VII - La Guerre À Quinze Ans
VII - La Guerre À Quinze Ans
VII - La Guerre À Quinze Ans
VII
- LA GUERRE A QUINZE ANS VENNER Dominique, Histoire de la Collaboration, Pygmalion, 2000.6
DELONCLE, DARNAND, DEAT, DORIOT, BUCARD, dautres encore que nous avons voqus dans leur vie,
leurs desseins et leur action, tous sont des hommes faits. La plupart des cadres de leurs mouvements, mme les
plus jeunes, GALLET, BASSOMPIERRE, BOUT de lAN, GAUCHER, CANCE, TISSOT, ont dj particip la guerre de
40.
On connat beaucoup moins bien la trs jeune gnration, celle des garons et filles qui eurent quinze ans vers
1943. Ces jeunes furent pourtant nombreux dans les mouvements de jeunesse collaborationniste, Jeunes du
marchal, Jeunes de lEurope nouvelle (JEN), Jeunesse de France et dOutre-Mer (JFOM), Jeunesse franciste
(JF), sans compter les jeunes du PPF (UPJF) ou du RNP (JPN). Ce sont les grands oublis de lhistoire. Nous
allons les voquer travers litinraire particulirement rvlateur de lun dentre eux, lycen de treize ans la
rentre scolaire de lautomne 1940.
Le hasard de mes recherches durant la prparation de ce livre ma permis de rencontrer ce tmoin
exceptionnellement lucide et de linterroger longuement en septembre 1989. Au cur de lOccupation, en 1943,
mon interlocuteur avait quinze ans. Malgr son trs jeune ge, on let alors class parmi les collabos de
lespce la plus fanatique. Mais quel sens cela avait-il pour un gamin de quinze ans ? Jai retranscrit lessentiel
de ce quil ma confi, sous forme de notes rapides. Je les livre telles. Ce quelles racontent me semble de
premire valeur pour approcher lune des vrits de lpoque. Elles en prsentent un aspect inattendu, loin de la
poussire froide des archives, loin aussi des lambris de Vichy, des salons de lAmbassade, des salles de
rdactions parisiennes, des tribunes o proraient les tnors de la politique. Lhistoire quelles restituent la
faon dun scnario de film est celle de jeunes inconnus dont on ne parle jamais, presque des enfants, grandis
trop vite lombre grise et rouge de la guerre. Elle montre que rien nest simple dans une poque tragique.
Pour prserver lidentit de mon interlocuteur, il porte ici le nom dHenri.
- ANNEE SCOLAIRE 1940-1941 Classe de 3e, Henri a treize ans.
Rentre doctobre 1940 Paris, au collge Stanislas. Une rentre comme personne nen reverra jamais.
Aprs la dfaite et lexode, tous les lves ont dincroyables rcits daventures ou dhorreurs raconter.
Le choc de la dbcle ouvre un vide bant dans la conscience de ces gamins qui conservent le souvenir du
triomphal dfil du 14 juillet 1939 et ont la tte encore farcie des exploits des vainqueurs de 1918. Trois des
oncles dHenri avaient t tus durant la Grande Guerre. Comme un certain nombre de ses copains, il a t
marqu par le souvenir des fusiliers marins de Ronachs Dixmude, des chasseurs de DRIANT au bois des
Caures, des coloniaux de FRANCHET dESPEREY, et, bien entendu, de Charles GUYNEMER, ancien du collge. Ces
enfants de la gloire ne se remettront jamais de leffondrement des adultes de 1940.
Nuanons. Le traumatisme ne touchera rellement et de faon indlbile quun sur dix peut-tre des
potaches de troisime. Proportion sensiblement gale, je pense, la moyenne nationale.
Lattitude de ces enfants lgard des Allemands est ambigu. Elle est faite dun mlange dhostilit et
dadmiration. Ils hassent les vainqueurs, mais ils ne sont pas indiffrents lallure des soldats jeunes, nets et
sportifs, qui les changent des ridicules bidasses franais.
