Faure Songs
Faure Songs
Faure Songs
CD 1
1. Mai op. 1 no. 2 (1862?) 2’07
2. Le Papillon et la Fleur op. 1 no. 1 (1861) 2’13
3. Puisque j’ai mis ma lèvre op. posth. (1862) 2’32
4. Tristesse d’Olympio op. posth. (c1865) 2’55
5. Dans les ruines d’une abbaye op. 2 no. 1 (c1866) 1’44
6. Les Matelots op. 2 no. 2 (c1870) 1’13
7. Chant d’automne op. 5 no. 1 (c1871) 3’
8. Rêve d’amour (S’il est un charmant gazon) op. 5 no. 2 (1864) 2’19
9. L’Absent op. 5 no. 3 (1871) 3’37
10. L’Aurore op. posth. (c1870) 1’31
2
La Bonne Chanson op. 61 (1892-4)
24. Une Sainte en son auréole 2’15
25. Puisque l’aube grandit 2’02
26. La lune blanche luit dans les bois 2’18
27. J’allais par des chemins perfides 1’54
28. J’ai presque peur, en vérité 2’16
29. Avant que tu ne t’en ailles 2’32
30. Donc, ce sera par un clair jour d’été 2’27
31. N’est-ce pas ? 2’30
32. L’hiver a cessé 3’08
3
CD 2
1. Au bord de l’eau op. 8 no. 1 (1875) 2’04
2. Ici-bas ! op. 8 no. 3 (1874) 1’34
3. La Rançon op. 8 no. 2 (1871?) 1’44
4. Sylvie op. 6 no. 3 (1878) 2’13
5. Tristesse op. 6 no. 2 (c1873) 2’25
6. Aubade op. 6 no. 1 (c1873) 2’09
7. Chanson d’amour op. 27 no. 1 (1882) 2’17
8. La Fée aux chansons op. 27 no. 2 (1882) 1’31
9. Aurore op. 39 no. 1 (1884) 2’15
10. Fleur jetée op. 39 no. 2 (1884) 1’28
11. Le Pays des rêves op. 39 no. 3 (1884) 3’13
12. Les Roses d’Ispahan op. 39 no. 4 (1884) 3’10
13. Nell op. 18 no. 1 (1878) 1’38
14. Le Voyageur op. 18 no. 2 (1878?) 1’38
15. Automne op. 18 no. 3 (1878) 2’55
16. Notre amour op. 23 no. 2 (c1879) 2’07
17. Les Berceaux op. 23 no. 1 (1879) 2’37
18. Le Secret op. 23 no. 3 (1881) 2’22
19. Le plus doux chemin op. 87 no. 1 (1904) 1’34
20. Le Ramier op. 87 no. 2 (1904) 1’37
4
23. Dans la forêt de septembre op. 85 no. 1 (1902) 3’19
24. La Fleur qui va sur l’eau op. 85 no. 2 (1902) 1’57
25. Accompagnement op. 85 no. 3 (1902) 3’28
5
CD 3
1. Lydia op. 4 no. 2 (c1870) 2’28
2. Chanson du pêcheur (Lamento) op. 4 no. 1 (1872?) 3’13
3. Hymne à Apollon op. 63 (1894) 4’10
4. Sérénade from Le Bourgeois gentilhomme (1893) 1’24
6
18. Nocturne op. 43 no. 2 (1886) 2’15
19. Noël op. 43 no. 1 (1885) 2’33
20. En prière (1890) 2’20
21. C’est la paix op. 114 (1919) 1’10
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Fauré standing beside his piano in his Paris apartment (boulevard Malesherbes) in 1905 · photo by Dornac
© BnF · Gallica
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Preface to the complete mélodies of Gabriel Fauré
by Cyrille Dubois & Tristan Raës
Mention of the French mélodie immediately mélodie. Thus, we approached Fauré’s art
calls to mind the name of Gabriel Fauré. Fauré songs in their entirety, the whole corpus, with
was an extremely prolific composer, skilled in the dual aim of deepening our awareness of the
almost every form of musical expression: he changes that took place in music in the course
produced magnificent instrumental works, a of the composer’s career and understanding
splendidly varied chamber output, piano pieces his importance as a cornerstone in the history
(solo or for four hands), choral compositions of the genre.
(both religious and secular, and including
a sumptuous Requiem) and even operas. It is very unusual for one singer to take on all
And throughout his career he composed of Fauré’s mélodies, which of course were
mélodies (over a hundred), representing the written for different voices, and sometimes
quintessence of his art and marking the genre for two singers. And seeing no truly valid
indelibly. His fine settings of poems chosen reason why we should not perform them
with discernment earned him a place among all, we decided to adopt new transpositions
the greatest exponents of the French art song. that may nevertheless raise questions.
