre des aspirants
devait être assez restreint à l'époque des origines, comme le font
supposer les dimensions très modestes du télestérion de l'époque
mycénienne (2).

C'est par un secours divin, dit Théophraste, que l' huma nité
put aborder un nouveau stade de la civilisat ion. C'est donc que
les instruments dont il parle furent procurés soit par des divinités
soit par des hommes inspirés par les dieux. Nous pouvons encore
suivre à la trace quelques-unes des traditions variées qui se rap­
portaient en Grèce soit à l'invention de ces instru ment s et
particulièrement à celle du moulin primitif, soit à leur protection.
Selon Hésychius et Étienne de Byzance ('), c'est un Telchine ,
c'est-à-dire un ingénieux artisan des temps mythiques, Mylas
(dont le nom s'apparente à la pierre meulière, I-'JÀ'}), qui aurait
inventé le moulin à Camiros dans l'île de Rhodes. Par la même
occàsion, il aurait établi les ,.pa. (cérémonies sacrées?) des

CALLDI AQUE et à l a présence d'un calat hos sur leq uel est assise Déméter dans la
èêrémonie d'initiation représentée sur le sarcophage d e Torre Nova et l'urne
Lovatelli . Cf. P. ROU SSE L, L'initiation préalable ct le symbole éle.usi1licn , dans le
Bultetin de Corr. helibiique, 54 (1930) , pp . 58 55., avec fig. Selon EUSTATHE, Ad
Odyss .. .3 131, p . 1488, 60, le calathos est l'i nstrument de la récolte du « fruit d e
Déméter 'J. L'auteur re nvoie a'ussi au texte de Callimaque.
(1) On se reportera avec intérêt à l 'explication proposée par ElTREM, Symbolae
'Osloenses , 20 (1940), pp. 142 ss.
(2) Cf. ]{. K OUROUNlOTIS, Das eleus. Heiligtum von den A1i/iingen bis zur
vorperikleischen Zeit , dans l'A rchiv fiiY Religionsw., 32 (1935) , p. 53· J. TRAVLOS,
T I> o.vaKTopov Tfj . 'E'\€!.w Îvo. dans l"E.p1]J.t.€pk cipX' 1950-51, p. I. Su r le problème
d u nombre des participants aux mystères, on peut renvoyer à Fr. \ VEHRLl, Die
My 5te r ~en V O?i Eleusis, dans !'A Yl;hiv, 31 (1934), pp. 86 ss.
( 3) H ÉSYCHIUS, S. vv . MJ'\as et Mtl"ivTt:w~ 0*'0'; ÉT I E NXE DE BYZAN CE, S. vv.
MvÀaVTla. et MvMvnot.
A, Delalte, - Le Cycéon,

divinités appelées Mylant iennes, c'est-à-dire protectrices du


moulin (1), Parmi ces dieux figure un Apollon qui est connu
par une inscription d'assez bonne époque (') , Dans l'île
de Rhodes encore, à ] alysos, une autre légende (3) rapportait
l'union de Zeus avec une nymphe portant le nom d'Himalia ;
or les mots doriens il-'aÀ,ô. et Il-'aÀi, désignent le rapport
abondant et même surabondant de la mouture ('), De cette
divinité protectrice des moulins, il est encore question chez
Clément de 'Rome (5), D'autre part, il existe, mais on ne dit pas
où elle est attestée, une épithète de Zeus, le Meunier (MvÀ€l~').
qui prouve l'intérêt que ce dieu portait aux moulins (G); une
a ut re encore est 'AÀET»p<O" qui a la même signification (' ),
En Laconie, c'est à Mylès , fil s d'un roi autochtone du pays,
qu'on fait honneur de cette découverte (8), Il aurait pratiqué
son art à Alesia, cité dont le nom est aussi symbolique que le sien ,
Parmi les divinités protectrices du moulin ou de la mouture,
on cite encore Art ém is 'Eml-'t!Àw, (attachée au moulin) (9);

(1) Nos lex icographes paraissent avoir combiné deux notices qui ne s'accor­
dent guère. Si les divinités protectrices des moulins préexisten t, ce n'est pas un
humain qui a inventé cet instrum ent.
(2) Iuscript. gr. Insularum maris A egei, 1, n (l 697.
(3) DIODORE DE SICILE, V, 55.
(4) TRYPHON, ir. 113 (= ATHE:-O ÉE, XIV, 6 18 c; cf. EUST AT HE , Ad Odyss. ,
li 106, p. 1885, 24). H ÉSYCHIVS, s. vv. 'J.'a)wi . lp.aÀ{s et c. Cf. BOlSACQ. Dict.
étym., s. v. tp.a)"ul. Voyez l'article H imalis dans le Lexicon de R oscher et la
REAL-ENCY CLOPA DIE. USENER, Gotlemamm ( 1896) , pp. 256 sq.
($) V, 13: Le texte de Clément est corrompu : les mss portent flp.a.. 7'Y/ P
fiJ.'UT11 0; d ans la t rad uction des R ecognüiones (X, 22), on trouve /mandam
ou lWandam. Sc hwegler a corrigé en '!p..o.)..{a. d'après le texte correspondant de
Diodore (dont la source est d'aille urs différente). Rehm se contente d 'indiq uer
la corruption. Voyez l'article Himalia dans le Lexicon d e Rosch er c t la REAL­
ENCYCLOPAOIE.
(6) LVCOFIIRO:-<, 435 , avec la note de TZETZ I':.S . D e ce Zeus . on rapprochera
le Jupiter Pistor des Romains.
(7) USENER, Gottenwmen ( I 8g6). p. 256, n. 17. a corrigé avec certitude le
texte fautif de l'El'YiIIOL. II.'IAGNUM, p . 65, 44. L'a uteur de ce lexique se donne
beaucoup de mal pour expliq uer, sans y parven ir, une erreur de copie qu'il a
trou vée dans ses sources. ·A '\I.T~pW;, épithète d e Zeus et de Déméter. Sa. concl u­
sion: «ni 0(;" È1r&-:l"Tas Ka.t 7YJPYJTàs n»11 à>.oup.€vWII TOÙS Owùs OÛTWS wvop.aaav garan­
tit la correction d 'Usener.
(8) PAU S ANIAS, III, 20, 2.
(lJ) SEXTUS EMPIRICUS, IX, I85. Cette Artémis est citée à côté d e 'E1T(I( '~4JâvIOS,
protectrice du four où l'o rge est d'abord griHée: il s'agit vraisemblablemen t dela
même déesse. ­
bre·uvage ritnel des mystères d'Éleusis ­

une autre divinité, IIpol"vÀaia (I) (présidant au moulin), dont


nous ne savons si elle était restée une divinité-fonction ou si
elle avait été rattachée comme la première à quelque déesse
du panthéon classique; enfin une certaine Eunostos (2). Celle-ci,
qualifiée tantôt de 8.0" tantôt de Sail"wv ''''I"v;''wS", est chargée
de la surveillance de la mouture: elle assure un bon rapport
de cette dern ière et même un supplément (!) de revenu . Sa sta­
tuette se dressait à côté du moulin.
Mais le cas qui nous intéresse le plus est celui cie Déméter à
laquelle se rapporte cette tradition cie Pline (3) : Ceres jrmnenta
(invenit) , wm antea glande vescerentnr (') : eadem molere et con­
ficere (') in Attica, ·"t alii et in Sicilia; ob id dea ù,dicata (6). Il ne
paraît guère douteux, d'après ce que nous avons dit plus haut,
que parmi les autorités sur lesquelles repose l'affirmation de
Pline, ne figure Théophraste . Il t ient en effet pour divin le
secours apporté aux hommes par l'invention de l'égrugeage et
de la mouture de l'orge; en outre, c'est de son ouvrage Sur les
Découvertes (II.p1 EÙp~I"(hwv)(7) que provient une note d 'un Scho­

(1) HÉS YCHIUS, PH OTIUS et SUlDAS, S. v. ; POLLUX, VlI. 180. Sa statuette


était installée dans les moulins. Hésychiu s fournit encore un autre nom, malheu­
reuseme nt corrompu , LlwÀu(I,', qu'il explique par
J.Tnp:v'\[(SJ~OIi 8atflol'u. L'éditeur
Schm idt a corrigé Ôta.Àuos en S' '!p.-aÀiôa.. Kock proposait AwÀo(L)aS": voyez
l'éd ition de K. Latte. Les lexicographes établissent une comparaison avec
EUllostos; voyez la note suivante.
(!) HÉSYCHIUS, S. v. EVVOOTOS; dya.\. u.anov njuÀks EV 70is ,uUÀWOLV fi SonZ
l~~pô.v '1"0 f.1Ttf'e:rpov 7"WV dÀ €vpwv, om:p My€7a~ VOO 'l"Os. Photius, S. v. EVVOO70'.
POLLUX, VII, 180. ETYl\L MAGN., p. 394, 3 (8€o . l1TLP.V,\LOS etc.). EUSTATHE, Ad
Odyss., a 9, p. I383, 42; Oe€V Ka( EVI'OU70 S ~aûÀov ~au,v dyaÀ,uanov r.apà 70ÎS
,uvÀwatv if, WS f.V E7'-Pep P"1f70PLKlp À€ÇLKo/ Kârul , Evvoa7os 8(os l"'I,uVÀIOS aOKOt/aa
iq,opâ.v 70 ,ul7pOV rwl' ùÀevpwv. I bid., v 105, p. 1885, 25: Mye l o~ NOUTQV 6 p~7Wp
Ev-ro.û8a. (Eustathe a mal compris le t exte d'Athénée) ... nvo. ôat,uol'(l i""pvÀlOv
l1>opov 7WV âÀe7w v os Kal EiJvooros [Airero. Cf. Ad Iliad., B :25 1, pp. 214. 18 et
Ijf 826, p. 1332, 4.
(3) H. N., VII, I 9 I.
("1) La mention des glands p armi les p remières nourritures humaines figure
auss i dans l'exposé de Théophraste.
($) Conficere désigne les autres apprêts que d oi t subir le grai n avant d'être
consommé : cf. BLÜ).IMER, op. cil. Le terme employé par Diodore, V. 5, et par
SUIDAS, KG.upyaota, répond probablement à la fois à lIloZere et à co'tfîcere .
(6) Ces derniers mots révèlent l'influence d'un libre·penseur d e l'école d'Evbé·
mère: cf. 1\1. KRE).IMER, De catalogis heuremalum (Diss., Leipzig, 1890), p. 4.
(7) Cf. l'article Theophraslos dans la REAL·ENCYCLOP.:\OIE, Suppl. VII, p. 5351.
A. De/aUe. -'-- Le Cycéon,

liaste d'Homère (') d 'après laqùelle (, avant de moudre le fruit


de Déméter, les hommes mangeaient les grains d'orge entiers » (2).
En ce qui concerne la Sicile, le renseignement que Pline fournit
est confIrmé par l'historien Diodore . Dans l'exposé qu' il a con­
sacré au culte et à la légende de Déméter en Sicile, il explique
les fêtes solennelles qui lui sont dédiées par la reconnaissance des
habitants, récompensés de leur hospitalité par des bienfaits
inappréciables; à la découverte du blé, dit-il, la déesse ajouta
celle des moyens de le préparer (3). Ces notices prennent appui
dans le culte. A Syracuse , Déméter qui ét ait honorée par de
nombreuses épithètes rela tives à la culture <;lu blé, portait notam­
ment l'épidèse Himalis ou Simalis, dont nous conmiissons ' la
signi fication ('J. Elle avait même une statue vénérée sous Ce
vocable p articulier. Une autre épithète, 'AÀ<,~pws, nous révèle
aùssi en elle une protectrice de la mouture ('): .
Nos textes ne mentionnent pas les moulins de Dém éter à
Athènes ou à Éleusis, mais bien ceux d'une divinité qui fut quel­
que temps sa rivale dans la protection de l'agriculture, Athéna (6).
Nous savons que des fillèttes de bonne famille appelées Meunières
CAÀ<TpiS.,) (') préparaient la matière des gâteaùx offerts il:

(1) SCHOLIE à l'Iliade, A 449; cL supra.


(2) On notera encore que Déméter apparaî t comme l'institutrice de Triptolème
dans l'apprentissage de la meunerie dans un vers conservé par les Parémio~
graphes (DIOGÉKIEN, V, 17. ApOSTOLIUS , IX, 87. ARSÉNIUS, 27j): ~Hv J.l~ Ka{}G,PTls
KelMons, ov J1.~ tpo,yns. : (( Si t,u ne vannes pas, s5 tu ne mouds pas, tu ne mangeras
pas ».
(3) V, 5: xwpls -rfjs ~up É(UWS -roii otrou -r~ v "Té KaTf:pya u{a v aV"Toil '"rOùs elV­
8pu.mou'i Èo{ôneE... Fort curieu x est un renseignement qu'ajoute en passant
Diodore (ch. 4) , Au cou rs de la grande fête de Déméter, _ les hommes imitaient
par leur équipement la vie primitive»: un rappel, par conséquent, des conditions
de vie qui existaient à l'époque des découvertes attribuées à Déméter.
( ') POLÉMON, cité par A THE-"I"ÉE, IH, p. lOg (t (fL 74) et IX, p. 416 b (fr. 39).
Sur Je sens de Himalis, cf. supra.
(~) Cf. USE~ER, op. c. j'ajoute fju 'une épiir~mme de l'A'nthologie Palathle
(IX, 41 8) nous montre les esclaves meu nières partic ipant aux travaux de Dé­
méter, tandis qu'nne autre (VII, 394) attribue à la pierre meul ière la qualité de
servante de la déesse.
(') Sur la rivalité d'Athéna et de Déméter, cl. L DEUB~E.R, AUische Peste.
(1932), p'. 5I et l'article Athena de ROSCHER dans son Lex'icoa, p. 683. Athén~
passait elle aussi pour avoir inveuté l'agriculture : AR I STIDE, Or., II, p. 20 Din­
dorI; SERVIUS, Ad Aen., IV, 4°2.
: (1) SCHOLIE à ARISTO~HA:-E, Ly~ " 643; HÉSYCHIUS, s. v . â'\€Tp{3é!O; E;USTA­
THE, Ad Odyss., u 105, p. 1885, 13, qll i cite en outre Pausanias le lexicographe.
breHvage ritHel des mystères d'Éle1tsis

Athéna en m oulant dans des moulins sacrés le blé obtenu sur la


terre réservée d 'Athéna par l e labour rituel d'un prêt re Bu­
zyge (').
Ces :traditions et ces cultes montrent la place occupée par le
moulin dans les préoccupations des Anciens. Ils sont de nature
à éclairer l' observation de Théophraste concernant la consécra­
tion des moulins primitifs, reliques vénérables que l'on conservait
dans certains cultes pour servir à des cérémonies secrètes . .

II

Mes recherches ont porté surtout sur la composition et sur


la valeur rit uelle de la boisson mentionnée dans le texte sacré,
le cycéon. Mais je crois nécessaire d 'étudier d'abord la significa­
tion exacte du terme auv8'Y){.tO. par lequel Clément d'Alexandrie
désigne la formule r écitée p ar le néophyte et que j'ai traduit provi­
soirement par le terme « profession ". ' Elle présente, en effet ,
quelque intérêt pour la compréhension des au tres problèmes
et, d'autre part, la réponse à cette. question n 'est pas 'aussi
simple qu'on pourrait le croire.
Les auteurs du Greek-english Lexicon (Liddell-Scott-J ones)
distinguent les sens suivants dans la sémantique de ce m ot (') :
signal convenu, signe ·conventionnel, message ch iffré; mot de
passe, mot d 'ordre; signe d 'accord, signe de reconnaissance ,
jeton, symbole ; convention, pacte, accord. Le t erme aUfLfloÀov
présente des rapports étroits de sémantique avec le précédent (').

(1) La liaison entre les deux cultes agraires de Déméter et d'A théna était
assurée par la fami lle sacerdotale des Buzyges q ui cultivaient les champs sacrés
de Rarion (Déméter) et ceux de Sciron et du p ied de l'Acropole (Athéna) :
PLUTARQUE, Prace. conhtg., 42. C'est à Éleusis que les B uzyges entretenaient les
bœufs sacrés (ou les vaches sacrées d~après une autre tradition) ~ qu i était réservé
le labo ur de ces champs: SCHOLIE à Aristide, t. IIf. p. 473. éd. Dindorf. La
conclusion que J. T OPPFER, Attische Genealogie (t889l. p. 138, tire de ce fa it
peut parattre osée : Fortan werden die Ackerfeste der Athener nicht mehr der
Bürggôttin zu Ehrcn gefeiert, sondern gelten der Demeter, der Athene ihr
gottlîches Amt aIs Beschützerin der Saaten abtritt. \lm der poli tischen Maclit­
entwickeIung ihres Landes entsprechend nunm ehr in eine hôherc Sphare empor­
zurücke n. Cf. E. FEHRLE, Die ]ùûlische J(euschheit im Altertum, p . 170.
(!) On comparera certains sens correspondants de ol)lJ'rl9f:p.UL (III), ovvO~I('1;
OVVOf:OL!; et OVVO€TOV. \
(3) Cf. OlJf'fJ&.Uw. (JVfLf10À~ e t oVJ.l-f16I1.o.wv .
- 69,9 ­
A. Delatte. - Le Cycéon,

Voici les principaux groupes de sens distingués par le même Le­


xicon : objet attestant des liens d 'h ospitalité ou d'autres conven­
tions ; pièce d'identité, lettre de créance, jeton , signe de recon­
naissance; document écrit ayant la même valeur t els que passe­
port, convention, reçu, garantie, arrhes, contrat passé entre les
particuliers ou les états; signe conventionnel, formule secrète,
emblème, symbole. On voit que ces deux termes, qui sont parti­
culièrement employés dans les rapports sociaux, les relations
commerciàles, la vie politique et la discipline militaire, ont à pen
près la même signification.
Nous parton s de l'aperçu plein d'animosité que Clément a
consacré aux mystères des religions païennes dans le ,Protrep­
tiq,te, II , 15 à 22 (1). Parlant, en 15, 3 . de la formule qui est employée
da ns les mystères phrygiens de Cybèle et Attis : (, J'a i mangé
dans le tam bourin, j'ai bu dans la cymbale, j'ai porté le vase à
compartiments (Klpvos) , j'ai pénétré sous le rideau (ou dans la
chambre) », Clément emploie deu x fois l'expression: "0i'-fJoÀa Tij,
i'-v~a€ws. La formule des (, symboles» phrygiens offre un équiva­
lent remarquable du uov8~i'-a des mystères d'Éleusis, car, dans
les deu x cas, le myste affirme, en des phrases stéréotypées, qu'il
a accompli des cérémonies qui lui confèrent la qualité d 'initié.
E n t r ois autres endroits, 16,2, 18,1 et 22,4, Clément emploie en­
core le t erme u0i'-f3oÀov avec u ne valeur mystique: il s'agit des
cultes secrets de Sabazios, de Dionysos et de Thémis. Mais là il
désigne, non une formule à réciter, mais des objets sacrés, par
exemple les jouets de Dionysos enfant , dont se uls les initiés con­
naissent la valeur conventionnelle. __ .______ _
L'Adversns gentes d'Arnobe présente, en V, 26, u n t exte presque
entièrement parallèle à celui de Clément (2), où le mot "';Ve~i'-a
est remplacé par symbola : rien d'étonnant à cela, le latin ayant
Clnpru nté ce nlot au grec avec une b.onne partie de sa séman­
tiq ue. Mais le texte d 'Arnobe fournit, en cette occasion, un ren­
seignement supplémentaire b ien intéressant: selon lui, la for­

(1) Les ouvrages de H . \VALTERSCHEID, Die NachrichtC1' des Glemc'ns A/e.r.


über die gr. lHysterieu(Diss. , Bonn, 1921), et d'AL SIMOK, CiemmsAlex. Hud die
Mysterien (Maggar-Gôrog Tamulmangok, Iase. 5). 1938, ne contiennent rien
d'in téressant pour notre suj et.
(2) Cf. supra, p. 1, n. 1....

