Cahiers Du Cinema 017

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CAHIERS

DU CINMA

N 17

REVUE DU CINEMA ET DU TLCINMA

NOVEMBRE 1952

NOUVELLES
DU
CINMA
ALLEMAGNE
A D u sscld o rfj s est fte n u u n
F e stiv a l d u Cinm a In terco n fessio nn cl o rg an is p a r la G lde P r o
te s ta n te et les Services C atho liques
d u Cinm a A llem and .
V oici iuels so n t le s film s
f r a n a is p rsen ts ou en in stan c e
dtre p r se n t s B e rlin : Casque
dOr, L a Vrit s u r B b Donge,
E d o u a r d et Caroline, F a n fa n L a
T u l i p e , S o u v e n ir s P e rd u s , L e Petit
M o n d e de Don C a m illo .
R o if H a n se n tu d ie u n e n o u T e lle v e rsio n de Dcr T r a n m e n d e
Afund. Le film f u t r a lis en 1932
avec E liz a b c th V erg ner. M a in te n an t,
l in te rp r te p rin c ip a le se ra M aria
S chell.

'

J o h n W a y n e e t M a u r e e n O ' H a r a , en to ur s
d e Barry F it zgerald e t Victor M a c Laglen, sont
les v e d e t t e s du n o u v e a u film en t ec h n ic ol or
d e J o h n Ford L 'H O M M E TRANQUILLE (The
Q utei M an ), G r a n d Prix d e la Biennale de
Venise.
(Republic Picfures. Les Films Frnand Rivers).

ESPAGNE
4 On

an n o n ce de M a d rid la
r a lis a tio n p r o c h a in e d u n e c o p ro
d u c tio n f ra n c o -h is p a n o -ita lie n n e :
L es F le u rs de la Daine a u x Cam
lias, da p r s A lex an d re D u m as.
Une D a m e a u x C a m lia s de p lu s !
Q u an d o n en se ra 1.000...

AUTRICHE
#
E n 1953, on r a lis e r a it
V ienne u n film g ig an tesq u e in te r
p r t p a r u n e p l ia d e de vedettes
f ra n a is e s , an g laises, a m ric a in e s
et a u tr ic h ie n n e s et in titu l L a M a r
seillaise. Cette u vre, q u i co n s ti
t u e r a i t u n hom m age n o tr e h y m n e
n a tio n a l en ta n t q u e sy m b o le de
l a lib e rt , bnficie n a tu r e lle m e n t
au d p a rt de larg es a p p u i s f in a n
ciers officiels.

FRANCE
Georges F r a n ju to u rn e u n e
v o catio n d e la v ie de M lis q u i
co m p o rtera certain s e x tra its des
vieu x film s d e Mls : L e G rand
Mlis.
In te m p rie s de Ilo sa m o n d
L ehm ann
se ra it b ie n t t a d a p t
p o u r .l cran . V edette env isag e :
M icheline P re sle.

_N ana d E m ile Zola r e v ie n t


p rio d iq u e m e n t l o r d re d u j o u r
des p r o je ts c in m a to g ra p h iq u e s et
se ra it
p r o c h a in e m e n t
p o rte

l cran p a r u n m e tte u r en scne


n o n encore dsig n.' A n dre D eb ar
i n c a r n e r a it l h ro n e de Zola.
du

(V o ir s u ite e t fin d e s N o u v e l l e s
Cin m a p a g e 41).

CAHIERS
REVUE

MENSUELLE

DU
DU

CINMA

CINMA
ET

146, C H A M P S - L Y S E S , P A R IS (8e)

DU

-T L C I N M A

LYSES 05-38

RDACTEURS EN CHEF : LO DUCA, J. DONIOL-VALCROZE ET A . BAZIN


DIRECTEUR-GRANT : L, KEIGEL

TOM E III

N 17

'

NOVEMBRE

1952

SOMMAIRE
Andr Bazin ------A m d e Ayf re . . .
G avi n L am be rt
Pie.rre Merc ier
M a rc e l L'Her bier
C h a rl e s C l a o u
J e a n Q u va l .
XXX .............

LES

Si Chariot ne meure . . . . . . . ..................


No Ralisme et Phnomnologie . . . . . . . . . . . .
Lettre de Londres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lettre de Cologn& - . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quel est l'au teu r de la Fdration Internationale
des Auteurs d e Films ? .........................
Notes en marge du Congrs du Film Scientifique.-,
Le Cinma au Congrs du Film Scientifique .
Nouvelles du Cinma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2
6
19
23
25.
34
38
41

Paix e t tradition ( The Quiet Man) . . . . . ... : . . . ,


De la rigueur avant toute chose (La Jeune Folle) . .
Du Bauhaus Lite (Jammin' fhe Blues) . . . . . . . . . .
Au Cur d la ralit (Umberto P.)
Procds bien connus (Phone Calt From A Sfranger).
De ['ironie quelque peu amre (People Will Talk)..
Pour un cinma irraliste (Les Belles de Nuits) . .

43
45
47
48
51
52
53

FILMS

J a c q u e s Doniol-Valcroze
J e a n - J o s Richer , . . .
R en aud d e La bo rd er e .
R o b e r t Pilail . . . . . . . . .
J i D.-V. . ............. ..
Michel Do rsd ay . . . . . . .
Je an -L ou is Tal len ay . . .

RTROSPECTIVES
Ra ymond Borde e t Etienne
Chiaumeton ! . .
.......
A m d e Ayf re ............ i*. . 7
J. D.-V. ; ..................................:

Flash Back sur Hitchcock (The Ring, Champagne)...


La Voix du Silence f i a Passion de Jeanne d'Arc) . .
Revue des Revues
.. . . . .

55
58
60

U v re s d e C in m a
R. d e L.
R: d e L.
J . - J . R.
J . - J . R.

L'Ecran Dmoniaque .............................................. 61


Les Lzards dans l'horloge .................. ................... 61
Le Cinma a-t-il une me ? ................................. 61
Marcel Carn . . . . . . ................................................62

Les photographies qui illustrent ce numro sont dues lobgeance de : Franco-London Film, Minerva,
Omnium International du Film, RKO, Discina, Alliance Gnrale de Distribution Cinmatographique,
Productions Sacha Gordine, Les Films Corona, Bristish International Pictures, Republic Pictures, Les
Films Femand Rivera, Hoche Production. Cocinor, P.D.S. , Cindis, Gaumont, United Artisis,Warner Bros
Les a r t i c l e s n ' e n g a g e n t q u e

le urs a u t e u r s - Les m a n u s c r i t s s o n t r e n d u s

Tous droits rservs - Copyright by LES DITIONS DE L'TOllE , 2 5 , Bd Bon n e - N o u v e l le ,

R. C. Seine 326.525 B.

PARIS (2)

Si Chariot ne meure. . .
par
Andr Bazin

Mon innocence clate... mais in n o cen t


ou coupable cela ne veut rien dire ; lessen
tiel c est de savoir bien vieillir.
D ernire p hrase de Michael OHara
(Orson Welles) dans The L a d y o f
Shangha.

Limelight est une uvre beaucoup


plus droutante que Monsieur Verdoux
dont il suffisait de percer Tunique
secret, cest--dire la vritable identit.
Un coup dil y pouvait suffire. Quand
on Lavait reconnu, le reste allait de soi.
Au contraire ce qui ds l abord
dsaronne dans Limelight cest le d
maquillage e Chaplin* Certes Chaplin
ntait pas absent de ses derniers films
et sa prsence fugitive ou .secrte aux
cts de Chariot jouait mme un rle
essentiel dans lefficacit nouvelle du
mythe. Aussi bien ' depuis lemploi de
la pellicule panchromatique, le masque
de Chariot nadhrait-il plus parfaite
ment au visage de Chaplin. Ou, si lon
veut, adhrait-il trop bien, en sorte que
lon discernait sous le pltre les imper
ceptibles rides, les vibrations pathti
ques du visage. Plus que le son peut-tre
cest la fin du cinma en noir et blanc
purs, qui a dcid de, l volution de
Chariot. Lapparition du gris m inait le
principe mm duii mythe com m e la
technique de lhuile, engendrant le
clair obscur, substitua un art descriptif
et psychologique liconographie mta-

C i-contre : C alvero, le vieu x clow n du et la m e n ta b le ..-

physique du Moyen Age. Aussi ds City Lights, Chariot tait dj devenu la chryr
salide de Chaplin, Dans Le Dictateur, le doute ntait plus permis et le gros plan
final nous faisait assister la mue bouleversante du masque en son visage.
Monsieur Verdoux naurait peut-tre pas t possible sans cette dissociation.
Bien que le personnage ne se comprenne que par rapport Chariot, au mythe
dont il est limage ngative, ou si lon veut, bien que le rle de Monsieur Ver-t
doux soit interprt essentiellement par Chaplin, ce dernier prtait sa compli-,
cit, .lopration comme pour m ieux garer les soupons.
Quoi quil en soit nous avions jusquici deux points de rfrence solides :
le masque de Chariot et le visage de Chaplin. II est de psychologie, lmentaire
que les acteurs vieillissent en fonction inverse de leur clbrit. A la limite
comme le dit Gloria Swanson dans S-uns'e-f Boulevard les toiles ne vieillis
sent p a s . Quelques rides estompes par le maquillage, une mche de cheveux
blancs ne compromettaient pas encore dans Le Dictateur limage que nous gaidions travers les photographies dun Chaplin de trente ou quarante ans. Mais
lillusion ntait plus possible. Le premier film interprt sans maquillage: par
le grand acteur Charles Spencer Chaplin est aussi prcisment le premier o
nous ne reconnaissons plus son visage. Je veux dire le premier qui nous con
traigne abandonner le point de repre de rternelle maturit de Chaplin.
*

'

'

Cest la grandeur et lintelligence de luvre davoir os se fonder prcis


ment sur ce qui dabord surprend en elle : l ge de lacteur. En voil un en
tous cas qui sait vieillir (et autrement quen prenant sa retraite !). Mais sans
doute navait-il pas dautre issue, ds linstant quil prenait pour sujet l
vieillesse, que dabandonner le style de ses uvres antrieures pour; le ralisme
du drame. La vieillesse peut assurment tre un thme de comdie ou mme
de farce mais non pas sa vieillesse. Chariot ne pouvant vieillir, ne pouvant
mme par nature entretenir quelque rapport que ce soit avec le. problme de
lge, il fallait forcment que Chaplin prt le parti de sortir du cercle de. la str
lisation, dabandonner le systme dramatique auquel toute son uvre lexcep
tion de L'Opinion Publique) se rfre et qui est celui de la comdie person
nages fixes issue de la Comedia dellarte.
Mais en abandonnant la stylisation pour, le drame raliste, Chaplin ne
peut faire cependant quil sorte du mme coup de la gravitation de ses mythes.
Aussi bien la simple lecture du scnario suffirait-elle nous y replacer. Certes
lautobiographie ny est quindirecte, elle ne rside que dans la prsence des
thmes et non certes dans leur dveloppement dramatique. Chaplin en un sens
est tout le contraire de Calvero puisque le monde na pas oubli son nom et
quil est lpoux dune trs jeune fem m e qui lui a donn trois enfants. Mais com
ment douter cependant que Chaplin exorcisse travers.la dchance ,de Calvero
une certaine peur de sa propre vieillesse. Il a tout ce qui maiique Calvero :
la gloire, la fortune, lamour et la sant, sauf la jeunesse ... qui rendrait tout
changement de fortune irrmdiable.
Il ne faut pas oublier que Monsieur Verdoux a t un lourd chec, commer
cial (350.000 dollars de recettes brutes aux U.S.A.) et un cuisant chec critique.
Si Chaplin sest fait le commis voyageur de Limelight, cest peut-tre pour dau
tres raisons aussi mais certainement parce que la russite tant morale que
commerciale de son film est maintenant pour lui une question vitale.
Ainsi ce drame on pourrait m me dire ce mlodrame si le mot navait

pris un sens pjoratif est par le style ,(1) en marge de luvre comique deChaplin, mais la diffrence de L Opinion Publique quoi on penserait alors
le comparer, elle participe tout de m m e de sa mythologie. Que nous le vou
lions 011 non, plus ou moins consciemment seulement, nous ne pouvons viter
de comparer Galvero dans la vie et sur la scne Chaplin et Chariot. D o
Vient alors me semble-t-il le trouble o peut lgitimement nous plonger une pre
mire vision du film. Raliste, Limelight puise une partie de notre motion
dans la comparaison avec des uvres contradictoires. Comparaison non
seulement invitable mais ncessaire et qui cependant nous gare. En ce sens
la cration du clown Calvero est gniale. Elle nous contraint voquer Char
iot et eh mme temps nous prive de toute ressemblance car rien dans sa sil
houette et moins encore dans son genre comique ne permet la confusion.
Chaplin sy est appliqu au contraire comme du reste dans tous les dtails de
son film Une reconstitution fidle et qnasi archlogique du music-hall
anglais du dbut du sicle.
Il me semble que lessentiel des rserves dfrentes et admiratives dont
une partie de la critique, sinon, le public, ont dj fait preuve lgard de
Limelight procdent plus ou moins consciemment de cette quivoque qui est
au principe mme du film. Je ne saurais nier de lavoir ressentie m oi-m m e
comme une gne, mais ce sur quoi je m interroge encore cest quant savoir
sil sagit pour autant dune faib lesse. A partir dun certain niveau esth
tique et pour une uvre prsentant ncessairement une unit profonde (mettons
pour rfrence celles de Corneille, de Racine, de Shakespeare ou de Molire)
la critique des dfauts perd son importance et presque sa raison dtre. Il n est
plus de critique que des beauts laquelle nest plus elle-mme quune com pr
hension des ncessits. Deux ou trois gnrations de professeurs ont fait des
rserves sur le rcit de Thramne pensant peut-tre par ce coin dombre
donner plus dcclat aux perfections de Racine. Prudence non seulement dri
soire mais foncirement fausse. Si les chefs-dceuvre chappent leur auteur
mme, plus forte raison la critique. Il me plat que le spectacle auquel a t
convi Chaplin Paris soit prcisment le Don Juan de Molire. Poser lop
portunit du rcit de Thramne et des digressions dramatiques de Molire,
cest dabord respecter la part divine de la cration, postuler quil ne peut pas
ne pas y avoir jusque dans ces dfauts quelques ncessits et donc quelquharmonie.
Aux beauts autonomes de Limelight sajoutent plus que ne se retranchent
ce que jappellerais volontiers la beaut de ses dfauts qui nest que la per
ception de leur fatalit. Ce nest qu'aux mercenaires de l art cinmatographi
que et aux artistes mineurs que se peut appliquer une critique constructive
qui suppose que luvre aurait pu tre diffrente . Ce sont les Christian Jaque
qui peuvent indiffremment russir ou <s rater Fanfan la Tulipe et A d o ra
bles Cratures. Mais que signifierait une critique constructive de l uvre
de Stroheim ?
II me semble donc que lapparent dsquilibre quon peut ressentir dans
Limelight et qui vient de ce porte--faux du style sur la mythologie ajoute une
dimension pathtique au pathtique du scnario comme la perception, de Iident i t secrte de Verdoux donnait sa vie et surtout sa mort une signification
explosive.
Lpisode raliste, la plonge dans le drame de Limelight tait sans doute
(1) J entends ici le m ot style dans le sens trs prcis o Ton distingue style trag iq u e
comique p a r exemple. Le dram e se dfinit au contraire alors p a r le refus d un

e t .s t y le
s t y le .

L im elig h t, C h ar lie Chaplin' et C laire Bloom'.

ncessaire pour que Chaplin dpouillt le double mythe de son tem elle jeu
nesse et de Chariot. Chariot est mort guillotin sous la fausse identit de Verdoux, la vieillesse de Chaplin est morte la fin de Limelight avec Calvero. Un
nouveau Chaplin est n de ce double assassinat, un prodigieux acteur qui a con
quis le droit davoir le visage dun vieillard et retrouver celui dy poser, dautres
masques.
.
Jentends quon m objecte que Chaplin a promis de revenir aux films comi
ques et son personnage traditionnel. Justement. Cest pour le. pouvoir, quil
lui fallait cesser de feindre comme Mistinguett davoir toujours trente ans. Alors
quil relance sur le march ses anciens films, Chaplin ne pouvait que prendre
sa retraite ou rsoudre la contradiction de ses mythes et de sa vieillesse.
Ce vieil acteur reste nous le savons un mime prodigieux. Gageons quil
nous surprendra bientt dans ce qui serait le paradoxal sommet de sa carrire:
linimitable imitation de Chariot.
A n d r B azin

LIMELIGHT (LES FEUX DE LA RAMPE), film de C h a r l e s C h a p l i n . Scnario, dia


logues : Charles Chaplin. Images : K arl Strauss. Dcors : Eugne Louri. Musique : Charles
Chaplin. Interprtation : Charles Chaplin (Calvero), Claire Bloom (T erry), Sydney Chaplin
(Neville), A ndr Eglevsky (Arlequin), Melissa H aj'den (Colombine), Buster Keaton. Produc
tion : Charles Chaplin, 1952. Distribution : United Artists.

No-Ralisme
et

Phnomnologie
par
Amde Ayfre

.i.ta phnom nologie se laisse p ra


tiquer et reconnatre com m e m anire
et c o m m e styl. i
M er lea u -P onty

Le mot de ralisme est de ceux quil ne faudrait jamais employer


sans dtermina tif. Celui de no appliqu au cinma raliste italien
daprs-guerre est-il satisfaisant ? Si Ton en juge par lusage quasiuniversel quil a obtenu, il faudrait rpondre affirmativement. Mais
si l on recense au contraire les innombrables critiques dont il a t
lobjet, et de la part des artistes eux-mmes, si on remarque que tous
ceux qui lemploient ne le font quavec des rserves, des guillemets
ou des priphrases, bref, avec mauvaise conscience, on serait tent
de chercher autre chose...
Mais cet autre chose, faut-il le chercher en arrire par rduc
tion lune des orientations classes dans lHistoire de lsthtique,
ou en avant au fond de linconnu o trouver du nouveau ? Le
no-ralisme a-t-il redcouvert des mondes dj maintes fois explo
rs, ou a-t-il invent son propre chemin ? Autrement dit, faut-il insister
sur ralisme ou sur no ?
On ne peut rpondre ces questions sans quelques rappels forc
ment primaires mais qui ne sont peut-tre pas que des lieux communs.
R a l i t e t C i n m a . Cest sans doute Lumire quil faut faire
commencer le ralisme cinmatographique, lui qui navait pas pens
que son invention puisse tre autre chose quun instrument de reproduc
tion. Mais dj, le seul fait quil plaait sa camra tel endroit, quil
commenait ou arrtait son enregistrement tel moment, quil inscri
vait le monde en'bfane et'noir sur une surface plane suffisait poser
ncessairement une infidlit au rel.

Limpossibilit de combler ce hiatus est exiore mise en vidence


par ltrange aventure de Dziga Vertov, Il avait compris que le comble
du ralisme au cinma, cest le documentaire, et donc la ncessit de
tourner hors studio, sans acteurs et sans scnario, JLidal eut t dins
taller une camra automatique un carrefour, IVais de cette extrme
limite du ralisme sortirait-il un film ? une uyre ? ou une collection
de photos animes, document de premier ordre peut-tre pour l'urba
niste ou le sociologue, mais sans grand intrt pour lesthticien ?
Vertov comprend que pour transformer ces photos en film, il faut les
monter selon un certain rythme, et l tude de celui-ci va ds lors prendre
chez lui une telle place quon va le voir peu peu se dsintresser
de chacun des lments dont il dispose pour ne retenir quune sorte
de mouvement symphonique densemble, la mesure trs tudie,
mais o le sujet rel initial na plus dimportance. Parti du ralisme
le plus brutal, on tombe brusquement dans lart abstrait. Dialectique
significative qui montre limpasse laquelle aboutit le documentarisme
pur, qui se veut passif et se croit objectivement impersonnel.
Cest pour viter cette impasse que le courant yriste, au lieu daller
demble et navement au rel, fait un dtour du t du vrai, cest-dire de lart et de la raison. Lartiste y prend en main lvnement, le
reconstruit en pleine conscience pour le rendre vraisemblable, et sachant
que les formes de son art tendent toujours amenuiser le contenu
de ralit, il a soin den accuser les traits, soit en poircissant les ombres
vrisme crbral noir et toutes ses harmoniques en gris soit en
renforant les lumires, et cest alors toutes les nuances du rose, depuis
le plus charg en rouge jusquau plus dcolor, de Gremillon Cloche,
en passant par le ralisme socialiste,
. . No-;ralisme e t P h n o m n o l o g i e . O situer le no-ra
lisme dans ses perspectives ? N est-il quun avatar du vrisme ou a-t-il
trouv une autre voie pour sortir de limpasse dialectique du documentrisme ? Afin de ne pas raisonner abstraitement, nous allons fonder notre
discussion sur un morceau danthologie qui nous parait spcifique du
style no-raliste, la squence finale de Germania, Anno Zro.
Ce film a plusieurs dimensions : lune documentaire sur ltat de
lAllemagne aprs la guerre ; une deuxime psychologique, psycholo
gie sociale sur les mfaits de lducation nationale socialiste, psychologie
individuelle de lenfant. Mais cest ici que commence loriginalit/
Car il ne sagit nullement de psychologie de lenfaut ou de ladolescent,
telle quil en existe dj beaucoup au cinma. Il sagit de bien autre
chose, trs exactement de la description concrte de lattitude humaine
globale dun enfant dans une situation donne. Pas dintrospection, pas
de dialogue intrieur ou m me le plus souvent extrieur, pas de jeux
de physionomie. Mais pas non plus de psychologie du comportement au
sens bhaviouriste du mot. Il sagit de bien autre chose que de chanes
de rflexes. Il sagit dune attitude humaine globale saisie dune faon
trs neutre par la camra, Pour se rendre compte de ce quil y a
dabsolument original dans ce procd, il suffit par exemple de prendre
conscience que lenfant aucun moment ne donne l impression de
jo u er , dtre acteur. On ne saurait dire quil a bien ou mal jou. Il

R o bcrto R o s se llin i, Germ ania A n n o Zro (1917).

est hors de la catgorie du jeu. De mme, le spectateur est son gard


hors des catgories de la sympathie ou de lantipathie. Cet enfant a
simplement vcu, il a .simplement exist devant nous et la camra Ta
Surpris dans cette existen ce. Voyez au contraire le petit Kucci de
Quelque Part en Europe, ladolescent des Dernires Vacances, ou le
plus souvent Le Garon Sauvage : ils jouent bien , cest--dire quils
traduisent avec une rare perfection les sentiments que le ralisateur
sppos quils devaient prouver. Ici, quels sentiments peut bien
correspondre lattitude de lenfant? regrets? remords? dsespoir? stu
peur ? Aucune de ces tiquettes ne nous satisfait, pas plus que leurs
combinaisons. Gest quil s agit ici dattitude humaine globale, disons
dattitude existentielle. Cest tout l tre de lenfant qui est ici en
jeu, et cest pour cela quil ne joue pas.
Si tout ceci est exact, si nous sommes au-del de la psychologie,
il est normal que nous dbouchions quelque part du ct de l thique ou
de la mtaphysique. Et il nest pas ncessaire pour cela de faire de
Rossellini un philosophe, il suffit quil soit un homme et quil ait
dcrit dans sa globalit une attitude humaine. Ncessairement, un
. sens total de lexistence doit sen dgager. Mais non pas sous la forme
dune thse que le film serait charg de dmontrer ou au moins de
montrer et qui serait pralable la conception du film lui-mme ~
pour employer une formule passe dans le domaine public, ou lessence
prcderait lexistence ici au contraire le sens fiait partie int
grante. de lattitude concrte dont il sagit. D o son ambigut. Pour
les uns, cest ici le dsordre conomique dune socit dcadente qui

R oherto R o ssellin i, Pa sa (1946).

sest cristallis dans cet enfant et la fait mourir. Pour les autres ce
sera l polarisation en lui de tout labsurde, de tout le louche dun
inonde o lon est de. trop . Pour dautres enfin, ce sera le tmoignage
dun monde o limmense amour de Dieu narrive pas trouver pas
sage travers le jeu sanglant et triste des passions humaines, sinon
sous la forme dune figure agenouille au-dessus dun enfant mort.
Rossellini, lui, ne dcide, pas. Il pose une interrogation.. A.' propos
dune attitude existentielle, il met en avant le mystre de lexistence.
On voit tout ce qui dansi cette attitude diffre la fois du vrisme et
du documenlarisme. Laspect documentaire ny prtend jamais une
certaine objectivit passive, la prsentation neutre ne veut jamais
dire froideur et impersonnalit. Il y a de la conscience, de la subjectivit,
sil ny a pas de Raison et de thse. Il y a de la polmique sociale sil
ny a pas de propagande. Mais surtout tous ces lments objectifs, sub
jectifs, sociaux, etc... ny sont jamais analyss comme tels; ils sont pris
dans un bloc vnementiel, avec tout son grouillement inextricable,
Jb]k)c de dure autant que; de volume, qui ne nous fait grce ni dun
seconde, ni dun geste. Aussi devant ce Tout lattitude du spectateur
doit-elle radicalement changer. Regarder devient un acte; puisque tout
est ici en question, il faut rpondre, il faut agir. Cest un appel la
libert.
Mais nest-il pas frappant de constater que cette faon pour le
ralisateur d nous mettre face un vnement humain considr glo
balement, en sabstenant de le morceler et de lanalyser, mais en; en
faisant simplement le tour, en le dcrivant concrtement et en oprant

de telle sorte que* dans le spectacle mme cesse la conscience du spec


tacle dans le jeu , la conscience du jeu , autrement dit en accordant
en tout un primat lexistence sur lessence, n est-il pas frappant de
constater que cette mthode s rapproche trangement de ce que les
philosophes appellent description phnomnologique.
Sans doute cette mthode
t entendue avec,des nuances diff
rentes selon les doctrines qui lui ont t adjointes, mais prendre les
choses dassez loin, comme il es^ permis un artiste qui nest pas un
technicien de la pense de le faire, on ne peut nier que Rossellini - et
quelques autres avec lui nait tent comme Husserl daller Zu den
Sachen selbst, aux.choses elles-mmes, pour leur demander ce quelles
manifestent elles-mmes de par elles-mmes.
Il y a surtout cette faon de prendre le contre-pied de lanalyse,
de mettre fin *une vision cloisonne de lhomme et du monde,
de cesser de fouiller.subtilement des caractres ou des m ilieu x ,
de mettre tout cela dune certaine manire entre parenthses, en
essayant une apprhension totale, successivement totale, la faon
dun tre dans le temps, dvnements huniains concrets dans les
quels est co-prsent le mystre entier de l Univers. Autrement dit
la clart de la construction se substitue le mystre de ltre.
Un tel renversement de perspective est peut-tre nouveau au cinma
il ne lest nullement pour dautres .domaines de lart en particulier
celui du roman, et cela bien avant qu e des philosophes contemporains
adoptent ce mode dexpression ou en fassent la thorie (1).
Ne sagit-il donc pas dans lun et lautre cas d essais dune descrip
tion directe de notre exprience telle quelle est,, et sans aucun .gard
sa gense psychologique et aux explications ^causales-que le savant,
lhistorien ou le sociologue peuvent en fournir^-, dune sorte d tude
descriptive 'dun ensemble de phnomnes tels quils se manifestent
dans le temps ou lespace, par opposition soit aux lo is1abstraites et
fixes de ces phnomnes, soit des ralits transcendantes donit ils
seraient la manifestation, soit la critique n on n a tiv ed e leuiv'lgiti
m it ? Or cest exactement la dfinition qiie d?une part Merleau-F*onty
et dautre part Le Vocabulaire de la Philosophie de Lalande donnent
de l phnomnologie. On pourra videmment contester le mot tude.
mais ce sera sans doute le seul. Cela suffira dailleurs pour refuser
aux oeuvres de Rossellini ou de Dos Passos le caractre d recherche
de philosophie technique, ce quoi elles nont jamais prtendu, m ais
cela ne donnera peut-tre pas le droit de refuser lorientation esth(1) Dans le num ro (TEspiut de jan vier 1948, Bazin notait que le ralism e
italien ;n5tait pas autre chose que lquivalent cin m atographiqu e du ro m an
am ricain, ce qui ra m e n a it co n tester en ce sens l influence note p a r ClaudeE dm onde Magny du cinma su r le rom an. Cest le cinm a, concluait-il, qui tait
vingt ans en re tard . Nest-c pas depuis longtemps aussi que la p e in tu r exige
du spectateur un rle de plus en plus actif ?
On se rapp elle d autre p a rt le rle que Sartre dans Quest-ce que la litt
ra tu re ? (1947) attribue la to rtu re en tant que cr a tric e de situations extrm es
p o u r .expliquer le renversem ent que sa gnration a p p o rte la technique ro m a
nesque. Ne faudrait-il pas voquer ce p ro p o s la squence tan t critiqu e d
la to rtu re dans le plus clbre des films neo-ralistes : Rom e, Ville Ouverte
(1945) ?