Fauré himself is known to have authorised
Tackling such a monumental work was a transpositions of some of his mélodies; but
daunting prospect. But with fifteen years the transpositions for high voice proposed by
or so as a duo behind us, including work on publishers were sometimes arbitrary, and they
countless such pieces, we felt ready to take did not necessarily respect the original key
up the challenge and present our vision, as sequences. On the other hand, it is quite rare
French artists, of a body of works that is of to hear transpositions of Fauré’s later cycles. In
major importance in the vast, and still only our project, we have done our utmost to bring
partially explored continent of the French out all the expressive qualities of the vocal
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parts, while making every effort to respect the For this “complete immersion” in the mélodies
harmonic colours and the tonal coherence of of Gabriel Fauré we have chosen variety and
the original compositions. diversity over chronology. A chronological
presentation would of course have been
We have also aimed to show the composer’s interesting from a musicological viewpoint,
musical development over the years. Fauré but we wanted the listener to be able to hear,
was keenly aware of the changes taking place side by side, pieces from different periods
in the music of his time. He inherited the in the composer’s career. This programme
romance from his predecessors, composers therefore takes the form of three recitals,
born in the first half of the nineteenth century each one containing examples of the three
such as Hector Berlioz, Charles Gounod, different styles that characterise Fauré’s
Jules Massenet, Camille Saint-Saëns, Pauline art songs: early compositions influenced by
Viardot and Théodore Dubois; but he was also Romanticism, songs showing the complexity
a forerunner of his peers, Claude Debussy, of his mature style, and mélodies representing
Francis Poulenc, the sisters Nadia and Lili the inscrutable Fauré of the final creative
Boulanger, Maurice Ravel and others, playing period, when he moved increasingly towards
an important part in taking the mélodie from an economy of expression.
one form to another: transcending it, changing
its harmonic language, taking it to the limits of With this interpretation of Fauré’s mélodies,
the tonal system. Moreover, it is interesting just a few years away from the centenary of
to see how the art of the mélodie evolved in his death, we hope to renew an awareness of
parallel with a changing world, absorbing and his modernity, the prescience of his musical
gaining enrichment from foreign influences, experiments, the undeniable appeal of his
and thus acquiring its own distinctive character. compositions, and the mastery that enabled
Just as Schubert’s Lieder had defined the him to create music of such infinite beauty.
Austro-Germanic art song a century earlier,
the mélodie as conceived at the time of Fauré
came to epitomise a typically French art of
refinement.
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Préface à l’intégrale des mélodies de Fauré
Cyrille Dubois & Tristan Raës
Lorsque l’on pense « mélodie française », le été d’aborder l’ensemble du corpus de Fauré
nom de Gabriel Fauré vient immanquablement pour enraciner plus profondément encore la
à l’esprit. Compositeur extrêmement prolifique, conscience de l’évolution de la musique à travers
il mit son talent au service de toutes les formes son époque et comprendre sa place comme clé
d’expression musicale : du magnifique catalogue de voûte dans la grande histoire de la mélodie.
instrumental jusqu’au somptueux Requiem, en
passant par une production de musique de Il est inédit d’avoir une intégrale des mélodies
chambre abondante. Néanmoins, c’est dans l’art de Fauré par un seul chanteur. Aussi, il ne nous
de la mélodie que réside la quintessence de son a semblé ni moderne, ni dans l’air du temps
œuvre. L’empreinte de ce maître est indélébile de nous interdire certains poèmes ou cycles
sur ce répertoire avec plus d’une centaine de en raison du genre ou des usages vocaux ;
pièces à mettre à son crédit. Tant le choix des une volonté qui nous a amenés à assumer de
poèmes que leur mise en abyme musicale nouvelles transpositions qui peuvent néanmoins
le hissent au Parnasse des compositeurs interroger. S’il est communément admis
caractéristiques de cet art mélodique. que Fauré autorisait de son vivant plusieurs
transpositions, les « voix hautes » proposées
Il nous a fallu du courage pour nous atteler à par les éditeurs étaient parfois arbitraires et ne
ce monument. Forts du bagage acquis par la respectaient pas forcément les enchaînements
découverte d’inexhaustibles pages du genre, tonaux originaux entre les opus. Il est en
et d’une quinzaine d’années de duo, il nous a revanche assez rare d’entendre ses derniers
semblé être un acte fort pour un binôme français cycles transposés. Cependant, pour pouvoir
de revendiquer notre vision de ce répertoire faciliter notre choix d’un interprète unique,
central du vaste continent, encore partiellement nous avons conduit une réflexion globale sur
exploré, de la mélodie. Notre démarche a donc les transpositions pour conserver au maximum
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les couleurs harmoniques voulues à l’origine par musique germanique, la mélodie telle que
Fauré, en respectant les cohérences tonales, et conçue à l’époque de Fauré caractérisera, dès
permettre l’expression de la plus grande variété lors, un art et un raffinement si français.
