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Droit et dissimulation
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Livre électronique435 pages5 heures

Droit et dissimulation

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À propos de ce livre électronique

La dissimulation est entendue comme « l’art de composer ses paroles ou ses actes pour une mauvaise fin ». Elle a d’innombrables facettes et son objet est varié (données personnelles, informations de toutes sortes, actes ou faits juridiques), tout autant que ses modalités (allant du simple silence aux montages plus ou moins complexes destinés à échapper à l’impôt, en passant par le mensonge, les contrats volontairement mal nommés, etc.). On la rencontre partout : chez les particuliers, au cœur des familles, dans les entreprises, les prétoires, et même au sein de l’État. Le rapprochement de divers textes (notamment les lois du 4 janvier 2010 consacrant le secret des sources journalistiques et du 11 octobre 2010 incriminant la dissimulation du visage dans les lieux publics), le rapport de la Cour de cassation pour 2010, des phénomènes de société, telle la prolifération des réseaux sociaux et des émissions de télé-réalité, ou encore des débats sensibles, tels le secret-défense, le port du voile, suscitent de nombreuses interrogations. Quelle(s) réponse(s) le droit, privé, public, européen, doit-il apporter à la dissimulation ? Comment établir la frontière entre le « secret » digne de protection et la dissimulation prohibée, entre ce qui peut, ou doit, être tu, et ce qui, au contraire, peut, ou doit, être révélé ?
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie12 juin 2013
ISBN9782802743163
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    Droit et dissimulation - Bruylant

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.bruylant.be

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe De Boeck.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

    Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    © Groupe Larcier s.a., 2013

    Éditions Bruylant

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie)

    partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    EAN : 978-2-802-74316-3

    La collection « Penser le Droit »

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    Juge à la Cour Européenne des Droits de l’homme

    PARUS DANS LA MÊME COLLECTION

    1. Classer les droits de l’homme, sous la direction de Emmanuelle BRIBOSIA et Ludovic HENNEBEL, 2004.

    2. La société civile et ses droits, sous la direction de Benoît FRYDMAN, 2004.

    3. L’auditoire universel dans l’argumentation juridique, par George C. CHRISTIE.

    Traduit de l’anglais (américain) et présenté par Guy HAARSCHER, 2005.

    4. Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, par Benoît FRYDMAN, 3e édition, 2011.

    5. Philosophie de l’impôt, sous la direction de Thomas BERNS, Jean-Claude DUPONT, Mikhaïl XIFARAS, 2006.

    6. Responsabilités des entreprises et corégulation, par Thomas BERNS, Pierre-François DOCQUIR, Benoît FRYDMAN, Ludovic HENNEBEL et Gregory LEWKOWICZ, 2006.

    7. Dire le droit, faire justice, par François OST, 2007.

    8. Généalogie des savoirs juridiques contemporains. Le carrefour des lumières, sous la direction de Mikhaël XIFARAS, 2007.

    9. La vertu souveraine, par R. DWORKIN. Traduit de l’anglais (américain) et présenté par Jean-Fabien SPITZ.

    10. Juger les droits de l’homme. Europe et Etats-Unis face à face, par Ludovic Hennebel, Gregory LEWKOWICZ, Guy HAARSCHER et Julie ALLARD, 2007.

    11. La prohibition de l’engagement à vie, de la condamnation du servage à la refondation du licenciement. Généalogie d’une transmutation, par Alain RENARD, 2008.

    12. L’Europe des cours. Loyautés et résistances, par Emmanuelle Bribosia, Laurent SCHEEK, Amaya UBEDA de TORRES, 2010.

    13. L’imaginaire en droit, sous la direction de Mathieu DOAT et Gilles DARCY, 2011.

    14. Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, par Benoît FRYDMAN, 3e édition, 2011.

    15. La science du droit dans la globalisation, sous la direction de Jean-Yves CHÉROT et Benoît FRYDMAN, 2012.

    16. Théorie bidimensionnelle de l’argumentation juridique. Présentation et argument a fortiori, par Stefan GOLTZBERG, 2012.