"- 7° 0 ­
breuvage rituel des mystères d'É leusis

mule éleusinienne constituerait une (, réponse donnée par le fidèle


à une question qui lui était posée au cours de la transmission
des cérémonies sacrées» (1). Le candidat affirme, au m omen t où
il se présente, qu'il a déjà satisfait à certaines conditions posées
à son a dmission. C'est u ne interprétation un peu différente de
celle que nous pouvons d éduire du t ex te même de la formul e
de Clément et d 'après laquelle le myste affirmait simplement sa
qualité.
Or, on retrouve la conception d' Arn obe dans l'ouvrage où
F irmicus Maternus t raite de l'Erreur des reli gion s paï ennes, ch .
IS ('). (, J e vais vous expl iquer, dit-il , à quels termes convenus
(signa) (') ou à quelles form ules d 'accord (symbola) la fou le
miséra ble de ces hommes se reconnaît au cours des cérémonies
superstitieuses. Ils ont , en effet, des termes convenus spéciaux
(signa) et des réponses (responsa) que J'enseignement du diable
leur a transmis dans leurs réunions. Da ns u n certain temple,
l'homme qui va mourir (de mort mystique s'entend) déclare,
a fin d 'être a dmis dans les parties retirées de l'édifice : « J' ai
mangé dans le t ambourin, j'ai bu dans la cymbale et j'a i appris
parfaitement les secrets de la religion >,. - C'est à peu près la
formule des mystères ph rygiens rapportée par Clément, m ais
pr ivée de deux éléments importan ts ('- ). Le mot respon sum paraît
indiquer que le néophyte fournit une réponse à une quest ion
qui lui est posée. D 'aut re part , d 'après Firmicus, question et
réponse préparent J'admission à des ri tes plus secrets, qui sont
célébrés dans la partie la plus retirée du sanctuaire ('). C'est là

(1) Sacrorum acceptiones correspond à l' ex p ression g recq ue 1Tapao oGtS jLV OT7}p {W I',
comme Lobeck l' a déjà observé.
( ~ ) Édition G. J-I EU TEN, Bruxelles, 1938. Le problème q ue 110 US exam inons
ici a déjà été traité, en ce qui concerne F irmicus !vlalertllls , par G . VAN DER
L EE UW, d ans un article de la rc ';ue lEgY Plia·n re.!igion , l (I933). PP' 6 1 55_ L'au­
t eur es t d -a vis qu e ces textes sont à la fois des articles de foi, des formules litur­
giques et des mot s de passe employés dans le culte .
(:1) Si gm~m et CTTJ/if'lOV ont aussi, dans la langue mili taire partic ulièrement,
certains des sens de Gûv81J/.la et GV/.lfJo )"ov: voyez infra.
C') Le rideau ou la chambre (1T aGTOs) de Clé ment est l'équivalent des parties
retirées de l'éd ifice dont parle F irmtcus. On notera que celui-c i a exprimé le
sens de la phrase : y Éy ova J.U I OT7} S ~A Tn:ws, qu 'i l cite un peu plus haut, par les
mots : 1'<lli gionis secreta perdi dici .
(5) La formule complè te, dans les sou rces de F irmicus, était peut-être

- 70 1 ­
A. Delatte. - Le Cycéon,

une indication importante, car elle justifie l'existence et la nature.


des déclarations .
Dans la suite de son exposé ('), Firmicus rapporte encore d 'au­
tres formules propres à des cultes à mystères (Mithra, Cybèle,
Sabazios). Elles sont désignées par les m ots signa, symbola, une
fois par le terme insignia; mais il ne s'agit plus d 'affirmations
par lesquelles les mystes assurent qu'ils ont accompli certains
rites et sont prêts à recevoir une initiation d 'un grade plus élevé.
Ce sont des devises où s'expriment la foi et l'espérance des fidèles,
comme un échantil lon du Credo de t elle ou telle secte. Ces doc­
trines, choisies parce qu'elles étaient vraiment caractéristiques,
servaient en quelque sorte de signe de ralliement à la communauté:
c'est pour cette raison qu'elles sont quali fiées de cn;p.f3oÀCL, au même
titre que les formules attestant l' accomplissement de rites spé­
cifiques.
Dans son Apologie ('), Apulée appelle signa des objets sacrés
qu'il a conservés comme des souvenirs (monutnc1tta et me­
morawla) des initiat ions variées auxquelles il a participé.
Faisant .allusion plus particulièrement aux mystères dionysia­
ques, il cite, . comme ..échantillons de signa, des jouets d'enfant
(crepundia) "il s'agit certainement des jouets de Dionysos-Zagreus
enfant mentionnés par Clément. Ces souvenirs, Apulée ne peut
les révéler à des profanes, mais il consent à les montrer à un
corréligionnaire, si celui-ci lui donne d'abord l'assurance (si­
gnurn) de leur foi commune. Ce terme fait évidemment allusion
non plus Il un objet, mais à une formule qui mettrait Apulée en
confiancç parce qu'elle attesterait ['initiation aux mêmes mystères.
On voit par cet exemple que les formules rituelles ou doctrinales
pouvaient aussi servir, à l'occasion, de signes de reconnaissance
dans les relations de la' vie (3).

divisée en deux parties. La seconde partie (l'ai appy-is etc.) n'était prononcée
qu'après l'admission dans la chambre réservée.
(1) 20, 1; 21,1; 22, 1; 26, 1 et 19, l (insignia).
(') Ch . 55 et 56.
(3) Au même rameau sémantique on rattachera encore l'emploi du mot
aUfLfJo),oV par lequel les Pythagoriciens désignaient certai nes règles d'observance
qui leur étaient propres: ne pas s'asseoir sur une chénice, ne pas attiser le feu
avec un coutelas, ne pas uriner face au soleil, etc. Ces formules et l'observanC4
de ces tabous pouvaient, en effet, servir de signes de recon naissance aux membres

- 7°2 --:­
bre1tvage rituel des mystères d'Éleusis

C'est ainsi qu'il faut expliquer aussi un passage de Plutarque (' )


où l'auteur, initié aux mystères bachiques, fait allusion aux
p.vanKà aDp.f3oÀa du culte dionysiaque dans la confidence des­
quels la communauté était admise. Il entend par là des articles
de foi, puisque ces symboles postulent, dit-il , la croyance à une
a ut re vie et à la métempsycose.
On peut encore attribuer le même caractère aux inscriptions
qui ornent un plat d 'offrande assez tardif publié il.y a une ving­
t aine d 'années par Delbrück et Vollgraff. Seize personnages,
- vraisemblablement la communauté des fid èles - y sont repré­
sentés autour d 'un d ragon ai lé ('). Des inscriptions, constituées

de la secte des Acousmatiques. C'est là le sens or iginel des « sym boles Il pythago­
riciens et ce n'es t q u'à la suite d'une évol ut ion rationaliste d on t on peut su ivre
les traces, que ces observan ces on t pris u n caractère \1 symbol iq ue D. Cf. mes
Études sur la littérature pyJhagoyiciemle (19 ' 5), p . 285, et La V ie de Pythagore de
D iogène L aùce (1922), p. 186. Que l'usage de signes de r econnaissance appelés
CJu p.f3 oÀa ait existé: dans la communauté pythagoricienne . nous e n avons la
preuve dans des textes de Luci en ct de Jamblique. LU CIE!\" attire l'attention
sur le fait que les Pythagoriciens, dans leu rs m issives, employaient, pour se
reconnaître entre eux, le signe du pentagramme Ou p entagone régu lier étoilé,
qui était pour eux l'emblème de la santé , Pro la psH, j : cP UUf'f3oÀcp 7TpOS 70 llS
Ô/-LOOOçous €XPWV70 , La scholie à cc passage emploie pour la première fo is, pour
désigner le pentagramme, le mot 1T€lrrci:"~a, qui al1ai t connaître une grande for­
t une dans les superstitions du m oyen âge : aU/-L{1o:"ov -ryv rrpos à"A~Aovs llv8ayo­
P€{wv àVai'VWpHTnKov. Voyez mes Anecdota Athenieusia, r, p. 7IJ , et en der­
n ier lieu 'vV. DEONNA, Les dodécaèdres gallo-romains en bronze ajourés e(bou(etés
(BulletiH de l'Association Pro A venfico, XVI , ]9.14 , pp . 19 ss.). D'a utre part,
selon u ne anecdote.que J A},fBLlQUE rapporte (Vie de Pythagore, 237), po ur donner
u ne p reu ve de l' esprit d 'amitié qui unissait les Pythagoriciens, un membre de la
secte, t ombé gravemen t malade au cours d ' un voyage, recommanda à l'hôtelier
qui l'ava it hébergé et soigné d e suspendre à sa porte une tablette portant un
s igne particulier (17up.f3 o:"ov). Longtemps après son décès, le signe fut recoml.u
par un Pythagoricien de p assage, q ui dédommagea l'aubergiste de tous les frais
causés par Ja m aladie d e son con frère.
(1) Con solalio ad u:rorem, la (p. 61 1 d) : Kat p.~v â T(;}V &:ÀAwlI àKOUU, Ot 1r1::{eollo~
';'/'oÀÀoù, Myov7€, J." OJÔ€II oùoap.?] 1'0/ owÀv8Évn K(lKO" ovô~ ),,1J1TTJPÔV ianv, OrO(l on
K W:"UU a r maTrûnv Ô rrcLTptOS Àoyos Kai 'l'à p. IJ a -r t K à a û p. f3 0:" (l . Wv ?Trpi .1 tÔVIJ 170V

OPYWOfL WV â cruvlap.rv Ô:"À~ÀO IS o~ I(Oi VWVOÛV7€S' . WS o~v &:~OapTov o ~aav 7~V ifJvx~v

.St~voo;; ... , rr~Àw 'v~Jr:al Ka~ OJK O.V[1J01V ovô~ iI~}'n TOtS €vTaû8a alJp.rrilrKop.ÉV7J
;t'a (hol Ka t 1'VXU1S OiCl. 'TWV y€vrarwv.

(2) R. DELBRÜCK et \V. VOLLCRAFF, Au orPhie bowl, dans le J ournal 01 ileUm.


Sfudies, 54 (1934), pp. r 29 55. Les inscriptions correspondent aux fragments 236
et 237 de l'édition de Kem et au fr: 484 (Nauck) d'Eurip ide où est rappor tée
une doctrine d'origine orphique. J e ne pu is celer que cette dernière coïncidence
est au moins s urprenan te .
A. DelaUe. - L e Cycéon,

par des fragments de vers orphiques ou présumés tels, servent de


devises. Les auteurs de la publication croient que la scène repré­
sente un rite d'initiation et ils inclinen t à penser - à juste titre
d' après ce que nous venons de voir - que les inscriptions p our­
raient êt re des mots d'ordre en usage dans la confrérie.
Une parodie de l'emploi de telles formules dans les mystères
b achiques se trouve dans une scène du Soldat ianfaron de
Plaute ('). Avant de remettre à Palestrion l'annean destiné à
Pyrgopolinice, Milphidippa s'enquiert plaisamment de la qualité
de l'intermédiaire: Ceda sl:gnmn, si har"nc Bacchamm es, passe­
moi le mot d'ordre, si tu appartiens à ce groupe de bacchantes.
A qu oi le valet réplique par une formule: A mat nl'Hlier quaedam
-qmmdam, qui n'a rien de con fiden tiel, comme la fille l'observe
sur-le-champ.
Les Chrét iens des premiers temps ont emprunté a nx païens,
semble-t -il, l'usage des termes UVI'{3oÀov et UVve~l'a pour dési­
gner le Credo, l'ensemble des articles de la foi nouvelle. A ce sujet,
Rutin) au Ive siècle, nous livre une réflexion intéressante: il
croit avoir découvert l'origine de cet emploi dans la langue mili­
taire. ,< On dit que cet usage est aussi observé dans les guerres
civiles . Comme, dans les deux partis, l'aspect extérieur des armes
est le même, a insi que le son de la voix et les habitudes, de crainte
que quelque ruse ne se produise , chacun des chefs don ne à ses
hommes des mots d'ordre différents qui sont appelés sym bola,
en latin signa ou indicia. En sorte que, si quelqu'un se présente
dont le parti est douteux, questionné sur le mot d'ordre, il est
amené à montrer s' il est ennemi ou allié,> (') . Ceci nous ramène
à la conception des symbola p ropre à Arnobe et à Firmicus Ma­
ternus : ils comportent, en effet , selon eux, des questions et des
réponses . Faut-i l donc croire, con formément aux apparences,

(1) I V, 2, 25 = vers 1016 . Le sel de la plaisanterie paraît a voir échappé aux


commentateurs.
(2) Comm. Ùt Symbol!t1ll , 2, P. L., 21, p . 338. Saint Augustin est parti d'une
autre comparaison, Serina 212, In trad . Symboli = P. L., 38, p. J058: Symbo­
lum nuncupatuy il simili/udine quadam translata L'ocabulo quia symbolttm iuler
se faeil/nt mercatoyes quo carlin! socie/as patto fidei leneatuy. Cf. Epist., 214 . 2
( symbolwn) ; EUSÈBE . De vila Consta1lt., II . 70 (Tl) "iîs KO tI1WV{ M cnJv01'lIto.).
V oyez J'article Symbole, de H. LECLERCQ, dans le Diet. d 'urchéol. chrétiemse et de
liturgie, 1951 , pp. 175655.
bre-uvage ritu,el des 1nystères d'Éleusis

que les autorités des mystères éleusiniens , par exemple le mysta­


gogue ou maître des novices, s'informa it de l'état des connais­
sances des néophytes, tout au moins dans le domaine des rites,
et que l'enquête procédait par questions et réponses à l'instar
d'une sorte de catéchisme (') ?
J e ne le pense pas. L'emploi des t ermes oV/LfJoÀov, ovv8rwo.,
sig"",n, tessera etc. pour d ésigner le mot d'ordre dans les armées
antiques nous met sur la voie de la bonne interprétation. En effet,
le mot d'ordre est demandé à des troupes dont on ignore J'appar­
t enance et celles-ci doivent fournir une réPonse sat isfaisante
à la question posée : tels sont les termes employés dans la dis­
cipline milita ire (2). Tacite (3), par exemple, raconte que des
partisans de Vespasien, ayant surpris le mot d'ordre donné aux
Vitelliens, étaient les premiers à le demander aux soldats dont
ils ignoraient le parti et à le donner en réponse (rogitantes respon­
dentesve) . En un autre endroit, il nous apprend que le mot
d'ordre es t révélé aux deux partis par des questions continuelles.
Il s'agissait donc, pour le mystagogue ou toute autre autorité
religieuse, de vérifier simplement si les novices connaissaient
les formules consacrées qui conditionna ien t l'activité mystique
et at testaient l'appartenance à la communauté.
Il s'en faut d 'ailleurs que la comparaison établie ent re le mot
d'ordre militaire et la formule des mystères soit exacte en tous
points. Celle-ci mentionne l'accomplissement par les néophytes
de certaines actions rituelles, alors que le mot d'ord re se contente
d'un ou de quelques termes qui n'ont aucun rapport avec les
actes accomplis par la troupe. La formule mystique a une signi­
fication cachée et conventionnelle, riche de substance, ce qui
n'est pas le cas du mot d'ordre. Enfin, celui-ci n'a pas le sens
d'une condition posée à l'admission à des grades supérieurs. Ce
qui est commun aux deuxHc'est que ces fornlu les sont des signes
de reconnaissance. assurant au surplus un certain secret aux
opérations entreprises dans l'un et l'autre camp. On conviendra
d 'ailleurs que la valeur de la comparaison a dû se trouver ren­

(l) Tel, par exemple. le Catéchisme des Acousmatiqll es (J1tudes SHr la littér .
pythag. , p. 271).
(2) De même en grec epwTâv et dTTOKp[v€aOa, chez Énée le Tacticien.
(3) Histoire s, III, ch. 73 ; je fais allusion plus bas au ch . 22 .
A. Delalte. - L e Cycéon,

forcée . au cours des premiers siècles de notre ère , quand les


adeptes des religions à mystères ont pris de plus en plus le carac­
t ère de milices sacrées engagées au service de leurs divinités par­
ticulières .
Un supplément d'information nous est fourni par le papyrus de
Gurob relatif aux mystères (Ille siècle av. ].-C.) (1). Il est mal­
heureusement très fragmentaire : il n e contient qu' une trentaine
de lignes fort incomplètes , chacune comptan t seulement de
20 à 30 leltres (les restes d'u ne seconde colonne ne paraissent pas
utilisables) (2) . C'est un farrago de fragments rituels provenant
de mystères variés: orphiques , éleusiniens, dionysiaques, phry­
giens . Aux lignes 23 ss ., l'auteur mentionne des aVfLf30Îla des
cultes de Dionysos et de Sabazios ; ce sont deux articles de foi.
A la ligne 25, le mot ~mov fait allusion à un breuvage mystique
dont la nature nous reste inconnue. A la ligne su ivante, apparais­
sent les mots -yias avvBEfLa (3). S' il fa ut restituer "TEÎlETovpJyias

(1) Ed. DIELS-KRANZ, Fragm. der Vorsohrarike-r, l, p. 19 . fr. 23.


(2) O. SCHÜTZ, Zwei oyphische L iturgicH, da.n s le RheiJL. kluseum , 87 ( 1938),
p. 24 1 , s'est aven t uré avec intrép idité à compléter le t exte d es deux colonnes.
Cette reconstitution m'a par u extrêmemen t sujette à caution. Aussi ne puis-je
en fa ire état.
(3) C'est là une fo r me récente d e a VI'O.,,/l-a.. Complétant une interprétation
fou rnie par le p remier éditeur (J. G. S~I Y L Y, G"eel, papyri fyom Gurob, Cun­
ningham Memoirs , XII, J9"H, D ub lin), :M. TIE RKEY, A mw "ilual of the orPhie
tnysle,ies (C/assical QuarleYly, XVI, 1922 , pp. 77 55.) a émis, avec les réserves
d ' usage, une intéressante hypothèse sur le sens des mots uup.fioAol' et UUI'87]p.a.,
e n com parant le t exte du papyrus (Il. 23 et 26) avec celui de Firmicus l\-!aternus.
Le terme uup.{3oÀOI' serait l'équivalent de s-ignwn et le mot UUI'O €f"U correspon­
drait à YCspousum. La formule du mot de passe aurait compris deux parties
correspondant aux deux éléments d'un m ot d'ordre militaire : le aVf"fioÀov 01.1
signwn serait la pre miè re partie, q ui aurait été dite p ar un myste, t:Ei- ndis que le
UUI'OEP.a. 0 \1 rcspons lOt! a urait été répliqué par un autre. Dans les armées mo­
dernes, selon la définition de L ittré, le mot d'ordre est une sorte de r econna is­
sance donnée par un chef à ceux qui sont sous se..5 ord res pour q u'i ls pu issent
se reco nnaitre. JI est composé de deux mots : l'u n, mot d'ordre prop rement dit,
est ce lui de la demande; l'a utre, mot d e ralliement, est celui d e la réponse.
Mais o n doit observer q ue les armées ant iq ues ne connaissaient rien d e tel. La
discipline m ilitaire se contentait d'un m ot d 'ordre (OUI'O'1f'U, uVf'floÀov, siglwm),
q ui pe ut d'ailleu rs être comp osé de p lusieu rs mots, mais inséparables, par exemp le
'A tf,poS{7""1"J V'KT}cf..opo~ o u Oplimae lVl atri ou même d'un vcrs d'Hômère. -Parfois
le mot d 'ordre est con fi rmé par u n signe conve nu supplémentaire (7Ta.pauuv8'1p-·r:J.) :
s igna l d e la ma in, d 'u ne a r me, du casque etc. Cf. É:S- ÉE le T acticien, ch. 24,
p. 60 Schoenc; POLYBE , V I , 34 à 37 ·; VÉGÈCE, I II, 5; SUÉTONE , Claude ,
breuvage rituel des mystères d'Éleusis

ou "VUTCLYWJ yiCLS (1), il s'agit peut-êt re d'une allusion à l'absorption


de la boisson mentionnée dans la ligne précédente . Mais l'expres­
sion peut aussi se rapporter aux mots qui suivent o..lJW Kchw:
ceux-ci font partie d'une formule qui peut convenir aussi bien
à l'aventure de Perséphone (') qu'au syncrétisme cles cultes des
deux déesses Rh éa et Déméter ('). Suit une phrase: ,< Déposer (')
dans la corbeille », qui rappelle singulièrement l'un des éléments
de la formul e éleusinicnne. Le t exte prend fm sur l'énumération
des objets sacrés du culte de Dionysos-Zagreus: ce sont des
jouets du dieu enfant appelés ici UV"fJOÀCL comme dans Clé­
ment, II , 18, 1. Bref, pour autant qu 'on puisse h asarder une <:on­
jecture sur la n ature de cet ensemble hétéroclite et rendu obscur
par des lacunes matérielles , il est possible que le mot uvv&,,,,,
soit employé pour désigner une affirmation du lnyste concernant
cles rites qu' il a accomplis ou des doctrines qui lui ont été révélées.
Il est question des UV"fJOÀCL des mystères d'Éleusis dans
u n plaidoyer fictif d' un rhéteur du I V' siècle de notre ère, Sopa­
t ros (') . Le thème proposé par le professeur à ses élèves est le
suivant . Quelqu'u n a rêvé que les deux déesses l'initiaient à
leurs 111ystères ; voulant savoir si son rêve correspondait à la
réalité, il a consulté un myste. Bien que celui-ci n 'ait acquiescé
que par un signe de t ête, il est néanmoins poursuivi pour avoir
violé la loi qui protège le secret des mystères . L'accusé a ainsi

42. Seul l phicrate voulait qu e J'officier de ronde ('T!:p:ooos-) et la sentinelle


(.pvÀ(l~) se questionnent l'un l'autre en employant des mots d ifférents: par ex,
Z€ÙS O w1'~p et llofJ €t'jjw~', Su r les mots d'ord re militaires en général, cf. l'article
Sigaa de KUBITSCH E K dans la R E AL - ENCYCLOP" II A, 2325 SS.
(1) Sû remen t pas, en to ut cas, tfolJxaywJyLa, (Schü tz).
(2) P RO CLUS, Theol. Platon.,Vr, Il , 37 1 = K E RN, OrPhica, fr. Ig,; : ~Avw p.Èv au·n]!'
('J'~v K6p'f}//) ~ v 'J'ois- M"f/TPDS O1'I'C 0 15 Idv€t v 4>T/oh ... KG.TW 'jji p..€7à llÀovrw//o'i> rwv
x Oovtw v ;1T(J.PXHV Kat 70VS rij s Xl};- f'VX OU5 ~7,I;P01T€V€tV.
( 3) P ROCLUS , I n Cratyl. , 403 e = K ERN, fr. 145: "Avw 'P fa , l«(loW 1.I.€7à TOi)

,d1';S Ll "'f''?T?Jp.
(') On peu t donner à ~JJ-f3o.:tÀ€IV le sens adouci de mettre, déposer, qui est
fréquent dès la bonne époque.
(:') Texte édité par \VALZ dans les R helores graeci, VI II , pp. llO-J24. Ch.
LE NOR)IAN T, jVIemoire sur les représe lltatiolts qu i avaient lieu dans les ).vlystères
d'Eleltsis (Mémoires de l' I nstitut I mpérial de France, tome 24, J86 1). pp. 361 55. ,
a déjà exam iné la quest ion qui nous occupe. L'auteur ne ci te pas le second pas­
sage et, dans le troisième . il interprète UVf.'f3o>.ov comme un synonyme de uxijf.'a
e n opposant ces de ux termes à p~an $', p_ 369 .

LETTRES . - 1954­
A. D e/at/e. - Le Cycéo1!,

J'occasion d'établir une comparaison entre l'aspect et le contenu


·de la révélation divine et ceux de J'in itiation sacerdotale.
A t rois reprises, J'auteur parle des aVf1-(3oÀa des myst ères :
pp. I2I , I 7 , 1 2 2,12 et 1 2 4 ,30. Dans le premier passage, il reconnaît
que les aVf1-(3oÀa que l'hiérophante prononce au cours des mystères
(et que le rêveur n 'a p as entendus) r endent plus clair le sens des
actes des cérém onies . Il s'agit évidemment des formules sacrées,
appelées drr6pp1)Ta dans le D iscours contre A ndocide attribué
à Lysias, SI, 1>wval et" àKouufLu TU [€prl dans un fragment du De
anima de Plutarque, 2,5, pfja ," f1-vanK>/ par Athénée, XI, 496 a,
{J'aq,aTa dans J'épitaphe d 'un hiérophante. Dans le second pas­
sage, Sopatros imagine qne les discordances éventuellement cons­
tatées entre le rêve et les cérémonies s'expliqueraient par J'inten­
tion des déesses de compléter et de corriger les uVf1-(3oÀa mystiques
des fondateurs des mystères qui a uraient m al interprét é leur
volonté. Apparemment le texte a ici la même signification. Au
troisième endroit, le myste suppose que le non-initié va être admis
en sa compagnie à la célébration ordinaire des mystères et il an­
n once qu'ils pourront alors comparer les deux genres d'initia tion.
(< Quand je verrai telle figure (axfjf1-a), quand j'entendrai telle

parole (pfja,,) de J'hiérophante, je te dirai: Voilà ce que tu as v u,


voilà les fig ures de t on rêve, voilà les p aroles que les déesses
t 'ont laissé entendre au moyen des aVf1-(3oÀa du rêve ... tout cela
est-il conforme à ce qui t 'a été révélé? » I ci l'auteur oppose les
p aroles soit au x actes accom plis soit plutôt aux obj ets sacrés
montrés (8«Kvvf1-€ Va) dans les mystères et qui avaient une signi­
fication mystérieuse (nVinovTO) (' ).
Le mot uvv8'7f1-a apparaît encore dans des inscriptions mysti­
ques du IVe siècle de notre ère. Certains néophytes proclamen t
qu'ils ont fait élever un autel qui est le signe (avf1-(3oÀov, avp81)f1-a)
de leur initiation ou qu'ils on t fait r eprésenter sur cet au tel
des signes secrets (uw8>/f1-aTa Kpvrr-râ) qu i sont les attributs des
divinités et des cultes (2). Il ne s'agit plus ici de formules, mais
d 'emblèmes et de symboles matériels.