10

U ne scne d e tr a v a il d e S tro m b o li (1949). On re c o n n a t I n g rid B erg m an (


d ro ite) et R o ssellin i (assis a u centre).

tique quelles reprsentent un titre plus prcis que celui de no


ralism e, celui par exemple de ralisme phnomnologique (1),

L ' a r t d a n s l e r a l i s m e p h n o m n o l o g i q u e . condition toute


fois quil sagisse bien l dune orientation esthtique. Le refus du
sty le inhrent au ralisme phnomnologique nest-il pas, en effet,
l aveu dune volont de se situer hors du domaine de Part ? Mais ne raisonnons pas vide. Partons dune uvre singulire, Lctdri di Bicyclette
de Vittorio De Sica.
Cet homme la recherche de son vlo n est pas seulement un
ouvrier, un homme qui aime son fils, qui dsespr tente de voler u n e
autre machine et qui finalement reprsente la dtresse du proltariat
rduit se voler ses instruments de travail. Il est tout cela et une foule
dautres choses encore, indfiniment analysables, justement parce que,,
dabord il est et pas isolment, mais avec tout un bloc de ralit
autour de lui, et dans ce bloc des traces de la prsence de lunivers :
les copains, lglise, les sminaristes allemands, Rita Hayworth sur son
affiche, et tout cela ne constitue pas seulement un dcor, mais existe
presque sur le mme plan.

(1) On a propos naturalism e m taphysique (Gatan Pieon, L a T a b l e


problem aticism e s> (Ugo Spirito, B i a n c o e N e r o , juillet 1948), m ots
qui ne nous p araissen t pas assez souligner la p a re n t avec une philosophie dont
B rh ier a p u dire ( M erleau-Ponty, B u l l e t i n d e l a S o c i t F r a n a i s e d e P h i l o
s o p h i e , octobre 1947) quelle ab outirait au rom an ou - la peinture il n avait
pas pens au cinm a . Les philosophes u sa n t de m thode phnom nologique
seraient les d ern iers pro tester contre ce vocable, eux po u r qui. une histoire
raconte p eu t signifier le m onde avec autant d profondeur miun trait de
philosophie , (Merleau-Ponty, Phnom nologie de la P erception , p. XVI).
R onde) ou

Refus, du choix, mais lart nest-il pas choix ?... Si, mais essen
tiellement choix de moyens. Et les moyens sont ici extrmement
rigoureux. Car il faut bien se rendre compte que nous sommes devant
une oeuvre dont le ralisme mme ne peut que rsulter de lemploi darti
fices, dautant plus subtils et conscients quon voudra la spontanit
plus grande. Le ralisme phnomnologique rsulte lui aussi, comme la
mthode dont il sinspire mais dans un sens assez diffrent, dune sorte
de m ise entre parenthses, dpoch Ce qui est lintrieur des
parenthses, cest luvre, ce fragment dunivers devant lequel le spec
tateur aura justement limpression de ntre pas au spctacle, mme
.pas uii spectacle raliste. Mais en dehors des parenthses, il y a cette
sorte de moi transcendant qui est lauteur et qui, lui, sait tout le travail
d art que lui a cot la ralisation de cette impression de ralit, de cette
impression quaura le public, que lui, lauteur, na jamais mis les pieds,
lintrieur des parenthses. Ne faut-il pas infiniment dart pour orga
niser u rcit, monter une mise en scne, diriger des acteurs, en don
nant finalement limpression quil ny a ni rcit, ni mise en scne, ni
acteurs? Autremnt dit, nous avons affaire ici encore un ralism e
-second;-synthse du documentarisme et du vrisme. Avec celui-ci On
^reconnat que lidal du premier ne peut tre atteint sans un dtourr
mais avec celui-l on ne croit pas que ce dtour doive consister en une
stylisation de l'vnement. Lillusion esthtique parfaite de la ralit
ne peut rsulter que dune ascse prodigieuse des moyens, o il y a en
fin de compt plus dart que dans toits les expressionnismes ou ls
constructivismes, ..........
. . Ascse dabord du scnario. Il ne sagit plus seulement dun scnario
. bien construit, selon une impeccable logique dramatique, avec des
contrepoints psychologiques subtils. Ce nest pas darchitecture quil
'sagit', cest dexistence. Si en quelque domaine lartiste mrite le nom
divin de crateur, cest bien ici. Aussi pour cela nes t-il, presque jam ais
.seul. Les quipes de scnarists italiens sont clbres. On * ;voulu
,ny^yoir que souci,publicitaire, mais il y. a plus profond, ce sentiment
de. linfinie richesse de ltre quun homme seul ne pourrait jamais par!venir a voquer. Zavattini et De Sica ont travaill pendant des mois le
Isn^riode .Ladri di Bicyclette pour finir par faire croire quil ny en
.avait pas.
.. .
,
Cette ascse du scnario se complte par une ascse de la mise en
scne et une ascse des acteurs (quAndr Bazin a admirablement ana
lyses dans son article dEspRiT de novembre 1949), et qui ncessitent
toujours des supplments dartifices pour faire par exemple que dans
les tournages en extrieur, lintroduction dune camra et sa manipu
lation nentranent aucune perturbation apparente, ou pour que lou
vrier et son fils ne tiennent pas plus un rle que leur vlo. Dans le
ralisme phnomnologique, Fart se pose donc dans lacte mme par
lequel il cherche se dtruire. Mais de cela, il est parfaitement cons
cient, et il en fait la charte mme de sa lgitimit esthtique. En m m e
temps que sa dfinition, si l on ajoute que chez lui tout est tourn
.produire une densit dtre, qui est, selon un mot plus vieux que Sartre,
la seule vraie mesure de la beaut.
Cest pourquoi on ne pourra pas objecter ces vues le cas de toute

12

Curzio M iilaparte, Il Criso P roibito (1050) : P h ilip p e L e m a irc et B a f Y llon e.

une catgorie de filins no-ralistes o les soucis formels paraissent


vidents et dont le type le plus parfait serait La Terra Trma. Sils
sont authentiquement phnomnologiques^ et cest au moins le cas,
croyons-nous, de ce'dernier, ils n sexpliquent pas seulement comme
i Cristo Proibito par la conjonction avec le courant no-raliste de
la grande tradition italienne du grandiose, de lopra et du baroque.
Leur beaut est, en effet, ici encore moins fonction de leur plastique
que de leur densit dtre. Cest l taciilit de leur matire, la lourdeur,
de leur pte humaine qui est lessence nim de leur forme, ou plus

13

exactement cest une gniale conjonction des deux lments quil faut'
Reconnatre, une vritable intentionalit rciproque. On a dit quune'
Affiche ne devait pas tre trop belle, sinon le passant ne la traversait
j^as pour aller lobjet. Ce nest pas absolument ex a ct A ct de la
neutralit plastique, il y a place pour un art translucide, pour une beaut
instrumentale qui est plnitude en mme temps que transparence..
Comme ces figure^ qui peuvent tre vues volont en creux ou en
relief, un tableau d Vermeer peut tre volont une dentellire appliqu devant sa feitre, ou lin pavant chromatisme bleu, gris dargent,
jaune citron trs ple, rayonnant dune matire pulpeuse et veloute,
presque charnelle. La m m e Exprience est possible avec les authen
tiques pcheurs siciliens de Visconti ; la gloire - presque au sens thologique du ihot , dont il les enveloppe, ne les voile pas, elle est ce qui
permet de les voir. Que nous soyons ici sur un terrain dangereux, je
le veux bien, et la plupart ds autres uvres ainsi orientes nont pas su
dpasser toute complaisance, mais ici au moins on ne peut pas ne pasreconnatre cette plastique une sorte dhumilit ontologique qui serait
au neutralisme volontaire de Ladri di Bicyclette ce que la mystique
est lascse.
r / La r a l i t h u m a i n e e t s o n s e n s , La forme parfaite pour le
ralisme phnomnologique dune des quelconques esthtiques aux
quelles il soppose st la pice thse, ou ce qui en est la forme affaiblie,
! thmes, caractriss toujours par une certaine transcendance
luvre, une certaine finalit extrinsque, qui leur fait toujours aussi
poursuivre lidal dune signification univoque aussi simple que pos
sible. Cest cette finalit, mme subtilement entendue, que soppose
le ralisme phnomnologique par sa volont de ne pas toucher aux
vnements, de ne pas les pntrer artificiellement dides ou de pas
sions Mais cette globalit de lvnement comporte en mme temps que
sa ralit spatio-temporelle une relation la conscience humaine qui
fait partie de sa nature mme, et qui est sa signification , son sens .
Et ce sens >>, parce quil ne peut tre dchiffr que par une conscience
t parce quil nest jamais une finalit rigide, la conscience pourra
toujours linterprter, le colorer selon ses normes propres, ses thories*
sa Wetanschaung, exactement comme elle le fait de lunivers rel
lui-mme. Il en rsulte une ambiguit fondamentale.
A condition toutefois quon ait su conserver lvnement une
globalit parfaite. Dans la moindre mesure o il aurait, subi un traite
ment quelconque, par lequel lauteur aurait tendu expliciter linter
prtation personnelle quil donne son sens intrinsque, tout le jeu est
fauss. On retombe dans la thse. On voit par l combien sont peu
phnomnologiques des film s qui se veulent aussi existentialistes que
Les Jeux sont Faits, ou Les Mains Sales. Sartre, de toute vidence, y. est
parti de thmes sinon de thses traiter, et non comme il approuve
Kiafka de lavoir fait, dune situation unitaire, dun vnement global.
Ce nest pas seulement sous lanalyse du critique que tout cela fond en
problmes, cest lauteur qui est parti de ces problmes pour les incar
ner. Mais pour faire le contraire, il eut fallu peut-tre ne pas tre philo
sophe, il eut fallu avoir le gnie de Zavattini... ou de Pagliero.

14

Le film d t dernier Un Homme March dans la Ville apporte en


effet une illustration remarquable tout ce que nous venons de dire
du ralisme phnomnologique en mme temps que quelques compl
ments prcieux. Lui aussi dcrit minutieusement une situation humaine
globale avec tous les grands et petits vnements qui sy rencontrent.
Il ny a pas des personnages privilgis et dautres qui ne seraient que
des comparses. Tous sont galement l : le gros Brsilien autant que
lassassin prsum et que le bistro du coin. Des vies se droulent cte
cte, sengrnent parfois, puis se quittent. La fin nen est pas une,
on sent que tout pourrait continuer, Et lorsque sous lil du critique
des thmes surgissent, cest de la pulpe mme des choses, au point que
les expliciter cest dj les trahir. Puisquils y sont pourtant il faut
bien parler du thme du malentendu : le soi-disant assassin est inno
cent; de celui de labsurde : on tue quelquun sans le vouloir en croyant
sadresser un autre; celui de la solitude grgaire : aucune commu
nication authentique avec autrui, ni dans lamour ni dans la haine.
Lamour nest que contact dpidermes. Celui du de trop lenfant
dabord que lon fait sortir constamment dans la rue pour sen dbar
rasser. Mais les adultes ont eux aussi la nause de lexistence et sont
partiellement trangers eux-mmes. Ils sont tous des tres-pour-lamort : louvrier qui a une sale gueule , une gueule de croque-mort ,
lui dit-on plusieurs fois, ne trouve aucun emploi et finit par tre ridi
culement tu. La femme qui ne trouve aucun amour et se suicide au
gazi Le ngre qui meurt tuberculeux tu par ses conditions de travail.
Tous les hommes sont mortels et aucune mort nest ici naturelle .
Aucun de ces tres nchappe sa situation et on sent bien, la fin, que
le bateau qui sen va nest pas une vasion vers les les fortunes >, mais
que le vritable assassin et le soi-disant tel, partent tous deux vers une
nouvelle situation qui sera semblable la premire. Ils sont en sur
sis . Ils nauront jamais fin i de se dptrer dune situation qui coagu
lera sans cesse autour deux.
Et la plastique colle aussi trangement autour de ces tres. Un
mot la rsume : cest un film m a t . L lumire y a quelque chose
de dur, de non rayonnant, de non atmosphrique, mais de cassant* dan
guleux, de brutal; limage la plus saisissante, celle du bless , sur la
civire montant la paroi abrupte qui domine le quai est une mta
phore existentielle dune rigueur et dune puissance peu communes ;
celle du mur derrire lequel il ny a que le nant et la mort. Ce mur
nest pas l pour symboliser la facticit de lexistence, ou pour
provoquer une angoisse devant cette facticit, il est lexistence mme
se figeant en facticit, devenant chose et ayant des choses la perma
nence froide, la duret aveugle. Rien sur lui des brumes du Havre de
Carn, ni la lumire rayonnante des film s italiens, qui, chacune en
leur genre, voquaient des horizons extra-humains. Il est lcran
dacier qui bouche ces horizons* le mur qui assure le huis-clos de
la prison humaine, celle o nous sommes condamns la libert. Lab
sence totale de musique, le bruitage lourd, lancinant, souligne encore
cet aspect et empche tout effet vocatoire.
Cest donc une signification existentialiste ou plus prcisment sar
trienne que Pagliero nous oblige donner aux vnements quil dcrit

15

L u ch i no V iscon ti, L a T e rr a T r m a (19-16).

phnohnologiquemnt. Mais parce quil le fait avec un tout autre sens


des exigences de luvre, avec un tout aiitr'e respect du concret' et de
la mthode, les complments quil peut apporter nos analyses prc
dentes sont autrement prcieux que ceux des uvres cinmatogra
phiques de Sartre lui-mme. Puisque, sans coup de force apparent dans
le bloc vnementiel, il aboutit nous imposer une vision aussi nette
ment oriente du monde et de lhomme, il faut bien que Heidegger ait
raison contre Husserl quand il affirme quune description de lexistence
confirme toujours et ncessairement l ide que lon sen fait, puisque
cette ide est dj un lment, un mode et un facteur de cette existence
mme. Cest donc peut-tre un peu trop htivement que nous semblions
fliciter tout lheure Rossellini, D e Sica t Zavattini de leur rserve et
de la libert dinterprtation quils nous laissaient Si leur monde sem
blait moins marqu par leur vision; cest sans doute quils hsitaient
encore dans leur choix, ou plutt cest que leur choix s situait un
tout autr niveau 'la hauteur duquel ne pouvait se vrifier l riit de
Gabriel Marcel : Toute existence non rfre au transcendant dg-

nre en facticit . Il est donc vain de discuter les captivantes descrip


tions de Pagliero, il suffit de se placer une autre lumire.

R a l is m e p h n o m n o l o g iq u e e t s e n s c a t h o l iq u e d e la g r c e .

Celle peut-tre que nous offre Cielo sulla Paludc. .Comme tous les autres
film s de 1cple, il constitue un bloc la fois social, psychologique et
thique. On peut ny voir quun documentaire sur ls Marais Pontins,
car cest profondment intgre la terre, leau et au ciel que lon
nous prsente La fam ille Goretti. Mais peu peu lattention se concentre
sur l attitude rciproque dAlexandre et de la jeune Maria. Concentra
tion qui nopre dailleurs aucune coupure avec le reste de lvnement.
Toute la vie dune ferme des Marais Pontins continue se drouler
en mme temps que lattitude dAlexandre se prcise, laisse voir sa
vritable nature, une obsession sexuelle irrsistible qui finit par amener
plusieurs tentatives de viol, et enfin le crime.
Entre temps, nous assistons la prparation de la fillette sa Pre
mire Communion, puis cette crmonie, avec son droulement tou
jours un i)eu mivre, surtout dans ces pays de vieilles traditions reli
gieuses. On ne nous avait pas cach dailleurs la sincrit, lattention
profonde que Maria avait personnellement accord cet acte pas plus
que le formalisme trs vide quil pouvait avoir pour dautres' de ses
compagnes. Aprs: le crimes la blesse est soigne rhpital.o elle
meurt. La foule voit en elle une sainte et prie.
Tels ont t l(es vnements tels on nous les montre, sans quaucune
pression soit faite pour orienter l'interprtation quon en doit donner.
Si l on apprend la sortie du cinma que cette fille t canonise, on
pourra trouver cela parfaitement absurde. La table personnelle ..des
valeurs n pas eu tre change pour que Ton sJe soit intress aux
vnements.
Mais pour le croyant linterprtation religieuse donner leur sens
intrinsque ne fera pas difficult. Lambiguit m me de ce sens lui
est un sr critre dauthenticit. II craindrait plutt le ct illusoire de
visions extrieures ou dappels intrieurs, mais l o toutes les choses
restent si j>rofondment marques de solidit humaine sont si peii
fantastiques, il ne voit auciine difficult y reconnatre le doigt de
Dieu. L o tout est naturellement explicable, il reste encore la place
pour une ralit transcendante au droulement normal des dtermi
nismes et cest l un critre de cette transcendance mme.
Autrement dit, lambiguit est le mode dexistence du Mystre, celui
qui sauvegarde la libert. Quoiquil en soit des apparences contraires, un
chrtien ne fera aucune difficult reconnatre que lon est ici* du point
de vue de la mystique, un niveau et une qualit au moins gaux
sinon suprieurs ceux des mondes de Bresson.
Car si la psychologie proprement dite y est infiniment moins fouille,
la grce ny est pas plus cache et les ambiguits ny sont pas au fond
plus grandes, puisquil est de la nature mme de la grce dtre cache
et ambigu, parce quelle nest pas autre chose que la face humaine du
Mystre transcendant de Dieu.
Tels sont, nous semble-t-il, les possibilits et les risques du ra
lism e phnomnologique en matire dvocation religieuse. Mais le

17
2

M nrcello P ag ltcro , Un H o m m e Marche dans la Ville (1050) : A n dr V alm y


. ..et .Tean-Pieri'c. Kcricii,
, ... ,
. .

risque le plus grave serait certainement de vouloir tre plus soucieux


ds intrts de Dieu quil ne lest lui-ihm e,Jen voulant orienter de
force, contraindre lire dans les vnements une signification qui
n est accessible qu qui la' dcouvre librement.
'
' '

Lventail des significations accessibles au ralisme phnomnolo


gique est donc aussi large que la ralit humaine elle-mme. Il nen
rcuse aucune a priori, pourvu quelles restent de Tordre de la ques
tion, plus que de la solution, car sil sait, avec Jean Wahl, que -les
problmes valent par eux-mmes il peut croire avec Pascal quon ne
les rsout quen en sortant et que le mur de la prison humaine reste
ouvert vers le haut.
. . . . . . .
A m de A yfre

18

LETTRE DE LONDRES
par
Gavin Lambert

Londres, Novembre 1952.


I. LIMELIGHT.
Ayant nie prononcer sur Limelight avant que la plupart de mes confrres ne laient
fait, je ne peux'prjuger du futur accueil de la critique;, il me semble toutefois quil sera,
dans lensemble, plutt rserv. Un respect lgrement de commande risque l'ort de cons
tituer la note dominante. Mon opinion, confirme par une seconde vision, est des plus
enthousiastes : cest lgal des plus grandes uvres de Chaplin et il demeurera comme lun
des films les plus tendres et les plus puissants qui aient jamais t raliss.
Une semaine avant la premire, lorsque Cliaplin rencontra les critiques londoniens au
cours dune rception, il paraissait quelque peu inquiet sur la faon dont ils allaient
juger Limelight. Il leur demanda doublier en cette occasion limage de Chariot e t .
comme sil sadressait des enfants leur promit une comdie pour la prochaine fois.
Laffirmation de lge et la ngation de la jeunesse dont parla Cliaplin propos des
rapports entre le vieux clown Calvero et la jeune ballerine Tlirsa, ladmirable faon dont
lvolution de ces rapports est dcrite, la lente et subtile naissance de lamour, les opposi
tions jeunesse-vieillesse, succs-insuccs, forment le noyau dramatique du film. A lintrieur
mme de lhistoire, la comdie ne va pas au-del dune certaine ironie grave, dun humour
amer; le burlesque est limit trois numros de Calvero sur une scne de music-hall. A
ce point de vue il y a plus dunit que dans Monsieur Verdoux o la farce dbouche sur
la satyre et la sche violence sur le plus extrme sentiment sans solution de continuit. Au
contraire ici le ton est donn ds le dbut et, part les trois divertissements , maintenu
audacieusement de bout en bout.
Le personnage de Calvero comdien qui ne croit plus ses dons damuseur et qui
aspire une sorte de dignit qui fait quil lui est trs difficile dtre drle , qui a eu
cinq femmes et encore plus de chagrins est presque autobiographique. Cest un portrait
riche, complexe, captivant et son interprtation par Chaplin est inoubliable. Claire Bloom
dans le rle de la jeuiie fille a, en plus de la beaut, une distinction et une intelligence qui
manquaient aux dernires hrones de Chaplin.
.
Malgr les avertissements de Chaplin les premires critiques expriment leur surprise :
1) de labsence de Chariot; 2) du fait que le film n est pas une comdie (bien que le
numros de Chaplin et spcialement celui avec Buster Keaton soient irrsistibles) mais une
sorte de profonde et captivante lgie sur linnocence et lexprience.
Et pourtant pourquoi stonner ? Ds 1915, dans Life, film inachev, Cliaplin mon
trait dj son intrt pour le film srieux ; dautre part lextraordinaire Idylle aux
champs et L Opinion Publique ainsi que la mlancolie croissante de tous ses films depuis
Les Lumires de la Ville indiquaient fortement cette tendance. Il faudrait en finir avec

19

cette formule absurde : le clown qui veut jouer Hamlet . Certains (y compris Hamlet)
ont su tre les deux et en Toccurence si lon peut tre surpris il faut aussi tre recon
naissant.

II. LES ETRANGERS TRAVAILLENT, LES ANGLAIS CHERCHENT...


Tout le reste, pour le moment, semble insignifiant. Les studios anglais n ont rien pro
duit dextraordinaire ces derniers temps, exception faite du film de Mackendrick, Mandy>
trs ingal mais qui comporte dexcellents passages. Les deux derniers films intressants
que nous avons vu nous viennent de France et dAmrique. Casque <TOr est sur la voie
dun grand succs et a t beaucoup plus apprci ici quen France; quant au Quiet Man
de John Ford cest un ds rares films qui mette tout le monde daccord.
Dans nos studios ce sont les trangers qui fond des choses intressantes. John Huston
a termin Moulin-Rouge, vie de TouIouse'Lautrec, qui je pense, nous vaudra, entre autres,
dintressants rsultats quant la couleur. Les dcors, de Paul Scheriflf qui fit ceux
tYHenry V, sont dune belle authenticit. La performance de Jos Ferrer dans le rle
principal sannonce galement comme exceptionnelle. On peut toutefois tre sceptique sur
rincarnation de Jane Avril par Zsa Zsa Gabor.
Gene Kelly est en train de tourner le second ballet de son Invitation la danse, film
exprimental compos de quatre ballets sans aucun lien entre eux; il est tout la fois le
chorgraphe, le metteur en scne et le danseur d chacun des ballets qui sont rpts
durant plusieurs semaines avant le tournage. ,
Cari Foreman, qui ft longtemps le scnariste attitr de Stanley Kramer (The Men,

1921, T h e K i d .

20

1947, M onsieur V erdoux.

1952, L im e lig h t. C h a p lin red ev ien t bon .

21

High Noon), sest install en Angleterre o il vient de foncier sa propre compagnie de pro
duction.
;
Nos metteurs en scne anglais semblent pour le moment dans la dlicate situation de
ceux qui sont la recherche dun sujet. Les sujets leur apparaissent comme des trsors
insaisissables et cachs, existant indpendamment des chercheurs. A ce stade de la Recher
che on commence sentir quil y a rellement un malaise : cherchent partout sauf n euxmme. Pas, toutefois, Robert Hamer qui depuis longtemps dsire raliser The Shadw and
tke Peale. Il sagit dun roman dont laction se situe dans une cole de la Jamaque entre
un matre dcole et une fillette de treize ans qui a des troubles sexuels. La difficult est
de trouver tui producteur. Carol Reed, aprs avoir abandonn successivement un roman
de Simenon et un mlodrame se passant Tanger, fait travailler pour lui maintenant, sur
un sujet qui nous est inconnu, un scnariste amricain assez obscur : Harry Juenitz fauteur
des Aventures de Don Juan avec Errol Flynn). Alexander Mackendrick n a pas de pro
jets... si ce n est de faire dautres films.

