Polguère, Mel'cuk (2006)
Polguère, Mel'cuk (2006)
Polguère, Mel'cuk (2006)
Drivations smantiques
et collocations dans le DiCo/LAF
I. INTRODUCTION
2. la ncessit
FRANAISE
:,
67
le DiCo
(section 4.).
Dans cette section, nous allons prciser les notions de drivation sman
tique et de collocation, telles qu'elles doivent tre comprises dans le cadre de
la lexicologie explicative et combinatoire.
Une drivation smantique est une relation entre deux lexies base sur
une parent de sens. Plus prcisment, une lexie L2 est dite smantiquement
drive d'une lexie L^ si et seulement si les trois conditions suivantes sont
satisfaites :
- L2 entretient une relation smantique avec L[. Dans le cas plus typique, L2
se dfinit en terme de L,.
Par exemple, la lexie HACHE [= L2] est dfinie en terme de COUPER [= L,],
car le sens 'hache' - 'artefact servant couper...'.
- La relation smantique entre L2 et L-j est rcurrente dans la langue.
Par exemple, la relation entre HACHE et COUPER, 'artefact servant ...", est
rcurrente en franais : FRAPPER - MARTEAU, OUVRIR [une porte] -> CL,
FUMER -> PIPE, etc.
Puisque la relation smantique qui lie HACHE COUPER satisfait les trois
conditions ci-dessus, nous pouvons dire que la lexie HACHE est smantique
ment drive de COUPER.
Remarquons qu'un lien de drivation smantique qui est marqu explicite
ment par un moyen morphologique correspond une drivation au sens
68
11
s'agit ici
d'une drivation smantique (quasi) vide, qui correspond aux cas bien
connus suivants
Par convention, on inclut galement dans cette premire famille les termes
gnriques (cours d'eau pour rivire, lgume pour haricot...).
2.
Les deux lexies possdent des sens opposs (interdire et autoriser, petit et
grand...). 11 s'agit ici de l'antonymie exacte ou approximative.
3.
1.
Pour une dfinition rigoureuse, faite dans le cadre de la thorie Sens-Texte, cf. Mel'cuk (1995
Mel'cuk (2003a : 23 sq) ou Mel'cuk (2003b : 24 sq).
1S2 sq),
LANGUE
FRANAISE
\H
69
peut toujours tre modifie par gros (ou grosse). Les combinaisons ^rus cheval,
grosse mouche, gros sandxoich... sont, donc, des combinaisons libres de
lexies. Pour les construire, le locuteur se contente de slectionner des lexies
exprimant chacune un sens donn, puis de les combiner en se conformant
simplement aux rgles grammaticales de la langue.
pour brouillard
pour mchant
pour dormir
:
:
:
Ce sont ces expressions que nous appelons collocations et qui, avec les dri
vations smantiques, sont au c
de la description lexicographique du DiCo.
De faon non formelle, on pourrait dfinir la collocation de la faon suivante :
Une collocation est une combinaison de lexies qui est construite en fonction de
contraintes bien particulires elle est constitue d'une base, que le locuteur choisit
librement en fonction de ce qu'il veut exprimer (argument, brouillard, mchant...), et
d'un collocatif (massue pour argument, dense pour brouillard, connue une teigne pour
mchant...), choisi pour exprimer un sens donn (ici, 'intense') en fonction de la base.
:
Jean
~
~
collocation
70
Puisque dans les deux cas nous sommes en prsence de liens lexicaux
orients, il est possible de modliser les deux phnomnes au moyen d'un
mme outil descriptif. 11 s'agit de pointeurs qui, pour chaque lexie dcrite
dans un article de dictionnaire, spcifient ses drivs smantiques et ses collo
catifs ; par exemple :
couper - instrument - hache
mchant - intensificateur > comme la vale
mchant - intensificateur > comme une teigne
La description des liens lexicaux offerte par le DiCo - comme par toute
modlisation du type Dictionnaire explicatif et combinatoire (Mel'cuk et al. 1984,
1988, 1992, 1999) - s'appuie sur un ensemble restreint de patrons de liens lexi
caux drivationnels et collocationnels, qui sont des liens lexicaux standard.
Chaque lien lexical standard est modlis comme une fonction , au sens
mathmatique, qui s'applique aux lexies pour retourner la liste de leurs
drivs smantiques ou de leurs collocatifs. On peut donc crire, en s'inspirant du formalisme mathmatique f (x) = y :
Lien lexical(lexie)
LANGUE
FRANAISE
71
Instruirtent(coHUi'r) = hache...