A lautomne 1940, malgr Montoire, la notion de collaboration est encore nettement absente de leur
esprit.
En revanche, depuis Mers-el-Kbir (3 juillet 1940) et Dakar (23 septembre 1940) lhostilit des
gamins est gnrale lencontre de ces salauds dAnglais. Sentiment encore plus fort aprs les combats de
Syrie (juin-juillet 1941). Plusieurs voudraient pouvoir se battre. Quant aux gaullistes, quon appelle
dissidents , ils sont les derniers des derniers puisquils sopposent au Marchal.
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N.d.l.r. : Aux cts des volontaires, jeunes adultes de la division Charlemagne, il est intressant de sattarder sur une autre
composante de la jeunesse de lpoque et des trs nombreux adolescents, qui ne pourront rejoindre le front de lEst, faute dautorisation
parentale ou de circonstances fortuites.
Sans condamnation, pour avoir t freins par les circonstances du moment, combien pouvaient-ils tre de milliers, tre rests sur leur fin.
Avec quelle amertume ont-ils poursuivi leur itinraire familial et professionnel, dans laprs-guerre ?
Les pourfendeurs daujourdhui, ont-ils eu un aeul de la personnalit de cet Henri, que raconte Dominique VENNER dans son ouvrage
Histoire de la Collaboration.
Ainsi la reprsentation de cette jeunesse se structure par cinq notes :
- Anne scolaire 1940-1941 :
Classe de 3e. Henri treize ans ;
- Rentre doctobre 1941 :
Classe de 2nde Henri a quatorze ans ;
- Rentre scolaire doctobre 1942 :
Classe de 1re Henri a quinze ans ;
- Rentre doctobre 1943 :
Classe de Tle Henri seize ans.
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Chaque gnration doit recrer un nouvel quilibre,
entre le maintien de la tradition et la rupture avec le pass. K. LORENZ
Le Marchal cest Dieu le Pre ou tout comme. Objet dune dvotion perdue quencourage le clerg de
Stan, plein de reconnaissance pour les mesures favorables aux coles libres. Par contre, les collgiens nont
aucune sympathie pour Pierre LAVAL, louche politicien tte de rastaquoure. Parmi les grands personnages de
lEtat nouveau, lamiral DARLAN est celui qui a la cote. Il a une belle gueule et il est invaincu. Cest par lui, en
1941, que va se glisser dans les esprits lide de collaboration.
Le collge souffre de labsence de jeunes profs, prisonniers en Allemagne. Le corps ducatif et
professoral est compos de prtres gs, la gnration de 14-18. Mal encadrs, les gamins sont livrs euxmmes.
Ce qui surnage chez beaucoup, cest un grand besoin de se dvouer, encourag par lair du temps. Un
certain nombre trouve un exutoire dans la Confrence de Saint-Vincent-de-Paul, institution religieuse daide aux
vieillards et aux dmunis.
Dans la routine de lcole, le printemps 1941 introduit une nouveaut dimportance, la cration des
jeunes du Marchal , sorte de scoutisme politis. Les prtres de Stan favorisent le recrutement. Dans la classe
dHenri, sur la trentaine dlves de troisime, on compte trois inscrits, dix pour cent.
Particularisme dHenri : son pre est sympathisant du PPF. On lit le Cri du peuple la maison et surtout
Je Suis Partout. On y commente les informations de la radio. Cette imprgnation familiale sera capitale dans son
engagement ultrieur. Cependant, Henri reste hostile aux Allemands, que lon ne voit dailleurs jamais sous les
fentres de Stan.
An dbut de 1941, sur les trente lves de troisime, on ne connat quun seul gaulliste. Il na pas la vie
facile. Pourtant, en 1945, rencontrant par hasard Henri et le sachant proscrit, il soffrira gnreusement le
planquer.
