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Le Pion: Fae Games French, #1
Le Pion: Fae Games French, #1
Le Pion: Fae Games French, #1
Livre électronique436 pages6 heures

Le Pion: Fae Games French, #1

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À propos de ce livre électronique

Jesse James est une fille normale de dix-huit ans, même si ses parents sont les meilleurs chasseurs de faës de tout New York. Le seul souci de Jesse, dans la vie, c'est le paiement de ses frais universitaires. Mais voilà que tout bascule le soir où ses parents disparaissent.

Munie des armes de ses parents et de son esprit vif, Jesse se lance dans le monde dangereux des chasseurs de prime à la recherche de sa mère et de son père. Au cours de sa quête, elle rencontre toutes sortes de faës, et le plus effrayant d'entre eux, Lukas, un être mystérieux et imposant qui lui propose de l'aider.

Malheureusement, des forces puissantes sont à l'œuvre et Jesse s'apprête à prendre part à un jeu dangereux qui pourrait bien sceller le destin de tous les gens chers à son cœur. Dans ce monde de magie et de trahison, difficile de distinguer les alliés des ennemis. Une course contre la montre démarre. Elle doit retrouver ses parents au plus vite, car le temps presse.

LangueFrançais
ÉditeurKaren Lynch
Date de sortie10 nov. 2020
ISBN9781948392341
Le Pion: Fae Games French, #1
Auteur

Karen Lynch

Karen Lynch is a New York Times and USA Today bestselling author. She grew up in Newfoundland, Canada - a place rich in colorful people and folklore to which she attributes her love of the supernatural and her vivid imagination. Though she loves supernatural fiction, she has a soft spot for Charlotte Brontë and Jane Austen. She is a fan of classic rock, country and classical music but her favorite music is the sound of a good thunderstorm or a howling blizzard. Her favorite past times are baking for her friends, hanging out by the ocean, and spending quality time with her three dogs.

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    Aperçu du livre

    Le Pion - Karen Lynch

    Le Pion, résumé

    Jesse James est une fille normale de dix-huit ans, même si ses parents sont les meilleurs chasseurs de faës de tout New York. Le seul souci de Jesse, dans la vie, c’est le paiement de ses frais universitaires. Mais voilà que tout bascule le soir où ses parents disparaissent.

    Munie des armes de ses parents et de son esprit vif, Jesse se lance dans le monde dangereux des chasseurs de prime à la recherche de sa mère et de son père. Au cours de sa quête, elle rencontre toutes sortes de faës, et le plus effrayant d’entre eux, Lukas, un être mystérieux et imposant qui lui propose de l’aider.

    Malheureusement, des forces puissantes sont à l’œuvre et Jesse s’apprête à prendre part à un jeu dangereux qui pourrait bien sceller le destin de tous les gens chers à son cœur. Dans ce monde de magie et de trahison, difficile de distinguer les alliés des ennemis. Une course contre la montre démarre. Elle doit retrouver ses parents au plus vite, car le temps presse.

    Remerciements

    Merci à ma famille et à mes amis pour leur soutien et leurs encouragements. Merci à mes lecteurs d’embarquer dans cette nouvelle aventure avec moi. Et merci à Amber, mon cobaye, de m’avoir aidée à garder ma santé mentale chaque fois que tout devenait un peu trop dingue.

    Chapitre 1

    — DÉSOLÉE, GAMINE. J’aimerais pouvoir t’aider, mais tu sais comment ça se passe.

    J’adressais un sourire las à la gérante du café.

    — J’apprécie que vous ayez pris le temps de me parler.

    — J’ai entendu qu’un des hôtels à Hoboken cherche des femmes de ménage, dit-elle alors que je me tournais pour partir.

    — Merci.

    Je ne pris pas la peine de demander lequel, car il était impossible que je trouve un boulot de l’autre côté du fleuve. Mes parents ne le permettraient jamais. Je ne leur avais pas dit que j’élargissais ma recherche d’emploi au Lower Manhattan. J’allais attendre de trouver quelque chose de concret avant de l’évoquer. Si j’écoutais papa, je ne quitterais pas Brooklyn jusqu’à l’université.

    Je sortis du café où il faisait chaud, dans l’air frais d’un mois de novembre. Remontant le col de mon manteau, je m’appuyai contre le bâtiment et réfléchis à ce que j’allais faire ensuite. On était en fin d’après-midi et j’étais dehors depuis le début de la journée, mais je n’étais pas prête à abandonner maintenant.