des couleurs vocales. Ceci toujours dans le but
d’avoir une lecture complète de l’ensemble du Nous avons donc souhaité cette immersion
corpus mélodique et ainsi faciliter pour l’auditeur complète dans les mélodies de Fauré en
le cheminement dans l’évolution de sa musique. bâtissant non pas un arc chronologique – certes
passionnant musicologiquement, mais ne
En effet, sensible aux modifications musicales permettant pas à ses différents stades d’écritures
de son temps, héritier de la romance si de coexister – mais plutôt en proposant
caractéristique de ses prédécesseurs, trois disques construits comme des récitals
compositeurs du début du xixe siècle tels que uniques, qui mêlent ces différentes périodes
Hector Berlioz, Charles Gounod, Jules Massenet, compositionnelles – tout en conservant les
Camille Saint-Saëns, Pauline Viardot, Théodore cycles : pour qu’ainsi l’auditeur puisse apprécier,
Dubois… ; mais précurseur de ses pairs comme côte à côte, le jeune Fauré romantique, le Fauré
Claude Debussy, Francis Poulenc, les sœurs de maturité dans toute sa complexité, et enfin
Boulanger, Maurice Ravel… Fauré est l’un des l’étrange dernier Fauré, où la musique s’épure
rouages qui feront basculer la mélodie d’une pour ne plus s’asservir qu’au texte.
forme à une autre : il accompagna ce courant
en transcendant son écriture, par la mutation Gageons que cette lecture contemporaine des
de son propre langage harmonique, le poussant mélodies du maître – dont on commémorera
jusqu’aux confins du système tonal. On est très prochainement le centième anniversaire
d’ailleurs frappé de voir à quel point le glissement de la mort – renouvellera pour le public, la
de cet art mélodique s’est fait en parallèle conscience du flair de ses expérimentations,
des changements du monde, s’enrichissant de sa modernité, son indéniable attrait et de sa
des influences étrangères tout en les faisant maîtrise génitrice d’une musique d’une infinie
siennes, pour définir sa propre personnalité beauté.
dans le paysage musical. Tout comme le Lied
de Schubert définit, un siècle auparavant, la
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Gabriel Fauré wearing the uniform of the École Niedermeyer · Charles Reutlinger
© BnF · Gallica
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Gabriel Fauré and the French mélodie
by Nicolas Southon
From Hector Berlioz to Francis Poulenc and guide, and it was possibly he who encouraged
from Charles Gounod to Jacques Leguerney, Fauré to compose vocal pieces.3 Fauré began
the French art song, or mélodie, born in the to establish a reputation as a song composer
bourgeois salons of the July Monarchy and very early on: his earliest pièces, were published
the Second Empire,1 flourished until the mid- shortly before the Franco-Prussian War of 1870.
twentieth century. With over a hundred songs In the course of a career spanning six
composed between 1861 and 1921, Gabriel Fauré decades, Fauré set texts by poets of the
is regarded as a great master of the genre, and Romantic, Parnassian and Symbolist movements.
arguably the greatest. His output reflects a Victor Hugo, Armand Silvestre, Paul Verlaine and
remarkable personal and stylistic development, Charles Van Lerberghe feature prominently
while also tracing the history of the mélodie, from among them. He was an avid reader of poetry
its beginnings to its golden age. from the late 1870s onwards, and was constantly
Fauré’s first attempts date from the years on the lookout for texts. Is it true that he was
he spent at the École de Musique Classique drawn to so-called “minor” authors? Yes, but
et Religieuse in Paris,2 a school established by not as habitually as has been claimed. His literary
Louis Niedermeyer who was well known for his affinities must also be seen in the context of the
romances. The young Camille Saint-Saëns, who bourgeois and aristocratic social milieu that his
taught at the school, became a close friend and career led him to frequent. And do we really
1 July Monarchy: the reign of Louis-Philippe (1830–48). Second Empire: the period in France under the
Imperial Bonapartist regime of Napoleon III (1852–70).
2 Fauré won a scholarship to the school and spent eleven years there, from 1854, when he was nine, until
1865.
3 Saint-Saëns was only ten years older than Fauré.
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know what attracts a composer to a particular type, with the same music repeated for each
poetic text? An incontrovertible literary quality, verse. He soon varied his approach, however, with
or something indefinable that strikes a chord in evolutive forms of the AA’BC type, or symmetrical
him and makes him want to compose? In 1911 forms of the ABA’ type, while gradually moving
Fauré spoke about his intuitive approach: “The towards through-composed music (different for
important thing,” he said, “is to understand and each stanza).
feel with one’s poet. One should never try to
set an indifferent piece, for it only takes a word The French mélodie is inherently linked to
too many or a misplaced adjective to spoil what literature and the history thereof, but sociological
could have been a fine composition. On the other factors also need to be taken into consideration.