'

III. UN LIVRE SUR EISEJVSTEIN.

Lvnement le plus important, aprs la projection de Limelight, est peut-tre la


publication de la massive biographie dEisenstein de Marie Seaton. Cest un courageux
travail qui ne laisse rien dans lobscurit. Marie Seaton ft ime amie intime dEisenstein
vers 1930 et, comme chacun sait, a mont des fragments de son film mexicain .sous le titre
Tim e in the Sun. Le livre est plein de dtails passionnants, trs documents et son analyse
du temprament dEisenstein elle note ses troubles sexuels, sa passion pour les images
pornographiques (il en dessina des centaines et en envoya un lot Upton Sinclair en quit
tant Mexico) est mesure'mais franche. Il y a un chapitre remarquable sur son sjour
Hollywood et la description des sujets prometteurs quil dut abandonner entre Qiie Viva
Mexico et Alexandre Nevsk : une comdie M. M. N., Le Pr de Bejhin, Moscou la
seconde. Une trs secrte personnalit est tudie de prs et, comme celle de Chaplin quil
admirait profondment, se rvle essentiellement tragique.
G a v in L a m b e r t

22

LETTRE DE COLOGNE
par
Pierre Mercier
'

Cologne, Novembre, 1952

Depuis plusieurs annes, chaque semaine, je bourlingue par tous les temps dans les
rues de Cologne en qute dun programme cinmatographique vraiment sensationnel. J ai
revu le vieux King-ICong de Slioedsack avec les fameux animaux prhistoriques de Willis
OBrien...
La grande poque du cinma allemand (1920-1926) avec les clbres scnaristes et
metteurs en scne tels que Cari Mayer, Robert \Yiene, Lulu Pick, Paul Lni, Fritz Lang,
Arthur Robinson, Pabst, Joe May... semble dfinitivement noye dans la nuit des temps.
Aujourdhui, le public rclame des films capables de le distraire de ses soucis quotidiens.
Marika Rkk triomphe toujours mais de jeunes rivales grignotent sa popularit.
Les parades musicales avec leurs escadrons de jolies filles se succdent un rythme
dsordonn. Les dcorateurs recomposent sans trve dinnarrables palais hindous pour
abriter les rocambolesques aventures de quelque illustre m aharajah polygame et richis
sime.
Jai revu la belle actrice sudoise Zarah Leander dans La Habanera et Kristina Soderbaum (lhrone de Jeunesse et de La Ville Dore) dans Immensee et Opfergang.
Hildegarde ICnef, aprs un stage lacadmie des Beaux-Arts de Berlin, simprovise
actrice. Grce Willy Forst qui la lance dfinitivement dans Sunderin elle acquiert une
rputation mondiale.
Le cinma franais jouit dun incomparable prestige. Il lis doit quelques uvres
dune valeur artistique indiscutable : Les Enfants du Paradis, Journal d un Cur de
Campagne, Le Silence est d Or, Rendez-Vous de Juillet, La Grande Illusion, Orphe,
Barbe-Bleue, Dieu a besoin des Hommes, La Symphonie Pastorale, Le Diable au Corps,
Manon, Justice est Faite.
Quatre films mdiocres ternissent un peu lclat de ce brillant palmars : Caroline
Chrie, Clochemerle, Bote de Nuit et Une Nuit Tabarin.
Le no-ralisme italien rebute les Allemands. Seuls, les films en possession de solides
atouts rotiques tel R iz Am er glanent par-ci par-l quelques sympathies quivo
ques.
Les films exotiques connaissent une extraordinaire faveur. LAfrique, lAsie, lAmrique
du Sud, lOcanie surtout provoquent des mditations dune trange nostalgie.
Les Mines du Roi Salomon, Kon^Tiki tintent laffiche durant de nombreuses semaines.
Mais lAllemagne refuse absolument de se reconnatre dans les productions du genre
Les Assassins sont parmi Nous, Quelque Part Berlin, Mariage dans VOmbre et Aux Fron
tires du Pch du vtran Stemmle. A ce sujet les critiques trangers accumulent les lu
cubrations les plus extravagantes.
Quelques reprises intressantes mritent dtre signales : Jeunes Filles en Uniforme
de Lontine Sagan avec les deux mouvantes interprtes Dorotha Weck et Herta Thiele
et L Ange Bleu de Josef Von Sternberg.
Lni Riefenstahl rintgrera bientt les studios.
Evidemment, le film que je prfre ces un film expressionniste, dune loquence plas
tique vraiment bouleversante : Das Ewige Spiel.

Je souhaite Frans Gap, F audacieux m etteur en scne, un avenir fcond.


Jadis, des films comme La Marche au Soleil ou Force et Beaut n offusquaient per
sonne. Mais ces temps ne sont plus.
Aujourdhui, lAllemagne vit dans leuphorie du rgime dmocratique.
Impossible pour un artiste denregistrer le plus minuscule millimtre de pellicule sans
l'agrment d un nombre astronomique de farouches dfenseurs de toutes les liberts. Ces
censeurs puisquil faut les appeler par leur nom dans un lan fraternel vraim ent
magnanime singnient concilier toutes les susceptibilits : celles des protestants les plus
puritains, des vieilles filles les plus pudibondes, des catholiques les plus orthodoxes, des
pres de famille les mieux pensants, t., etc., etc.
Bien entendu, il reste quen thorie le cinma allemand jouit dune trs large libert
dexpression.
P

H a p p y E n d I.

ie r r e

e r c ie r

QUEL EST LAUTEUR


DE LA FDRATION INTERNATIONALE
DES AUTEURS DE FILMS ?
; par ..

Marcel LHerbier

Louis Chavance est un scnariste remarquable. Je ne lapprends per


sonne. Mais je suis heureux, en le rappelant tous, de me le rappeler dabord
moi-mme.
Les Matres des Sujets, ceux qui donnent au cinmatographe des thmes
aussi subtils, et assi profonds, - que cette frie raliste, trop souvent
copie, qui se nomme La Nuit Fantastique, ne sont pas si nombreux quil
faille hsiter leur rendre, ds que loccasion sen prsente, un hommage
particulier.
.
Elle se prsente et je. le faisv

Cela dit, Chavance ne m en voudra pas de montrer moins denthousiasme


pour le scnario a tendance historique quil vient de publier ici-m m e (1) pro-.
pos dune certaine, ou incertaine, Fdration Internationale des Auteurs
de Films.
Sur ce sujet professionnel qui me tient cur presque autant quun bon
sujet de film, jai, moi aussi, mon mot dire. D ailleurs lauteur du Corbeau
ne le conteste pas. Il a m m e la . loyaut de reconnatre que les lettres de
crance, introduisant lorganisme quil patronne, ne sont pas des lettres ano
nymes. Mon nom y figure daprs lui en bonne place. Et T on se doute que ce
n est pas sur ce point que jentends rectifier Ghavance. Cest plutt sur la faon
de prsenter lacte de naissance et la fiche didentit de sa Fdration Inter
nationale que mon historique risque de diffrer de son scnario.,
Il n est donc pas Ls ans intrt que les C a h i e r s d u C i n m a rtablissent avec
prcision la vrit autour dune de nos plus prcieuses institutions profession
nelles, - et quils permettent chacn den prendre une i d e . exacte, avant
que lencre indlibile dont s sert Georges Sadoul pour tracer lIIistoire du
Film ne vienne, dans le 78a ou 79a tom de sa somme, fixer jamais le processus
dune cration moins spontane quelle ne parat sous la plume de Chavance,
et plus dpendante en tous cas des faits et des dates que je transcris objecti
vement ici, l intention dune postrit relative.

Et dabord contestons lpoque de cette naissance. Non, le premier grain


de la Fdration Internationale des Auteurs de Films ne fut pas sem, comme
laffirme aveuglment Chavance, au cours dune veille des chaumires dont
(1) C a h i e r s d u C in m a, n 9 : 1 4 , p a g e 17.

25
3

il ne sait plus lui-mme si elle se situe en 1939 ou en 1946, et dont il


^omet de dire quels chasseurs cinastes elle runissait autour de son grand feu
de tableau de genre
En fait cest vingt ans avant cette soire la date flottante et aux parte
naires fantmes, voqus entre rve et ralit par notre scnariste, quune
premire, ou tout au moins une premire- srieuse tentative se fit jour pour
rapprocher les crateurs de films venus de tous les horizons du monde. \
Ctait en 1926, durant le Premier Congrs International de la Cinmatographie, tenu Paris au Palais-Royal sous lgide de l institut de Coopra
tion Intellectuelle, U.N.E.S.C.O. miniature de la Socit des Nations dalors (1).
Nomm rapporteur ce Congrs qui groupait en sa Classe VIII d illustres
confrres venus de partout, je pris linitiative (bien prmature je lavoue) dun
groupement international des cinastes, - groupement qui devait, selon moi,
spanouir un second Congrs prvu pour lanne suivante Berlin. Les pro
cs-verbaux et un article de Jean Tdesco (souvent cit) confirment cette initia
tive dil y a vingt-six ans... Par malheur les Etats-Unis, alors isolationnistes, bou
daient imprialement ces tentatives dorganisation europenne du cinmatogra
phe. Ils navaient pas seulement refus de participer au Congrs de Paris. Ses
dlgus officieux, qui y taient venus en observateurs, le quittrent en torpil
leurs... Et ce deuxime Congrs neut jamais lieu !
Ainsi s trouvait bannie du monde des possibles mon ide dunir pratique
ment les cinastes autour de leur Art, de leurs responsabilits et de leurs int
rts. Par la suite, lEurope des dictatures fit dfinitivement obstacle ce
beau projet. Il demeura pourtant, pendant les vingt ans qui suivirent, une de
mes chimres favorites. Et je nexagre pas en affirmant quon en trouve l
. trace dans plusieurs de mes professions de foi cinmatographique (2). Mais
autant, sans doute, en emporta le vent, puisque Chavance nen souffle mot...
Et nous voici venus, chemin faisant, une date-cl, par o passe la ligne
de partage des eaux de lHistoire. Lhistoire que je raconte ici. Cette date est
le 1er janvier 1949.
Avant 4 9 , sur le versant du pass, Vide de grouper les cinastes na
suscit, on l a vu, que de modestes courants de sympathie : ceux que Chavance
a tirs dune ombre complice ; ceux que, vingt ans plus tt, javais mis en
lumire devant un Congrs sans lendemain.
Mais puisque finalement rien de p ositif na v u .le jour, admettons que mes
vellits davant 49, aussi bien que les rveries de notre scnariste ou de ces
confrres comptent, en bonne justice historique, pour nant.
En fait, cest donc partir de 49, et de l seulement, quune chronologie
valable de la naissance et de VHistoire de la Fdration Internationale des
Auteurs de Films peut tre authentiquement fixe. Mais Chavance, qui honore
cette authenticit dans son titre, la trahit dans son texte.
Rtablissons la vrit.
.
Ds 1949, exactement le 11 fvrier, flicitant Frdric March qui de
New-York plaidait pour quun film pt, au mme titre quun livre, recevoir
le Prix Nobel de la Paix, je rappelais que ce vu (3), exprim par m oi au
temps des grandes esprances cinmatographiques (4), ne deviendrait une ralit
(1) Noublions pas non plus que Georges Mlis m entionn ait sur sa carte de visite :
P rsid en t des Congrs In ternationaux des E diteurs de Film s . Ctait en 1909. R a p p e
lons aussi, avec la m odestie convenable, qu'un Congrs In tern atio n al sest tenu B ruxelles
ds 1910, ou a t dj pose la question du d ro it des auteurs de films ( Intelligence d u
Cinm atographe , page 188).
; ,
(2) N otam m ent dans Cinm atographe et D m ocratie (P aus -S oir , 8-10-1926).
(3) L e F i l m F r a n a i s , n 217 : Le Cinm atographe, la P aix et l P rix Nobel *
(4) C o m c e d i a , 1 " octobre 1926 : Le P r ix Nobel du Cinm atographe .

26

que si tous les cinastes du monde acceptaient enfin de sunir. Et je Texpli


quais ainsi : Une vritable solidarit des professionnels, hier impraticable,
aujourdhui imminente, peut seule permettre dapporter, aux problmes nou
veaux que posent les relations culturelles internationales, des solutions
satisfaisantes.
.
Et j ajoutais que la volont des cinastes d e se lier entre eux de pays
pays, de se fdrer, de crer en commun cette centrale cinmatographique
mondiale , dont javais voqu dj les avantages infinis (1), pouvait seule
justifier la future attribution dune rcompense aussi retentissante et uni
verselle quun Prix N obel.
En conclusion je prcisais que, selon moi, lU.N.E.S..O., aprs avoir
favoris la naissance dun Institut International du Thtre, dun Conseil
Mondial de la Musique, dune Fdration des Critiques dArt, etc..., ne sau
rait se dsintresser de la constitution immdiate de cette Fdration. Interna
tionale des Auteurs de Films (F.I.D.A.F.) dont 'javais, depuis la Libration,
montr quelques-uns linluctable ncessit .
Ma vieille, ide tait de nouveau remise en chemin. Et, expressment for
mul, le titre de lorganisme qui la traduirait, en faits.
Comme, sauf erreur, j e . ne vois rien qui, antrieurement, ait t annonc
sous cette forme, j en dduis que ma proix>sitioii dinstituer une Fdration
Internationale des Auteurs de Films bnficie dune priorit certaine. Mais
les crits volent,, on le sait. Je nattache celui-l, dans la pice historique
que je rsume, que la valeur dun prologue. Et je passe aux actes. Au premier
acte.
vDans les derniers jours de fvrier, je vins chez le Prsident de la Socit
des Auteurs lentretenir en premier, comme jen avais le devoir, du projet que
javais rendu public et dont TU.N.E.S.C.O., sur ma proposition, venait dap
prouver le principe. Comme ce Prsident, que nous aimons et estimons sous
le nom de Roger-Ferdinand, tait aussi, ce moment, l Prsident de linstitut
International du Thtre, je neus aucune peine lui faire admettre quun
groupement mondial des cinastes prsentait au moins autant dutilit que son
groupement mondial de dramaturges.
Roger-Ferdinand, avec sa clairvoyance coutumire, ne se borna pas map
prouver. Il m offrit dabriter dans la Maison de Beaumarchais les services pro
visoires de cet organisme. Passons.
Le 22 mars, aprs avoir consult M. Douglas Schneider lU.N.E.S.C.O.
et, New York, mon ami Jean Benoit-Lvy (alors Directeur du Film Board de
l .N.U., qui maccorda son appui total, jcrivis au Prsident de lAssociation
des Auteurs de Films Carlo Rim, pour lui proposer dtudier avec m oi ce projet
dj mr que je lui dsignais en toutes lettres : une Fdration Internationale
des Auteurs de Films.
Si les occupations de Carlo Rim ne lui permirent de m entendre, et dailleurs
de mapprouver, que trois mois plus tard, si les vacances puis sa fonction au
Festival de Cannes nous interdirent tout nouvel entretien, il nen est pas moins
vrai que grce Jean Benoit-Lvy, sigeant lui-mme au jury du Festival,
je pus faire tenir au Prsident des Auteurs de Films les textes organiques:
(projet de charte, rglement provisoire, systme dadhsion) que javais ;pris la
peine de mettre au point, non sans avoir consult des confrres anglais, am
ricains et, grce Jean George Auriol, italiens. Carlo Rim les discuta, demanda,
que ny fussent pas expressment analyss les problmes du droit, dauteur,
les approuva, et un autre mois scoula.
'
. : .. ;
(1) O p r a ., 26 n o v e m b r e 1 9 4 7 .

. Enfin le Conseil dAdministration de l Association des Auteurs de Film s


dcida de nientendre. Le 20 octobr e 1949, je lui exposai, en prsence de
Jean Benoit-Lvy, les ides gnrales et particulires qui m avaient am en
croire quune fdration de cinastes tait dune utilit pressante, notamment
pour vivifier un mtier qui se dgrade et pour sopposer sans dlai aux mena
antes entreprises de la. Fdration Internationale des Producteurs. Faut-il
ajouter que Louis Chavance, Secrtaire Gnral de lAssociation, assistait sans
lever dobjections cette audition, probablement convaincante puisque le
27. octobre je recevais de notre Association la lettre dont les termes condam
nent incontestablement la version publie dans les C a h i e r s du C i n m a et recon
naissent formellement mon initiative, donc ma priorit.
Cette adhsion sexprime suffisamment dans ce texte :
Voici la liste des membres qui ont t dsigns par votre Conseil dAdmi'' nistration pour reprsenter lAssociation des Auteurs de Films la Com mission charge de la cration dune Fdration Internationale des Auteurs
de Films :
,
MM. Jean Delannoy,
Pierre Bost,
:::
Ren Cio rec.
/
n
Supplants :

MM. Christian-Jaque,
Pierre Vry,
*
'
Grgs Van Parys.
'
Ce qui veut dire, moins quon ne lise les. mots lenvers, que lAssociation
des Auteurs de Films sengageait collaborer effectivement la formation de
lorganisme dont je lui avais montr les avantages et quelle approuvait expli
citement le titre que je lui avais donn.
: Sur cet engagement et ctte approbation qui mencouragrent, sachve le
premier acte de ce petit drame professionnel.
" " "
r;
*
'
.

Le second commence tout naturellement sur mon empressement battre


le rappel des bonnes volonts chez les cinastes de Rome, Londres, Hollywood,
Paris, traduire (avec laide de Nino Frank), faire traduire par lU.N.
E.S.C.O., discuter, diffuser les documents de base. Finalement, le 7 jan
vier 1950 se tient la premire sance de la commission provisoire de notre
Fdration Internationale o sigent les dlgus de l Association des-Auteurs
de Films. Je pouvais croire que cette sance serait dcisive. Je ne mtais pas
tromp. Elle le fut en effet. Mais dans un sens tout oppos ma prvision.
Et je cherche, encore aujourdhui, les raisons de cette opposition.

Avions-nos trop bien travaill ? Ou trop vite ? Certaines susceptibilits


en avaient-elles t froisses ? Certaines inquitudes veilles ? Ou certaines
rivalits dmasques ? Comment le dire ! Mais ce que je sais cest que le
7 fvrier 1950, un mois jour pour jour aprs la premire runion de la commis
sion et un an aprs le dbut de mes efforts, le Prsident Carlo Rim accueillit
sans entrain les progrs que je m essoufflais lui rapporter/
Il ne me cacha pas quon lorientait, et quil sorientait dsormais,
vers un groupement mondial de cinastes qui se ferait, non pas, comme je
lavais conu, par adhsion libre de personnalits reprsentatives choisies dans
chaque pays, mais par une affiliation des associations cinmatographiques
nationales la Fdration Internationale des Socits dAuteurs, dont le VicePrsident tait justement Roger-F erdin an d.
_ ,
: . _
Jusqu ce jour une telle affiliation m avait sembl un contre-sens. Et je

la tiens, encore aujourdhui pour telle. La dite 'Fdration groupe non .des
auteurs, mais des socits de perception de droits dauteurs. Le droit dauteur
cinmatographique ntant nulle part tabli, donc nulle part peru, il nexiste
nulle part de socits dauteurs de film s pouvant prtendre sunir, . galit
organique, avec les socits perceptrices des droits thtraux, littraires ou
musicaux. Mais je compris vite que cet trange revirement visait moins favo
riser une affiliation prmature et impraticable (comme Chavance le reconnatra
lui-mme, ici, deux ans plus tard (1), qu dresser un barrage contre mon ini
tiative, sous le prtexte avou dune mfiance thorique et politique envers
rU.N.E.S.C.O. mais peut-tre sous l influence dapprhensions plus personnelles.
Comme il tait urgent de dmontrer les rouages secrets de cette vire
volte, je ne m opposai pas ouvertement la dmarche auprs de la Confd
ration que Carlo Rim semblait souhaiter ; sous la rserve que cette tentative
ne contrarit ni ne retardt mon projet, et avec lide que les faits se charge
raient eux-mmes de dpartager les deux tendances.
Cest,pourquoi, aprs avoir rappel a notre Prsident (2) combien son chan
gement dattitude m avait troubl, jacceptai pour la forme cette action bipartite.
Cest donc un dbat double fond que je prsidais, le 17 fvrier, rue Balu,
Dune part, on examina les progrs accomplis par mon projet de Fdration
et on me couvrit de fleurs superflues. D autre part, on dlgua Carlo Rim et
moi auprs de la Confdration Internationale des Socits dAuteurs pour
y discuter les conditions, ventuelles dune affiliation du cinmatographe.
Laccuil que nous y remes fut, comme il se devait, excrable. Le cin
matographe qui fond en lui thtre, littrature, musique et qui ne peroit pas,
soppose foncirement une Fdration o tout est bas sur la perception,
nettement spare, de droits thtraux, littraires et musicaux.
Pour moi, jen concluais sur lheure que cet accueil significatif, et dailleurs
justifi, fermait lavenir. Il ne nous restait plus qu poursuivre, plus rapide
ment encore, la constitution dfinitive dune Fdration Internationale dAur
teurs de Films, patronne et soutenue par lU.N.E.S.C.O.
Mais ce ne fut pas l avis de Carlo Rim, ni sans doute de Chavance. Du
moins ce m om en t Et du moins devant la menace de voir aboutir mon pro
jet. Et ce nest que deux ans plus tard (deux ans perdus) que Chavance me
donnera sur ce point raison, comme nous le verrons tout lheure.
Donc, en m ai 1950, le rideau du deuxime acte va tomber au moment,
dramatiquement valable, o Carlo Rim et moi en sommes venus un dsac
cord aussi cordial que foncier. Il dclare se mfier plus que jamais de
l U.N.E.S.C.O. qui veut amricaniser les auteurs (3). Et il entend poursuivre,
ou faire poursuivre par Roger-Ferdinand, devant le Congrs de la Fdra
tion des Socits dAuteurs qui se tiendra Madrid quatre mois plus tard, laffiliation (chimrique) du cinmatographe la Fdration des Socits dAuteurs;
enfin il ne se prive pas de vouloir restreindre les objectifs de mon projet que,
pourtant, je navais fixs quavec laccord de notre Association, cest--dire
le sien.
(1) C a h i e r s d u C i n m a , n 14, page 21 in fine.
(2) Par une lettre du 8 fvrier 1950.
'
(3) Aprs Theureux travail accompli par lU.N.E.S.C.O. depuis deux ans en matire
de protection du droit des auteurs, mme cinmatographiques, et la Convention interna
tionale quelle vient de faire signer Genve le G septembre 1952 par trente-cinq nations,
il est devenu vident que la mfiance, de Carlo Rim manquait autant de solidit que son
enthousiasme et celui de Chavance pour la Confdration des Socits dAuteurs. Citonsf
dans le mme sens, une dclaration fort difiante de Mrs. F.D. Roosevelt (New York
13 octobre) : LU.N.E.S.C.O. fait lobjet dattaques aux Etats-Unis sous prtexte quelle
est gangrene et pervertie par les lments communistes qui y agissent s> (!).

De mon cte, voyant grandir les dangers du vide international o nous


restons, je crois vital pour notre profession de hter la constitution de ma
Fdration.
V.1! .
"
: ; ***
' ", . *
. -' ':
, ,

. ' Le troisime acte, provisoirement le dernier, est plein de rebondisse


ments, de bruit, de fureur et tout naturellement de gags auxquels notre com
plaisant scnariste nest pas tranger.
Au rideau, ct jardin, _on dcouvre lagitation qui prside aux derniers
prparatifs de la constitution.de cette Fdration. Et le 3 juillet 1950, je convie
lU.N.E.S.C.O., pour la conclusion: du rve bauch il y a 24 ans, une ving
taine de nos confrres : sept scnaristes, dix ralisateurs, quatre compositeurs,
et-notre conseil juridique Matre Pierre Rivire. LAssociation des Auteurs de
Films, dont Berthomieu est devenu entre temps le Prsident, a dlgu Carlo
Rim et, soulignons-le particulirement, Louis Chavance. En outre. Claude AutantLara, Jean Benoit-Lvy, Raymond Bernard, Christian-Jaque, Ren Clair, Henri
Dcoin, Jean Delannoy, Jean Drvile, Roger Fernay, Nino Frank, Jean Grinillon, ont accept, prsents ou reprsents, de prendre part cette cons
tituante .
:
Le dbat s ouvre, sanime... Aboutira-t-il un nouveau destin des cinastes ?
LHistoire le retiendra-t-elle comme leur dpart vers luniversalisation de leur
idal ? Hlas non ! Ce bel pisode tournera court. Les rserves formules
(rentre, au nom de lAssociation des Auteurs de Films par ses deux dlgus,
sont si srieuses, si fondam entales que toute action utile,- constructive, se
trouv interdite par avance la Fdration qui voulait se crer. - A moins
(juelle ne passt outre ces rserves et sen tint ce qui lui avait t accord
antrieurement. Mais ceut t alors mettre ses adhrents en oppositibn avec
leur Association. Diviser leur conscience. Bien quune majorit dans ce sens
duLs dgager dn vote de principe, je refusai que ce vote eut lieu. Il m e
sembla que lunion professionnelle devait lemporter sur tout. Et la sance
,ra leve, sur limpasse dlibrment provoque par les dlgus ds Auteurs
dq' Fi,lins. Ainsi dix-huit mois daction aboutissent consolider le n a n t.,
'."Mais- ce qui se passe au m me m oment du ct Cour accuse enCore les
tranges aspects du revirement intervenu. LAssociation des Auteurs de Fims
qui .a patronn officiellement dabord la Fdration que je lui proposais, qui
a cd par la suite lin penchant ambigu pour la Fdration des Socits dAu
teurs/qui en , t pratiquement carte, sest acharne assez masocliisteinent
cesirer qui la repousseo
t
1 ^ v,
J - Cest pourquoi, ail lendemain de l sance, tristement historique,' de
rXJ,N.E.S.G.().s le Prsident Berthomieu,- aprs m avoir confirm les rserves de
es dlgus, m crit, avec une agrable ironie :
V ( r) Je profite de cette circonstance pour vous informer, que le Conseil dAd inhistratibn ds Auteurs d Film s continue manifester la plus grande sym pathie pour les efforts que vous avez entrpris. Mais il estime que le groxi pement dont vous avez pris linitiative, sous lgide de JU.N.E.S.C.O., doit
se limiter essentiellement des buts culturels, la question du droit dauteurs
tant dvolue aux Socits de perception (1) et, sur le plan international, la
..Confdration Internationale des Socits dAu leurs et Compositeurs au sein
.dei laquelle le Prsident Roger-Ferdinand se propose de faire voter au pro, ' (/>' C- qui veut dire : Ja * Dramatique , puisque TAssociation des Auteurs de Films
nest pasr une Socit de perception. Elle avoue ainsi son impuissance a se reprsenter
elle-mme sur le plan international o aucune socit de perception ne peut la reprsenter
valablement..

chain Congrs de Madrid la cration dune... Fdration Internationale des


Auteurs de Films (sic).
Extraordinaire aveu ! Le Prsident Berthomieu oublie :
1) Quaprs entente entre Carlo Rim et Jean Benoit-Lvy Cannes en
septembre 1949, les questions de droit dauteur ne figurent plus dans les obejctifs immdiats de ma Fdration ;
2) Que le titre, Fdration Internationale des Auteurs de Films , appar
tient mon initiative ; et quen disposer sans mon accord pour-dautres fins
constitue ce quon pourrait tenir pour une atteinte au droit moral que je
possde ;
.
3) Qu Madrid, il ne saurait tre question que de crer une Fdration
des Socits dAuteurs de Films, et non une Fdration dAuteurs de Films.
Or-la premire est impossible. Et la seconde est mon projet.
Ds le 20 juillet, je crus utile de faire connatre, lion sans humeur, ma
raction devant lattitude tonnante adopte par notre Association.
Je rappelais ma priorit, les faits et jajoutais :
Au reste, par quel miracle parviendrait-on Madrid fdrer des Socits
dAuturs de Films alors que, nous le savons bien, il nen existe effectivement
<< presque nulle part dans le monde. Que prtend-on alors fdrer ? On ne
fdre pas le nant .
Puis, en conclusion, je tchais de montrer au Prsident Berthomieu toutes les
consquences de... cette inconsquence:
Ce dbat mrite dtre men jusquau bout. Des responsabilits prises.
Je suis prt pour ma part, suivant la tournure que votre examen prendra, ou
abandonner ce projet qui mtait cher ( plus dun titre), ou le poursuivre
et le faire immdiatement profiter des sympathies quil a dj suscites en
<< Italie, en Angleterre, aux U.S.A., rU.NJE.S.C.O,, rO.N.U., et mme en
F rance .
Si trange que cela paraisse, aucune rponse ne me fut faite. On prfrait
que jabandonne.
Pourtant, conclusion admirable, je reus de 1SAA.F., quatre mois plus
tard (13 novembre 1950), cette prcision rvlatrice :
Sur une intervention extrmement brillante du Prsident Roger-Ferdi nand, la Confdration des Socits dAuteurs a approuv lunanimit la
constitution dune Fdration Internationale Autonome des Auteurs de Films .
Lisons bien : Fdration dAuteurs et non plus de Socits dAuteurs.
Lisons encore Autonom e, cest dire quon vient de fonder son affiliation
prs, la Fdration que javais dj fonde ! Et le faire-part de lA. A. F.
s achve sur ce gag :
Le Conseil pense que vous apprciez Timportance de cette dcision et,
cette occasion, il souhaite trs vivement que vous nous apportiez votre trs
prcieux concours en revenant siger dans son sein pour participer aux
dmarches et aux travaux qui vont tre mens pour la protection des Auteurs
de F ilm s. En termes apparemment srieux le Conseil minvite donc, le tour
tant jou, les places dirigeantes de la future Fdration tant occupes dj par
Carlo Rim (Prsident) et Louis Chavance (Secrtaire Gnral), prter mon
concours en bout de table lorganisme autonome dont on m a subtilis
linitiative !
Cette lettre, dune exquise innocence, porte une signature qui renforce Teffet de dtente prvu pour la fin du troisime acte : la signature de Louis
Chavance !

