La Methode Allegorique Chez Les Stoicie PDF
La Methode Allegorique Chez Les Stoicie PDF
La Methode Allegorique Chez Les Stoicie PDF
Richard GOULET*
Que l’on ait chez les Grecs interprété allégoriquement les poèmes
d’Homère et d’Hésiode ne saurait être contesté. Philon d’Alexandrie,
dans son De Providentia, rappelle cette tradition à son neveu Alexandre
qui accusait les poètes d’impiété et de blasphème contre les dieux :
Si la gloire d’Hésiode et d’Homère s’est répandue par toute la terre,
c’est grâce au sens caché sous les mots. Leurs nombreux exégètes en
sont remplis d’admiration et, depuis leur époque jusqu’à nos jours, ils
n’ont cessé d’être un sujet d’admiration. […] Les passages que tu viens
de mentionner ne renferment pas de blasphème contre les dieux, mais
attestent la présence d’une théorie physique (physiologia) cachée dont il
est interdit de dévoiler les mystères à ceux dont la tête n’est pas ointe.
[…] Ce que l’on raconte d’Héphaïstos sous le couvert d’une fable,
rapporte-le au feu, ce que l’on a dit d’Héra à la nature de l’air, ce que
l’on dit d’Hermès au Logos et ainsi de suite en ce qui concerne les
autres dieux, suivant la méthode de la théologie. Alors, à coup sûr, les
poètes que tu viens d’accuser recevront tes louanges pour avoir
vraiment et dignement célébré la divinité5.
9. DK 61 A 4 (b) = Philod., Poem., PHerc. 1081, col. III 2-14 (F. Sbordone, Ricerche
sui papiri ercolanesi, t. II, Naples, 1976, p. 225) : ka i ; perªi ;º novmwªnº kaªi ; ejªqisºmw`n
tw`ªnº paªrº∆ ajnªqrwvºpoªi~º, kai ; to;n ∆Agªaºmevmnona me;n aijqevra ei\nai, to;n ª∆Acilleva d∆
h{lion, th;n jElevnhn de; gh`n kai; to;n ∆Alevªxaºndron ajevra, to;n ”Ektoªraº de; selhvnhn kai;
tou;~ a[lªlouº~ ajnalovgw~ wjnomavsªqaiº touvtoi~. tw`n de; qew`n ªth;nº Dhvmhtra me ;n h|pªarº,
ªto;n Diovvºnuson de; splh`ªnaº, ªto;n ∆Aºpovllwªiº de ; colhvªnº. Sur les justifications que l’on
pouvait apporter à ces symbolismes dans le texte homérique, voir Richardson, art. cité,
p. 69.
10. Plut., Quom. Adol. poet., 4, 19 E-F.
LA MÉTHODE ALLÉGORIQUE CHEZ LES STOÏCIENS 97
11. [Plut.], Hom., II, 70 : Touvtoi" paraplhsivw" e[cei kai; hJ ajllhgoriva, h{per e{teron
di∆ eJtevrou parivsthsin, oi|ovn ejsti tou'to:
nu'n me;n dh; mavla pavgcu, Melavnqie, nuvkta fulavxei",
eujnh'/ e[ni malakh'/ katalevgmeno", wJ" ejpevoike:
to;n ga;r ejn desmoi'" o[nta kai; ajnhrthmevnon ejn koivth/ aJpalh'/ uJpnwvsein levgei.
12. Traduction de Victor Bérard (coll. La Pléiade).
13. Sur cette interprétation d’Antisthène, voir J. Pépin, « Aspects de la lecture
antisthénienne d’Homère », dans M.-O. Goulet-Cazé et R. Goulet (éds.), Le cynisme
ancien et ses prolongements, Paris, 1993, p. 6-12.
98 RICHARD GOULET
nous offre un cas fort clair de ce mode d’expression dans les vers où
Ulysse, énumérant les malheurs qu’apportent la guerre et les batailles,
dit :
Le bronze y répand sur la terre
beaucoup de paille et peu de grain,
quand vient à s’incliner la balance de Zeus. (Il., XIX, 222 sq.).
Ici on parle agriculture mais on pense bataille ; en somme, on fait
entendre ce qu’on veut dire au moyen d’évocations toutes différentes.