(1 ) Par e xemple l'oslension de l'épi sacré dans les révélations de l'époptie.


('t) I G. X IV, n O 1019 (377 a p . ].-C.) : uvp.f3oÀol' t: ùayi wJI T€À €l'WV dvÉOTjlœ...
{JWJ.1o v. I G~, II-III, 3, l, nO 4 842 (38 7 ap. J.-C.) : T ~S n7ij, 7"0 av vOTJJ.l. a TOV
fl wjtol' âvÉ01]Ka; na 484 r: 'Tf!Àf7ijS (]LJVO~J.1 a7a xpuTrTà xapâ~as 7aupof36À ou.
breuvage rituel des my stè'res d'J!.lensis

On peut aussi signaler l'emploi du mot OUl"fJoÀov dans la


langue religieuse des papyrus magiques. Il désigne tantôt des
.noms divins et des formules magiques (') , tantôt des emblèmes :
a nimaux, plantes ou objets, consacrés aux divinités (2).
Disons un mot, pour en finir a vec cette question, des formules
mystiques stéréotypées figurant dans les Instructions aux morts
que les K"Oapoi (la secte des Purs, apparentée aux Orphiques)
confiaient à leurs défunts (Ive-Ile s. ava nt J.-C.) (') . Le « Pur »,
arrivé dans l'autre monde, se proclame enfant de la Terre et du
Ciel. " J e me suis, dit-il, envolé loin du cercle pénible et doulou­
reux, j'ai passé d 'un pied rapide au-dessus de la couronne désirée,
j'ai pénétré sous le sein de la Maîtresse R eine cles Enfers, Che­
vreau je suis tombé dans le lait >) . Tout le nlonde reconnaît dans
ces formules cles mots de passe grâce auxquels le défunt fait
connaître aux gardiens des routes et aux divinités de l'au-delà
sa qualité d'initié. Mais certains historiens ('), poussant plus loin
l' interprétation, croient que ces formules étaient déjà r écitées au
cours même des initia tions, les mystes affIrmant par là qu'ils
avaient accompli tel et tel acte rituel et qu 'ils remplissaient
donc certaines conditions imposées à l'admission définitive dans
la communauté spirituelle. S'il en était ainsi, les formules ésoté,
riq ues de la secte des Purs auraient le même caractère que celles
des mystères éleusin iens et phrygiens : elles mentionneraient les
épreuves subies et les qualités mystiques acquises par la réception
des ri tes. Mais de sérieuses objections ont été élevées contre cette
interprétation.
Il résulte de cette enquête que la « profession » éleusinienne est
lIne fo rmule de reconnaissance p ar laquelle le néophyte prouve

(1) PGM, I V, 559. 9 45. 2292 ; V II, 883 ·


(1) PC M, IV, 2304, 2323 ; nI, ]01 ; VIT. 560, 787.

(') DU::LS- K RA l\' Z, F rag m. d ey V oysokraliker,J. p. 15 . n Ot 17 55.

(J) Jane HARRISON , Prolegomma ( 0 Ihe f htdy 01 g l'tek f'eligio" (19 03), pp. 589
55. Cf. A . D I ETERICH, N ekyia , 1893. p. 85; E. R Ol-IDE, P syché (t rad. Reymond,
1928), p . 444 . n. 3. S. REIN ACH, Une formule orPllique, dans la R evue a rchéol.,
190 1, II , pp. 202 55. (= Cultes, mythes et religions, II, 1 906, p. 123). "\V. V OLLGRAFF,
"Epupo, etc. = NJededel. A cad, W et . A msterdam, 1924, p. 1 9. G . VA N DER LE E UW,
Th e sym bola in Fi rmicus Maternus = E gyptian reli gion . J. 1933. p . 7I. Critique
d e J. \VI ETE:-l, D e tribus laminis a /f Teis quae in sepulcris Th urinis sunt itWtm tae
(1 91 5). pp. 97 55.

- 7'!9 ­
A. Delalte. - Le Cycéon,

aux autorités des mystères et à ses cO!1frères qu'il connaît certains


rites secrets de la communauté; il donne en même temps l'assu­
rance qu 'il a rempli les condition s requises pour être admis aux
rites des degrés supérieurs . Par là, on peut juger de l'importance de
cette déclara tion officielle et estimer à quel moment des initia­
tions eUe prenait place. Certainement pas, comme certains l'ont
supposé, à la fin des révélations, comme un couronnement de
l'époptie, mais vraisemblablement à la fin des cérémonies prépa­
r atoires, avant la représentation du drame lit urgique. C'es t par
une chance extraordinaire que ce fragment authentique du ri t uel
éleusinien a pu franchir la barrière du secret imposé par la loi
et par l'effroi religieux.

III

J e passe à l'étude de la nature et de la composition du cycéon.


Les Grecs appellent de ce nom une mixture formée par l'associa­
tion d'un aliment solide, le gruau d 'orge, avec un liquide: son
nom vient de ce qu' il fau t remuer (KVKâv) (1) le m éla nge avant
de l'absorber pour éviter la formation d 'un dépôt des matières
solides.
Le cycéon appartient à une époque intermédiaire entre les
débuts. de la cult ure de l'orge, période au cours de laquelle les
grains étaient consommés entiers et offerts aux dieux, soit à l' ét at
naturel, soit trempés dans du lait, du miel, de l'huile ou du vin, et
d'autre part l'époque beaucoup plus récente de la découverte de la
fine mouture et de l'art de la boulangerie (2). Cette époque est ca­

(1) L'éq uivale nt latin de K!JKHfJv est cimws (An t»oB E, 7ldv. gentes . V, 25) .
(1) L es renseignements fo urnis par les lexicographes et antiqu a i.res anciens,
et aussi par les historiens des institut ions religieuses nous permettent de nous
faire une certaine idée des étapes par lesquelles ont passé l' al imentati on humaine
ct son emploi dans les rites sacrificatoires. T héophraste avait déjà observé une cer­
taine correspondance entre la fmme et la matière des repas d'une part e t celles
des sacrifices d 'au tre part, la religion ayant une tendance naturelle à conserver
sc rupuleusement les anciennes coutumes . Sur ce sujet, cf. O. BexNDoRF, A lt­
griech isches Brot, d ans Eranos Vindobonensis, 1893, p. 372 ; \VILAMOWlTZ,
SÜz ungsber. d er Berliner Akademie, I904, p . 633 ; S. EITREM, Op/uri/us ( 1935),
p. 27 2 ; L. ZIEHEN, article fl"Àav6s , dans la REAL-ENCYCLOPADIE., X I X, p . 246.

- 71 0 .­
b"cuvage rituel des mystères d'Éleusis

ractérisée par la confection du gruau: le gra in d'orge, légèrement


torréfié au préalable, est égrugé dans un mortier ou dans un mou­
lin rudimentaire (1). Mélangé à un liquide ou plus exactement
épandu ("aÀÛv« v, Kura(bn-)...-cfO'O'HV) sur ce liquide, le gruau fournit
un aliment plus digeste et plus agréable que le grain brut: c'est
le cycéon. Le type le plus simple et le plus frugal est le cycéon à
l'eau, assaisonné à l'aide d 'une plante aromatique . Pour confec­
tionner des cycéons pius nutritifs et plus savoureux, on t rempe
le gruau dans du vin, du miel, du lait, de l'huile etc. Les équi­
valents du cycéon employés dans les offrandes du culte s'appellent
.pa'O'Ta, 8u(a)À'ÎlwTU, ,,'Àuvos, vyi«u: ils ont l'aspect d' une pâte
plus ou moins fluide. Le cycéon rem onte clone à une haute anti­
quité: c'est ce qui explique sa présen ce dans certains rites reli­
gieux et funéraires et dans les us d 'hospitalité.
Nous sommes renseignés sur la composition de cette bois­
son (') par un assez grand nombre cle textes de nature variée .
Pour la clarté de l'analyse, je distinguerai ceux qui appartiennent
à la littérature profane de ceux qui ont un certain rapport
avec les choses de la religion.
L La mention la plus ancienne se trouve dans l'Iliade, il (XI),
624-64I, où Nestor ramène à sa tente un blessé, Machaon. Héca­

(li Sur la préparation d u gruau d'orge, cf. H. BLÛMNER, Techno logie und
Terminologie etc., J, §§ 3 (torréfaction), 4 (broyage), 7 (gruau, or ge mondé,
etc.). GALIEN, De a/in/. tac" l, Il (VI, p . 506 Kühn) : lI{ TWV v'wv I(p~OWV rPP!)yWJ ~JV
ovp.p.€-rpwr; 7"0 Ka..u~aTo v 0)\4)(7011 y{VE"Ta~ ..• f./-a)..,cn-a èa'nv t"VW01} -rd. €K.·TWV àp{aTwv
Kat v'wv Kp~eWV y~yv6~(va., J1.~ mlv!) t?Jpov lxovawv TOl' a'Taxvv. Cf. ETYM. MAGN .
S. v. a).. rp~TOV· T d. and 7"WV 1T(rPPUYI-I-€VWV KptOWv à'\wO(~O'w v 6po.uOll-aTa.. ~ ~pWTOV
dpt"OlÎc(l Tp 01>~. Cf. EUSTATHE, pp. 872, 35 et 11 62,48. PLINE. H. N .• 18, 72:
Plltribus fit /laee (polen{a) modis. Graeci perfusum aquil ltordelt1n siccant noele
1I11(t ne postera die Iri glm! , dei'1lde malis franglmt. Slml qHt veheme-ntius tostum
rw's!1S cxigua aqua aspergunt et siccent prilts quatn molant. A Hi vero vircntibus
spids decussum J:ordcum rccens pHl'ga11-t modidulIlque in Pila t!mdunt atquc in
corbiblls elmm! ac siccatwn solé rurslts fltndm~t et purgatum molw/! ... Pa"em
ex hordeo antiquis 1lsitatum vita damnavit quadrupedmnque fere cibtts est. Voyez
en lB, 97, la méthod e des Étrusques et d es Carth aginois, qui n 'emploient que
le pilon pour broyer le grain.
( ~) Quelle que soit la proportio n des deux éléme nts, liqu ide et solide, le cycéon
est toujours q ualifIé de boisson. EUSTATHE, Ad lliad., A 637 et Ad Odyss., 1(235,
insiste particul ièrement sur ce point. On le boit toujours (lTlvw'). sauf en q uelques
endroits de la litté ratu re médicale, où le terme employé est po<pfEiIJ ou iKpOq,ÛIJ:
ce terme s'applique assez rarement aux liquid es, le pl us souvent à des aliments
semi-solides, tels q ue les bou illies.

- 7 II ­
A. Delalle. - L e Cycéott,

mède, sa captive, p répare pour les hommes épuisés un breuvage


réconfortant et r afraîchissant: c'est un cycéon. H omère s'étend
complaisamment sur les préparatifs et sur la confection de cette
boisson, qui est non seulement assez compliquée, mais encore
sûrement d'un usage peu ordinaire. C'est d'ailleurs dans la fameuse
coupe de Nestor qu'H écamède mélange soigneusement du vin
précieux de Pramnos, du miel doré ('), du fromage de chèvre râpé
et du gruau d 'orge blanc (2), dont elle parsème la mixture.
Un breuvage du même genre est confectionné par Circé dans
l'Odyssée, K (X), 234 : il est destiné à Ulysse et à ses compagnons ,
que la magicienne fait semblant d'accueillir généreusement.
En réalité, elle mêle secrètement au cycéon tentant , des drogues
par l'effet desquelles les étrangers oublieront leur patrie ; après
quoi, sa baguette magigue les transformera en pourceaux (3).
Dans les deux cas, il s'agit d'un mets riche et substantiel,
destiné à restaurer les forces épuisées par de rudes épreuves ou
un travail pénible. Un bon exemple nous en est fourni à l'époque
classique par Thucydide dans un récit dramatique (III, 49). Les
rameurs de la trière envoyée par les Athéniens pour rejoindre à
temps celle qui portait à Mitylène une sentence fatale absorbent,
sans cesser de ramer, des cycéons (le mot, à vrai dire, n'est pas
employé) faits de gruau mêlé à du vin et à de J'huile, repas
improvisé selon l'antique coutume.
Celui-ci apparaît encore dans un troisième texte homérique, où
le nom du cycéon n'est pas non plus ment ionné ('). C'est dansE de
l'Iliade (XVIII, 560), dans la description de la scène de la moisson
qui décore le n ouveau bouclier d 'Achille. Tandis que les hérauts
s'affairent a utour d 'un boeuf gui vient d'être sacrifié à l'écart en

(1) Sur les différentes sortes de miel , d. l'article Mel de M. SC HU STE R, dans la
RE AL-ENCYCLOPAOIE, XV, p. 364.
(2) C'est de l'orge blanche qu'on tirait le meilleur gruau d'après GALIEN, De
alim . jac., J, II (VI, p. 506 K.).
(3) Les schol iastes qu i expl iquent ces passages homériques et les lexicographes
n 'apportent rien de neuf: SCHOLIES de A B G T V, EUSTATHE, H ÉSYCHlUS ,
PHOTIUS, SU I DAS, ApOLLONIUS , PHRYK ICHOS, les ETY;\IOLOGICA, ATHÉNÉE,
XI, p. 492 d. Les considérations de PLATON , I on, 538 c, Rép., 405 d, ne présentent
pour nous aucun intérêt: cf. J. LABARBE, L'Homère de Platon, 1949, pp. Jor 55.
et 372 SS.
(4) ATHÉNÉE, TV, p. 1 37 e, c ite encore un passage d '« Homère » qui ne figure pas

-7 12 ..:.....
brc'ltvage rituel des m.ystères d'Éle'ltsis

vue d'un festin (Sai~). apparemment destiné au roi et au person­


nel de la famille royale, de leur côté les femmes apprêtent le
dîner (S'<77VOV) des journaliers (Jp'Oo,). Il est des plus simple:
elles parsèment abondamment de gruau blanc un liquide, pro­
bablement de l'eau (').
Comme les offrandes faites aux dieux et aux défnnts emploient
normalement les mêmes matières et les mêmes formes que l'ali­
mentat ion humaine, on ne s'étonnera pas que la troisième liba­
tion faite aux morts par Ulysse (Od. , K 520 et À 28) soit de l'eau
saupoudrée de gruau blanc. De même l'un des types les p lus
anciens d'offrande aux dieux, les .pa'OTa, consistait d'après cer­
tains antiquaires a nciens, en gruau mêlé de sel et trempé dans
de l'eau, de l'huile ou du vin (').

dans notre t exte d e l'lIiade, où le poète (un cyclique ?) décrivait une réception
des chefs de l'armée organisée d'une manière très frugal e par Agamemnon;
fjJJpf:";,o Ô'â.).,cp~ TU , d it le texte. Le roi accueillait donc ses hôtes en leur offrant un
cycéon. Solon , dit Athénée, avait admiré cette simplicité et s 'en était inspiré
dans l'organisation des repas du prytanée. Cf. O. BE~l\'DORF, Eranos Vindobo­
t lC1lsis (1893). p. 377.
(1) L'interprétation de ce passage a d onné lieu à des discussions. La p lupart
des commentateurs croient qu'il n'y a qu'un seul repas com mun à tous et que le
gruau servira, comme dans l'Odyssée, ç 76 et 429, à saupoudrer les t ranches ·de
vi ande. J\'Ia is il fa ut rema rq uer q ue le poète distingue le simple repas (ôâlTl'oJ.'),
destiné aux jou rnaliers, d u festin (Bal.) réservé apparemment au roi et à ses
gens. Cette distinct ion serait trompeuse, si le poète n'avait vou lu parler que
d'un u nique repas; il n'aurait pas spécifié que le gruau est destiné aux journaliers.
D 'a utre part, les préparatifs du festi n ne sont pas achevés : or, on ne sau poudre
de gruau les tranches de viande que lorsqu'on les grille, pour les panner. Lea f
a adopté l'in terprétation traditionnelle, tout en apercevant les diffi.cu ltés qu'elle
suscite. Au contra ire, Mazan a compris et tradu it correctement le texte (sa uf
le terme âÀcplTa, rendu par farin e, m ais c'est une erreur générale chez les com­
m entateurs). Les scholies ;cpupoJ.' (délayer) et (/uu yo" (mêler) p euvent conve­
nir à l'op ération d écrite ici. En revanche, ;p.o.uuo" (pêtrir) est à écarter, comme
Euslathe l'a d éjà fait: il ne peut être queslion de pétrir du pain ou des gâteaux
cn p leine campagne. Le terme 7ntÀJ~nv est d'ailleurs caractéristique de la fabri­
cation du cycéo n en A 640, 1( 520 et À 28. EUST .... THE, à 1: 560 : -:ro.).,Jvttv â.·~4nT a
oùlik vûv ô'1).,oî ô.pTorrodav, J.).,À<Î 7'( ~r.tTraufJ-a avvTJO€!> OV Toi. r.o.Àa!otS'. Cf. PLUTAR·
QUE, QHaest. conv., II , 4, 8. Voyez BENNDORF, E"anos Vindobonensis, . 1893 ,
p. 377. GA LlEl\", De alim. tac., 1 , Il (VI, p. 506 K.) a pu constater que cet usage
subsistait chez les Cypriotes; xpiiJV"Ta~ o~ ÙÀcptTO(S' ;11 no! "HÔ" ÈBvwv Èv ap701J
xpdq. Ka.Ba'1T€p È'1Tl 7wvàypwv f:tOOIl Èv !G-rrpo/.- Que d ire des corrections d 'A. PALLJ S :
~v O( - 7" à"Àwv (Th e E rh apsody, Oxfo.rd, 1930) !

r~) SCHOL. à l'Odys sée, y 441 ; SCHOL. à Aristop h., Plldus , 138 ; SUIOAS, s. v·
.j" ua7d. .; EUSTATHE, Ad Odyss .• fi 290, p. 1445, 59.

- 71 3 ­
A. De/aUe. - L e Cycéon,

Le gruau préparé à l'eau est un signe de frugalité et m ême de


pauvreté. C'est sous cet aspect, semble-t-il, qu 'il apparaît dans les
fragments du poète Hipponax d'Éphèse qui fut toute sa vie un
bohème crève de faim: (, J e vais périr de male mort, dit-il à un de
ses amis, si tu ne n1'envoies quelques boisseaux d'orge ; avec le
gruau, je ferai du cycéon que je boirai comme un remède à ma
misère » (').
C'est d 'un cycéon de cette sorte, en tout cas, qu'il est question
dans une historiette rapportée à la vie du philosophe Héraclite (') .
Voulant, par une leçon muette, montrer à ses concitoyens que la
frugalité est capable d 'entretenir la concorde des cités et d'assurer
ainsi leur indépendance, il sa isit en public une coupe d'eau froide,
y sema du gruau d'orge, agita le mélange avec un rameau de pou­
liot, absorba le breuvage, puis se retira sans mot dire . Le p ouliot
(y'\-,}xwv) est une plante fort odorante du genre menthe, dont
on se servait , de façon économ ique, pour aromatise r le mélange
naturellement insipide du cycéon.
Dans la Paix d 'Aristophane (3), Trygée, craignant d'avoir une
indigestion en abusant des fruits, reçoit d'Hermès le conseil de
boire un cycéon au pouliot. C'est apparemment une recette de
campagnard. Dans la même pièce, le cJ'céon est encore vanté par
le chœur comme une spécialité de la vie des champs. Parmi les
bienfaits de la paix que le paysan a retroU\'és en rentrant chez lui ,
figure le cycéon au thym, dont il se régale au cœur de l'été.
Un passage des Caractères de Théophraste mont re bien le ca­
ractère populaire du cycéon et la désaffect ion de la bonne société
à l'égard de ce breuvage rustique. Son « Rustre» a bu un cycéon
avant de se rendre à J'assemblée et, à ses voisins qu'incommode
son haleine, il soutient qu'aucun parfum ne fleure aussi agréable­
ment que le thym.
Jusqu 'au Ille siècle, le cycéon est éncore mentionné çà et là
dans les textes, mais ceux-ci ne nous apprennent pas grand-chose.

(1) Fr. 42 Diehl. Cf. \ V. ROSCHER, Der }{ykeoll des Hippollax, dans les jahrbü­
cher f. class. Philologie , 37 (1888), p. 252.
(2) PLUTARQU:E, D e ga rrul._. 17, p. sr 1 b; THÉ:\Il STlUS, Devirlllle, p. 40 (Rhei-II .
~\1llS., 27 , TS7:!, p. 456). SCH OL. BT à K 149. Di ELS- KRANZ. Fra gm. der Vo rsokr .,
l , p. 144.
(3) Vers 712. Plus loin, je renvo ie au v. II 6g, expliqué par une scholie.

-714-'
breuvage rituel des mystères d'Éleusis

Héraclite, ayant observé que les matières en suspension dans le


cycéon se séparent si on ne les remue pas constammen t, avait tiré
de cette constatation une théorie relative à la form ation et à la
constitution de l'univers ('). Théophraste et Alexandre d 'Aphro­
dise y puisèrent de quoi expliquer la nat ure des vertiges (') .
Chrysippe t rouva dans le m ême phénomène ma tière à réflexion
pour justi fi er sa théorie du mouvement perpétuel, tant dans le
domaine moral que physique (3).
Par une inscription d'Épidaure (4). on apprend qu' une maràtre
a fait absorber à son beau-fils des sangsues astucieu sement cachées
dans u n cycéon. Après une brève m =ntion de Calli maque dans
l'Hécalé ('). le cycéon disparaît des oeuvres littéraires . On devine
pour quelle raison : cette boisson primitive a fait son t emps.
On fait la même constatation à propos de la lit térature médi­
cale : le cycéon fut, en effet, longtemps en faveur da ns la théra­
peut ique et la diétét ique des traités conservés dans le Corpus
hippocratique. Tantôt les tuédecins prescrivent un cycéon sans en
indiquer la composition; c'est sans doute le type le plus simple et
le plus p rimitif, celui du cycéon préparé à l'eau: II , p. 306; 2 ;
V, 324, 5 ; VIII , 372 (6) . 'Un cycéon de cette sorte est men tionné
en VII , 60. En VI , 539 , l' auteur dist ingue quatre espèces de cycéon
selon que le gruau d 'orge est associé à l'eau, au vin , au lait ou au
miel: leurs effets thérapeu tiques sont différe nts . En VII , ' 98,
il est question d'un cycéon fait au vin noir, doux et astringent.
Les a uteurs en indiquent parfois la consistance : tantôt il est
léger (.\<1rT05) : VII , 28; tantôt épais (7Ta.X6;) : VII, 336, VII, 382
(celui-ci contient du m iel). VIII, '32. Le cycéon de VII, 178 est
épais, car il est composé par parties égales de g ruau et de vin doux

(I) D IE LS~ ](RA N Z , ibid. , Ir.