3!

Commenter ce qui prcde est superflu. Htons-nous den rire... et courons


lpilogue de cette interminable farce. Nous le trouverons la page 21 des
Cahiers du Cinma dans la version romance de Chavance.
Un pas dcisif fut fait grce Roger-Ferdinand au Congrs de Madrid
de la Confdration Internationale des Socits dAuteurs (octobre 1950.).
L e premier lan tait donn, dsormais la Fdration Internationale des
Auteurs de Film s tait en route .
v
Mais aprs ce rappel dune victoire dlictueuse, voici le grand aveu o
s amorce la moralit tardive de ce mlimlo regrettable.
Cependant des difficults techniques imprvues (imprvues pour qui ?) se
prsentrent au bureau confdral le 27 avril 1951 ( . . . . ) dont la principale
semblait tre que la Confdration groupait exclusivement des Socits de
perception tandis que lAssociation des Auteurs de Film s n tait pas Socit
de perception mais souhaitait le devenir.
Comme elle dsirait constituer une Fdration Internationale pour faire
un pas de plus dans cette direction, mais comme elle ne pouvait faire ce
pas parce quelle ntait pas Socit de perception, elle se trouvait enferm e
dans un CERCLE VICIEUX de cauchemar dont on ne peut sortir quen
sveillant ( . . . . ) . LAssociation des Auteurs de Film s allait prouver le mou vment en marchent (1) et constituer la Fdration Internationale des Auteurs
de Films par ses propres moyens. &
>
Par ses propres m oyens ? Cest trop dire. En grande partie par les
miens, puisquelle memprunte mon ide, mon m ode individuel de recrute
ment, mon programme de base, les fruits de ma propogande et lautonom ie de
inon projet vis--vis des Socits dAuteurs, Mais ces emprunts mis part, lar
ticle de Chavance est un monument de vrit.
Et on ne saurait avouer avec une navet plus sympathique que l on m a
dtourn de faire ce que je voulais faire pour faire, m a place, autre chose;
que cette autre chose nayant pu se faire, on a fait peu prs ce que je v o u - .
lait faire ; que layant fait, mais mal fit, on ma considr comme coupable
de navoir pas collabor le m ieux faire. Car voil la dernire drlerie de
cett vocation. Chavance en vient galement reconnatre que sa Fdration
qui devait prouver le mouvement en marchant, ne marche pas trop bien. Il
avoue : Un autre problme plus grave encore restait pos. Nos Associations
taient pauvres . Pauvres, elles le sont encore. Elles le seront toujours... Cest
pourquoi je voulais leur assurer une assistance matrielle. Et cest sans doute pour
y avoir renonc que la Fdration de Chavance, deux ans aprs sa naissance, n a
pas pu runir encore, malgr la Prsidence de Carlo Rim, les plus notoires ralisa
teurs du monde ; et quelle nest pas parvenue davantage entreprendre l
vaste et coteuse action internationale qui, seule, pourrait rtablir, et la dignit
compromise de notre profession, et la qualit souvent m enace de -FArt du film.

En rsum, ce que j avais prvu il y a plus de trois ans na pas m anqu de


se vrifier : 1) Une Fdration Internationale des Auteurs de Film s ne peut pas
fonctionner laise, vu ltat actuel de lexploitation des films, dans une Conf
dration de Socits de perception. 2) Une Fdration Internationale des Auteurs
de Films ne peut se constituer que par le recrutement individuel de personna
lits agissantes et reprsentatives. 3) Une Fdration Internationale des Auteurs
de Films ne peut vivre et aboutir quavec l puissant secours m atriel, ou de
(1)

32

E n volant plutt.

lU.N.E.S.C.O., ou de quelque mcne dailleurs introuvable, car partout les cra


teurs sont pauvres si les socits de perception sont riches. Ces trois vrits
mettent le point final une trop longue rtrospective. Parce que J ai pos en titre
un problme de droit moral, que lon n aille pas croire que je m illusionne sur
son importance. Il reste, de toute vidence, secondaire et rien de ce qui concerne
fondamentalement le sort des cinastes nen serait, pour autant, rsolu. Ce qui
compte, leurs yeux comme aux miens, ce nest pas ce qui a manqu dtre.
Pas davantage ce qui aurait d tre. Cest uniquement ce qui SERA.
Peu importe, en effet, que j aie raison ou non contre un confrre, au reste
charmant, et dont je ne suspecte en rien la bonne foi. Ce nest pas damourpropre ni de revanche quil sagit ici. Cest dassurer au plus tt et AU MIEUX
la dfense collective, universelle, des Crateurs de films contre ce qui engage
faux leur responsabilit sociale, menace leur propre existence ou avilit leurs
moyens dexpression. Devant un tel problme, les dconvenues personnelles
soublient vite et passent facilem ent aux profits et pertes de l activit profes
sionnelle. Mme si il tait juste que ces mcomptes figurent au passif de lHistoire, il serait injustifiable quils discrditent en quoi que ce soit l avenir. Lavenir
prime nos droits.
En rtablissant la vrit, en permettant chacun, partout, de la mditer,
j ai voulu seulement que la conscience des cinastes de tous les Pays sinter
roge et quelle se demande si, aprs trop dannes perdues, il ny a pas,
aujourdhui encore, une menaante lacune combler dans lorganisation, sur
le plan culturel international de la cration cinmatographique.
Et, finalement, cest mes confrres du monde entier quil appartient de
dire si ils ne jugent pas opportun, urgent, de sunir troitement dans une vraie
Fdration, active et puissante, ou dans quelque Institut Mondial dArt
Cinmatographique , pour construire en commun un cinma enfin lchelle
de lHomme. Cest pour que sinstaure une vaste consultation sur cette, question
capitale que jai souhait lappui des Cahiers du Cinma. Si, grce la diffusion
quy trouve mon appel, une union m ondiale des crateurs de films se constitue
bientt, je serai largement pay de la forte dception que je dois au scnario,
pour une fois fragile, de Louis Chavance...
Mais quil reste entendu que cette gilde des cinastes du monde ne saurait
se construire avec les chances convenables sans le concours momentanment
irremplaable de l U.N.E.S.C.O.
A la lumire notamment de ce qui se passe, tandis que jcris ces lignes, sous
le ciel accueillant de Venise o, sans se laisser rebuter par rien, lU.N.E.S.C.O.
favorise la fois un congrs des dramaturges que groupe son Institut Interna
tional du Thtre, et un vaste rassemblement des artistes de toutes disciplines
qui cherchent ensemble o le bt des servitudes conomiques blesse la puret
de leur inspiration.
Car, aprs tout, il devrait suffire l Association que prside aujourdhui
un Jean Delannoy de savoir qu'Andr Lhote, Georges Rouault, Jacques Yillon,
Harry Moore, Jean Lurat et quelques matres de lintelligensia universelle
sapprtent au Palais Cini, dans l le Saint-Georges Majeur, crer leur tour
un Institut International des Arts Plastiques, pour ne plus hsiter recon
natre que les cinastes, ces pratiquants de la peinture anim e, se montre
raient insenss en sobstinant plus longtemps a ngliger lexemple des peintres,
des dramaturges, des musiciens et des critiques dArt ; en senttant obir aux
mots dordre dun an ti amricanisme de meeting ; et en repoussant la force
dappoint considrable que reprsenterait pour eux tous, dans les batailles de
lEsprit, le support culturel de la solide Fdration que je leur propose de
crer depuis trois ans, - mais en vain.
Marcel l >H erwer

Notes eti marge


du Congrs du Film Scientifique
par
Charles Claoue
Nos lecteurs ( R e v u e d u C i n m a , n 12, p. 51-60) connaissent le D* Claou qui est le
fondateur, avec Jean Painlev et M ichel Servan {Georges Franju les suivit peu aprs) de
ces fconds Congrs du Cinma Scientifique dont on va fter le vingtim e anniversaire
et qui h o n o re n t le cinma et la science. En marge du VI* Congrs de TAssociation In te r
nationale du Cinma Scientifique, il a dict ces notes qui intressent au plus haut point
ltude de la matire cinmatographique e t qui ont Vavantage de n pas venir de la pa rt
dun esthticien plus ou m oins vague, mais de la part d un sa v a n t Dtail curieux : une
b onne m oiti de nos plus grandes vedettes lui doivent quelques lignes de leur figure ou de
leur corps.
.
" L .D ...

Pour tout esprit scientifique, les causes derreurs ne se trouvent pas seule
ment dans j a subjectivit de Inobservation. En effet, la critique montre que les
instruments (qui prtendent la supprimer) peuvent tromper lobservateur.
La technique photo-cinmatographique au cours de lenregistrement des faits
et des phnomnes prsent donc de nombreuses causes derreurs. Si pour tout
esprit scientifique, lintroduction de la subjectivit reste une cause derreur essen
tielle, il noublie pas les autres causes derreurs qui peuvent sintroduire du
fait de la complexit technique de la photo-cinmatographique. Une grande part
revient aux facteurs physico-chimiques qui conditionnent cette technique.
A ces causes derreurs inhrentes l'enregistrement photo-cinmatographi
que, sajoutent entre autres, les causes derreurs qui relvent de lobjet observ
et de la qualit de son clairage, etc...
Pourtant, la subjectivit d u cinaste reste la plus grande valeur dexpres
sion. Ce qui est un dfaut pour '.'lesprit7scientifique devient une qualit pour
lesprit, dexpression. Ainsi, le truquage nexiste pas seulement dans la pr
sentation ds images, mais pntre dans le systm e de transmission et de per
ception physico-chimique des images, dans les conditions de prises de vue de
lobjet que lon maquille a volont. Ceci permet aux auteurs les plus heurux
effets dexpression.
...
;

:/ '

VERS UNE SYNTHESE DE LA CONNAISSANCE

Pourtant une documentation scientifique ne devient, fconde pour la


naissance que dans la mesure o rhonim sait quitter lanalyse des faits
retourner au gnral par l synthse. La science est inductive.
A ussi/ de toutes ls images enregistres, il fau t retenir celles qui
ressent lide gnrale (qui conduit lobservateur) afin de confronter les
.avec lhypothse et voir si, en harmonie avec la dduction, linduction
- possible.

34

con
pour
int
faits
reste

Ces images isoles constituent en quelque sorte les jalons de la courbe des
faits enregistrs par la prise de vues. Lobservateur en accuse l existence en les
extrayant du film sous la forme dagrandissements. Cest ce quont fait les pre
miers chrono-photographes (Marey a mme ralis des sculptures sries).
Ces images juxtaposes constituent alors une sorte de rsum du film, une
vritable courbe comparable celle de la temprature. Nous lu i avons donn le
nom de filmogramme.
.
Bien plus, lobservateur peut sinspirer pour une dmonstration de ces images
successives en les schmatisant avec lgitimation lappui. Ces images repr
sentent alors l expression rsume de la pense et du but du chercheur, lunion
de sa vrit et de la ralit des faits enregistrs.
Nous avons prsent cette manire de voir, le filmogramme, au 11 Congrs
du Film Scientifique en 1934, en insistant sur l intrt scientifique, voir sub
jectif quy trouve le chercheur.
Cette manire de voir est bien diffrente des faits filmiques et des faits
cinmatographiques qui font lobjet de. la filmologie. Comme lexplique Henri
W allon en Introduction au Symposium de Film ologie du XIIe Congrs Inter
national de Psychologie Stockholm en 1951, la filmologie part du film ra
lis comme d un fait qui existe, et ce sont les ractions provoques par l film
qui la regardent. Ces ractions peuvent tre sociologiques, morales, esthtiques,
psychologiques, physiologiques.
La filmologie nest pas ltude scientifique ou technique du cin m a .
La filmologie se prsente comme ltude du film ralis, le filmogramme,
lui, comme le moyen de synthse dune connaissance enregistre au service de
la recherche.
LESPRIT D EXPRESSION OU DE THESE
. ; Aussitt que lhomme introduit dans un film une interprtation, aussitt
quil lui donne une certaine prsentation, il ne peut, sans abus de langage,
accoler lpithte unique de scientifique ce rsultat de sa documentation:
Dans ces deux cas, en effet, les talents personnels du savant, de lartiste
et de loprateur sallient pour le choix des phnomnes ou pour lintroduction,
dans la trame du film, dune volont dexpression.
Ici, la position logique du film n est plus scientifique, mais artistique.
Ici, lesprit de lobservateur a utilis le cinma pour exprimer une posi
tion intellectuelle devant le problme des phnomnes naturels. Lauteur sest
engag. IX soppose donc a lesprit du scientifique qui cherche Fenregistrement
des faits, des chanes du dterminisme, enregistrement par la suite interprt
au bnfice du progrs.
Ici, le film conu selon lesprit dexpression ou de thse donnera naissance
une composition cinmatographique; le documentaire scientifique. Le sujet
du film est scientifique, sans doute, mais il nest pas scientifique en soi.
Aussitt que le moi apparat et saffirme, la composition cinmatographi
que soppose Fenregistrement simple des faits et des phnomnes sans linter
vention de la subjectivit.
PIIOTO-CINEM ATOGR APH1E, MOYEN D EXTERIORISATION
ET DE LA CONNAISSANCE I)E SON MOI
Le chercheur formule des jugements scientifiques, cest--dire participant
d e la distinction du sujet et de lobjet, mais lorsquil sagit de lui-mme, il lui

est difficile/ impossible le plus souvent de se dbarrasser de sa subj ectivi t ;


il sagit donc de le librer.
Tous les psychologues reconnaissent la longueur et les difficults d e cette
tape ncessaire, si riche de consquences que lon appelle la dcouverte de soim m e. Il sagit de dissocier le sujet-sujet en sujet-objet.
La volont de beaut et les demandes doprations esthtiques dans ce sens
ne sont, par exemple, que des manifestations de cette tape.
Aussi, le cinma tant un moyen de documentation en dehors de la sub
jectivit, devient-il moyen- de connaissance de sa propre personne. Par exem ple,
avant un remaniement de morphologie esthtique, la pratique systmatique de
films aide le sujet dcouvrir sa propre personne au cours de son expression
psycho-sociale.
;
Lobservateur prend des squences film es. Elles montrent les diverses
expressions physiques et psychiques lies aux ractions affectives et rflchies
devant la connaissance du inonde extrieur.
Tour tour, lobservateur saisit les expressions de peur, dangoisse, din
quitude, despoir, de susceptibilit, de chagrin, de dsesprance, pour conti
nuer lenregistrement avec les expressions de sensualit, de joie, de colre, de
haine, de tendresse, damour, etc...
Puis il prend les expressions physiques qui relvent de la connaissance
rflchie, cest--dire le doute, Ptonnement, linterrogation, l ironie, l e bon
heur, la srnit, etc... Ces expressions sont importantes. Elles conduisent
lhomme soit au scepticisme, soit la 'certitude. Elles clairent ces synthses de
conclusion psychique que sont la duret, la mchancet, la bienveillance, lin
dulgence, la bont, etc..
Ceux qui sont appels s occuper de la personne humaine face au social
trouvent dans le document photo-cinmatographique, une valeur de position
philosophique et de signification logiqe. Ils possdent en lui loutil puissant
qui peut aider lhomme la connaissance de lui-mme, cest--dire donner
la Peur et au Doute, leur situation de barrires fondamentales au cours de la
mise en ordre des tapes psychiques.
En somme, la signification philosophique et la position logique du cinm a
trouvent lune de leurs raisons dtre lorsquelles sappliquent l personne
mme de lobservateur et de lhomme.
LES CONGRES DU CINEMA SCIENTIFIQUE
Cest au cours de recherches en 1927-28 sur lOreille Interne et sur l Esthtique Biologique, quprouvant tout lintrt de la signification philosophique
et de la position logique de la documentation photo-cinmatographique, jai ren
contr Jean Painlev, directeur de linstitut du Cinma Scientifique,
Il sintressait mes recherches. Nous filmions de nombreuses observa
tions esthtiques.
A cette poque, lide dun enseignement photo-cinmatographique lusage
les chercheurs est ne de nos discussions. Cependant, ce cours nintressait
quun nombre restreint de chercheurs. Lide devait bientt sobjectiver en des
Congrs annuels.
Notre but commun tait de crer un mouvement dopinion et de faire com
prendre que ltude de la technique photo-cinmatographique tait absolument
ncessaire pour certaines recherchs scientifiques.
Lintrt de ces Congrs a tout de suite t peru par les chercheurs ind
pendants dont la contribution la dcouverte, au dveloppement et au progrs
de la photo-cinmatographie est prpondrante;

La cration de nombreuses initiatives du mm e ordre, tant en France qu


l'tranger et la fondation de l Association Internationale du Cinma Scientifi
que et de ses Congrs trouvent leur origine dans cette initiative commune.
CONCLUSION:
LABOUTISSEMENT DE LA PI10 TO-CINEMATOGRAPHIE
Aussitt quil prend conscience de la valeur de la photo-cinmatographique
comme moyen ou comme activit, lhomme cherche en prciser la significa
tion philosophique et la position logique.
Ainsi, lorsque le cinaste cherche dans la photo-cinmatographie un
m oyen dexpression scientifique ou artistique, il assimile ce moyen au langage
et rcriture.
La pratique de la photo-cinmatographie prsente alors tous les avantages
et tous les inconvnients des moyens dexpressions, en particulier celui dtre
utilis dans lignorance de sa signification philosophique et de sa position
logique.
Il faut donc insister pour dire quun film nest scientifique que dans la
mesure o il enregistre les faits et les rapports entre les faits sans y introduire
de causes derreur. Donc en vitant dabotrd les causes derreurs intrinsques au
m pyen,-ensuite les causes derreurs extrinsques dues au commntaire subjectif
du crateur ou du spectateur.
Les causes derreurs lies la technique tant connues, on peut affirmer
quaussitt quil introduit dans un film une interprtation on lui donne une
certaine signification, lhomme sengage. Le film nest plus un document, cest
une expression qui suit les lois de la composition en utilisant les faits.
D ailleurs, le langage montre par le vocable documentaire que ces compo
sitions doivent tre distingues du document scientifique.
Le documentaire se prsente comme une composition cinmatographique o
lauteur est juge et partie devant son film qui utilise des faits scientifiques.
En aucun casj un film scientifique dans le sens propre du mot ne doit pr
senter la volont dexpression de loprateur ou d l'auteur. Si cette rgle nest
pas respecte, le film perd toute valeur scientifique, mais prend une valeur
de jugement.
La subjectivit n apparat quau moment o les savants cherchent inter
prter les faits enregistrs ou les enseigner. Et ds ce moment apparat, la
liaison ncessaire entre la recherche et lexpression.
Du point de vue logique, la photo-cinmatographie se prsente comme
lpanouissement, le terme ultime de la distinction du sujet et de lobjet.
Ce rapport ouvre la possibilit dune pistmologie du cinma.
Il entrane donc :
.
1 La dtermination des jugements logiques concernant le cinma scienti
fique. Ces jugements logiques permettent dtablir la structure du cinma scien
tifique sur le plan de la vrit.
.
2 La dtermination des jugements de valeur, cest--dire des jugements
concernant le cinma scientifique et ses modalits sur le plan de lesthtique.
En conclusion, cette tude de la signification philosophique et de la posi
tion logique se prsente comme une introduction ltude de la structure logi
que et esthtique du cinma comme moyen et comme expression.
C ha rles Claou

37

Le Cinma au Congrs
du Film Scientifique
par
Jean Quvai

Comme Je premier, le sixim e Congrs International du Cinma Scientifique


sest tenu Paris. Leur contraste situe lampleur de dcouvertes qui se font
en progression gomtrique. Progrs, sans doute, en acquit scientifique propre
ment dit, comme en paraissent tmoigner les espces de communications
impromptu faites par les auteurs ou par des attachs de presse en m anire de
prsentation des uvres comme en parat tmoigner aussi ce que lon m e dit
des travaux des commissions (1).
-1
Mais je ne suis pas orfvre, et les victoires d la science ne sont pas le souci
premier dune revue de cinma. En revanche, le nombre des films (113), celui
des gens qui ont particip en envoyant une slection de leurs oeuvres (23), si
lon compte deux Allemagnes, celui des dlgations prsentes (dont celle du
Vatican) et la confondante varit des sujets, suffisent convaincre un profane
universel, comme Test l auteur de ces lignes, du prodigieux essor du m ouvement.
Son plus estimable caractre est dtre rigoureusement mondial dans lintention,
et dj mme dans la ralit. Lassociation Internationale du Cinma Scienti
fique, qui fut Torigne une cration dominante Franco-Anglaise sous la
double impulsion de Jean Painlev, aujourdhui secrtaire honoraire, et John
Madisson, aujourdhui prsident, vigoureusement soutenus par un Polonais,
M. Komgold, et par un Belge, M. Paul Haesaerts - rassemblent quatorze
pays, venus de deux hmisphres politiques.
Nombre qui sans doute est appel crotre sensiblement, si lon considre
celui des participants effectifs de 1952.
Cette anne, donc, 29 films venus de Grande-Bretagne, 15 de France, 9 de
Hollande, 8 des deux Allemagnes, 6 dAutriche, 5 de Belgique, 4 dItalie.
Mais la petite Europe ne fait pas figure de plante en marge, cultivant
rageusement le seul domaine, celui de la culture dsintresse, o elle puisse
encore enseigner le monde.
D a u t r e s nations taient prsentes, non seulement dEurope, m ais dAfri
que, dAmrique, dAsie, dOcanie, Afrique du Sud, Australie, Hongrie, Indes,
I s r a l , Nouvelle-Zlande, Pologne, Sude, Tchcoslovaquie, Tunisie, Uruguay,
Canada (six films).
Les surprises malheureuses sont de voir la faible contribution des pays
scandinaves quon imaginerait passionns de cinma scientifique, et soit insuf~
fisance des travaux, soit humeur rticente le petit nombre de films soumis
par les deux gants adversaires (deux Amricains, quatre Russes). N importe. II
est rconfortant dentendre, le premier jour le reprsentant de lAustralie- dclarer
(1) Cest devant le B ureau de ces Commissions que le Dr Glaou a dpos u n im p o r
tant ra p p o rt, dont nous avons l a primeur.

38

que son pays participera au prochain congrs o quil se tienne et, le lende
main, celui de la Pologne : quaux travaux de la recherche et de la paix, nul
nest de trop .
^
Quatre sections ont permis une plus claire division des uvres : Cinma
ducatif, cinma de recherche, cinma technique et industriel, cinma mdical.
Ces catgories sont aussi commodes que fragiles, et parat-il, consacres.
Le cinphile subira linvitable tentation den imaginer dautres. Voici celles
que je proposerais.