    17. Dire le droit, faire justice, 2e édition par François OST, 2012.

    Cet ouvrage est dédié à la mémoire

    de Monsieur le Bâtonnier Bernard Blanchard,

    éminent spécialiste du droit

    et de la déontologie de la profession d’avocat

    Sommaire

    Propos introductifs

    Agnès CERF- HOLLENDER

    PREMIÈRE PARTIE

    Dissimulation dans la sphère privée et familiale

    Dissimulation et droit de la filiation

    Annick BATTEUR

    Dissimulation et vie privée

    Jean-Pierre MARGUÉNAUD

    Dissimulation et droit patrimonial de la famille

    Thierry LE BARS

    Dissimulation et mariages blancs

    Gilles RAOUL- CORMEIL

    Dissimulation et droit des étrangers

    Catherine- Amélie CHASSIN

    DEUXIÈME PARTIE

    Dissimulation dans la sphère professionnelle Dissimulation

    Dissimulation et droit des sociétés

    Jean- Christophe PAGNUCCO

    Dissimulation et droit du travail

    Bernard GAURIAU

    Dissimulation et droit pénal de l’entreprise

    Agnès CERF- HOLLENDER

    TROISIÈME PARTIE

    Dissimulation dans la sphère fiscale et financière

    Dissimulation et fraude fiscale

    Thierry LAMULLE

    Dissimulation d’une partie du prix de vente : droit civil et fiscal

    Odile SALVAT

    Dissimulation, corruption et blanchiment

    Juliette LELIEUR

    QUATRIÈME PARTIE

    Dissimulation dans la sphère procédurale

    Dissimulation et procédure civile

    Karim SALHI

    Dissimulation et procédure pénale

    Raphaële PARIZOT

    Dissimulation et secret des sources journalistiques

    Jean- Manuel LARRALDE

    Rapport de synthèse

    Agnès CERF- HOLLENDER

    Propos introductifs

    par

    AGNÈS CERF-HOLLENDER

    Maître de conférences de droit privé, Université de Caen, Centre de recherche en droit privé (CRDP EA 967)

    Trois évènements survenus au cours de l’année 2010 ont inspiré le thème de ce colloque : la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, la très médiatisée loi du 11 octobre 2010 incriminant la dissimulation du visage dans les lieux publics, et le rapport de la Cour de cassation pour 2010, consacré au « Droit de savoir ». Qu’ont-ils en commun ? Leur rapprochement ne peut qu’interroger sur l’attitude du droit face à la dissimulation.

    Dans l’avant propos du rapport de la Cour de cassation, Madame le professeur Agathe Lepage écrit que : « La transparence, censée incarner de nombreuses vertus – vérité, honnêteté, intégrité, loyauté, efficacité, etc. –, est prônée parfois comme un idéal ». Mais, poursuit-elle, « une saine transparence ne doit pas avoir pour objet d’anéantir la discrétion, la réserve, la rétention, le secret, mais de se concilier aussi harmonieusement que possible avec eux »¹. Certains silences, secrets sont ainsi protégés par la loi, qui considère qu’ils doivent primer, au nom d’intérêts supérieurs, allant jusqu’à interdire leur révélation sous peine de sanctions.

    La dissimulation ne doit pas être confondue avec la réserve, la confidentialité, le secret. Si elle s’en rapproche dans ses modalités (cacher, taire) et certains de ses effets (laisser dans l’ignorance de faits ou d’actes juridiques les tiers ou les pouvoirs publics), elle s’en distingue par le but recherché par son auteur. La dissimulation est classiquement définie comme « un certain art de composer ses paroles et ses actions pour une mauvaise fin »². Derrière le terme dissimulation transparaît la duplicité, le mensonge, le désir de tromper. À l’opposé des vertus prêtées par Madame Lepage à la transparence, la dissimulation reflèterait de nombreux vices : l’hypocrisie, la malhonnêteté, la déloyauté… autant de vices qui appellent une réprobation du droit.

    Les choses peuvent ainsi sembler, a priori, claires. D’un côté la dissimulation, parce qu’elle est fourberie, doit être interdite et sanctionnée. De l’autre, le secret, en raison de sa légitimité, doit être garanti et protégé.