125, pp. 178 e t 190 .
(2) TH ÉO PHR ASTE, D e t;ertig ., 9. A .LEXAND IŒ D'A p H RO D lS E , P robl ., Il l, 4 2 .
( 3) PLUT ARQ U E, D e Stoie. repugn., 34 = SVF, IJ . p . 269. n O 93 7.
(4) Ch. Ivh cHEL, Recueil d'insU' . grecques, n O 1069 . 1. 98.
(!» Fr. 26 0, 46 Pfei ffer, p. 250 . :r.'Ientîonnons encore , pour être comple t, Po­
LYÈ:-rE, IV , 3 , 3 2, q ui éval ue à dix artabes par j ou r (cinq h ectolit res envi ron) la
quanti té de farine de gruau employée pou r la .confection des cycéons de J' armée
p erse; P S.- AR ISTOTE , Probl. , II r. 1 2, p. 8 7 2 b 26 : au cours d'une beuverie, Je
cycéon dégrise ; N ONNUS. Dilmys. , 22, 77 (correction) .
(1) Je cit e. les tomes e t pages de J' édition et trad uction de L ittré. On no tera,
au surplus que le terme cycéon n 'est pas touj ours empl oyé ; p. ex. V , p. 2 1 0 :
a>"<ftTo. ;:Tl~ >.. t" 1T1à N' tio an; V II, p. 394 (51).
- 715 ­
A. De/alte. - Le Cycéan,

et astringent. Une mixture très compliquée appelée fleurie


(âvBw6s). est décrite en VII, 196 : ce cycéon est fait de gruau et de
vin noir, doux et astringent; mais on y ajoute du fromage, de la
farine d'ers et de lentilles, du jus de grenade, ainsi que diverses
plantes aromatiques: menthe, fenouil, rue, persil, coriandre,
basilic, pavot. Celui qui est mentionné en VIII, (244 a) n'est sans
doute pas moins épais: on délaie dans de l'eau du gruau tamisé,
du gros gruau grillé, des légumineuses, du fromage de chèvre, le
tout assaisonné surtout avec du pouliot. La recette suivante
(244 b) contient une partie de gruau, une partie de fromage et
une partie de la préparation précédente. Ces recettes compliquées
rappellent celles du cycéon homérique.
Les botanistes de l'antiquité ont conservé le souvenir de la con­
fection de cycéons du type ancien. Pa r exemple, le cycéon au
pouliot est mentionné da ns Pline, XX, 153 et le Ps. -Apulée, 93, 3
(c'est la même recette que dans la Paix d 'Aristophane et dans
l'anecdote d 'Héraclite) ; dans une a utre formule, le pouliot est
remplacé par du vinaigre (Dioscoride, III, 31).
Tandis que dans l'ancienne médecine, le cycéon jouit, comme
nous l'avons vu, d'une certaine faveur, la thérapeutique de l'épo­
que romaine paraît en avoir abandonné l'usage. A ma connais­
sance, Galien n'en fait mention qu'une seule fois et encore est-ce
dans son Commentaire aux i:pidémies d'Hippocrate, VI, 6, 5, et
Galien paraît vou:oir en quelque sorte excuser le vieux maître. Au
surplus, il n'a en vue, semble-t-il, que le cycéon fait avec du vin et
ses élèves sont si peu avertis de l'existence et de la composition
d'un tel remède que Galien est obligé de rappeler leurs souvenirs
homériques pour fixer leurs idées .
Même éclipse dans le domaine de la cuisine : dans le traité de
Galien intitulé De la valeur des ali",,,!!s, le chapitre èonsacré à la
préparation des mets (ul(€vaata .pocpwv) traite de tous les ali­
men ts, sauf du cycéon (1). Incidemment il le mentionne à propos
de la confection de la l'tisane (porridge fait d'orge mondé cuit à

(l) A vmi dire, GALIEN décrit dans Je De alim. tac., J,II (VI, p. 506 !(ühn)
une boisson désaltérante qui pourrait à bon droi t porter le nom de cycéon puis­
qu'elle a la ~néme composition et prod uit le même effet que cette mixture : c'est
du gruau d'orge parsemé sur du vin nouveau cu it, du vin doux et du viu miellé,
ou encore s urde l'eau pure, à prendre en é~é deux ou trois heures avant le bain:
brezwage rit'/tel des m ystères d'Élwsis

feu doux avec de l'hu ile, du poireau et du fenouil). L'auteur cri­


tique u ne façon incorrecte de préparer ce mets: certains cuisin iers,
dit-il, aj outent à cette composition du vin nouveau cuit , parfois
aussi du miel et du cumin: le résultat, dit Galien , ressemble
plutôt à d u cycéon qu 'à de la ptisane (L).
Le cycéon a donc disparu de la thérapeutique nouvelle: Arétée ,
IV, 9, 3, l'accuse même cle provoquer la d ysenterie. La cuisine
savante cle la même époque paraît aussi l'ignorer.
z. P assons à la littérat ure religieuse. Ici le t exte le plus ancien
et le chef de file de tous les autres est celui de l'H ymne homérique
à Déméter, qui para ît dater du VIl e siècle ('). Son intérêt est
except ionnel, t out d'a bord parce qu' une part ie de cet Hymne
rapporte la forme de la légende de Déméter telle qu' elle était
conservée à É leusis et évoquée dans les m ystères. En out re, on a
observé depuis longtemps (') que le poète attribue à la d éesse
des actions qui correspondent aux rites pratiqués dans l'in itiation:
par exemple, le port cl'un voile, le jeûne , le silence, les plaisanteries
incongrues, le repos sur un siège recouvert d' une t oison et l'ab­
sorption mêrnz du cycéon. Dans le mythe, nous avons comme un
reflet du rite; c'est ce qu'o n appelle un mythe étiologique. Les
créateurs du m ythe supposent, en effet , que les fidèlesse conduisent
sur le modèle de la déesse, leur patronne . En réalité, il fau t ren­
verser les rôles et admettre qu' ils ont attri bué à D éméter les
actions rituelles qui étaient ,en usage d:lDS les cé r~mo nies sacrées.
S'étant m ise à la recherche de sa fille Coré enlevée par Pluton ,
Déméter arri ve à Éleusis a u cours de ses pérégri nations. E lle

En revanche. le terme cycéon est mal employé (II, p. 155) pour désigner un
breuvage fait d'eau et de farine, qui sert de nourriture aux porcs.
(1) De alim. fac. , I, 9, 6 (t. VI , p. 503 Kühn) ; cf. OR IBAS E, IV, l, éd. Bussem a­
ker ct Darem berg. t. I, p. 261.
(2) Principales éditions des H y ni.nes homériques : Baumeister (1 860). GemoH
(r88 6), Pierron (1888), Allen-Halliday-Sikes (1936). Humbert (1936). Cf. l'article
Hynm os de R. ,"VÜNSCH, dans la REAL - ENCYCLOP.'\OIE . IX (1914), pp. 147 ss.
(3) H. DIELS, Sibyllittische Bliitter (1 890), pp. 122 S$. O. KER!\" , a rt . Mystuim,
dans la REAL-ENCYCLOPAOIE, X VI , p. 1221 ; Id., Die atteste Urkunde der NJyst erien
t.·on Etel/sis, dans ForschungM 1md FortschYitte, 10 (193 4), p. 189. ALLE!\"-HALLl·
DA Y -SI KES, Homeric hymns, p . T1 7. K. D EICHGRXSER, E/ellsinische Fyommigkeit
1tJtd homerische Vorstellungs welt im homerischen D emeJerhyunl1ts (= A bltandt.
der Geistes- 1md Sozialwiss. I(lasse de'y Akad. den l Viss . Hnd der Liter. Ï11 JIIlaiw;,
1950), pp. 508 5S.
A. Delalte. - Le Cycé011,

est reçue par le roi clu pays, Céléos, et par la reine Métanire, qui
lui clonne une charge cie nourrice. Elle reste prostrée clans son
chagri n, sans boire ni manger, jusqu' à ce que la servante Iambè
la cléricle par ses plaisanteries ... Cependant elle retombe clans
son affliction et elle refuse la coupe cie vin doux que lui offre Méta­
nire. Il ne lui est pas permis (où 8EI'-,.,.6v), clit-elle, cie boire du vin
rouge. Mais elle clemande à la reine cie lui préparer un cycéon fait
cie gruau cI 'orge, cI 'eau et cie pouliot. La cléesse accepte cette
boisson pour des raisons de légititnité religieuse ou en vue d'un
rite (oa!'15 iiVEKEV). Nous verrons plus loin quel sens riche de
substance il fau t donner à cette expression à première vue am­
biguë.
Nous retrouvons ici le cycéon préparé à l'eau et assaisonné de
pouliot que nou s avons signalé chez Aristophane, chez les bota­
nistes et clans la légencle cI'Héraclite. En raison de ce que nous
avons dit plus haut et pour un a ut re motif que nous invoquerons
plus loin, il est infiniment probable que telle était la composition
du cycéon absorbé par les myst es .
La légencle de Déméter est rapportée cie la même façon clans
le text e commun de cieux scholies, l'une à Nicandre, Alex-iPhar­
maca, v. I 30, l'autre à Euripide, Oreste, v. 964- L'auteur de cette
note in voque cI 'ailleurs l'autorité de l'Hymne homérique. Un
détail est nouveau: Déméter justifie son refu s de la coupe cie vin
par le deuil qui la frappe ('). Quant à Nicandre, il ne fait qu'une
brève allusion à la (i triste ) boisson de Déô. au cycéon qui con­
t ient cie l' eau cie ri vière et du pouliot ('). Le scholiaste, cI 'autre
part, place la scène, non chez Céléos, mais chez Hippothoon,
qu'un poète épique inconnu citait avec E umolpe et Dolich os
parmi les princes d'Éleusis (3). Cela fait présumer qu'il a connu
une autre tradition. En effet , clans un autre ouvrage, les Méta­

(1) Dans l'Hymne, la déesse se couvre les épaules d 'u n voi le sombre (v. 42) ;
plus loin (1 82), elle apparaît vêtue d'un péplos de même cou leu r. L'au teu r de la
Scholie a vraisemblablement interprété de cette faç on le où B(IL~70V d u texte de
l'Hymne.. No us verrons plus loin ce qu'il fau t penser de cette explication .
(~) Le gruau n'est pas mentionné, bien qu'il forme l'é lément essentiel du
cycéon ; toute l 'attention se porte s ur le pouli ot qui sert de contrepoison (DIOsco­
RID E , Ill, 31 , avec les passages parallèles cités dans l'éd. ' ·Vellmann).
(3) D'après H ERODIE N, II, p. 31 r, 32 L entz. L 'H ymne mentionne Eumolpe e t
D olichos parmi les Hois li d'Éleusis (v. 154- 155), mais non Hippothoon.
breuvage rituel des mystères d'É leusis

",orphoses ('), Nicandre rapportait une forme u n peu différente


de la légende de Déméter, à l'occasion du récit de la transformation
d' un effronté gamin en lézard ('). Ce n'est plus Métanire qui reçoit
Déméter, mais une femme du nom de Mismé (3), m ère d 'un garçon
appelé Ascalabos . Elle lui offre un cycéon composé d 'eau, de
gruau d'orge et de pouliot. Ascalabos ayant raillé Déméter par.ce
qu'elle étanche sa soif goulûment, la déesse jette sur lui le dépôt
resté dans le fond du vase et le t ransforme en m ême temps en
lézard moucheté . Une autre forme de ce récit apparalt dans les
Ther-iaca (') du même Nicandre et dans une scholie à ce passage.
La scène se passe ici de nouveau chez Métanire, qui a pour époux
Céléos, comme dans l'Hymne. Leur fils porte, dans les scholies,
le nom d'Am bas. Enfin une variante mentionnée dans deux
scholies (') est venue se greffer sur ce récit: c'est au cours d'u n
sacrifice offert à Déméter (peut-être après la scène de reconnais­
sance de la qualité de la déesse (')) qu'Ambas reçoit le châtiment
de son impudence.
Dans le long récit qu 'Ovide a consacré, dans les Métamor­
phoses l'), au myt he de Cérès, nous relevons de nouvelles va­
riantes . La scène se passe quelque part en Grèce (aucune pré­
cision n'est donnée à ce sujet). Une vieille femme, dont le nom
est inconuu , accue ille Cérès dans sa cabane et lui offre, alors

(1) Par mi les p. va1'~pHl. é leusinie ns de Déô et Perséphone, en co mpagnie des


tambourins, des gâteaux, de la toupie, de la corbeille, de la cymbale et de la
laine tressée , ÉPIPHANE mentionne ~ le cycéon p réparé dans un gobelet If (Fidei
e.xpos., 10).
(2) Fragment 56 des 'ET~powJp.H'a = ANTONINUS LIBERALlS, 2 4 (MytllOgra·
phi graeci, lI, l Martini). Cf. L ACTANTIUS PL AC ID US, N arraliones, V, 5: ici le
garçon porte le nom de Stcles, ce qui permet la mé tamorphose en sieUo (lézard
moucheté). Le cycéon est appelé polenta/a. potio, la polenta étant le nom latin
du gruau d'orge (PLINE, H. N., '18, 78). Cf. O VIDE, NIét. , V, 450.
(3) Sur l\lism é et I1-lisé, cf. les articles de KERN dans la R EAL· E NCYCLOPADlE ,
XV, pp. 2040 et 2050 .
(4) Ve rs 484 et Scholie b.
(5) Scholies a. et c.
(6) Comparez avec l' Hymne, v. 269 ss.
(1) V, 341.571. Sur la question très controversée de la sou rce de ce passage des
11Utamorplwses (vra isemblablement Nicandre) et du réci t parall èle, mais très
di fférent, des Fas/es, IV, 417 55. (p robab lement Callimaque). cf. H. HERTE R,
Ouid's Persephone·Erziihlungeu und ihre hellenistischen Quelle'n , dans le Rhein .
1\IIIIS., 90 (I94 1), pp. 236 S5.

- 7 19 ­
A . Delalte. - L e Cycéo1! ,

qu'elle ne demande qu 'u n peu d'eau, u ne boisson sucrée mêlée


à du gruau d'o rge grillé (L). I ci la mi xture contient du miel, comme
le cycéon homérique et comme les offrandes de type primitif.
Reste la version orphique de la légende de Déméter ('). Elle
était exposée dans un poème d ont Clément et Arnobe (3) nous ont
conservé un résumé et un extrait; les deux sources présentent
assez de diffé rences dans le déta il pour qu'on ne les croie pas
issues l'une de l'a ut re comme on va le répétant. Nous sommes
toujou rs à Éleusis, mais le déco r a ch angé. Plus de rois, plus de vie
de cour brillante, plus de sentiments délicats, plus de miracles
opérés par Déméter. Ce sont de pauvres gens, de l'espèce la plus
humble et la plus primitive, des Y'1Y€V€ ' S, nés de la terre (' ), qui
accueillent la déesse au hameau d 'É leusis. Parm i ces rustres, il y
a un bouvier, Triptolème, un chevrier, Dysaulès, un porcher,
Eubouleus, un berger, E umol pe, don t les n oms sont célèbres dans
les légendes d'É leusis, et une ribaude, Baubô. Celle-ci, qui connaît
déjà les us de l'hospitalité, off re à Déméter un cycéon , que la
déesse rei use d'abord p arce qu'elle est en deuil. Pour la dérider,
l'hôtesse ne trouve rien de mieu x que de retrousser sa robe et
de lui dévoiler son ventre, dont elle vient de faire la ·toilett e
et qui se trouve, grâce à ces soins, modelé en iorme de figure

(1) V ers 44 9 : P rodit anus Diva mquc v-jdet lymPhamque Yoganti D u/ce ded it,
tosta quod texeral ante p olcnta. V ers 45 4: Cum liqu-ido mixta p erfudit D ivapoklila .
Sur la polenta, voyez la note '2 de la pa ge précédente .
(Z) Un papyrus de B erl in du second siècle avan t notre ère a conservé des
fragments d'une paraphrase d'un poème orph ique q ui t raitait le mêm e s ujet que
l'hymne homérique Il Déméter, mais avec d 'importantes v ariations : cf. D IELS­
!{ RA NZ, Fra g·m. der Vorsokratiker, l, p. 13, n O 15 a = KE R N , Orphie(/., fI. 49;
ZIEGLER, Orphische Diehtung, dans la R E A L - EN CY CL. , XVII I, 2, p. 1396 . Dans
les dern ières lignes, il es t q uest ion d 'une boisson qui pourrait être le cycéon de
Déméter (ou de Triptolè me ?) : -:d11"O TUt éws T W V... De même, dans le papyru s de
Milan Oll sont rapportées les plaintes et les reproches d 'H éraclès à qu i l'on a
re fusé l'accès aux mystères (A. VOC LlA N O, Papiri della R. Univ. di M ilanD, l ,
1937, p . 177), un mot pourrai t être complété de fa çon à obtenir la mention d'un
breu vage, !. 25 : TO Ô€ 1T O[TOV ou que lque mot de la même famille .
( 3) CLÉM ENT, Protr. , 1 l, 2 0 ; ARNO DE, Adv. nat ., V , 2 5 = OrPhiea, éd. l{ern,
fT. 52.
('1) Parmi les premiers hom mes dont H IPPOLYTE, R ef . haer. , V, 7, dresse une
lis te, figure Dysa ulès, éleusinien habitant de la campagne de Rarion. Il passe
p ou r le père d'Eubouleus et de Triptolème chez P AU SA:-f IA S, l , 14, 3. A SCLt PI ADE
DE T RAG ILOS (Ive s iècle av. J.-C. ), qui avait compilé des matériaux t irés des
œ uvres lyriques et tragiques, forme un couple de Baubô et D ysaulès (fT. 4 Jacoby).

- 72 0 ­
bre-nvage rituel des mystères d'Éleusis

juvénile. Cet étrange spectacle a l'heur de dérider Déméter,


qui accepte alors le cycéon.
On ne sait à quelle époque placer le poème d'où provient cet
extrait: la littérature orphique s'étend en effet sur une longue
période qui va du VIe siècle av J-C. aux premiers siècles de notre
ère ('). Mais le caractère naturaliste de cette scène, l'aspect
primit if du décor, la psychologie rudimentaire des personnages
et surtou t le fait que l'épisode trouve son explication dans l'exis­
tence d'anciennes représentations de Baubô sous forme gastro­
céphale (2) indiquent certainement des SOurces archaïques. L'in­
tention de l'au teur est 'manifestement de fa ire remonter l'institu­
tion des mystères à l'époque préhistorique la p lus reculée : c'est
à quoi tend notamment la mention des hommes issus de la terre. Il
y a là, d'ailleurs, une précieuse indication qui peut ser vir à expli­
quer la mentalité des fondateurs des mystères et la nature des
rites mentionnés dans la "profession" de Clément.
On peut encore se faire une idée des misérables conditions
d'exist ence que certains poètes supposaient avoir exist é à Éleusis
dans les premiers temps par la description que donne Ovide, dans
les Fastes ('), de l'existence du couple formé par Métanire et Cé­
léos. Ha bitant une pauvre hutte perdue dans les bois, ils vivent de
fruits sauvages et de laitage. Nous sommes loin , ici aussi, de la vie
civilisée décrite dans l'Hymne homérique. On est en droit de pen­
ser que l'auteur de ce dernier nous présent e une version du
mythe nouvelle, idéalisée, conforme à la poétique des aèdes io­

(1) Ci. ZIEGLER , article cité, p. 139 7. Sur la littératu re orphiq ue relative à Dé­
méter, cf. L . MALTE;-l' , Altorphische Dcmetersage (Archiv liir R eligionswiss. , XII,
1909, p. 4 ' 7) . qui en voit l'origine dans le cercl e orphique d' Athènes à l'époque de
risishate. Pour ma part, je ferais remonter beauco up plus haut une bonne
partie des éléments de cette forme' du myth e.
( ~) Th. " TIEGAND et H. SCHRADER, Priene (1904) , p. 162 (avec figures). H.
DI ELS, A.n ana Ceyealia, dans les Miscellanea Salinas (19° 7). p. 3. Ch . PICARD,
L'epüode de Batl b6 etc. , dans la Revue de l'histoire des religions, 95 (1 92 7). p. 220.
(3) Livre IV, 50 7 55. Callimaque, dans l'I-1ymue à Déméter , v, 8 , fai t briève­
ment allusion à un breuvage qui mit fin au jeüne de la déesse . La nature de
cette boisson n'est pas ind iquée: cc ne peut être, en tou t cas, un cycéon, pu isque
Déméter ne révéla que plus tard la c ulture du blé (v. r9). Callimaque s 'est mi s
ains i dans un singulier embarras . H. HERTE R, Ovids P ersephone·Erziihlun geu
(Rh ein. MilS., 90, 1941, pp. 258 55 .). pense qu'il s'en est tiré, dans son poème
perd u, e n faisant absorber à la déesse du suc de pavot, comme l'a fait Ovide dans
les Faste.s, IV, 531.
A. Delalte. - L e Cycéon,

niens. Certains détails , d'ailleurs, paraissent bien plus n at urels


dans le milieu décrit par les sources du poète orphique. Le cycéon ,
par exemple, cet te boisson des temps primitifs, est naturellement
offerte par de pauvres gens : pour faire admettre cette singularité,
l'au teur de l' Hymne doit recourir à un ordre inexplicable donné
par D éméter et faire allusion , d'une façon bien obscure d'ailleurs,
au r ite des mystères. De m ême il a dû attribuer à une servante du
palais, savammen t créée pour la circonstance Cl. la « récréation»
offerte à la déesse, ta ndis que, dans le poèm e orphique, elle est
l'œuvre de l'hôt esse elle-même .
Le poème des A rgonautiques a ttribu é à Orphée (') mentionne,
dans une scène qui offre un certain caractère rel igieux , un cycéon
d 'une nature t rès particu lière : c 'est un mélange de gruau d 'orge,
de sang de taureau et d'eau de mer qui est offert dans une coupe
d 'or aux chefs de la grande aven ture, pour préparer leur cœur
aux redoutables épreuves qu 'ils vont affronter. Le vase dans le­
quel la mixture a été faite est consacré par une couronne de
ra meaux d 'olivier. Quand ils ont bu, les chefs dressen t un bûcher,
prient et prêtent serment avant de rnonteT dans le navire Argo.
Ce texte fourn it des points de comparaison pour juger de la valeur
sacramentelle que l'on a souvent attr ibuée au cycéon éleusinien.
Au même titre, il y a lieu de signaler aussi le cycéon qui éta it
offert, à Athènes, lors de la fête des Skira (3), à l'éphèbe vain queur
à la course des Oschophories. Sa r écompense consistait en une
coupe appelée quintuple (".€v ôa1TÀoa) en raison des cinq ingré­
dients qui la composaient: gruau d'orge, fromage, v in, miel et
huile. La présence de l'hu ile parmi ces m atières ne doit pas
étonner: elle entre aussi da ns la com position des offrandes primi­
tives du culte (' ). Il y a lieu d'observer si l'on veut, comme

(1) Je dis saValJ1.J/l/mt, pa rce que ce person nage doit vraisemblablement son
existellce a u genre littéraire de l'iambe.
(2) Vers 3:23. Cf. A. SOGLIANO, Di tm par/jcolare n et grandioso dipiHlo della
Villa sublfTbaua delta dei 111istcri presso Pompei, dans la rev ue Historia, 1930,
p. 202 . L'auteur considère cc cycéon comme propre aux mys tères orphiques.
Mais les textes o rphiques sont muets sur ce sujet. .
( 3) Cf. L DEUBNER, AJt ische Feste (I93 2), p . 142. A. SE YERYNS, Recherches
sur la Chrestomathie de Prodos, t. II (1938) , pp. 24955.
(4) Cf. SUIDAS, s. v . ifJatf:r:a; SCHOL IE à Aristoph. , P oix, 1°4 0; HÉSYCHlUS,
s. 'IV. cIi1-':Taop.a, d/Jorp{;op o~, vyluu.