Le documentaire de vulgarisation, que son sujet et le srieux avec lequel


il est trait peuvent seuls rfuter scientifiquement. Il en est ainsi de lextrac
tion du ptrole au Canada de Donald Dick ; de lrection de barrages en us- .
tralie (de Nol Monkman, aid par un oprateur magistral) : ou encore, du film
hollandais Btisseurs de Digues, de Bert Iaanstra, connu depuis sa tentative
impressionniste de montrer des maisons dans des canaux, et qui cette fois sest
souvenu un peu de lcole Grierson, et un peu de Joris Ivns. Dans la mme
catgorie pourrait la rigueur tre r a n g Baleiniers Sovitiques de S. Kogan,
film charmant, fascinant, cont comme loisir, dont la couleur attache et repose,
et dont nous navons vu, hlas 1, que deux bobines. Le sujet, cependant, est beau
coup moins banal, et pouvait, ce titre, entrer dans une seconde catgorie
(et qui oubliera leau de la .mer rougie par le sang de la baleine blesse au
canon ?)
Une seconde catgorie serait celle du cinma scientifique dart. Entre tous
les films que jai vu au congrs il sen faut que je les ai vus tous ! le
meilleur de cette tendance me parat tre de loin La Mante Religieuse de Fltalien Alberto Ancillotti, en Ferraniacolor. Cest un menuet, coup de poses et
tranquillement cruel, qui va de la danse de sduction lexcution du mle
tte roulant dans lherbe. Du travail propre. Les cinphiles, si j en crois quel
ques conversations, ont implicitement dcern leur grand prix La Mante Reli
gieuse. XJn habile homme tel que notre Lo Duca devrait bien faire que l plus
grand public puisse voir le film son tour. Jai encore beaucoup aim La Vie
des Gens Etranges du Hongrois Istvan Homoki (la faune du lac Balaton est son
domaine, et son uvre a la rsonnance quaurait eu celle de Flaherty sil avait
opt pour les animaux, et sil avait t insoucieux dune structure dramatique
implicite. Enfin, Sons d Afrique de Grard de Bo. Ce Belge a ralis un docu
mentaire sonore dont devraient prendre connaissance les historiens du jazz, et il
T a illustr de faon fascinante, dans un bon montage command par le rythme,
mais qui eut gagn plus de vigoureux encore, le commentaire est faible et
te la beaut des images.
Troisime catgorie. Ce serait celle, non du documentaire, mais du docu
ment. Le monde parle au inonde. La plante prise en flagrant dlit. Les auteurs,
les cinastes, la science elle-mme, tout est effac. Je pense au plus noir de
tous les films, Les Fossoyeurs, que Marthe et Karol Marcrak ont ralis en
Pologne. Les insectes engourdissent la taupe, la tuent, la pntrent, la rayagent,
la dvorent, l ensevelissent, avec les mouches pour auxiliaires. Beaucoup plus
impressionnant encore est le constat cosmique des Islandais qui montrent, en
Kodachrome le mont Hkla en ruption, la lave chassant le s poules, colorant
le ciel, dcoupant la roche ; sur quatre oprateurs qui ont tourn, au risque de
leur vie, ce document scientifique et ce haut moment du surralisme acci
dentel, luh nest pas revenu.
Quatrime catgorie : le tmoignage sur la recherche et le chercheur. Il me
semble qil nest pas rare quun dsolant amateurisme et beaucoup dimages
sans objet gchent dans ce domaine, de respectables intentions, cest le cas du
film sur F astronome Bernard Yot, Du Pic du Midi Khartoum ; et celui,

39

Afrique Prhistorique, tourn en Afrique du sud et qui fait tat de quelques


dcouvertes sur notre anctre le singe. En revanche il faut saluer les m ou
vantes images rapportes de la conqute d TAnapurna par Marcel Ichac. On
aurait presque lenvie de leur reprocher leur habilet relative, et le tirage en
Technicolor.
Le ralism e sommaire demeure le moyen pour communiquer un tm oi
gnage sur le courage des hommes (ce qui tait vrai du Kon-Tiki ne ltant pas
moins de Maurice Herzog et de ses compagnons, bien entendu). Enfin je nom
merai humblement catgorie; de lincomprhensible la cinquime catgorie (Cas
dHemballismus chez une Femme de 71 ans ; Cholecystectomie avec choiedocholithotomi opratoirf etc), du reste, nul, je suppose, qui ait vraiment com
pris tous les films soumis au congrs.

Cette pouvantable quivoque fait naturellement beaucoup de son charme,


au nom du simple amateur de cinma. L cholecystectomie avec choecdocholithotomie cholangiographie opratoire pulvrise ses bonnes intentions de com
prendre (s*il en a). Mais ls images d la clioledochothotomie pourraient tre de
la beaut pure, au sens ou Isidore Isou et son prcurseur l abb Brmond
entendent la posie pure.
*
Lamateur de cinma serait alors combl. Pour lui, le charme du congrs
rside encore en ce que chaque film est une suprise tire dune bote en fer
blanc pareille aux autres. Evidemment, ce point de vue est aussi insidieux quil
est simple. Lamateur de cinma a pourtant raison de prendre le parti de la
beaut, concerte ou accidentelle, pour la simple raison quon a vcu en effet ail
cours du congrs, plus de fascinantes minutes quen six mois de cinm a com
mercial.
.
Mais il serait interssant d se demander dans quelle m esure ce beau
rsultat pourrait bien tre la rsultante dune dlicieuse et inconsciente dm a
gogie. Ladmirable film italien sur la mante religieuse, par exemple, ajoute-t-il
la somme des connaissances humaines ? Je crois que cette dmagogie est pro
fondm ent justifie, en ce moment o lon commence peine sortir du prem ier
ge du cinma scientifique, e t afin de Finscrire dans la conscience commune,
Mais le jour viendra o il ny aura plus de cinma scientifique , parce que,
la partie une fois gagne, il ny aura plus que des physiciens, des chim istes, des
astronomes, ds . mdecins, des archologues, etc., qui se serviront du. cinma,
eux-mmes, ou leurs auxiliaires, ou leurs laboratoires. Ce qui est aujourdhui
la tendance anglaise . militaire, srieuse, marque de protestantisme et dnue
dhumour apparatra ce jour-l non plus comme le cinma scientifique puis
quil ny en aura plus, mais comme la faon vidente et commune de faire du
cinma au service de la science, applique ou de recherche.
Devrait-il subsister un. cinma scientifique proprement dit, il se situerait a
lintrieur du cinma et explorerait pour son compte la couleur, le relief,
l acclre, le ralenti, le tl-objectif, le micro-cinma, linfra-rouge, lultra-violet.
Je ne crois pas que lamateur de cinma doive perdre beaucoup la m oindre
boulim ie du film scientifique, car il subsistera des potes. Painlev, Ancilotto,
de Bo, Kogan, Temco, Hanstra, Homoko-Nagy auront eux aussi, leurs hri
tiers; qui dcouvriront dautres mantes religieuses, baleines, et hippocam pes.
' ;

40

'

.. J ean Q u ev a l

NOUVELLES DU CINEMA
(Suite et fin)
FRANCE

Nous tenons prciser que Le Carrosse


tVOr de Jean Renoir est une adaptation trs
libre de l' uvre de P ro sp er Mrime Le
Carrosse du Saint-Sacrem ent et que lacteur
italien Duncan Lam ont n est pas tnor, comme
nous lavons crit p a r erre u r dans le nu
m ro 15, paye 6.
Le projet de Luis Saslawsky de to u rn er
La Neige tait Sale, d aprs Simenon, se
prcise. Autour de Daniel Glin, on verra
Yalentine Tessier, Vera Norman, Daniel
Ivernel certainem ent, Ariette Thomas peuttre, que le cinm a a injustem ent ignore
depuis Pattes Blanches.
Jean Vidal ralise Zola, court mtrage
fait uniquem ent d aprs des documents
authentiques.
Daprs des gravures de Steilein, Michel
D rache a tourn Soliloque du Pauvre, inspir
de Jeh an Rictus. Le pom e sera dit p a r P ierre
Brasseur.
Lcrivain am ricain Irvin Shaw est
a rriv Paris. Il se propose de term iner le
scnario dun lilm que doit to u rn er p ro c h a i
nem ent entirem ent en F ran ce Anatole Litvak.
A lexandre Astruc a plusieurs projets
p o u r lesquels il est en p o u rp arlers : Ondine
d aprs le rcit de La Motte Fouquet, Lorrenzaccio de Musset et une... Salom sans doute
avec Ccile Aubry.
Maurice Clavel m et en scne Minna de
Vanghel, dont nous avons dj parl, avec
Odile Versois, Alain Cuny, Marie Sabouret et
Jean Servais. Ce film est destin tre p ro
gram m avec Le Rideau Cramoisi dAlexan
dre Astruc. Prcisons que ces deux films
n ont aucun po in t comm un et form ent deux
uvres spares.
Priodiquem ent, on annonce la p r p a ra
tion dun film sur Louis II de Bavire. Main
tenant, le Roi-fou serait in carn p a r
Jean Marais, non plus p a r P ie rre Brasseur.
Le p ro c h a in film de Claude Autant-Lara
serait Histoires de Fou d aprs un scnario
de Jacques P rvert, ou Monsieur Dupont est
Mort, adaptation du clbre rom an de Paul
Yialar.
P ie rre Kast a crit et ralis La Chasse
VHomme ou C om m ent attraper un *- Mari
d aprs ls journaux fm inins. Le commen
taire est de F ra n c e Roche.'; Interprtes- :
Marthe M ercadier, Genevive' Page, G rard
L andry, Grard Nry, Boris Vian, Franoise

Voici u n e scne des l^elites F illes Modles que to u rn e n t


iifTe <n5baY)d et E ric \o h m e r nu Ntuioui'g.

Dambier, Franois Chalais. P ie rre Kast p r


pare m aintenant Le P etit Rastignac Portatif
ou Comment Russir dans la Vie, d aprs un
scnario de F ran o is Chalais. in te rp r te envi
sag : Jean Danet ou Robert Auboyneau.
Marie-Claire Solleville va p a rtir en Sicile
y to u rn er un co urt m trage sur Pirandello,
Verga et Bellini.
ETATS-UNIS

Le Diable au Corps de Claude AutantLara est exploit aux Etats-Unis en version


double. Cest lun les p rem iers fLlms fra n
ais exploits sur une aussi grande chelle.
9 Courant
1953, Billy W ilder ralisera
dipe, d aprs luvre, classique adapte p a r
W alter Reisch. Les prises de vues se drou
leront en Grce.
Cest Jacques Ibert qui crit la partitio n
musicale de Invitation to th Dance, le nou
veau film de Gene Kelly.
Un film sera tir de Ivings General
de D aphn Du Maurier.
Le nouveau procd de film en relief,
Cinerania, connat actuellement un trs gros
succs aux Etats-Unis. John F ord p r p a re un
film grande mise en scne sur la Guerre
de Scession qui sera tourn avec ce procd
de. relief. Dautre p a rt Merian C. Cooper se
p roposerait: de raliser, toujours avec le p ro
cd Cinerama, une m outure de son KingKong.
- Cest en Egypte que Cecil B. De Mille
to u rn era sa nouvelle version des D ix Comm ndtm ents.

41
4

ANGLETERRE

MEXIQUE

Suivant (les statistiques rcentes,1le p o u r


centage ru public allant rgulirem ent au
cinm a est tomb de 40,5 % en 1949 34,8 Fk
en 1952. La proportion de ceux qui ne vont
jamais an cinma sest accrue de 17,4 %
22,7 %.
> Ce ne serait plus Robert T aylo r mais
Clark Gable la vedette des Chevaliers de la
Table Ronde dont la ralisation est prvue
p o u r 1953.
On prte Alexandre K orda lintention
de raliser nn film d aprs Dialogues des
Carmlites s>, de Georges Bernanos.

9 Le Gouvernement m exicain a p ris des


mesures qui rglem entent stric te m e n t lin d u s
trie cinm atographique. En p a rtic u lie r, 5 dis
trib u teurs sont m aintenant autoriss la place
des 25 qui existaient auparavant. De plus, les
cinmas devront projeter 50 % de films n a tio
naux.

ITALIE

Rien que pour les trois p rem iers tri


mestres de 1952, 106 films ont t entrepris.
73 sont termins, 40 films environ sont en
p rp aratio n et seront commencs avant la
fin de Tanne.
Montgomery Clift est le p a rte n a ire de
Jen nifer Jones dans Stazione T erm lni que
vient de com mencer Vittorio De Sic a.
A la fin du IIIe Congrs de la T echnique
Cinm atographique qui sest tenu Turin,
lUrtion Internationale de lExploitation et la
Fdration Internationale des Associations de
Pro du cteurs de Films ont adopt une motion
tendant tablir une coopration co n stru c
tion du Cinma (E xploitation-Production) et
de la Tlvision.

TCHECOSLOVAQUIE

. O takar Vavra a term in L e R assem ble


ment, daprs le rom an de Vaclav Rczac,
p rix d E tat 1952.
. o Vaclav K rska ralise Les Jeunes Annes,
biographie ce Fe ri vain A lois Jirasek.
A P ra g u e ,-s est tenu au mois d octobre
un Festival du Cinm a Allemand.
Les films prsents, tous de la DEFA, fu
ren t : Le Village Condamn (Martin Hellberg),
Le R om an dun Jeune Mariage (Kurt Maetzig),
Les Sonnenbrncks (H. Klering, a d ap tatio n de
la pice de L. K ruzskow ski Les Alle
m ands }
J ir i T rn k a a term in le m ontage dfinitif
de Vieilles Lgendes Tchques, d ap rs Alos
Jirasek.
SUEDE

Avant la fin de lanne, la Sude com pte


p ro d u ire environ trente-cinq films.

Voici la p re m i re p h o to g r a p h ie p a r v e n u e en F ra n c e d u ffim t i r p a r
H en ry K ing d u r o m a n d^H em ingw ay : Les Neiges d u K ilim a n d ja r o .
S u r n o tre d o cu m en t : Ava G nrd n cr et G regory Peck.

42

lis FILMS
K

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--

'X

"

= E

J o h n Foi'd, T he Quiet Man : Jo lm Waync.

PAIX ET TRADITION
THE QUIET MAN (L*HOMME TRANQUILLE), film en technicolor de J o h n Foim. Sc
nario : F ranck Nugent et Maurice W alsh. Images : W inton C. Hoch. Musique : Victor
Yonng. Interprtation : John W ayne (Scan T hornton), Maureen OHara (Mary Kate Danaher), Victor Mac Laglen (Squire D anaher), Barry Fitzgerald (Micliaeleen Flynn). Pro
duction : Republi Picturcs, 1952. Distribution : Les Films Fcrnancl Rivcrs.
John Ford rvait, parat-il, depuis long
temps de p o rte r lcran The Quiet Man,
rom an de Maurice Walsh. Cest lhistoire
d u n boxeur am ricain d'origine irlandaise
qui, ayant tu accidentellem ent son adver
saire au cours dun combat, revient ch erch er
d ans son Irlande natale la paix et loubli des
durets du ring. F o rd rv ait juste titre.
Quels que soient les m rites de ses derniers
films, de She W hore a Yellow R ibbon ou de
Rio Grande et mme plus loin tain ement du
Massacre de Fort Apache ou de The Fugi-

tive, il faut rem onter jusqu Mij Darling


Clmentine pour retrouver pareil enchante
ment. Ntait-ce point ce film quappelait de
ses v ux Jean Georg Auriol quand il disait
F o rd : Prenez lami F onda ou un nou
veau et faites-nous un de ces jours un film
aussi bon ou encore plus ardent, limpide,
ru d e et rcon fortan t que Stagecoach ou
Clmentine, aussi savant et envotant que
votre Long Voyage Home, un film sur les
aventures de Jim SViIcl aux longues jambes ?
( L a R e v u e d u C i n m a , n 6 , 1 9 4 7 ) . 11 ajoif-

43

tait : Finalem ent, cest le respect et non


la lionte de Fhomme qui rsonne allgrement
travers vos carnages, vos poursuites et vos
bagarres. Et quand quelquun se venge, chez
vous, on a toujours la bienfaisante, la m er
veilleuse illusion que c est la dernire fois
que cela arrive avant ltablissement de la
paix sur la terre .
Cela est p eu prs la leon, de paix et
damour, du cent-huiticm e film de F o rd :
The Quiet "Mail. Dans le numro juilletseptem bre d e S i g h t a n S o u n d , Lindsay
A nderson fait rem arquer que juste avant The
Quiet Man F ord venait de tourner, sur place,
l'his is Korej docum entaire sur le rle de
la m arine am ricaine dans la guerre de Core,
et-.souligne le contraste entre ces deux entre
prises successives. Il y a donc peut-tre
quelques correspondances en un sens autobio
graphiques im perceptibles mais subtiles
entre le personnage de Sean T bornton et le
vieux ralisateur dont le prnom de baptme
est galement Scan. Comme le boxeur fatigu
des combats, F o rd veut chasser de ses yeux
le souvenir des atrocits de la guerre de
Core et revient dans son pays natal brosser
grands tra its gnreux une sorte dlgie
m i-virgilienne, mi-pique. Mais Ford ne sest
pas content d une lgie pacifiante, le conflit
qui le proccupe se retrouve dans le film :
Scan T b o rn ton ne veut plus se battre, aucun
p rix , et p o u rta n t ce n est q u au p rix d une
bataille - assez terrifiante si on la dpouille
de son contexte picaresque qu'il trouvera
la p aix quil cherche : paix dans son mnage,
paix avec son entourage. Une fois de plus
d ailleurs F ord prche contre l civilisation
contem poraine. Son Irland e de 1952 p o u rra it
tre moyengeuse et les instrum ents mca
niques quon y voit : chemins de fer, automo
biles et mme bicyclettes, auraient pu tre
dessins p a r Dubout. Fidle un im prcis
p aternalism e potique, il ne voit pas de solu
tion dans ou pour - la cit usines.
Inisfree o se droule son action c est,
comme le dit Anderson, lquivalent du
Springfield de Young Mr. Lincoln et du
Tombstone de Mg Darling Clmentine. Il faut
F ord ce lieu dram atique abstrait et c h a r
m ant p o u r entam er sa sym phonie irlandaise
dont les m otifs sinterp ntren t harm onieuse'
ment.
Le motif de la solitude de Sean T hornton
ne sert que de prlude, sitt rencontr
Michaeleen Flynn on enchane sur celui de
la fraternit, affectueuse et goguenarde chez
le vieux, confiante et affectueuse chez le
jeune. Et tout de suite apparat M ary Kate
D anaher : ds lors Sean sait ce q uil y a an
bout du chemin. Ds lors aussi, F ord innove.
Cest la prem ire fois que je m essaye
une histoire dam our , a-t-il dit lui-mme.
Une histoire d am our p o ur adultes , ajoutet-iJ. L am our en effet n a jam ais t le m oteur
central de ses films. Il y a des hommes et
des femmes qui saim ent dans le reste de son

44

oeuvre, m ais toujours lin t rie u r d une


action collective. Ici c est le noyau de l h is
toire. Sean et Mary Kate se re n c o n tre n t et
com p ren n ent an p rem ier regard quils sont
fait lun p o u r lautre, mais la ligne de leu rs
ra p p o rts va suivre la courbe du conflit
d ordre gnral qui tout la fois m otive et
caractrise le film. Mary Kate refusera tout
sim plem ent de coucher avec son m a ri ta n t
q u elle n aura pas obtenu de son fr re sa
dot : ses meubles et ses pices d or. Sean
donc fuit la civilisation m eu rtrire, mais il
va sur la terre prom ise se h e u rte r la tr a
dition et il est encore assez im prgn de
cette civilisation pour ss rvo lter co n tre ce
m arch absurde encore questam pill p a r
l ancestrale coutume, dautant plus q u il lui
faut justement, pour r c u p re r ces m au d ites
pices d or, provoquer la bataille et se se rv ir
nouveau de ses poings, instru m ents fatals
qui ont dj tu un homme. Il sin c lin e ra
p o u rtan t devant la vieille loi et c ^ s t en obis
sant quil deviendra le m atre et fe ra rg n er
lharm onie chez lui et alentour.
La leon quoique clairement, expose est
paradoxale. Ainsi sans doute la voulu F o rd ,
toute em pirique, illogique en m m e tem ps
q u vidente. Luni vers que fuit Sean, il en
retrouve les mthodes dans son p a ra d is,
une chelle diffrente certes, inoffensive,
mais en fin de compte identique : Si tu
veux la paix, si tu veux g ard er ta te rre , si
tu veux me garder moi la farouche, la
fois humble et sans prix, p re n d s t e s . arm es
et bas-toi . Loi de la jungle, ressurgissemerit des vieilles luttes animales p o u r Ma
femelle dsire ? Pas tout fait : p o u r ap rs
la bataille le couvert est mis, celui du vaincu
comme celui du vainqueur. Et p u is F o rd
aussi na voulu tre ni p d an t ni trop srieux.
Cest ainsi que p o ur la p rem ire fois chez lui
a pp arat le thme de lrotism e, sain, ru s
tique, m ais flagrant : c est le beau c o rp s pa
noui de la trs rousse Maurecn OH ara qui
est lenjeu du conteste. E rotism e p a rfo is grave
(la scne dans le cimetire, la peau de San
apparaissait peu peu sous la chem ise
mouille p a r lorage), p arfo is gaillard ( Hom eric ! Impetuons ! s crie F ly n n devant
le lit dfait et boulevers des jeunes m aris.
Sean envoie une claque retentissante su r les
fesses de Mary Kate qui ne sen choque p o in t
et rit). Dailleurs dans tout le film l h u m o u r
le dispute p a rt gale une sorte de ro m a n
tisme panthiste. Intim e ou pique, cet
h um our est de la m eilleure veine de Fo rd .
La mise en scne tmoigne d une m atrise
qui n tonne pas chez un hom m e de telle
m ent d exprience : tan t t m ajestueuse, tan tt
alerte, elle est toujours dune grande sim p li
cit. Il y a longtemps que F o rd a digr tous
les effets, tous les trucs, tous les p rocds,
son criture co u rt tranquillem ent su r l cran
sans une rature, sans une hsitatio n , p o n c
tue avec un sens sans .dfaut de la cadence
et du rythm e des images. De plus le film est

en couleurs et Ford manie le technicolor


anglais avec une sret inne qui fait penser
celle de R enoir pour The R iver ; comme
lui, il aborde le problm e de la couleur sans
apprhension, sans crainte, l ou il a envie
de m ettre du vermillon devant du jaune et
du violet il m et du vermillon devant du jaune
et du violet. Comme p o u r The R iv e r, le rsul
tat est excellent. Ici le film tout entier a les
fraches couleurs des gravures de classe
anglaises. Certaines scnes m ritent dtre
cites en exemple de cette pim pante russite.
La prem ire ren co n tre de Scan, et de Mary
Kate : les cheveux roux de la jeune fille, son
tablier rouge, sa robe bleue, les verts et les
jaunes de la nature, le poudroiem ent dor
du soleil, tout cela forme un tableau qui frise
le mauvais got, le style Anglus de
Millet, mais qui sauve lquilibre des valeurs,
la franchise de lintention. Dans un registre
plus sobre : toute la squence de la course
de chevaux sur la plage et d,ans les dunes
ou bien encore le franchissem ent d e l rivire
p a r Mary Kate le jour de , ses noces. Une

mme pense directe, sans prtention litt


raire, mais profonde, proche de ce que serait
du style Ramuz lcran revu p a r les p r ra
phalites, un it toutes ces images reposantes
comme un bain de chlorophylle.
Ford a dirig avec sa sret habituelle des
interprtes q uil n a pas choisis au hasard.
Jo h n W ayne est lin c arnatio n mme de
lhomme tranquille et Maureen OHara
celle de la farouche fleur de LEire qui
combat p o u r une dfaite. Barry Fitzgerald,
souvent insupportable, est ici trs savoureux
dans le rle bredouillant du ; marieur:.
Flynn. Victor Mac Laglen, vieux compagnon
de route de Ford, est le squire Dana lier, rle
difficile, avec beaucoup d'habilet.
Justem ent couronn Venise, The Quiet
Man, appel un gran d et long retentisse
ment, est m algr sa localisation prcise et,
comme The River, un film international
qui inaugure d une conception neuve du
cinma.
'
J a c q u e s D o N io L rV A L C R o z

DE LA RIGUEUR AVANT TOUTE CHOSE


LA JEUNE FOLLE, film d V v E s A l l g r e t . Scnario : Catherine Beauchamp. A dap
tation, dialogues : Jacques Sigurd. /nimes : Roger Hubert. Dcors : A l e x T raunr. Musi
que : Paul Misraki. Interprtation : Danile Delorme (Catherine), H enri Vidal (Stve).
P roduction : Hoche Productions, 1952. D istribution : Cocinor.
Au cinma, lo rsqu un effort est fait pour
so rtir du cercle... enchant de la routine et
de la convention, q uil aboutit d autre p a rt
une demi-russite p a rc e que tent coura
geusement mais incom pltem ent (alors quil
et fallu, p o u r les auteurs, oublier jusquau
sable des pistes foules jusque-l), lOpiriion
des gens de Fart se cristallise autour de deux
positions nettem ent antagonistes.
Dun ct les dtracteurs, eux-mmes divi
sibles en deux clans : les amateurs de for
mules prouves, de ronrons ronronnant
au p aradis du poncif, et les intransigeants
qui, ddaignant de faire le dpart entre lori
ginal et le mdiocre, ne voient q uun mlange
de discutable, voire d excrable, comme si les
succs mitigs dun film les frustraient mieux
de leurs esprances : ils semblent enrager de
voir les auteurs de telles uvres em piter
su r les domaines encore vierges q u ils desti
n aient sans doute, en leu r for intrieur, des
p ionniers de gnie : ils le p ren n en t de trs
haut.
De lau tre ct, les supporters qui se
plaisent encourager les bons dparts sans
se soucier outre-m esure des demi-arrives.
Lesquels se trom pent ? Lesquels trichent ?
Probablem ent tous.
Tentons p o u r notre dpart, propos de
La Jeune Folle, qui ce pram bule sapplique,
une mise au p o in t critique dont 011 excu

sera le caractre dm onstratif et didactique.


Pour tre un trs bon film, il manque cette
uvre intressante, prenante, ce qui et fait
d elle une tragdie. Celle de lAbsurde, de la
Puret et de r Amour. Mais c est une simple
histoire, d iro n t les bonnes gens, pourquoi
agiter tout instant les pouvantails du lan
gage noble ?
:
Cest que lorsquun sujet accuse le dbat
d une me contre lunivers, contre la fatalit
ou contre elle-mme, quon le tra n sc rit
lcran dans un registre puissant et dramar
tique, q u on le m oule dans pne forme stricte,
q uen un mot on cre un univers plus ou
moins proche de celui d Antigonc, il faut
inluctablem ent sacrifier tout ce qui flatte,
ou distrait, ou rassure le spectateur et qui,
sur lcran, affadit, toffe (autrement,
hlas ! que de l'intrieur), cest--dire ab
tardit. Je sais bien que c est difficile, ingrat,
je sais bien que cest pour effaroucher lim
mense famille d un film, tout ce monde qui,
du p roducteur au public, craint autant les
uvres fortes que les fortes ttes. Cest p o u r
ta n t ce p rix q u on db arrassera d u com
plexe d infrio rit q u 011 lui a cr stupide
m ent lgard des arts volus ce bb
gant (quelquefois prodige) qu est le cinma
en 1952. Il faut choisir une optique, sy
tenir et surtout, quelle quelle soit, ne pas
com prom ettre son unit. Un thme tragique

45

Yves Allcgret, L a Jeu n e Folle : J a c q u e lin e P o rc l, J e a n D cbuco urt


et D anle D clorm c.
i
;
i

individuel veut tre prserv d'alliages im


p u rs comme une mlodie, de sauce orches
trale.
Cest po u rq u oi on ne saurait valablement
re p ro c h e r aux auteurs de La Jeune Folle
d avoir dlaiss la p artie rvolutionnaire en
ne lutilisant que comme cadre historique. Ce
n est pas un film sur les Sinn-Feiners, et,
d aprs les donnes, n a pas en tre un.
Cest pourquoi aussi les scnes subsidiaires,
malgr leur peu d tendue, encom brent inuti
lement la perspective du dram e intrieur. Le
son artificiel qu elles rend en t en outre tient
ce que leur conception a, p a r ra p p o rt au
reste, de th tral , et qui sent ici plus
q uailleurs le fabriqu, le frelat. Je fais
d abord allusion aux squences du couvent
et de la gare. Cette partie, destine faciliter
lexposition, m ettre en situation le person
nage de Catherine, et t frvec profit rduite
lextrme, quitte ram asser encore rbauclie des thmes accessoires : la duret des
religieuses, leur orgueil, leur scheresse ; le
contraste de la folie de la vieille nonne,
m aniaque, refoule, vicieuse, avec celle de
Catherine, qui nest quaberration de lim a
gination et de la sensibilit, am our fou, et
inadaptation sociale, ce signe indien de la
puret prim itive.
Mais la prcdente critique, si lon n en
borne pas la porte, fait plus que de dnon
cer ces dfauts superficiels ; elle les explique
en dcouvrant une lacune plus grave du sc
nario : linsuffisance du m oteur central. Voil
donc pourquoi, avec les visions, ls prm o
nitions et autres ressorts plus ou m oins a rb i
traires, ces mmes squences trouvent leur
emploi dans la prom otion dune action que

46

le d ram e intrieur de lhrone, m a n q u a n t


dpaisseur, de prcisio n et de cohsion, ne
suffit pas n o u rrir. Cest l le grief p rin c ip a l.
Tout superflu et d isp aru si le p ersonnage de
Catherine avait t dessin d un tra it plus
ferme, et son statisme conjur p a r une vo
lution.
Nous verro n s tout lh e u re ' com m ent il
regagne, p a r le biais de l in te rp r ta tio n , Timp o rtan ce p rim o rd ia le et exclusive qui lui
revient.
Si lon se m ontre in tran sig ean t s u r les fai
blesses internes de cette uvre, c est que la
ralisation et lin terp rtatio n m rita ie n t une
m atire plus riche, plus dense (densit
quelles ont, dans les m eilleurs m om ents, lune
et lautre russi crer). Len v o tan t mys
tre des nuits brum euses, la dsolation m uette
et stylise des faubourgs de Dublin, les m is
sions terro ristes dans lom bre dangereuse,
le cliant m iraculeusem ent p u r de la dou leur
in carne p a r une pauvre servante, c o nstitu en t
la tram e d accords de ce pome tra fiq u e .
Photographie, dcors et mise en scene
sont en parfaite symbiose. Toute la p a rtie
finale slve sans effort au niveau de la tr a
gdie. Le couple est traqu p a r la ville entire,
p a r ses p ro p re s dmons et p a r la horde
denfants, m anire de ch u r antique engag
lui-mme activem ent dans une a ction qu il
p rcip ite jusquau m om ent o il retro u v e sa
destination originelle, celle de tm oin de
lternit, linstant de la m o rt de Stve.
Lide de cette troupe denfants m asqus
que d aucuns ont p u accuser d une certaine
re c h e rc h e et sa ralisation sin t g re n t fort
bien au thme, p ro je ta n t s u r lu i cltranges
lueurs de posie m acabre.

