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Chroniques de la Cité-Monde - Tome 4: Snuff movies
Chroniques de la Cité-Monde - Tome 4: Snuff movies
Chroniques de la Cité-Monde - Tome 4: Snuff movies
Livre électronique276 pages3 heures

Chroniques de la Cité-Monde - Tome 4: Snuff movies

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À propos de ce livre électronique

Début du XXIIe siècle.

Il y a cinq ans, l’inspectrice Mitzi-Lee Howzen, compagne du lieutenant Smog, disparaissait dans des conditions suspectes, alors qu’elle enquêtait sur un réseau pornographique criminel. Lorsque son véhicule de service est découvert fortuitement sur une île abandonnée au large de la cité, Smog, qui n’a jamais perdu espoir de la retrouver, reprend son enquête. Avec l’aide de S’hin, sa protégée androïde parahumaine, il plonge alors dans un monde sordide, tandis qu’en parallèle, les autorités judiciaires de la ville s’efforcent de résoudre le mystère d’un tragique événement survenu quelques années plus tôt.

Snuff movies est le quatrième volet des "Chroniques de la Cité-Monde", commencé avec Criminodroïdes, suivi par La Machine à fabriquer du silence et Les déshumains.  

À PROPOS DE L'AUTEUR 


Fabrice Defferrard est maître de conférences à la Faculté de droit de Reims où il enseigne les sciences criminelles. Membre de la Société des Gens de Lettres, il est l’auteur d’œuvres de fiction et de plusieurs essais, dont "Le droit selon Star Trek" (Prix Olivier Debouzy 2015). Il a débuté en 2022 un cycle romanesque mêlant intrigues policières et anticipation dystopique. Intitulé "Chroniques de la Cité-Monde", on y retrouve le lieutenant Smog et l’androïde parahumaine S’hin, ancienne prostituée, tous deux aux prises avec une société urbaine futuriste et déshumanisée.

(blog : https://fabrice-defferrard.over-blog.fr).



LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie10 oct. 2024
ISBN9791038809192
Chroniques de la Cité-Monde - Tome 4: Snuff movies

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    Aperçu du livre

    Chroniques de la Cité-Monde - Tome 4 - Fabrice Defferrard

    cover.jpg

    Fabrice Defferrard

    Snuff movies

    Chroniques de la Cité-Monde IV

    Roman

    ISBN : 979-10-388-0919-2

    Collection Atlantéïs

    ISSN : 2265-2728

    Dépôt légal : septembre 2024

    © couverture Ex Æquo

    © 2024 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

    Éditions Ex Æquo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières Les Bains

    www.editions-exaequo.com

    Avertissement

    Les snuff movies (ou snuff films) sont des films ou des vidéos représentant des scènes réelles de viols, souvent collectifs, d’actes de torture et de barbarie et de meurtres. Les crimes commis au cours des tournages ne sont pas rendus réalistes au moyen d’effets spéciaux ni simulés par des acteurs, mais généralement infligés à leurs victimes contre leur volonté.

    L’auteur exprime de nouveau sa plus vive gratitude à Nathalie Dion pour la relecture attentive et bienveillante de ce roman.

    Prologue

    Le bâtiment se dressait enfin devant elle à une distance de cinq cents mètres dans l’axe de circulation. Il était encore loin, mais grâce à la paire de métajumelles rivées sur ses yeux et en dépit de l’obscurité, les murs semblaient si proches qu’elle avait l’impression de pouvoir les toucher du bout des doigts. Elle coupa les propulseurs de son JetCab qu’elle avait posé contre un trottoir, reprit un court moment sa surveillance au milieu des ombres. C’était donc ici que cela se passait. Quatre étages vieillissants, les façades couvertes d’une tôle ondulée que la rouille avait colonisée un peu partout, de larges fenêtres obstruées de l’intérieur, une porte d’entrée coulissante, mais condamnée en apparence par un grillage barbelé. Elle repéra une échelle à crinoline sur le côté qui, d’après les images satellites qu’elle venait de consulter sur l’écran de son ordinateur de bord, donnait accès à une toiture plate bitumée sur laquelle se dressaient trois lanterneaux, un groupe de ventilation et un local technique… Peut-être un entrepôt d’un seul volume, songea-t-elle. Comme les métajumelles permettaient de prendre des photos en très haute définition, elle déclencha une rafale. Puis, elle décida de sortir dans la rue pour se dégourdir les jambes. Elle actionna la portière automatique, s’arracha à l’habitacle. La fraîcheur de la nuit lui tomba aussitôt sur les épaules, une fraîcheur de bord de mer. Elle fit le tour de son véhicule, respira à pleins poumons l’air iodé. À cette heure de la nuit, l’activité humaine et mécanique dans cette partie du port restait fébrile, mais le lieu étant libre d’accès par les airs, personne ne semblait s’être aperçu de sa présence.