    Je me décollais de la façade lorsqu’une affiche punaisée au mur du kiosque d’à-côté attira mon attention. C’était un message de recrutement de l’Agence, qui montrait deux agents, masculin et féminin, tous les deux élégants et séduisants dans leurs costumes noirs impeccables. « L’Agence du maintien de l’ordre des faës a besoin de vous », pouvait-on lire en majuscules et en gras.

    Sous l’affiche se trouvaient des porte-revues pour des magazines à scandale. Mes yeux parcoururent les couvertures et je ne fus pas étonnée de voir que l’article en première page sur chacun d’entre eux concernait le nouveau prince de Seelie et son intégration prochaine dans la société. Il n’y avait aucune photo de lui, de sorte que personne encore ne savait à quoi il ressemblait, mais le monde du divertissement grouillait de rumeurs depuis des mois. Plus on se rapprochait de sa grande première, plus l’enthousiasme montait.

    Quant à moi, je ne comprenais pas toute l’agitation. D’accord, nous n’avions pas eu de prince faë depuis avant ma naissance, mais ce n’était pas comme s’il n’y avait pas déjà un paquet de têtes couronnées que les gens regardaient bouche bée. Une de plus ? Et alors ? Il y avait des choses plus importantes dignes d’intérêt, comme par exemple le manque d’emplois.

    — Reviens ici, sale monstre ! cria soudain une voix d’homme.

    Je levai les yeux vers le trottoir bondé et aperçus une minuscule silhouette qui se frayait un chemin entre les piétons, talonnée par un homme de forte corpulence, visiblement en colère. L’enfant, qui ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans, se trouvait à environ cinq mètres de moi lorsque je distinguai des oreilles pointues dépassant de ses cheveux blonds, ainsi que des yeux d’un vert lumineux. Son visage et ses vêtements étaient sales et il avait l’air mort de peur.

    Alors qu’il arrivait à ma hauteur, ma main jaillit et s’empara de son bras. En un mouvement, je le tirai d’un coup sec et le poussai derrière moi dans l’espace étroit entre le kiosque et le café. Je reculai un peu, dissimulant son petit corps à l’aide du mien, ignorant les mains minuscules qui me frappaient vainement le dos.

    L’homme s’arrêta, le visage marqué par la méchanceté, marbré et en sueur alors qu’il balayait les parages du regard avec frénésie. N’y trouvant pas sa proie, il lâcha à voix haute une série d’insultes qui lui valurent des regards critiques de la part des passants.

    Derrière moi, l’elfe gémissait et je posai une main rassurante sur son épaule.

    — Chut.

    L’homme finit par s’éloigner d’un pas lourd, marquant une pause au carrefour pour regarder une nouvelle fois autour de lui. Je ne savais pas quelle dent il avait contre l’elfe et je m’en fichais. Rien ne justifiait que l’on pourchasse un enfant comme si c’était un animal.

    Sentant un regard sur moi, je jetai un œil de l’autre côté de la rue animée et aperçus un homme grand, aux cheveux bruns, qui me fixait des yeux. Il avait la petite vingtaine, était beau et bien habillé, avec un pantalon noir et un t-shirt gris qui ne dissimulaient en rien sa robuste carrure. J’étais presque sûre que c’était un membre des faës, mais difficile de l’affirmer avec certitude.

    Il continua de me regarder, se demandant sûrement pourquoi je me donnais du mal pour protéger un elfe des rues. Je soutins son regard dans un défi silencieux, tout en priant pour qu’il n’alerte pas l’autre type.

    Je laissai échapper un soupir lorsqu’un SUV argenté se gara à côté de lui, attirant son attention. Avec un homme blond aux allures de faë, lui aussi, il monta dans la voiture sans un autre regard.

    — Hé ! lâche-moi, hurla une voix étouffée derrière moi, détournant mon attention du SUV qui s’éloignait.

    Je jetai un regard circulaire pour m’assurer que le poursuivant de l’elfe était passé à autre chose, puis je m’écartai pour libérer le petit gars.

    Son visage livide était crispé par la colère.

    — Pourquoi tu as fait ça ?

    — Fait quoi ? Te sauver de l’autre brute ?

    Il se redressa de toute sa hauteur, à savoir guère plus d’un mètre vingt, devant mon mètre soixante-dix.

    — Je n’ai pas besoin qu’on me sauve. Je peux me débrouiller tout seul.

