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Théologie Systématique, Tome II: Apologétique et Canonique
Théologie Systématique, Tome II: Apologétique et Canonique
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Livre électronique786 pages10 heures

Théologie Systématique, Tome II: Apologétique et Canonique

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À propos de ce livre électronique

L'Apologétique consistant dans la défense du fait chrétien devant l'homme naturel, l'existence et l'utilité de cette discipline théologique supposent que le christianisme est attaqué. En conséquence, les ouvrages apologétiques seront presque toujours des écrits de circonstance. A l'époque de Gretillat, au 19ième siècle, c'était sur le terrain de la pensée philosophique que les enseignements évangéliques subissaient les plus violents assauts. Aussi son apologétique consacre de longs morceaux à écarter les preuves trop faciles en faveur du christianisme, tirées de ses miracles, ou de son adaptation parfaite aux besoins moraux de l'homme, et il centre résolument la défense de la foi chrétienne sur l'impression produite par la sainteté de Jésus-Christ. Aujourd'hui c'est principalement sur la question des m{\oe}urs que le christianisme subit un rejet massif ; cependant une grande partie de l'Apologétique de Gretillat reste pertinente car elle s'adresse à la conscience, et que, quand la conscience humaine est cautérisée, il n'y a de toute façon plus rien à faire pour le salut de l'homme. Dans ce deuxième tome de sa Propédeutique (c-à-d Introduction à la Théologie Systématique) Gretillat fait suivre l'Apologétique par la Canonique, c-à-d la justification de la liste des écrits qui composent la Bible. Il y développe une théorie de l'inspiration intéressante, qui sait garder la distance entre deux écueils, celui de la dictée mécanique, ou théopneustie, et celui de la négation de toute action spécifique de l'Esprit de Dieu dans la rédaction des livres bibliques. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1892.
LangueFrançais
Date de sortie19 juin 2023
ISBN9782322482450
Théologie Systématique, Tome II: Apologétique et Canonique

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    Théologie Systématique, Tome II - Augustin Gretillat

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    Mentions Légales

    Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322482450

    Auteur Augustin Gretillat.

    Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.

    Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoT

    E

    X, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

    ThéoTEX

    site internet : theotex.org

    courriel : [email protected]

    Théologie Systématique

    Apologétique et Canonique

    Augustin Gretillat

    1892

    ♦ ♦ ♦

    ThéoT

    E

    X

    theotex.org

    [email protected]

    – 2013 –

    Table des matières

    Un clic sur ramène à cette page.

    Préface

    Apologétique

    Considérations générales
    Résumé historique de l'apologie du christianisme

    A. Période apostolique

    B. Période patristique

    a. Jusqu'à Constantin

    b. De Constantin à Charlemagne

    C. Moyen âge. De Charlemagne à la Réformation

    D. De la Réformation au XVIII siècle

    E. Du XVIII siècle : période du déisme rationaliste

    F. Période moderne

    I. Théorie de l'Apologie du Christianisme

    Article I : De l'objet de l'apologie du christianisme

    Article II : Des moyens de l'apologie du christianisme

    1. Critique de l'apologétique externe

    2. Critique de l'apologétique interne

    Du rôle respectif des critères externes et internes dans l'apologétique

    3.1. Du rôle légitime des critères externes

    3.2. Du rôle légitime des critères internes

    Article III : De la compétence de l'apologétique

    II. Application de notre théorie de l'apologie du christianisme

    Article préliminaire : Du rapport général de la religion à la révélation

    1. Définition des termes

    2. Du rapport de la religion à la révélation

    3. Des degrés successifs de la révélation

    Article I : Vérification de la religion naturelle

    A. Existence des causes finales dans la nature

    B. Rapport de la finalité dans la nature à la cause suprême

    1. Critique du polythéisme

    1.1. Age du polythéisme

    1.2. Appréciation morale du polythéisme

    1.3. Du rang à assigner au polythéisme dans la série des religions

    2. Critique du dualisme

    3. Critique du monisme

    3.1 Critique du matérialisme

    3.2. Critique du dynamisme

    3.3. Critique du panthéisme

    3.3.1. Critique du panthéisme optimiste

    3.3.2. Critique du panthéisme pessimiste

    Article II : Vérification des révélations sotériologiques

    1. Vérification des faits accomplis dans l'histoire en vue du salut de l'humanité déchue

    1.1. Possibilité ontologique du fait surnaturel

    1.2. Possibilité morale, ou : Convenance du fait surnaturel

    1.2.1. Justification du principe du fait surnaturel

    1.2.2. Justification éventuelle des modes du surnaturel biblique

    1.3. Vérification de la réalité historique du fait chrétien

    1.3.1. Premier degré de la régression. Du fait contemporain à la fondation de l'Eglise chrétienne

    1.3.2. Deuxième degré de la régression. De la fondation de l'Eglise chrétienne à la résurrection de Jésus-Christ

    1.3.3. Troisième degré de la régression. De la résurrection de Jésus-Christ à sa carrière terrestre

    2. Vérification de l'origine divine du fait chrétien

    2.1. La personne et l'œuvre de Christ, accomplissement de la prophétie de l'A.~T.

    2.2. La souveraineté de Jésus dans le Royaume de Dieu présent et futur

    2.3. L'égalité de Jésus avec Dieu même

    Canonique

    Du caractère normatif des documents primitifs du fait chrétien
    Résumé historique du dogme de la canonicité des Saintes-Ecritures
    Article I : Doctrine de l'inspiration

    Préliminaire : Définition générale du rapport des termes révélation et inspiration

    1. Analyse des éléments de l'inspiration

    2. Des limites de l'inspiration

    2.1. Rapport de la pensée inspirée au langage

    2.2 Rapport de la parole à l'Ecriture dans les produits de l'inspiration

    2.3. Rapport de l'inspiration religieuse aux divers produits de la pensée humaine

    2.3.1. Rapport de l'inspiration religieuse à l'inspiration esthétique

    2.3.2. Rapport de l'inspiration religieuse à l'activité scientifique

    3. Des modes successifs de l'inspiration, ou des rapports divers de l'état inspiré à la nature subjective

    3.1. Des modes de l'inspiration dans l'Alliance préparatoire

    3.1. Période patriarcale

    3.2. Période sacerdotale

    3.3. Période prophétique

    3.2. Des modes de l'inspiration dans la Nouvelle alliance

    3.2.1. De l'inspiration de Jésus-Christ

    3.2.2. De l'inspiration chrétienne à l'époque de la fondation de l'Eglise

    3.2.3 De l'inspiration chrétienne permanente

    Article II : Doctrine du canon

    1. De l'extension de l'autorité canonique des Saintes-Ecritures à des écrits subséquents

    1.1. De l'imperfectibilité du fait chrétien attestée par les fondateurs du christianisme

    1.2. De l'imperfectibilité de la vérité chrétienne contenue dans les documents primitifs du christianisme

    2. Des degrés de canonicité des livres contenus dans la collection traditionnelle des Saintes-Ecritures

    2.1. De la canonicité de l'Ancien Testament

    2.2. De la canonicité des livres du Nouveau Testament

    2.2.1. Critères de canonicité des parties historiques du Nouveau Testament

    2.2.2 Critères de canonicité des parties didactiques et apocalyptiques du Nouveau Testament

    ◊Préface◊

    Avec le présent tome s'achève la série des quatre volumes de mon Exposé de Théologie systématique. Le tome I ou Méthodologie a paru en 1885 ; le tome III, contenant la première moitié de la dogmatique, en 1888, et le tome IV, en 1890. Le voyageur qui, à l'issue d'une longue marche dans une épaisse forêt, recommence à apercevoir le ciel libre à travers les arbres, pourrait fournir l'analogue de la disposition où je me suis trouvé en voyant approcher le terme de ce travail de rédaction, commencé il y a sept ans. Je ne poserai pas la plume cependant sans exprimer ma reconnaissance envers Celui qui m'a soutenu pendant l'accomplissement de cette tâche, qui m'y a fait trouver un réactif bienfaisant dans les jours d'épreuve, et me permet aujourd'hui d'offrir enfin à mes collègues et à l'Eglise un ouvrage complet.