- 7 22 ­
breuvage rituel des mystères d'Éleusis

l'érudi t ant ique Aristodème Cl. associer les Oschophories à la fête


des Skira, que cette dernière était dédiée essent ie llement à Démé­
ter ct Coré. Le ri te qu i consistait à jeter vivants des porcelets dans
les fissures d'un rocher et à reti rer leurs restes à q uelque temps de
là pour les consacrer et les m êler aux semailles , est justifié dans les
textes antiques (2) par une légende où intervient le porcher Eubou­
leus, bien connu par J'une des formes du mythe de Déméter à la
recherche de sa fille, par les honneurs qu'il recevait dans le culte
des mystères et par le rôle qui lui est a ttribu é dans les doctrines
orphiques. Il y a là une intéressante coïn cidence .
J'ai réservé pour la fin, en raison de son caractère incerta in
et des discussions auxquelles il a donné lieu, J'examen du texte
d'une com édie d 'Eupolis, les Dèmes ("l. dont un papyrus nous a
révélé récemment d 'im portants fragments. Malheureusement
celui qui nous intéresse, le fragmen t III , reste extrêmemen t
obscur, malgré de no mbreux essais de Teconstit u t ion et d /inter­
prétation. Voici le sujet de la pièce . D e grandes et nobles fig ures
de J'Athènes d'aut refois sont renvoyées sur la t erre pour faire
cesser la corruption et l'inj ustice dont souffre J' Athènes d'au­
jourd' hui. Une scène nous montre un sycophante comparaissant
en accusé devant J'un de ces grands ressuscités, le parangon de
la just ice, Arist ide. Il raconte une mésavent ure qui lui est arrivée
dans l'exercice de sa profession. Ayant rencontré à l'agora
un étranger, un Épidaurien, qui portait sur sa moust ache les
traces d' un cycéon q u'il avait bu , il a compris aussitôt, dit-il,
quel pa rti il pouvait tirer de cette particularité. En menaçant
J'étranger d 'une dénonciation, il lui a extorqué une grosse som me

( 1) ATHÉN ÉE , XI, p. 4951. D EUBKER, op. C ., pp. 4 0 S5. et I4-1 55. est opposé à
cette association. A . SEVERYNS, ibid ., qui a ana lysé a vec beau coup de précision
t ous les textes anciens, y est favorable.
(2) Dl::IJBNER, op. C., p. 40, n. Y
(3) De l'abonda nte littérat ure consacrée à ce sujet et q ui m'a été communiquée
p ar notre regretté collègue R. Goossens, je ne retiens que: J. D E~IIANCZUK, Sup­
plementum comicu/1/, J9 12; A. K OERTE, H ennes, 47 (1912). p . 3°7; ID., Be­
rich/e der sachs. Gesellschaf' der Wiss., 71 (1919), p . 1 ; Ch. ] EI'SEN . Hermes,
5 1 (Ig16), p. 346; A . OLI VIER I, AUi d. R. Accademia di arcJ;eo!ogia, iellere etc.,
N. S., XI ( 1929-3°). p. 100; \ V. SCm.I ID , Phil%gm, 93 (1938) , p. 4 13 ; ID. ,
Gesell. der flriech . L iteratuy, IV (19.f6), p . 130; PAGE, Greek literary Papyri ,
1942, p. 202; J. M . ED:\IO:-.'DS , Mnell! osyne, VIn (1 939) . p. 14; S . ElTRfiM,
Symbolae Osloenscs, 26 (1948) , p. l7 l ; ID. , MêlM.ges Picard, 1 (1949), p. 352.

L ETTRES. - 195 4- -723 ­


A. Delalle. - L e Cycéon,

d'argent. Mais après coup, l'étranger s'est ressa isi, il a porté


plainte et traîné le sycophante devant le tribunal d'Aristide (').
Le problème est de savoir de. quel crime la présence des traces
du cycéon était l'indice. On a supposé que ce cycéon était la
boisson rituelle des mystères que l'étranger aurait absorbée alors
qu'il n'était pas en état de pureté rituelle, ou encore on a imaginé
qu'il avait participé à une parodie des mystères. Pour rendre vrai­
semblables la dé marche du sycophante et la frayeur de l'étranger,
on a présumé encore que la pièce avait été représentée aux envi­
rons de 415, en un temps où la terreur régnait dans la ville à la
suite de la mutilation des h ermès et de la profanation des mystères
dont s'étaient rendus coupables Alcibiade et ses complices.
H ypothèses ingén ieuses certes, mais sur la valeur desquelles
l'état mutilé du texte ne permet guère de se prononcer. De toute
manière, il ne peut être question de supposer que l'Épidaurien
avait réellement absorbé le cycéon des mystères, comme les
critiques le croient généralement. En effet, quand le texte men'
tionne pour la première fois cette boisson , non seulement le mot
apparaît sans aucune spécification de ce genre, mais l'article
même n'est pas employé avec le substanti f. Il faudrait donc sup,
poser que le sycophante dévoilait le sens de sa manœ uvre dans les
derniers vers (très mutilés) de la fin du fragment III R et dans
la lacune qui suit (2) : il aurait cherché à faire passer un cycéon
ordinaire pour un cycéon sacré (la scène se passerait donc pendant
les jours de la célébration des mystères) . Selon Eitrem, qui admet
qu'il s'agit bien du cycéon des mystères, la faute rituelle du myste
aurait consisté à se promener en ville, au lieu de reste r au logis,
comme le devaient les aspirants au cours de la retraite imp9sé~
pendant les journées des EPida"ria. La question est loin d'être
élucidée; on notera toutefois qu'en expliquant sa conduite:
l'effronté sycophante se présente" à Aristide non seulement comme
un homme juste (8{KUWS' dvryp), mais aussi comme rituellement
·pur (dyvos, vers 62).

(1) Edmonds a beaucoup aidé an déc hiffrement du texte en vérifiant une


ilouveHe fois la lecture et en fo urnissan t d'excellentes photographies. lIdais
sa restitution et son interprétation me paraisse nt entachées d'une fantaisie
très prononcée. Je me rallie à la critique q u'en a faite SCHMID, Gesell. d. gr.Lit.
(2) D'après Jensen et Schmid, cette lacune pounait compter une dizaine
"de vers, mais d'après Edmonds, elle se bornerait peut-être à deux vers.
breuvage rit"el des mystères d'Éle"sis

De cette revue des textes, il résulte que le cycéon est un aliment


archaïque dont l'emploi a été en se raréfiant tant dans l'usage
courant que dans la diététique et la thérapeutique médical es ,
tandis que l'usage religieux s'en est maintenu en diverses céré­
monies et notamment dans les mystères d'Éleusis. Il est banal de
signaler J'esprit conservateur des religions et spécialement des
r ituels. Le caractère agraire de la partie la plus ancienne des céré­
monies et la haute antiquité de la petite confrérie qu i pratiquait le
culte de la Terre-Mère avec des rites entachés de magie, expli­
quent la nature du repas fraternel qui réunissait les adeptes. La
frugalité de ce mets contraste avec la complexité et le luxe du
cycéon homérique, qui convient à des héros, et aussi avec la riche
variété des cycéons de la médecine, destinés à la bourgeoisie.
L'élément nutritif est constitué uniquement par le gruau
d'orge, la plus estimable des nourritures, comme dit un anti­
quaire byzanti n (' ). La haute autiqu ité de la culture de cette cé­
r éale (') lui conférait, d:autre part, une auréole particulière. Chez les
adeptes des mystères, au prestige d'une antique tradition se
joignait la croyance généralement admise que la culture de J'orge
avait été révélée par Déméter. Chez Homère et H ésiode, J'orge est
J'épi piquant ("K.,-,)) de la déesse et le gruau est considéré comme
sacré (') ; J'aire où J'on bat le blé est consacrée à Déméter , qui
préside d 'ailleurs à ce t ravai l (').
Quel rôle joue le pouliot (f3~"Îxwv ou Y~"Îxwv, Mentha pulegi",,,, (5))
da ns le cycéon ? Il fait partie intégrante du mélange dans l'Hymne
homérique, dans la légende d'Héraclite, chez Aristophane et dans
des recettes médicales. Et tou t d'abord s'agit-il du pouliot frais

(1) ErvM . MAGY'UM, S. v. i1.Àrp~TO V.


(~) Cf. PLINE, H. N., 18, 72: Attliquissim un1 in cibis hordclwt, sicut Athe­
nilmsium rittt l11enan d-ro mtcloyç appaYet ... Polenlam (nom latin des i1.Àrp ~ Ta,
cf. 84 : videt'llrque tam puIs i g-'lOla Graeciae quant ·1taHae poleHta) quoque Graui
1LOn aliunde praelenmt. Quel est le ritns Ath e1"l1emittm mentionné par Ménandre
et auquel Pline fait allusion? S'il faut prendre 1'itm dans le sens religieux, cela
pou rrait se rapporter aux cérémonies et croyances d'Éle usis. Les commenta ­
teurs modernes pensent plutôt à l'institution des Jeux éleus iniens , dont les prix
consistaient en mesures d'orge. Cf. encore PLUTARQUE . Qu. graecae, 6.
(3) A 63I ; N 322 et <P 76 ; HÉSIODE, Op. , 466, 597, 8°5; Seul., 290.
(' ) E 499.
(~) G. BONN 1ER, Flore complète illustrée en couleurs de France, Suisse et Bel­
gique, VII, p. 104 , pl . 468.

-7 i 5 ­
A. DelaUe . - Le Cycéon,

ou , comme on l'a p arfois a ffirmé ('), de la poussièreformée par les


feuilles desséchées? L' H ymne qualifie la plante de tendre (TÉp7]V)
et cette épithète indique la fraîcheur des feuilles. Nous voyons
d 'ailleurs Héraclite agiter son cycéon à l'aide d 'un rameau de
pouliot.
Son emploi s'explique par ses qualités aromatiques : il est
remplacé dans d 'aut res recettes par le thym (Aristophane et Théo­
phraste) , la menthe, le basilic, la coriandre, le fenouil (textes médi­
caux). Mais cette plante a d'autres vertus aux yeux des Anciens (2).
Les b otanistes lui reconnaissent une foul e de qualités : elle est
employée en cas de soif ardente, d'évanouissement, de maux de
t ête, de toux, de coliques, de calculs rénaux, d 'indigestion, de
• fièvre t ierce, de maladies nerveuses, d'affections du foie, de
piqûres de bêtes venimeuses, d'irrégularité des règles, d'affections
de la matrice, d'avortement et c. Ce n'est pas sans raison que les
Latins lui donnaient le nom d'omnimorbia (3) : c'éta it une panacée.
Mais peut-on attribuer ces croyances à la haute ant iquité?
C'est une autre question. En tout cas, p armi les vertus du pouliot
prônées par les botanistes et les médecins an ti ques, on n e dé­
couvre rien qui puisse être mis spécialement en rapport avec les
mystères ou m ême avec la religion . Rien non plus, chose excep­
tionn elle dans la botanique ancienne, qui ait un relent de magie

(1) P . FOUCART. op. C ., p. 378. et bie n d'autres, p. ex. R. P ETTAzzo:-: I, I misteri


(1923), p. 49, croient qu'il s'agî t de l'herbe séchée e t concassée. J"Iais cf. dans
l'Iliade, N 1 80 (d'un frêne abattu par le bûcheron): ,rtp~vo.XOOVI.~V).).o.r.~Ta.aa!l;
dans l'Odyssée, 1 44 9 : &ÀÀà. -:roÀÙ 1TpWTO'!i V€P.~o.l TÉplV' iI.v8w ~O ;l]'!i, et p. 357 :
tPv).,\a. apl~aP. lVO I TiplVa. ÔpIJO'!i Jifm.:op.oto. A p OLLONIUS, Argo ,:., I, J 143.
(2) DIOSCOR ID E, Ma/c ria m edica , II I, 31 ; PLINE, H.l"l ,, 20, 152 (le § 156
t raite du pQu liot sauvage et lui attribue des vert us analogues : c'est d'ailleurs la
m ême plante) : PS. ~AP tJLÉE, H erbarim, 93 (éd . Howald et Sigeris t, p. 168).
Carmen grae,a~m de virtut. herb., 12. Voyez encore la table alphabétique de
l' édition des ce.u vres d'Hippocrate par Littré. Le q-CéO Il a u pou liot passe pou r
désaltérer (NJ~ANDR E , Mêtam. = AKTON. LIBERALIs, 24 et L.... CTANTIUS PLAC .,
V , 5). Le D e m orbis mul. hippocratique, III, 17 (éd . Littré, t. VlI, p. 16 1) donne
des recettes de potions désa ltérantes dans lesquelles figu re le pouli ot . On lira
avec intérêt l' exposé clu Dr H. LE CLERC, L es vieilles panacées : le pouliol, cl ans le
Bulletin des scie1lces pharmacologiques, t. 39 (193 2). pp. 1 8 4 ~190, et les expé~
riences qu'il a rapportées dans son P.récis de Ph ytothérapie , 3 e éd. , 1935, p. 148.
Cf. encore A . .M. VAN PROOIJEN, P harmacohist01'ische Studiifll, dans Pharm a ~
ce1,tisch Ti jdschrilt VOOI' Belgiell , 1950, p . I I. Je remercie Madame Ni h oul~ Gh enne
qu i a attiré mon att ention su r ces ouvrages.
(3) I SIDORE DE SÉV I LLE, Origines , 17, 9 , 63.

- 726 ­
bre1tvage ritnel des mystères d'Élwsis

ou d 'autre science occulte . Et le fait que les philologues ont


enrichi les t rad itions anciennes relatives à cette pla nte de vert us
hypothétiques ou imaginaires (1) pour expliquer à tout prix le
rôle du pouliot dans le cycéon des myst ères, m ontre bien qu'on a
cherché midi à q uatorze heures. Convenons que la présence de
cette plante aro matique s'explique simplement par une vieille
recette culinaire : l'assaisonnement est digne du m ets par sa
simplicité (2).

IV
Le d ernier obj et de nos recherches se rapporte à la valeur
mystique que les adeptes .des cérémonies d'Éleusis attribuaient,
croit-on, à l'absorption du cycéon. Les idées émises à ce propos
par les modernes doivent être sou mises à la critique, en raison
de leur variété d'abord et ensuite parce' qu'elles sont souvent
mal fondées.
En premier lieu, il s'agit de voir si la conception des mystères
de la période historique correspond à celle des fondateurs des
rites secrets de l'époque préhistorique. A s'en rappor ter à l'Hymne
homérique, l'opinion règne dans les milieux mystiques, clès le
VIIe siècle au m oin s, que l'absorption du cycéon se conforme à

(1) Vo ici des exemples. R"\OME I STER, Hymni homerici, p. 306 : far tasse autem
in hac herba Înesse credebatur vis quaedam genitalis vel a phrodisiaca; quod s i ita
sît, usus eius in sacr is Cere ris dubius esse non potest (!) . R. PETTAZZONI, l misteri
{I923}, p. 49 : boisso n exci tante et peut-être légèrement enivrante pour celui qui
était à jeûn. O. E. BRIE)I, Les sociétés se.crètes à mystères (trad. Guerre, 1941),
pp. 223 et 259, con fond le pouliot avec le pavot . Même erreur déjà dans 1\1. J. LA­
GRAXGE , La régénération et la filiatioll divine dans les mystères d'~leusis (Re vue
Biblique, 38 , 1929, p. 73): "le pavot suggère une sorte d'assoupissement ou même
d 'anesthésie de la crainte .. ; chez !\'IAGNIEN , Les Ht}'stères d'JJleusis (2 C éd.,
1938), p. 86, et dans le nouveau Dictio nnaire de BAILLY. Fr. LENOR).IA::-<T (D.-\­
REM BERG et SAGLiO, Diet. des antiquités, I, p. 1690) suppose que le vi n fut intro­
duit dans la composition du cycéoll quand le culte de D ionysos fu t associé
aux I!: leusi ni es. La supposition de LOlsy, Les mystères païens etc. , p. 67 : « 11
n 'est pas téméraire de penser que le rite d u Kykéon fut aussi, à l'o rigine, un
charme de fécondité D, me parait bizarre.
(2) Cru s i us, dans son édition (1914) des œu vres d'H tRoNDAs, met en rapportle
pouliot avec ltle usis, grâce à une hard ie rest itution : IX, 12 ~.,,{p.t yoD,,) â€8Àol'
;çot(O"H") yÀ~X(wv» Éyw ( T ~" r.pwv 'EA)wO",,,' ijHpa. l\'Iais les éd iteu rs Headlam­
Knox (1922) présenten t le texte sou~, la forme que voici: WS a€.8Àov ;çotO"HS
i'À ~xwva K€. IVTfY ; Tois- TO K€.lÎo-~ u' ij((pa.

-72 7­
A. De/alte. - Le Cycéon,

l'exemple donné par Déméter: la déesse rompt le jeûne qu'elle


s'est imposé en buvant une mixture dont elle a révélé elle-même
la composition. D 'une façon générale, nous l'avons signalé précé­
demment, l'attitude des mystes est conforme à celle que l' Hymne
attribue à Déméter. Cependant ce n'est là qu'une apparence
trompeuse: en réalité, c'est le mythe de la déesse qui a été éla­
boré sur .le modèle des rites pratiqués par les fidèles. A moins
d'admettre, · comme quelques mythologues d'aujourd'hui l'ont
proposé à propos de certains m ythes doublés de ri tes ('), que ces
phénomènes religieux ne peu vent être dissociés, qu'ils sont con­
temporains et qu'ils représentent tous deux des aspects différents
d 'une même conception. Mais dans le cas d'Éleusis, s'il faut,
comme les meilleurs esprits le croient, considérer les rites agraires
à peine différenciés de la magie comme l'élément primitif et
essentiel des mystères · (2), sur lequel seraient venus se greffer des
sentiments et des cérémonies de caractère eschatologique con­
cernant le sort réservé aux fidèles dans l'au-delà , la légende de
l'enlèvement de Coré et des pérégrinat ions de Déméter ainsi
que les représentations qui s'y rapportent pourraient être secon­
daires et plus tardives . Les liens qui rattachent le mythe aux rites
agraires sont tellement lâches qu'ils ne paraissent pas avoir un
caractère nécessaire.
Avant que cette légende ne prit corps, le rite du cycéon exis­
tait, indépendamment de toute affabulation, en même temps
que d 'autres cérémonies qui avaient pour objet de favoriser
l'agriculture. Le poète qui a indiqué la composition de la boisson
rituelle s'est inspiré des r éalités de son temps qu'il a présentées
comme une révélation de la divine patronne des mystères. C'est
à elle , d'ailleurs, d'une façon générale, qu'il rapporte l'institu­
tion de tous les rites (3). Au surplus, le poète a pris soin d' indi­
quer qu'il existe un rapport étroit entie le geste de D éméter et
le rite de l'absorption du cycéon. L a déesse, dit -il, (') accepta

( 1) Voyez l'édition des Hymnes homériques par . .' \LLE::-<-HALLIDAy-SIKES


p. 11653. ALY, article lvlythos dans la REAL-E:-.rcYCLOP.:\DIE. Je n'ai pu consulter
ROSE, 1110dern method in Classical llfythology, 1930.
(2) S. E rrREi\f, Ele1tsinia, les mystères et l'a gricultu re, dans les Symbolae Osloenses,
20 (1940). pp. 13 3 55. Cf. SPEISER, op. C ., pp. 365 55 .
(3 ) Hymne , vers 474 55.
(4) Id.,v.2Iosq. :'J-[ SÈl<vKHdrevgaaa OEil- 7T6p,,~ cVs ÈI(D.w€·J€ga}J-~~T) 0' OU'1) >
breuvage rituel des mystères d'Éle"s·is

la coupe offerte par Mêtanire ,Jal"" ;V<KEV, parce qu'elle avait


en vue une cérémonie religieuse .
Le texte de J'unique manuscrit est franchement obscur et
d'ailleurs incomplet en cet endroit. Il n'est pas déraisonnable
d'émettre l'hypothèse que cette lacune n'est pas accidentelle, mais
qu'elle est imputable au scrupule soit d'un copiste, soit d 'un lec­
teur du manuscrit archétype, qui aurait volontairement laissé tom­
ber un détail, par exemple nne allusion plus directe au cycéon des
mystes, parce qu'elle lui paraissait indiscrète ou même sacrilège (').
Depuis Puntoni (1896), les éditeurs modernes, notamment les
anglais (1936), admetten t une lacune accidentelle où était sim­
plement exprimée l'idée de boire. Les anciens éditeurs ont essayé
cle corriger le texte: la conj ecture qui leur a paru la p:us vrai­
semblable est celle cle Voss (1826), qui remplace lV<K<v par J1T<!fJ~.
L'expression da{TJ~ lr.tf3alv€Lv se dit de l'institution d'un culte
ou de rites religieux, par exemple clans l'Hymne à Hennès , v. 173 (')
et il faut comprendre que, par son geste, Déméter institua le
rite du cycéon (Baumeister) ou y participa pour toujours depuis
lors (Gemoll).
Ceux qui conserven t OOL1)'i ÉV€K€V attribuent à €V€K€V la
valeur d'une cause finale (en vue de), ce qui est légitime, en sorte
qu'ils peuvent traduire: pour observer le rite. Ils ajoutent, afin
d' éclairer le texte: tel qu'il était pratiqué par les mystes ('). Mais
comment Déméter pouvait-elle observer un rite qui n'existait
pas encore? A moins qu'on ne suppose, clans la lacune, cette
spéei fi cation qui aurait été supprimée par un copiste plus scru­

(1) La loi du secret est formulée aux vers 479 et 55.


