Le cercle et l'ombre - Tome 3: Le roi de la colline
Par Jean Bury
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À propos de ce livre électronique
2006 - Thibault Castérède, tout juste 15 ans, s'enfuit de l'orphelinat où il vivait avec Claire, sa petite protégée, victime de visions apocalyptiques. Il est contraint de demander de l'aide au Cercle, une organisation secrète mondiale, avec laquelle il avait collaboré autrefois, afin de se protéger d'une immense menace qui pèse à nouveau sur l'humanité.
2016 - Thibault se retrouve nez à nez avec un homme mystérieux qui lui demande de le suivre jusqu'au quartier général du Cercle de Paris. C'est ici que Thibault va découvrir un danger encore plus menaçant que celui auquel il avait du faire face dix années auparavant. Le jeune homme, qui a perdu une partie de sa jeunesse au sein de ce groupe, va t'il accepter de mener cette mission, au risque d'y laisser sa vie ?
Troisième tome des aventures de Thibault Castérède, jeune Visionnaire, face aux forces démoniaques de l'Ombre.
Vous dévorerez ce troisième tome d'une série de quatre volumes pleins de rebondissements !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Un roman au synopsis intéressant où deux histoires parallèles se suivent menées par un même personnage, adolescent dans l'une, jeune homme dans l'autre. - Walkyrie29, Babelio
J'ai beaucoup apprécié le choix de l'auteur de mêler les deux époques avec, d'un côté un Thibault adolescent, et de l'autre un Thibault jeune adulte. Le rythme de ce roman est également très réussi à mon goût : on saute d'action en action, pas le temps de s'ennuyer ! - JeanneSelene, Babelio
À PROPOS DE L'AUTEUR
Tour à tour apprenti lapidaire, enfant de troupe et bénévole auprès d'adolescents en difficulté, Jean Bury travaille comme traducteur dans une micro-entreprise proche de la SCOP. Il a publié une trentaine de nouvelles et sept romans. Nommé en 2015 pour le prix Mythologica de la meilleure nouvelle et le prix Masterton du meilleur roman, il a été deux fois lauréat du prix Alain le Bussy pour Humanologie (2016) et Triton sur le rivage de sable (2017).
Ses thèmes actuels sont la surveillance dans les sociétés hyperconnectées, l'épuration sociale dans les grandes villes mondialisées et les enfants soldats. Admirateur de Ravel, de Debussy et de John Coltrane, il ne manque jamais une occasion d'évoquer la musique dans ses histoires.
Tout en restant attaché à Maupassant, Conrad et Balzac, il a un goût très vif pour la littérature de l'imaginaire. Il ne voit aucun paradoxe à avoir lu tout Proust et tout Noragami.
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Avis sur Le cercle et l'ombre - Tome 3
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Aperçu du livre
Le cercle et l'ombre - Tome 3 - Jean Bury
colline
Septembre 2016
Évidemment, tout le monde se mit à rire.
— Tu as toujours un mauvais pressentiment, lança Thiriet en se servant un nouveau café ; et ça te vient d'où, cette fois ? Tu as croisé un chat noir ? Tu es passé sous une échelle ?
On s'esclaffa de nouveau. On avait l'habitude, au poste de garde, du ton grave avec lequel le jeune sergent Amy prédisait une catastrophe chaque fois qu'il prenait son tour de patrouille. On aurait été déçu, à vrai dire, s'il avait manqué à son rituel. Amy ne se formalisa pas. Il s'amusait même, avec les autres, de la réaction inévitable que sa sinistre sentence avait déclenchée.
— Il n'y croit même pas lui-même ! ricana Dalbavie, qui avait terminé sa ronde et débouclait son ceinturon en lorgnant sur la cafetière ; il a du mal à retenir un sourire…
— Bien sûr, bande d'imbéciles ! grogna Amy, faussement vexé ; je ne peux que sourire devant tant d'incrédulité ! N'empêche, j'ai un mauvais…
Les éclats de rire couvrirent la fin de sa phrase.