hand, prose that has rhythm, providing it flows Combining music and poetry, the ultimate in l’art
and is harmonious, can be a wonderful subject.” pour l’art at the turn of the twentieth century, it
He often adapted poems to suit his musical was the expression of a bourgeois class seeking to
requirements, altering or omitting words and distinguish itself as well as to prolong its dream of
cutting strophes when he felt they did not serve idleness. Consequently, Fauré’s first interpreters,
his purpose. in the salons and sometimes on stage, were often
Fauré tended in his choice of texts to favour enlightened amateurs – socialites from wealthy
pieces that were not overly lyrical, either in their or aristocratic backgrounds, who hosted salons
expression or in the sentiments evoked. He aimed in their homes, or young ladies from the various
above all to convey the general impressions of the singing classes in the capital – whom he would
poetry he set. “The role of music,” he explained, personally accompany on the piano. Fauré
“[is] to bring out the deep feeling that lies within preferred not to work with professional singers
the poet’s heart, which words can only convey (mostly from the world of opera). In November
imperfectly. It would be a mistake to believe that 1902 he wrote to Élisabeth, Comtesse Greffulhe:
poetic form does not matter; it is just that musical “I dream of having you hear them [the three
form complements it felicitously.” Text-painting op. 85 songs] with perfect interpreters, and
– which he always left to the piano – is rare in I know of none among the professionals. It is
Fauré’s songs: he generally avoided pictorialism. amateurs who express and understand me the
His earliest pieces are of the strophic romance best.” Those amateurs included Marie Trélat
15
Gabriel Fauré (photo published in Musica in 1909)
© Bibliothèque du conservatoire de Genève
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(dedicatee and creator of Lydia), Claudie It always seems somehow artificial to divide
and Marianne Viardot (creators of the duets a composer’s works into periods, but it does have
Puisqu’ici-bas toute âme and Tarentelle), the advantage of enabling us to make out the
Julie Lalo (wife of the composer Édouard main features. Vladimir Jankélévitch divided
Lalo; dedicatee and creator of Les Matelots Fauré’s songs – they “evolve”, he said, “without
and dedicatee of Tristesse), Henriette Fuchs discontinuity” – into three periods: the first, up to
(creator of the famous Après un rêve), Marguerite 1890; the second (“a flourishing and delightfully
Baugnies de Saint-Marceaux (dedicatee of fertile period”), from Cinq mélodies “de Venise”
Après un rêve), Emma Bardac (for whom Fauré to Chanson op. 94; and the third (when he
composed La Bonne Chanson), Thérèse Guyon “no longer strove to appeal to contemporary
(creator of Les Roses d’Ispahan), Thérèse Roger tastes and set off in his own direction”), from La
(creator of Arpège), Émilie Girette (for whom Chanson d’Ève to L’Horizon chimérique. We
Fauré composed Accompagnement), Pauline have adopted more or less the same system,
Segond (dedicatee of La Fleur qui va sur l’eau but with four periods instead of three, splitting
and creator of Le Don silencieux), Lydia Eustis the first one in two in order to distinguish his early
(dedicatee of Dans la forêt de septembre) and works, settings of Romantic poetry, from those in
Claudie Segond (dedicatee of Le Ramier). which he turned to the Parnassian poets.
As his songs became more complex, The first period (1861–1878) corresponds
however, Fauré turned increasingly to to the pieces included by Hamelle in the first
professional singers – preferably those with a volume of twenty songs by Fauré published
clear voice and fine diction, and no propensity in 1897 (pieces originally issued separately by
for histrionic expression. They included Maurice Choudens and Hartmann). Apart from a few
Bagès (creator of La Bonne Chanson), Jane posthumous publications, the songs belonging
Bathori (creator of Le Don silencieux), Jeanne to this first period are those of opp. 1–8 (the
Raunay (dedicatee and creator of La Chanson numbering system, applied later, does not reflect
d’Ève) and Claire Croiza (creator of Le Jardin the order of composition). Between 1854 and
clos). Fauré’s last vocal compositions were sung 1865, during his time as a boarder at the École
by two young singers, Madeleine Grey (Mirages) Niedermeyer, Fauré composed about ten songs.
and Charles Panzéra (L’Horizon chimérique). He set texts by the most celebrated French
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poets: Victor Hugo first of all, but also Théophile That evolution was possibly not unrelated
Gautier and Charles Baudelaire. Set in strophic to Fauré’s association, from 1872 to 1877, with the
form and still very simple in their prosody, these singer Pauline Viardot and her circle: Chanson
songs belong to the romance genre. That is du pêcheur and Tristesse, to texts by Gautier,
clearly the case for Le Papillon et la Fleur, his are clearly outstanding pieces, particularly the
earliest surviving piece, and Les Matelots, in former, with its accomplished form and strong
which the influence of the Schubertian Lied is pathos. Ici-bas! and Au bord de l’eau, his first
quite noticeable, but also for Mai and Dans les songs to poems by Sully Prudhomme, are
ruines d’une abbaye, both of which show a rich harmonically more refined and freer in form,
sense of melody. In Puisque j’ai mis ma lèvre, with a more flexible vocal line. Frequenting
we find the romance style already beginning to the Viardots also inclined Fauré temporarily
merge with the greater depths of the mélodie. towards an Italian style: Sérénade toscane, Après
Was it the Franco-Prussian war and the un rêve, Barcarolle and the duet Tarentelle
ensuing chaos of the Commune, which began show a certain brio, and some use of melisma
a new chapter in French music, or was it his (otherwise rare in Fauré’s song output). But the
study of Schumann’s Lieder or the revelation end of Fauré’s engagement to Marianne Viardot
of Duparc’s great mélodies? Whatever the (Pauline’s daughter) in October 1877 marked the
reason, around 1870 Fauré’s style moved away end of his association with the Viardots.