    J'ai expliqué précédemment, sans avoir réussi à convaincre tous mes critiques, les raisons qui m'avaient engagé à intervertir l'ordre naturel de la publication des deuxième, troisième et quatrième volumes. Les inconvénients de cette marche, qui m'ont été plus d'une fois signalés et que j'avais moi-même prévus, ont dès maintenant disparu ; mais si les raisons du parti que je prenais me paraissaient bonnes alors, je m'applaudis plus encore aujourd'hui de les avoir suivies. Et sans vouloir surfaire le rôle auquel cet ouvrage peut être destiné, il me sera permis de dire que si la publication de ce volume devait avoir quelque actualité, elle ne l'aurait pas eue au printemps de 1888 au même degré que dans l'automne de 1891.

    L'intensité de la crise théologique et religieuse que traverse en ce moment le protestantisme français, est reconnue aussi bien de ceux qui s'en réjouissent que de ceux qui s'en affligent et s'en effraient :

    « La crise que traverse actuellement notre dogmatique protestante, écrivait M. Lobstein en tête de ses Etudes critiques, publiées cette année, ne se révèle nulle part avec une plus irrésistible évidence que dans les doctrines qui ont pour objet la personne et l'œuvre de Jésus-Christa. »

    « Si réellement, écrit à l'autre bord M. F. Godet, on s'accordait à reconnaître la révélation dans la personne, la vie et les enseignements du Christ, et qu'on se contentât de contester une révélation apostolique complémentaire, la situation serait grave, mais peut-être n'aurais-je pas poussé un cri d'alarme. Mais c'est l'enseignement du Seigneur lui-même qui est en cause ; son témoignage sur une foule de points tels que la divinité de sa personne, son œuvre expiatoire, l'existence des anges bons et mauvais, son retour futur, la résurrection des corps, etc., est présenté comme ne faisant point autorité pour la conscience chrétienne. Tous ces sujets sont considérés comme appartenant à la théologie et non à la religion proprement dite dont Christ est l'initiateur ; celle-ci se réduit à la révélation de la sainteté de Dieu et de son amour pour l'humanité, ainsi qu'au devoir des hommes de s'aimer entre eux. C'est là, si je comprends bien, le point de vue de nos modernes réformateursb. »

    La Gauche évangélique fait aujourd'hui à la Droite deux reproches principaux : celui d'autoritarisme et celui d'intellectualisme ou même de rationalisme, car c'est à notre intention que l'on vient d'accoler ces deux mots, qui juraient jusqu'ici de se trouver ensemble : rationalisme orthodoxe. Il paraissait jadis entendu que faire de l'intellect ou de la raison l'organe du vrai, c'était condamner l'autoritarisme, et que l'autoritaire en retour était un homme qui condamnait l'usage, en matière de croyances, de la raison et de l'intellect. Nous avons, paraît-il, changé tout cela, et l'on entend appeler intellectualiste aujourd'hui quiconque a la prétention de traduire en une formule, aussi intelligible que possible, les faits religieux et chrétiens ; et autoritaire, quiconque exprime quelque certitude dans l'énoncé de ses propres opinions et quelques doutes sérieux sur la valeur et l'innocuité de celles de l'adversaire.

    En y regardant de plus près cependant, on s'aperçoit bientôt que ces appellations ne recouvrent que des différences de degrés, et que le plus déterminé subjectiviste, celui qui ne veut plus entendre parler que de son expérience intime, s'oublie trop souvent, surtout s'il est docteur en théologie, à agencer des raisonnements qui diffèrent du tout au tout de celui des « bonnes vieilles femmes », et aussi à traiter d'assez haut les contradicteurs et les dissidents.

    Une autre accusation que la Gauche évangélique ne cesse d'adresser à la Droite, et que nous retrouvons à réitérées fois sous la plume de M. Chapuis dans son récent article (paru fin octobre) sur la Transformation du dogme christologique, est celle de s'inspirer dans ses déterminations dogmatiques de la métaphysique grecque et platonicienne plutôt que de l'expérience et de l'histoire. « On peut regretter, écrit-il, que M. Gretillat s'obstine à demeurer, en métaphysique, essentiellement sur le terrain de la philosophie grecque, dont furent imprégnés les grands conciles des premiers sièclesc. »

    Pour nous induire à donner raison à notre éminent contradicteur, il faudrait nous avoir prouvé trois points : 1o que la métaphysique grecque a eu toujours tort ; 2o que notre soi-disant métaphysique n'est pas puisée dans l'enseignement apostolique ; 3o que la métaphysique grecque et platonicienne disait ce qu'on lui fait dire.

    Non, Messieurs, la doctrine chrétienne de l'incarnation, pas plus que la doctrine chrétienne de la résurrection, ne sont des emprunts faits à la métaphysique grecque et platonicienne. Celle-ci fut ou panthéiste ou dualiste, mais n'eût jamais admis l'union personnelle d'un être divin avec une chair humaine. Ce sont les gnostiques et non pas les partisans de la Kénose qui furent les héritiers légitimes du platonisme.

    Ceux qui liront les articles précités de MM. Lobstein et Chapuis pourront nous prendre pour un gymnaste de la pensée, escaladant, par goût ou par habitude, les hauteurs de la spéculation métaphysique pour en rapporter les « casse-tête » ramassés dans quelque caverne et offerts à la curiosité des antiquaires.

    Nous ne reconnaîtrions ni nous ni nos doctrines dans cet ordre d'images. Soyez convaincus, chers frères et collègues, que les grandeurs et, osé-je dire, les incompréhensibilités du mystère de piété résumé dans un des plus anciens hymnes chrétiens en ces mots : Dieu manifesté en chair (1Tim.3.16), ne nous ont pas plus échappé qu'à vous-mêmes ; mais nous ne sommes ici et ne voulons être que les interprètes d'un témoignage venu d'en haut, qui a précédé vos expériences et les nôtres, et la seule position de la question que nous puissions accepter est celle de savoir si cette interprétation, qui est la nôtre, est fidèle ou ne l'est pas.

    Si une bataille sur des ismes pouvait avoir quelque résultat, ce serait le lieu d'opposer au platonisme dont on nous dit infecté, le transformisme contemporain dont l'irrésistible influence se reconnaît chez nos opposants : le transformisme qui préfère aux interventions créatrices des principes supérieurs les promotions lentes et latentes des protoplasmes. C'est sous l'action, inconsciente sans doute, du principe transformiste, qu'à l'amour du Père donnant son Fils unique au monde, et à l'amour du Fils descendu du ciel sur la terre pour remonter de la terre au ciel, se substitue le produit, bien que miraculeux encore, de la nature humaine ; l'offrande faite à Dieu par l'humanité sanctifiée d'un de ses enfants. Ce que vous retranchez ainsi de la révélation de l'amour divin, c'est le sacrifice personnel ; ce que vous me prenez, c'est la folie de Dieu !

