La Marque des Loups
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À propos de ce livre électronique
Victor a dix ans, il ne parle pas, diagnostiqué atteint du syndrome d’Asperger, il semble condamné à vivre seul avec Valentina, son assistante de vie scolaire. Pourtant, lorsque Valentina est suspendue de ses fonctions, la mère de Victor n’a d’autre choix que de l’envoyer, accompagné de ses grands-parents, à la campagne, chez une grand-tante. Mais une fois là-bas, c’est une toute autre famille qu’il va découvrir.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Brigitte Hue-Pillette est psychologue de métier. C'est avec une plume élégante et douce qu'elle écrit ses quatre premiers romans dont les Pyrénées atlantiques et le bassin d'Arcachon sont le théâtre. Brigitte met habilement en scène de jeunes héros, au moment où leur enfance bascule, en façonnant des histoires aussi passionnantes que palpitantes.
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Aperçu du livre
La Marque des Loups - Brigitte Hue-Pillette
Brigitte Hue-Pillette
La marque des loups
Roman
Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les
Éditions La Grande Vague
Site : www.editions-lagrandevague.fr
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-38460-033-5
Dépôt légal : Mai 2022
Les Éditions La Grande Vague, 2022
PREMIÈRE PARTIE
PROLOGUE
La toute jeune fille blonde regarde le bébé endormi dans ses bras. Sa mère peine juste devant elle. Des jours de marche dans la montagne, en compagnie d’autres réfugiés, les ont épuisées. Et les passeurs se succèdent, sans que l’on sache à qui se fier.
Celui-ci est très jeune, endurant à la souffrance et au mal, il marche, la capuche de son blouson gris relevée, les épaules en avant, pour lutter contre la tempête de neige qui s’est levée de la vallée. Le brouillard les entoure depuis un moment et l’on ne distingue plus la personne devant. Le jeune guide fait une halte, pour les encorder. La jeune fille refuse, terrorisée à l’idée de dépendre totalement de sa mère devant elle. L’enfant a cessé de geindre. Elle n’a plus de lait et il a faim. Ils doivent atteindre l’Italie au lever du soleil et ensuite, ils passeront en France. Le jeune guide accepte de ne pas encorder la jeune fille, qu’il place en dernier et à qui il fait comprendre de ne pas perdre de vue l’homme devant elle.
Elle hoche la tête, soulagée de ne plus avoir sa mère devant elle, elle respire. Peut-être pourra-t-elle, une fois arrivée en France, changer de vie, ne plus dépendre d’elle. Elle trouvera un travail, gagnera sa vie, aura un appartement. Une vie en Europe, l’Eldorado, le rêve… Peut-être trouvera-t-elle un amoureux ? Elle veut ne plus se souvenir, oublier les souffrances, les horreurs de la guerre.
Seulement, elle ne peut pas laisser sa mère seule avec le bébé. Elle a proposé de l’en délester pour un petit moment, pour lui permettre de se reposer. Sa mère accepte. Elle lui donne l’enfant un moment. Pour sa mère, l’enfant est un fardeau. Un bébé aux origines douteuses. La jeune fille revoit la scène, les militaires qui débarquent, alignent les hommes de la famille, elle, cachée sous le lit, sa mère, nue à genoux. Ils tirent sur son frère et son père et les tuent à bout portant. Puis ils attrapent sa mère et la violent. Elle n’a pas proféré une seule parole. Alors qu’elle pensait qu’ils ne la trouveraient pas, l’un d’eux, suivant le regard éploré de la mère, a regardé sous le lit. Ils l’ont extirpée de sa cachette et l’ont violée à son tour sous les yeux de sa mère et devant les cadavres encore chauds de son père et de son frère.
Elles sont parties au petit matin. L’enfant est né huit mois plus tard, avant terme. Mille fois, elle a pensé l’abandonner, mais l’occasion ne s’est pas présentée.
Mais là, dans la montagne, il est presque déjà mort d’épuisement. Il suffit de le poser sur un rocher au bord du chemin, de continuer, et de l’oublier, laisser l’horreur de la guerre derrière.
Elle se décide, le brouillard la cache, il suffit d’un instant. Elle laisse la colonne prendre une légère avance, les bourrasques de neige masquent ses gestes. Elle s’avance vers les rochers, regarde à droite et à gauche, personne ne la remarque, tous sont courbés sur la route, attentifs à ne pas perdre la colonne.
Elle fait passer le bébé devant, l’emmitoufle dans sa couverture et sans un regard, l’abandonne derrière une pierre, sur le bord du chemin.
En deux enjambées, elle rejoint ses compagnons. Qui la dénoncera, qui ira vérifier ses dires ? De ses compagnons de misère, aucun ne prête véritablement attention aux autres, attentif à se fondre dans la cordée, à ne pas attirer l’attention. Chacun est une ombre, un moins que rien, un même pas homme.