    Pourquoi alors consacrer un colloque au thème « Droit et dissimulation » ? Car la clarté n’est qu’apparence, et les deux lois précitées du 4 janvier et 11 octobre en attestent : y a-t-il vraiment une « mauvaise fin » dans le seul fait de dissimuler son visage dans l’espace public, justifiant son incrimination ? Le secret des sources journalistiques va-t-il jusqu’à justifier le refus de révéler des informations cruciales pour le démantèlement de réseaux pédophiles ou terroristes ? Ces questions en appellent d’autres, plus générales : quelles sont les frontières de la dissimulation, en particulier dans ses relations avec les « secrets » dignes de protection ? Est-elle toujours, en toute hypothèse, sanctionnée ? Si tel n’est pas le cas, quelles sont les motifs expliquant que le droit puisse la tolérer, voire l’organiser ou la protéger ?

    Afin de tenter de répondre à ces questions sans a priori sur l’attitude du droit face à la dissimulation, le parti a été pris de décliner le déroulement du colloque en fonction des principales sphères dans lesquelles cette dernière est susceptible de se manifester : sphère privée et familiale, professionnelle, fiscale et financière, procédurale, en choisissant, dans chacune d’elles, quelques branches du droit.

    Cet ouvrage se décompose en quatre parties, chacune correspondant à l’une des demi-journées du colloque.

    La première partie est consacrée à la dissimulation dans la sphère privée et familiale (demi-journée présidée par M. Bertrand Diet, vice-président du TGI de Rouen) : dissimulation et droit de la filiation (Mme Annick Batteur, professeur à la faculté de droit de Caen), dissimulation et droit au respect de la vie privée (M. Jean-Pierre Marguénaud, professeur à la faculté de droit de Limoges), dissimulation et droit patrimonial de la famille (M. Thierry Le Bars, professeur à la faculté de droit de Caen), dissimulation et mariages « blancs » ou « gris » (M. Gilles Raoul-Cormeil, maître de conférences à la faculté de droit de Caen), dissimulation et droit des étrangers (Mme Catherine-Amélie Chassin, maître de conférences à la faculté de droit de Caen).

    La deuxième partie est consacrée à la dissimulation dans la sphère professionnelle (demi-journée, présidée par Mme Corinne Regnault, professeur à la faculté de droit de Caen) : dissimulation et droit des sociétés (M. Jean-Christophe Pagnucco, maître de conférences à la faculté de droit de Caen), dissimulation et droit du travail (M. Bernard Gauriau, professeur à la faculté de droit d’Angers et avocat au Barreau de Paris), dissimulation et droit pénal de l’entreprise (Mme Agnès Cerf-Hollender, maître de conférences à la faculté de droit de Caen).

    La troisième partie est consacrée à la dissimulation dans la sphère financière et fiscale (demi-journée, présidée par M. Sébastien Botreau-Bonneterre, directeur de l’Institut international des droits de l’homme et de la paix) : dissimulation et fraude fiscale (M. Thierry Lamulle, directeur du DJCE de Caen, maître de conférences à la faculté de droit de Caen), dissimulation au fisc d’une partie du prix de vente (Mme Odile Salvat, professeur à la faculté de droit de Caen), blanchiment et corruption (Mme Juliette Lelieur, maître de conférences à la faculté de droit de Strasbourg).

    La quatrième partie est consacrée à la dissimulation dans la sphère procédurale (demi-journée, présidée par M. Gilles Straehli, conseiller à la chambre criminelle de la cour de cassation) : dissimulation et procédure civile (M. Karim Salhi, maître de conférences à la faculté de droit de Caen), dissimulation et procédure pénale (Mme Raphaële Parizot, professeur à la faculté de droit de Poitiers), secret des sources journalistiques (M. Jean-Manuel Larralde, professeur à la faculté de droit de Caen), et secret professionnel de l’avocat (M. le Bâtonnier Bernard Blanchard).

    1. Rapport annuel de la Cour de cassation 2010, La documentation française, consultable sur le site de la Cour de cassation, spéc. pp. 69 et 75.

    2. LA BRUYÈRE, Les Caractères de Théophraste, trad. du grec, Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, p. 40.