Toujours au dbut 1941, il ny a galement quun seul partisan ouvert de la collaboration. Il pouse en
cela lopinion de son pre, un magistrat, sympathisant du RNP, futur procureur gnral dans les procs de lOAS
la fin de la guerre dAlgrie. Engagement sans suite, comme cela est frquent. A la rentre 41-42, le jeune
collabo retournera au nant de lindiffrence.
Le dbut de la guerre lEst, le 22 juin 1941, na laiss aucune trace prcise dans le souvenir dHenri.
Une guerre de plus de ces satans Allemands et voil tout.
En revanche, linstar de ses copains Jeunes du Marchal, il est scandalis par la cration de la LVF.
Quoi ? Porter luniforme boche, luniforme des vainqueurs ! Plus tard, quand les Allemands deviendront des
perdants, ce sera diffrent. Il y aura de llgance et du romantisme les rejoindre. Mais on nen est pas l.
Vacances de lt 1941 en zone Sud.
Le collge Stanislas possde une filiale Cimiez, au-dessus de Nice, fief de Joseph DARNAND. Henri et
ses copains y passent un mois. Exprience capitale. Ils y ont la rvlation dun ptainisme muscl et triomphant,
une sorte de pr-fascisme tricolore, inimaginable en zone occupe. Une dbauche de drapeaux, de dfils
militaires. Parade de la Lgion des combattants et du SOL. Des photos de PETAIN partout. Une atmosphre
cocardire et revancharde trpidante, anti-italienne et antiallemande. Henri en revient enthousiaste, transform.
- RENTREE SCOLAIRE 1941 Henri a quatorze ans.
Les Jeunes du Marchal (JM) se dveloppent et sorganisent dans le souvenir euphorique de lt niois.
A Stan, ils sont une trentaine faire partie du mouvement. Se sentant protgs par leur appartenance, ils cultivent
un rjouissant esprit frondeur lgard des vieux profs.
En avril 1942, le mouvement reoit une impulsion nouvelle avec larrive dAbel BONNARD
lEducation nationale. Le ministre acadmicien sappuie plus ou moins sur les lves contre les profs. A tour de
rle, les Jeunes du Marchal vont monter la garde, en uniforme, sous les dorures du ministre. Service trs
recherch. Il permet de scher les cours avec la bndiction officielle. Les JM portent en principe un pantalon de
ski, un blouson bleu et un insigne form dun cu blanc sur lequel se dtache une francisque rouge. Le grand
chic !
A la suite des bombardements anglais sur Boulogne-Billancourt et la banlieue Ouest, le 3 mars 1942,
les JM participent au secours, aux dblaiements des dcombres et mme la mise en bire des morts. Un moyen
trs sr de sortir de lenfance. On leur distribue des casques de la dfense passive. De temps en temps explose
une bombe retardement, cadeau britannique lusage des sauveteurs. Cela naugmente pas langlophilie.
Au printemps 1942, larrive de Jean-Marie BALLESTRE la direction des Jeunes du Marchal entrane
une politisation accrue du mouvement et un glissement sensible vers la collaboration. Henri note que cette
volution est particulirement sensible chez ceux qui apprennent lallemand et ont donc un accs naturel la
culture germanique.
Pour les lves de Stan, larme doccupation est toujours aussi invisible et loin de leurs penses.
Vacances de lt 1942 en Mayenne.
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Chaque gnration doit recrer un nouvel quilibre,
entre le maintien de la tradition et la rupture avec le pass. K. LORENZ
Dans le village o vie sa tante, Henri dcouvre la terrible division de Waffen-SS DASA Reich au repos
avant de repartir en Russie.
Il est extrmement du. Les SS sont polis, propres et ne ressemblent pas du tout aux retres de Gengis
KAHN. Certains sont logs chez la tante. Par provocation, Henri pingle dans sa chambre de grands portraits des
marchaux victorieux de 1918, JOFFRE et FOCH, dcoups dans de vieux numros de Lillustration. Effort inutile.