    On s'est étonné aussi, même parmi nos amis, de ne pas nous avoir vu suivre, dès l'abord, une marche régressive, partant de l'homme et du présent pour s'élever à Dieu et à l'éternité, plutôt que d'être descendu, comme nous l'avons fait dans la dogmatique, de la divinité et de l'éternité à l'humanité et au temps. Nous estimons que nous faire ce reproche, c'était confondre la méthode de la dogmatique avec celle de l'apologétique, l'une qui cherche et découvre ou retrouve ; l'autre qui accepte une donnée s'offrant à elle, pleine et totale, et à qui il ne reste plus qu'à la reproduire dans l'ordre donné non par les phases de la recherche subjective, mais par l'essence de la réalité elle-même.

    Peut-être les partisans de la Kénose ont-ils eu le tort d'identifier trop intimement leur cause avec le dogme de la préexistence ; d'affirmer une solidarité trop étroite entre l'une et l'autre, et nous-même nous souvenons d'avoir écrit à un ami la phrase suivante, qui nous paraîtrait imprudente aujourd'hui : La Kénose est l'arche de Noé des partisans de la préexistence. Cette faute de tactique a permis à nos opposants de confondre aussi les deux propositions dans l'attaque, et de faire comme si les coups donnés à l'une se répercutaient immédiatement sur l'autre. Dans l'article précité, M. Chapuis apprend à ses lecteurs que, dans la théologie du protestantisme français, la théorie de la Kénose « semble presque avoir usurpé la place d'une doctrine nécessaire », et qu'on s'efforce de « persuader les fidèles qu'elle est nécessaire à leur salut ». Nous ne nous souvenons pas, pour notre part, d'avoir jamais proféré, publiquement du moins, une pareille énormité ; et sans cesser d'admettre personnellement et d'affirmer que la doctrine de l'anéantissement du Fils de Dieu est la plus intelligible façon, peut-être la seule, d'accorder les deux termes du problème : préexistence divine et existence humaine de Christ, il doit rester entendu que la Kénose est une hypothèse, tandis que la préexistence personnelle de Christ fait partie de la foi de l'Eglise. Et s'il le fallait même, nous ajouterions : Périsse la Kénose, plutôt que la foi de l'Eglise au Fils de Dieu venu en chair !

    *

    Pour remplir la totalité du programme énoncé par le titre général de notre ouvrage : Exposé de Théologie systématique, nous devrions dès maintenant annoncer la publication de la Morale ou Ethique chrétienne qui donnerait naissance aux volumes V, VI et VII. Nous avons sans doute l'intention de nous mettre incontinent à la rédaction de ce cours par lequel nous avons commencé notre enseignement dans la Faculté de théologie de Neuchâtel en 1870. Mais nous ne prenons aucun engagement quant à une publication dont l'éventualité est soumise à plusieurs conditions indépendantes de notre volonté. A voir d'ailleurs à quel point les prévisions annoncées dans la préface de notre premier tome en 1885, ont été démenties par l'événement, nous avons perdu le goût de faire des projets, et surtout celui de les publier.

    *

    Je ne saurais terminer cette préface sans remercier sincèrement tous les critiques, français, allemands, hollandais et anglais, qui ont bien voulu introduire mes volumes précédents devant le public, et dont la plupart l'ont fait, même en me combattant, comme MM. Lobstein et Chapuis, avec une grande bienveillance. Je remercie même ceux qui, paraît-il, m'ont appelé un « revenant », car, après tout, il vaut encore mieux être un revenant qu'un disparu. Le seul procédé dont un auteur n'a pas à remercier, c'est le silence.

    *

    Et maintenant que, selon le précepte de l'ancien sage, j'ai jeté ces quatre morceaux de pain à la surface des eaux, il ne me reste plus qu'à exprimer l'espoir qu'un jour j'en retrouverai une partie.

    Neuchâtel, ce 30 octobre 1891.

    Gretillat.

    ◊APOLOGÉTIQUE◊

    ◊Considérations générales◊

    L'apologétique, telle que nous l'avons définie dans notre précédent volume, est la vérification devant les facultés naturelles de l'homme du fait chrétien considéré dans ses éléments nécessaires au salut de l'humanité et de l'individu.

    Le mot apologétique, dont l'origine, assez récente, remonte à Planck (1794)d, s'est opposé tout d'abord au mot apologie, comme la désignation de la théorie à l'exécution. L'apologétique, rigoureusement parlant, serait définie : la science de la vérification du christianisme, tandis que l'apologie serait cette vérification elle-même. L'usage courant a réuni ces deux acceptions sous le terme commun d'apologétique, qui a pris à peu près complètement dans le langage scientifique la place de son aîné, et s'il reste une différence d'emploi entre l'un et l'autre, elle consiste en ce que le mot apologie s'entendra d'une manière générale de la défense de tel ou tel point particulier de la vérité chrétienne, tandis que l'on désignera plutôt par apologétique la démonstration complète et scientifique du christianismee.

    Le mot apologie, apologétique, vient du grec ἀπολογία qui se rencontre sept fois dans le N. T., tantôt dans le sens d'une défense personnelle, soit juridique (Act.22.1 ; 25.16 ; 2Tim.4.16), soit officieuse (1Cor.9.3 ; 2Cor.7.14) ; tantôt dans l'acception que ce mot reçoit ici d'apologie de l'évangile lui-même (Phil.1.7.17 ; 1Pi.3.15).

    Mais s'il est vrai que toute défense suppose l'attaque, l'apologétique suppose l'hostilité dans le milieu où le fait chrétien se manifeste ; la présence ou du moins la possibilité du doute chez ceux-là même qui l'ont accepté dans leur cœur ; et nous avons le droit de dire dès lors que la nécessité de l'apologie du christianisme est née avec le christianisme lui-même, et résultait des conditions dans lesquelles il a voulu se présenter au monde. Dès sa première apparition l'esprit prophétique a reconnu dans la personne de Jésus-Christ un sujet futur et prochain de contestation ; un signe auquel on contredirait (Luc.2.34-35) ; et tel fut l'effet de sa personne, tel fut aussi, et dès le principe, celui de sa cause. Et comme l'hostilité n'a point désarmé, que le doute à l'égard des affirmations capitales du christianisme est toujours prêt à renaître des arguments même qui y avaient été victorieusement, semblait-il, opposés, l'apologétique accuse sa nécessité aujourd'hui autant que jamais.

    Toutefois cette nécessité même cessera un jour avec le péril. Le moment viendra où tous étant convaincus et vaincus, sinon convertis, par l'évidence de la vérité, la défense du christianisme n'aura plus sa raison d'être ; c'est l'événement prédit par l'apôtre Paul, Phil.2.10-11.

    Nous disons que l'apologétique est nécessaire durant toute l'économie actuelle, du moment de l'apparition de Christ sur la terre, en faiblesse et en opprobre, jusqu'à celui de son retour en puissance et en gloire ; et c'est dans toute cette période que se vérifie le mot de Pascal : « Il y a assez de clarté pour éclairer les élus (disons seulement les cœurs droits), et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés, et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusablesf. »

    Ce caractère de la vérité religieuse et morale qui tour à tour et même tout à la fois se révèle et se cache, s'affirme dans tous les ordres de la création.