    — Oui, je vois ça, répliquai-je, regardant son visage osseux et ses yeux apeurés qui avaient sûrement vu plus qu’aucun enfant ne devrait jamais voir.

    La vie dans la rue était dure, mais elle devait l’être deux fois plus pour les enfants, notamment pour les faës.

    J’ouvris la bouche pour lui demander s’il était seul, là dehors, mais il se précipita avant que je puisse parler. Je le regardai partir en toute hâte, esquivant les passants qui ne lui prêtaient aucune attention. C’était bien triste pour notre société que la vue d’un enfant visiblement sans abri ne fasse sourciller personne.

    Plus vraiment d’humeur à afficher un sourire poli, je décidai de m’arrêter là pour aujourd’hui et de recommencer ma recherche d’emploi demain. Fourrant les mains dans les poches de mon manteau, je me dirigeai vers la station de métro située à une rue de là. En passant devant les vitrines aux décorations festives, je me rappelai que je n’avais toujours pas commencé mes achats de Noël. Connaissant maman, elle avait déjà nos cadeaux emballés et cachés dans son placard. Je souris toute seule. Il n’y avait personne d’aussi organisé que ma mère.

    Ce fut seulement lorsque je me trouvais dans le tourniquet de la station de métro, en fouillant dans ma poche arrière pour trouver ma carte, que je pris conscience que ma journée avait encore empiré. Je tâtonnai dans ma poche à plusieurs reprises pour en avoir le cœur net, puis je cherchai dans les autres avant que mes épaules ne s’affaissent. Ce petit con m’avait fait les poches et s’était enfui avec ma carte et dix dollars qui traînaient.

    Bien joué, Jesse. Je tapotai la poche de mon manteau, soulagée de constater que mon portable s’y trouvait toujours. Au moins, il n’avait pas pris cela.

    Avec un soupir, je me détournai du tourniquet. Après un dernier coup d’œil dépité vers la rame de métro, je remontai les marches vers la rue. J’avais une longue marche devant moi, et si je voulais rentrer à la maison avant la tombée de la nuit, il fallait que je me dépêche.

    Un bus me dépassa alors que j’approchais du pont et je fis la grimace en voyant la vidéo diffusée sur le panneau publicitaire, sur le côté du bus. Elle annonçait une émission de divertissement, une interview exclusive avec le prince de Seelie encore jamais vu. Nous avions des gamins faës dans les rues, qui survivaient par de menus larcins, et le pays était obnubilé par un faë royal qui n’avait pas connu un jour de souffrance durant sa vie d’enfant gâté.

    Trente ans auparavant, lors de la Grande Faille, mes parents étaient encore enfants. Une crevasse s’était formée entre nos mondes et celui des faës, obligeant ces derniers à nous révéler leur existence. Au début, la panique avait été générale, mais une fois que les gens se furent remis de leur stupeur, ils avaient accueilli les faës à bras ouverts.

    Enfin, une partie des faës. Les membres de la cour, magnifiques et immortels, au physique d’êtres humains génétiquement parfaits, avaient été acceptés immédiatement. Parmi eux se trouvait le prince royal, qui était devenu une célébrité et intervenait dans les hautes sphères de la société. Les races inférieures telles que les nains, les elfes, les trolls et bien d’autres vivaient parmi nous, mais leurs vies n’étaient pas aussi faciles que celles de la noblesse. Ils devaient faire face à l’intolérance et à des épreuves dont leur élite n’avait jamais à se soucier.

    Maman et papa aimaient me raconter des histoires sur la vie avant la Grande Faille. J’avais du mal à imaginer un monde où les faës et la magie n’existaient que dans les livres. Les vieux films que nous regardions, produits avant la Faille, ne me semblaient pas réels.

    Ce qui me semblait vraiment réel, en revanche, c’était la bruine froide qui avait commencé juste au moment où j’arrivais à la moitié du pont.

    — Super, marmonnai-je en accélérant le rythme.

    Bien sûr, rien n’y fit. Lorsque j’arrivai du côté de Brooklyn, la bruine s’était changée en pluie battante et je n’y voyais plus rien à travers mes lunettes.

    Quand notre immeuble en briques de deux étages apparut enfin, j’étais trempée jusqu’aux os et glacée jusqu’à la moelle. Plus loin dans la rue, j’aperçus une grande silhouette aux cheveux bruns sortant d’une Jeep Cherokee bleue. Mon père leva les yeux et son sourire céda la place à une mine renfrognée lorsqu’il me regarda. Je n’avais pas besoin d’un miroir pour savoir que je ressemblais à un rat noyé.

