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La route du bonheur: Roman
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Livre électronique290 pages4 heures

La route du bonheur: Roman

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À propos de ce livre électronique

"Ma chère cousine, je vous offre ce livre, dont le titre, du moins, est joli... Trouverez-vous les chapitres qui le composent à votre goût ? C'est ce que j'ignore ; mais j'y ai versé le meilleur de mon cœur et c'est par là, peut-être, qu'ils vous toucheront. Je n'ai pas de prétention aux belles-lettres, cousine, et seulement celle d'aimer la jeunesse d'un amour plein d'enchantement, de la vouloir heureuse, de tâcher de lui être utile et de m'y employer de mon mieux. L'éclosion de cette merveille délicate, frêle, légère, impulsive, qu'est une âme d'enfant, et son épanouissement vers la vingtième année, sont des spectacles miraculeux auxquels une femme — une maman surtout — ne peut rester insensible ; et c'est parce que je sens profondément la grâce de ces âmes en fleur, qui, souvent, s'ignorent, et dont le parfum est doux à respirer, que je me suis penchée tendrement vers elles. Gagner leur confiance et leur amitié ; montrer à ces jeunes filles qui, demain, seront des femmes, de quelle pâte parfois un peu difficile à pétrir, est fait le bonheur, c'est tout le but que je me suis proposé... Mon livre ne se meut pas dans le romanesque, et je m'en excuse ; il n'est sans doute pas brillant et je m'en console ; mais, ce dont je suis sûre, c'est que les femmes qui le liront verront ensuite plus clair dans leur conscience et marcheront d'un pas plus joyeux sur cette route périlleuse et charmante au bout de laquelle elles atteignent le bonheur."

À PROPOS DE L'AUTEURE

Madeleine-Yvonne Sarcey (1869-1950) est une femme de lettres et philanthrope française, fondatrice de l'université des Annales et mère de Pierre Brisson. Durant la Première Guerre mondiale, avec le chirurgien aux armées Raoul-Pierre Baudet, elle fonde l'œuvre des « Maisons claires », refuges destinés à abriter les enfants victimes du conflit et d'« empêcher les enfants prédisposés à la tuberculose de vivre dans le voisinage des contagieux ou dans de mauvaises conditions d’hygiène » ; elle sera reconnue d'utilité publique en 1917. Elle est nommée commandeur de la Légion d'honneur le 21 mars 1934. Elle est enterrée avec son père et son mari au cimetière de Montmartre (division 2).
LangueFrançais
ÉditeurLibrofilio
Date de sortie13 juil. 2021
ISBN9782492900136
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    La route du bonheur - Yvonne Sarcey

    Yvonne Sarcey

    La route du bonheur

    PRÉFACE

    Ma chère cousine, je vous offre ce livre, dont le titre, du moins, est joli... Trouverez-vous les chapitres qui le composent à votre goût ? C'est ce que j'ignore ; mais j'y ai versé le meilleur de mon cœur et c'est par là, peut-être, qu'ils vous toucheront. Je n'ai pas de prétention aux belles-lettres, cousine, et seulement celle d'aimer la jeunesse d'un amour plein d'enchantement, de la vouloir heureuse, de tâcher de lui être utile et de m'y employer de mon mieux. L'éclosion de cette merveille délicate, frêle, légère, impulsive, qu'est une âme d'enfant, et son épanouissement vers la vingtième année, sont des spectacles miraculeux auxquels une femme — une maman surtout — ne peut rester insensible ; et c'est parce que je sens profondément la grâce de ces âmes en fleur, qui, souvent, s'ignorent, et dont le parfum est doux à respirer, que je me suis penchée tendrement vers elles. Gagner leur confiance et leur amitié ; montrer à ces jeunes filles qui, demain, seront des femmes, de quelle pâte parfois un peu difficile à pétrir, est fait le bonheur, c'est tout le but que je me suis proposé... Mon livre ne se meut pas dans le romanesque, et je m'en excuse ; il n'est sans doute pas brillant et je m'en console ; mais, ce dont je suis sûre, c'est que les femmes qui le liront verront ensuite plus clair dans leur conscience et marcheront d'un pas plus joyeux sur cette route périlleuse et charmante au bout de laquelle elles atteignent le bonheur.