Les trop corrects SS nauront pas la curiosit daller voir.
Quand mme, quelque chose lui plat. Dans la chambre quils occupent, les SS ont dcroch le crucifix et
les images pieuses de la tante. Cela parat plutt sympathique llve des bons pres, rendu allergique par six
bonnes annes de regards souponneux et dinquisition feutre.
- RENTREE SCOLAIRE DOCTOBRE 1942 Henri a quinze ans.
Henri est pensionnaire. Cest le bonheur. Il change sa famille contre le clan trs slectif des internes.
Le climat gnral a chang. Les Allemands ne sont plus les vainqueurs tout puissants dhier. Ils
commencent enregistrer des checs et reculer. Ils deviennent intressants, presque sympathiques. Un
professeur dhistoire, sympathisant PPF, instille dans les esprits une ide nouvelle. Que se passerait-il si les
Russes gagnaient la guerre et arrivaient Paris ?
Novembre 1942. Dbarquement alli en Afrique du Nord. Le Marchal appelle rsister. Quelques
jours plus tard, la trahison de lamiral DARLAN traumatise les Jeunes du Marchal. Elle est incomprhensible
des garons de quinze ans levs dans le culte de lhonneur. Henri voudrait sengager dans la Phalange
africaine, dont on annonce la cration pour la dfense de lEmpire.
Avec une souplesse remarquable, le clerg de Stan prend un subtil virage, passant du ptainisme au
giraudisme, en attendant de virer au gaullisme, sinon au communisme. Au dbut de 1941, pour fustiger des
rsultats mdiocres, le redoutable abb SCHNEIDER, censeur des tudes, avait dclar aux lves quil fallait
prendre exemple sur ladmirable jeunesse hitlrienne . Bientt, il vantera lexemple de ladmirable jeunesse
amricaine . Henri apprend que lEglise pouse le parti des puissants. Ses copains suivent lvolution.
Subsistent dix pour cent dirrductibles, comme au dbut. Trois sur une classe de trente.
Sous linfluence de quelques chefs, travers des films de propagande leffet dtonant, les Jeunes du
Marchal dcouvrent la face publicitaire du national-socialisme. Dans Le jeune hitlrien Quex, histoire dun
garon des Hitlerjugend (HJ) tu par les communistes lors des combats pour le pouvoir, se manifeste un univers
fascinant, affranchi des parents et du clerg, une sorte de dictature de la jeunesse, joyeuse et fanatique (mot
dHenri).
A lissue du film, certains chefs distribuent des tracts : Nous partons dans les formations de combat
motorises nationales-socialistes, les NSKK. Venez avec nous ! Une centaine des plus gs iront en effet
sengager. La NSKK a parat-il un got sulfureux beaucoup plus excitant que la LVF.
Aprs cet esclandre, les Jeunes du Marchal sont dissous.
Les pensionnaires de Stan chargent alors les externes de faire le tour des mouvements politiques de jeunes pour
savoir o aller. Les missaires apportent des tracts et des notations dambiance, comme au salon des Arts
mnagers.
Ni le PPF de DORIOT ni le RNP de DEAT ne font recette. Henri considre DEAT comme un politicard
et un raseur . Il a cout une fois DORIOT dans un meeting. Lourde atmosphre communiste. Discours fleuve de
trois heures, totalement chiant (cest son mot). Seul la Jeunesse franciste le botte. Dabord, Marcel BUCARD,
chef du Francisme, porte la plus longue croix de guerre et ses militants se disent ouvertement fascistes. Voil des
types qui nont pas peur de leur petit doigt.
Une douzaine de jeunes de Stan adhrent donc en bloc la Jeunesse franciste (JF), sans un mot leurs
parents. En faisant le mur, ils participent leur premire runion publique, au Moulin de la Galette, pour soutenir
la Phalange africaine. Mais la majorit des ex-Jeunes du Marchal dcrochent prudemment et rentrent dans leurs
pantoufles.