    — Ne pose pas de questions, grommelai-je lorsqu’il vint à ma rencontre sur les marches.

    J’avais toujours du mal à mentir à mes parents, mais je ne voulais pas dire à papa que j’étais allée à Manhattan et que l’on avait volé mon argent.

    Avec un petit rire, il me suivit dans l’immeuble.

    — C’était aussi bien que ça ?

    Je lui décochai un regard noir. Madame Russo sortit de son appartement au moment où nous entrions dans le petit hall d’entrée.

    — Patrick, les tuyaux de ma salle de bain font de nouveau ce bruit, dit la veuve de quatre-vingts ans avec son chignon en bataille, les cheveux aussi rouges que mes boucles étaient rousses.

    Papa se frotta la nuque.

    — Je suis désolé, madame Russo. Je les examinerai demain si vous pouvez attendre jusque-là.

    — Ce sera parfait.

    Elle lui sourit chaleureusement, puis ses yeux se plissèrent dans ma direction.

    — Petite, tu veux attraper la crève à te promener habillée comme ça ?

    Par chance, un nain trapu à la peau grise et aux cheveux hirsutes franchissant la porte de derrière en poussant son vélo m’évita de répondre. Il s’arrêta en nous voyant tous les trois et leva une main en guise de salutation.

    — Bonsoir, marmonna-t-il de sa voix gutturale.

    — Salut, Gorn, répondis-je alors qu’il posait son vélo contre le mur, sous les boîtes aux lettres, avant d’ouvrir la sienne.

    Il grogna en feuilletant son courrier. Hochant brièvement la tête vers nous, il attrapa son vélo et le fit rouler jusqu’à sa porte, juste devant celle de madame Russo.

    S’il était humain, le comportement de Gorn semblerait froid et impoli. Mais pour un nain, il était vraiment sociable.

    — Quel gentil garçon.

    Madame Russo approuva de la tête.

    — Il n’a jamais grand-chose à dire, mais il sort toujours les poubelles pour moi.

    Elle tapota le bras de mon père.

    — Tu es un homme bon, Patrick, de laisser son espèce vivre ici.

    Madame Russo parlait avec la franchise d’une personne qui avait vécu une longue vie et estimait avoir gagné le droit de dire tout ce qu’elle voulait. Mais nous savions qu’il n’y avait pas une trace de racisme chez elle. Lorsqu’elle disait « son espèce », elle désignait les faës des classes inférieures et pas seulement les nains. De nombreux propriétaires refusaient de louer des appartements aux faës les plus démunis et ils n’en étaient pas tenus par la loi. Cela voulait dire que la plupart d’entre eux, comme Gorn et le couple d’elfes discrets du premier étage, étaient contraints de vivre dans des quartiers pauvres pour des loyers exorbitants.

    J’étais fière que mes parents ne ressemblent en rien à ces propriétaires. Nos immeubles étaient peut-être un peu vieillots et avaient souvent besoin de réparations par-ci par-là, mais tous les locataires y étaient les bienvenus tant qu’ils n’étaient pas des criminels. Cela dit, aucun criminel n’était assez idiot pour venir ici.

    Papa et moi restâmes à discuter encore un instant avec Madame Russo avant de monter l’escalier jusqu’à notre appartement du second. L’autre appartement du palier était celui du meilleur ami de papa, Maurice, quand il était en ville. Il voyageait beaucoup pour raisons professionnelles et son appartement restait vide au moins neuf mois par an. Cela signifiait presque que nous avions l’étage pour nous tout seuls.

    Un alléchant fumet de pain de viande nous accueillit dès que j’ouvris la porte de l’appartement. Le pain de viande et la purée de pommes de terre de maman constituaient l’un de mes repas préférés et le moyen idéal pour rattraper ma journée pourrie.

    Maman se trouvait dans la cuisine lorsque nous entrâmes. Ses cheveux, de la même nuance que les miens, étaient tirés vers l’arrière en queue de cheval et ses lunettes à leur place habituelle, sur le haut de sa tête. Si je voulais savoir comment je serais dans vingt ans, je n’avais qu’à la regarder. Excepté mes yeux bleus hérités de papa, j’étais une copie conforme de maman, jusqu’aux quelques taches de rousseur sur mon nez.