    Localiser le bâtiment lui avait demandé de la patience et pas mal d’obstination. Il se situait un peu l’écart, mais noyé au milieu d’une importante zone de fret en transit vers les îles habitées de l’une des baies qui formaient, vers l’ouest, une partie du littoral de la cité. Il y avait là des dizaines de hangars, d’entrepôts frigorifiques, de plateformes logistiques et d’empilements jusqu’au ciel de conteneurs. Les véhicules sol/air, les engins de manutention autonomes, les ponts roulants, les drones porteurs et les groupes de dockers androïdes fourmillaient, le tout sous la supervision des ordinateurs d’une lointaine capitainerie et de quelques contremaîtres humains. C’était un bal impressionnant pour qui n’en avait pas l’habitude, une espèce de fournaise orchestrée par des algorithmes implacables. Il n’y avait pas un appareil, pas une seule personne qui ne fût dédiée à l’accomplissement des opérations ordinaires de ce vaste ensemble.

    Mais il y avait aussi le vieux bâtiment, sa cible. Sans Callum, son informateur, un jeune homme égaré à qui elle avait fait des promesses, jamais elle ne l’aurait découvert. À quel point ce garçon était impliqué dans la filière, elle l’ignorait. Il lui avait fourni des photographies en format « papier » pour ne pas laisser de trace électronique, un jeu de trois clichés grand angle des façades de l’entrepôt. Il n’avait rien voulu lâcher d’autre, mais cela lui avait suffi. Grâce à un logiciel de reconstruction et d’extrapolation, elle avait pu identifier une partie de l’environnement immédiat de l’édifice. À la suite de quoi, elle avait lancé une recherche sur le dispositif de cartographie dynamique 3D de la ville dont la Police prévôtale était dotée. Parmi plusieurs occurrences, les coordonnées géographiques où elle se trouvait cette nuit étaient sorties en premier, avec le meilleur taux de probabilité par rapport aux autres : 88,08 %. C’était un résultat suffisant pour aller jeter un œil, même si plus aucun algorithme n’était désormais nécessaire pour la convaincre. À force d’avoir étudié les images, malgré l’effervescence aux alentours d’une activité portuaire qui aurait trompé n’importe quel individu, elle était certaine de l’endroit. Ce lieu justifiait son enquête solitaire et en sous-marin depuis bientôt six mois. Elle savait qu’une partie de ce qu’elle soupçonnait depuis le début se déroulait ici.

    Elle fit quelques pas sur le trottoir, spéculant de nouveau sur ce qu’il y aurait de mieux à faire d’ici les vingt prochaines minutes. D’après son informateur, il serait sans doute inutile d’organiser une surveillance ou d’installer une planque. Les demandes étant très nombreuses, les tournages ne s’interrompaient jamais, les productions s’enchaînant les unes après les autres. Elle pouvait donc espérer un flagrant délit dès cette nuit, ou du moins recueillir un nombre suffisant de preuves.

    Elle s’apprêtait à reprendre ses observations à distance lorsqu’un homme en combinaison de docker avec des bandes réfléchissantes surgit de l’obscurité sur sa droite. Il s’approcha du JetCab et commença à en faire le tour, une lampe-torche à la main dont il dirigeait le faisceau vers l’intérieur du cockpit. Sans attendre, elle vint prudemment à sa rencontre.