La jeunesse franciste est pugnace, active, provocante. A Paris, elle est la plus nombreuse des formations
de jeunesse politique. Elle a deux animateurs, Pierre BOUSQUET, charg de lorganisation et surtout Claude
PLANSON. Dj homme de thtre, silhouette coupante, charisme la Jack LANG, PLANSON fait rgner sur le
mouvement une trs excitante atmosphre dans le style Marche sur Rome de 1922. On parle dailleurs
beaucoup de prise de pouvoir et mme de Marche sur Vichy . Lesprit europen remplace lesprit cocardier.
JOFFRE et CLEMENCEAU sont oublis pour les martyrs du fascisme, CODREANU, Jos-Antonio, Horst WESSEL.
Les six premiers mois de 1943 sont marqus par des bombardements rpts sur la rgion parisienne.
Les sirnes donnent le signal de la fuite aux abris. Chauss de galoches semelles bois, le ventre creux, Henri
fait le mur pour des errances hallucines dans la nuit, au milieu des ruines, des cadavres et des explosions. Le
monde des profs et du collge lui devient insupportable.
Camp de Pques 1943. Nouveau choc.
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Chaque gnration doit recrer un nouvel quilibre,
entre le maintien de la tradition et la rupture avec le pass. K. LORENZ
Deux cents JF y participent quand survient un garon de 18 ans, Raymond LOTTHE, un Flamand. Belle gueule
nordique tout en sourire. Au lieu du calot de la JF, il porte une casquette genre HJ. Il a la tte pleine de chants de
lansquenets et de lgendes germaniques. Il fait un malheur.
Habile, charmeur, LOTTHE embobine BUCARD qui lui confie la rorganisation des cadets (8-12 ans). Il
recrute des cadres chez des JF de seize ans, leur donnant le nom magnifique d officiers jeunesse . Sous son
influence, les cadets commencent cultiver le folklore germanique et le mpris du style franchouillard.
En juillet 1943, pour son dixie anniversaire, grand congrs du parti franciste. Dfil sur les ChampsElyses en chemise bleue. Meeting dans un Vel dHiv rempli. Trois jours de manifs, de discours, de chants.
Cest lapothose avant la chute. Le temps semble suspendu avant les orages et les catastrophes. Henri assure
que tout le monde en avait la prescience.
Les attentats contre les collaborateurs ont commenc depuis longtemps, visant dabord PPF et
Miliciens. Le 14 juillet 1943, Raymond GIGUEL est le premier franciste abattu.
Vacances dt 1943.
Henri et ses copains participent au fameux camp des Mille Semblanay, prs de Tours, sous la
direction de PLANSON. Ce camp rassemble effectivement un millier de jeunes francistes, garons et filles, dont
deux cents cadets. Uniformes, chants, drapeaux, veilles, dcorum fasciste .
Influencs par LOTTHE, les officiers de cadets mettent un point dhonneur ne plus aller la messe.
Ils dcouvrent la mythologie, tout un univers passionnant et inconnu. Ce germanisme nest pas allemand. Il se
veut europen, sur le thme : Germains de tous les pays et de toutes les langues unissez-vous ! Henri est
subjugu. Dautres renclent, campant sur la trilogie franciste : franais, catholique, franciste .
Dans la suite des vacances, Henri senivre de lectures qui sont un peu le mot de passe de sa gnration,
La vie en forme de proue de MONTHERLANT, Les vraies richesses de GIONO, Notre avant-guerre de
BRASILLACH, Les Dcombres de REBATET et surtout La Gerbe des forces de CHATEAUBRIANT.
- RENTREE SCOLAIRE DOCTOBRE 1943 Henri a seize ans.
Devenu indsirable Stanislas, Henri est inscrit comme demi-pensionnaire dans une bote bac. Il jouit
dune libert presque totale, inimaginable chez les bons pres , ce que favorise encore une dsunion familiale.