    Dans la nature tout d'abord, l'immutabilité apparente des cours, les enchaînements de causes et d'effets autant que la contrariété ou l'inutilité de certains effets, la présence et le jeu, régulier ou non, de forces qui paraissent inhérentes à la matière, offusquent l'intelligence prévenue du naturaliste positiviste, et l'induisent, avec quelque apparence de raison, si d'ailleurs le penchant de son cœur l'y porte, à confondre la cause première avec les causes secondes, seules offertes à ses perceptions ; à identifier l'intelligence suprême et libre avec les lois qu'il croit avoir formulées. Et quand la révélation naturelle serait aussi logiquement évidente qu'elle l'est peu, le naturaliste dont je parle, plus éclairé peut-être, n'en serait que plus coupable dans son opposition à la vérité.

    « Ainsi vivent les hommes, a écrit Fénelon. Tout leur présente Dieu, et ils ne le voient nulle part. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui et cependant le monde ne l'a point connu. Ils passent leur vie sans avoir aperçu cette représentation si sensible de la Divinité, tant la fascination du monde obscurcit leurs yeux. Souvent même ils ne veulent pas les ouvrir, et ils affectent de les tenir fermés. Enfin ce qui devrait le plus servir à leur ouvrir les yeux ne sert qu'à les leur fermer davantage, je veux dire la constance et la régularité des mouvements que la suprême sagesse a mis dans l'univers.

    Saint Augustin dit que ces merveilles se sont avilies par leur répétition annuelle. Cicéron parle précisément de même. A force de voir tous les jours les mêmes choses, l'esprit s'y accoutume aussi bien que les yeux. Il n'admire ni n'ose se mettre en aucune manière en peine de chercher la cause des effets qu'il voit toujours arriver de la même sorte, comme si c'était la nouveauté et non pas la grandeur de la chose même qui dût nous porter à faire cette rechercheg. »

    Il y aura donc, dans la nature, suffisamment de clarté pour m'y faire reconnaître, si j'en suis digne, les choses invisibles, la puissance éternelle et la divinité (Rom.1.20) ; et suffisamment d'obscurité, d'incohérences et de contrariétés pour fournir un prétexte de négation ou de doute aux cœurs athées ou indifférents.

    Les révélations historiques ont présenté, disons-nous, le même caractère. Celui qui fut la Parole de Dieu faite chair n'a pas été reconnu de la plupart de ses contemporains, témoins de ses œuvres et auditeurs de ses paroles. Si Jésus-Christ eût cédé à la tentation du diable qui l'invitait à revêtir une forme divine adéquate à son essence, ou s'il eut accédé à la demande qui lui fut faite plusieurs fois de faire des miracles dans le ciel, qu'il fût descendu du haut des créneaux du temple, ou qu'à l'invitation de ses bourreaux il fût descendu de la croix, ou enfin qu'il fût ressuscité en plein jour, en plein Jérusalem, pour apparaître en plein Sanhédrin, sans doute qu'il eût été acclamé comme le Fils de Dieu et le Messie par tout le monde. Il a suivi la marche contraire à celle qui paraissait si raisonnable et si simple à ses adversaires, et qui nous eût paru à nous-mêmes si efficace pour les confondre. Il s'en est expliqué plusieurs fois, et en particulier, lorsqu'il disait des Juifs : Ils ne se convertiraient pas davantage, quand un des morts ressusciterait (Luc.16.31) ; c'est-à-dire que réduits au silence par une apparition aussi éclatante, ils n'en seraient pas devenus meilleurs, plus pieux, plus fidèles, plus obéissants à la parole de Dieu. A ceux qui lui demandaient des signes dans le ciel, il répond avec une sainte ironie en leur en offrant deux : l'un dans le sein de la mer, l'autre dans le sein de la terre (Mat.12.39 ; Luc.11.29). Et non seulement Jésus a dédaigné les moyens de défense qui eussent paru les plus convaincants à tout le monde, mais il n'a pas craint de provoquer le doute chez ses partisans eux-mêmes par des façons d'agir que lui-même a reconnues de nature à scandaliser les meilleurs (Luc.7.23).

    Si tel a été le caractère des révélations divines, et le mode selon lequel elles se sont fait valoir dans le monde, nous ne nous étonnerons point qu'elles aient rencontré des sceptiques et aient suscité des adversaires. Cet effet était dès longtemps prédit : « Eternel, qui a cru à notre prédication ? » Il y aura des raisons de ne pas croire : « Il est monté comme un rejeton devant lui…, il n'y a en lui ni forme ni apparence…, il est le méprisé et le dernier des hommes » (Es.53.2-3) ; et il y aura aussi des raisons de croire : « On avait ordonné son sépulcre avec les méchants, mais il a été avec le juste en sa mort » (v. 9).

    Et comme si ce n'était pas assez que la vérité se révèle au petit nombre seulement, il a été prédit qu'elle se refuserait à la multitude (Es.6.9-10), et l'événement n'a que trop vérifié cette sentence prophétique. A l'époque même où il importait le plus que la révélation rencontrât libre carrière, il s'est trouvé que l'incrédulité qu'elle a suscitée chez plusieurs, indignes d'ailleurs d'avance de la reconnaître et de la recevoir, n'était pas permise seulement, mais voulue de Dieu et fatale (Luc.8.10 ; 10.21).

    On peut se demander la raison d'un procédé aussi contraire à toutes les analogies humaines, et propre à faire suspecter, en même temps que la sagesse de Dieu, sa miséricorde elle-même.

    Nous répondons qu'il y allait ici à la fois de la dignité de la vérité et de celle de la nature humaine.

    Il y allait de la dignité de la vérité à ne pas s'exposer à être traitée par ses adversaires comme une formule algébrique issue d'une équation, ou à être livrée comme un prodige vulgaire aux appétits grossiers des indifférents.

    Il y allait de ma propre dignité, ai-je dit en second lieu, à ce que ma liberté morale, ma liberté de choix ne fût pas confisquée par une surprise des sens, ni par l'évidence d'un syllogisme. Car alors deux cas eussent pu se présenter : ou bien, renonçant à maintenir mon opposition à la vérité en face d'un désaveu éclatant donné à ma volonté par mon intelligence, j'eusse adhéré à la vérité, oui, mais dans le silence, par peur ou par impuissance ; j'eusse été convaincu sans être persuadé ; vaincu et convaincu sans être converti ; je n'eusse accepté la vérité, pour ainsi dire, que sous la catégorie du vrai et non sous celle du bien ; c'est-à-dire que je n'eusse reçu de la vérité que l'attribut et non pas l'essence. La vérité s'imposant à moi et faisant taire toutes mes objections et tous mes doutes, me rendait son esclave et non pas son enfant. Or l'esclave ne demeure pas toujours dans la maison ; la soumission de l'esclave est toujours hypocrite, parce que contrainte ; seule l'obéissance filiale a une valeur morale, parce que seule elle est pénétrée d'amour et de respect.

    Ou bien, et c'est ici la seconde alternative que nous avons indiquée : la vérité soudain révélée et reconnue dans sa plénitude et son entière évidence, eût été repoussée en une fois, comme telle et tout entière ; en s'imposant violemment et subitement à la volonté humaine, elle eût produit de sa part aussi une réaction subite et irrévocable ; elle eût fait de l'homme convaincu tout à coup, mais révolté, un démon et un damné. Eclairé de tous les rayons à la fois, et ayant à choisir entre une soumission hypocrite dans le silence de la peur et l'opposition ouverte, l'homme eût pu se jeter subitement dans l'endurcissement, dans l'impénitence finale.