    — Vous tombez bien. Le dîner est presque prêt, dit-elle avant de poser les yeux sur moi. Jesse, tu es trempée.

    Je fis la grimace tout en retirant mes Converse d’un coup de pied énergique.

    — Ça va. Une douche chaude et ton pain de viande vont tout arranger.

    Elle éclata de rire.

    — Appelle ton frère quand tu auras fini.

    Mes chaussettes laissèrent une traînée humide alors que je rejoignais ma chambre en surplomb de la rue, où j’avais vécu toute ma vie. Ma chambre était petite, mais je tirais le meilleur parti de l’espace. Les murs étaient couleur crème et mon lit double arborait une belle couverture en patchwork qui égayait la chambre. D’un côté de la fenêtre se trouvait mon bureau, et de l’autre, ma chaise rembourrée qui avait connu des jours meilleurs. À côté de la chaise, ma vieille guitare acoustique était posée contre le mur.

    J’emportai des vêtements de rechange dans le petit couloir jusqu’à la salle de bain. Ce n’était pas idéal de partager une salle de bain à trois, mais on se débrouillait bien. Et mes parents me donnaient toute l’intimité dont j’avais besoin.

    Glacée comme je l’étais, j’aurais aimé rester plus longtemps sous l’eau chaude, mais la faim me poussa à expédier ma douche. Je quittai ma chambre vingt minutes plus tard, vêtue d’un t-shirt à manches longues et d’un pantalon chaud en molleton.

    Une fois dans le salon, je m’approchai de la petite cabane, dans le coin. Une échelle étroite partait du sol jusqu’à la cabane, presque cachée derrière les plantes grimpantes en fleurs.

    — Finch, c’est l’heure du dîner.

    Les plantes bougèrent et un visage rond et bleu encadré par une tignasse d’un bleu vif apparut. Ses gros yeux couleur lilas me dévisagèrent. Je n’eus droit qu’à un sourire sournois en guise d’avertissement avant qu’il ne me saute dessus.

    — Ah ! m’écriai-je.

    Mais j’aurais dû m’attendre à l’attaque.

    Je trébuchai et tombai à la renverse sur le canapé, prenant soin de ne pas écraser le petit monstre dans ma chute. Ma récompense ? Un lutin malfaisant de trente centimètres qui me chatouilla jusqu’à ce que j’implore sa pitié.

    — Finch, arrête de torturer ta sœur, cria papa depuis la salle à manger. Miam, ces mûres fraîches sont vraiment délicieuses.

    Finch me lâcha enfin et sortit de la pièce avant que je puisse cligner des paupières.

    Je me levai avec un grand sourire et le suivis dans la salle à manger, où il était déjà assis à table devant son assiette, enfournant une grosse mûre dans sa minuscule bouche. Du jus coulait au goutte-à-goutte sur son menton, mais il dévorait son délice favori comme si de rien n’était.

    — Comment ça s’est passé aujourd’hui ? demanda maman à papa, qui l’aidait à poser le pain de viande et les pommes de terre au centre de la table.

    — Phil et moi, nous avons attrapé cette banshee qu’il pourchassait. Ce qui veut dire que la moitié de la prime nous revient.

    — Super !

    Elle s’assit en face de moi, visiblement satisfaite.

    — J’ai parlé à Levi tout à l’heure, et il a dit qu’il pourrait avoir un autre niveau Quatre pour nous cette semaine. Il le saura dans un jour ou deux.

    — Novembre pourrait bien être notre meilleur mois cette année, commenta mon père avec un sourire.

    Je m’attaquai à mon repas pendant que mes parents parlaient affaires. Durant le dîner, la plupart des enfants écoutaient leurs parents discuter de leurs métiers ou autres sujets tout aussi banals. Moi, j’avais grandi en entendant parler de la chasse aux primes.

    La présence des faës dans notre monde n’avait pas été sans complications. L’installation soudaine des faës et de la magie dans le monde des humains avait provoqué bien des problèmes : la criminalité avait augmenté et notre police n’était pas équipée pour faire face aux heurts avec des non-humains. L’Agence du maintien de l’ordre des faës avait été créée pour rétablir et préserver la paix, mais aussi pour réguler l’utilisation de la magie. Pourtant, même l’Agence n’arrivait pas à tout suivre.

    C’était là que mes parents entraient en scène.