from the simple romance. Both the form of his
songs and the piano part became more complex, The shorter second period (1878–1886)
and the prosody more precise. Lydia, his subtle corresponds to the first fifteen of the twenty-
first setting of a poem by Leconte de Lisle, may five songs included in Hamelle’s second
be seen as definitively marking the transition volume (1897), when Fauré turned to poets
to mélodie. Likewise, Seule!, L’Absent, La of his own generation, poets belonging to the
Rançon, Chant d’automne and Hymne (the Parnassian movement: Sully Prudhomme,
first two to poems by Gautier and Hugo, the Charles Grandmougin, and especially Armand
last three to texts by Baudelaire), pieces serious Silvestre, whose poems he set most frequently
or melancholy in tone, show a deepening of his in the 1880s.
compositional style.
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His opuses of that time, grouping two, aux chansons. That diversity is also illustrated by
three or four mélodies, are more carefully his op. 39, bringing together Aurore, anticipating
organised, but the songs in each opus are still the composer’s late manner, Fleur jetée, with a
generally unrelated – the exception being rare outburst of passion, the gentle rocking of Le
Poème d’un jour, op. 21 (1878). Full of simmering Pays des rêves and the bewitching charm of the
passion, the latter marks an important stage in famous Roses d’Ispahan
Fauré’s development: there is here a narrative
chronology; the three settings of poems by The third and longest stylistic period (1887–1906)
Charles Grandmougin (Rencontre, Toujours is that of Fauré’s full maturity, with works that
and Adieu) trace a brief love affair, from meeting show a more refined lyricism. During that time,
to parting, and thus form what could broadly he composed some forty songs, corresponding
speaking be termed a cycle. to the end of Hamelle’s second volume (1879)
Many of the songs of this second period and the whole of the third (1906), plus La Bonne
(Nell and Les Berceaux, for example) adopt a Chanson, op. 61, which marks the culmination of
flexible tripartite form. Automne, powerful and those years. The new boldness and intensity of
gripping, is richly textured; it illustrates Fauré’s the works of this third period were prompted in
careful adjustment of the musical flow to the part by Fauré’s discovery, through the influence
text and a piano part conceived as a semantic of Robert de Montesquiou, of Paul Verlaine:
counterpoint to the poem. Combining a lullaby between 1887 and 1894 he set eighteen of the
and a barcarolle, Les Berceaux, with its refined poet’s texts. At the beginning of this Symbolist
harmonies and dramatic tone, is (after Ici-bas! period, with which Fauré was to identify so
and Au bord de l’eau) the last of the Sully completely, he also set poems by Jean Richepin,
Prudhomme mélodies. Albert Samain and Henri de Régnier. His lyric
Since his first compositions in the genre, tragedy Prométhée (1900) also dates from
Fauré’s palette has become considerably more those years.
diverse. Note the briskness of Notre amour, the Fauré’s first song to a poem by Verlaine
fine intimacy of Le Secret, the falsely simple is the piece that is seen by many as the
sentimentality of Chanson d’amour and the quintessential French mélodie: Clair de lune,
winsomeness and aerial enchantment of La Fée op. 46, no. 2, of 1887, with its autonomous piano
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part and almost through-composed form. His admirable Cinq mélodies “de Venise”, Fauré’s
op. 51, consisting of four songs: Larmes, Au first cycle in the true sense of the word, was
cimetière and Spleen, three restless and resigned composed while he was staying in Venice with
pieces jokingly described by the composer as (and paying court to) Winnaretta Singer (later
three “very blithe mélodies!”, are complemented Princesse Edmond de Polignac). La Bonne
somewhat artificially by the fourth piece, La Chanson, op. 61, (1892-94), a work of amazing
Rose (Ode anacréontique). Verlaine’s Spleen unity – nine mélodies, composed this time
had been set earlier in 1888 by Debussy, but with the singer Emma Bardac as his muse – is
Fauré’s version, through-composed, shows a even more carefully crafted, and shows an
tighter construction. More occasional, Chanson extraordinary degree of creative exuberance.
and Madrigal, the latter an aubade, are taken The voice is driven by an almost insane lyricism,
from the incidental music that Fauré composed while the harmony is set with countless details.
for Shylock, a “comédie en trois actes et sept The novelty of this work shocked Saint-Saëns
tableaux” by Edmond Haraucourt, based on and daunted the young Debussy.