(2) Le texte de la Théo go nie d 'H ÉSIODE, v. 396, padois invoqué comme paral­
lèle. n 'illustt-e que le sens d'bHfJa.lI'HI' (obt'enir, jouir de) : son complémen t es t
'TIp.~ s Ka, yf:pawv. non ool1J" et il s 'agit des honneurs don t les divinités jouissen t
auprès des dieux immortels et non auprès des humains.
(1) Éd. Allen et Si kes (1904) : « to observe the rite li; Allen-Halliday-Sikes
(I936) : ,( ta save the ri te » ; H. Evelyn-White (coll . Locb, 192 0) ft ta o bserve the
sacrament.. Cf. :M. H. VAN DER VALK, Revue des études grecques, 64. 1951,
p. 42 1 : or à cause du ri te solennel (sacré) n. Il me paraît impossible de donner à
oO{7JS ÉV€KEV, comme certains le suggèrent. le sens de o.,po(nwa"w!> ;v«:I«(1, dicis
causa, par acqui t de conscience. pour la forme, sens qui apparaît d 'abord chez
les poè tes comiqu es, Cf. HÉSYClIll.'S, s. v. oaias ;1'(Ka. Le sujet est trop grave
pour qu'on attribue au rite le caractère d'une simple formali té . '

--- j 2 9', ­
A . Delatte. - L e eycéo",

puleux que l'auteur sur le chapitre du secret. L 'éditeur français


J. Humbert (1936), appuyé par H. J eanmaire ('), va plus loin
en interprétant ainsi l'expression : pour fonder te rite. On l'ap­
prouvera si, encore une fois, on ne veut pas recou rir à l' hypothèse
que j'ai proposée plus haut.
C'est à la lumière d'un parallèle fourni par Euripide dans
l'I phigénie en Tmtride, v. 1461, qu'on peut le mieux comprendre
l'expression en cause. Athéna, intervenant à la fin du .drame,
prescrit à Oreste d'établir à Halai, en rentrant au pays, un rite
nouveau en l'honneur d'Artémis, comme une rançon du sacri­
fice auquel il a échappé. Sur l'autel de la déesse, on fera jaillir
un peu de sang du cou d'un homme oatas €Kan OH'- ()' cmws
'''pàs lxn « en vue de l'établissement d 'un rite et pour que la
déesse obtienne les honneurs » (don t elle a été privée) . Le rite,
qui existe de temps immémoria l à H alai et qui est l'ébauche
d 'un sacrifice humain , est rep résenté comme un sacrifice de
substitution et de réparation et comme un devoir incombant
à Oreste et à ses descendants. Ce qu 'il y a de commun da ns les
deux cas, dans l'Hy",ne et dans la t ragédie, c'est le dessein du
poète d 'expliquer un ri te pratiquéà l'époque historique par un e ini­
t iative divine et comme l'accOlnplissemen t d'un devoir religieux.
La différence réside en ce que, chez Euripide, le sentiment du
devoir est attribué aux fidèles, t andi s que, dans l'Hymne, il est
rapporté à la déesse elle-même qui en a le bénéüce. Cette différence
est assez gênante, mais no us ne devons pas perdre de vue que
nous sommes dans la sphère assez tro uble des sentiments religieux
et qu'au surplus le texte est déparé par une lacune.
D'autre part, l'attribution à la déesse du r ite de la consom­
mation du cycéon est accompagn ée d'un incident qui en
complique la signification. Avant de donn er la formule de
la boisson sacrée, Déméter refuse la coupe de v in que lui présente
Métanire : boire du v in, dit-elle, n e serait pas conforme à la Règle

(1) Le substanti f Hosia ... da ns le vocab ulaire religieux , dans la Rel.!Uc des études
grecques, 58 (1945), p. 66 . L'auteur ex plique le geste de la déesse comme un rite
de désacralisation: e lle inaugu rerait le rite de la. consomJ11ation du cycéon (par
les mystes) par la levée d' un interdit. L'exp ression de l'Hymne signifierait alors:
pour en donner licence, pour inaugurer le rite. Voyez les objections de :M. H. V AN
DER V ALK, J. C., qui me parai ssent pertinentes .
bre·uvage ritnet des 'mystères d'Éleu.sis

(où 8<J-l.tTov) c'est-à-dire à la Coutume, qui, à cette lointaine


époque, participe à l'idée de droit divin , si elle n'en est pas encore
un élément essentiel ('). A quelle coutume ce texte fait-il allu­
sion ? On a cherché à expliquer ce passage obscur en invoquant
le fait que l'usage des libations de vin était peu répandu dans le
culte de Déméter; cependant, il n'en est pas bann i (').
Une autre explication, apparemment plus p ertinente, est four­
nie par une variation du mythe apportée par la scholie des
t extes de Nicandre et d'Euripide dont j'ai parlé ci-dessus :
pour refuser la coupe de vin, Déméter fait observer qu'elle est
en deuil. On notera cependant que les coutumes grecques du
deuil ne comportent pas spécialement l'abstinence de vin. Il est
croyable que ce motif a été ajouté après cou p, au cours d'un
des remaniements de la traclition (3). On p eut raisonnablemen t
se demander, vu la haute antiquité des cérémonies cI 'É leusis ,
si cette interdiction n'a pas son origine clans u n usage primitif
qui ignorait les libations cie vin. D'après la clescription que fa isa it
Théophraste cie la religion cles anciens temps ('), les premiers
sacrifices chez la plupart des peuples, consistaient en V7}g,d. Àw;
offrandes où il n'y avait pas de vin, sans doute p arce qu'il n'exis­
t ait pas encore. Dans ce cas, la coutume en question désignerait
l'usage religieux en général. Mais il est plus vraisemblable, selon
nous, que la « Règle» est celle de la communauté formée par les
adeptes des mystères , l 'dpy€tJJv"oILO> auquel fait allusion Her­
mesianax au Ill e siècle (5). Le soin que prenclle poète de mettre
sous le patronage cie la déesse la recette du cycéon et son insis­
tance à écarter l'usage du vin sont peut-être l'indice que cles
doutes sJ étaient élevés au sein de la comlnunauté sur la n1anière

(1) Cf. R. HIRZEL, Themis , Ditre und Verwandtes (1907), pp. 39~48.
(2) FARNELL, Cults 0/ the gruk States. III, p. 102. Cf. la note, pp. 207 sq. ,
de l'éd ition de Allell-Hall iday-Sikes; P. R ARBESMt\:-<N, Das Fas/en bei den
Griechen ttlld Romern , dans Relig'tonsgesch. Vers. und VorMb., ZI, J {1929} ;
K. Km Cl-lER, D ie sakrale Bedeutllng des Weil1es im Altatum, dans la même col­
l ection, IX, 2, 1910 ; VVACH TER. Reillheitsvorschriftcn, ibid., IX, IgIO , p. lOg
(vin).
(3) Ainsi, dans la même scholie, le nom du roi Céléos a fa it place à celu i
d'Hippothoon.
(4) PORPHYRE,De abstinentia, II, 20 . Cf. EUSTATHE, Ad Iliad., A 449. p. 138,6 :
OV;f: yap 1TOTt: d;P lJTtlt (0: olvar).
($) Dans ATHÉNÉE, 13, p. 597 = iL 2. 19. II, p. 216 DiehL

-7]:
A. Detatte. - L e Cycéon,

de mettre fin au jeûne rit uel et sur la composition du repas ini­


tiatoire. Il est assez naturel que des hé3itations ou même des
dissentiments soient nés à propos de la r éalisation de certains
rites. Dans un domaine un peu différent, nous avons des témoi­
gnages des rivalités et des conflits d 'attribution qui séparaien t
les familles sacerdotales d'Éleusis au IVe siècle encore (' ) et le
poète de l'Hymne (') prend soin d 'avertir ses auditeurs et lecteurs
qu 'il n 'est ·pas permis de transgresser (7rap. {;i,...,v) les rites tra­
ditionnels.
Dès le VIIe siècle, les mystes ont don c pu croire que la compo­
sition et la consommation du cycéon étaient fondées sur les
instructions de la déesse : il s absorba ient la Mixture à l'imitat ion
de leur divine patronne. Ma is une t elle d isposition d'esprit et
une telle justification ne permettent pas d 'expliquer l'établisse­
ment du rite dans la communauté p rimitive : car nous estimons
qu'il est plus ancien que le mythe étiologique. Il y a là un pro­
blème qu 'il fau t examiner de plus près .
Pour expliquer la consommation du eyeéon, les érudits mo­
dernes ont proposé bien des hypothèses. Les uns ne sont pas
remontés plus haut que l'époque his torique ou tout au moins ils
ont reporté les détails de la légende de Déméter, dont nouS avons
fait état ci-dessus, jusqu 'à la fondation de la société des mystères.
Les mystes, en suivant l'exemple d e la déesse et en partageant
sa nourriture, considérée dès lors comme sacrée , devenaient
pleinement ses fidèles et croyaient ainsi avoir des t it res à sa
protection. Telle est l'opinion de Famell, Foucart, Brillant,
Otto ('). D'autres font jouer u n certain rôle au pouliot. Ils attri­
buent à cette plante, sans raison, les uns une excitation nerveuse
qui expli querait l'enthousiasme des mystes, les autres un asso u­
pissement qu i les aurait rendus réceptifs à souhait (').
La plupart sont d'avis qu e l'élément essentiel du cycéon est le

(1) P. FOUCART, Les mystè res d' ~lettS'is , pp. 218 sq.
(Z) Vers 4 77.
(3) FOU CA R'C. Les tnystères d'Eleusis, pp . 377 55. FA RNE LL, CuIt s of th~
greek States, I II (1907), pp. 185 S5. et 195 ss. ; W. F. OTTO, Der Sinn der elws.
l11ysterien, dans EnJ1los-j ahrbuch 1939 .(r940). p . 108; !o.J. BRt LLANT, L es mystères
d '~/ellsis , 1920, pp. 89 S5.
( ~ ) Voyez ci -dessus, â. la fin du ch. Ill.

- 73 2 ­
brenvage rituel des mystères d'Éle'lIsis

Llryl'-"ÎTpto, KUp"'O" la " Céréale ». Selon J evons ('), le blé et J'orge


auraient été, à l'orig ine, les totems du clan éleusinien. L'" esprit »
des moissons résid ait non seulement dans les gerbes, mais encore
dans la farine et les mets qu 'on en faisait. En absorbant le cycéon,
on cherchait à s'assimiler les vertus de cet "esprit ». Plus tard,
quand la conception anthropomorphique de la divinité eut él i­
miné les croyances totémiques, ce furent les qualités des deux
d éesses que J'on crut s'assimiler par la consommation du cycéon.
J evons considère donc ce rite non seulement comme un sacre­
Inent, mais comme un repas de communion. De même que les
adorateurs des totems animaux consomment, lors de leur sacri­
fiee annuel, la chair de leur dieu et participent ainsi à la vie
divine, ainsi les fidèles de la Déesse-Blé par tageaient le corps de
leur divinité sous la forme de gâteau, pâte ou bouillie. La par­
ticipation à ce r epas de tous les adeptes renouvelait l'alliance
conclue avec la déesse et unissait les compagnons en une société
mystique. Ainsi fortifiés par ce repas sacramentel, les fidèles
étaient préparés au second acte d 'adoration, celui de l'époptie,
où leur était révélée, sous la forme d'un épi, la Mère-Blé elle­
même.
L'idée d'une C0111 ffiUnion avec la divinité réalisée par la con­
sommation du cycéon a été développée par Loisy ('). " La com­
munion des initiés à Déméte r était signifiée et opérée par un
double symbole, celui de la participation au Kykéon, bre uvage
mystique, sacré, divin , nourriture d 'immortels, et par le contact
d'obj et s qui, simple figure du ma riage sacré (3), ne laissaient pas
d'attester et d 'effectuer l'union spirituelle de l'initié à la déesse
du mystère . La communion alimentaire,et la com munion sexuelle

(1) Fr. B. ] EVO:-'S, Introd1tcl io}.~ 10 the history 0/ religion (I896). pp. 365 55. ;
G OB LI;:T O'ALVlELLA, Elellsinia (1 903) , pp . I4 et 29 SS . Selon E .l\ I"'A SS, Seg11,en,
W eillen , Taujen, dans l' Archiv jiir Relicio1mmss. , 21 (1922). p. 26 1, le cycéon
était consacré, comme le pain et le vin dans la litu rgie ch rétie nne. Cf. encore
H . DIELS, Himmels- mut H 611enlahrtcn von H omer bis DMlte '""" iVeue jahrb. j. d.
Hla ss . Altcrtum, 1922, l, p. 244 ; FRAZ ER, Golden Bough, t. VH (Spirits of the
Corn and o f the \Vild, I, 191 2), pp . 37 ss. et I6r. Vo ir à ce sujet les observa tions
et critiques de FAR~ELL, op . C., p . 195 , FOUCART, op. c., pp. 19455., et ALLEt\­
H ALLlD .... V -S IK ES, éd. des H ymnes homé riques, p . 154.
(1) Les 'mystères pai"ens et le mystère chrét'ien, 19 14 , p. 69.
(3) Allusion au troisième rite mentionné dans le avv81/}'a. de Clément d'Alexan­
drie, interprété à la façon de Di etcrich.

- 7.
A. De/atte., - Le Cycéon,
---------------- ---------- - -
tendent à se résoudre en communion morale aux sent iments
d e la déesse et en gage de sa bienveillance . Les rites ne devien­
nent pas p our cela de purs signes; ils sont les moyens sacramen-'
t els de l'union mystique à Déméter. » Même conception chez
Wehrli. A l' époque historique, dit-il , l'absorption du cycéon
est une communion et en même temps un acte inspiré par le
souvenir de l'épisode de la v ie de Déméter, comme l'omophagie
dionysiaque. Wehrli (') pense m ême pouvoir expliquer par là la
transformation des rites agraires primitifs en mystères escha­
tologiques. Avec le temps, les mystes, en b uvant le cycéon,
a uraient cru qu'ils absorbaient non seulement les forces divines
du grain, mais encore des vertus divines d'une nature plus géné­
r ale . P eut-être même, aj oute-t-il, ont-ils pu croire que l'union à la
div inité, assurée par le sacrem ent du cycéon, avait également de
la valeur pour l'autre vie. Lorsqu'ils eurel'.t perdu d e vue le but
originel assigné au rite et qu'ils se préoccupèrent d avantage de
leur destinée fu ture, ils ont pu estimer que la consommat ion
du cycéon garantissait surtout l'autre vie.
Si un sacrement est (( un acte religieux institué de Dieu pour
la sanctification des âmes» (Littré) , on ne peut refuser au rite
du cycéon le caractère d 'un sacremen t (2). Il est évident qu'aux
yeux d es anciens, les mystè res d 'Éleusis t out entiers, à partir de
l'époque o lt ils croyaien t que Déméter les avait institués , étaien t
devenus des cérémonies sacramentelles, puisque les deux con­
ditions s'y trouvaient réalisées . Mais la concep tion d e J evons
et d e ceux qui l'on t accueillie va beaucoup plus loin, p uisqu'ils
veulent donner à la consommation de cette boisson la valeur
d'une communion, c'est-à-dire d 'u ne p articipation à la substance
m ême de la divini té. Rien, ni dans les croyances ni dans la forme
d es cérémonies, ne permet d 'affirmer - tout va au contraire à
l'encontre de cette opinion - que la foi .des myst ères d'Éleusis
a llait jusque-là: ce n 'ét ait qu'un rite prélim ina ire (') .

(1 ) D ie 1I1ysterien von Eleusis, dans l'Arch . 1111' Religionswiss., 31 (X914) ,


pp, 89-98 ,
(l!) Sur la valeur de cette e:":pression, c f. M.- J. LAGR.... NGE, R evue biblique, 38
(1929), p. "2 f4.
(:') K L'absorption matériell e du kyke 6n et des gâteaux, dit judicieusement
Eitrem, ne peut pas établir un repas sacré. n i un pa rtage de la nourritu re de la
br.,<vage rituel des mystères d'Élettsis

Dieterich a songé le premier (' ) à rapprocher de façon métho­


dique la consommation du cycéon des repas sacramentels des
autres mystères ant iques (Mithra, Cybèle, Cabires, Dionysos­
Zagreus etc .) (2). Il a expli qué leur existence par une conception
primitive généralement répandue : «La manducation est une forme
t rès ancienne de l'union avec le Spirit uel pratiquée en v ue d'obtenir
des propriétés surnaturelles." Dans les mystères de Mithra, d'après
un témoignage de J ustin, il y avait un repas de pain et de vin,
matières consacrées par la récitation de certaines formules (brt­
Àoyo" « phrases explicatives ,,) . Cumont parle d 'une liqueur qu 'on y
ajoutait, qui devait donner a u n éophyte la force et lui conférer
J'immortalité : mais ce n 'est là qu'une supposition.
La formule de « profession" des mystères de Cybèle ne mention­
ne pas la nature des m ets absorbés au cours des cérémonies, mais
indique seulement qu 'ils étaient placés, apparemment en vue de
leur consécration, dans un tambourin et une cymbale. On notera
que, dans cette formu le, le repas sacramentel apparaît COmme un
élément qui assure la qua lité de myste : c'est ce qui ressort de la
conclusion : « J e suis devenu myste d 'Attis " (') . .on pourrait
songer à étendre cette observation au cas qui nous occupe, mais
on prendra garde qu' une affirmation du même genre n'existe
p as dans la formu le éleusinienne, ce qui restreint, semble-t-il,
la portée du rite.
D'une façon générale , j'estime qu 'on a beaucoup exagéré le
rôle et la valeur myst ique de l'absorpt ion du cycéon, tout au moins
à l'époque archaïq ue et surtout préhistorique ('). J'attribuerais

déesse une commu nion eucharistique. Aussi le kyl,cÔn n'est pas un breuvage
d'immortali té comme le hao m a pe r se~ . (Symbolae Osloe Hses , 20, 194 0, p. qr ;
cf. 149). .
( l ) Eine 1\fithrasliturgie, 3 e éd . (J923). pp . r02 55.
(2) En fait la comparaison porte surtout s ur les mystères de rvl ithra et ceux
de Cy bèle. Les Mystères des Cabîres (D IETERICH, p. 104) doivent être écartés.
parce q ue le texte épigraphique sur lequel repose ce détail du culte des Cab ires
est incomplet et la restitution de GOlliPERZ (Aych.-epigr, Mitteillm gen, VII ,
1882, p. 8) incertaine. V oyez PROTT et Z IEHE::-l, Leges Graecoru'm sacrae, nO 84.
p. 247; MICHEL , Recueil d'ùtscy. grecques , n O 7 04.
ri) Le sens de ceUe expression est rendu en latin par les mots reli gionis secreta'
perdidici. par FIR)ll CUS IvIATERNus. De erTOTe p rof. rel ., 18. Cet élément manque
dans la formule rapportée par CLÉMENT, Profr., 1r, 15.
(4) A titre de. comparaison , on p eut penser aux gâteaux de toute espèce dont
A. Delatte. - L e Cycéon,

une importance beaucoup plus grande au rite qui est mentionné


en premier lieu dans la formule de Clément d'Alexandrie et au­
quel elle fait suite naturellement, à savoir le jetme. Le jeûne est
un élément essentiel de la préparation à la récept ion des mystères,
au moins aussi important que les sacrifices, libat ions, ablutions
ventilations et rites de contact. L'étude exhaustive qu'Arbes­
mann (') a faite de cette observance chez les Anciens a mis en va­
leur son influence cathartique et apotropaïque. Au prêtre, au ma­
gicien , au néophyte et en général à tous ceux qui vont entrer en
rapports avec le monde surnat urel en un moment solennel, sont
nécessaires une pureté corporelle et une revigoration spirituelle
que favorise le jeûne ou tout au moins J'abstin ence. Pour mettre
fin à ce jeûne, les membres de la p etite communauté agricole dont
les rites rudimentaires se pratiquaient à l'abri des regards
indiscrets ne cherchèrent pas quelque met s extraordinaire.
Ils prirent le plus simple, le plus naturel qui fût à leur p ortée en
ces t emps primitifs. Avec le temps, la force de la t radition
aidant ainsi que J'atmosphère mystérieuse qui enveloppait
les rites agraires et sociaux agissant secrètement, le cycéon a
pris un caractère sacré et sa consommation la valeur d'un rite
religieux: ma is ce fut là le résultat d 'une longue évolution qui fit
aussi prendre le pas à la valeur eschatologique des révélations sur
le rôle des rites magiques destinés à favoriser l' agriculture (').
Deubner, Kem et Otto (3) ont encore récemment insist é sur
un point qu'on a trop souvent p erdu de vue ou d ont on a mini­
misé la valeur. Ce n'est pas l'accomplissement de t el ou t el rite
ou la récitation de telle ou t elle formule qui justifie la confiance
des mystes en un sort heureux après la mort, mais bien le co';'-t"èt
avec les divinités infernales et le spectacle de certains épisodes
de leur légende. " Heureux qui a vu ... '" répètent ceux qui ont

la confection et la c.onsommation accompagnent la célébration des fêtes religieuses


chrétiennes. Cf. l\L RaFLER, R ückblick au/ die volksmedizinische Lileratu y der
let::tm Jahrm, dans l'Archtv liir R eligioHswissenscl/.alt, X II (19°9). pp. 342 55.
(1) D as Fasten bei den Griechen und R 6mern , dans R eligionsgesch. , Vers .1t11d
Vorarb. , 2 1, l , 1929. pp. 19 55 . et 77 55.
(2) Cf. S. 'EITREM, Symbolae Osloenses. 20 (1940), p. ] 34 et sq.
(3) L. DEUBNE R, Attische Feste (1 932), p. 80 sq.; O. l<ERN, D ie iilteste Ur­
kliltdeder ~~'.f·ysteritm von Elel/sis, dans les Forscklm gclI m/d Fortschrille, 10
(193 4) . p. 189; I D., article M ys/erien dans la REA L-ENCYCLOPXOIE, XVI, p. 124 1.
breuvage rituel des mystères d'ÉIMtSis

été initiés et particulièrement les « époptes», c'est-à-dire les spec­


tateurs. Otto pense que c'est surtout l'apparition de Coré elle­
même triomphant des Enfers qui était de nature à frapper les
esprits des mystes et à leur inspirer la foi inébranlable dont les
auteurs anciens, à partir du poète de l'Hymne, parlent avec une
sorte d'ent housiasme.
Cette conception est confirmée par les termes employés par
Platon dans la transposition qu'il a faite des conceptions et du
langage des mystères dans le domaine de la philosophie. Dans le
Banquet, comme dans le Phèdre ('), la contemplation des Idées,
fondement de la philosophie, est comparée, on le sait, à la vue
des spectacles sacrés qui forment l'élément essentiel des initia­
tions. C'est ce qu'on peut encore déduire de la parodie des mys­
tères qu'Aristophane a osé faire dans une scène des Nuées (2).
Dieterich a relevé jadis les allusions que fait le poète à des rites,
à des détails de cérémonies et à des accessoires des mystères,
notamment de ceux d'Éleusis. Mais il n'a pas remarqué que la
comparaison porte aussi sur le but essentiel de cette scène, Ce
que Socrate, hiérophante de ces nouvelles initiations, propose à
Strepsiade, c'est de lui ménager une entrevue (rvrr€vÉuea, €l,
'\6yov,) avec les divinités nouvelles, les Nuées, en vue d'obtenir
des révélations d'ordre scientifique, Les déesses, rendues bien­
veillantes par l'observance de certains rites, un sacrifice, des
prières, des hymnes et l'ostension d'obj ets sacrés, apparaissent
à Strepsiade et répondent à ses questions. Le chœur des vers
300 et ss. est particulièrement riche en allusions transparentes
aux mystères d'Éleusis (appYjTu D~pd, p..v(rTo80KOS 8op..os, .'T€il.ETa~
ay'u(, 7Tp6ao8o( f1.UK<Îpwv i€PWTUTO'). L'élément capital de ],ini~
tiation, ici aussi, est l'apparit ion des divinités et le contact direct
du néophyte avec elles. .