    Et d'abord, cousine, avez-vous remarqué combien le bonheur est chose mystérieuse, imprécise, fuyante ? On croit le saisir, et,

    déjà, il a pris une forme nouvelle ; le bonheur qu'on espérait hier, avec une ardeur passionnée, et qu'on tient aujourd'hui, n'est presque plus du bonheur ; il semble que, par je ne sais quelle fatalité secrète, il perde sa force dès qu'on le touche, et c'est sans doute la raison pour laquelle tant de gens heureux ne connaissent pas leur bonheur. Ils courent comme des fous à sa recherche, alors qu'il est blotti à leurs pieds et, s'ils voient clairement celui qui n'est pas leur lot, mais le bien du voisin, chez eux leurs yeux sont aveugles.

    Ne trouvez-vous pas étrange, cousine, que les plus sensés d'entre nous éprouvent ce sentiment d'ingratitude envers tout bonheur acquis, et cette soif inextinguible d'en conquérir de nouveaux ? Parmi les souhaits que vous formuliez dans votre jeunesse, sans oser croire que la fortune les exaucerait, combien se sont réalisés dont vous avez oublié jusqu'aux désirs qu'ils éveillaient en vous ? Je me souviens parfois, avec un sourire de pitié, des rêves de mon enfance, si modestes, si candides, si ingénus, et qui, dans ce temps, me semblaient orgueilleux et beaux ! Je rêvais... Que ne rêve-t-on pas à seize ans, quand on doit gagner sa vie et qu'on veut mériter tous les bonheurs ? C'est l'âge où l'on ramasse avec allégresse des miettes de plaisir, en les prenant pour des joies immenses. C'est l'âge où l'on reste toute une nuit éveillée parce que votre première élève fut contente de sa première leçon et que vous découvrez un paradis peuplé de petites virtuoses et des horizons d'indépendance et de fortune. C'est l'âge où vous pleuriez d'amour en songeant :

    — M aimera-t-il jamais comme je l'aime et me le dira-t-il un jour ?...

    C'est l'âge, enfin, exquis et puéril, où l'on compte comme une faveur la promenade avec des amies dans un mauvais fiacre, où l'on croit que le comble de la fortune est de vivre avec dix mille francs par an.

    Or, cousine, ces rentes royales qui représentèrent le summum de vos ambitions tant que vous ne les eûtes pas, dès qu'elles vous appartiennent, ne sont plus qu 'un pauvre jouet cassé. Elles n'ont plus la valeur que leur prêtait votre espérance, mais seulement celle que leur donne la comparaison, et, à mesure que vous avancez dans la richesse, vos besoins, augmentés en d'étranges proportions, vous laissent plus pauvre qu'au temps de votre véritable médiocrité. Il en va souvent ainsi du bonheur. Perché trop haut, par la vanité des hommes, l'ascension en est chaque jour plus vertigineuse, et la cime en devient inaccessible.

    Ah ! cousine, savoir se contenter d'un bonheur loyal, honnête, fait de tendresse, de travail, de raison et de poésie ; le reconnaître au passage, l'aimer dévotement, le cultiver comme une plante rare, le laisser croître sans hâte, l'embellir chaque jour davantage, n'est-ce point un art miraculeux ?... Et, cependant, on ne l'inculque guère aux jeunes filles. On se contente de les laisser pousser dans une atmosphère de gâteries, de flatteries, de sévérités inattendues, de veuleries subites, de conversations malsaines,

    tout à fait néfastes à la santé de leur âme. On leur raconte qu'elles sont au monde pour s'amuser, et elles le croient ; que Dieu les marqua pour être l'objet de l'adoration des hommes, de l'admiration des femmes, et elles en demeurent persuadées. On leur enseigne qu'il faut cogner a droite, pousser à gauche, pour s'arroger la meilleure place et cela ne suscite dans leur esprit aucun doute ; enfin, on leur répète, sans se lasser, que la fortune est la base la plus solide, la plus honorable du mariage et du bonheur. Et lorsqu'on les a démoralisées jusqu'aux larmes, jusqu'aux moelles, jusqu'au sang, on s'étonne qu'elles ne sachent pas construire des foyers heureux, ni donner le bonheur, ni le retenir entre leurs mains maladroites, ni même le distinguer, et qu'elles désertent une route qu'elles ne connaissent pas et qui leur fait peur..., la route un peu montante, un peu caillouteuse, mais si lumineuse et belle du bonheur.