The Merchant of Venice and performed at the Among the pieces of the following years
Théâtre de l’Odéon, Paris, in December 1889. (1894 onwards), Soir and Arpège (texts by Albert
Similarly, Sérénade was originally written as part Samain) share with La Bonne Chanson a very
of the incidental music that Fauré composed for fin-de-siècle harmonic splendour. Powerful
Molière’s play Le Bourgeois gentilhomme. and concise, Prison is Fauré’s last setting of a
Between 1891 and 1894, Fauré broadened poem by Verlaine, and Le Parfum impérissable,
the scope of his melodic invention with two through-composed, his last on a text by Leconte
major cycles set to poems by Verlaine: Cinq de Lisle. Le plus doux chemin and Le Ramier are
mélodies “de Venise” and La Bonne Chanson. moving exercises in the composer’s celebrated
Both have a dual organisation: literary, in that madrigal style, with a deceptively old-fashioned
Fauré selected and arranged the poems to manner aimed at simplifying the discourse.
form a story, and musical, aiming for coherence Dans la forêt de septembre and La Fleur qui va
through harmonic progressions, a careful choice sur l’eau (his two settings of pieces by Catulle
of tempos, a subtle combination of forms, and Mendès) and Accompagnement (Samain), a
the use of recurrent themes throughout. The nocturne, are more peaceful in expression; the
20
Le Papillon et la Fleur · Autograph manuscript (transposition)
© BnF · Gallica
21
vocal line is more horizontal and the piano part detached from the innovations of the time,
more discreet, foreshadowing the composer’s Fauré imposed a modernity that was his alone,
last creative period. Likewise, Le Don silencieux verging on tonal abstraction – which has been
(text by Jean Dominique) and Chanson (Henri attributed to his impaired hearing. Paradoxically,
de Régnier), pieces that are often overlooked he also abandoned the conception of the cycle
since they were not included in Hamelle’s three as an organic whole unified by recurring themes
volumes, reveal a significant progression, of (two are to be found in La Chanson d’Ève, but
which Fauré was fully aware. they were the last). As the Symbolist aesthetic
implies detachment from the reality of things,
The last period (1906–21) is represented by four Fauré freed himself in the cycle from recognised
song cycles: La Chanson d’Ève (1906–10), Le or pre-established structures, every instant
Jardin clos (1914), Mirages (1919) and L’Horizon becoming an end unto itself.
chimérique (1921), plus the anecdotal C’est la Composed over a period of four years
paix, to a text by an amateur poetess, Georgette (1906–10), La Chanson d’Ève, op. 95 – more an
Debladis, composed for a competition organised “ensemble” (as Fauré termed it) than a cycle –
by Le Figaro (1919). During this period Fauré brings together ten settings of texts by the
also composed his opera Pénélope (1907–12). A Belgian Symbolist poet Charles Van Lerberghe.
hearing impairment that affected him from 1902 From morning to dusk, Eve in the Garden
made composing more difficult: both high and of Eden reflects on the beauty of the world.
low registers were distorted and only the middle Conceived as an introspective counterpart to
register remained clear. La Bonne Chanson, the score contains some
In the space of a few years, Fauré’s remarkable passages; more ambitious than ever
stylistic world became increasingly rarefied: in his use of pared-down form, Fauré announces
attenuated piano-writing, a new concept of here the soberness of his last instrumental works.
harmonic functions, and the melodic line no Easier to approach, Le Jardin clos,
longer a driving force but coming closer to op. 106 (1914), his second cycle to poems by
speech (conjunct intervals and repeated notes Van Lerberghe (here numbering eight), is
suggest the influence of the declamation of smaller in scale and shows greater unity. Fauré
Debussy’s Pelléas et Mélisande). Somewhat succeeds quite admirably in bringing to life these
22
evocations of lyrical love, sometimes tender or
sensual, always mysterious, and ending, like
La Chanson d’Ève, with a beautiful funereal
inspiration.
Fauré’s last two cycles adopt a four-
movement structure that may recall those of
instrumental works. In Mirages, op. 113 (1919),
set to four poems by the Baroness Renée de
Brimont, the prosody is more than ever parlando,
performed in a declamatory manner. The writing
is subtle, almost cryptic, but Fauré succeeds in
breathing life into these rather long texts.
L’Horizon chimérique, op. 118 (1921), is based
on four of the poems from the collection of the
same name by Jean de La Ville de Mirmont,
published the previous year. The latter had
died fighting in the First World War in 1914
at the age of twenty-seven. Permeated by
maritime evocations, this cycle, free in form but
with obvious unity, is a masterpiece of French
mélodie-writing, on a par with La Bonne
Chanson. We are charmed by its ready lyricism,
which conveys quite marvellously the exalted
tone of the texts. With this score, after having
enriched the genre with a masterly body of work,
Fauré bade farewell to the mélodie.
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Gabriel Fauré et la mélodie française
Nicolas Southon
D’Hector Berlioz à Francis Poulenc, de Charles Au long des six décennies de sa carrière,
Gounod à Jacques Leguerney, le genre de la Fauré mettra successivement en musique
mélodie française s’est développé jusqu’au les poètes romantiques, parnassiens et
milieu du xxe siècle environ, après sa naissance symbolistes. Pour les principaux : Victor Hugo,
dans les salons bourgeois de la monarchie de Armand Silvestre, Paul Verlaine et Charles Van
Juillet et du Second Empire. Avec plus d’une Lerberghe. Dès la fin des années 1870, il est un
centaine de mélodies, composées entre 1861 et lecteur assidu de poésie, toujours en quête de
1921, Gabriel Fauré fut l’un de ses représentants textes. S’est-il entiché de littérateurs mineurs ?