Elle dira qu’il était mort, qu’elle était épuisée, qu’elle l’a perdu. Oui, c’est ça, elle dira ne plus savoir ce qu’elle en a fait, ne plus se souvenir ! Ils mettront ça sur le compte de la fatigue ou de la jeunesse, à seize ans, elle est si jeune ! Elle seule aura la force de faire ce que sa mère n’ose pas faire. Oui, il faut l’abandonner, un enfant contre nature, dans un état second, ivre de fatigue et de désespoir, elle trouve le courage de faire ça.
Sa mère, écrasée par le chagrin de ce qu’elles ont enduré, gardera le silence, et les autres ne s’occupent pas des plus malheureux qu’eux.
Chacun, fermé sur son malheur et sa volonté de survivre, s’endurcit. Nul ne s’attarde, sauf peut-être ceux dont le regard et les rires illuminent la nuit de l’exil. Comme ce jeune Éthiopien, Idriss, rencontré un soir, à la croisée des routes, en Grèce. Un géant magnifique, à la peau d’ébène et au rire communicatif. Un jeune homme qui a tout perdu, parents, amis, cousins, famille, tous dispersés aux quatre coins du monde.
Il trouve le courage de rire et de chanter, d’être malgré tout encore vivant. Ils se sont baignés sur les plages souillées par les débris des autres déjà passés. Un seul jour de répit, une journée hors du temps. Le soleil a réchauffé leurs rêves quand ils se sont endormis l’un contre l’autre, et elle a senti le besoin d’aimer.
Idriss est reparti en Allemagne. Elle a juste son numéro, griffonné sur une nappe en papier de restaurant, froissée.
Pour l’heure, elle fait taire ses doutes, oublie le petit corps abandonné dans la nuit. Elle baisse la tête, rejoint la colonne et poursuit sa route. Sa mère n’a pas réagi, l’enfant n’est jamais né. Le bébé, dans l’histoire, n’a aucune chance.
1-1
Penché sur mes cahiers d’école, je respire avec délice le parfum poivré, sucré avec un zeste de fraise, de la grande jeune fille blonde à mes côtés. Perplexe, je tente de choisir parmi mes crayons de couleur lequel ressemble le plus à l’arc-en-ciel qui se détache dans le gris du ciel, zébré par des gouttes de pluie qui s’abattent avec violence sur les toits des installations en préfabriqué de l’école. Le vacarme est assourdissant et je ne parviens pas à me concentrer. Valentina se lève, va choisir un livre dans la pile des ouvrages spécialisés qui me concernent et débordent de mon casier. Elle sélectionne un grand livre d’images sur lequel chaque mot est illustré par un dessin et où chaque lettre du début du mot est agrandie. Elle se plonge dans la lecture du livre, comme si elle le découvrait.
Au bout de plusieurs minutes, pendant lesquelles je ne parviens pas à choisir mon crayon, Valentina s’extirpe de sa lecture, prend un crayon violet et le place dans mes mains. Délivré, je peux me mettre à dessiner.
Valentina est une grande fille blonde, venue de Slovénie ou de Slovaquie, qui m’aide à l’école parce que je ne suis pas capable de me débrouiller seul. On appelle cela une « AVS ». Valentina est là pour traduire ce que demande la maîtresse et m’aider à exécuter les consignes. C’est monsieur Durban, le directeur adjoint de l’école, qui est chargé de recruter les « Assistantes de Vie Scolaire » de l’école. Les adultes, que j’écoute souvent et qui parlent devant moi sans faire attention à moi, disent que c’est difficile de trouver quelqu’un de compétent, parce que c’est un travail mal payé et qui demande beaucoup d’engagement. Alors, quand Valentina, 25 ans, 1,75 m et une poitrine à faire se damner tous les saints du paradis, comme dit ma grand-mère, s’est présentée pour le poste, elle a éclipsé de sa blondeur et de sa gentillesse toutes les autres candidates. Monsieur Durban l’a crue sur parole. Elle lui a raconté son parcours de jeune réfugiée de la guerre de Bosnie, qui a perdu toute sa famille, qui est restée un ou deux ans dans un camp près de la frontière. Elle a dit qu’elle a pu partir en France parce qu’elle suivait là-bas une formation d’institutrice, avant la guerre. Il a juste oublié de lui demander ses papiers ou un justificatif quelconque. Ce qui est un peu embêtant, car Valentina ne sait pas lire notre langue ni probablement la sienne, enfin, ça je ne sais pas, personne ne le sait, moi je le sais, mais c’est notre secret à Valentina et moi.
Valentina m’aime bien, elle me laisse mettre la tête sur sa poitrine. Et là, le nez sur le tissu embaumé de sa robe, je m’enfonce dans mes rêves, je perds la tête, et souvent je m’endors. Au bout de quelques minutes, elle bouge et me réveille doucement, puis elle me dit d’aller jouer dans la cour. J’y vais à regret. Dans la cour, il y a les autres enfants, leurs jeux turbulents qui me font peur, mes potes, enfin, surtout l’un d’eux, mon meilleur et seul ami : Arthur.