Amy vérifia le chargement de son fusil d'assaut. Il porta la main à son oreillette et appela le Centre de contrôle :
— CC, ici Amy, 01h31, je quitte la salle de garde et je commence ma ronde. À vous.
— Reçu, sergent, répondit aussitôt Markevitch dans un léger grésillement ; aucun pressentiment ce soir ?
— Abruti ! grogna Amy ; je récupère Barraqué au portail, terminé.
— Bonne ronde !
Amy fit glisser sa carte magnétique dans la fente de la serrure, et la porte s'effaça sans un bruit. Aussitôt, Amy fut sur ses gardes. À la pause, on discutait, on plaisantait, on oubliait un peu les grades, on chambrait les copains sur leurs pressentiments : très bien. Mais aussitôt quittée la salle de garde, les réflexes acquis à l'entraînement reprenaient le dessus.
Juste avant l'escalier qui montait vers le rez-de-chaussée, Amy longea l'un des laboratoires de recherche du centre. Il s'arrêta pour jeter un coup d'œil par la vaste vitre blindée. Il n'avait aucune idée des recherches que l'on menait au centre : il n'avait pas les compétences pour les comprendre, et puis le secret était de rigueur. Dans ce laboratoire-ci, en tout cas, pas de microscope, d'accélérateur de particules de poche ou d'éprouvettes. L'équipement consistait essentiellement en ordinateurs et en banques de données. Des super-ordinateurs, à vrai dire, d'une puissance de calcul extraordinaire.
Six personnes travaillaient dans le labo. Trois semblaient concentrées sur leurs écrans, deux tapaient avec l'énergie d'un pianiste interprétant une sonate de Prokofiev. Seule la jeune Sophie Bacri avait aperçu Amy. Elle n'était pas insensible à ses charmes et avait sans doute guetté son passage. Ils échangèrent un sourire par la vitre. Amy repartit, déverrouilla la porte de protection et prit l'escalier. Il avait interrogé Sophie sur son travail, une fois, en lui offrant un café après le service.
— Oh, on établit des modèles mathématiques, avait-elle vaguement répondu.
Et après tout, Amy ne souhaitait pas en savoir plus. Surtout en telle compagnie.
*
L'air frais frappa Amy dès qu'il mit le pied dehors. Une étendue nue, genre de vaste parking, entourait le centre déguisé en usine désaffectée. Et, au-delà, une zone industrielle de ville de banlieue, soigneusement choisie parce que déclinante, et plus ou moins déserte. Tout était pensé pour camoufler le centre de recherches. Le caporal Barraqué attendait Amy près d'un poste de garde, un peu plus loin.
Aussitôt, Amy fut aux aguets.
Barraqué n'avait pas l'air normal.
Immobile contre la vitre renforcée du poste de garde, il avait enfilé ses lunettes de vision nocturne et observait quelque chose au loin, au-delà de la limite du centre.
Amy s'accroupit derrière la protection d'un muret. Il chaussa à son tour ses lunettes électroniques. Silencieusement, il porta son arme à l'épaule et commença un balayage panoramique de la zone suspecte. Une vaste étendue de béton vide, la haute barrière du centre, la grille d'entrée derrière laquelle se devinaient quelques arbres. Des espaces dégagés où rien ne bougeait. Aucun bruit, aucun mouvement suspect, pas une ombre. Pourtant, Amy poursuivait méthodiquement son exploration visuelle. Si Barraqué était aux aguets, c'est qu'il avait aperçu quelque chose.
Soudain, du coin de l'œil, Amy saisit un mouvement à cent cinquante ou deux cents mètres. Il tourna vivement la tête dans cette direction, juste à temps pour voir deux silhouettes prodigieusement rapides fondre sur Barraqué. Deux silhouettes qui, à travers les lunettes à amplification de lumière, émettaient une aura blanchâtre qu'un spécialiste ne pouvait manquer de reconnaître immédiatement.