Des renseignements plus preCIS ne peuvent être tirés des


textes antiques relatifs aux mystères d 'Éleusis. Mais il est pos­

_ (1) Banquet, 210 a-d, 211 c, ZI2 a, etc.; Phèdre, 248 b, 249 c, 250 b-c, 251 a.
Ajoutez pour l'impression d'effroi (propre aux mystères) : 251 a à 254 e.
(2) Vers 250 55. L'étude d'A. D IETERICH , Ueber eine Scene der Aristophan.
TVolken, a paru dans le RI/cin. Mus., 48 (1893), pp. 275 S5. Cf. Jane HARRISOK.
Proleg. to the study 01 greek Religion, p. 514­
A. Delatte. - Le Cycéon,

sible peut-être, en utilisant un biais, de compléter notre infor­


mation et de contrôler li valeur des hypothèses que nous avons
passées en revue. Dans l'histoire littéraire, on peut recourir,
pour compléter et expliquer une œ uvre lacuneuse ou obscure,
à des œuvres plus récentes qui ont utilisé ou imité la première.
L'occasion se présente, semble-t-il, cl'employer une méthode
analogue dans le cas qui nous occupe: elle consiste à rechercher,
dans les documents de la m agie gréco-égyptienne des premiers
siècles de notre ère, je veux dire dans les papyrus magiques,
des suppléments d 'information concernant l'emploi et la valeur
mystique de certains repas qui précèdent ou accompagnent
les opérations magiques.
Dieterich a observé d epuis longtemps que les rites qui y sont
décrits proviennent, pour la plupart, du culte grec chthonien,
c'est-à-dire, ajoute-t-il, du cu lte des mystères (i). A propos d 'un
cas particulier, il constate que les prescriptions liturgiques d 'un
grand culte se dégradent parfois au poi nt d'aboutir à un usage
superstitieux. Les rit uels magiques sont toujours, dit-il, des
restes, quelque défigurés qu 'ils soient, de liturgies religieuses
réeUes (') .
Eitrem a ussi a souligné (3) l'existence de rapports entre les
recettes des papyrus magiques et le rituel des mystères. Il les
attribue pour une part aux influences qu'ont pu exercer les
mystères grecs et spécialement les E leusinia d 'Alexandrie. Il
signale aussi le rôle qu'ont pu jouer dans les syncrétismes de ce
genre, des personnalités telles que Nestorios, qui, au IVe siècle,
était à la fois hiérophante des mystères d'Éleusis et adepte des
pratiques magiques dites « théurgiques » en honneur chez les
néo-platoniciens.

(1) Abmxos (189 1) , p. 157. Il. 2 ; cf. llElTZEN~TEI:-;, H ellcnistische Wtmdcrer­


ziihlmzgen, p. 68 . A. ABT, Die Apologie des A puleius, dans les R eligioHsgesch.
Vers. m ld Vorarb., IV, 2, 190 8, p . 36.
p) i bid. , p. 172.
(l) Par exemple dans La tliél(rgie chez les lléop latoniciens et dans les papyms
-m agiques = Symbofae Os/oenses, XXII (r942), pp. 4955.; Orakel und Myslerit11
am Ausgang der Antike = Albae Vig-iliae , V, 1947 . pp. 20 55. Cf. e ncore Sym­
halae Os/oenses, VIH , 1929, p. 49. DE Jo:-.rG, Das antike i11yste riellwesen, :l e éd.,
19[ 9. ch. VI (pp. 163-:237). q ui a relevé les mêmes concordances, les attribue à
un fonds commun, et il conclut: les mystères, au fon d, ne sont rien d'autre
que de la magie officielle.
brenvage rilu,el des mystères d'Élensis

Tout d'abord le b ut d'un bon nomb re de recettes magiques est de


mettre en rap ports l'homme et la divini té, de m énager au client du
magicien une ren contre (avVTvx{aL une conversation (o}uÀta), une
entrevue (avaTau,,). parfois même une union (avl"<Pva,,) avec un
dieu , Au cours de cet te entrevue,l'homme peut contempler person­
nellement e t directement la divinité (auTOiTTEil!, aVTo!j;{.a, aVTO'iTloS',
, 't ' . ÉI.e USIS,
aV'TOIT'nKO S' e meme, COlnm e a
. E1TOioT'l}':;,
• €7T07TTOS', E1T01TT€V€W
1 >1 • ')

et en obtenir soit des révélations, soit une aide surnaturelle (').


D 'aut re part, les prescriptions du rituel m agique roïncident
souvent avec celles des m ystères (2), Les opérations son t placées
de préférence la nui t; elles ont lieu souvent à la pleine lune,
d ans un endroit réservé. Le Inag icien est t enu d'observer certaines
règles qui assure n t sa pureté rituelle, notamment par le jeûne
ou l'abstinence de certains mets , Il porte parfois u ne couronne
ou des rmneaux de myrte, il se munit d 'une torc he ou d'une
lampe, il doit offri r cer t a ins sacrifices bien détermin és etc,
CeItaines opérations sont présentées comme des ri tes d'ini­
tiation ou elles comportent des élém ent s qui ont le caractère
de révélations , Le SECret le plus absolu est parfois exigé du client,
consi déré comme un néophyte ('),

(1) Cf. EITRE:i\I, opp. cc. En attendant la publication de l' Index alphabétique
de l.'édi tio n des Papyri graecae m agicae (PG111) de PREISE N D A::-;Z, o n p~~ut r e­
conrir à Th. H OPF'I\"ER, Griechisch-iigrptischer OfJenbanmgszattber (= St'/ldùm,
ZW' PaZaeogr, und Papyt'Hskmule, XXI et XXU], 192 1 ct 1924) '

(2) M. ]{ ROPP , I<optische Zaubertexte. I n (1930) , pp, 148 S5. (§§ 257 à 280) .
(3) Voici quelques détails .
PG!1l , l , lignes 42-195: l'o pération p ermettra d'obt enir un démon com­
pagnon (m-lp(()pos) qui procu rera au (( bienheure ux myste de la m agie sacrée l)

(1. 127) r évélations et assistance. Le nouvel initié reçoit l'ordre de t en ir caché


ce q u'on l u i a révélé (1. 131).
Dans P C11r, IV, cinq r eceltes ont le caractère d 'in itiations. 1. Ligne 20: H­
À~T~; l. 48: €(JH T('''Àwf.livos. •
2. L. 172 :« Entrevue ,) à réaliser avec l'aide d'un mystagogue e t par le moyen
d'une léca nomancic . L'ini tié doi t prendre J'aspect et l'a ttitu de d'un cadavre
comme dans certains m ystères . Cette opération p rocu re u ne « force sacrée Il
(1. 160) et une ~(nature égale à celle des d ie ux l'.
3. L. 435 : recette permettant a u magicien de m o nter a u ciel, de rencontrer
les d ieux et d 'en obte nir d es r évélations. L e voca bu laire indique la nat ure de
l 'opération: 1. 504 €7;'01l"7(VUW; -177. 744 P.VU"Tl]S; 734 uUf.lJ..l.Va"Tr/,-i; 4 76, 723, 746,
794 f.l ua '~p!ol"
4. L. 2254: Le magicien se dit ê tre le f.luoraywyos ,W II Ka.ÀWV o ou (l.'f"À~II'JS")
wpayfté...,wv.
5. A la 1. 2785 commence une prière à la L une, un e longue lita nie où sont

LETTRES. - 1954. - 739 - 49


A. Delalte. - Le Cycéon ,

Or, dans certain es recettes, il est question d 'un repas sacramen­


tel qu i confère à 1'« initié J) et à la cérémonie certa ines vertus
spéciales. Le cas le plus intéressant se trouve dans PGNl, X I II,
dont l'opération magique est considérée d 'un bout à l'autre com­
me une initiation. Dans la version A (1. 33). il est prescrit à qui
veut être initié à une certaine doctrine astrologique de confec­
tionner et de manger trois gâteaux de fleur de farine en forme
d'an imaux ·(taureau, bouc, bélier) et c'est après avoir consommé
ces gâteaux que l'adepte est dit T<7€ÀWI'-Évos (1. 37). Dans les deux
versions, quand la cérémonie t ouche à sa fin, juste avant l'appa­
rition du Grand Dieu, le myste avale une mixture composée de
lait d ' une vache noire et de vin (A 128, B 360, 44I et 685). A
propos de cette boisson, l'auteur répète trois fois (I30, 362, 687) :
« C'est là (ou : cela signi fie) le commencement et la fin )J. Mots
ambigus qui ne sont accomp agnés d'aucune explication (1).

confondues Séléné, Perséphone, Hécate ct d'autres déesses; d'après la 1. 2888,


elle accompagnait une n>.f:T~ . mais celle-ci paraît perdue.
PGJlII, Vf l . 1. L. 54 0 (lychnomancie). L 'cnfa n t visionnaire est appelé ir.o1:'7'l]s:
il doit entrer en rapports avec les dieux pour solliciter des révélations.
2. L. ï4 6 : demande d'u n songe divinatoire. Le magicien sc vante d'être
'Tf.8PO L'tCJj.t€vos (i nitié) a u x mystères des dieux invoqués.
PGN!', XIII contient deux versions d'une m ême opération magique: A (1 -2 33)
et B (343-734). Ce rite est présen té par l'auteur comme une initiation ( T€>.("r~)
dans la version A a ux lignes 27,3 ',37,56,89,99, n8, 230; dans la version B .
les mêmes termes apparaissent aux lignes 379, 428, 655, 685. 889 et 896. Le bu t
est de faire apparaître le Grand Dieu et d 'entrer en communication avec lui
pour obten ir une consultation. Les disposit ions prises pour favoriser la r encontre
sont longues e t fort détaillées: a) préparatifs pour assurer la pureté ri t uelle de
l'opérateur et du lieu; b) initiation à une doctr ine astrologique avec consom­
mation de gâteau x zoomorphes ; c) in scription sur une stèle du nom mystique
de D ieu et d 'une invocation; d) confection d'une mixture faite de la it et de
v in; e) léchage d 'u ne face de la stèle et lavage de l'autre au moyen de cette
mixture; f) prii::re (1 hermétique . à Sa rapis, accompag née d 'une Ko up. oTr o d a.
(sorte de Genèse) ; If) absorption de la mixtu re. Après ce la sont décrites l'appa­
ri t ion d u dieu et la consultation qui lui est adressée. Le secret est presc ri t et
assuré par un serment.
P GN!, PLXX (tome III, p. 13) contient d es invocations à H éca te, la liste de
ses «sy mboles" ou emblèmes et l'affirm ation que le magicien est initié, qu'il est
descendu dans la cave des Dactyles. qu'il a vu le spectacle des« choses d'cn~bas~.
Les divinités éleusiniennes sont p arfois invoquées dans les papyru s : Corè,
pa r e..x. emple, appRraît en hui t passages; Perséphone et Brimo en si x; Bau bô.
est c itée en p lus de dix endroits .
(1) La t raduction de Preisendanz témoigne d'une certaine hésitation. Aux
l ignes 130 ct 687 : Das ist Spende und A bgabc ; à la 1. 362 : Das bedculet !-Vel11e
und V ollendullg .
- 7.10 ­
brCltvage r,:tuel des mystères d'Éleusis

Mais, dans un a utre papyrus (IV, J. II2S). l'Esprit divin (IIvEDl'u)


de l'Univers est appelé « commencement et fin de la Nature)),
La déesse multiforme des Enfers est désignée aussi par ces deux
termes dans le m ême document à la J. 2836, Appliquée à des
divinités, cette formul e est éclairée par des textes bien connus
de l'ancien Testament (Exode, 3, I4 et I saïe, 4" , 4 et 44,6) et de
l'A pocalypse (l, 8, 21 ,6 et 22,13 : Jyw TO a.)"pu, Ku2 TO cL, ~ dpxil
Ka2 TO n!Àas) , D 'autre part , un texte alchimique l'emploie pour
désigner l'Univers et l'(, Art sacré », qui en est comme la répli­
que (' ), Malgré ces rapprochements, ces t ermes se rapportant
à la mixture ou à sa consomm ation restent sibyllins, Ils souli­
gnent en tout cas lem importance , comme s'ils signifiaient:
« Tout est là )),
P G M, l, Il, 1-42, présente un cas d 'un genre un peu diffé­
rent. La recette vise à procurer un démon qui restera attaché à
la personne de l'initié, Elle prescrit de suffoquer un épervier dans
une composition fa ite de lait d'une vache noire et de miel attique,
Le magicien doit absorber la composition avant le lever du soleil:
alors il « sentira dans son cœur un transport divin)) (2), Le dieu
lui apparaltra la nuit et lui accordera toutes sortes de bienfaits,
Ici, nous apprenon s que cette boisson a la propriété de mettre
en transes celui qui va être fav orisé d'une apparition,
P G J11, III, J. 42+ Pour obtenir la connaissance du passé et
de l'aven ir et fortifier sa mémoire, on d oit fa ire une composition
sacrée ([<pd avv8w<s) constituée de miel attique et d'u n cœur
de huppe, que l'on déguster a à jelll1 pen dant un mois entier. La
recette précédente (1. 410) a le m ême but. D'une pâte faite avec
de la farine d'orge et du lait de vach e, on confectionnera un pain
et douze gâteaux en form e de p oup ées que l'on mangera à jeûn,
après avoir récité une inyocation p our appeler le dieu en son âme.
« Tu apprécieras l'efficacité de cette recette)< déclare l'auteur.
La collection des Cyranides est un ounage « hermét ique )< dont
la doctrine est, en beaucoup de points, apparentée à celle des

(1) OLYMPIODORE, Art sacré, I S, p. 79, 23 éd. Berthelot-Ruelle . Fr. DORl\'SEI FF ,


Das A lphabet in j\1y stik w ~d iVIa gie (2 e é d., 1925), p. 122, ré tablit heu reuseme nt le
texte et en donn e une traduction p lus exacte et plus cla ire que Berthelot-Ruelle.
(~) U SENER, Mileh und Honig, dans le Rhein. ll /u s. , 57 (1902) , p. 192, a t ra­
duit t llBE OIl par gotiliches et cette erre ur a passé dans tous les travaux où ce
texte est étud ié.
-74 1 ­
A. D elaUe. - L e Cycéon ,

papyrus magiques (L). On y découvre trois recettes destinées à


procurer le don de divination qui méritent d 'être rapportées ici.
La première (I <P 26) confère une initiation (T<À<T~), qui est quali­
fiée aussi de lJ.UunJpwv. Un épervier doit être étouffé dans de
l'eau de fontaine. A cette eau ainsi consacrée, on ajoute de l'orge
lisse germée, du miel, du romarin, de la plante grenouillette
(d'autres auteurs disent de l'encens, d 'autres encore des graines
de cardamone), un coeur de huppe et un peu de sang de cet oiseau,
enfin de l'hydromel. On fait cuire cette mixtm'e jusqu'à consis­
tance d 'électuaire. Si l'on veut connaître tous les secrets de la
nature, on absorbe un doigt de cette composition et l'on boit
du lait de vache et de l'hydromel. Si l'on désire être" initié "
pour t oute sa vie, on absorbe le coeur encore palp itant d'une
huppe et l'on boit un peu d 'hydromel. Ce texte est p récédé d 'un
hymne aux facultés de l'âme huma ine et est suivi d 'un rappel
de l'origine divine de nos connaissances .
La seconde formule est rapportée en I, H , 12. Elle est précédée
elle aussi, d 'un hymne à l'immortalité de l'âme et à ses facultés,
par ticulièrement à sa capacité divinatoire. Pour être bon devin, il
faut avaler le coeur palpitant d'une huppe d ans certaines condi­
tions déterm inées par l' astrologie, puis boire là-dessus du lait
d'une vache noire et un p eu de la composition que voici : miel,
érynge, aimant (on peut ajouter le coeu r et le foi e d'une h uppe) .
La troisième recette, en II, A, 3 I , fait appel aux vertus de
la taupe. On doit fabriquer u n breuvage compliqué. Une t aupe,
étouffée au préalable dans de l'ea u de pluie, est bouillie dans cette
eau avec de la racine de verveine, de j'armoise , du styrax, de
la gom me de smyrne et de bdellium, des grains d 'encens et du
miel. Un doigt de cette composit ion, absorbé au lever du soleil,
confère l'art de prophétiser au éours de la journée.
On voit que, dans les opérations ma,giques , il est parfois pres­
crit, pour assurer le ({ contact» avec les divinités ou pour recevoir
leur inspiration, d 'absorber u ne mixture ou quelque autre mets
qui possède une efficace particulière, mais qui ne contient d'ail­
leurs aucun ingrédient capable d'exciter les nerfs ou de créer des

(1) Éd . de 1o.'IÉ LY et R UELLE, Les Lapidair(: s de l'a ntiquité et du moye,: â ge ,


t . li (1908) . Cf. l'article R}nmiden d e G A'/'."SZYNIEC d ans la REAL- ENCYCLOPA ­
DIE, X Il , p. 1 2 7.

-74 2 ­
breuvage rituel des 11~ystères d'Éleusis

paradis artificiels. Sans doute, la matière de ces aliments n'est


pas celle du cycéon d'Éleusis (1) ; l'influence égyptienne apparaît
comme ayant été prédominante. Cependant , l'effet surnaturel
attri bué à ces mets très simples (( tu en apprécieras l'efficacité »),
les transports divins et l'union spirituelle avec le dieu promis à
1'«initié », les hymnes dédiés à l'immortalité de l'â me et à ses
facultés occultes, tout cela rappelle J'at mosphère des mystères ,
tou t au moins de ceux de l'époque tardive.
Les faits concordent cer tes, sous certains de leurs aspects.
Mais, pas plus que l'essai tenté par Dieterich en comparant
entre eux les différents mystères ant iques, cette enquête ne nous
permet d 'atteindre le fondement m ême de l'efficacité du repas
rituel d'Éleusis, à supposer qu'on doive lui at tribuer, à son
origine, une vertu su rnaturelle, ce dont je doute.

v
ApPE NDICE.

On a voulu reconnaître sur certains monuments des scènes


qui se rapportent à la préparation ou à l'absorption du cycéon.
1. Sur un clejnos ion ien du VIe siècle conservé au 'Musée de
Boston, A. Fairbanks (') croit voir la représen tation de la confec­
tion de cette mixture. P remière scène : une femme vêtue d 'un chi­
ton talaire et un homme nu se font face autour d 'un mortier, en
maniant chacun u n grand pilon. Un joueur de flùtc rythme leur
travail. Deux hommes nus apportent l'u n une oinochoé et une
ciste, l'autre une oinochoé et un grand bol. Deuxième scène,
sur la face opposée : u n chœur de six hommes n us précédé d'un
flû tiste exécute une danse .
Fairbanks exam ine diverses hypothèses . La nudité des hommes
et la danse du chœur peuvent faire penser à un ri te des mystères
dionysiaques; mais, dans ce cas, il est surprenant de n'y voir

(l) La farine d'orge et l'orge germée sont mention nées en deux recettes:
mais il s'agit là sans doute d'une rencontre fortuite,
(2) An 1o-nlrm dâno$ in BostOil, dans l'A merican Journal of Archaeology, 23
(I919), pp. Zi9 55., avec 2 fig. (l'une des faces est reprod ui te ici) . Cf. DE um,ER,
AttiscllC Peste, p. 80, n. S.
-743
A. Delatte. - Le Cycéon,

figurer aucun personnage du thiase bachique ni aucun attribut


de Dionysos . On peut penser aussi à une scène de magie sem­
blable à celle qui figurait, d'après l'interprétation de Pausan ias,
sur le coffre de Cypsélos ; m ais un rite magique, nécessairement
secret, ne devrait pas compter autant de personnages. C'est pour­
quoi Fairbanks songe plutôt à la con fection du cycéon d'Éleusis.
Cependant cette hypothèse soulève plus d 'objections encore
que les p récédentes. Il y a tout d 'abord la participation à cette
scène d 'hommes nus et particulièrement du groupe de danseu rs.
Certes la danse n 'est pas inconnue dans la célébration des mys­
tères d'Éleusis. La procession qui amenait les fidèles à Éleusis
comportait des rondes et la description que donnent les Gre­
nouilles d 'Aristophane des danses des mystes dans j'au-delà est,
à cet égard, révélatrice . La cérémonie particulière qu 'on a appe­
lée Kernophorie était aussi accompagnée de danses. Des notices
tirées de divers auteurs, Lucien, P lutarque, Synésius (') ,
non moins que J'expression içopXEîaOo., 7<' ,...uaT~p,a (ou (",6PP'lTa.).
indiquent le rôle joué par la danse dans ces myst ères. Mais
la nudité de tous les personnages mascul ins (') ren d invrai­
semblable J'hypothèse d 'un rite appartenant au culte de Déméter
et Coré. Autre obj ection: la préparation d' un eycéon n 'exige
pas l'emploi d'un mortier et de pilons. Dans les d escrip­
tions qu'en d onnent les œuvres littéraires, le gruau d'orge est
slmplen1ent parsemé (1TaÀJvE~v, È"'7TC5.uunv etc.) sur un liquide .
Au surplus, les grands modiers et les lourds pilons, tels que ceux
qui sont figurés ici, servaient à broyer et à écraser des matières
dures, non à mêler et pét rir des substances molles, besogne p our
laquelle on employait d·~ p~t i ts mortiers et des pilon s de fa ibles
dimensions. C'est pourquoi il fau t penser p,u tât à la préparation
d ' un grand 1T€Àav6s, de l'espèce qu'on réservait à certaines fêtes
solennelles l'). On peut suggérer, à t itre d'exemple, le 1T€Àuv6s
des H a lôa, fête de Déméter, Coré et Dionysos : la présence d e

(1) LUCIEN, De saltal., 15: PLUTARQUE, De anima (= STOBÉE, IV, 52.49) ;


SVNÉSIUS, Dion , 9, p. 52 C.
(2) Des comas tes semblables apparaissent sur des vases de la m ême série: cf.
F. VIL LAR D , D eux dil ooi d'nnpeintye ioniwall LOltvre, Monumen ts Piot. 43 ( I949).
pp . 33 55 .
(3) Cf. l'article Ilûo,'J.1I05 de L. ZIEHE;\" da ns la RE .... L-ENCYC L O P .~D1E, XIX ,
pp. 246 55.
bretlvage rituel des mystères d'Éleusis

cette dernière divinité pourrait expliquer le caractère p articu­


lier de la danse (1).
2. Miss J ane H arrison ('), suivie par Farnell (3), a p ensé à
rapporter aux m yst ères d 'Éleusis la peinture d'un vase à figures
noires du Musée de Naples (4). Deux p ersonnes d:aspect juvénile,
hOmme et femme à ce qu'il semble, sont assises sur une kliné
devant une t able garnie de mets . Elles portent des couronnes de
myrte, l'arbuste favori des initiés d 'Éleusis, et sont désignées par
les mots MYL'TA KAAO (au duel). Un troisième personnage (un
prêtre ?) portant un rameau lustral et une outre leur présente
une coupe.
Les mystères au cours desquels une boisson rituelle est offerte
aux initiés ne sont pas très nombreux (5) . Nous ne savons rien d e
certain, à cet égard, des mystères des Cahires : la restitution
proposée par Gomperz (6) d'une inscription de Tomai est entière­
ment conjecturale et est généralement rejetée ('J. Les mystères
mithriaques sont trop récents pour entrer en ligne de compte.
On pourra it rapporter. la scène aux mystères de Cybèle et Attis,
mais, dans ce cas, c'est dans une cymbale que la boisson serait
présentée . Les initiations des Orphéotélestes ne paraissent pas
avoir comporté un rite de ce genre . R estent les mystères d 'Éleu­
sis: s'il faut accepter cette hypothèse, la scène représenterait
sans doute l'initiat ion d'un couple des temps h éroïques. Cela
reste très conjectural.
3. Sur le pinax de Niinnion (8), olt paraît fi gurée la cérémonie
préliminaire des mystères qu'on a appelée Kernophorie, on voit

(1) L'ouvrage de J. HECKENBACH, De nuditate sacra, dans Religioltsgesch .