L’allégorie est donc une figure courante chez les écrivains (Héraclite
cite Archiloque, Alcée et Anacréon) et qu’Homère lui-même n’a pas
ignorée14.
fait il est possible de concevoir par voie de métaphore que toute la force
des hommes et leurs activités résident dans leurs mains. C’est pourquoi
le Législateur a correctement usé de métaphore en recherchant le style
élevé, quand il appelle « mains de Dieu » les actions (qu’il accomplit)17.
17. Eus., P. E., VIII, 10, 7-9 : o{tan ga ;r dunavmei~ ejxapostevllh~ su ; basileu;~ w[n,
boulovmenov~ ti katergavsasqai, levgomen : megavlhn cei`ra e[cei oJ basileuv~, feromevnwn tw`n
ajkouovntwn ejpi ; th;n duvnamin h}n e[cei~. […] w{ste dhlou`sqai ta ;~ cei`ra~ ejpi; dunavmew~
ei\nai qeou` : kai; ga;r e[sti metafevronta~ noh`sai th;n pa`san ijscu;n tw`n ajnqrwvpwn kai ; ta;~
ejnergeiva~ ejn tai`~ cersi;n ei\nai. diovper kalw` ~ oJ nomoqevth~ ej p i; to ; megalei`on
metenhvnoce, levgwn ta;~ sunteleiva~ cei`ra~ ei\nai qeou`.
LA MÉTHODE ALLÉGORIQUE CHEZ LES STOÏCIENS 101
18. Selon la Souda G 388, t. I, p. 535, 28-31 Adler, Gorgias aurait été le premier à
user des figures de rhétorique comme l’allégorie : ou\to~ prw`to~ tw`/ rJhtorikw/` ei[dei th`~
paideiva~ duvnamivn te frastikh ;n kai tevcnhn e[dwke, tropai`~ te kai ; metaforai`~ kai ;
ajllhgorivai~ kai ; uJpallagai`~ kai ; katacrhvsesi kai ; uJperbavsesi kai ; ajnadiplwvsesi kai ;
eJpanalhvyesi kai ; ajpostrofai`~ kai ; pariswvsesin ejcrhvsato.
19. Il arrive bien sûr qu’on parle des dieux tels qu’ils sont connus par les poèmes
d’Homère ou d’Hésiode sans faire explicitement référence à ces textes.
102 RICHARD GOULET
20. Je renvoie sur ce point aux riches dossiers rassemblés par Jean Pépin, notamment
en ce qui concerne Philon d’Alexandrie : « Remarques sur la théorie de l’exégèse
allégorique chez Philon », dans les actes du colloque Philon d’Alexandrie (Lyon 11-15
septembre 1966), Paris, 1967, p. 131-167, repris dans La tradition de l’allégorie de
Philon d’Alexandrie à Dante, t. II : Études historiques, Paris, 1987, p. 7-40.
21. Cela ne signifie pas qu’historiquement l’allégorie soit immédiatement apparue
comme un commentaire continu de toute une œuvre. C’est peut-être bien à l’occasion des
passages les plus délicats d’Homère ou des autres poètes que l’on a élaboré une telle
méthode. La terminologie ancienne, qui parlait de sous-entendu (uJpovnoia), évoque plutôt
des interprétations ponctuelles de passages difficiles qu’un commentaire systématique.
22. Même quand Paul emploie le terme d’allégorie (Gal., 4, 24), il se réfère à un
mode d’interprétation qui voit dans des personnages historiques de l’Ancien Testament
des figures du Christ ou de l’Église. Parler d’allégorie à ce propos, c’est risquer de ne plus
voir les origines juives véritables de ce mode d’exégèse. Voir J. Pépin, Mythe et allégorie,
LA MÉTHODE ALLÉGORIQUE CHEZ LES STOÏCIENS 103
p. 252 : « C’est au judaïsme palestinien, dans lequel Paul a été élevé, qu’il faudrait
demander l’inspiration de son allégorie biblique, ou plus simplement à son propre génie
religieux ».
23. Philon mentionne à plusieurs reprises de telles lois, canons ou règles de
l’allégorie : Somn., I, 102 ; Abr., 68 ; Somn., I, 73 ; Spec., I, 287 ; Prov., II, 41 ; Quaest.
Gen., IV, 178.
24. Là encore, cela ne veut pas dire que toute allégorie antique respecte ces règles,
mais on peut estimer que c’est par rapport à de telles règles qu’elle méritait d’être jugée.
25. Selon Xénophane (DK 21 B 11), « Homère et Hésiode ont attribué aux dieux
toutes les actions que les hommes tiennent pour honteuses et blâmables, le vol, l’adultère
et la tromperie réciproque » (trad. J. Pépin, op. cit., p. 93-94).