    ...Cousine, en repasssant quelquefois le cours de votre vie, vous êtes-vous demandé quelles furent les minutes divines pendant lesquelles vous avez connu les suprêmes félicités du bonheur, celles qui ne s'effacent jamais de la mémoire, et dont le souvenir suffit à éblouir une existence.

    Si vous l'avez fait, vous avez pu constater avec surprise que ce ne sont ni les coups triomphants de la fortune, ni les événements remarquables que la destinée mit sous vos pas qui vous secouèrent du grand frisson, Ceux-là s'oublient vite pour les raisons que je vous ai dites, Ce sont, le plus souvent, de très petites choses, des riens que le sentiment seul rendit précieux et dont le cœur se souvient : un mot banal prononcé par la voix que vous attendiez avec un accent d'adoration qui vous remua le fond de l'âme ; l'encouragement d'un ami cher dans un jour de détresse morale ; quelquefois moins encore ; une lettre, un regard, un geste affectueux ; le premier sourire de l 'enfant qu 'on crut perdu et qui jeta ses petits bras décharnés autour de votre cou en disant : « Maman, ma petite maman ! »

    comme s'il devinait que votre amour lui eût rendu la vie ; un anniversaire que vos chéris fêtèrent avec des vers délicieusement naïfs et gauches, et tendres, un jour que leur bourse était à sec.

    Tenez, cousine, il me revient un souvenir de bonheur que je vais vous dire, car vous en fûtes l'objet.

    J'écrivais, dans les Annales, une de ces lettres que vous avez coutume de lire et qu'à cette époque je signais du pseudonyme tout court de « Cousine Yvonne ». Après en avoir pris connaissance avec votre indulgence habituelle, vous me dépêchâtes un petit billet disant à peu près ceci :

    «  Ne seriez-vous pas, par hasard, la fille de l'Oncle ? Dans votre manière de penser et d écrire, je retrouve un peu du bon sens et le tour d'esprit de notre cher Francisque Sarcey, que nous avons tant aimé. »

    Ce jour-là, cousine, votre lettre trembla dans ma main, et je ressentis une de ces joies profondes qui vous soulèvent d émotion et vous mettent des larmes de joie dans les yeux.

    Un autre jour, une de vos cousines m'envoya une confidence, presque une confession, tragique, terrible, désespérée, et elle ajoutait... Mais non ! je dois me taire, sans quoi je manquerais de modestie... Cependant, souvent, bien souvent, quand je perds confiance ou courage, je songe à cette inconnue à qui, sans le savoir, je redonnai le goût de vivre, et je me dis :

    — Qu importe que ma prose soit bonne ou mauvaise, si elle suffit à remettre une créature faible, désemparée ou inconsciente, sur la route du bonheur, qui est aussi celle du devoir et de la bonté ! N'apporterait-elle de réconfort qu'à une seule de ces créatures, ma tâche ne serait point vaine et vaudrait encore d'être accomplie.

    C' est pour cette inconnue que j'écris et pourquoi très simplement, cousine, je vous offre ce livre.

    YVONNE SARCEY.

    I - LA JEUNE FILLE

    I - La Jeunesse qui s'ennuie

    Ma chère cousine, concevez-vous qu'il existe sur terre des femmes, des jeunes filles, munies de leurs deux yeux, d'un cervelet, d'une paire de bras et de jambes, d'une bouche et de deux oreilles, et qui s'ennuient !

    Elles parviennent à s'ennuyer ! Elles accomplissent ce prodige de passer comme des aveugles, des sourdes, des muettes, des infirmes, devant le plus magnifique et le plus divertissant des spectacles : la vie.

    Autour d'elles, on aime, on travaille, on souffre, on est heureux, et elles s'ennuient !

    Les chefs-d'œuvre éclosent, les fleurs s'épanouissent, le monde s'anime, la nature s'emplit d'allégresse, la science s'enorgueillit de trouvailles, les hommes s'agitent dans un océan de passions, l'orage gronde ou le ciel s'apaise, des enfants entr'ouvrent au soleil leur petite âme émerveillée, et ces maladroites s'ennuient !