    — Police, dit-elle en exhibant son badge. Je suis en opération.

    L’homme coupa sa lampe-torche.

    — Sécurité du site, dit-il. Vous ne devriez pas rester là. Il y a beaucoup de passage sur cette voie, beaucoup d’engins de manutention, des fourgons sol/air. Votre véhicule n’est pas assez visible. C’est dangereux.

    — Je ne reste pas.

    — Vous vous êtes signalée à la capitainerie ?

    — Pas cette fois.

    — Vous devriez le faire. Normalement…

    — Il y a beaucoup de choses que je devrais faire normalement dans la vie, coupa-t-elle.

    Elle fit un signe rapide à l’homme, réintégra le siège de son JetCab et actionna le démarrage des propulseurs. Au diable un nouvel examen du bâtiment et de son environnement avec les métajumelles. Il était temps de passer à l’action avant que sa présence dans le coin ne soit repérée par trop de monde.

    L’homme avait déjà repris sa patrouille. Elle effectua un décollage vertical, monta à trente mètres au-dessus des installations, opéra un demi-tour et s’éloigna de la zone de fret. Après quelques minutes de vol, elle entama un large virage à 90° et prit de nouveau la direction de sa cible, mais cette fois par le côté gauche. Parvenue à une cinquantaine de mètres, elle avisa un ensemble de conteneurs qui se dressait à proximité d’un passage et vint se poser juste derrière pour ne pas être visible des voies de circulation. Elle éteignit les moteurs, coupa les communications. Avec des gestes sûrs, elle vérifia que son arme, chargée avec des ogives à propagation électrique, était en état de marche et commutée sur la fonction « non létale ». Elle prit ensuite quelques minutes pour programmer une série de messages et les expédier. Enfin, elle attrapa son porte-carte et l’ouvrit machinalement : en haut, l’insigne or et argent en forme d’étoile de la Police prévôtale ; en bas, la photo-portrait qu’elle n’aimait pas, les deux codes de reconnaissance numérique, les mentions obligatoires et son identité fonctionnelle : Département des Dangerosités — Inspectrice Mitzi-Lee Howzen. Elle le referma d’un mouvement sec, le glissa dans une poche latérale de son siège et sortit.

    Elle remercia aussitôt le Ciel que cette partie du site fût moins bien éclairée que les autres, ce qui lui permit de progresser dans l’ombre. En quelques foulées, rasant la façade en tôle ondulée du bâtiment par l’arrière, elle avait atteint le bas de l’échelle à crinoline. La base du dispositif étant relevée, elle dut prendre son élan pour bondir à environ deux mètres de haut et se saisir du premier arceau. Elle se hissa ensuite à la force des bras, un barreau après l’autre, jusqu’à prendre appui avec ses pieds. Après avoir repris son souffle, elle escalada rapidement les quatre étages et se retrouva sur le toit. Elle n’avait pas grimpé bien haut, mais, un bref instant, elle fut saisie par le grondement sombre et monstrueux qui s’élevait au loin des entrailles de la cité, grondement qui se propageait à la façon d’une onde. C’était un bourdonnement incessant, avec ses illuminations, ses embrasements de lumières qui formaient un dôme jaune et orangé dans le noir, qui occupaient l’espace aussi infiniment qu’une voie lactée. Elle s’approcha du lanterneau le plus proche, de forme pyramidale, dont la coque en fibroplastique translucide irradiait d’une lueur opaque, signe d’activité dans le bâtiment. L’oreille tendue, elle percevait des bruits saccadés, des bribes de paroles et d’éclats de voix. Rien d’intelligible, mais quelque chose d’instinctivement inquiétant qui glaçait le sang. Elle gagna le local technique en trois bonds, avec dans l’idée de pénétrer en douce à l’intérieur. Mais la porte était verrouillée par deux cadenas magnétiques et elle ne disposait pas de l’outillage pour les forcer. Un simple tir d’ogive à propagation électrique aurait pulvérisé l’entrée, mais c’était la garantie de se faire remarquer par ceux d’en bas. Or, elle tenait encore à sa clandestinité. Son enquête était loin d’être achevée et elle ne pouvait pas faire l’économie de preuves matérielles. Il lui fallait en engranger suffisamment pour que l’affaire ait une chance de connaître une suite devant une cour criminelle.