Intensif
icate\ir(mchant) = comme la gale, comme une teigne...
Chaque FL standard modlisant un type de lien particulier porte un nom
spcifique, que l'on retrouvera dans l'encodage du lien en question quelle que
soit la langue dcrite par le dictionnaire explicatif et combinatoire. Ainsi, la
fonction retournant les noms d'instruments s'appelle Sinstr ; celle retournant
les collocatifs intensificateurs s'appelle Magn. Les formules ci-dessus peuvent
donc se rcrire
Sinstr(copc?") = hache...
Ma.gn(mchant) = comme la gale, comme une teigne...
Deuximement, le contenu d'un collocatif, d'un Magn par exemple, peut tout
tait s'exprimer de faon fusionne, c'est--dire au moyen d'une lexie qui
n'est pas un collocatif de l'argument de Magn mais plutt un synonyme plus
spcifique, incluant le sens d'intensification. Dans nos descriptions, nous indi
quons une valeur fusionne au moyen de l'oprateur //. Comparons, par
exemple, les diffrentes valeurs de Magn de l'acception de base de PAUVRET
ci-dessous, que nous avons extraites du DiCo :
grande
Contrairement aux adjectifs grande, profonde, etc., le nom misre n'est pas
un collocatif de pauvret, mais un substitut . II s'agit d'une lexie qui entre
tient un lien paradigmatique de quasi-synonymie avec PAUVRET, tout en
tant un Magn de cette lexie
!
On voit quel point le systme des FL, appliqu la lettre, nous force consi
drer ensemble les notions de liens paradigmatiques et de liens syntagmatiques.
Pour qui croit en la sparation profonde, conceptuelle, de ces deux notions, c'est
clairement une tare du systme en question. Mais pour celui qui, au contraire,
pense que ces deux types de liens sont intrinsquement lis du point de vue de
l'utilisation du code linguistique par le locuteur, c'est un bnfice considrable.
Cette remarque nous permet d'avancer ce qui est peut-tre notre slogan quant
la modlisation des collocations et des drivations smantiques.
Le systme des FL standard, plus qu'un outil d'encodage, est un outil d'explora
tion et de modlisation des liens lexicaux paradigmatiques et syntagmatiques,
ces deux types de
dans le DiCo
rgime syntaxique.
Caractristiques grammaticales
11 s'agit des proprits de combinatoire qui sont avant tout d'ordre gram
matical comme la partie du discours, le genre grammatical (pour les noms),
les restrictions lies l'emploi du dfini/indfini ou du nombre (pour les
noms), etc. On considre ici aussi les contraintes d'emploi de nature plus
pragmatique, comme celles dont rendent compte les marques d'usage (formel,
FRANAISE
73
tiquette smantique
L'tiquette smantique d'une lexie est un lexme ou un syntagme qui fonc
tionne comme genre prochain de sa dfinition lexicographique - cf. Polgure
(2003b). Les tiquettes sont souvent utiles pour distinguer les diffrentes
acceptions d'un vocable. Cependant, leur intrt va bien au-del. En effet,
l'tiquette smantique rsume la quintessence smantique de la lexie et
permet donc d'effectuer des prdictions trs fortes quant aux liens de FL que
celle-ci peut contrler. De plus, parce qu'il engendre une classification des
units lexicales, le systme d'tiquetage du DiCo permet au lexicographe
(comme l'usager) de facilement rcuprer les donnes sur les lexies ayant
une forte parent de sens.
Structure actancielle
La structure actancielle de la lexie est sa caractrisation en tant que
prdicat smantique. 11 existe bien entendu une forte corrlation entre struc
ture actancielle et tiquette smantique. Par exemple, toute lexie tiquete
sentiment possdera au moins un premier actant correspondant l'tre
anim prouvant le sentiment en question ; dans de trs nombreux cas, il y
aura aussi un deuxime actant, correspondant la source du sentiment. Autre
exemple les lexies tiquetes confrontations
d' ides - comme D13AT1
[Un dbat entre partisans et adversaires de la peine capitale agite la socit.], dont il
sera question plus loin - ont typiquement une structure actancielle trois
actants "~ entre X et Y propos de Z\
:
Rgime syntaxique
Le rgime syntaxique de la lexie est la correspondance entre ses actants
smantiques, syntaxiques profonds, syntaxiques de surface et leurs expres
sions dans la phrase. Il s'agit donc de la faon dont une lexie contrle l'expres
sion de sa structure actancielle.