Ce film, qui il m anquait en fait peu de


choses p o u r trouver lquilibre des oeuvres
solides et belles, est, tel quel, d'abo rd un
111ni d acteurs. Je sais quelle dsinvolture un
peu ddaigneuse lesprit critique professe
p o u r le lyrism e facile... Je me re tie n d ra i donc
sur cette pente... Cest p o u rta n t en toute
connaissance de cause et dlivr du souci de
l'im pressionnism e qui n a que faire ces p ro
fondeurs, que je fais cho dans ces lignes
mon motion devant lexfraordim ure in te r
p rtation de Danil Dclorme. Il y a l trop
dauthenticit, tout la fois d e plnitude et
de p rofo n deur (profond et creux vont trop
souvent de pair) p o u r se dfier d un e ntra
nement inconsidr. Cela ne tient pas de la
virtuosit. Sur ce terrain, la composition
thtrale de Gabrielle Fontan est un excellent
point de com paraison en mme temps quun
bel exemple de russite. Catherine est tout ce
qui la traverse : la douleur, l'garement, la
douceur ou lamour. Javoue que deux mo
ments m ont p ro p re m e n t ravin : lannonce
de la m ort de Kevin, et la crise de dmence
finale.
Malgr tan t et tant d exemples, on stonne
chaque fois du pouvoir, effroyable d 'im p u
deur, du cinma, capable de c ap ter les nota

tions les plus fugitives, les affleurements


de la vie intrieure, les signes infimes de la
trahison perptuelle du corps, aussi bien
que lruption sauvage d un me palpitante,
ravageant un visage ou un regard. Je com pa
rerais alors volontiers la cam ra ces exor
cistes prim itifs qui entraien t en lutte avec
un tre, le pressaient, le guettaient, le solli
citaient de tout leur pouvoir, souffraient avec
lui, pour lui faire dgorger son dmon.
Gomme eux, elle malmne ceux qu'elle tient
sous son il im placable, p o u r mieux malme
ner, plus tard, le spectateur fascin. Ceci est
un autre privilge du cinma : jai souvent
rv ce que p o u rra it tre lorchestration
patiente, calcule, tendue, dans un crescendo
rgulier, du tourm ent inflig p a r lcran au
spectateur : une sorte de modulation suprm e
du cri, et longue, longue, jamais relche,
jamais prcipite, mais soutenue p a r les res
sources de lart le plus strict jusqu la limite
de lefficience sur lcran co rrespondant la
limite dje la sensibilit du public. Mais sans
doute ne sont-ce que d tranges rves dirigs
p a r des m onstres bizarres, des Bunuel tte
de Bresson...
J ea n -J o s R ic h e b

DU BAUHAUS A LIFE
JAMMIN THE BLUES, film de G j o n Mili. Images : Robert Burcks. Interprtation :
Lester Young, Red Callender, ffa rry Edison, Marlowc Morris, Sidney Catlett, Barney Kessel,
Joe Jones, John Simmons, Illinois Jackett, Mary Bryant, Archie Savage. Production : W ar
ner Bros, 1948Chose assez rare dans le m onde cinm ato
graphique, Gjon Mili est un hom me p leine
ment conscient et inform des tendances
plastiques de son poque. En effet, il est
vident dans Jam m in' Ihe Blnea que Gjon Mili
a t fo rtem en t influenc dans sa vision de
lunivers p ictu ral p ar les thories de la fa
meuse cole du Bauliaus (1). A plusieurs
reprises cette influence se manifeste, soit
inspire directem ent de Moholy Nagy et de
ses expriences, fondamentales p o u r lart
abstrait, sur la composition rythm ique et
contrapunctique de m atriaux divers qui
acquirent une valeur nouvelle en fonction
les uns des autres p a r juxtaposition, oppo
sition ou diffrenciation dclairage, soit p ar
lutilisation dun fond uniform e et mme
absent, comjjltement n o ir ou com pltement
blanc, su r lequel le m oindre objet p re n d
valeur d une interp rtation lyrique de les
pace ,et saffirme en sa totale ralit, son
essence insouponne.
. Le montage de Jam m in the Blues lui-mme
(1) Le t r a n s p la n te m e n t d u B auliaus Chicago p a r
su ite d u n a z is m e a eu it a encore u n e influence c a p i
ta le s u r l' v o lu tio n des a r ts p la s tiq u e s et p a r tic u
li re m e n t de la p h o to g ra p h ie au x E ta ts-U n is.

semble fortem ent m arqu p ar les procds


de syncope, de contraste chers Hans
Ricliter, prin cipal cinaste de l'cole du
Bauliaus. (La m usique (Je jazz, p rin c ip a l argu
m ent du film, en fournit dailleurs le prtexte
inespr). Dans ce jeu dclairage et de mise
en valeur des m atriaux Gjon Mili est matre.
Les jeux de lumire sur les instrum ents de
musique, lpi derme des noirs, les mouve
ments de leurs silhouettes parfois ddoubles
sont transcends p a r la cam ra jusqu deve
n ir des signes purem ent symboliques et trs
loigns de tout esprit docum sntariste. Avec
un rais de lum ire sur le canotier d Illinois
Jackuett, Gjon Mili parvient voquer pen
dant plusieurs minutes deux sphres d in
gale grandeur se chevauchant lune l autre
dans les tnbres que p a rc o u rt comme une
galaxie la fume de la cigarette invisible du
musicien.
Ce qui est gnant dans le film, si lon
considre la personnalit de son auteur, c est
lim pression constante que lon ressent de
voir que Gjon Mili a eu peur de ne pas faire
assez com m ercial et a continuellem ent hsit
devant lexploitation intgrale de ces moyens.
Jammin* the Blues qui sannoncait comme
p ouvant tre un trs beau film abstrait ne l'est

47

Gjon M ili, J a m m i n the lhies.

jamais q uaccidentclem ent. Ce souci de comm er ci alisme se p e r o it galement dans le


choix musical. De pins lutilisation intensive
de la chanson Snnv Side of the Street ,
dont la popularit est reconnue depuis des
annes et dont le style best-seller est inco n
testable, en apporte une nouvelle preuve.
Il reste souhaiter que lhomm e de trs
grand talent quest rjon Mili (on lui doit les.
extraord in aires photographies parues dans
L i f e de Picasso; peignant dans lespace avec
une lampe lectrique), qui sest rvl comme

lun des artistes les plus m tho d iq u em ent o ri


ginaux de notre poque, soit m oins p ris o n
nier dans quelque p ro c h a in film ds c o n tin
gences qui semblent lavoir p a ra ly s dans
celui-ci. Il est d ailleurs su rp re n a n t de souli
gner que Jam m n the Blues a fait scan dale
aux Etats-Unis et qu il n a p ra tiq u e m e n t pas
t distribu, car on voit dans le film un
musicien blanc jouer avec des noirs. Nous
tenons' ces prcisions de Gjon Mili lui-mme.
R

enaud d e

L a r o r d e r ie

AU CUR DE LA REALITE
UMBERTO D,J film de V i t t o r i o D e S i c a . Scnario ; Cesare Zavattini. Images ; G.R.
lodo. Musique
lessandro Ciggnini. Interprtation ; Carlo Battisti (le re tra it ), Maria
Pia Casilio (la petite bonne), Lina Geunar (la baronne). Production : Amato-Rizzoli, 1951.
Distribution : FilmSonor.
'
. .
Avant la guerr, V ittorio De Sica tait
chanteur de charme. I l y a cin q ans, aprs

48

Sciuscia, puis Voleurs de Bicijclettes, il tait


un auteur de films gnial, fru it d un e bienheu-

reuse gnration spontane, ca r on sest bien


g ard de savoir quil avait ralis sept films '
avant Sciuscia. Vient Miracle Milan. Les
balais vont-ils vers lEst ou non ? De Sica
est-il ou non com m uniste ? Avec Umberto D.,.,
l plus courageux et le plus accompli de ses
films, De Sica devient un m etteur en scne
m audit. On lignore. Sic transit...
La cause est entendue : il n y au ra pas de
bataille dUmberto D... Nous devrons avec
h um ilit nous contenter de ro m p re nos lances
co n tre des moulins, fidles limage qu a
donne Simone D ubreuilh du critique de "
cinma. ,
Revenons en arrire. Avec Voleurs de
Bicyclettes, De Sica et Zavattini v ien n en t de
raliser le plus formellement p arfait de leurs
films. A la sortie dun gala trio m ph al la
salle Pleyel, les critiques ont l il hum ide et
se congratulent sur un thme dapothose ;
Cest laboutissem ent du no-ralisme. Im
possible d aller plus loin. Aprs cela, il faut
tir e r lchelle .
Un peu plus tard , Miracle Milan semble
leu r d o nn er raison. Dans un article (dailleurs
rem arquable) publi dans les C a h i e r s d u
C i n m a , Claude Roy crit avec apparence de
raison : Au lendem ain du Voleurs de B icy
clettes... il y a ces deux hommes (ZavattiniDe Sica) qui sentent quun excs de com plai
sance dans le ralism e-descriptif peut les
con d uire une impasse, les coincer d an s u n
cul-de-sac. Mais Claude Roy sest trom p, et

Zavattini, entre-temps, a confi son rve


esthtique Andr Razin : Je voudrais,
dit-il, p arv en ir faire un spectacle cinm a
tographique avec quatre-vingt-dix m inutes de
la vie dun hom me qui il n arrive rie n .
Leve des boucliers : Cest un. projet
insens. P ar dfinition, le choix prside
toute uvre d art. Dailleurs, quel intrt
peut-il y avoir gcher de la pellicule p o u r
m on trer exactem ent ce que chacun peut voir!
tous les jours . A lappui de ce haussem ent
d paules quelques dclarations de principes!
gnralem ent reus : Cinma : art de lel-.
lipse . Ou bien : Pas dmotion, sans pro-,
gression dram atique .
Cest le m om ent de se fcher. Au nom de
quoi, je vous le demande, veut-on in te rd ire
u n crateur, fut-il cinaste, de ren o ncer,
aux rgles de la dram aturgie classique.
J ai dj, tim idem ent, protest ici, propos ;
de Marcel Pagliero, contre ces su p erstitio n s'
ridicules. Nous prtendons, aux C a h i e r s d u
C i n m a , nous poser en dfenseurs de lavantgarde sous toutes ses formes, cette avantgarde, aujourdhui, ne se m anifeste plus p a r
rvolutions, mais p a r subtile insinuation, et
cest un fait quil faut creuser un peu p o u r
d couvrir ce qui donne tels films de Welles,
de Bunuel, de Bresson ou de De Sica un son
si rsolum ent neuf, une dm arche aussi p e r
sonnelle ; on sapercevra alors quelle ^ e s t insolite, cette dm arche, que p a r surcrot, e t'
sans exhibitionism e ni prm ditation.

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5

P o u r sen ten ir .'.Umberto D, il est bien seconde p a rtie revient une form e de r c it
vident que ce film si hum blem ent color est plus traditionnelle.
p arfaitem ent rvolutionnaire, et constitue le
On po u rra it dire q uil y . a deux films
chef-d uvre de Zavattini-D Sica. Si nous dans Umberto D. Le p re m ie r a p p a rtie n
nous rfrons au propos dj cit de Zavat d rait Zavattini. Le second serait, plu s
tini, il faut convenir que Umberto D est en particulirem ent p ro p re fie Sica. Grce
plusieurs de ses parties, ce film idal que une habile transition fo u rn ie p a r le p e tit
Zavattini v o ud rait faire. Voleurs de B icy chien Flack, ce second pisode com m ence au
clettes tait un dram e parfaitem ent orchestr, m om ent o Umberto est dterm in au sui
avec exposition, crise, progression d ram a cide. A lui seul, il constitue une e x tra o rd i
tique et dnouem ent (encore que sur ce d er naire nouvelle cinm atographique. Lhom me,
donc, a dcid de m ettre lin ses jours,
nier point...). Avec Umberto D, il ne reste
plus rien d ^ .ces .donnes classiques de la comme on dit, et peu nous importe', p a r
cinmaturgie. On p o u rra it presque p re n d re
tir de ce moment, les raisons de son dses
nim porte quel fragm ent du film et le p rojeter poir, Mais il veut que son chien soit en lieu
sparm ent : il conserverait peu de choses sur, et nous le voyons av an t de m o u rir faire
prs la mme valeur hum aine et la mme mille tentatives p ou r sen dbarrasser.. P ein e
perdue, le chien rev ien t toujours. 1Alors
valeur cinm atographique.
On sait quil sagit, grosso modo, dun
Umberto dcide de le faire m o u rir avec lui.
homme qui dcide de se suicider. On p our Il le p re n d dans ses bras, se poste an passage
rait p a r consquent sattendre h voir exposer du train. Mais le chien a p eu r, se dbat,
logiquement, et exclusivement, toutes les ra i schappe et, grce lui, Um berto, qui l a
suivi, chappe la mort. M aintenant la n i
sons q uUnlberto avait d m ourir.
Au lieu de C e la , nous voyons sim plem ent cet mal, inquiet, fuit devant son m atre. U m berto
h o m m e vivre, et, de faon presque irrita n te , la
a p eur davoir p e rd u lam o ur du seul tre
cam ra sattarde sur "tous ses menus gestes, qui l aiinait.' Il lappelle. Il lui lance une
ses tics, ses occupations les plus banales sans pom me de pn : Va ch e rc h e r, F lak
que cette succession d instants futiles puisse Et peu peu, Umberto, que nous ten ion s
agir su r le destin. Umberto se couche, et nous
pour m ort, rfait les gestes de la vie en
assistons tous les dtails de ce crm onial jouant avec son chien. Fin. U m berto est-il
fastidieux. La petite bonne, tt leve, fait du sa u v ? Non, ciar le filni recom mence.., ,
caf dans la cuisin, et aucun de ses gestes
Admirable de concission, de juste m esure,
ne nous est pargn, bs gestes ncessaires
d motion contenue, la fin de U m berto D
aussi bien que les gestes accidentels, tel ce est sans doute lun des dram es les plu s bou
mouvement disgracieux de sa jambe p o u r leversant du cinma. Linfluence de C haplin
pousser la porte, et sur lequel, inexplicable ; y est manifeste dans le thme et d an s la
ment, la cam ra insiste, pour term in er, sans
facture, sans quon ait jam ais p o u r ta n t le
ap paren ce de ncessit, sur cinq orteils
soupon d un pastiche ni dun sim ple em
appuys contre une porte. T out est si m inu prunt. De Sica a toujours proclam son ad m i
tieusem ent dcompose qu chaque instant
ration" pour Ren Clair et p our C haplin. Il
nous perd o ns le l, et l on ne cesse de se avait liquid, avec Miracle Milan, linfluence
dem ander o les auteurs veulent en venir.
d C lair.- II liquide ici celle de C haplin, et
Or ils ne veulent en venir rien, justement,
il le fait avec lhum ilit qui co n vien t un
et jentends se r c rie r nos p o rte u rs de bou vritable hommage.
cliers : En quoi cet inventaire m aniaque
J aurais voulu voquer d autres aspects de
de gestes sans aboutissem ent peut-il bien
ce film si riche. Il fallait d ire n o tam m en t quel
nous en intresser ? Ici* je ne peux mieux
im placable constat il nous donne d e la situ a
faire que de citer Bazin : Il sagit sans
tion sociale des classes m oyennes, de leur
doute p ou r De Sica et Zavattini de faire du m anque de solidarit, de leur solitude goste.
cinm a lasym ptote de la ralit. Mais p o ur Mais l article sallonge dm esurm ent.
qu la limite, ce soit la vie elle-mme qui
Je m en tiendrai, jjour finir, sa lu e r lex
se mue en spectacle, p ou r quelle nous soit
ceptionnelle interp rtation de deux in c o n
enfin, dans ce p u r m iroir, donne voir
nus : Carlo Battisti, bouleversant sans tre
comme posie. Telle quen elle-mme enfin, le tout fait sym pathique su p rm e su b ti
cinm a la change . Cest dans cet esprit
lit et Maria P ia Casillio, linou b liable
q uil faut voir Umberto D.
,
petite bonne, sans doute le p erso n n a g e de
En cette am bition rside toute la porte de iilm le plus authentiquem ent orig in a l q u e je
l'entreprise de Zavattini et de De Sica, la plus connaisse.
hardie, sans doute, qtion ait sentie au cinma.
Mais nous savions av ant U mberto D que
Il nous faut m ain ten an t modifier le schma
De Sica est le meilleur d ire c te u r d a cteu rs de
un peu idal que hou s venons de tracer. Les sa vnration...
auteurs d Umberto D nont pas pouss leur
R o b e r t P il a t i
rech erch e jusqu l absolu parti-pris. La

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PROCEDES BIEN CONNUS


PHONE CALL FROM A STRANGEIi (APPEL DUN INCONNU), film de J e a n N e o u l e s c o .
Scnario : Nunnally Johnson, daprs une histoire de 1. A. R. Wyli. Images : Milton KrasnerMusique : F ranz Waxman. Interprtation : Bette Davis (Marie Hoke), Gary Merrill (David
T rask), Shelley W inters (Binky Gay), Michael Rennie (Dr. Fortness). Production ; 20th
Century Fox, 1952.
Phone Call F rom A Stranger a eu le prix
du scnario Venise, Curieuse rcompense
c a r le scnario est sans doute ce quil y a
de plus faible dans le film.. Non pas- que
lide originale en elle-mme soit mauvaise.
Le hros lie connaissance dans un avion avec
trois personnes qui chacune se confient lui
et lui donnent leurs adresses. Lavion scrase,
notre homme est le seul rescap. II lui reste
les trois adresses auxquelles il se rend, ce
qui va le m ler trois drames diffrents sans
relation entre eux. Le d ernier pisode p o u r
tant aura une incidence sur sa vie prive
p uisquil lui p erm ettra de se rconcilier avec
sa femme. Cette tram e est plausible, mais
cest ' le dveloppem ent m lodram atique de
chaque pisode qui donne lhistoire un ton
bien-pensant plutt dsagrable. Negulesco
semble avoir t conscient de ce danger car
sa mise en scne tend continuellement vers
la sobrit et lellipse. Le prem ier pisode
po urtan t n est gure pro ban t et le d ern ier

n est quun num ro Bette Davis auquel le p ro


tagoniste son m ari Gary Merril assiste
eu p u r spectateur. II y a longtemps que nous
connaissons le grand talent de Bette Davis et
son got du personnage de composition. Ici
elle re p re n d son m asque d Elizabeth d Angle
terre et est-ce un hommage Sarah Bern h a rd t ? la cloue sur un lit de paralytique
avec poulies, cbles et leviers. Negulesco ne
peut rien contre toute cette ferraille, d au
tant plus quelle appuie fortem ent su r la
glande lacrymale. Lpisode central est par
contre assez russi. Plus dvelopp il aurait
pu tre lui seul le sujet d un film. De plus
il est bien jou, surtout p a r Shelley W inters.
Gary Merrill, lui aussi, a tendu constam ment
vers la sobrit, mais. le rle n e lui p.ermet
pas d tre aussi naturel que dans A il About
Eve o il form ait avec Bette Davis u n blouis
sant couple d am ants terribles .
J. D.-V.

j e a n Negulesco, P hone Call F ro m A S tra n g e r.

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Jo s e p h L. M ankiew icz, People W i l l T a l k .* Cary G ra n t et Je a n n e C rain .

DE L IRONIE QUELQUE PEU AMERE


PEOPLE WILL TALK (ON MURMURE DANS LA VILLE), film d e J o s e p h L. Man
d aprs la pice Dr. P raeto rius
de Curt Goetz. Images : Milton K rasner.
Interprtation : Cary Grant (Dr. Praetorius), Je a n n e C rain (Deborah Higgins), W alter
SIezack (Prof. arker), Hume Cronyn (Prof. Elwel). P roduction : 20th Century Fox, 1951.
k ie w ic z ,

Joseph Mankiewicz a toujours eu contre les


femmes une ironie m ordante et un peu affec
tueuse. Q uil les aime ou ne les aime pas,
elles troublent sa vie p a r leurs effractions ou
par leurs effervescences hystriques ou amou
reuses. Il porte alors leur crd it le mal du
inonde et le sien p ro p re et les en absout un
peu p a r la majest de leurs attitudes qu elles
grdent jusque dans leur dchance. Car si
Mankiewic?. attaque la fem m e comme un ani
mal trop autoritaire et trop bless, il ne met
jamais en parallle une toute-puissance bien
faitrice de lhomme sage.
Bien que souvent bavards, ses films ne nous
donnaient jamais d ides gnrales, dinter
prtation cosmique fut-elle travers de
simples visages. Il semble p a r contre quil
nous offre avec People W ill Talk, qui
est un dmontage m inutieux et subtil de
tontes les comdies et de tous les drames, une
vision vin peu dsabuse, u n peu triste d un
monde vain, p a r un. caractre de femme sur

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lequel il se p e n c h e ra avec une tendresse ton


ne, et dont il r d u ira les dsirs et les am ours
la m esure d im jeu, o l homme de l h is
toire peut h ie n p re n d re sa place c a r il est
doux et p a rc e que, gentiment, il p r c h e dans
le dsert.
De ce dram e allemand de lh o rre u r dont
Mankiewicz sest amus avec beaucoup plus
d intelligence quil n y parat, il a fait une
com die q u i donne lexplication subtile de la
vie et de la m ort, qu il ne faut gure p re n d re
au srieux. De lapparitioii : du do cteu r
P ra e to riu s qui se fit b o ucher p o u r e xercer son
a rt s r ds populations qui craig n aien t les
m decins de tous types, et iqiii, plus tard,
nous a, fait dcouvrir, son cours d anatom ie,
sous le d ra p blanc, l e 'c a d a v r e dissquer
sous la form e d une fille m erveilleusem ent
belle { elle tait vivante et gaie, elle aim ait )
sans le m o in d re tonnem ent, la re n c o n tre
de P ra e to riu s avec ltudiante qui est enceinte
(mais non de lui) et q uil pouse un peu de

Ja trou v er belle et de Iai'mer d un coup c a r


l'am our va et vient, caprice p o u rta n t s r
quelquefois ( Je vous dirai po urquoi je vous
aime dans trente ou quarante ans ), et, un
peu m algr lui, il y a une grande habilet
d tru ire im pitoyablem ent ce qui fait le re s
sort du conventionnel am ricain : la cuisine
insipide comme le tabou physiologique (dans
une tonnante scne sur un lit la jeune femme
Je a n n e Crain dj enceinte de lautre
am ant m ais qui ne le sait pas, et croit ltre
de P raetorius, compte les jours, stonne sous
les yeux de G rant-Praetorius amus et d a n
sant, qui se fera svre p o u r crier fo rt que
d ici ou de l, les enfants sont les mmes,
quils arriv en t crach o tant dans un monde
hostile q uils nont pas dsir, et quil sagit
avant toute chose, quels, q uils soient, de les
aimer.)
Ce m onde aussi est incom prhensible et un
peu magique. Les luttes pernicieuses des
hommes entre eux ap paraissent alors plus
mesquines (Hume Cronyn, qui est le p etit p r o - ,
fesseur hargneux qui cherche deshonorer
son confrre, sen ira seul, dans la fin du
film, loin de la joie des autres, sous les
arcades sombres de luniversit, comme une
petite me m prisable et, au fond, trs triste.)
Mais les choses les plus incroyables nous
p araissen t simples (si lon ne d it pas que le
m ystrieux Shunderson, sauv de la m ort
il y a longtemps p a r Praetorius, aprs une
pendaison, est ressuscit des morts, c est bien
parce que nous sommes en Amrique. II re s
suscite des hommes chaque jour.) Les catas
trophes elles-mmes ne sont-elles pas souvent
m ythiques ? Il y a entre tro is hom m es d ge
m r une magnifique scne o ils jouent au
train , et o nous particip o ns avec violence
la peur, J angoisse mme de Ja jeune femme

qui c ra in t la re n co n tre fracassant des jouets


qui se croisent en pleine vitesse, rencontre
qui fatalem ent se pro d u ira ; jeux de notre
espoir et de notre corps (nous ne pouvons
rien, ft-ce contre des jouets.)
Que nous reste-t-il ? Mankiewicz nous
donne-t-il une grande leon pontifiante et
facile ? Non, il nous incite lironie, peu
facile ca r il sagit de notre m ort et les hom
mes que nous ctoyons sont des h o rre u rs de
sang, mais il en a le courage, il en rit un
peu triste. Restez o le destin, vous a plac,
faites les choses que vous avez faire, mais
absentez-vous dune absence suprieure, celle
du rve' ou du rire, comme nous le montre
le visage de Cary Grant dont il a exig une
grande mobilit, long corps et visage fuyant,
que lon rclam e d habitude, m arq u an t lcran
dune prsence forte. Les portes de la joie
vous sont ouvertes et ces ports sont dans
le film le co ncert des tudiants, et si vous
savez entendre cette musique, q uil a choisi
d un musicien allem and rigoureux, Brahms
vous entrerez en joie elle-mme, p a r u n long
rire doux qui vous p re n d ra , qui p re n d ra aussi
la jeune femme indcise, tonne, perdue
(comme dans la scne baroque ou au dbut,
dans une curieuse laiterie de ferme, elle nous
au ra fait p a rt de son incom prhension des
choses, en une vraie danse baroque des
amours) et qui, brusquem ent, p a rtic ip e la
joie gnrale (dans un plan que je nhsiterai
pas dire trs e x tra o rd in a ire de ne pas nous
lavoir ren d u ridicule) p a r lenfant qui pour
la prem ire fois bouge en elle, et de ce ventre^
sur lequel Mankiewicz insiste, sirra d ie une
trange douceur, et le c h u r clate en un
hymne.
M ic h e l D

orsday

PO UR UN CINEMA IRREALISTE
LES BELLES DE NUIT, filin de R e n C l a i r . Scnario, dialogues : Ren Clair. Images z
A rm and T h irard . Dcors : Lon Barsacq. Musique : Georges Van P arys. Interprtation :
G rard P h ilipe (Claude), M artine Carol (Edme), Gina Lollobrigida (Leila), Magali Vandel
(Lucile et Suzanne), B ern ard La Ja rrig u e (Lon), Raymond Cordy (Gaston), Je a n Pards
(Paul). Production : F ra n c o London Film, 1952. Distribution : GaumcnL
,
P arven u la m atrise et une notorit
m ondiale un crateur peut se survivre ou se
r p te r ; il peut aussi p re n d re le risque de
se renouvelei;. La question ne se pose pas
p ou r la p lu part ds ralisateurs de films qui
p o rte n t lcran des scnarios d auteurs di
vers : renouvellem ent ou rptition dpendent
des collaborateurs successifs q u ils choisis
sent. Mais p o u r u n Charlie Chaplin, p o ur un
Ren Clair, qui ne sont pas seulem ent des
ralisateurs mais des auteurs, chaque uvre

nouvelle est une aventure o ils sengagent


tout entier. Aprs la paren thse (importante)
de sa prio d e hollyw oodienne, Ren Clair
avec Le Silence est d Or ren ou ait p a r le ton
et le style de sa comdie avec la continuit
de son uvre antrieure. La Beaut du
Diable au contraire se situait hors de son
registre habituel. Le cas des Belles de Nuit
est plus complexe que celui des deux films
prcdents : celui-ci n est pas seulem ent dans
le prolongem ent naturel de l uvre de Henc