    PREMIÈRE PARTIE

    Dissimulation

    dans la sphère privée

    et familiale

    Dissimulation et droit de la filiation

    par

    ANNICK BATTEUR

    Professeur de droit privé, Université de Caen, Centre de recherche de droit privé (CRDP EA 697)

    Traiter le thème de la dissimulation en droit de la famille, et plus spécialement en droit de la filiation, est un défi passionnant à relever, tant cette branche du droit recèle ou a recelé des dispositions susceptibles d’être rattachées à cette idée que le droit non seulement peut protéger un secret, mais contribuer à le mettre en œuvre. Le droit de la filiation a en effet toujours ouvert la possibilité de couvrir certains secrets de famille : l’on a longtemps pensé qu’il était bon pour l’enfant de ne pas connaître les circonstances jugées honteuses de sa conception ; ou bien, on estimait qu’il ne fallait pas que l’entourage et les tiers soient confrontés à ce qui était lié à une conception ou une naissance maudite d’un enfant.

    La famille est le lieu même où se tissent des secrets de toutes sortes, à savoir des événements connus d’un nombre limité de personnes qui cherchent à le cacher. Une injonction est donnée de rester dans le non-dit. Ces secrets peuvent concerner un événement réprouvé par la société, ou par la morale de la famille ou du clan. Par exemple une relation incestueuse, une filiation adultérine, un accouchement sous X, une supposition ou une substitution d’enfants… On sait aujourd’hui que les effets des non-dits familiaux, des secrets de famille sont générateurs de troubles psychiques de grande importance. Un certain nombre de psychanalystes et autres thérapeutes ont démontré la violence des secrets de famille, non seulement à l’égard de celui qui est directement concerné par l’événement familial qui lui est caché, mais aussi à l’égard des membres de sa famille et des générations postérieures. Il existe des répétitions d’une génération à l’autre dans toutes les familles : elles interviennent dans le nombre d’enfants nés à chaque génération, dans le choix d’un conjoint, d’un prénom, etc. Mais ces répétitions semblent jouer un rôle important dans l’apparition de certaines maladies ou le déroulement d’un accident, l’âge d’un décès : les situations qui semblent pourtant personnelles obéissent à des répétitions inconscientes. Le secret entretenu autour d’une conception ou d’une naissance est terrifiant, car il concerne non seulement celui à qui est cachée la situation, mais aussi les enfants et petits-enfants du porteur de secrets : des générations peuvent en subir des répercussions graves. C’est ainsi qu’a été démontré le rôle joué par les secrets dans les familles de psychotiques.

    Face à cette violence désormais connue du secret, à ses effets dévastateurs, on pourrait penser que le droit de la famille avait su s’adapter, et ne plus prêter main-forte à ceux qui en sont les initiateurs. Pourtant, ce n’est pas le cas. La difficulté est que l’appréhension du secret par les spécialistes des sciences sociales est assez nouvelle, et qu’elle ne fait pas l’objet encore d’une unanimité. Comme toujours sous l’angle du droit, d’autres forces concurrentes se manifestent et tendent vers le maintien du système existant. Le droit de la famille, qui est un droit qui reflète l’état des mœurs, n’est pas systématiquement opposé à couvrir certains secrets, et s’accommode de certains d’entre eux. Il lui arrive encore d’organiser la dissimulation, notamment en droit de la filiation. Il est particulièrement intéressant de réfléchir à la manière dont la loi participe à la genèse du secret lorsqu’il est question d’établir la filiation d’un enfant et d’en organiser les conséquences : l’approche d’un tel sujet peut, nous semble-t-il, s’opérer à travers une réflexion sur ce que notre société accepte ou refuse de mettre en œuvre en matière de dissimulation à une époque où s’opposent des forces contraires sur le dit et le non-dit.

    C’est en réfléchissant au problème posé par les expertises biologiques que je me suis interrogée sur la différence qui peut exister au regard de la loi entre secret et dissimulation. On sait que les expertises biologiques post-mortem sont prohibées par la loi. Lorsque la loi interdit qu’un cadavre soit exhumé aux fins d’expertises biologiques, de quoi s’agit-il ? De dissimuler une vérité ? Non. Ce que l’on veut, c’est simplement respecter celui qui n’est plus qu’un cadavre, une « chose » particulièrement sacrée. En interdisant l’exhumation, on empêche éventuellement d’établir une vérité biologique, laquelle est une condition de recevabilité de l’action en recherche de paternité ou de la contestation de paternité. On crée un obstacle, mais l’objectif poursuivi n’est pas une dissimulation. Souvent, la vérité est connue de tous, y compris de l’enfant. Parfois à l’inverse il est vrai, nul ne sait ni ne sera jamais qui est ou fut effectivement le père biologique. C’est ainsi que si le cadavre de Yves Montant n’avait pas été exhumé, sa paternité aurait été proclamée à l’égard de celle qui se prétendait sa fille. Le recours aux expertises avait permis de connaître la vérité : Yves Montand n’était pas le père. Aujourd’hui, dans une situation de ce type, l’individu emporte avec lui son secret dans la tombe… sans pour autant que l’on puisse dire que la loi autorise ouvertement une dissimulation.