Des vampires.
Barraqué, en dépit de la vitesse de ses ennemis, eut le temps d'en ajuster un et de tirer deux rafales. Sa cible, à peine ralentie, ne prit qu'une fraction de seconde de retard sur son allié et les deux vampires furent presque ensemble sur leur victime. Le premier attaqua directement la jugulaire tandis que l'autre détournait le poignard que Barraqué avait eu le temps de dégainer. Amy ne tenta rien. Barraqué était déjà mort.
Sans paniquer, il fit silencieusement demi-tour, et fonça à demi courbé vers le centre. À peine entré dans le bâtiment, il verrouilla la porte et contacta le Centre de contrôle :
— CC, ici Amy, périmètre de sécurité compromis, intrusion de vampires, deux au moins, je répète : deux au moins. Barraqué est mort. Terminé.
Un très court silence, et la réponse se fit entendre dans l'oreillette, calme, professionnelle :
— Amy, bien reçu. Nous prévenons le poste de garde. Descendez chez les blouses, calfeutrage immédiat.
Le jeune sergent fonçait déjà. Il devait rejoindre les scientifiques, les « blouses », et les mettre à l'abri dans les plus brefs délais. Avant d'aborder l'escalier, il eut encore le temps d'entendre un coup d'une prodigieuse puissance résonner contre la porte blindée. L'assaut commençait.
Les chercheurs l'attendaient tous à la porte de leurs laboratoires, déjà avertis. Ils étaient à l'évidence plus nerveux qu'Amy, mais faisaient bonne figure et attendaient les instructions avec discipline. Le Professeur Pierné, le doyen du groupe, accueillit le sergent en quelques phrases brèves :
— J'ai déclenché la procédure d'urgence. Les disques durs sont en cours d'effacement, ça devrait être terminé dans quelques minutes. On n'a pris que nos disques portables.
Amy admira le sang-froid du Professeur, qui annonçait sans émotion apparente que des heures, des journées peut-être de travail étaient en cours de destruction par mesure de sécurité.
— Parfait, suivez-moi.
Le jeune soldat prit la tête du petit groupe vers la pièce sécurisée que tout le monde appelait « le Coffre ». Déjà, ses camarades venaient à leur rencontre. Sans dire un mot, deux d'entre eux rejoignirent le groupe de chercheurs, fermant la marche en protection. Les autres s'installaient l'arme au poing, de manière à défendre le seul accès disponible.
Amy avait à peine commencé à descendre l'escalier qui menait au Coffre, deux couloirs plus loin, que les premières rafales retentissaient.
Abasourdi, il stoppa net. Comment les vampires avaient-ils pu franchir en deux minutes à peine une porte d'acier trempé ? Le jeune soldat pensait avoir un bon moment devant lui, et déjà l'assaillant était sur ses camarades !
Les réflexes reprirent le dessus immédiatement.
— On fonce ! hurla-t-il.
Donnant l'exemple, il se mit à courir aussi vite que possible, suivi par les chercheurs. Il tendait l'oreille pour tenter de percevoir les sons de la lutte qui se poursuivait, à l'étage supérieur. Il entendit encore quelques secondes les rafales de ses camarades, avec ce bruit typique des munitions ultraviolettes. Puis plus rien. Ils étaient hors de portée.
Arrivé au dernier sous-sol, Amy s'écarta pour laisser passer les scientifiques. C'est à cet instant que la voix de Markevitch, au Centre de contrôle, retentit dans son oreillette :
— Sergent, plus de nouvelles du groupe de protection, et toutes nos caméras ont été mises hors service. Il est à peu près certain que l'ennemi est passé. Enterrez-vous dans le Coffre le plus vite possible. Je préviens le Cercle.