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Clair, il est m arqu p a r un retour au style


de ses films les plus clbres, vieux m ainte
n an t de vingt ans et plus, et p o u rtan t il
imoigne d un pouvoir crateur et d une
facult de renouvellem ent qui en font une
de ses oeuvres les plus originales,..
Tout se passe comme si, aprs les discus
sions suscites p a r La Beaut du Diable, Ren
Clair av ait voulu faire un film la m anire
de Ren Clair , Non pas une anthologie des
thmes chers lauteur et une reprise d lInents pars dans son uvre antrieure com
ble VOrphe de Cocteau. Les Belles de N uit est
bien -plutt laffirmation neuve dune esth
tique du cinma- qui va systm atiquem ent
contre l mode ambiante. On croit avoir tout
dit^quand on a dit fantaisie propos de Ren
.Clair. C'est irralism e bien plutt q u il fau
d rait dire, -.une_ poque o ralisme' et no
ralisme, ralism e noir et ralisme gai tiennnt le devant de la scne. De la fantaisie
'on. n trouve autant quil faut dans les com
dies britanniques, rvlations comiques de
cette aprs-guerre : mais loriginalit de
Passeport to Pimlico ou de W h isk y Gogo
consistait b ro c h e r un comique collectif sur
une description p resque docum entaire d un
qu artier 011 d un village. Le Silence est d Or
sacrifiait un ralism e dun autre genre en
.reconstituant m inutieusem ent une poque.
/Loriginalit des Belles de Nuit cest au con
traire d ad o p ter d emble une p erspective
irraliste. Le personnage de ce m usicien de
-province jeune et beau qui donne des leons
,de piano ; ses amis, lagent, louvrier g ara
giste et le garon de caf ; le cadre mme du
Grand Caf avec sa magnifique caissire,
autant d lments qui, mme avant quintervienne le merveilleux, placent le spectateur
dans un m onde cinm atographique qu il re n
contre de moins en m oins souvent : celui de
la stylisation.
Mais la stylisation, cette tentation de tous
les dbutants (elle cond u it la catastrophe
neuf s u r dix des films damateurs et con
dam ne la p auv ret la moiti des courts
mtrages experim entaux), la stylisation ne
russit que p a r le m iracle d un style. Avec Les
Belles de N u it le m iracle se p ro d u it et la
prsen tatio n du film Venise a prouv que
l p a rtie est gagne ds les prem ires imags,
m m e devant un p ublic international. Si le
public entre dans le jeu cest grce laccord
p a rfa it de tous les lments du langage cin
m atographique : les acteurs, ici plus que dans
aucun film de Ren Clair, sont exactem ent le
co ntraire des m onstres sacrs, m arionnettes
p ourrait-on dire si le m ot n avait p ris un sens
pjoratif, m ais m anies de main de m atre
sans un geste inutile, avec une prcision qui
ap p aren te leu r pas la danse ; les dcors
simplifis au p o in t de ne plus com porter que
des lments significatifs et quand on
entre dans le m onde du rve le dcor devient
toile peinte, bauche, signe plus que dcor
les clairages enfin, volontairem ent conven

tionnels et qui contribuent p l u s . qaucu n


autre, lment crer latm ospure irrelle et
lgre dans laquelle se droule le rcit.
Ce rcit lui-mme ne doit rien la m ode
du cinma-fait divers ou celle lu cinm ath tre .q u i se p artagent actuellem ent la p r o
duction courante : Les Belles de Nuit est cons
tru it comme, un. c o n te .e t rncnie comme une
carte philosophique du xvirrE sicle, le m er
veilleux y intervient comme l'eirressort d un
mouvement d horlogerie ; toutes les autres
pices sont calcules avec une haute p r c i
sion et les rouages tournent sans heurt. Le
sourire ou l _rire s dclenchent comme
sonnent les heures ou les crillons
.
T ant de perfection dans les m oindres d
tails n entrane aucune froideur : com m e les
acrobates rom pus leur m tier Ren Clair
ne laisse jamais deviner son effort ou p r
voir ses effets. Nous lcoutons noiis ra c o n te r
lhistoire de ce musicien-pote qui svade du
m onde rel grce au r v e ; nous le suivons
dans ses jongleries avec le tem ps ; nous
retrouvons avec p laisir la comtesse, la cais
sire et louvrire en 1900, en 1830 et en 1789.
Rien ne dtourne et tout sduit. Sauf peuttre une longueur inquitante dans la seconde
moiti du film, quand le r c it s acclre et
rem on te l age des cavernes. Des effets faciles
gchent alors un peu notre plaisir, Mais
comme lquilibriste, Ren Clair se r ta b lit
bientt et finit son film en beaut (1). .
Aucun des films de Ren Clair, m algr la p
parence, ne limite ses a m b itio n sau seul d iv e r
tissement. Son irralism e, comihe celui des
meilleurs conteurs, est le;moen dexpression
subtil d une sensibilit trs . aigu aux p ro
blmes contem porains. Faut-il ra p p e le r Le
Million, A Nous la Libert et Le D ernier des
Milliardaires (pour lequel javoue une secrte
et trs personnelle prfrence) ? Le fan tas
tique de La Beaut au Diable tra d u isa it l an
goisse qui treint nos contem porains q u a n d
ils tentent dimaginer lavenir, l'fa n ta isie des
Belles de N uit illustre un besoin d vasion
com plm entaire et une - idalisation sym
trique du pass. Dans les deux- cas lirr a
lisme ouvre au cinm a la possibilit d e x p ri
m er autre chose quef des f^its : c ra in te de
l avenir dans La Beaut du Diable, nostalgie
du pass dans Les Belles, de Nuit, m lancolie
de l ge m r dans Le Silence est, d Or. Le cin
ma de Ren Clair est un cinm sentim ental
qui redcouvre naturellem ent les grand s th
mes de toute posie. E t p u isq u on ne p eu t
juger sans rfrences littraires cet au te u r qui
crit ses films avant de les tourner, nous ver
rio n s volontiers en lui le Giradbufc du c in
ma, cham pion de rirr a lism Vd la fantaisie
et de la sensibilit discrte dans u n m o nd e
raliste^ positif et violent.
, ,
______ ___

.T.-C. ^txnay
;
.

(1)
J e p a r l e de l a v e rsio n p r s e n t ^ V cn isev R en
C la ir com m e to u t a rtis te - a r tis a n re m e t c en t f o is s u r
le m tie r so n ou vrag e et a , p a r a i t - l l , i n t r o d u i t depuis*
des m o d ific atio n s a u m ontage.
. ; .,

A lfred H itchcock, The R in g : le b o x e u r groggy ( gauclie), ses im p re ss io n s ( droite ).

FLASH-BACK SUR HITCHCOCK.


TH E RING, film < T A l f r e d H i t c h c o c k . Scnai'io ;
Cari Brisson (Jack Sander), Lilian Hall Davis (Nell),
H a rk e r (Dick, l en tran eur de Jack), F o rrester H arvey
H arry T erry (James Ware, lim presario), P roduction ;

Alfred H itchcock. Interprtation :


Ian H nter (Bob C o rb y ),. Gordon
(H arr, le m onteur du m atch forain),
B ritish In tern atio nal Pictures, 1928.

CHAMPAGNE, film d ALFRED H i t c h c o c k . Scnario : W alter Mycroft, Interprtation :


Betty Balfour (la jeune fille), Je a n B rad m (le jeune hom me), Tho von Alter (le passager)^
Gordon H a rk e r (le pre), P roduction ; British Intern ation al P ictures, 1928.
;
La c a rri re muette d Alfred H itchcock est
peu connue en France, On cite quelquefois
The Lodger (Le Locataire) qui date de 1926,
et lon passe, sans transitions, Blackmail
(Chantage), qui a t, en 1929, le p rem ier film
en tirem en t p a rla n t ralis en Angleterre.
Un h asard heureux (1) nous a rvl deux
films de cette prio de un peu mprise, to ur
ns lun et r a tr e en 1928 : Champagne
(A VA m ricaine). et su rtou t The R in g (Le
Ring) (2), Comme la p lu p a rt des uvres du
muet, ils o n t quelque p e u vieilli. P o u rta n t les
deux prem ires bobines de Champagne et
The Ring, dans son ensemble, rsistent encore
l'preuve d une rtrospective. Mais leur
in t r t m ajeur est d annoncer, p a r bien des
aspects, les uvres parlantes du m atre d u
suspense . -. h u m our, virtuosit, got infail
lible du dtail pittoresque, et une mme
indiffrence l gard des scnarii.
: P a r son sujet (3), The Ring sapparente
(1) Collection p riv e d u C entre d tudes C inm a
to g r a p h iq u e s d e T o u lo u se.
(2) Le tit r e f r a n a is d e T h e R in g est u n e tr a d u c
tio n assez infidle, c a r le m o t a n g la is ring
signifie a u s s i a n n e a u o cercle. Or, u n b ra c e le t jo u e
d a n s ce film u n r le sy m b o liq u e im p o rta n t.
(3) Le scnario est sign d Hitclicock eh p erson ne.

cette srie des films de sport, comdies sentir


mentales ou m lodram es aimables, qui fai
saient les beaux jours de la p roduction
com m erciale aux alentours des annes 1930.
Lhistoire n est ni m eilleure, ni p ire que celles
de Cran de L io n , d frz P unch VEstomc,
ou de n im p o rte laquelle des bands d ri
soires tournes lpoque.
Dans une fte foraine de la banlieue de
Londres, le public sest group autour d un
baraque de boxe ou les aboyeurs exhibent
u n jeune athlte, Ja c k Sander, le << tom beur
du p re m ie r r o u n d . On dfie les amateurs
de ten ir plus d une reprise. Un' coup d il
assassin de la caissire, Nelly, et u n badaud
accepte le combat. A la su rp rise gnrale, il
m et a m al la vedette de ltablissement et se
fait c o n n a tre : Bob Corby, cham pion dAus
tra lie catgorie poids lourds. Nelly' lui
a p p re n d q u elle est fiance Sander, lequel
risque fo rt de p e rd re son gagne-pain aprs
cette dfaite, La caissire est jolie femme, et
Corby engage aussitt le fianc comme e ntra
neur, On im agine la suite : Sander se m arie,
puis trouve grce lappiii de Bob quelques
engagements dans des renco ntres secondaires.
Son toile m onte dans les m ilieux de l boxe,
mais Nelly se dtache de lui. Un soir de

55

A lfre d H itchcock, Chanipaffne : le sa lo n d u b a te a u v u tr a v e r s le v e rre d u b u v e u r ( g au che)


e t le b u v e u r lu i - m m e ( d r o i t e ) .

m atch, aprs quelques mots trs durs, elle le dans le salon des prem ires ; quelque signal
quitte et lon devine quelle rejoint Corby. m ystrieux on saura plus ta rd q u un avion
Bien entendu, lexplication finale aura lieu sest pos p rs du navire les passagers
su r un ring. Les deux hommes lutteront p o u r
envahissent la piste et font avec le couple
leur am our au cours dun com bat com ptant un trange ballet.
p o u r le titre : Sander v a in c ra et retrou v era
Les angles de vue sont quelquefois in a t
tendus D ans The Ring, les p h o to g ra p h ie s de
sa femme.
Plus mivre encore est le scnario de Cham reflets viennent comme un leit-motiv. Au b o rd
pagne. Un m illiardaire de New York a refus
d une rivire, les fiancs ch ang en t des se r
la m ain de sa fille un garon sans fortune
ments, et lcran a capt le u r silhouette
qui, de dpit, sembarque p o u r lE urope. Lh ondoyante. Cest dans une glace que Ja c k
riti re le rejoint en avion et sinstalle Paris.
S ander su rp re n d les libertinages d e sa je u n e
Elle se laisse vite griser^par cette am biance
pouse, pe n d a n t une p a rty o des g irls e n d ia
neuve et le regard d un seducteur au charm e
bles dan sen t le charleston. E t d a n s n seau
balkanique. Survient le pre, dcid m ettre
d eau, au cours du com bat final, il d co u vre
un term e ces extravagances. Il dclare tout limage dune Nelly repentante et soum ise.
net q uil est m in. Courageuse dans le Certaines rech erch es visuelles ra p p e lle n t
m alheur, la jeune fille cherche du travail.
d ailleurs la m eilleure avant-garde. Le ry th m e
Elle sera entraneuse. P ris son p ro p re pige, enfivr de la p a rty , qui a gar Nelly, est
le p re dvoile son jeu et tout sarrange. Les suggr p a r des corps qui se p loient et se
fiance se rconcilient, ca r le belltre, lui confondent avec le clavier d un p ia n o allong
aussi, tenait un rle. Excellent hom me au dmesurm ent. Dans Champagne, le salon du
dem eurant, il in carn ait dans cette bluette
navire merge lentem ent travers un e c ou p e,
fam iliale, avec peut-tre un soupon de nos et lon songe au fameux v e rre de la it d e
Spellbound.
talgie, livresse du mal et du dsir.
Toujours laise dans ces feuilletons, Dautres procds taient plus c o u ra n ts au
H itchcock avait ici d autres obstacles tem ps du muet, m ais H itchcock les u tilise
v ain cre : les, exigences du com m erce et lin avec bonheur. Quand il veut re n d re le gro u il
suffisance des m oyens financiers. Certaines lem ent sonore dune foire, il saisit en g ros
. vues de foule, dans le com bat final de The p lan une bouche qui hurle, p uis des lvres
Ring, sont ralises a l aide d dcouvertes
lus laides et plus grosses encore, enfin lo rice dune figure de passe-boules. Ls fo n d u s
et le truquage est apparent. Mais la technique
rvle un m tier trs sr, et le m etteur en enchans su r un geste, un objet, r p o n d e n t
scne saisit toutes les occasions de glisser une ncessit : la m ain d u m a n a g e r s u r
u ne image ou une squence qui su rp ren n en t le poignet de Sander succde la m a in du
d ans un film de srie.
sdu cteur su r le poignet de Nelly. P lu s loin,
Ainsi, le dcoupage ds prem ires scnes c est u n travelling en plonge su r le b ra s de
p a ra t gratuit, tranger au rcit. Mais il cre
la jeune fille, partage entre les d eu x h o m
u ne am biance. Dans cette fte foraine qui mes : elle consulte une c a rto m a n c ie n n e qui
ouvre The Ring, la cam ra flne longtemps lentretien t de son fianc, de la m o u r lgitim e,
'l'afft du dtail pittoresque : un couple
du ro i de c ur. Eri contre-point la c a m ra
endim anch, un ngre hilare, u n travelling glisse le long du bras, sa rr te u n in sta n t
su r une balanoire. Lpisode in itial de Cham
sur le bracelet offert p a r Bob Corby, pu is
pagne, sur le paquebot, est presq ue insolite : descend vers la m ain qui tie n t une carte, le
u n couple de danseurs acrobatiques sexhibait ro i de carreau... Ce p e n c h a n t p o u r les objets

56

symboliques, soudain chargs de drame,


H itchcock ne la jam ais perdu : quon se
souvienne du verre de lait de Suspicion, de
la clef et de la tpsse de th em poisonn de
Notorious, du m orceau de co rd e de Rope.
On avancera que ces recherches taient
banales en 1928. P o u r suppler au son, la
p lu p a rt des ralisateurs utilisaient des en cha
ns, des surim pressions ou des ellipses qui
feraien t la renom m e d un technicien du
p a rla n t. Bien plus originaux, p o u r le specta
te u r d aujo u rdhui, sont les essais de cinm a
subjectif. Ds la sortie de The Ring, u n e
brve squence d crivant les im pressions
d un bo xeu r groggy, ddoublem ent de lum i
res et jeux de corde, avait fra p p la critiq u e
franaise (1). De mme, quelques perceptions
dhom m e saol accom pagnaient lvocation
du repas de noce. Dans Champagne, il n est
pas ra re que la cam ra se substitue un
acteur : au pre qui arrive lim proviste
p e n d a n t une joyeuse prsen tatio n de robes ;
au sducteur qui vide une coupe ; au jeune
p re m ie r malade su r le paquebot ; il sagissait
l de re n d re une' sensation dc urem ent, et
nous buttons sur un plat de viande en sauce ;
un. p eu plus ta rd , d a n s la cabine, nous verro n s
on do y er trois images sim ultanes de la jeune
fille.
On che rc h e rait vainem ent dans The Ring,
ou Champagne (sauf peut-tre dans quelques
plans trs brefs), les variations favorites
d H itchcock su r le doute et le soupon. On y
retrouve, nanm oins, la p lu p a rt des thm es
qui lui so n t familiers. E t d ab o rd ce got des
lieux o lon samuse, quil e n ric h it d obser
vations savoureuses ou de contre-points d ra
m atiques. La fte de T he R ing prlud e
d autres kermesses aux rsonnances plus inso
lites : on pense Strangers On A 2'rain ;
ces ventes de c h arit de B lackm ail et de
Stage F right o des crim inels rdaien t p a rm i
(1) C tnm gzine ,

38, d u 21 s e p te m b r e 1928..:

les capelines, les chapeaux melons et les


petits boys-scouts. Dans Champagne, cest la
faune dun night club parisien, ou bien les
automates d une p a rty m ondaine. Quant la
rception de The Ring, elle se droule dans
ce living room o, vingt et un ans plus tard,
deux jeunes hommes trs distingues m anie
ront une corde. Mais travers les rid eau x
brillen t les lum ires de Londres ; le dr^m e
qui couve est simplement sentim ental.
Cest dans ces foules du p la isir q u Hitchcock glisse des comparses aux visages ton
nam m ent prsents. JLa b rusque fixit d un
regard au-dessus dune coupe de cham pagne,
une moue, une attitude rvlatrice aussitt
rprim e, une m ain qui se crispe ou qui joue
avec un bracelet, rien nchappe sa vision
aigu du dtail expressif. L rside son
hum our, une com posante m ajeure de ce que
lacteur anglais Jo h n Longden appelle the
H itchcock touch . Il excelle, dans les mo
ments de tension, souligner u n petit fait
cocasse qui am nera une dtente.. Au cours
de la crrfionie nuptiale de The Ring,, la p
p aritio n d e soeurs siamoises est une trouvaille
qui sera reprise avec plus de bon h eu r dans
u ne squence de Saboteur, en 1942, E t voici
la troupe des boxeurs professionnels qui
gagnent leur vie su r les cham ps de foire ;
Gordon H arker y fait ses dbuts en soigneur
vulgaire et flegmatique, et lun de ses m eil
leurs gags consiste jouer les valets de
cham bre solennels avec les am ateurs qui vont
se faire assommer su r le ring. Voici, dans
Champagne, la farandole des invits frivoles
et empresss, autour d une fille de m illiar
daire. Et, plus loin, quelques notations
rapid es : un gras p a tro n de bote de n u it
cache m al ses em portem ents sous des tics
serviles ; dans le bureau sordide d un im p r
sario de music-hall, un hom m e debout d e r
rire lhrone,' du bout de son soulier, lve
un p a n d e jupe.
Ces films ont un autre intrt. Ils se situent
au term e de la c a rri re m uette d Hitchcock.

57

A lfre d H itchcock, T he R in g : l a rception, ( gauche), le living-i-oom (jui prfigure tra n g e m e n t


le stu d io de T he Rope ( droite ).

Ils perm etten t donc de faire le point. La


sret de ton, les trouvailles du rcit, la
richesse de syntaxe m ontrent quH itchcock
est devenu m atre de son art. Il n fera que
tran sp oser ou ad ap ter au p a rla n t cette v irtu o
sit exem plaire, et le n ric h ir des possibilits
offertes p a r Iimage-son, Ds Blackinail, il
donnera son entire mesure. Dans une
squence de M urder (1931), u n e voix h o rs
cham p ex p rim era les penses de lacteur, et
ce p ro cd sera re p ris beaucoup plus tard
p a r Lan et ow ard dans le trs surfait B rief
Enconter, L abandon des fastidieuses len
teurs de montage, de trad itio n dans les films

muets de srie, d onnera son style un


dpouillement, une rigueur, qui faisaien t
dfaut, on doit le reconnatre, The R in g
ou Champagne. H itchcock cultiv era son
sens de lellipse, qui devindra lu n des
constantes raffines de son oeuvre. La d ire c
tion des in terp rtes tendra vers, une sty lisa
tion p resq u e unique^dsins lhistoire du cinm a.
Mais nous avancerons quelle tait dj p re s
que p a rfa ite en 1928. E t Hollywood, troisim e
tape aprs M unich Elstree, fera dH itchcock
davantage ifquun n\etteui; 'Cn scne ; u n v r i
ta b le 'a u te u r de films
;
. .
R a y m n d B o r d e et? E

t ie n n e

Ch au m et on

LES VOIX DU SILENCE


LA PASSION DE JEANNE DARCt f i l m de C a r l T h . D r e y e r , Scnario : Jo sep h Delteil.
Images : R udolph Mat. Dcors ; Jean V ictor Hugo et H erniann W arm. Commentaire m usi
c a l ' : d aprs Vivaldi, Albinois et J.-S, Bach, rgl p a r E dgar Bischof. Interprtation ;
F alconetti (Jeanne), Silvain (Pierre Cauchon), A ntonin A rtaud (Jean Massicu), Michel Simon
(Jean Lem atre), Maurice Schutz (Nicolas Loyseleur), Jean d Yd (Guillaume E v ra rd ). jProduetion i Socit Gnrale de Films, 1928. D istribution : Gaumont.
La m usique qui accom pagne le nouveau
tirage de La Passion de Jeanne dArc, de
D reyer, contribue encore souligner l aspect
peut-tre le plu s im p o rta n t du film, son
silence. On sa it p a r tro p d exemples, de
Cbiria Ben-Hur, quil ne suffit p as qu un
film soit m u e t p o u r q uil soit silencieux. Il
ne suffit mme p a s q u il y ait peu ou pas de
sous-titres. Ici, il y a des sous-titres, peu t
mme- sem bler quil y en a prop o rtion n elle
m ent beaucoup. Na-t-on p a s d it que ce film
im p liq u ait dj la technique d u pdrltlit ?
M a is /p a r 1er ait-il, ce serait la faon du
Journal d un Cur de Campagne et il n en
serait pas moins silencieux, ca r cest dune
autre qualit de silence quil sagit, peut-tre