    L’Agence sous-traitait l’excès de travail à des agents de liaison, qui à leur tour confiaient des missions aux chasseurs de primes. Je ne connaissais pas tous les tenants et les aboutissants de cette activité, mais j’en avais assez entendu par mes parents pour savoir que les primes étaient classées selon leur niveau de menace. Si la menace était importante, le salaire l’était en conséquence. Je connaissais l’existence de cinq niveaux, et une mission de niveau Quatre promettait une bonne grosse prime à la clé.

    Maman et papa étaient deux des meilleurs chasseurs de la côte est et ils étaient très respectés par leurs collègues. C’était la raison pour laquelle Levi, l’un des agents de liaison pour lesquels ils travaillaient, les avertissait toujours lorsqu’une mission de choix se présentait à la dernière minute. Chasseur de primes était un métier disputé, et tout le monde voulait décrocher les missions les plus juteuses.

    Notre voisin, Maurice, était aussi dans le métier. Il avait commencé à travailler avec mes parents, mais à présent, il voyageait dans tout le pays pour des missions de premier plan. Papa disait toujours que s’il existait quelqu’un de meilleur que Maurice Begnaud, il n’en avait jamais entendu parler.

    — Alors, Jesse, tu as eu de la chance aujourd’hui ? demanda maman.

    De la poisse, tu veux dire.

    — Disons que j’ai plus de chances de me marier avec un prince faë que de trouver un autre boulot dans cette ville.

    Elle gloussa.

    — Tu trouveras quelque chose. Nancy t’a donné une bonne référence.

    Nancy était la propriétaire du café où j’avais travaillé à mi-temps durant les deux dernières années. Après avoir obtenu mon bac au mois de mai, j’étais passée à temps plein au Grain Magique. J’essayais d’assurer un maximum de services possible et de mettre à la banque tout mon salaire pour l’université. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’une curieuse sécheresse anéantisse toutes les récoltes de café d’Amérique du Sud.

    Du jour au lendemain, le prix des grains avait explosé et la plupart des gens ne pouvaient plus se payer leur tasse quotidienne. Les plus petits cafés, comme Le Grain Magique, s’étaient accrochés tant bien que mal avant d’être forcés de plier boutique. Même certaines chaînes de magasins peinaient maintenant que seuls les plus riches, comme les clients de ce café de Manhattan, avaient les moyens de boire du café.

    Je jouais négligemment avec ma nourriture.

    — Malheureusement, il y a bien trop de serveuses comme moi avec de bonnes références.

    — L’économie se relèvera, dit papa sur un ton joyeux.

    Mais nous savions tous les deux que cela n’arriverait pas de sitôt, vu que le pays entrait dans sa deuxième année de récession. Ces derniers temps, le seul secteur prospère était la chasse aux primes.

    — Je suppose que je pourrais toujours rejoindre l’activité familiale.

    Ma plaisanterie me valut des regards désapprobateurs de mes deux parents.

    Papa posa sa fourchette.

    — J’aimerais beaucoup que tu travailles avec nous, mais tu iras à l’université. Tu le souhaites toujours, pas vrai ?

    — Plus que tout.

    — Bien.

    Il hocha la tête et reprit sa fourchette pour attaquer sa purée de pommes de terre.

    Une surface froide toucha le dos de ma main et je levai les yeux pour voir Finch à côté de mon assiette, tendant une mûre. Ses beaux yeux étaient tristes, comme toujours lorsqu’il voyait que j’avais le cafard.

    — Merci.

    Je pris la mûre qu’il me proposait et la mis dans ma bouche.

    — Tu es le meilleur frère dont une fille puisse rêver. Tu le sais ?

    Son visage s’éclaira et il retourna rapidement à son assiette. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire en le voyant s’attaquer à un morceau de mangue. Tout ce qu’il fallait pour rendre Finch heureux, c’était de voir sa famille heureuse. Ça… et beaucoup, beaucoup de fruits.

    Prenant conscience que mes parents avaient sombré dans le silence, je levai les yeux et j’eus le temps de voir une certaine tristesse sur le visage de maman, qu’elle s’empressa de cacher derrière un sourire. Alors que je repassais dans ma tête ce que je venais de dire à Finch, je me reprochai mon manque de considération.