    Partons de l’hypothèse, que certains pourraient contester, qu’il peut y avoir secret, mais sans pour autant que la loi puisse encourir le reproche de mettre en œuvre des « machinations » pour éviter qu’un événement ne soit mis au grand jour. Si l’on veut bien admettre que peut-être se situe là la différence entre secret et dissimulation au regard de la loi, les hypothèses de dissimulation se réduisent.

    Au gré de certaines réformes, des dissimulations ont disparu, pas nécessairement d’ailleurs au nom d’un souci de vérité, condition du bien-être de l’enfant, de ses proches et de ses descendants. Songeons au cas de l’enfant adultérin, dont on a longtemps prohibé l’établissement de la filiation. Ce qui se jouait n’était pas la place de la vérité, mais les exigences d’égalité et la protection du mariage, ce qui n’est pas la même chose. Lorsque cette prohibition a disparu en 1972, et que l’enfant a pu établir sa filiation et obtenir sa part de succession, réduite d’ailleurs, toute dissimulation n’a d’ailleurs pas disparu, puisque, dans le cadre des liquidations de succession, on ouvrait la possibilité d’écarter cet enfant au moment des opérations de partage.

    Un autre cas de dissimulation a récemment disparu, qu’il est intéressant de rappeler car il montre que c’est souvent le souci de protection de l’enfant qui est à l’origine des dissimulations machinées par la loi. Dans le cadre de l’action à fins de subsides, la loi avait mis au point un mécanisme assez curieux. Sous l’empire de la loi du 3 janvier 1972, la mère au nom de son enfant pouvait intenter une action à fins de subsides contre l’ensemble des amants qu’elle avait eus pendant la période légale de conception. Curiosité qui s’expliquait par la volonté du législateur de l’époque de ne pas laisser la femme victime d’un viol collectif sans ressources pour son enfant. Mais l’on ne voulait pas que l’enfant puisse un jour découvrir une telle ignominie. C’est pourquoi, il avait été prévu que les débiteurs d’aliments devaient verser leur pension alimentaire à un tiers agréé, lequel devait ensuite reverser les sommes à la mère de l’enfant. Quelle prévenance à l’égard de celui que l’on estimait victime des conditions honteuses de sa conception ! Tout ceci a disparu depuis l’ordonnance de 2005, la possibilité pour la femme de désigner celui de ses amants qui est le vrai père de son enfant – grâce aux expertises biologiques –, en ayant justifié la suppression.

    Si l’on tente de cibler aujourd’hui les hypothèses dans lesquelles la loi met en place un dispositif pour que certains événements restent cachés, il apparait trois cas de figure : l’enfant né d’un inceste ; l’enfant né par PMA et l’enfant abandonné ou né sous X. Dans les trois situations, la loi autorise ouvertement que soient dissimulées les circonstances soit de la conception soit de la naissance de l’enfant, soit des deux. Ces trois cas posent des problématiques différentes au regard de la question centrale, celle de la légitimité du secret organisé par la loi. La dissimulation est globalement approuvée dans le cas de l’enfant né d’un inceste (I) ; elle est tolérée pour l’enfant né par PMA (II) ; elle est franchement contestée s’agissant de l’enfant né à la suite d’un accouchement sous X (III).

    I. La dissimulation approuvée : l’enfant incestueux

    Le tabou de l’inceste est quasi universel : les relations sexuelles sont interdites au sein de la famille. Le périmètre de la prohibition est plus ou moins étroit selon les sociétés¹. Il n’en reste pas moins un Interdit fondamental : c’est un principe fondateur du droit de la famille². Il est à la base du droit de la famille, et cela même si les interdictions qui en découlent ont des limites parfois imprécises.