    Dans un cas comme dans l'autre, soit que l'homme se fût soumis, ou qu'il se fût insurgé, en se redressant contre le bien et la vérité de toute la hauteur de sa qualité d'être libre, les phases intermédiaires du développement moral, dans lesquelles se débattent les raisons pour et contre et se balancent les chances favorables ou défavorables, auraient été supprimées, et la partie engagée en une fois eût été perdue en un seul acte ou gagnée par la violence.

    *

    Il résulte de ce qui précède que les conditions de la défense du christianisme, ou, dirions-nous, les moyens apologétiques devaient varier dans le cours des âges avec les formes de l'attaque elle-même.

    Aux raisons de ne pas croire que les adversaires pouvaient alléguer du temps de Jésus-Christ, en ont succédé d'autres se présentant sous des espèces variées, mais se rattachant au fond à ces deux types principaux : l'Evangile scandale et l'Evangile folie ; c'est-à-dire contrariant tour à tour la conscience faussée et la raison égarée de l'homme. Le judaïsme a fait ses objections ; la philosophie païenne a fait les siennes ; le matérialisme et l'ultra-spiritualisme ont fait les leurs à leur tour. Au déisme a succédé le panthéisme ; à l'intellectualisme, le légalisme et le moralisme dans la grande lice des adversaires. Ceux-ci tantôt déclarent la guerre ouverte au christianisme comme tel, et s'écrient : Ecrasons l'infâme ! tantôt ornent la victime pour la faire périr sous les fleurs. C'est ainsi que le voltairianisme, aujourd'hui vieilli, s'est vu remplacer par le panthéisme qui noie toutes les oppositions et tous les contrastes dans un syncrétisme sentimental, et a remplacé l'accusation, percée à jour, de fraude consciente et volontaire par l'hypothèse beaucoup plus redoutable des mythes et des hallucinations. Et l'ancien panthéisme à son tour, spinosiste ou hégélien, pesant, dogmatique et autoritaire, est en train de céder la place au renanisme, qui est fait de « dédain transcendant » à l'égard de tous les ismes, c'est-à-dire de tout énoncé d'une affirmation ou d'une négation, et finit par mettre en doute son doute même.

    Mais à ces formes diverses de l'offensive, ont répondu des formes diverses aussi et, osons-nous dire, perfectionnées de la défense. Celle-ci a plus d'une fois déjà renouvelé ses armes, à telles enseignes que plusieurs de celles qui avaient paru victorieuses jadis et l'avaient été peut-être, sont décidément tombées hors de service aujourd'hui. Tel le lutteur qui, le regard sans cesse fixé sur les mouvements prévus ou imprévus de l'adversaire, concentre tous ses efforts sur le point précis à protéger, et règle d'après les péripéties d'instant en instant changeantes de l'attaque, son attitude et ses mouvements. On peut dire que ce sont les efforts de l'incrédulité qui ont de tout temps excité l'Eglise à s'approprier d'une manière toujours plus complète le contenu du christianisme primitif, dont aucune des générations subséquentes n'avait pu embrasser simultanément et retenir harmoniquement toutes les parties. L'incrédulité d'une part, les sectes ou les hérésies de l'autre, ont rendu à la science chrétienne l'immense service de la maintenir constamment en haleine, en la rendant toujours plus attentive aux défauts de sa cuirasse, aux lacunes ou aux exagérations qui lui avaient été jusqu'alors pardonnées. Disons que par son avènement, chaque adversaire, incrédule, hérétique ou sectaire, a servi à rendre hommage à la partie de la vérité momentanément négligée ou méconnue par l'Eglise, et par sa chute, à toutes les autres. C'est ordinairement de réactions en réactions que se poursuit, dans cette économie où règne le péché, le progrès du royaume de Dieu sur la terre ; c'est à travers les luttes et les défaites partielles que l'Eglise et la science chrétienne sont incessamment ramenées dans cette voie moyenne entre les extrêmes, qui n'est d'ailleurs qu'un chemin de retour aux origines.

    Il y a donc une histoire de l'apologie de la foi chrétienne comme il y a une histoire de l'incrédulité, et l'une comme l'autre renferme un élément permanent, universel et invariable : l'opposition foncière du cœur naturel de l'homme à la vérité, d'un côté ; les droits imprescriptibles de la vérité, de l'autre. Mais toute apologétique apparaissant dans un lieu et à un moment déterminés participera inévitablement du caractère particulier et temporaire des objections qui l'ont provoquée, et soit par la forme soit par le fond, sera en partie un écrit de circonstance.

    Tel ne paraît pas être l'avis de M. Viguié, qui écarte cette notion défectueuse, selon lui, de l'apologétique, « qui fait de cette science essentiellement une défense contre des ennemis déterminés ou un antidote contre une certaine incrédulité, et qui lui confère ainsi un caractère temporaire et fragmentaire. L'apologétique naîtrait alors du dehors, des circonstances et de l'état des esprits, au lieu de procéder du dedans, des profondeurs de la conscience, et d'être vraiment universelle. Nous ne nierons pas le bien qu'ont pu produire ces défenses partielles de la vérité, mais « on peut concevoir un autre genre d'apologie. Celle-ci n'attendrait pas la provocation, elle provoquerait ; elle n'aurait pas égard au besoin d'un siècle, mais au besoin de tous les temps ; elle n'attaquerait pas une espèce d'incrédulité, mais ayant exhumé du fond de l'âme humaine le principe de toutes les incrédulités, elle les envelopperait toutes, elle devancerait celles qui sont à naître, elle préparerait une réponse à des objections qui n'ont pas encore été prononcées ; pour cela on la verrait peut-être pénétrer plus avant dans le doute que les plus hardis douteurs, creuser sous l'abîme qu'ils ont creusé, se faire incrédule à son tour, d'une incrédulité plus déterminée et plus profonde, en un mot, ouvrir, élargir la plaie, dans l'espérance d'atteindre le germe du mal et de l'extirper. Ce genre d'apologie est tellement à part qu'elle demande un autre nom : la religion ne se présente pas en avocat, mais en juge ; la robe de deuil du suppliant fait place à la toge du préteur ; l'apologie n'est plus justification seulement, mais éloge, hommage, adoration, et le monument qu'elle élève n'est pas une citadelle, mais un temple. » Cette page, une des plus belles de Vinet sur Pascal, exprime éloquemment le but de l'apologétique moderneh. »

    Il ne fait certes pas bon paraître en désaccord avec Pascal et Vinet. Nous n'en persistons pas moins à croire que l'on ne fait pas, que l'on n'a jamais fait d'apologétique pour en faire ; que toute apologie du christianisme, vraie, vivante et sérieuse, est issue d'une provocation, et a porté dès lors inévitablement l'empreinte du moment et des circonstances ; qu'il ne serait pas même désirable qu'il en fût autrement ; que tous les vrais chefs-d'œuvre, dans tous les genres de littérature, ont été en partie des écrits de circonstance, appelés et vivifiés par les besoins du moment ; que c'est ce contact avec l'actualité qui les a rendus immortels, et que les Pensées de Pascal n'ont point échappé à cette condition d'existence et de succès.