74
sinq,
s'emploie
surtout
avec un modificateur
entit
physique
endommage
Champ nb : nota bene (ensemble assez htrogne d'informations non encore formalises)
Champ Syn : liens de FL associs
{QSyn} nasse informe
{Telle
eue X est une partie
eu corps
ensanglante}
sanglante,
sanguinolente
postpos
/* [X] tre une B. */'
{Operl}
tre
[ART ~j , n'tre
eue [ART -]
/* i Qqn . /Qqch . ] causer que X sci't de la E.*/
{CausOperl}
rduire
[N=X en AR? ~]
Champ ex : exemples d'emploi du mot-vedette
Il rcuisit
en une bouillie
sanguinolente
les entrailles
ce la pauvre
crature.
Avec la chaleur,
nos jolies
pches ne sont plus que
I
de la
bouillie.
Figure
I :
trois autres acceptions sont : BOUlU.IEI.l [11 mange nue bouillie d'avoine.], BOUILLIEI.2 |i/
marchait dans une sorte de bouillie d'argile.] et BOUILUH1I1 [Si? thse est nulle; c'est une bouillie d'ides
incohrentes.].
2. Les
LANGUE
FRANAIS!
75
(2)
bouillie.
du lien
0.'ale::r>
ce fonction
lexicaie>*/'
informe
postpos
que
ensanglante}
es:
une partie
sanglante,
du corps
sanguinolente
postpos
Nous avons ici un lien de FL non standard qui encode une combinatoire
courante du mot-vedette. Les expressions bouillie sanglante et bouillie sanguino76
Notons, pour conclure sur le sujet, que les liens de FL non standard sont
traditionnellement encods dans les dictionnaires explicatifs et combinatoires
au moyen d'expressions non formalises, qui fonctionnent comme des para
phrases du lien en question. Ces expressions n'ont pas besoin d'tre vulgari
ses puisqu'elles sont immdiatement interprtables sans connaissance du
systme des FL standard. On trouve par exemple les liens non standard
suivants dans la fiche DiCo de DBAT2 [Elle participe un dbat tlvis sur le rle
de l'cole dans la socit.]
X1
D. en
apposition
un dner-dbat
"j
FRANAISE
.'
77
3.3. Division
C'est un fait bien connu qu'un mot polysmique (un vocable, dans notre
jargon) doit tre divis, pour fins de description lexicographique, en accep
tions correspondant chacune une unit lexicale spcifique. Une unit de
description lexicographique correspond donc la modlisation d'une unit
lexicale, pas celle d'un mot polysmique. Cependant, lorsqu'il est question
de la description des drivations smantiques ou des collocations, on a
tendance oublier celte vrit banale et runir dans une mme numration
les drivations et les collocations de toutes les acceptions d'un vocable. C'est
le dfaut principal de plusieurs dictionnaires de collocations, qui les invalide
un degr significatif. Cela s'explique par le fait que la division d'un vocable
en units lexicales, c'est--dire la rsolution de la polysmie, est une des
tches les plus difficiles que doit affronter le lexicographe.
Cependant, les drivations et les collocations sont trs sensibles la poly
smie. Tel driv ou telle collocation sera possible pour telle acception d'un
mot polysmique, mais pas pour une autre. Ainsi, LVATION est driv
d'LEVER 'porter un rang suprieur", tandis que LEVAGE vient d'LEVER
's'occuper des animaux" ; ATTAQUER 'commencer le combat" a le nom
d'action ATTAQUE (une attaque des blinds), mais pas ATTAQUER "dtruire la
substance de qqch.' (*une attaque de l'acide) ; on dit que l'arme bat en retraite,
mais on dit que l'employ en fin de carrire part la retraite. Nous pourrions
continuer citer des exemples de ce type par milliers, mais point n'est
besoin de le faire : en thorie, tout le monde ou presque est d'accord sur la
ncessit de rsoudre la polysmie, mme si en pratique on nglige souvent
de le faire.
Dans notre projet DiCo/LAF, une bonne division du vocable en units
lexicales est une condition sine qttn non une prsentation valide des liens lexi
caux. Nous ne nous permettons jamais de runir drivs smantiques et collo
cations sous un mme mot-vedette sans gard pour sa polysmie ventuelle.
Plus que cela, la diffrence des drivs et des collocations sert souvent d'indi
cateur sr pour la distinction des acceptions.