majeurs, sinon le plus éminent. Son corpus est Certainement, mais moins souvent qu’on l’a dit. Il
non seulement le creuset d’une évolution faut aussi replacer les affinités littéraires de Fauré
personnelle saisissante, mais constitue à lui dans le contexte d’un milieu social mondain et
seul une histoire de la mélodie, de ses débuts aristocratique, que sa carrière l’a conduit à
à son âge d’or. fréquenter. Sait-on d’ailleurs vraiment ce qu’un
Les premiers essais de Fauré en la matière compositeur attend d’un texte poétique ?
remontent à ses études à l’École de musique Une qualité littéraire indiscutable, ou un je ne
classique et religieuse, dont le fondateur, Louis sais quoi qui le poussera à le conjuguer à son
Niedermeyer, était célèbre pour ses romances. imaginaire sonore ? En 1911, Fauré témoignait
Fauré y reçoit l’enseignement de Camille de l’approche assez intuitive qui était la sienne :
Saint-Saëns, bientôt un ami proche, qui l’incite « L’essentiel est de comprendre son poète, de
peut-être à composer des pièces vocales. Le le sentir. Mais il ne faut jamais s’attaquer à un
jeune musicien publiera ses premiers opus peu médiocre, car il suffit d’un mot de trop, d’un
avant la guerre de 1870, ce qui contribuera à adjectif mal placé pour faire boiter la plus belle
l’établissement précoce de sa réputation de page. Tandis qu’une prose rythmée, si elle est
compositeur de mélodies. fluide, harmonieuse, pourra servir de thème,
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merveilleusement. » Plus d’une fois, il arrivera les premiers interprètes de Fauré, dans les salons
au compositeur de modifier quelques mots d’un et parfois sur scène, sont souvent des amatrices
texte, qu’il juge laids ou impropres à la mise en et amateurs éclairés : maîtresses de maison (qui
musique. tiennent salon), dames de l’aristocratie, élèves
Les choix littéraires de Fauré le portent de tel cours de chant, que le compositeur
vers un lyrisme sans excès, dans les sentiments accompagne lui-même au piano. Fauré n’aimait
comme dans les moyens employés. C’est d’abord guère les chanteurs professionnels (c’est-à-dire
l’atmosphère générale du poème qu’il cherche à essentiellement d’opéra), comme il l’écrivait à
traduire. « Le rôle de la musique est [de] mettre la comtesse Greffulhe en novembre 1902,
en valeur le sentiment profond qui habite l’âme évoquant ses dernières mélodies : « Je rêve de
du poète et que les phrases sont impuissantes vous les faire entendre avec des interprètes
à rendre avec exactitude. On aurait tort de parfaits, et je n’en connais pas parmi les
croire que la forme poétique est indifférente ; professionnels. Ce sont les amateurs qui me
la forme musicale la complète heureusement, comprennent et me traduisent le mieux ».
voilà tout », expliquait encore Fauré. S’il y a Parmi eux, citons Marie Trélat (dédicataire et
figuralisme, ce qui reste rare chez lui, c’est le créatrice de Lydia), Claudie et Marianne Viardot
piano qui s’en charge. Sur le plan formel, ses (créatrices des duos Puisqu’ici-bas toute âme
premières mélodies, encore des romances en et Tarentelle), Julie Lalo (l’épouse d’Édouard
réalité, sont strophiques. Puis le musicien varie Lalo, dédicataire et créatrice des Matelots
son approche : formes évolutives de type AA’BC, et dédicataire de Tristesse), Henriette Fuchs
ou symétriques de type ABA’, jusqu’à en arriver, (créatrice du fameux Après un rêve), Marguerite
peu à peu, à des formes continues. Baugnies de Saint-Marceaux (dédicataire
d’Après un rêve), Emma Bardac (pour qui Fauré
Intrinsèquement liée à l’histoire littéraire, la compose La Bonne Chanson), Thérèse Guyon
mélodie française dépend aussi de facteurs (créatrice des Roses d’Ispahan), Thérèse Roger
sociologiques. Expression d’une classe (créatrice d’Arpège), Émilie Girette (pour qui
bourgeoise cherchant à se distinguer et à Fauré compose Accompagnement), Pauline
prolonger son rêve d’oisiveté, elle représente le Segond (dédicataire de La Fleur qui va sur
nec plus ultra de « l’art pour l’art ». C’est ainsi que l’eau et créatrice du Don silencieux), Lydia Eustis
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(dédicataire de Dans la forêt de septembre) ou proposons est sensiblement identique mais
Claudie Segond (dédicataire du Ramier). permet, avec quatre périodes, de distinguer les
Mais, progressivement, la musique de débuts de Fauré, placés sous le signe de la poésie
Fauré se complexifie, ce qui conduit des romantique, de son moment parnassien.
professionnels – de préférence au timbre clair, La première période (1861-1878) correspond
à l’expression sans emphase et à la diction au premier recueil de vingt mélodies publié chez
aisément intelligible – à l’interpréter : citons Hamelle en 1879 (ces pièces avaient auparavant
Maurice Bagès (créateur de La Bonne Chanson), paru séparément chez Choudens et Hartmann).