    Mais quelle que soit la valeur intrinsèque des arguments auxquels l'apologétique a eu recours dans les siècles passés pour établir scientifiquement l'objet de la foi chrétienne, et tout en admettant qu'elle a plus d'une fois et trop souvent surfait ses forces et méconnu ses limites, nous pouvons sans témérité affirmer que sur le tout elle ne s'est pas montrée trop inférieure à sa tâche, puisque la foi chrétienne demeure aujourd'hui aussi active, aussi vivace, aussi entreprenante que jamais, et non moins consciente de ses avantages et des bases sur lesquelles elle repose. Et si l'on nous disait que cet effet est dû moins à l'activité scientifique qu'à l'activité pratique de l'Eglise, moins aux arguments articulés qu'à l'expansion de sa vie, nous répondrions que les époques les plus vivantes ont aussi été celles qui ont le plus pensé, et que les luttes engagées par l'Eglise avec les puissances du inonde se sont poursuivies à la fois par la parole et par la plume. C'est que si la foi ne se prouve pas plus que tout autre fait, pas plus que le mouvement, pas plus que la vie, l'incrédulité qui nie le fait, le mouvement et la vie, qui conteste la réalité du christianisme au nom de la raison, qui prétend que le christianisme n'est pas parce qu'il ne saurait être, a pu être, sur ce terrain du moins, toujours de nouveau réfutée.

    Pour nous rendre compte de la forme que doit revêtir l'apologie du christianisme dans le temps actuel et nous amener vers les raisons les plus propres à le faire prévaloir sur les raisons qui lui sont opposées, il convient de donner un aperçu de l'histoire de cette science dès les temps primitifs jusqu'à aujourd'hui.

    ◊Résumé historique de l'apologie du christianisme◊

    Cette matière peut être divisée en six sections :

    A. Période apostoliquei.

    B. Période patristique.

    C. Moyen âge.

    D. De la Réformation au XVIIIe siècle.

    E. Du XVIIIe siècle, ou de la lutte contre le déisme.

    F. Période moderne, ou de la lutte contre le panthéisme.

    ◊A. Période apostolique◊

    Ce n'est pas seulement le mot apologie, c'est déjà la chose qui figure dès les premières pages de l'histoire évangélique. Les discours du Seigneur, dans le IVe Evangile en particulier, sont en grande partie apologétiques, relatifs à la divinité de sa personne et de sa mission qui était contestée par les principaux du peuple et bientôt par les foules elles-mêmes. Ces discours, ainsi que plusieurs de ceux que rapportent les synoptiques, surtout vers la fin du ministère de Jésus, et alors que la lutte a atteint sa période aiguë, fournissent même les éléments et les principes permanents d'une vraie apologie du christianisme, et c'est là avant tout que nous devons les chercher (cf. Jean.5.36 ; 7.16-17 ; 10.38 ; 14.11 ; et dans les synoptiques : Mat.22.41-46 ; Marc.2.10 ; Luc.11.20).

    Nous trouvons aussi dans les discours de Jésus des apologies partielles adressées à ceux qui niaient tel ou tel point de doctrine tout en admettant encore l'autorité des Ecritures, Mat.22.32 ; des justifications d'actes particuliers, soit de lui-même : guérisons et miracles opérés au jour du sabbat, Marc.2.27 ; Jean.7.23 ; soit de ses disciples, Luc.6.1-5.

    Le résultat de ces apologies où d'ailleurs Jésus ne restait jamais sur la défensive, est rapporté par les évangélistes en ces termes : Tous étaient confus, et n'avaient plus rien à répliquer, Luc.20.40 ; et c'était là, en effet, tout espoir de les convertir ayant disparu, le succès le plus considérable qu'il fût possible d'ambitionner.

    Pas plus que dans les évangiles, nous ne trouvons dans les épîtres un système apologétique suivi et complet. Les disciples comme le Maître sans doute ont dû s'occuper tour à tour à confondre l'hostilité et la malveillance ; à combattre les préjugés ; à réfuter les objections qui n'étaient pas frivoles ; mais de ces opérations préliminaires on passait bien vite à l'affirmation du témoignage ; ou plutôt les deux éléments : discussion et affirmation, se portaient et se pénétraient incessamment l'un l'autre. C'était l'apologie prise à ses sources vives, se distinguant à peine de l'action immédiate exercée sur les consciences ; découlant du message lui-même ; relevée par le dévouement absolu de l'homme à la cause qu'il représentait, et dont la contre-épreuve était déjà le martyre. C'était cet épanouissement extraordinaire de vie et de force spirituelles, ce déploiement de dons miraculeux, d'une part, et de l'autre, de la puissance vivifiante et sanctifiante de l'Evangile, qui faisaient de chaque disciple un apologète, et rendaient de longues démonstrations superflues. Plus le christianisme se montre, moins il a affaire de se démontrer.

    Les discours des apôtres rapportés dans les Actes, et adressés soit aux Juifs (ch. 2 et 13), soit aux païens (Actes.14.15-18 ; 17.22-32), n'en méritent pas moins d'être cités comme des modèles du genre, et montrent en même temps quelle est la diversité des ressources dont l'apologétique doit user, et, pour ainsi dire, des tons qu'elle doit prendre, selon le caractère de l'adversaire. Il y avait un terrain commun entre le Juif et l'apôtre de Jésus-Christ : c'était l'A. T. ; il y en avait un aussi entre ce dernier et le païen : c'était la révélation naturelle. Or nous constatons que dans les discours rapportés dans les Actes, Paul a toujours soin de prendre son point de départ dans l'A. T., s'il parle à des Juifs, et dans les révélations naturelles, s'il s'adresse à des païens, s'efforçant avant tout d'écarter les préventions et les préjugés que pouvaient inspirer aux uns une fausse interprétation des Ecritures, et aux autres, une conscience faussée ou une raison obscurcie. En demandant à Agrippa et à Festus s'il est donc incroyable que Dieu ressuscite les morts (Act.26.8), il n'entendait pas sans doute prouver rationnellement la réalité de la résurrection, mais écarter au nom du bon sens l'a priori opposé par la raison naturelle à l'affirmation du fait énoncée par ses témoins.

    D'ailleurs les apologies de sa personne et de son ministère que Paul prononça devant Félix (Act. ch. 24), et devant Festus et Agrippa (ch. 26), étaient de fait des apologies de l'Evangile dont la prédication lui avait été commise, et c'était dans l'intérêt de la cause de Jésus-Christ plutôt que dans le sien propre qu'il les avait entreprises. En proclamant dans les chaînes son innocence, il attestait par là même la divine puissance, la sainteté et la valeur de son message.

    A la différence de Paul, Jean ne discute pas. Il se contente de poser la vérité avec l'autorité d'un témoin oculaire et auriculaire (1Jean.1.1-3), et n'admettant même pas qu'elle rencontre des adversaires sincères. Il croirait lui faire injure en l'exposant seulement aux hasards d'un débat contradictoire. Cette attitude du dernier des témoins de Jésus-Christ au siècle apostolique s'explique encore par les circonstances. Les événements avaient fait justice de l'opposition juive plus complètement que tous les arguments, et l'opposition païenne n'osant plus se mesurer avec l'autorité du dernier des apôtres survivants, ne se faisait plus valoir qu'à l'état d'hérésies dans le sein de l'Eglise.