    En droit civil, deux interdits sont posés aux articles 161 et 162 du Code civil. En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants, et les alliés dans la même ligne ; en ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la sœur. Il y a alors ce que l’on nomme un inceste absolu. Dans cette hypothèse, la loi prohibe l’établissement de la filiation à l’égard des deux parents³. L’enfant n’aura qu’un seul parent, sa mère en pratique. Il est interdit officiellement de révéler l’inceste en établissant l’autre filiation. Le père doit rester dans l’ombre. L’inceste doit être dissimulé.

    L’inceste demeure, en droit français, une question jugée hautement problématique ; l’existence des relations sexuelles entre proches parents doit rester ignorée de la société. L’enfant connaîtra peut-être la vérité sur ses origines incestueuses, mais peut-être pas. Dans tous les cas, la société, elle, ne le saura pas. On a donc bien une dissimulation sur les conditions de la conception, dissimulation qui est créée directement par la loi. Et ce que l’on ne peut pas faire de manière directe, il est impossible de le faire d’ailleurs de manière indirecte : l’enfant incestueux ne peut pas être adopté par son père biologique. Il y a quelques années, la Cour de cassation a eu l’occasion de prendre position sur les limites de l’Interdit, dans une affaire où le demi-frère d’une femme avait voulu adopter l’enfant de sa demi-sœur, enfant dont il était établi qu’il était le père biologique⁴. Elle avait affirmé à l’époque que « la requête en adoption présentée par M. Y… contrevient aux dispositions d’ordre public édictées par l’article 334-10 du Code civil interdisant l’établissement du double lien de filiation en cas d’inceste absolu ». Quelques mois plus tard, cette jurisprudence a été entérinée par l’ordonnance du 4 juillet 2005 relative à la filiation.

    Cet arrêt a été approuvé par une doctrine quasi unanime⁵. Seuls certains auteurs ont émis quelques regrets pour la situation faite à l’enfant, qui paye la faute de ses auteurs⁶. Diverses propositions ont d’ailleurs été faites pour améliorer son sort, au moins sur le plan successoral. Quoi qu’il en soit, on s’entend pour dire que la protection de la famille dans ses valeurs profondes, ses fondements, sa généalogie, fonde la solution. Tout ne doit pas être autorisé : autrement dit, il faut savoir imposer des dissimulations par des textes d’ordre public.

    La loi organise elle-même cette dissimulation : celle-ci est évidemment source d’un préjudice tout à fait spécifique pour l’enfant. C’est pourquoi on doit approuver la jurisprudence quand elle a jugé que l’impossibilité pour un enfant incestueux d’établir sa double filiation constitue un préjudice réparable⁷.

    Cela dit, la fermeté de la loi qui interdit la révélation d’une filiation incestueuse connaît des failles.

    D’abord, il n’est pas certain que notre position ne soit un jour condamnée par la jurisprudence européenne. La Cour EDH, dans sa décision du 13 septembre 2005⁸, a en effet condamné le Royaume-Uni pour avoir posé des interdits trop larges en matière d’inceste. Dans cette affaire, une femme avait eu un enfant avec son mari, et c’est le père de son mari, donc le grand-père de cet enfant qu’elle voulait épouser, de façon bien sûr à lever l’Interdit d’établissement de la filiation incestueuse.

    Ensuite, on sait que l’enfant incestueux peut exercer une action aux fins de subsides. Pour obtenir ces subsides, la mère de l’enfant qui exerce l’action au nom de ce dernier devra démontrer l’existence des relations sexuelles entre elle et le père de l’enfant. Le temps du procès, la vérité sera dite : l’enfant est né d’un inceste absolu. Mais le voile à peine levé sera refermé.

    Ceci atteste bien d’ailleurs que la dissimulation de la filiation incestueuse s’explique avant tout au regard de l’ordre public de direction. La doctrine penche naturellement en faveur de cette qualification, tout en relevant que la distinction des deux objectifs (direction et protection) n’est pas aisée à établir tant ils s’imbriquent⁹. C’est l’intérêt de la société toute entière qu’il convient de protéger en gardant secrètes les conditions de la conception de l’enfant. L’intérêt de l’enfant lui-même et de ses géniteurs passe indiscutablement au second plan, ce qui constitue une différence majeure par rapport au cas dont nous allons maintenant parler : celui de l’enfant né par assistance médicale à la procréation.