    N'est-ce point miraculeux ?

    Alors qu'on voudrait pouvoir vivre quatre vies à la fois, pour les emplir toutes et les trouver trop courtes encore ; alors que chaque jour s'écoule, laissant le regret de n'avoir point lu le livre qu'on aime, de n'avoir pas serré dans ses bras les amis qui vous sont chers, de n'avoir pas vu le tableau, l'exposition, le pays, la merveille, enfin, qui liante votre imagination et dont vous voudriez rassasier votre cœur ardent, des créatures, saines d'esprit et de corps, s'ennuient !

    Elles circulent au travers de l'émouvante, dramatique et joyeuse comédie humaine sans y rien comprendre, pareilles à ces voyageurs qui demeurent solitaires en tous pays, n'arrivant à saisir ni son idiome, ni sa gaieté, ni ses tristesses. On enseigne tant de choses vaines aux jeunes filles, et on ne leur apprend pas à adorer ce pourquoi elles sont faites  : la vie ! — la vie dans toutes ses manifestations de joie et de douleurs, de rires et de larmes, de travail et de plaisir. On les guinde dans des attitudes, on les paralyse dans un moule de bienséance, on les emprisonne dans de stériles conventions, on leur applique des œillères solides tout autour de la tête, on s'évertue à tuer chez elles les mouvements spontanés de leur âme, le rire qui s'échappe de leur bouche, la passion de leurs intrépides jugements... On rabote à l'alignement tous ces adorables symptômes de vie et de jeunesse, sans se douter qu'on commet une manière de crime, qu'on mûrit et dessèche pour l'Ennui des cœurs sans doute pleins de sève et de flamme !

    Avez-vous, parfois, rencontré dans un salon, une salle de spectacle, de réunion quelconque, la jeune personne qui, partout, s'ennuie, justement parce qu'on ne l'a pas accoutumée à ne s'intéresser à rien qui en valût la peine ?

    Près d'elle, la conversation meurt, faute d'aliment ; le rire ne trouve pas d'écho, l'amitié se fige, l'air devient glacé, les contacts électriques sont interrompus. Entend-elle un artiste, c'est à peine si elle l'applaudit ; écoute-t-elle des vers ou de la musique, ils ne la touchent pas. Sa sensibilité ne s'émeut jamais, sa pitié pas davantage, le pittoresque des gens et des choses lui échappe, l'intérêt passionnant du travail sous toutes ses formes, de l'art sous tous ses aspects et des idées qui soulèvent notre bouillante machine ronde : tout, jusqu'à la grâce des enfants, la laisse indifférente.

    Elle s'ennuie à périr ; mais elle vous ennuie bien davantage.

    Est-ce de sa faute ? Pas tout à fait... On ne l'a pas élevée dans l'amour de la vie, on ne lui a pas délivré les secrets ; et, comme les distractions factices dont on lui a donné le goût ne suffisent pas à remplir une existence, elle s'ennuie éperdument, et s'ennuie d'autant plus qu'un instinct mystérieux l'avertit qu'elle fait fausse route.

    Jamais il ne devrait être permis à un être pourvu de quelque sens commun de prononcer ce blasphème : « Je m'ennuie », car seules s'ennuient les désœuvrées qui n'ont pas de but et ne savent mettre dans leur vie ni l'amitié, ni le dévouement, ni la chaleur, ni le travail, qui l'animent et lui donnent un sens.

    L'admirable femme qui m'éleva, et dont je vénère pieusement la mémoire., avait coutume de répéter ce conseil qui renferme tout un programme :

    — Paye de ta personne.

    Quand la timidité de l'enfance paralysait les faibles moyens dont la nature m'avait pourvue, elle disait :

    — Une petite fille qui a du cœur n'est pas timide ; elle songe d'abord au plaisir des autres, et cela lui donne le courage d'être aimable, de causer, de « payer de sa personne ».

    Combien de fois l'ai-je entendu, ce bout de phrase qui, encore aujourd'hui, tinte par le souvenir dans mes oreilles et me sert de guide !

    Si, par hasard, devant elle, on faisait cette remarque qu'un voisin de table vous avait mal diverti, sans se troubler, elle répliquait :

    — Tu n'avais qu'à l'amuser.