    Finch dut s’en apercevoir, lui aussi, car il s’approcha pour lui offrir l’une de ses précieuses mûres. Elle sourit et se pencha, le laissant la déposer directement dans sa bouche. Les enfants lutins aimaient nourrir leurs parents en gage d’affection et maman appréciait ce geste. Il était proche de nos deux parents, mais il y avait toujours eu un lien particulier entre maman et lui.

    Dans la cuisine, son téléphone sonna et elle se leva d’un bond pour y répondre. Elle revint un instant plus tard, affichant une mine grave que je connaissais bien. C’était le visage qu’elle prenait quand elle travaillait.

    — C’était Tennin, dit-elle à papa. Il est en ville, mais il repart demain. Si nous voulons lui parler, il faut y aller maintenant.

    Papa était déjà debout lorsqu’elle eut terminé de parler. Les deux me regardèrent et je leur fis signe de partir.

    — Allez-y. Je vais débarrasser.

    Je finis mon dîner pendant qu’ils enfilaient à la hâte leur tenue de travail : des rangers de combat, un jean et un t-shirt noirs. Même si je ne voyais pas d’armes, j’étais sûre qu’ils en portaient tous les deux. Mes parents ne se rendaient jamais nulle part en étant mal préparés.

    — On ne devrait pas rentrer trop tard, me dit maman en glissant son portable dans sa poche de derrière.

    — Soyez de retour avant le couvre-feu sinon vous serez tous les deux consignés.

    Finch siffla pour marquer son approbation en les menaçant du doigt.

    Maman pouffa et papa nous fit un clin d’œil alors qu’ils sortaient précipitamment.

    Je mis les restes dans le frigo et expédiai la vaisselle en deux temps trois mouvements. Laissant Finch terminer son repas, je retournai dans ma chambre et passai l’heure suivante à parcourir les petites annonces et les sites d’emploi. C’était un travail déprimant, mais je le faisais tous les soirs. J’irais à l’université, même s’il me fallait des années pour épargner suffisamment.

    Je regardai l’enveloppe portant le sceau de l’Université de Cornell, accrochée sur le tableau d’affichage au-dessus de mon bureau. Sous cette enveloppe se trouvait une lettre de Stanford et une autre de Harvard.

    J’étais aux anges lorsque j’avais reçu les lettres d’admission de trois de mes premiers choix, jusqu’à ce que je comprenne combien cela allait me coûter. Les frais de scolarité avaient presque doublé ces dix dernières années et les universités n’accordaient plus de bourses complètes sauf aux sportifs de haut niveau. Maman et papa avaient mis un peu d’argent de côté en prévision de mon entrée à la fac, mais ce n’était pas suffisant pour payer les frais de scolarité, les livres et les dépenses de tous les jours. J’avais cru pouvoir financer mes études en travaillant, mais j’aurais besoin d’un boulot à plein temps bien payé rien que pour les frais d’inscription.

    Au printemps dernier, après mon bac, l’Agence avait essayé de me recruter pour leur programme de renseignements. Il était courant qu’ils recrutent parmi les cinq pour cent des meilleurs bacheliers, et je figurais dans le premier pour cent. En plus de l’entraînement, le programme intégrait des études supérieures gratuites à l’université de son choix, tant que la licence relevait d’un domaine qui pouvait être exploité par l’Agence. La tentation des études supérieures gratuites était forte, mais après cela, je serais obligée de travailler pendant cinq ans pour l’Agence.

    Mon portable vibra sur le bureau. C’était un message de ma meilleure amie, Violet.

    Comment se passe la recherche de boulot ?

    Devine, répondis-je.

    Un émoji triste apparut.

    Maman ou papa pourraient te donner du boulot.

    Le père de Violet possédait un grand cabinet d’expertise comptable et sa mère était une avocate de la défense avec pignon sur rue. Même si l’une de leurs entreprises avait un poste à pourvoir, cela ne conviendrait pas à une serveuse au chômage avec seulement le bac en poche. Si Violet le leur demandait, ils pourraient créer un poste de stagiaire pour moi, mais cela donnerait trop l’impression d’être un acte de charité. Je n’en étais pas encore à ce stade-là.

    Demande-moi de nouveau dans quelques semaines, écrivis-je.

    J’y penserai.

    Le son d’une corde de guitare interrompit mon message. Jetant un œil par-dessus mon épaule, je découvris Finch qui se trouvait à côté de mon instrument et me regardait avec espoir.

    — Peut-être plus tard.

    Il tira sur une autre corde avec un peu plus de force et je sus qu’il n’allait pas partir tant qu’il n’aurait pas obtenu ce pour quoi il était venu.