    Les choses changèrent dès le second siècle. A mesure que les éléments jusqu'alors en fusion commencèrent à s'isoler les uns des autres, on éprouva le besoin de rassembler et de coordonner les preuves et arguments que l'on pouvait invoquer en faveur du christianisme dans des apologies proprement dites, et de faire ressortir les points de contact entre cette nouvelle révélation et les précédentes, soit la révélation naturelle et générale, soit la révélation écrite et particulière.

    ◊B. Période patristique◊

    ◊a. Jusqu'à Constantin◊

    Le temps qui précéda l'avènement de Constantin peut être appelé la période apologétique par excellence. Le christianisme attaqué de toutes parts, d'en haut, par le pouvoir politique, de flanc, par la philosophie, et d'en bas, par les plus mauvais instincts des masses populaires, que son contact avait rendues ivres de fureur et de sang, avait de plus à surmonter les discordes intestines suscitées par les hérésies, qui étaient l'invasion des éléments soit judaïques soit païens dans son propre sein. L'apologie du christianisme se fit donc à cette époque à la fois par le sang des martyrs et par la parole. Il fallut établir tout à la fois le droit légal et le droit moral des chrétiens, contestés l'un et l'autre par l'adversaire ; et les efforts des Pères pour justifier leur foi devant le monde juif ou païen, étaient, pour ainsi dire, le prolongement sur le théâtre de la discussion et dans le royaume de la pensée des drames du cirque, à l'usage des adversaires du christianisme à qui la victoire brutale ne suffisait pas. Il fallait montrer que ceux qui savaient mourir savaient aussi raisonner.

    On a remarqué avec raison que tandis que le paganisme expirant était devenu d'une extrême tolérance pour toutes les autres religions des peuples vaincus, que Rome absorbait dans son vaste syncrétisme et dont elle réunissait tous les dieux dans le Panthéon, le christianisme le premier fut capable de troubler cette indifférence. La religion du Christ fut la seule, et Jésus-Christ, la seule divinité qui ait eu le don de réveiller sa jalousie endormie. C'est qu'il comprit d'instinct que sous les apparences de la plus entière passivité, cette superstitio nova annonçait et effectuait le réveil de la conscience humaine, et marquait, dès lors, une révolution religieuse et morale, dont il était impossible de prévoir la portée. Les despotes pressentirent dans la nouvelle apparition une pièce de résistance, un principe d'affranchissement qui allait créer dans l'empire une province nouvelle, où la volonté impériale ne serait plus toute puissante, et rencontrerait au sein de l'affaissement universel des limites inattendues. A la philosophie à son tour se révélait une nouvelle folie, mais qui semblait contenir dans ses flancs une sagesse avec laquelle il faudrait compter ; et les masses enfin, conjurées avec leurs sages et leurs maîtres dans une commune haine, reconnaissaient également d'instinct dans la religion du Christ une loi nouvelle et sainte, très sévère pour le cœur naturel de l'homme, implacable pour le péché ; et dans les disciples du Crucifié des juges dont la présence seule condamnait leurs débordements.

    Nous partagerons les apologies du christianisme en celles qui furent dirigées contre le judaïsme et contre le paganisme, en rattachant au fur et à mesure aux unes et aux autres les hérésies qui en dérivèrent, et à l'égard desquelles l'Eglise orthodoxe devait prendre une attitude également défensive et tout aussi tranchée. Nous confondrons donc ici polémique et apologétique.

    1. Apologie du christianisme contre le judaïsme.

    La polémique du judaïsme contre le christianisme porta sur deux points principaux : l'autorité de l'A. T. et la personne de Christ.

    Comme l'A. T. et les prophéties qui y sont contenues forment la base commune de la foi juive et de la foi chrétienne, la polémique juive visait à faire ressortir le contraste entre la forme réelle de l'apparition de Christ et les intuitions messianiques des prophètes.

    Celse (IIe siècle) met dans la bouche du Juif les calomnies les plus grossières contre la personne de Jésus qu'il accuse d'être le fruit de l'adultère de Marie avec le soldat romain Panterus ; puis d'avoir fait ses miracles par des moyens magiques et des sortilèges. Comme toutes ces accusations se retrouvent dans le Talmud et dans le pamphlet juif intitulé : Toldoth de Jésus, Celse ne doit pas en avoir été l'inventeur.

    Origène releva le défi dans le siècle suivant en opposant à ces raisons la pureté du caractère de Jésus et la sévérité de sa morale. Et quant aux apôtres accusés également d'imposture par son adversaire, il allègue en faveur de la véracité de leurs récits à la fois leur manque de culture et leur sincérité dans les mentions qu'ils font d'eux-mêmes.

    Les raisons que Justin († 166) met dans la bouche du juif Tryphon dans son Dialogue, n'ont pas un caractère aussi frivole ; elles portent sur le désaccord des prophéties qui avaient annoncé un roi glorieux et puissant avec leur accomplissement prétendu en Jésus. En outre, la doctrine de la divinité de Christ contredisait, selon lui, le monothéisme de l'A. T., et la norme énoncée par Esaïe : Je ne laisserai pas ma gloire à un autre (Es.42.8). Enfin les chrétiens étaient accusés, comme déjà Paul, de violer les ordonnances de la Loi auxquelles le salut était attaché. Justin répond à ce dernier chef que la Loi elle-même se donnait pour une institution préparatoire, et qui entendait être dépassée ; et quant aux prophéties, il relevait l'accord de celles qui s'étaient réellement accomplies avec l'événement, en renvoyant au second retour la réalisation des oracles qui annoncent gloire et triomphes. La malédiction que Jésus avait portée, était, suivant l'apologète, en désaccord sur ce point avec l'apôtre (Gal.3.10), la haine des Juifs et du monde. Enfin Justin s'efforce d'écarter de la naissance surnaturelle de J.-C. toute apparence d'analogie avec les mythes du paganisme.

    L'Epître à Diognète, qui date de la même époque, et dont l'auteur est inconnu, s'attaque également au judaïsme qu'il traite comme une superstition, δεισιδαιμονία, mais va jusqu'à envelopper dans ce qualificatif quelques-unes des institutions de l'A. T., comme les sabbats et les observances alimentaires.

    Les Pères étaient servis dans leur polémique avec le judaïsme par une exégèse défectueuse et trop souvent allégorique. La typologie patristique se porta dans un intérêt apologétique aux excentricités les plus curieuses ; c'est ainsi que le cordon rouge de Raab fut interprété par Clément de Rome comme un emblème du sang de Jésus ; Justin Martyr considère les deux boucs qui figuraient dans la fête du jour des expiations comme les types de la double parousie, et les douze clochettes suspendues au vêtement du Souverain sacrificateur représentent à ses yeux les douze apôtres. Les trois espions de Jérico figurent à Irénée les trois personnes de la Trinité.

    En outre, la plupart des Pères ignorant l'hébreu, étaient condamnés à faire un usage exclusif de la Version des LXX, tour à tour plus favorable et plus défavorable à leur cause que l'original. Les Juifs en contestaient l'exactitude, tandis que Justin et Tertullien accusaient les Juifs d'avoir falsifié le texte. Ce furent les incertitudes existant à l'égard de ce dernier qui engagèrent Origène à composer son grand ouvrage, malheureusement perdu, des Hexaples, où il mit en regard dans six colonnes les différents textes de l'original hébreu et des principales versions existant alors.