Le cœur battant, Amy fit signe aux deux autres soldats de se dépêcher. Ils avaient reçu la communication aussi et déjà le caporal Huré déverrouillait la porte du Coffre. Ouverture à triple battant d'acier, tous manuels – il était trop dangereux de confier le mécanisme à l'électronique.
Pendant que ses camarades faisaient entrer les chercheurs dans la pièce sécurisée, Amy s'accroupit face à l'escalier en position de tir. Il n'arrivait pas à croire que les vampires aient pu non seulement pénétrer en quelques minutes dans l'enceinte du complexe, mais encore balayer un groupe de combat entraîné, camouflé et très bien armé en moins de temps qu'il ne leur en avait fallu pour se précipiter au sous-sol.
— Sergent ! appela Huré.
Calmement, à reculons, l'œil toujours fixé sur l'escalier, Amy rejoignit le groupe au sein du Coffre. Aussitôt, le caporal Grigny verrouilla les trois battants l'un après l'autre. Amy attendit que le dernier coup de volant ait été donné, vérifia la fermeture et baissa enfin le canon de son arme.
— On est paré, lança-t-il dans son micro.
— Reçu, répondit le Centre de contrôle ; attendez les instructions. Le Cercle est prévenu, ils envoient des renforts. On vous tient au courant.
Amy jeta un coup d'œil autour de lui. Ses deux camarades, automatiquement, s'étaient placés de manière à couvrir l'entrée. Les chercheurs, nerveux mais disciplinés, s'étaient répartis dans la salle nue, que seules décoraient des gravures au laser sur tous les murs. Des gravures d'incantations latines qu'Amy aurait été bien en peine de traduire mais dont il avait déjà pu constater, sur le terrain, l'effet dissuasif sur les vampires.
Il y eut une seconde de silence.
— Ils sont passés, hein ? demanda soudain l'un des scientifiques, un nommé Murail ; ils ont réussi à entrer et à passer nos défenses ?
— Oui, répondit Amy brièvement.
— C'est quoi, d'ailleurs ? interrogea presque calmement le Professeur Pierné.
— Des vampires. J'en ai vu deux assassiner le caporal Barraqué en quelques secondes. Mais ils sont sûrement beaucoup plus nombreux.
— Beaucoup plus nombreux ? s'écria Murail ; mais ce n'est pas possible ! Les vampires sont des solitaires ! Ils chassent par deux à la rigueur, mais « beaucoup plus » c'est impossible !
— C'est impossible, mais c'est comme ça ! coupa sèchement Amy ; un binôme de vampires ne peut pas pénétrer et éliminer notre groupe de défense en à peine…
Un hurlement, dans l'oreillette, l'interrompit :
— Ils sont ici !
C'était Markevitch, au Centre de contrôle.
— On entend des coups violents contre la porte. Bon sang, des vrais coups de boutoir ! Comment ils peuvent…? Ils essaient… Mais ils vont réussir ! Ils vont entrer ! C'est impossible ! C'est… Boulanger, aux fusils ! Tu couvres à droite !
Markevitch ne s'adressait plus à Amy, mais la communication restait ouverte et le jeune sous-officier entendit aussi clairement que s'il avait été présent un brouhaha de mouvements rapides, un bruit d'éclatement : la porte d'acier qui cédait sous une pression invraisemblable. Puis des rugissements, des rafales saccadées, une lutte au corps à corps, et les vociférations rageuses des vampires qui l'emportèrent finalement sur les cris humains.
Puis le silence. Un silence total.
Une boule dans la gorge, la main sur l'oreillette, Amy s'efforça désespérément de percevoir un son favorable, d'arracher à ce silence un signe d'espoir. Mais il savait que c'était vain. Il se ressaisit et se tourna vers les chercheurs.
— On a perdu le contact avec le Centre de contrôle. On ne peut être sûr de rien, mais on est obligé d'envisager qu'il soit tombé aux mains des assaillants. Bon. Le Cercle a été prévenu, des renforts vont arriver. Il faut compter environ une demi-heure avant l'arrivée des nôtres. Pendant ce temps, on se tient ici tranquillement et on attend.