    Avec un regard mi-agacé mi-amusé, je pris la guitare et allai m’asseoir sur le lit.

    — Je viens juste d’apprendre une nouvelle chanson. Tu veux l’entendre ?

    Annie’s Song, dit Finch en langue des signes.

    Je fronçai le nez.

    — Tu n’en as pas assez de celle-ci ?

    Il secoua la tête et grimpa s’asseoir sur mon oreiller.

    — Quel ringard ! plaisantai-je.

    Je commençai à jouer. Depuis l’année dernière où maman était revenue à la maison avec un vieil album de John Denver, Finch était obnubilé par cette chanson. C’était une bonne chanson à la guitare, alors je l’avais apprise pour la lui jouer, mais à présent il voulait l’entendre sans arrêt.

    Chante, dit-il en langue des signes.

    Je le fusillai du regard et recommençai, chantant les paroles que je connaissais par cœur. Ma voix était acceptable, mais Finch tombait dans un état de transe chaque fois que je chantais pour lui. Cela n’arrivait pas avec maman ou papa, et j’avais lu un article selon lequel une personne sur un million pouvait hypnotiser les faës des classes inférieures grâce à la musique. J’avais essayé une fois sur Gorn et il m’avait regardée comme si j’étais folle. C’était à ce moment-là que j’avais appris que ce n’était pas efficace avec tous les faës.

    Lorsque nous étions plus jeunes, j’avais eu recours à plusieurs reprises au chant contre Finch pour arriver à mes fins ; jusqu’au moment où maman et papa l’avaient appris et m’avaient privée de sortie pendant un mois complet. J’avais également eu droit à un discours me sermonnant de profiter de mon frère, qui avait déjà beaucoup trop souffert dans sa jeune vie.

    Quand j’avais neuf ans, mes parents avaient secouru Finch après avoir aidé à démanteler un réseau de trafiquants. En raison de leur taille et de leur beauté exotique, les lutins étaient souvent vendus illégalement sur le marché noir en tant qu’animaux de compagnie. Les parents de Finch avaient été vendus, laissant orphelin et traumatisé le lutin d’un an. Les trafiquants avaient rogné ses ailes fines comme la gaze pour l’empêcher de voler et il ne pouvait pas survivre seul ni être accepté par d’autres lutins du royaume des faës. Ainsi, maman et papa l’avaient ramené à la maison pour qu’il vive avec nous.

    Au début, Finch était si terrifié et endeuillé qu’il ne mangeait pas et ne laissait personne l’approcher. Au cours de la première semaine, nous craignions même qu’il meure. Mais avec le temps et beaucoup d’attention, il avait fini par récupérer et appris à nous apprécier. Dans le royaume des faës, les lutins vivaient dans des arbres, alors papa lui avait construit sa propre cabane dans notre salon, dotée d’une échelle, car Finch ne pouvait plus voler.

    Comme les lutins ne pouvaient pas exprimer les mots humains, on les estimait moins intelligents. Mais je savais grâce à mon expérience personnelle qu’ils étaient extrêmement intelligents, au contraire. Finch comprenait très bien notre langue et il avait aisément appris les signes. En fait, il l’avait même compris plus vite que nous. À présent, nous communiquions avec la langue des signes américaine ainsi que des sifflements. Il n’était peut-être pas humain, mais il faisait tout autant partie de cette famille que chacun d’entre nous.

    Je jouai cinq titres de plus avant de poser la guitare et nous allâmes dans le salon pour regarder un film. Il choisit celui qu’il voulait et nous nous couchâmes ensemble sur le canapé.

    Je ne me souvins pas de m’être endormie. Quelques heures plus tard, je me redressai sur le canapé, regardant d’un air hébété autour de moi. Une chanson familière emplissait la pièce et j’attrapai mon portable qui se trouvait sur la table basse. C’était la sonnerie de maman, Bad to the Bone. Avec de petits yeux, je me demandai pourquoi elle m’appelait à cette heure tardive.

    — Allô ? dis-je d’une voix rauque.

    En guise de réponse, j’entendis une série de gargouillements. Je crus percevoir des voix en bruit de fond, mais elles étaient trop confuses pour en distinguer les paroles.

    — Maman ? dis-je, sans réponse.

    Je bâillai et me frottai les yeux.

    — Tu dois arrêter de m’appeler sans le faire exprès. C’est à la limite de la

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