    Elle retourna au lanterneau et le contourna. Il y avait une sorte de capot amovible sur l’une des faces. Son mécanisme était corrompu par la rouille, mais en exerçant une pression par à-coups, elle parvint à le relever très lentement sans faire de bruit. Aussitôt, les clameurs étouffées d’il y a quelques minutes lui bondirent au visage. Elle passa la tête sous le capot. Comme elle l’avait pressenti, le bâtiment était en réalité un hangar, un bloc sans étages presque entièrement vide, hormis des conteneurs contre l’un des murs et des barils en fibroplastique alignés sur une plateforme. Au milieu, elle repéra deux espaces aménagés en plateau de tournage, avec des caméras, des éclairages, des équipements électroniques, des moniteurs et ce qui ressemblait visiblement à un dispositif de diffusion en ligne et dans des métavers. Une douzaine de personnes s’affairaient dans ce qui avait tout l’air d’une prise de vue en cours. À l’écart, trois personnes se tenaient immobiles, l’allure d’hommes de main.

    Mitzi-Lee récupéra ses métajumelles dans une poche intérieure de son blouson et se pencha jusqu’aux épaules à travers l’ouverture du lanterneau. Puis, elle actionna l’enregistrement vidéo intégré, les focales s’ajustant automatiquement à sa vision. Les dix minutes qui suivirent furent pour elle, dans sa courte existence de flic, l’une des expériences les plus atroces qu’elle eut à connaître. Le spectacle n’était pas seulement d’une fascination qui la vitrifia presque immédiatement ; ce qu’elle vit la pénétra et prit possession de son corps comme jamais cela ne lui était arrivé. Elle dut s’arracher plusieurs fois aux bonnettes de protection des oculaires pour reprendre sa respiration. Sa vue ne cessait de se brouiller. C’était un mélange de larmes incontrôlables et de décrochage mental. Mais elle se concentrait sur les preuves, elle s’y accrochait. Les preuves, c’est tout ce qui comptait en ce moment. Après chaque interruption, elle faisait donc un puissant effort de volonté pour y retourner, actionnant tour à tour le zoom et la fonction d’identification faciale de son appareil. Elle parvint finalement à effectuer un enregistrement d’une vingtaine de minutes.

    C’est en se redressant de nouveau pour s’extraire de l’ouverture qu’elle lâcha accidentellement les métajumelles. Le choc sur la dalle bétonnée près de vingt mètres plus bas fit un bruit énorme qui interrompit l’activité des individus sur le plateau. Les trois hommes de main s’orientèrent aussitôt en direction de la toiture et repérèrent la demi-silhouette de Mitzi-Lee. Ils ouvrirent immédiatement le feu dans sa direction.

    Mitzi-Lee se redressa et prit aussitôt la fuite.

    En quelques foulées, elle avait quitté la toiture et se laissait désormais tomber au sol après s’être suspendue au dernier barreau de l’échelle à crinoline. Elle courait vite, arme au poing, mais les trois hommes, qui avaient bondi hors du bâtiment par une porte latérale, étaient déjà derrière elle à sa poursuite. Des types entraînés, songea-t-elle, ce qui en disait long sur ce qu’elle venait de découvrir. Elle tira vers eux au juger, tout en avalant l’asphalte à grandes enjambées. Les autres répliquèrent sans l’atteindre. Ils devaient être à trente ou quarante mètres, mais gagnaient du terrain. Lorsqu’elle aperçut enfin le fuselage de son JetCab, Mitzi-Lee déclencha l’ouverture automatique de la portière conducteur et la mise en route des propulseurs. Après s’être engouffrée à l’intérieur du cockpit, elle n’eut plus qu’à écraser la manette des gaz. Le JetCab, en mode « sol », démarra alors sur les chapeaux de roue, projetant la jeune femme au fond de son siège. Elle entendit plusieurs impacts de balles qui frappaient la carrosserie, mais sans faire dévier le véhicule de sa trajectoire. Elle se trouvait à présent sur l’axe de circulation principal de la zone, très fréquenté par des engins de manutention, des fourgons et des défilés interminables de dockers androïdes. Elle décida de passer en mode « air urgence ». Le JetCab commença alors la phase de décollage automatique et quitta le sol pour prendre rapidement de l’altitude au moment où surgissait, juste en face, un fourgon qui faisait hurler son klaxon.