26. Ainsi l’exégèse du Commentaire d'Habacuc retrouvée à Qumrân, loin de
présenter « un caractère résolument allégorique » (J. Pépin, Mythe et allégorie, p. 224,
104 RICHARD GOULET
n. 9), a été décrite comme une exégèse « divinatoire » (A. Dupont-Sommer, Les écrits
esséniens découverts près de la Mer morte, 3e édition, Paris, 1968, p. 267) ou
« ésotérique ».
27. On peut observer ce passage d’une allégorie philosophique radicale à une
allégorie religieuse modérée dans l’œuvre de Philon d’Alexandrie lui-même qui critique
et adapte un commentaire résolument philosophique de l’Écriture composé par des Juifs
alexandrins. Voir sur ce point R. Goulet, La philosophie de Moïse. Essai de reconstitution
d’un commentaire philosophique préphilonien du Pentateuque, coll. « Histoire des
doctrines de l’Antiquité classique » 11, Paris, 1987, 621 p.
28. D. L., VII, 4 = SVF I 41 (FDS 189). Il écrivit également un traité Sur la façon
d’écouter la poésie, mais on ignore s’il y abordait le problème de l’allégorie.
29. D. L., VII, 175 = SVF I 481 (FDS 192). Pour les fragments que l’on peut
rapporter à cet ouvrage, voir SVF I, p. 138.
30. SVF III 769-777.
31. P. Steinmetz, art. cité, p. 19-21.
LA MÉTHODE ALLÉGORIQUE CHEZ LES STOÏCIENS 105
32. Persaios, disciple de Zénon, commentait Homère dans la même perspective selon
Dion Chrysostome, Discours, LIII, 5 = SVF I 456 (FDS 608).
33. D. L., VII, 180 = SVF II 1 (FDS 154).
34. Galien, Sur les doctrines d’Hippocrate et de Platon. SVF II 906.
106 RICHARD GOULET
biens ; enfin c’est un académicien qui dit que tout n’est qu’incertitude.
La preuve qu’il n’est rien de tout cela, c’est qu’il est tout cela, ces
systèmes se trouvant incompatibles35.
38. [Plut.], Hom., II, 92 : ÔO de; qewrhtiko;" lovgo" ejsti;n oJ perievcwn ta; kalouvmena
qewrhvmata […]. tau'ta de; meteceirivsanto oiJ ejn filosofiva/ diatrivyante", h|" ejsti mevrh
to; fusiko;n kai; hjqiko;n kai; dialektikovn. ejn dh; pa'si touvtoi" ta;" ajrca;" kai; ta; spevrmata
ejndidovnta ”Omhron eij katamavqoimen, pw'" oujk a]n ei[h pro; pavntwn qaumav zesqai a[xio"… eij
de; di∆ aijnigmavtwn kai; muqikw'n lovgwn tinw'n ejmfaivnetai ta; nohvmata, ouj crh; paravdoxon
hJgei'sqai: touvtou ga;r ai[tion ãhJÃ poihtikh; kai; ãto;Ã tw'n ajrcaivwn h\qo", o{pw" oiJ me;n
filomaqou'nte" metav tino" eujmousiva" yucagwgouvmenoi rJa'/on zhtw'siv te kai; euJrivskwsi
th;n ajlhvqeian, oiJ de; ajmaqei'" mh; katafronw'si touvtwn w|n ouj duvnantai sunievnai. kai; gavr
ejstiv pw" to; me;n di∆ uJponoiva" shmainovmenon ajgwgovn, to; de; fanerw'" legovmenon eujtelev".
108 RICHARD GOULET
47. Sur la critique stoïcienne de la religion traditionnelle et des mythes, voir les textes
rassemblés par D. Babut, La religion des philosophes grecs de Thalès aux Stoïciens,
Paris, 1974, p. 172-201. Pour Chrysippe, voir Philod., Piet., col. IV 12 – VI 1 (p. 15-16
Henrichs).
48. Cornutus, Theologiae Graecae compendium, 2, 17–3, 1 : prw'ton ga;r oiJ ajrcai'oi
qeou; " uJ p elav m banon ei\ n ai ou} " eJ w v r wn ajdialeivptw" feromevn ou", aij t iv o u" aujtou;"
nomivsante" ei\nai tw'n tou' ajevro" metabolw'n kai; th'" swthriva" tw'n o{lwn. « Car dans un
premier temps les Anciens ont supposé qu’étaient des dieux les corps qu’ils voyaient
circuler de façon incessante, considérant qu’ils étaient les causes des modifications
atmosphériques et du salut de l’univers ».