Les chercheurs accueillirent ce bref discours avec un relatif sang-froid. Le professeur Pierné posa néanmoins la question que tout le monde avait en tête :
— Vous pensez que nous sommes en sécurité ici, sergent ?
— Aucun risque ! répondit le jeune soldat sur un ton péremptoire, alors qu'il éprouvait des doutes croissants ; nous sommes dans la pièce la mieux protégée du complexe, et puis…
Il désigna d'un geste du menton les incantations latines sur les murs. Il allait poursuivre, mais il n'eut pas le temps.
— Chef ! fit Huré ; il se passe quelque chose.
Huré avait l'ouïe fine. Amy vint s'accroupir auprès de son subordonné et il l'interrogea d'un regard.
— Des bruissements. Une cavalcade dans l'escalier, mais c'est un murmure. Comme une cavalcade de poids plume. Ou une cavalcade de créatures de la nuit. Pas de doute. Ils sont devant la porte.
Il avait à peine achevé sa phrase qu'un formidable coup porté sur la triple cloison d'acier retentit dans le Coffre. Murail poussa un cri et se recroquevilla dans un coin. Les autres chercheurs reculèrent sans même s'en rendre compte, cherchant instinctivement un abri inexistant. D'instinct, Amy avait pris position parallèlement à la porte, couvrant l'entrée et ses camarades. Un triangle de tirs croisés. De quoi tronçonner tout assaillant pénétrant dans la pièce sous une pluie de balles.
Un nouveau coup de boutoir, d'une colossale puissance, résonna entre les murs d'acier.
Et pourtant, Amy sentait que quelque chose n'était pas normal. Il n'arrivait pas à saisir quoi au juste, mais quelque chose n'allait pas.
Nouveau coup de bélier, d'une force invraisemblable.
Lentement, Amy s'avança et posa la main sur la cloison, à quelques centimètres de la porte à triple battant d'acier.
Nouveau coup de boutoir assourdissant.
Amy ne sentit rien. Rien du tout. En dépit de l'épaisseur des murs, il aurait dû sentir les vibrations du choc. C'est ça qui n'allait pas. L'attaque était anormale. Les puissants fracas qui retentissaient dans le Coffre n'étaient pas des coups frappés contre la porte. C'était quelque chose d'immatériel. Pas le contact d'un bélier contre une cloison, mais une poussée surnaturelle, invisible, impalpable, qui ne cherchait pas à détruire la cloison mais…
Il y eut un nouveau coup et, dans un craquement métallique, de profondes fissures se mirent soudain à zébrer les cloisons, comme un séisme lézardant les murs d'une vieille maison. Les fissures semblaient naître de partout à la fois et couraient le long des parois, s'entremêlant dans un réseau de plus en plus dense, de plus en plus serré.
Du coin de l'œil, Amy vit Huré crier quelque chose.
— Quoi ?
Huré montra du doigt les invocations latines gravées sur les murs. Les fissures étaient en train de les disloquer, de les détruire syllabe après syllabe. Elles perdaient leur pouvoir. Dans le même temps, un grondement grave fit vibrer le Coffre comme un tremblement de terre. Les murs allaient s'effondrer.
Amy releva le canon de son arme en direction de la porte.
Juin 2006
Thibault avait le sommeil léger, il s'éveilla immédiatement. Il se dressa sur un coude, et dans la clarté lunaire, il vit le visage décomposé de Claire se tendre vers lui.
— Claire, c'est toi ? chuchota Thibault, pour ne pas éveiller les autres ; qu'est-ce qui se passe ?
La petite fille, son visage à quelques centimètres de celui de Thibault, fit un effort visible pour parler, mais elle ne parvint à lâcher que des syllabes indistinctes. Claire était d'ordinaire une enfant calme, souriante. Ce n'était pas normal.