58

de celui que des byzantins a p p elleraien t


Hagia Sig,

I l est p a rto u t p rsent ce silence, tous les


niveaux de l uvre, tous ses-plans d exis
tence, mais fondam entalem ent dans le rythm e.
E t cest l, chose s i-ra re , que le sp ectateur
inattentif p eu t en tre drout, su rto u t sil
v ie n t de voir des- films d b o rd an t de p e rso n
nages, de dcors, dactions, de mouvem ents.
Ici o n exige d abo rd une catharsis de la fivre
activiste et d u suspense p olicier. Il faut
se soum ettre comme ls contem platifs une
lenteu r calcule de la resp iratio n , su b stituer
la lexan drin dram atique le verset de la
Bible. On est dans le pome, non dans le
dram e. Or"le pome nest pas r d u c tib le u n

schm a linaire in sc rit dans le tem ps une


suite d avant et d aprs, line progression,
mme coupe de brusques ruptures, L pome
est de lo rd re 'd e linstant, et sil est oblig de
s inscrire dans le temps, cest plutt comme
p a r un gonflement de cet instant, p a r un
dploiem ent selon un ry thm e interne. Le
pome est de n a tu re cyclique ou atm osph
rique. Son tissu est une sorte d ther vibrto ire ? o la propagation des ondes est quasiinstantane, o leur mouvement centrifuge
n est q uune illusion, fru it de m ultiples oscil
lations immobiles.
La Passion de Jeanne d'Arc relve de ce
climat d immobile vibration potique. Le
titre souligne ce caractre, c est la Passion
non le Procs de Jeanne drc, thm e trop
fondam entalem ent dram atique, au moins dans
un univers autre que celui de Kafka. Sans
doute on p o u rra relever dans la construction
du scnario une trs habile courbe dram a
tique dont les sommets sont constitus p a r
les diffrentes tortures dont est menace
Jean ne : psychologique, morale, religieuse,
physique ; mais sen ten ir l serait rd u ire
au schma simple dune sinusode la sphre
v ibrante du poeme. Or, cest cette paisseur,
ce volume qui donnent toute leur significa
tion la lenteur onirique, ou plutt h i ra
tique du tempo : transp oser en term e de
dure, des valeurs dternit et de silence.
Bazin a parl de la division du Journal d'un
Cur de Campagne en stations d un
un iq u e Chemin de Croix. Lanalogie a t
encore plus clairem ent voulue ici, mais elle
ne se rd u it pas aux rap p rochem en ts mta
phoriques des grandes scnes de lgonie, des
Outrages, d e la C ondam nation, de Vronique,
du Calvaire, c est dans la stru ctu re jnme du
tem ps de chacune des squences quil faut
la chercher. Nous parlions tout lheure
d oscillations immobiles, n cst-ce pas la dfi
nition mme des stations , points d m er
gence successifs et m odalits diffrentes
d une mme ralit sous-jacente et intem po
relle, coupes en pro fo n d e u r dans u n courant
ap parem m en t mobile, p o ur retro uv er une
im m utabilit essentielle, une ternit.
Et la quasi-inexistence du dcor, des p a
roles, de lanecdote, o rch estre singulirem ent
tout cela, Cest toujours d une mme chose
qu il sagit d un bout lautre du film ; tous
ces. interrogatoires ne font que m onnayer la
question unique qui est adresse Jeanne,
celle qui exige aussi comme rponse unique
lun de ces actes qui font u n tre en mme
temps quils le jugent. On n a pas attendu
les totalitarism es m odernes p o u r deviner
l im portance de laveu et ch erch er l obtenir
p a r tous les. moyens.
Aussi est-c toujours au del des paroles
pro no n ces que se joue la dram aturgie, il
fa u d ra it presque dire la liturgie. Rares, tou
jours authentiques, mais choisies et conden
ses, on con stru it su r chacune des paroles
une harm o nie de visages, sur chaque syllabe

une mlodie grgorienne dont chaque neume


est un gros plan. Aussi, ces m ots ne p o u r
raien t pas tre vraim ent exprim s n i joues.
Plus que le li v r e t . d un, opra ou largum ent
dun ballet, iis sont trs exactem ent le titre
dun tableau, ces titres en versets-bibliques
ui schappent en banderoles de la bouche
es prim itifs. Car, au moins autant qu avec
la musique, cest avec un art encore plus
silencieux^ la peinture,; q u il, faut faire des
rapprochem ents. L un surtou t simpose avec
vidence. Cest lq fameux tableau de Jrm e
Bosch : Le C hrist Raill 5;, qui est lEscurial. Il en existe d autres tats, sous d autres
titres : La Couronne d E p in s> , Le Christ
Bafou
Le Christ devant Pilate ,' Ecce
Homo . Mais cest toujour$ le mme thme
et le mme argum ent plastiqu : un Visage
de. Christ bouleversant de srnit dans sa
douleur, entour et comme cras p a r une
ro n de im m onde de faces bestiales ou de
mufles hypocrites. Ces ttes, dun re n d u piderm ique plus que raliste, sont pourtant,
dans leur individualit brutale, des ttes
d hommes avant d tre des ttes de dmons.
Le gnie du mal se cache autant qu il affleure
derrire tous les pores, toutes les rides, tous
les rictus. Ce ne sont rien moins que des all
gories de tableaux vivants et les quelques
rares accessoires dont ils sont dots existent
eux aussi avec une densit qui n a rien
darchologique. L eur ncessit est la fois
plastique et spirituelle ; je pense ce gantelet
de fer qui scrase au tan t sur le rouge du
m anteau du Christ que su r son corps ;
cette coiffure inoue du juge de gauche, aussi
significative de son me que la grim ace de sa
lvre.
La mise en film de ce tableau ne donne
ra it peut-tre pas quelque chose de trs diff
re n t du film de D reyer, Mjixe si dans ce
d e rn ie r les visages bougent, on y est encore
aux antipodes du thtre. On a tro p insist
sur la gamme e x tra o rd in a ire des jeux de
muscles de Falconetti. Son m rite n est pas
dans ce jeu quon p o u rra it tro u v e r encore
tro p influenc p a r la technique de lpoque
(en un sens In grid Bergman joue mieux
quelle). Mais cest quau fond elle ne joue
pas, elle prsente sim plem ent son visage
m aupiteux et triste, o affleure parfois une
invincible esprance, aux reg ard s des juges.
E t ce ne sont pas des sentim ents exactem ent
catalogus que nous y lisons, mais travers
les jeux de la lum ire et de l cam ra, l tre
sp iritu e l intim e et unifi que l souffrance
fait rem o nter sur tous les points d l sup er
ficie charnelle, Chair authentique d'ailleurs,
un peu lourde mme, m ais do n se dgage
aucune de ces complaisances douteuses, dont
les am ateurs de m arty res c h r t i e n n e s .livres
aux btes son t friands.
.
Cest que tou t ici plonge dans le silence
de lme. On ne conoit pas la possibilit
d un dialogue raliste plaq u s.ur ce visage,
su r ces lvres qui bougent peine, pas plus

59

q u on ne p ouvait concevoir tout lheure


quelles basses insultes p o u rra ie n t corresp o n d re la trogne avine des geliers. Que
diraient-ils que le silence ne dise mieux
encore ?...
T out ce silence de paroles, d anecdotes, de
dcors, n*est dailleurs pas autre chose que
le signe p a rfa it cr p a r D reyer p ou r nous
obliger p ressen tir un silence autrem ent profond, celui des Voix de Jeanne. E t c est l
ce qui constitue en ralit sa vritable Passion, son Agonie singulire. Ses Voix se sont
tues et elle en est rduite m aintenant comme

le d ernier des hommes venant en ce m o nd e


in te rp r te r des signes ambigus, d e v in e r
son Dieu au travers dune cro ix d 'o m b re s u r
le soi, croire en Lui dans une hostie b la n c h e
et muette, se laisser garer aussi p a r le
so u rire tro m p eur dun juge h y p o crite. Mais
elle sait rester fidle dans les tnbres ce
quelle a vu dans la Lum ire et d an s le
silence de ses Voix couter les Voix du
Silence qui, avant d tre celles de lArt, sont
celles de la Foi (1).
, ,
A m edee A y fre

(1) P e u t- tre p o u r r a it- o n prolo n g er cette m d ita tio n l a fo is sp iritu e lle et e sth tiq u e en p r c is a n t q u e
la n o tio n de silence n e s o p pose a s celle de film p a r l a n t
T o u t a u c o n tra ire , il f a u d r a i t d i r e q u e le
silen c e s o p p o sa la m u tit congnitale d u c in m a a v a n t 1928. Si le silence a ce p r ix d a n s le film de D re y e r,
c'e st que ju s te m e n t n o u s le re ss e n to n s com m e sonore. Il est u n e su s p e n s io n d u v erb e. L e filin m u e t co n s ti
t u a i t u n u n iv e r s p riv d e son, d o les m u ltip le s sy m bolism es d estin s co m p en ser cette in firm it . L a P a s
sio n de Jeanne d 'A rc se situ e d em ble d a n s u n m o n d e o l a p a ro le est insttfflsant, m a is q u i s u p p o s e p a r
co n s q u e n t la rf ren c e l a percep tio n sono re. U n m o n d e tra v e rs p a r les u ltra -s o n s de l m e.
A.B.

Revue des Revues


FRANCE
P o s i t i f (77, rue Bossuet, Lyon), juillt^aot 1952.
Le num ro 3 de' juillet-aot
1952 de P o s i t i f , p a ru en octobre, p a rt un article de Nino F ra n k (Cinma In d iv id u e l),
une analyse de LE cran Dmoniaque de Lotte H. E isner et un excellent A p ropos de
Bresson de B ernard C hardre, est entirem ent consacr Huston. L uvre, la p e rs o n n a lit
et les ides de ce ralisateur y sont tudies de faon trs complte et trs p e rtin e n te .
Madeleine Vives analyse habilem ent Asphalt
dcortique en picurienne la fameuse
danse finale du film et propose d Huston cette judicieuse dfinition : Huston ne nous
fait pas d e .m o r a le ; c est un m oraliste ; il nous pe in t des m urs . Jacques D em eure et
Michel Subiela, qui p a ra p h ra se n t Camus dans leur conclusion, parle n t justem ent de T h e
Africari Queen. E doardo Bruno, Jean-Louis T ouchant voquent la perso n nalit d u ralisa
teur, le hros hustonien ; Chardre cite un beau passage de Jean Grenier en tte de son
P o u r un juste hommage et rhabilite juste titre le trop m connu W e Vfere Strangers. Bonne illustration, m ise en pages en progrs ; seule la couverture n est p a s bonne.
Ce n 3 d P o s i t i f n en constitue pas moins dans son ensemble une des tudes les plus,
srieuses e t les plus compltes qui existent sur Huston,

ANGLETERRE

SGHT AND SOUND (164 Shatesbury Avenue, London W.C.2), XXII-2, octo bre-dcem bre
1952. Le d e rn ie r num ro de S i g h t a n d S o u n d (octobre-dcem bre) est excellent, com m e
le sont en gnral .tous les numros d e cette revue. Au som m aire : le com pte r e n d u du
Festival dVEdinburgh p a r Gavin Lambert, de celui de Venise p a r Pnlope H ouston, de
;iceux de Berlin et de L ocarno p a r F rancis Koval ; l enqute su r les dix m eilleurs films
(que, nous re p ro d u iro n s bientt) ; une tude de Gavin Lam bert su r le c in m a italien
rcen t qi fait suite . une srie darticles q uil avait publis il y a dix-huit mois ; u n a r ti
cle d B e rn ard Shaw ( The Cinma as a m oral Heveller) datan t de juin 1914 ; un long,,
trs personnel et trs intressant essai de n otre ami Curtis H arrington su r le c in m a ro
tique, b rillam m ent illustr ; les critiques de Casque d Or, Full Honse, Mandy, Les E n fa n ty
T e r r i b l e s une charge justement violente de Pnlope Houston contre R e d P lanet M a rs;
un "article de Laslo Benedek, ralisateur de Death of A Salesman, sur. les problm es d u
thtre film,
: : ............

J, D.-V.

60

cinma pleine d h um our et dexactitude >


(comme dit lditeur) est trs insuffisante.
Il est aujourdhui inutile d crire u n livre
sur la faune bizarre des gens de cinm a
E i s n e r (Lotte) : LECRAN DEMONIAQUE
si c est p o u r en revenir aux clichs archi(P anoram a du Cinma Allemand). 188 p., uss du producteur-tranger-apatride-igno20 ph., Collection Encyclopdie du Cin rant-tout-du-franais ou du metteur-en-scnem a , Editions Andr Bonne, Paris, 1952.
p arfaitem ent-illum in - travaillant - dans-le-gnie--bon-marehe. N aturellem ent il ne nous
Le P an oram a du Film Allemand qu a est pas pargn l archtype des changements,
c rit Lotte E isn er est un ouvrage de trs multiples du titre du film ou les difficults
g ran de valeur, u n des p rem iers sans doute
financires du producteur. Je sais bien q u il
q u i soit aussi complet et qui prsente au tan t i y a certainem ent du vrai dans cette peinture
d e garanties et de rfrences. Personne p lU s^ des milieux de cinma, mais il est regrettable
que Lotte E isn er n tait qualifi p our crire
q u Arm and Lanoux n en ait saisi que lext
un tel livre, ca r personne ne peut se vanter
rieu r, le ct facile et courant.
de mieux connatre quelle la fois le cinma
Le vritable rom an sur le petit m onde du
allem and et lme germanique.
cinm a reste crire. Peut-tre Armand
Lotte E isner sattache d crire surtout les
Lanoux en sera-t-il lauteur, mais alors il aura
deux coles qui lui paraissent les plus im por certainem ent p ris conscience que la d escrip
tantes dans rvolution du cinma allemand : tion des milieux cinm atographiques n est
le Kammerspielfilm , sur lequel nos lec
intressante que pour deux raisons : si
teurs ont pu avoir un brillant aperu
d abo rd elle est valable et originale en soi, si
( C a h i e r s n u C i n m a , num ro 10), et p rin c i
ensuite elle sert expliquer le com portem ent
palem ent l expressionisme.
des hros d\i livre. Ce qui n e st pas le cas
On aurait .pu. croire que tout a dj t d it
dans Les Lzards dans l Horloge
s u r lexpressionisme. Il nen est rien : Lotte
R . d e L.
E isn e r en dresse un nouveau et passionnant
tableau. Elle en dm ontre adm irablem ent le
m canism e interne et rem onte jusquaux .
A g e l (Henri) : LE CINEMA A-T-IL UNE
sources les plus apparentes (le cubisme, le AME ? 118 p., 16 ph., Collection VIIe Art ,
futurism e) et les plus secrtes (la nature de E ditions du Cerf, Paris, 1952.
l me allemande : ce mlange de rom antisme
chevel, de volont de dom ination, de got
Un propos aussi vaste appellerait de longs
d u fantastique et de lirrel). Tout cela expli
dveloppements, des discussions prcises. En
que la prdilection des Wiene, Lang, Pabst,. lui-mme, cet ouvrage fait dj figure de sch
M urnau et autres Robison p ou r les effets de
ma. Quen dire en quelques lignes ? Lauteur
lum ire et d ombre, de clair-obscur, la styli pense que le cinm a est lart idal p o u r lex
sation totale, les abstractions symboliques,les pression du sjHrituel. Dans les meilleurs cas,
dcors tranges dont Les Trois Lumires, Le
lcran nous suggre, parfois nous dcouvre
Cabinet du Docteur Caligari, Les Secrets d une
les choses qui sont d errire les choses .
Ame, ou Le Montreur dOmbres spnt autant r On imagine quelles confusions, quelles nbu
de preuves formelles.
losits cette notion vague d une transcendance
A Lotte E isner revient le mrite incontes la fois potique et m taphysique po u rra it
susciter si H enri Agel ne dfinissait pas plus,
table d avoir effectu la synthse de tous ces
lments et de les avoir fondus en un, de p rcism ent sa position. Il place un signe,
telle faon que L E cran Dmoniaque for
au-dessus de ces choses , il oriente l invi
me au jo u rd hui le livre fondam ental sur lpo
sible ; il y trace le signe de la croix. Le
p o in t de vue chrtien d H enri Agel, qui est
que expressioniste du Cinma Allemand.
nettem ent avou et qui conditionne un juge
R. d e L.
m ent sans prtention objective, n est d ail
leurs pas re strictif ; il ne se born e pas au
religieux, ni mme au sacr, il embrasse tout
L a n o u x (Armand) : LES LEZARDS DANS
ce qui, de prs ou de loin, peut tre intgr
L HORLOGE, 268 p., Editions R en Julliard,
une conception chrtienne de lunivers. Il
Paris,. 1952.
passe en revue une quantit d uvres, de
Du rom an d A rm and Lanoux, Les ralisateurs, de scnaristes et dinterprtes
Lzards dans lHorloge , le lecteur conserve
q u il tente de diviser en deux groupes :
une im pression indcise. En effet, le propos
ceux qui ont une me et les autres. (Pr
cisons que si le jugement, comme on en a
de lauteur n est pas nettem ent dfini : il a
t prvenu, suit un p arti trs arrt, le secta
choisi de rac o n te r une histoire sentimentale
rism e p u r et simple est cart). Mais l entre
et de dcrire les m ilieux du cinma. Mais
p rise est complexe, car si la position de lau
lensemble du livre souffre de cette dualit
teur ne p eu t tre taxe dquivoque, la m atire
d am ibitions, car, si le dveloppement du
de son tude (cest--dire les films) se rvle,
malaise sentim ental du hros p rin c ip a l est
assez bien dcrit dans u n style raliste que' sous des clairages intentionnels, singulire
lon aim e ou non, la p e in tu re des milieux du
m ent ambigu du p o in t de vue m taphysique

LIVRES

DE

CINEMA

61

Q u v a l (Jean) : MARCEL CARNE, 120 p . ,


e t parfois ttiique : elle semble mme le plus
Les E ditions
souvent polyvalente, et disponible qui sait 16 ph., Collection VIIe Art
du Cerf, Paris, 1952.
l a disposer dans le sens de sa pense. En
b re f l on n est pas toujours assur que les
J e 's u is sensible la beaut de la p h o
exemples sans nom bre qui toffent la dm ons
tratio n rie p o u rra ie n t aussi bien sintgrer tographie, du dcor... pet-tre trop . Ainsi
de toutes autres perspectives philosophiques. parle Marcel Carn. Avec le dcor -r l
- II. rest q uen dehors de ces justifications; m ent p rim o rd ia l ,1c choix des sujets, la
et de ces rfrences surnaturelles dont le p r o dm arche n arrativ e, la localisation de lh is
cs n est pas faire ici, de ces quivalences toire caractrisen t ce que Jean Quval appelle
cliristiques sans cesse suscites p a r lauteur, la vision d auteur de Marcel Carn. (Si
lon m et p a r t Drle de Drame et Les Visile iivre exalte en gnral cette dim ension
intrieure que le cinma p eu t donner :ce. teurs du Soir, cette vision serait celle du
qu*il touche. Laventure hum aine, l'am our, ^Tragique parisien).
Quant dgager une unit de style dans
l e dpassem ent de soi sont autant de ttes
de chapitres. Sont distingues les uvres qui son uvre, Jean Quval n voit l q u une
m ettent laccent sur la solitude (terrestre) de
s vaine e n tre p ris e . , p u isq u il n y a p as de
lhomme, scs conflits intrieurs, ls injustices' style commun la p lu p a rt de ses films, ce
de l a socit, l'absurdit de la guerre, du qui, prcise-t-il, nentrave en rien la d m ira
racism e, tous les asservissements, en b re f tion q u on a p o ur ce gnie divers qui n a
tout ce qui peint son m alheur et rvle, p a r pas un, mais des styles.
raction, une soif inextinguible d Absolu, de
Cela explique sans doute la stru c tu re et la
P uret et d Amour. Accent chrtien suppl dm arche de louvrage qui procde p r in c i
m entaire : l espoir.
palement p a r analyses et critiques de films
De la la prdilection de Vutcur p o u r la ju squ au ch a p itre V (il y a en tout se p t cha
ch aleu r hum aine de certains ralisateurs (et pitres) o lon serre dun peu plus prs
son regret lgard du cinm a franais moins lartiste Carn et ses mthodes.
p arce qu il le trouve noir, que sec et sans
n est dailleurs pas la technique qui livre
horizon), et p ou r ceux qui savent m o n trer le la Ce
cl
du m ystre Carn : Son secret, c est
sens de la 'fra te rn it ch ez'les homrhcs, de l sa vision
et sa palette , et c est encore sa
g ran deu r de leur lutte.
conscience professionnelle et
; De l aussi la dnonciation, dans le do-, mticuleuse
son esprit d quipe.
m aine de l amour, de la confusion possible
A cette quipe ou ces quipes
entre .la.beaut spirituelle et un certain roma
nesque de l'intriorit aussi fallacieux que lauteur consacre une large p a rt : T rau n er,
dissolvant : cette culm ination de lim pratif leit-motiv des gnriques et habilleur de
religieux dans le jugement amne lauteur lunivers Carn, Jau b ert et Kosma, les m usi
des vues que, p o u r no tre part, nous sommes ciens, et les operateurs Roger H ubert, Shufloin de partager, sur des films tels que Le tan, Alekan, Agostini... N aturellem ent il y a
U n c hap itre P rvert. Il y a aussi un ch a
Diable cru Corps, L Eternel Retour, ou Brve
Rencontre. Notons enfin l im portance capitale p itre Simenon et Gabin. Cette tude p a n o
q u H cnri Agel accorde la form e. Nettement ram ique com porte enfin des rem arq u es
sensible la beaut cinm atographique sur le gnrales, des parenthses (qui b r le n t de
plan plastique, la sobrit de son expres souvrir et sc ferm ent regret), quelques
sion, il dnonce la platitude comme la m ala anecdotes, et, parpills tout au long (les
dresse, loutrance comme le pesant d id ac pages, les traits de cet hum our et de cette
tisme, lemphase picturale comme le style dsinvolture qui sont si p articu liers l auteur.
; carte postale .
J.-J. R.

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. Adresser lettres, chques ou mandats aux "Cahiers* du C inm a
146, Champslyses, Paris (8e)
Chques Postaux : 7890-76 PARIS
Changement d'adresse : joindre 30 francs et l'ancienne adresse
Pour tous renseignements joindre un. timbre .pour-la rponse

62

LE TELE CINEMA
Les grands progrs raliss d u ra n t ces d er
nires annes, ta n t dans les appareils met
te u r et rcepteur de tlvision que dans ceux
utiliss p a r lind u strie cinm atographique
(film, mulsion, traitem ent, cam ra, p ro jec
teur, etc...), ont perm is de rsoudre le p r o
blme de la projection su r les crans de
relativem ent grandes dim ensions dont sont
quipes les salles cinm atographiques, des
program m es transm is p a r les postes metteurs
de tlvision.
A la suite de nombreuses expriences, deux
systmes semblent actuellem ent admis. Le
p re m ie r utilisant la projection directe p a r
lemploi de tube cathodique de trs grande
lum inosit avec m iro ir spcial, le second p a r
l utilisation dun film interm d iaire de
l(i mm.
Ce d ern ie r systme, dit Videofilm, tout en
tant plus conomique, est techniquem ent
p a rfa it et de plus les diffrents appareils le
constituant peuvent tre disposs dans la
cabine existante. d,e, projection.
Le processus est extrm em ent simple :
Un poste rcep teu r de tlvision perm et de
recevoir sur lcran dun petit tube c ath o
dique spcial forte lum inosit et de trs
haute qualit, limage de tlvision.
Cette image est cinm atographie p a r une
cam ra de 16 mm interm diaire et le film
ainsi im pressionn et au fur et m esure de
son droulem ent passe dans une dveloppeuse construite spcialem ent afin que toutes
les oprations de dveloppem ent : fixage,
lavag, schage, paraffinage, soient effectues
ra p id e m e n t p o u r enfin et sans discontinuit
dfiler dans un pro jecteu r ordinaire.
Le temps coul entre la rception du
signal image et la projection sur grand cran
ne dpasse pas 00 secondes.
Un systme d enregistrem ent sonore p e r
met lenregistrem ent su r le film de rm ission
sonore galement reue p a r le poste rcep
te u r de tlvision.
Tous les appareils constituant cet ensemble
sont de trs haute prcision et leur rali

sation technique est p arfaite au p o in t que


leur fonctionnem ent est automatique.
L ensemble Vido Film Brockliss Simplex
p a r exemple com prend trois m achines :
La prem ire, dans un mme chssis, groupe
le rcepteur de tlvision, la cam ra, le sys
tme d enregistrem ent sonore et le magasin
film, ainsi que les diffrents appareils de
rglage et de contrle, en outre un, petit
cran secondaire p e rm ettan t loprateur de
vrifier la qualit et la lum inosit de limage
reue.
Une deuxime m achine com prend, avec
galement t o u s ls app areils de contrle, les
diffrentes cuves contenant les bains p our le
dveloppement et le fixage ; les com parti
ments de schage p a r lampe infra rouge et
celui de paraffinage. Le temps de ces diff
rentes oprations, qui se ralisent absolu
m ent autom atiquem ent, stablit ainsi :
Dveloppem ent : 5 secondes
Prem ier lavage : 2

Fixage
: 10

Second lavage : 5
Schage
: 15

Paraffinage
: 1

Enfin la troisim e m achine est constitue


p a r un ensemble de projection 16 mm. Cette
machine est du type professionnel et est qui
pe avec lanterne arc haute intensit.
Ses organes d dfilement, son objectif, son
lecteur sonore sont de trs haute qualit, de
faon o btenir tan t en projection qu en
rep rod u ctio n sonore, une qualit gale celle
des p rojecteurs de 35 mm.
De nombreuses m achines de ce type sont
dj en exploitation, tout particulirem en t en
Amrique o les salles ainsi quipes re n
contre tit un trs gran d succs auprs de la
clientle.
Une nouvelle activit soffre lexploita
tion cinm atographique et ce d e rn ier progrs
est certainem ent aussi encourageant et plein
de promesses que la t en son tem ps la
ralisation technique du cinm a sonore.

RADIO CINEMA
N

Le

m e il le u r son

La

m eil le ure

lumire

22, BOULEVARD DE LA PAIX, COURBEVOIE,

DEFense 23-65

63

A NOS LECTEURS
Pour

c o n se rv e r

afin d e

vo s

n u m ro s

en

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4e

trimestre

1952.

Le Directeur-Grant : L. KEIGEL.

^
1

PROGRAMME DE LA CINMATHQUE FRANAISE


NOVEMBRE-DECEMBRE 1952
10 novem bre
11 novembre
12 novem bre
13 novem bre
14 novem bre
15 novem bre
16 novembre
17 novem bre
18 novem bre
19 novembre
20 novembre
21 novembre
22 novembre
23 novem bre
24 novembre
25 novembre
26 novembre
27 novembre
28 novem bre
29 novembre
30 novem bre
1"' dcem bre
2 dcem bre

3
4
5
6
7
8
9
10

dcem bre
dcem bre
dcem bre
dcem bre
dcembre
dcem bre
dcembre
dcem bre

:
:
:
:
:
:
:
:

Nana (Jean R enoir, 1926).


Metropois (Fritz Lang, 1926),
La Mre (Poudovkine, 1926).
Napolon (Abel Gance, 1926).
Les D ix Jours qui branlrent le Monde (Eisenstein, 1927).
L A m our de Jeanne Ney (G. \Y. Pabst, 1926).Faust (Murnau, 1927).
, V
La F in de Saint-Petersboiirg (Poudovkine, 1927).
Les Nuits de Chicago (Joscf Von Sternberg, 1927).
Le Chapeau de Paille d Italie (Ren Clair, 1927).
Solitude (Paul Fejos, 1928).
La S ym phonie Nuptiale (Strolieim, 1928).
Program m e non communiqu.
Program m e non communiqu.'
La Chute de la Maison Usher (Jean Epstein, 1928). . .
La Ligne Gnrale (Eisensteia, 1928):
Jeanne 'Arc (Cari D reyer, 1928),
Le Vent (Sjostrom, 1928),
Les Deux Tim ides (Ren Clair, 1928).
Program m e non comm uniqu.
Program m e non communiqu.
Que en Kelly (Stroheim, 1929).
Ahemic Cinma (Duchamp, 1927),
La Coquille et le Clergyman (Germaine Dulac, 1927).
E m a k Bakia (Man Ray, 1927).
Vorm ittagspuck (Hans R ich ter, 1928).
La Perle (Georges Hugnet, 1928).
Etoile de Mer (Man Ray, 1928).
Le Chien Andalou (Luis Bunuel, 1929).
La Terre (Dovjenko, 1929).
Le Train Mongol (Trauberg, 1929).
Le Train Bleu (Josef Von Sternberg, 1929).
P rogram m non communiqu.
P rogram m e non com m uniqu.
Tabou (Murnau, 1930).
L Age d Or (Luis Bunuel, 1930);
^
- '
Le Million (Ren Clair, 1930).

Prlnted in France

PRX DU NUMRO : 250 FRA

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