Latmosphre a brusquement chang depuis lt. MUSSOLINI a t renvers et mme arrt en juillet. Il
tait la rfrence suprme, le fondateur. Sa chute impose soudain le spectre dune dfaite du fascisme. Pourtant,
sa libration par le commando SS de SKORZENI, en septembre, a rendu un peu despoir. Cest aussi un
formidable coup de pub pour le Reich. Ces sacrs Boches restent les meilleurs !
En attendant, les bombardements anglo-amricains se multiplient. Les jeunes de tous les mouvements
participent aux secours.
Sentant le souffre, les cadets sont dissous par la direction du parti franciste. Tout bascule. En octobre
1943, avec dautres ans de la JF, Pierre BOUSQUET sengage dans le premier contingent de la Waffen-SS
franaise, aurol dun grand prestige. Les affiches disent quil sagit dune arme europenne.
Les attentats se multiplient contre les collabos . La guerre civile sinstalle et submerge tout. En
Novembre, salle Wagram, BUCARD annonce que six francistes, abattus par la Rsistance, ont dj t
vengs .
Selon Henri, les partis de la collaboration seffilochent. La querelle DEAT-DORIOT-BUCARD nintresse
personne et surtout pas les jeunes ? Ils prennent leurs distances, cherchant des rapprochements avec tous leurs
congnres des autres mouvements, notamment dans le cadre des Jeunes de lEurope Nouvelle (JEN). Lunion
favorise la base la cration de la Milice de zone Nord en janvier 1944.
Le tournant de lanne 1944 laisse Henri un souvenir affreux de basses tueries. Se procurer une arme
devient une hantise quotidienne. En fouinant chez ses parents, il a trouv un pistolet dalarme. Parmi ses trois
meilleurs copains, un seul a russi se procurer un mchant 6,35 mm barillet. Que faire ? La tentation est
grande de sintgrer aux groupes de combats ; les Selbstschutz, quorganise le SD. Cest le moyen le plus
efficace de se procurer une arme et de se dfendre contre les terros .
Le printemps 1944 est annonciateur de la fin dun monde. Avec les siens, Henri est immerg dans une
ambiance trange, onirique et tragique, mlant les rveries la BRASILLACH et les violences la MALRAUX.
Promenades rotico-sentimentales au bois de Boulogne, un revolver dans la poche, avec les filles des
mouvements de jeunesse. Les conventions morales et sociales sont pulvrises. Et ils ont seize ans et possdent
la claire perception que leur monde va disparatre. Ils veulent vivre intensment leur jeunesse pendant le bref
sursis qui leur est accord. Ensemble, garons et filles, ils vont regarder les films allemands, se voulant
nationaux-socialistes maintenant que la cause est perdue. La Waffen-SS est la dernire rfrence qui tient leurs
yeux, comme une pe de feu. Curieusement, ils restent antiallemands, hostiles la Wehrmacht. LEurope dont
ils rvent nest pas lAllemagne. Cest une communaut quils croient dcouvrir dans les camps germaniques
ouvert depuis 1943 des jeunes de toutes nationalits. Ils y prouvent une camaraderie et une libert sans
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Chaque gnration doit recrer un nouvel quilibre,
entre le maintien de la tradition et la rupture avec le pass. K. LORENZ
frontires. On y change des baisers avec des filles blondes aux durs genoux. On change aussi des insignes et
parfois des armes. Henri en ramne un poignard de la Hitlerjugend.
Vacances de 1944. Et de la Libration.
Henri se trouve stupidement bloqu dans lYonne par un accident sans gravit. Cest l que sarrte son
histoire. Victime dune mprise et dune querelle entre rsistants, il est arrt quelques heures par des FFI qui le
prennent pour un FTP. Son aventure finit donc en ricanement.
Mais il na pas envie de rire. Son monde sest croul.
Il a seize ans et ses camarades vont mourir
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Chaque gnration doit recrer un nouvel quilibre,
entre le maintien de la tradition et la rupture avec le pass. K. LORENZ