3.4. Extraction
de nouvelles
structures de donnes
partir du
DiCo
Grce une Chaire Biaise Pascal accorde 1. Mel'cuk et une collaboralion avec J. Steinlin (Paris 7) et S. Kahane (Paris 10), nous disposons depuis
tout rcemment d'un transmuteur de DiCo qui compile l'ensemble de
l'unit lexicale de
base du vocable).
3. On peut tlcharger celle adresse une documentation dtaille prsentant le DiCo, sa struc
ture compile et l'interface DiCoube : Jousse & Polgure (2005).
Il s'agit d'une faon volontairement nave de prsenter les choses. On pourrait tout fait perce
a affaire deux situations concrtes diffrentes, et ensuite se rendre compte,
l'examen du comportement linguistique de dbat, que le franais ne dispose ici que d'une lexie
vague, qui permet de dsigner les deux situations en question.
4.
[ANUE
FRANAISE
D13AT2
un vnement
DBATS.!
se sont
mis
DBAT3b
r.on"i,
ma se
dbat * 1
tiq.
confrontation
Syn
dialogue#2
dbat -.2
Etiq.
=
Syn
dbat
=-3
d'ides
change
Syn
dbat=; 3 b
Etiq.
discussion
en public
dbats 2 public
_table i'cnde_ ; face--face
Etiq.
80
,-
discussion
en public
dbat i\ 3a parlementaire
sance
discussion
en public
polmique
"angl" panel
dialogue#la
Nous indiquons ci-dessus en gras les lexies dj dcrites dans le DiCo, que
l'on utilisera comme points de dpart pour la description des acceptions de
DBAT dont elles sont des quasi-synonymes.
LANGUI
AN
A I
81
Faute de place, nous ne pouvons prsenter ici le contenu des fiches dcri
vant les lexies de DBAT. La modlisation DiCo de ce vocable est cependant
accessible en ligne via l'interface DiCoube (mentionn plus haut). Si l'on
consulte les donnes sur DBATi, on noiera que le champ ph de sa fiche DiCo
contient l'numration des phrasmes complets (= des locutions) 'dbat de
CONSCIENCE"1 et rDBAT INTRIEUR1. Cette information est trs importante car
elle indique que, selon nous, il n'existe pas d'autres acceptions de DBAT qui
correspondraient aux exemples ci-dessous :
(3)
a.
b.
Gide n'a pas publi son ouvrage sans un cruel dbat de conscience,
Racine a distribu sur deux personnages les ples du dbat intrieur.
>s
rEN BOUILLIE1.
Nous n'avons pas la place de commenter ici la description des trois autres
lexies de DBAT. On notera simplement que DBAT2 se construit d'une part
partir de DBATi, dont elle emprunte nombre de liens lexicaux, et d'autre part
partir de la fiche de DIALOGUEia {C'tait clairement un dialogue entre deux
amants perdument amoureux.], dj disponible dans le DiCo. Notons que nous
nous sommes volontairement abstenus, dans le cadre du prsent exeirice, de
faire des recherches dans des dictionnaires et rpertoires de drivations
smantiques et collocations pour complter nos donnes.
82
apporter
{Reall/2--I;
/*Ce
qqch.
contribuer
que X/Y
dans
un D.*7
; ART -j
apporte
dans
un D.*/'
{SresReall/2--II}
contribution
[de N=X/Y ART ~] [ Les cramiissions
piscopales
viennent
d'apporter
une
contribution
importante
au dbat. ]
/*D. mne un rsultat*/
{FactO--II}
aboutir,
dboucher
/*[Qn./X]
causer de faon autoritaire
que le D.
mne un rsultat*/
{ce
faon
autoritaire
Caus
FactO--II
trancher
[ART ~]
encod dans la langue qu'un dbati a une finalit, un but que cherchent
atteindre les participants (X et Y) de la situation en question. Cette observa
tion est d'ailleurs corrobore par la prsence de collocatifs de type Ver (FL
associe au sens trs gnral 'tel qu'il doit tre") ou AntiVer qui sont directe
ment lis la notion de finalit :
/*Utile*/
{Ver-finalit}
concluant
/*Inutile*/
{AntiVer-f
inalit}
inutile,
postpos,
strile,
fructueux,
utile
vain
d'autres termes, dbat inutile n'est pas une expression aussi -- innocente que chaise inutile, fatigue
inutile... ; elle doit tre considre comme une collocation malgr son faible degr d'idiomaticit.
6. En
LANGUE
FRANAISE
-:
83