    Avait-on le malheur de constater que le salon de Mme X... était mortellement froid :

    — Que ne l'as-tu réchauffé ! disait-elle avec une logique imperturbable.

    Avouait-on s'être ennuyé chez quelque amie : — N'étais-tu donc pas là ? répondait-elle malicieusement,

    Partout et constamment, il fallait « payer de sa personne ». Elle exigeait que l'on jouât ou chantât tant bien que mal son « morceau » pour complaire aux vieilles dames, ou rompre la monotonie d'une soirée ; elle n'admettait point que l'on ne s'occupât pas des petits enfants, « de ces pauvres chéris qui, peut-être, ne s'amusent pas », et il fallait s'ingénier à les divertir ; elle demandait la lecture à haute voix pour les grand-mères aux yeux fatigués, et une foule de commissions utiles pour les amis. Il fallait que l'on dépensât de la bonté active pour les malheureux et qu'on donnât ses soins ou le réconfort d' une visite aux malades ou aux reclus. Elle n'était point satisfaite si on ne lui contait en détail, et de son mieux, les menus incidents du jour, si on n'égayait point de sa conversation chaque repas. Elle appelait cela : « Payer de sa personne, » ou bien, encore : « Faire les frais de son cœur. » Et c'était, pour cette femme charmante, le commencement et la fin de toute sagesse, et à peu près les seuls principes sur lesquels elle basait l'éducation. Et cela peut vous paraître puéril, cousine, au premier aspect ; mais, si vous réfléchissez un instant, vous comprendrez que cette philosophie simpliste n'était cependant point vaine.

    Elle apprenait à tirer son plaisir de soi et non à l'attendre des autres ; elle forçait à répandre la chaleur de son âme, à projeter au dehors — et quelque peine que l'on en éprouvât — le meilleur de son esprit, à faire de la vie et à « donner », en un mot, plutôt qu'à recevoir ; et c'est là un des secrets les plus sûrs du bonheur, et le meilleur remède contre l'Ennui.

    Remarquez bien les gens atteints de l'affreuse maladie de l'Ennui. Ils sont tous reconnaissables à ce signe particulier : qu'ils ne payent jamais de leur personne ; ils attendent qu'on les amuse et qu'on les aime, qu'on s occupe d eux éternellement : ils sont des foyers éteints d'où l'étincelle ne peut jaillir.

    — On peut rêver quelque chose de plus terrible qu'un Enfer où l'on souffre, disait Victor Hugo : c'est un Enfer où l'on s'ennuierait.

    Accoutumez vos jeunes amies à « payer de leur personne ». Ce sera toujours cela de pris sur l'Ennemi, — je veux dire sur l'Ennui.

    II - La Chance

    Ma chère cousine. Avez-vous lu, cette semaine, ce fait-divers que les journaux ont relaté, et qui nous apprit, en quelques lignes poignantes, le suicide d'une jeune fille de dix-neuf ans ?

    A dix-neuf ans ! à l'âge radieux des rêves, il se trouva une petite âme assez désenchantée pour quitter tout ce que l'on aime sur cette terre : le soleil, la nature, l'amour, le travail, l'amitié.

    Il arriva cette aventure inconcevable : qu'une volonté de dix-neuf ans, fébrile et frémissante, traduisit, en un geste de mort, la somme d'énergie qu'elle eût pu répandre sur une longue existence.

    A dix-neuf ans, de plein gré, une jeune fille, d'un coup de revolver rapide, éteignit l'éclat de deux yeux, la chaleur d'un cœur, et le mouvement, et la peine, et la joie, et la souffrance, et le bonheur, et tout ce qui fait la beauté de la vie.

    Devant la destinée pleine de mystérieux points d'interrogation, une fillette fut terrifiée, et, plutôt que d'entrer en lutte avec elle, elle préféra mourir comme cela, tout de suite, sans en savoir plus long.

    A dix-neuf ans, une enfant désespéra. Pauvre petite !

    Elle se nommait Fernande, et la raison de sa tragique résolution fut qu'elle venait d'échouer à un examen de chant au Conservatoire... Cela suffit pour qu'elle doutât d'elle-même à tout jamais... Elle se coucha dedans un lit bien blanc, et, crispant dans ses menottes un vilain joujou qui n'est pas fait pour les petites filles, elle tua sa beauté, elle tua ce qui fait que l'on adore les enfants... Elle tua la merveilleuse espérance.