    2. Apologie du christianisme contre le paganisme.

    Les reproches adressés par les païens au christianisme peuvent être ramenés à trois catégories :

    1o Ceux qui se fondaient sur des calomnies, comme l'imputation de se livrer à des excès monstrueux dans leurs assemblées, de tuer ou de manger des enfants (concubitus incesti ; epulæ thyesticæ). Ces calomnies ne tinrent pas contre l'évidence. Tertullien est le dernier apologète qui juge bon de s'y arrêter, et au IIIe siècle, elles paraissent être entièrement tombées.

    Joignant l'attaque à la défense, les apologètes avaient beau jeu de signaler le caractère à la fois absurde et immoral des religions et des mythologies païennes, dont ils attribuaient l'origine à l'influence des démons. C'étaient ces esprits malfaisants qui avaient travesti les révélations primitives et pures en ces odieuses élucubrations qui ravalaient à la fois Dieu et l'homme.

    2o Les reproches adressés à la religion chrétienne elle-même. L'accusation de nouveauté, tout d'abord, parut assez grave à la plupart des Pères pour les porter à faire une réplique beaucoup plus compromettante que le reproche lui-même. Ils répondirent que le christianisme n'était pas nouveau, que les éléments en étaient déjà répandus dans la révélation générale. Il y a du vrai sans doute dans l'expression de λόγος σπερμαρτικός, inventée par Justin pour désigner cette influence générale exercée par le Logos avant son incarnation dans le monde païen ; cette espèce d'irradiation sur toute l'humanité de la révélation particulière faite à Israël. Il y a beaucoup de vérité également dans cette expression de Tertullien si fréquemment citée : anima naturaliter christiana ; mais il n'aurait pas fallu pousser bien loin l'une et l'autre formule pour enlever au christianisme son caractère spécifique et surnaturel, faire de la doctrine de Jésus-Christ le simple couronnement des anciennes philosophies, et justifier le reproche inverse formulé par Celse contre le christianisme de n'apporter rien de nouveau, et de n'être qu'une répétition des philosophes grecs et de Platon.

    Pour expliquer ces points de contact entre la philosophie païenne et la révélation, les Pères admettaient aussi que des rapports personnels avaient eu lieu entre les philosophes grecs et le peuple juif ; que les Grecs qui voyageaient tant pour s'instruire, avaient passé aussi chez les Israélites, et avaient pu leur emprunter les enseignements dont les échos se retrouvent dans leurs œuvres littéraires.

    On reprochait également au christianisme d'exiger une foi implicite, non raisonnée, ἄλογος, qui ne pouvait dès lors trouver de faveur que chez les ignorants et auprès du populaire ; d'être dangereux pour l'Etat ; de multiplier les sectes et les opinions : toutes critiques qui contiennent, au point de vue de l'adversaire, une part incontestable de vérité, et qui d'ailleurs ont survécu aux générations qui les ont produites.

    Le christianisme était encore accusé d'avoir excité la colère des dieux et attiré toute sorte de fléaux sur l'Empire ; à quoi les Pères répondaient que ces fléaux étaient les justes châtiments de l'incrédulité du monde.

    Enfin et 3o plusieurs doctrines particulières du christianisme étaient en butte aux railleries et au mépris : celles surtout de la divinité de Christ et de la résurrection des corps. Malgré les nombreuses incarnations que racontait la mythologie, et qui eussent dû rendre le mystère chrétien plus acceptable, les païens trouvaient absurde qu'un Dieu fût descendu sur la terre pour devenir homme, eût vécu dans une humble condition et eût été crucifié. Preuve remarquable de l'incompatibilité foncière qui existait entre les deux principes, même sur les points où l'on pourrait supposer une affinité entre le paganisme et le christianisme. C'est que le surnaturel païen, comme l'a fait remarquer M. Adrien Navillej, n'était pas l'intervention réellement surnaturelle d'un Dieu saint dans la nature, mais la personnification des forces de la nature elle-même.

    Un fait bien remarquable d'ailleurs, mais qui n'est pas sans analogie dans l'histoire, est la recrudescence que le paganisme, chancelant et tout proche de la ruine à l'époque de l'avènement du christianisme, reçut au second siècle du conflit avec la nouvelle religion. On sait que le second siècle fut celui de la superstition païenne succédant à l'incrédulité et au scepticisme du premier. Ce fut comme une galvanisation subite de ce grand cadavre avant sa décomposition définitive.

    Les arguments positifs en faveur de l'excellence et de la supériorité du christianisme se tiraient : 1o des caractères de supériorité et de sainteté de la doctrine chrétienne comparée aux opinions religieuses du paganisme ou de la philosophie ; 2o des effets produits par le christianisme. La rapide propagation de l'Evangile opérée sans les moyens de contrainte dont disposent les puissances terrestres ; le sang des martyrs devenant une semence de chrétiens, devaient prouver à tous qu'il y avait ici un principe supérieur aux forces humaines.

    Mais il ne suffisait pas de montrer l'excellence et la supériorité relative du christianisme ; il fallait en établir l'origine divine. On se référait sur ce point à la crédibilité historique des Livres saints, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, dont les auteurs généralement simples et ignorants n'eussent pu trouver en eux-mêmes les vérités qu'ils annonçaient, en même temps que leur caractère moral garantissait la véracité de leurs récits. Tertullien renvoie même les païens aux archives de l'Empire où devaient se trouver encore les pièces du procès de Jésus.

    Les miracles de Jésus et les prophéties de l'A. T. accomplies en lui, ces dernières surtout, fournissaient aux apologètes leur argument favori. Origène remarque que les miracles, à mesure qu'on s'éloigne des temps où ils ont été opérés, pouvaient perdre de leur valeur probante, et leur réalité devenir de plus en plus suspecte, tandis que les prophéties demeurent. Les païens ne niaient pas précisément les miracles de Jésus-Christ, mais ils les assimilaient aux prodiges attribués à Pythagore et à Apollonius de Tyane, en les rapportant à des influences magiques. Les Pères qui admettaient eux aussi les miracles et les oracles des démons, étaient conduits à établir les caractères des miracles de vérité en opposition aux miracles de mensonge, et Origène trouve ces caractères dans la sainteté de leur but et de leur auteur.

    Il n'est pas indifférent de rappeler que les apologètes faisaient grandement fonds aussi sur les miracles et en particulier les exorcismes opérés encore de leur temps par les chrétiens, et Origène affirme avoir été témoin de manifestations de ces vertus surnaturelles.

    Un genre d'arguments familier aux Pères, mais d'une bien chétive valeur, se tirait des emblèmes du christianisme que l'on prétendait retrouver dans la nature, comme nous les avons vus ailleurs tirer parti contre les Juifs des plus étranges coïncidences entre l'A. et le N. T.

    Mais ces exagérations même ont pour nous une grande valeur apologétique en nous montrant à quel degré était portée la certitude des Pères à l'égard des faits du christianisme, puisqu'ils ne redoutaient pas de recourir à des raisons aussi fantastiques pour les démontrer aux autres. Le fait les possédait si complètement qu'ils s'imaginaient que toutes choses, soit dans la nature, soit dans l'histoire, soit dans l'A. T., s'y rapportaient et y convergeaient.

    Ce fut l'époque d'Antonin et de Marc-Aurèle qui marqua l'épanouissement de la littérature apologétique, mais ses produits ne nous ont pas tous été conservés.

    Les principaux apologètes de cette époque sont, dans l'Eglise grecque : Justin Martyr, auteur de deux Apologies dédiées à Antonin et à Marc-Aurèle (vers 150) ; son disciple Tatien, auteur d'un

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