    II. La dissimulation tolérée : l’enfant né par assistance médicale à la procréation

    La pratique de la procréation médicale assistée s’est développée à partir des années 1980, il y a donc maintenant plus de 30 ans, au sein des CECOS dans un cadre normatif, mais en dehors de la loi. Les CECOS avaient posé des règles éthiques : consentement, gratuité et anonymat du don de gamètes : l’homme donneur de sperme devait consentir à ce don anonyme, sans espoir de connaître l’identité de l’enfant conçu à partir de ses gamètes. De son côté, le couple bénéficiant de la procréation artificielle devait s’engager à établir la filiation de l’enfant ainsi conçu. L’insémination artificielle, pour ne parler que d’elle, a connu dès le départ un très vif succès. Aujourd’hui, le recours à la procréation médicalement assistée avec tiers donneur a beaucoup diminué du fait de l’amélioration des techniques de procréation qui favorise l’insémination artificielle au sein du couple. Il n’en reste pas moins qu’environ 1 000 enfants par an naissent selon cette technique et que les CECOS ont toujours des difficultés à trouver des donneurs.

    La législation actuelle qui découle de la loi du 24 juillet 1994 sur la bioéthique, a entériné les pratiques des CECOS. A été consacré le droit des couples infertiles de recourir à l’assistance médicale à la procréation dans l’anonymat : l’identité du donneur de gamètes ne peut être délivrée : le principe général d’anonymat des dons est posé dans le code civil à l’art. 16-8 : « Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur ». Cette organisation du secret par la loi se retrouve dans le Code de la santé publique¹⁰. Tout est fait donc pour que l’enfant ne puisse en aucun cas connaître l’identité du donneur de gamètes.

    Le secret est organisé ensuite au niveau de la filiation : la filiation de l’enfant conçu in vitro fait ainsi l’objet d’un régime juridique impératif fondé sur la dissimulation. Les dispositions générales du droit de filiation interdisent ainsi l’établissement de la filiation entre le donneur de gamètes et l’enfant né de la procréation médicalement assistée grâce à l’intervention d’un tiers donneur. L’article 311-19 du Code civil pose une règle sans appel : « en cas de procréation médicalement assistée, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation ». L’article 311-20 du Code civil organise ensuite le rattachement de l’enfant aux couples receveurs, rattachement qui découle du consentement donné.

    La dissimulation des origines biologiques de l’enfant est de loin la question la plus problématique. Les textes sur la procréation médicalement assistée issus de la loi du 29 juillet 1994 n’ont pas été changés, et aujourd’hui comme hier, l’enfant né par insémination hétérologue (puisque c’est essentiellement de lui dont il s’agit, l’accueil d’embryon restant encore exceptionnel), n’a aucune possibilité non seulement d’établir une filiation à l’égard du donneur de gamètes, ce que personne aujourd’hui ne réclame vraiment, mais surtout d’avoir des éléments sur l’identité de ce dernier. La question, on le sait, est aujourd’hui fortement débattue par les psychologues, psychiatres et même par les anthropologues : faut-il que l’homme qui a accepté que sa femme ou sa compagne soit inséminée avec le sperme d’un donneur anonyme informe l’enfant qu’il n’est pas sur le plan biologique son père ? Faut-il dire la vérité biologique aux enfants qui l’ignoraient ? Faut-il révéler aux enfants l’identité du donneur ou de la donneuse anonyme ?

    Du côté du droit, la réponse reste nette : il n’y a aucune obligation. Il convient à cet égard de rappeler qu’avant la réforme du Code de la santé publique par la loi du 6 août 2004, les problèmes ont été clairement posés, et que l’on connaissait parfaitement les conséquences de l’anonymat des dons (spécialement des ovocytes), et les effets négatifs de l’absence de suivi des enfants nés par procréation médicalement assistée liés au secret qui entoure le mode de procréation de l’enfant. Le législateur a choisi en 2004 puis en 2011 de ne rien changer : il est toujours impossible pour l’enfant de connaître l’identité du donneur de gamètes en cas de procréation médicalement assistée avec donneur.

    Le secret est imposé. On va même d’ailleurs jusqu’à poser des sanctions pénales.

    En France, nous savons bien que notre législation est peu conforme à la CIDE. Concernant la PMA, le

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