    Mitzi-Lee respirait comme une forge, les mains rivées sur les poignées latérales de son siège. Elle ressentait le poids des g positifs qui lui écrasaient la poitrine, mais la sensation se dissipa assez vite lorsque l’appareil se stabilisa à environ quatre cent cinquante mètres de hauteur.

    — Décollage d’urgence terminé, lança la voix masculine de l’ordinateur de bord. Désirez-vous enregistrer un cap ou une destination ?

    Mitzi-Lee se cala plus confortablement sur son siège et prit le temps de jeter un œil autour d’elle à travers les parois transparentes du cockpit. Elle était désormais hors d’atteinte des tirs, mais n’avait qu’une hâte : fuir les lieux.

    — Je prends les commandes, dit-elle. Nous allons vers l’océan.

    — Entendu.

    Le JetCab prit de la vitesse. En moins de dix minutes, Mitzi-Lee avait gagné, puis dépassé les hautes falaises du littoral. Dans une obscurité relative, elle survolait déjà la partie ouest de la baie. Après quelques minutes d’une nouvelle ascension, elle stabilisa l’appareil à six cents mètres et cent km/h. Elle entra ensuite des instructions via le récepteur vocal de bord avant d’enclencher le pilote automatique.

    — Pilotage automatique activé, lança la voix masculine. Merci de votre confiance.

    Le régime des deux propulseurs s’ajusta aussitôt aux nouvelles données de vol. Mitzi-Lee ôta alors ses mains des commandes et s’abandonna à un long soupir. Elle n’avait pas de destination en tête, du moins rien de bien précis pour les prochaines minutes. Tout ce qu’elle voulait, c’était souffler un moment, reprendre contenance après ce qu’elle venait de voir et d’enregistrer, sentir de nouveau l’existence humaine dans sa simplicité. Depuis sa formation à l’Académie de la Police prévôtale, un passage au service des Jeux & Stades et sa dernière affectation au Département des Dangerosités, elle avait eu le temps d’emmagasiner du sordide, du crasseux. Mais ce à quoi elle venait d’assister dépassait de loin tout ce qu’elle avait vécu. Elle se moucha, chercha dans une poche de son blouson une barre nutritive à grignoter. Elle se souvint qu’elle avait avalé la dernière deux heures plus tôt et lâcha un petit juron de dépit.

    Un doux ronronnement baignait l’habitacle, presque une sorte de silence. Mitzi-Lee leva les yeux au-dessus d’elle, observa la voûte étoilée à travers le cockpit. La beauté et l’harmonie de ces corps célestes la chaviraient encore et la traversaient d’une sérénité dont elle n’aurait jamais voulu se défaire, si cela avait été possible. La nuit était claire, bien que la météo eût annoncé d’épais nuages artificiels chargés de particules polluantes qui, selon le vent, dérivaient de la cité comme une nappe de pétrole. Les premiers térabuildings et les chapelets de mégatours qui formaient l’essentiel de la ville n’étaient d’ailleurs pas très éloignés, quelques kilomètres tout au plus à vol d’oiseau. Elle porta ensuite son regard à neuf heures, en contrebas. La baie, qui bénéficiait d’une bulle climatique tempérée, abritait plusieurs îles de dimension variable. Elles étaient séparées par des passes plus ou moins étroites et un grand chenal navigable qui permettait de gagner les eaux du large. Certaines étaient habitées par des communautés bioconservatrices et robophobes qui vivaient en autarcie, le plus à l’écart possible de la cité ; d’autres accueillaient des installations touristiques pour consommateurs fortunés. Il y avait aussi l’île de Göran’s. Elle se trouvait le plus au loin de la baie, à la limite des eaux profondes. Cinquante ans plus tôt, on y avait construit une centrale nucléaire de 4e génération, avec deux réacteurs à neutrons rapides. Elle était désormais à l’arrêt depuis une quinzaine d’années, après plusieurs incidents, et l’Agence atomique de la municipalité, faute de crédits pour un démantèlement total, l’avait laissé à l’abandon. Son accès était interdit. Des unités de l’infanterie de marine patrouillaient avec la Garde côtière pour assurer la surveillance du site.