Thibault eut peur.
Il se leva et prit la petite fille par la main. En silence, tous les deux pieds nus dans le short et le tee-shirt qui leur servaient de pyjama, ils descendirent l'escalier du dortoir. Thibault conduisit Claire derrière le réfectoire : il y connaissait un banc caché par des buissons où ils ne risquaient pas d'être dérangés. La fillette suivait mécaniquement, sans dire un mot.
Thibault l'installa sur le banc et s'assit à ses côtés. Claire regardait fixement devant elle.
— Claire… Eh, Claire…
Elle eut un frémissement, secoua ses mèches blondes, comme pour s'arracher à un cauchemar, et monta vers Thibault un regard brouillé.
— Thibault... Thibault, j'ai vu quelque chose d'abominable… Oh, si tu savais…
— Quoi, tu as fait un cauchemar ? demanda-t-il.
— Non, Thibault, non ! J'étais dans mon lit, oui, mais je ne dormais pas, j'en suis sûre. Je...
Elle s'interrompit brutalement. Elle avait peur.
— Claire… Si ce n'était pas un cauchemar, qu'est-ce que tu as vu ?
Claire sembla s'apaiser un peu dans le regard attentif de cet aîné qui s'occupait d'elle depuis son arrivée au foyer :
— J'étais allongée sur mon lit, Thibault, tu sais, mais les yeux ouverts, parce que j'avais pas sommeil. Et d'un seul coup, j'ai eu comme… envie de vomir… Tu vois ?
— Oui, je comprends, tu as eu des nausées. Et ensuite ?
— Oui, c'est ça, des nausées. Et puis j'ai vu des formes, des espèces d'ombres devant mes yeux. D'abord j'ai pas compris ce qui se passait. C'était plutôt joli, avec des tas de couleurs mélangées, comme de la peinture. Et puis j'ai commencé à comprendre que ce n'était pas quelque chose de vrai, quelque chose de réel, que ça n'était pas vraiment présent dans la pièce. C'était quelque chose… comme une vision. Ce n'était ni un rêve, ni la réalité. Tu comprends, Thibault ?
Thibault écoutait, l'estomac contracté.
— Oui, Claire, je comprends.
La petite fille parut soulagée par l'approbation de son aîné, et elle reprit :
— D'abord, tu sais, je ne comprenais pas ce que ça signifiait, ces formes, ces couleurs. Puis elles se sont précisées. Elles restaient floues, elles ne représentaient rien de précis, un peu comme des nuages. Mais elles ont quand même commencé à avoir un sens, à… à signifier quelque chose.
Claire sembla brusquement reprise par la peur, et Thibault accentua de nouveau sa pression chaleureuse et ferme :
— Dis-moi, Claire, je suis là.
La petite fille fit un gros effort sur elle-même. Et soudain elle gémit :
— C'était une monstruosité, Thibault ! Une horreur ! Je ne sais pas ce que c'était vraiment, ces couleurs, ces formes, mais je sais que c'est quelque chose d'abominable… Quelque chose qui n'a pas encore eu lieu, mais qui va arriver… Et ce sera atroce, atroce… Thibault, j'ai peur, tu sais ! J'ai vraiment peur !
Claire était au bord d'éclater en sanglots, mais elle n'y parvenait pas. Elle était pétrifiée par sa terreur au point d'être incapable de pleurer. Thibault comprit qu'il ne tirerait rien de plus de la fillette. Il la serra encore contre lui un moment, lui murmurant des mots calmes, des phrases tranquilles dont le sens importait moins que la musique. Claire finit par relever la tête, par fixer son aîné.
— Dis, Thibault, tu me crois, au moins, hein ?
— Oui, fit l'adolescent ; oui, Claire, je te crois, ne te fais pas de bile.
Malgré lui, Thibault ne put empêcher ses traits de durcir : il avait de bonnes