Vers. und VOYarbeite'1l, IX, 3 (1910) ne m 'a suggé ré aucu ne solution d u problème.
(2) Pro{egomena to the st"dy oi greek Religion (1 903), p. 156.
(3) Cufls of the greek Stafes , III (I9ûj), p. '240 (avec fig.) . Cf. M. BRILLA~T,
Les mystères (l'.t lwsis (J920), p. 89 et P. R OUSSEL, L'inifiaJiOH préalable
et le symbole éleusi/!ieH , dans lè B~,ltetin de corresponda1~ce hellénique, 54 (193-0 ),
p . 73. ALLEN, H. et S., H omeric hy1Jms, p. 154 ;en sens contraire, NOAcK,EleHsi s,
p. '23 1 , 3·
(~) H . H EYDE:\IANN, Die Vase1lsammht1lgen des lvluseo NazloH . zu Neapel
(r8ï2) , p. 602, nO 3358. Je dois la belle photographie de ce vase à la gé néreuse
ama bilité de mon savant co!lègue et am i V. De Falco.
(0) Cf. A . DIETERfCH, Mithmsliturgi e, pp. 1 02 ss.
(6) L. ZIEHE N, L eges Graee. sacme, p. 24 7.
(') Je constate qu'elle est encore admise comm e poss ible par KERN, art.
J{a beiros, dans la REAL-ENCYCLOPAOIE, X, p. 1414 .
(8) Ci. J'articl e Remos, de LEO:-.<ARD, dans la REAL-E!\"cYCLOPAOIE . xr , P. 320 .

- ',
A. D e/alte. - Le Cycéon,

peut-être Hécate et lacchos amenant à Éleusis la procession sacrée


et présentant les fidèles aux deux déesses assises. Déméter tient
u ne large coupe, dans laq uelle Nilsson (1) cro it reconnaître le vase
contenant le cycéon. Hypothèse bien hasardeuse . Cette coupe est
plutôt destinée à recevoir, comme il en va d'ordinaire, les liba­
tions qu'apportent les fidèles.
4- Sur de nombreuses p~ in tures de vases, dont les plus an­
ciennes remon tent au Ve siècle, Triptolème, un des premiers
initiés, est représenté sur le p oint de partir pour l'étranger, où
il va révéler aLlX hommes la culture du blé. L'une des deux déesses
verse, dans la phia le que tient ou que tend le héros, le contenu
d:une oinochoé. On pen se généralement qu'il s'agit du « coup de
l'étrier )), de la libat ion prophyl actique oHerte à un voyageur,
comme à tant d'au tres, au moment du départ (') . Autrefois,
Fr. Lenormant avait émis J'hypothèse que les déesses rappe­
laient ainsi l'épisode de la première initiation de Triptolème.
Ch. Dugas a repris récemment cette idée, non sans l'entourer d e
prudentes réserves, après avoir procédé à un nouve l examen
de tous les documents (3).
On a objecté que la forme du vase que porte la déesse, une
oinochoé, ne s'accommode pas de cette interprétation. " Si
l'oinochoé, a-t-on dit, avait dû contenir la bouillie épaisse (à la
farine !) qu'était le kykéon , il n'eût jamais été possible, ni de
l'en faire couler proprement, ni de nettoyer ensuite le vase)).
Cette objection est p eu p ertinente car, quelles que soient la com­
position et la destination de cette mixture, il en est toujours
parlé comme d 'une boisson.
P eut-être s'étonnerait-on à plus juste titre de voir le peintre
associer dans une même représentation la mission de la propa­
gation du blé, qui n 'a rien d'ésotérique, et le. rite d:! l'initiation,

(1) Die Eleusill ischm GoUheitell, dans l'Archiv lià R eligioJLSw., 32 (1935) ,
p. 93. L'auteur pcnse que Déméter est représentée deux fois en des registres
s uperposés, et que la portcuse de torcbes est Coré, non Hécate. Cf. A. SK IAS,
dans l"Etf,rllJ.tPt. ci. PXato'\., 190 1, p. 35· .
(2) Cf. Ch. PICARD, La patère d 'A qui/eia et l'tlellsinisme à Rome, dans l'A ntiqHité
Classique. 20 (1951), p. 358, n. 2.
(a) L a mission de Triptolèm e d'après l'imagerie aththtimlle, dans les Mêlanges
d'archéologie et d'Ilis/oire publi és par l'.t:cole française de Rome, 62 (1950), pp. 7 S5.
(6 planches).
byetlvage ritnel des mystères d'Éiensis

qui doit rester confiné à Éleusis. Cependant, si l'on accep te

l'interprétation traditionnelle de cette' scène, certains points

restent énigmatiques. P ourquoi d'autres personnes que T ripto­

lème participent-elles à la libation d u départ (') ? Pourquoi le sym­

bole de la mission agrico le, le bouquet d 'ép is que porte le héros,

a-t-il été grad uellement remplacé p ar la phiale, si celle-ci n'a

pas une signification particulière? On note ra encore que T ripto­


. lème, ainsi que plusieurs personnages qui l'a ccompagnent, appa­

raît, comme les mystes couronné de myrte ou portant un rameau

de cet a rbuste sacré.


5. Certains ex -vota en terre cuite de la fin du VI' siècle pro­
venant de la cité des Locriens Épizéphyriens montrent en relief
un groupe de porteu ses d'offrandes venant présenter à la déesse
Perséphone des dons variés: ciste, corbeille, p épias, coq, balle,
friandises etc . Sur certains de ces petits monuments, une p rêtresse
porte une coupe profonde sans pied n i anses (dl',f3o<; ou "d <po<;),
en même t emps qu'un b âtonnet. L 'un d'eux mon tre la déesse déj à
en p ossession de la coupe et étendant la main pour pren dre le
bâtonnet posé su r une table (2).
F . De Waele (3) a m is ces scènes en rapport avec le ,,6ve'f}fw
cles mystères d 'Éleusis : c'est la coupe du cycéon qui serait ici
représentée avec le bâtonnet qui sert à mélanger la boisson com­
posite, tel celu i que, sur certaines peintures de vases, Circé
emploie pour préparer le cycéon (4).
On doit admettre que le contenu de la coupe est une mixture :
la présence constante du bâtonnet enlève,tout doute à cet égard.

(1) Par ex. sur les n OS 31 (reprodui t ic i). 56 et 57.


(2) P. ORSI, L ocr;, Epizefiri, d ans le B oUellillo d' Arte, 1909, pp. 413 55. Q. QUA~
GLlATI, Rilievi votiv-i arcaici illierra!:olta di Lokroi Ep izephyrioi , da ns Ausonia,
1909, pp. 19 6 55. Notre prem ière fig. es t empruntée a u m émo ire de Quag liati
(fig. 4 7. p. 197), les deux a u t res à cel u i d'Orsi (fig . 17. p . 4 21 et 26, p. 427).
J'aUire J'attention s u r la fig. 16, p . 420, d ' Orsi : ici, une d es ftd èles porte un
p lat contenant d es offrand es parmi lesquelles figure, à côté de gâteaux, une
cou pe semblable à celles q u i co n t ien nent le cycéon .
(3) H et drinkm van den KVKfWV op voliefplaatjes uit Lokroi EPiuPhuy-ioi, d a ns
le Bulletin, van de Vereenigin g tot bevo ydering der kennis vau de antieke Beschaving,
II (1927), p . 5 (avec 4 fi gures).
(4) Cf. Fr. l'vIüLLER, Die antillen Odvssee-Illmtratioll&n, I9'3, pp. 52 55. (coupe
de Boston, amphore d e NoJa du Musée de Dresde, coupe de l'Acropole d ' At hè nes ,
vase dl1 Cabirion).

- 747­
A. DelaUe. - Le Cycéon, bre-uvage r-ituel des m ystères d'Éleusis

Mais le rapprochement suggéré avec le rite d'Éleusis ne me


paraît pas acceptable. Il faudrait d 'abord prouver qu'il existait
à Locres une sorte de succursale des mystères éleusiniens :
rien de tel n'est attesté de quelque manière que ce soit (1). On a
beau invoquer le fait que la Grande Grèce a été un foyer de
cultes mystiques apparentés à l'o rphisme, comme le montrent
notamment les Instructions aux défunts de la secte des Purs
découvertes à Thurii et à Pétélie. Précisément les formules d 'in i­
t iation de ces cultes, qui offrent une certaine ressemblance avec
le üuv0'l,u a d 'Éleusis, ne m entionnent 'jamais la consommation
rituelle d'un breuvage (2) . Ensuite le cycéon des mystères n'était
pas une offrande p résentée à la diviitité, mais une mixture ab­
sorbée par les adeptes: c'est là un trait essentiel. Cette divinité,
d'ailleurs, ne devrait pas être Perséphone, mais Déméter . J e suis
donc porté à croire que ces scènes représentent des moments diffé­
rents de la présentation d'une offrande du type archaïque, une
mixture de consistance plus ou lnoins fluide, tels que le 7TEÀavos-,
les Ov(a)À")I'UTU, les "'a,arri, auxquels j' ai fai t allusion précédem­
ment.

(1) Cf. P. L A.MBRECHTS, D e Demetc yverer.z'n g in Sicilië. I95'2, p. 2 4.


(2) Les hypothèses émises à ce propos par D rETERtcH, M ilhmslifurgie, p. 172 ,
n'ont rencontré l' adhésion de personne.
INDEX DES AUTEURS CITES

Alexandre d'Aphrodise. Probl., I II , P s-Clément. Recoga., X , 22 : 696, 5.


42: i15, 2 . Cyran ides, I, cp 26; I , H, I l ; II, A,
A nthologie Pal. , VII, 394 et IX , 31: 74 2 .
418: 698,5.
Apocalypse, 1,8; 21, 6; 22, 13: 741. Di odore de Sic., V, 5
Apollonius, Argon., l, 1143: 726, L 698,3. V, 55 : 696, 3 ·
Apostolius ParaeOl., IX, 87 : 6g8, 2. D iogén ien P a roem. , I, 17: 692, 2.
Apulée , Apol., 55 sq. : 702, 2. V, ] 7 : 698, 2.
Mél., VI, 2 : 691, 1. Dioscoride, Jlla.t . med., I II , 31;
Ps.~A. H erbarius, 93: 716 . 726, 2 . 716. 7 [8, 2. ]26, 2 .
Arétée, IV, 9, 3 : 717.
Aristide, Oy" II : 6g8, 6. Énée le T acticie n, 24; 705, 2.
A ristodème (A thénée, 495!): 723, 1. 7° 6 , 3.
Aristophane, .Nuées, 250 55 : 737. Épiphane, Fidei expos., la: 690,
2. Paix, 712 . Il6g : 714 . 3· [.7 1 9, ].
Ps. -Aristote, Probl., Ill, ] 2 : 71 5. 5. Ét ienne de B yzance, s. vv. iV1vÀuvrlu
Arnobe, A du. Ge1/tes, V, 25 sq.· ct M VÀc1. vrEWL 695, 3·
690, 1. 700. 710, 1. 720, 3· Etym. magnum, s. VV. dÀ~..~pto5"
Arsénius Paraem., 277 : 6g8, 2 . 696, 7. o.À4> ~TOJ) l II, 1. 725, I.
Asclépiade de Tragi los. fr. 4: 720, 4. E uvoaïoS" 697, 2. oÙÀo,xVTut692, 2.
Athénée, 137 e : 712, 4· 492 cl : Eupolis, D èmes, III: 723.
712. 3· 496 a : 708. Euripide, I phig. Aut. I461: 730.
Aug usti n, Epist. 214. 2: 704 . 2 . Eusèbe, PréP · év., Il, 3, 35 : 690, 1.
Sermon 212 : 7°.1. 2. Vi e de Cons/., U , 70: 704, 2 .
E usta lh c, A cl Il. A 449: 692, 2 .
Callimaq ue, J-iéca lé, fr. 260, 49 P .. 731 , 2. B 25 1 : 697, 2. ;1 637 sq. ·
7 j 5, 5· I-I yllme ci Dlfméter: 694 , 7I!, r et 2. g 560 : 7If, J ct
3· 7 2 I , 3· 7f3, 1. P 826: 697, "2.
Carmen de viYI. he,b., 12: 726, 2 . A d Od. , a 9 : 697, 2. ~ 290 : 692,
Chrysippe, SVF, II , 93ï : 715, 3. 2. 7 13.2. Ô 131 : 694,3. K 235 :
Clément d ' Alexand rÎe, ProfY ., Il, lI J , 2. (.L 357: 692 , 2 ... 163:
15, 3 et 16, 2: 700. 735. 3. II , 692,2. u 105 sq.· 696,4.697, 2.
20: 72 0 , 3 . II, 21, "2 : 690 . II , 69 8 ,7.
22, 4 : 691, 1. 700. Erode. 3 , 14: 74J.
Clément d e R ome, H om ., V, 13 :
696, 5. l-;' irmiclls Mat., De en'oYc p. r., 10:
A. Delatte. - Le Cycéon,

701. 735, 3· - 19. 1; 20, l ; 21, 1; 7'5, 4- IG XII, " 697 : 696, 2.
22, l ; 26, ] : 7 0 2 , 1. XIV, 638 SS.. 709. XIV, 1019:
708, 2 . I G' II-III, 484' sq . :
Ga lien , Alim. tac. ,!. 9. 6: 717 . 1. 708, 2. H ennes, 20 (1885) , p. 628 :'
J, Il: 7I1 , I. 7 12, 2 . 713, 1. 7°8. Tomoi, Mich el 7° 4: 735 , 3.
In EPidem .. V I, 6, 5: 716. Nat . H5·
fac., III, 4 : 71 6, I. I sa ïe, 4 1, 4 e t 44, 6: 74I.
I sidore, Grig. , 17. 3, 5 : 694, I.
H éraclite, fr. 125 D. : 715 , 1. (Diels. '7, 9, 63: 7 26 , 3­
Kranz, Vors ., l , ]44) : 714, 2.
H ermesian ax, fe 2, 19 : 731, 5. J a mbliq ue, V. P. , 237 sq. : 702 , 3.
H érodien Gramm . Il , p. 31 I , 32 L. :
718 , 3· Lac ta ntius Placidus, Narr., V , 5 :
• Hérondas, IX, 1 2 : 727. 2. 719, 2.
Hé siod e, Theog ., 396: 729, 2 . Lu cien , De salt., 15: 744. I. Pro
Op. et d., 466, 5n, 8°5: 725, 3. la,psu, 5 : 702, 3·
Scututn , 290 : 725. 3· L ycophro n, 435 : 696, 6.
H ésychius, s. v. dÀE'iptSES : 698, 7. P s .-Lysias, C. Andoc ., 51: 708.
aJ.lT.uoJ),Q: 7 22 , 4- rlP4lTOpO~: 7 22,
4- 8w'\a65' (?): 697. 1. EVJlOOTO S' : Nicandre, Alex ., T30 : 718. llUt..
697. 2 . tj.laÀlIl : 696, 4 . MilÀa S' et 56 : 71 9, 2. 726, 2. Ther., 484 :
j.LVltaVïEW t : 695, 3. oulas €VEKa : 7 1 9,4.
729 ,3. llpof'-uÀala: 697.1. VY[EW: Nonnu s, Dionys., 22, 77 : 715, 5.
7 22 , 4·
Hip pocrate : 715 . 726, 2. Olympiodore, Art sacré, 18 : 741, I.
Hippoly te, R ej. 10., V , 7 : 7 20 , 4 · Or ibase, IV, 1 : 717, 1.
Hipponax, ir. 42 : 714. Orphica, A ·r gon., 323 : 722, 2.
Homère, Il., E 499 : 725. 4. A 6 24 Fragm. 49 le: 720, 3· 52: 720.
55 .: 711. 713, 2. 631: 7 25, 3. 145 : .70 7, 3· 195: 707, z. Papy~
640 : 7]3 , I. N 180: 726, r. rus de Gu rob (Diels, l , 23) : 706, 1.
322 : 72j, 3. E 560 : 7'2. <P 76 :
Ovide, Fastes, I V, 417: 719, 7.
725, 3. Cité par Athénée, IV, p.
I V, 507 55.: 72r, 3. Mét., V,
137 e : 71 3, 1.
341: 719, 7· 449 55.' 719, 2.
Gd. , t 449 : 726, 1. Jo: 234 : 7Jz.
720, 1.
52o: 7'3, 1. À 28 : 713, I. v· 357 :

72 6 , 1. g 76 e t 429 : 713, 1.
Pa pyri 'Graecae Magicae (PGiV1)
J-lyn me à Déméter : 71 8. 42 : 7 18,
éd. Preisendanz, l , 1 ss . : 741.
r. 154 55 . : 71 8, 3. r 82: 718, 1. 42 , 195 : 739 , 3· III, 4 2 4: 74I.
210: 72 8, 4. 474 55.: 7 28 , 3·
III, 7°1: 709, 2. JV, 20, 48,
729, 1. 732, 2.
16o, 172 , 435. 476 s . 504, 7 2 3,
H ymn e à Hermès, 173 : 729 .
734, 74 4 55 ., 794, 2785, 2888 :
739,3 . IV, !I25, 2254, 2836 : 741.
Inscripti ons : Andanie, Michel 694 : VII, 540, 746: 739, 3. VII, 560,
691, 1. :Épidaure , Miche l 1069: 787, 883: 709, l et 2. XIII , 33,

- 75° ­
breu.vage r-it·uel des 1nystères d'Éleusis

37, 128, 360, 4-11, 685: 740. Hufin, In Symb. , 2 : 704, 2 .


XI II, 27, 31, 37 , 56, 89, 99,128,
230, 379, 428, 655, 685, 889, Scholies à Aristide, Ill, p. 473 D. :
896: 739, 3· P LXX, 739, 3· 699, r.
P apyrus de )Iilan (Vogliano, 1937. à Aristophane, Lys., 643 : 698, 7.
p. 17i) : 720, 2. Pai:r, 1040 : 722, 4. Pluflls, 138 :
Pausani as, l, 14, 3 : 720, 4. III, 713. 2 .

20, 2 : 696, 8. à Eurip ide, Oreste, 964 : 718.

Phot iu s, s. vv. E ÜVOUTOS: 697, 2. à Homère, Il., A 449: 692 , 2.

llp0f.LuÀala 697, 1. 6g8, I. Dd., Y44 1: 692, 2 et 713 , 2.

Platon, Banquet, 2 1 0 a-d, 2II C, à N icand re. Alex., 130: 7 18 .

212 a : 737. I. Ion, 538 c: 712,3. Ther., 484 : 719,4 et 5·

Phèdre, 248 b, 249 C, 250 b C, Servius, Ad Aeu., I V, 402: 698, 6.


251 a 55.: 737, 1. Rép. 405 d: Sextus Empiricus, IX, lBS: 696,
7 12 , 3· 9·
Pl aute, Soldat jan!., 10r6: 704, 1. Sopalros (Rh. gr.• VIII, 110 \Valz) :
Pbne, H. N ., 7, 191 : 697, 3. 18, 7°7, 5·
72: 7Il, J. 725.2. 18, 78 : 719,2. Suétone, Claude, 42 : 706, 3.
r8, 97: 711, 1. 20, Ij3: 716. Suiclas, s. vv. B[olJ à.À1]À. 692, 2.
Plutarque, De anima, fr. 2, 5: 708. OÙÀOOUTEtV 692, 2. 697••1. llpo­
744 . J. Can sal. ad 1/x., la : 703 . 1. fLuÀala 697, 1. PutaTâ 692, 2 .
Praee. can iltg., 42: 699. I. Qu. 7 1 3. 2 .7 22,4.
conv., TI. 4, 8 : 7' 3. 1. Qu. gr .. 6 : Synés ius, Dion, 9 : 744, 1.
725. 2.
P alémon, fr. 39 et 74 : 698, 4· Tac ile, Hi s/., Hl, 22 et 73: 705 .
Pollux, VlI, ISO: 697, 1 et 2. X, 2.
162: 691. I. Théophraste, Car., 4: 714. IIc:p;'
P olybe, VJ, 34 5S. : 706, 3· c:uP7JfLo:rwlI : 692, 2. 693 . 697 . De
Polyène, IV, 3. 32: 715, 5· veJ'tig.,9: 715, 2.
P orphYl'c, De abst., II, 4-6: 693. Thucydide, III, 49 : 712 .
II . 6: 692. II, 20: 731, 4 . Tryphon, fr. 11 3: 696, 4.
.Proclu5. b~ Crat. , 403 e: 707. 3.
Theol. Plat., VII, 1 l, 371 : 7°7, 2. Végèce, Mil., III , 5: 706, 3.
TABLE DES MATIBRES

I. Le moulin sacré de la déclaration du myste ... ... .. . ..... 690

II, La signification du terme (JQv81'jfLa 699

III. La nature et la composi tion du cycéon 7 IO

IV. La valeur mystique de la consommation du cycéon . . . . . . .. 727

v. Appendice : les monuments figurés 743

-75 2 ­
Fi\!. J 1:1 2. ConleCliotl d'u n p': la n u:s: (deinl,)$ du M usée dt 130$lon ).

Photofypie A. Dohmen. Brulte


rlg_ J. p resentat ion d u cycêon (1 ) à d ~u };, rnystc ~ (voIse du M<..tséc de Naples)

Tnpl o lè mc IIIlS_~ JOJ m"i~c d~ ~ ~ c nl.ldlc s {coupe J e Br Y\los

du M u ~êe Stiirllcr a f ri'l ildon i

Phototypie A. Ooh Il1 en. Bru .~ cl l es


FI \) 5, Le ta bleau vo tif de Nlill nioll ,

h <) {j Gnbe d' o rg..: .. 1 c i~t c m ~'~lil. U" ~u , un ir;\ll m<?lll J',u(:hilravc ,lu Propylù'
inl;:nC'..Ir ëJe'- c ~ ElC\I.~IS Pd' le cor.sld 1\rp 1U5 Cla'..lolliS pukbtr ,

P htH Olypic A Dohrn~n. B~uxdlc.s


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FIO ' 7. a. 9. Pl,HJl:c!> ~ otJ",es de Lo'n~", r e!>rèsenl<ln t l' offr a ndt: d'UII 'l' rnilClure
à Per~c ph on c .

Phototypie A. Doh ,oc n. Bruxelles

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