Arthur est mon seul ami. Il adore se battre. Dans la cour, il n’arrête pas de se bagarrer avec les autres enfants. Dès qu’il perd au foot, il se jette sur celui qui est dans l’autre camp et il y a bagarre générale. Les maîtresses se précipitent, tentent de séparer les enfants et, parfois, vont chercher monsieur Durban, le maître de CM2.
Le temps qu’elles le trouvent, la bagarre dégénère, il y a trois yeux au beurre noir, deux tee-shirts déchirés, des genoux écorchés, sans compter les hurlements et les protestations.
Les maîtresses séparent les belligérants et collent une punition à chacun.
Pendant ce temps, je mets en équation dans ma tête celui qui a le plus de lettres dans son prénom, avec sa place au foot, et je me demande si mon équation va me donner le vainqueur du match.
Mais avant que j’obtienne le résultat, Monsieur Durban arrive en renfort et sépare ceux qui se battent encore. Tout redevient calme. Tout le monde est bien fatigué. Monsieur Durban fait les gros yeux, tire les oreilles, met Arthur dans un coin, contre un arbre, Hugo à l’autre coin, contre la grille, et repart tranquillement discuter avec les maîtresses et la directrice, non sans avoir jeté un coup d’œil vers Valentina pour voir ce qu’elle fait. Mais Valentina a disparu. Arthur laisse passer un moment, puis, ni vu ni connu, il quitte le coin de sa punition et vient me voir. Il essuie le sang de son nez sur sa manche. J’ai changé d’équation. J’ai mis les pas des fourmis qui courent dans la cour à la place des pas des enfants.
Arthur retourne jouer avec les autres, il veut que je les rejoigne, mais je ne cours pas assez vite. Je passe trop de temps à mettre les pas des fourmis en équation dans ma tête. Je m’interdis de courir avant d’avoir terminé. Sur le terrain, en m’attendant, les autres s’énervent. Arthur me protège, au début, puis il me dit de sortir du jeu et je reste avec les fourmis.
Je m’assois par terre, à l’écart, au pied d’un arbre. Je dessine un circuit dans la terre, avec les fourmis, en laissant les joueurs de foot s’énerver tout seuls.
Pour l’équation, il faut repérer une fourmi, regarder où elle va, ce qu’elle fait, si elle porte une miette. Une fois que j’ai repéré son circuit, je m’imagine quelle place dans la hiérarchie de la fourmilière elle occupe. Une fourmilière est toujours organisée et moi je mets la hiérarchie en équation.
J’ai à peine fini le comptage, que la cloche sonne et les enfants rentrent en classe. J’ai le droit de rentrer en retard, à condition que Valentina soit d’accord, que je frappe avant d’entrer et que je ne perturbe pas la classe quand je rentre. Valentina est toujours d’accord, parce que comme ça elle peut aller faire des bisous avec Monsieur Durban, derrière la cantine.
Je les ai vus l’autre jour, alors que je suivais une fourmi qui n’avait pas de place dans la hiérarchie et qui avait décidé de quitter les autres. Elle allait au petit bonheur la chance, comme dit ma grand-mère quand elle regarde les séries à la télé et qu’il va y avoir un bisou. Les bisous à la télé, c’est comme les bisous de Valentina et Monsieur Durban, ça fait un bruit d’eau qui coule dans les tuyaux.
Donc, je suis la fourmi baladeuse, celle qui n’a pas sa place avec les autres et qui a décidé de courir le monde. Je ne réussis pas à la mettre en équation. Elle m’emmène sous les cuisines à côté de la cantine. Je me glisse sous le bâtiment, et par un trou du plancher, je vois les chaussures de Monsieur Durban. Je le sais parce qu’il a des chaussures terribles, des Air Jordan, des chaussures de basketteur. Je connais tous les scores de matches de basket des Knicks. Je les ai mis en équation, eux aussi, pour trouver qui allait gagner lors des prochains Play off, mais ça n’a rien donné.
À 11 h 30, juste avant d’aller manger, je suis sous les cuisines et ça sent drôlement bon. Valentina et moi on est censés être en classe, mais je ne suis pas rentré après la sonnerie et Valentina non plus. Les chaussures de Monsieur Durban et celles de Valentina sont les unes sur les autres. Celles de Valentina, toutes rouges et pointues avec de drôles de talons, sur celles de Monsieur Durban, qui risquent d’exploser sous leur poids, à tous les deux.
J’entends les rires de Valentina. Des rires de gorge, comme quand je lui fais du Loula Be Chérie et lui souffle doucement sur les seins. Je vois de petites gouttes de sueur qui perlent entre ses deux boobs frémissants. Quand je fais ça, Arthur est jaloux, parce que