    Ah ! la lugubre histoire.

    Est-il croyable qu'une imagination de dix-neuf ans soit desséchée au point de ne pas connaître la foi..., cette belle foi radieuse de la jeunesse qui bouscule les obstacles et s'envole vers le ciel ? A cet âge, cependant, tous les hommes semblent des princes Charmant et l'avenir luit dans le lointain comme un soleil ; c'est l'âge où l'on aime, où l'on croit, où l'on pleure ; c'est l'âge charmant où les chagrins n'ont pas de lendemains, où les larmes ont des sourires.

    Il est possible de souffrir à dix-neuf ans ; mais quand, au premier détour du chemin, l'horizon brusquement peut s'éclairer, l'amour éclater comme un bourgeon d'avril ; quand, devant soi, l'inconnu se dresse, avec tout le bonheur qu'il promet, il est fou de déserter la vie.

    Et l' on songe tristement que cette pauvre petite, qui s'en fut dans la tombe, manqua, sans doute, de tendresse ou de direction. Elle ne connut pas le sens si beau de la destinée ; on ne lui répéta point que « tout s'arrange dans la vie », pourvu qu'on le veuille avec ardeur.

    Avez-vous remarqué que ce sont toujours les mêmes qui ont sujet de se plaindre de l'existence ou de s'en louer ?... C'est que les uns brûlent de cette flamme divine qu'on appelle le feu sacré. L'obstacle ne leur fait pas peur ; ils foncent dessus, et si, par hasard, ils se cassent un peu le nez, ils se le frottent et recommencent. Ils montent à l'assaut du mystérieux avenir comme les preux, jadis, enlevaient les citadelles. Ils vont, cognés, cognant, toujours droit au but. Les échecs stimulent leur énergie ; les entraves excitent leur imagination ; les périls divertissent leur courage. Et quand, meurtris, fatigués, heureux, ils ont vaincu, les autres, là-bas, — ceux qui attendent dans l'inaction qu'un bonheur problématique tombe du ciel, — les autres remarquent, avec dépit, que leurs voisins ont... de la chance.

    Si les jeunes filles savaient de quelle pâte la « chance » est faite, elles deviendraient optimistes et vaillantes ! Elles observeraient que la «  chance » est presque un art qui consiste à tourner la mauvaise fortune, à tirer parti du malheur, à se retrouver quand même sur ses pieds, à rebondir toujours. Les gens auxquels la chance sourit comptent généralement pour rien peines et fatigues ; ils ignorent le découragement. Ils ne s'arrêtent pas à la contemplation douloureuse d'un passé qui ne reviendra plus ; ils songent à améliorer le présent, à préparer l'avenir.

    Ils ressemblent à ces généraux habiles qui, esquivant traquenards, embûches et chausse-trapes, reçoivent bravement les horions et saisissent au vol la victoire.

    La chance, cousine, c'est une manière de victoire perpétuelle sur la fatalité, sur les événements, sur les hommes, sur les choses.

    Et si je plains de tout mon cœur ceux qui n'en ont pas, je ne puis m'empêcher de reconnaître qu'il y a souvent de leur faute. On n'apprend pas assez aux enfants à diriger leur chance, c'est-à-dire à aimer la vie, bêtement, simplement, telle qu'elle est. Ils la redoutent, ils ont peur de l'inconnu ; ils n'osent aller jusqu'au bout d'une pensée, ni prendre une résolution. Le moindre obstacle les épouvante ; ils craignent leur ombre, ils tremblent devant une responsabilité, ils ont la terreur du lendemain, un échec les rend fous, un chagrin les décourage à jamais, un examen raté les conduit au tombeau. Ils n'ont pas de chance, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas la foi.

    La chance, comme le soleil, ne manque jamais de tourner. Elle revient, cependant, infailliblement à ceux qui, pleins de résolution, attendent son retour.

    Je me souviens d'une pauvre petite orpheline d'excellente famille, âgée de seize ans, qui, elle aussi, un jour, manqua un examen du Conservatoire ; elle n'avait plus un centime, plus de parents, plus d'amis, et seulement ses deux beaux yeux gris pour pleurer. Elle croyait à son talent sur

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