49. Philod., Piet., col. X 14-15 (p. 20 Henrichs) : e{na qeo;n levgoªusºin ei\nai. Pour lui,
le stoïcisme n’est que faussement religieux en ce qu’il rejette les dieux traditionnels au
profit d’une seule puissance divine universelle, alors que les épicuriens en admettent plus
encore que n’en vénèrent l’ensemble des Grecs : planw'sin d∆ wJ" pollou;" ajpoleivponªteº".
w{sq∆ ªo{ºtan semnovn ªti fw'siºn ei\naªi th;ºn ai{resin, ejpideiknuvsqwsan toi'" polloi'" e{na
movnon a{panta levgonte" ouj pollou;" oujde; pavnta" o{sou" hJ koinh; fhvmh paradevdwken, hJmw'n
ouj movnon o{sou" fasi;n oiJ Panevllhne" ajlla; kai; pleivona" ei\ªnºai legovntwn (col. X 16-30,
p. 21 Henrichs). Les stoïciens ne leur rendent pas les honneurs des cultes traditionnels. Ils
ne leur prêtent pas de formes humaines, mais y voient des airs, des souffles et des
éthers… Ils sont plus impies que Diagoras ! ei\q∆ o{ti toiouvtªouº" oujde; meãmeÃllhvkasin
ajpoleivpein oi{ou" sªevºbontaªiº pavnte" kai; hJmei'ª" oJºmologou'men: ajnqrwpªoºeªiºdei'" ga;r
ejkei'noi ge ãoujà nomivzousin ajlla; ajevra" kai; pneuvmata kai; aijqevra", w{sq∆ e[gwge ªkºa]n
teqarªrºhkovtw" ei[paimi touvtou" Diagovrou ªmºa'llon plhnmelei'n (X 30 – XI 8, p. 21
Henrichs).
112 RICHARD GOULET
51. Sur la distinction entre le mythe primitif et l’invention poétique, voir Cornutus,
Compendium, 26, 16-17 : e[oike ga;r oJ poihth;" muqou' ªteº palaiou' parafevrein tou'to
ajpovspasma. « Le Poète semble alléguer un fragment d’un mythe ancien ».
52. Philod., Piet., col. VI, 16-26 = SVF I 539 = II 1078 (p. 17 Henrichs) : ejn de; tw'ªiº
deutevrªwiº tav te eij" ∆Orfeva ªkai;º Mousai'on ajnaferªovmºena kai; ta; par∆ ªÔOºmhvrwi kai;
ÔHsiov d wªiº kai; Euj r ipiv d h/ kai; poihtaªi' º " a[ l loi" ªwJ º " kai; Kleav n qh" ªpeiºra'tai
sªuºnoikeiou'ªnº tai'" dovxªaiº" aujtw'ªnº. « Chrysippe, dans son deuxième livre Sur les
dieux, s’efforce, tout comme Cléanthe, d’approprier à leurs propres doctrines ce qu’on
rapporte à Orphée et à Musée, de même que ce qu’on trouve chez Homère, Hésiode,
Euripide et les autres poètes » (VI 16-26). Long comprend que « ce qu’on trouve chez
Homère, Hésiode, Euripide et les autres poètes » n’est rien d’autre que les noms des dieux
et les mythes traditionnels : « The “things” in question, as Philodemus indicates, were
divine names and myths transmitted by the poets ». En fait, il ne s’agit pas uniquement de
croyances mythologiques, mais du contenu (mythologique) de ces poèmes.
114 RICHARD GOULET
vues originales. Le fait que tous les stoïciens aient cherché l’appui des
poètes ne milite pas non plus en faveur de l’opposition que souhaite
établir Long.
Un dernier point mérite d’être souligné. L’interprétation que les
stoïciens dégageaient des poèmes d’Homère ou d’Hésiode n’était pas
uniquement de caractère physique. Elle pouvait fort bien relever de
l’éthique.