    Mitzi-Lee releva les yeux vers l’horizon, juste au-dessus du long fuselage qui prolongeait vers l’avant le cockpit du JetCab. À son altitude, elle pouvait distinguer, à environ trente de kilomètres vers l’ouest de la baie, l’une des presqu’îles artificielles conçues avec l’appui technologique et financier de la firme AndroCorp. Puissamment illuminée, elle était aussi étendue qu’une péninsule et s’enfonçait de plusieurs kilomètres dans la mer, comme une lame plongeant en direction du large. Elle pouvait accueillir des cargos polyvalents à très haut tonnage, des plateformes mobiles, des submersibles et à sa surface, on avait aménagé une longue piste d’atterrissage. Le deuxième grand port maritime de la ville s’étendait à sa périphérie. En dépit de l’éloignement, Mitzi-Lee pouvait ressentir à travers son habitacle la fureur qui y régnait en permanence.

    Elle ferma les yeux, quand même satisfaite de ce qu’elle avait découvert. Les données des métajumelles n’étaient pas perdues, ayant été automatiquement transférées vers son serveur. Elles viendraient s’ajouter à l’ensemble de ses fichiers, aux témoignages des personnes qui avaient accepté de lui parler, aux multiples indices matériels et à la copie de cette longue vidéo qu’elle avait réussi à se faire remettre par Callum et dont elle espérait beaucoup, bien qu’elle fût totalement illisible en l’état… Des preuves convaincantes, désormais, elle en avait recueilli en quantité suffisante pour étayer un dossier judiciaire d’accusation, pas seulement une enquête de police. Elle avait donc du pain sur la planche pour mettre tout cela en ordre. Mais avant de commencer à réfléchir à une synthèse, elle éprouva encore le besoin de se changer les idées. Elle ferma les yeux et laissa son esprit vagabonder, le ronronnement du JetCab en fond sonore. Son mental se reconnecta aussitôt à l’effervescence qui, il y a trois jours, avait emporté la cité, la Procurature municipale et presque tous les services de la Police prévôtale…

    Cela s’était passé un samedi en fin d’après-midi. Trois jours que Lachlann Bærentsen, le maire de la ville, avait été assassiné. Comme Mitzi-Lee enquêtait en limitant au maximum toute interaction extérieure, elle n’en avait appris que l’essentiel. L’attentat avait été filmé en direct par les caméras officielles de la municipalité, des dizaines de témoins et les médias du Réseau social universel qui l’avait relayé instantanément sur des centaines de milliers de sites. Trente secondes en tout et pour tout pour une scène fulgurante.

    Après deux ans de pouvoir, le maire avait déjà atteint le point de rupture avec ses concitoyens et faisait l’objet de campagnes frénétiques de dénigrement sur le Réseau, des candidatures émergeant en nombre pour prendre sa place. Espérant freiner sa chute, il avait choisi de se frotter à la population en donnant un discours dans l’un des rares jardins publics de la cité. Les agents du Bureau des Protections Spéciales chargé de sa sécurité avaient tout tenté pour que ce meeting n’ait pas lieu, mais Lachlann Bærentsen voulait durer : il fallait

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