Môlu (Od., X 305), plante servant d’anti-poison. Les glossographes
en effet (y voient) le remède et en quelque sort le pouvoir d’attraction
des médicaments. Mais le philosophe Cléanthe dit que (le môlu) laisse
entendre, de façon allégorique, la raison, grâce à laquelle les tendances
et les passions sont affaiblies (mvlÊontai)64.
auparavant d’Antisthène ; mais celui-ci ne l’a pas travaillée à fond, tandis que l’autre l’a
mise en évidence dans chacun des cas de détail » (trad. Pépin).
64. Apollon., Lex., p. 114, 25 = Cléanthe, SVF I 526 : « mwlu » (Od., X 305) futo;n
ajlexifavrmakon. oiJ me;n ga;r glwssogravfoi to ; a[kesma kai; oi\on to; e{lkusma tw`n
farmavkwn : Kleavnqh~ de; oJ filovsofo~ ajllhgorikw`~ fhsi; dhlou`nqai to;n lovgon, di∆ ou\
mwluvontai aiJ oJrmai; kai; ta; pavqh. Sur l’interprétation de cette plante divine qui protège
Ulysse contre les philtres de Circé, voir Ph. Hoffmann, rapport de conférence (1993-
1994) à l’ÉPHÉ, Ve section, p. 267-270, qui signale pour sa part S. Amigues, « Des
plantes nommées moly », Journal des Savants, janvier-juin 1995, p. 3-29, et J. Rahner,
« Moly, das seelenheilende Kraut des Hermes », dans Griechische Mythen in christlicher
Deutung, t. II : Seelenheilung, 3e éd., Zürich 1966, p. 164-196.
118 RICHARD GOULET
Il est possible également que les stoïciens plus tardifs aient appliqué
plus systématiquement à Homère l’allégorie pratiquée par les premiers
scholarques. Lorsque Porphyre accuse Origène d’avoir appliqué aux
Écritures la méthode allégorique des Grecs, les deux sources qu’il men-
tionne sont Chérémon et Cornutus, des stoïciens tardifs65. L’allégorie
jouait déjà un rôle capital chez Cratès de Mallos (milieu du IIe siècle av.
J.-C.)66. Ce grammairien est présenté comme « philosophe stoïcien »
par la Souda67.
L’effort principal de Cratès avait consisté à accorder le texte
homérique avec les connaissances reçues, dans les milieux stoïciens, en
matière d’astronomie, de cosmographie et de géographie. […] La cri-
tique du texte devenait ainsi indissociable d’une vaste entreprise hermé-
neutique, conduisant à voir en Homère une source universelle de
connaissances « scientifiques » en matière d’astronomie, de cosmologie
et de géographie. Cratès, en effet, ne doute pas qu’Homère ait eu
l’intention d’instruire son lecteur, par le biais de l’allégorie, sur le
cosmos, les étoiles, la terre (dont Homère enseignerait la sphéricité et la
division en zones), sur l’océan (qu’Homère savait être une grande mer,
65. Porph., Chr., fr. 39 = Eus., H. E., VI, 19, 4-8 : « Il vivait en effet dans la
fréquentation constante de Platon et il pratiquait les écrits de Numénius et de Cronius,
d’Apollophane, de Longin et de Modératus, de Nicomaque et des Pythagoriciens les plus
célèbres. Il utilisait également les livres de Chérémon le Stoïcien et de Cornutus ; chez
eux il avait appris la figure métaleptique propre aux mystères grecs et il en fit
l’application aux Écritures juives ».
66. J.-M. Flamand, art. « Cratès de Mallos ou de Pergame » C 203, DPhA II, p. 487-
495. Voir aussi [W. Kroll], art. « Krates von Mallos » 16, RE XI 2, 1922, col. 1634-1461.
Pour les fragments, voir H.J. Mette, Sphairopoïa. Untersuchungen zur Kosmologie des
Krates von Pergamon mit einem Anhang : Texte, München 1936, XX-315 p. ; Id.,
Parateresis. Untersuchungen zur Sprachtheorie des Krates von Pergamon, Halle 1952,
V-206 p. ; Id., « Krates von Pergamon », Lustrum, 26 (1984), p. 95-104.
67. Souda K 2342, t. III, p. 182, 24 Adler. On sait par Strabon, XIV, 676 C., que
Panétius de Rhodes fut son disciple.
LA MÉTHODE ALLÉGORIQUE CHEZ LES STOÏCIENS 119
ment éthiques. (4) Ce n’est que plus tardivement, avec Cratès de Mallos
par exemple, ou son émule Héracléon, qu’on emploiera l’allégorie pour
révéler la philosophie ou la science d’Homère.