Jane Bathori (créatrice du Don silencieux), Outre quelques mélodies posthumes, il s’agit des
Jeanne Raunay (dédicataire et créatrice de La opus 1 à 8, numérotation appliquée après-coup et
Chanson d’Ève) ou Claire Croiza (créatrice du qui ne rend pas compte de l’ordre de composition.
Jardin clos). Dans ses dernières années, Fauré Le jeune Fauré compose une dizaine de pièces
confie à deux jeunes interprètes la création de durant ses études à l’École de musique classique
ses ultimes compositions vocales : Madeleine et religieuse, entre 1854 et 1865. Il emprunte
Grey (Mirages) et Charles Panzéra (L’Horizon alors aux poètes les plus connus, Victor Hugo
chimérique). d’abord, mais aussi Théophile Gautier et Charles
Baudelaire. Avec leur structure strophique et leur
Périodiser un corpus a toujours quelque chose prosodie encore sommaire, ces pièces relèvent
d’artificiel, mais cela permet d’en dégager plutôt du genre de la romance. C’est clairement
les lignes de force. Vladimir Jankélévitch le cas du Papillon et la Fleur, première inspiration
découpait l’œuvre mélodique de Fauré (« qui conservée de Fauré, des Matelots, où se fait sentir
évolue sans discontinuité », pondérait-il) en trois l’influence du Lied schubertien, mais aussi de Mai
périodes : 1. avant 1890, 2. des Cinq mélodies et Dans les ruines d’une abbaye, qui témoignent
« de Venise » à la Chanson op. 94 (« période d’un riche sens mélodique. Puisque j’ai mis ma
d’épanouissement et d’heureuse fécondité »), lèvre se fait remarquer déjà par une forme un peu
3. de La Chanson d’Ève à L’Horizon chimérique plus élaborée.
(où Fauré « renonce aux complaisances et aux Est-ce la guerre franco-prussienne et la
séductions d’un langage naturellement paré Commune, l’étude des Lieder de Schumann ou
de toutes les grâces »). Le découpage que nous la révélation des grandes mélodies de Duparc ?,
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le style de Fauré va s’éloigner, autour de 1870, La deuxième période, plus brève (1878-1886),
de la simplicité de la romance. La forme et la correspond à la première quinzaine des vingt-cinq
partie de piano se complexifient, la prosodie se mélodies du deuxième recueil publié par Hamelle
précise. On peut considérer que Lydia, subtil (dans sa version de 1897). On assiste surtout à une
premier morceau sur Leconte de Lisle, entérine inflexion poétique. Fauré poursuit l’évolution de
le passage définitif à la mélodie. De même, son style musical en empruntant à des auteurs de
Seule !, L’Absent, La Rançon, Chant d’automne sa génération, d’esthétique parnassienne : Sully
et Hymne (ces trois derniers sur Baudelaire), de Prudhomme, Charles Grandmougin et surtout
ton grave ou mélancolique, témoignent d’un Armand Silvestre, celui qu’il musicalise le plus
approfondissement de l’écriture. dans les années 1880.
Cette évolution n’est peut-être pas Organisés avec davantage d’attention, les
étrangère non plus à la fréquentation par Fauré opus contiennent deux (op. 27 et 43), trois (op. 18,
du cercle de Pauline Viardot à partir de 1872 : la 21 et 23) ou quatre mélodies (op. 39), même s’ils
Chanson du pêcheur et Tristesse, d’après Gautier, réunissent encore des pièces sans liens. Exception
sont d’évidentes réussites – surtout la première, notable, le triptyque Poème d’un jour (1878), empli
avec sa forme habile et son puissant pathétisme. d’une passion frémissante, qui marque une étape
Ici-bas et Au bord de l’eau, premières mélodies importante : il dessine l’histoire d’une rencontre
sur Sully Prudhomme, se signalent par une jusqu’à la séparation, avec une logique musicale
harmonie plus recherchée, une forme plus libre, qui permet presque de le qualifier de cycle.
une ligne vocale plus souple. Une parenthèse Nombre des mélodies de cette période
italianisante, sans doute liée à l’émulation du adoptent une forme tripartite (Nell, Les Berceaux
cercle Viardot, favorise un certain brillant et par exemple), avec souplesse. D’un sentiment
quelques mélismes (dont Fauré usera peu en grave et prenant, Automne illustre cette façon
général), dans la Sérénade toscane, Après un soigneuse d’ajuster le flux musical au texte, ainsi
rêve, Barcarolle et le duo Tarentelle. Mais la que la présence d’une partie pianistique conçue
rupture des fiançailles de Fauré avec Marianne comme un contrepoint sémantique au poème.
Viardot, la fille de Pauline, y met fin. Les Berceaux, avec ses harmonies travaillées et
son intense dramatisme, est la dernière mélodie
sur Prudhomme.
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“Gabriel Fauré protects and nurtures hopes” · Drawing by Georges Villa
© Palazzetto Bru Zane/Leduc collection
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La palette du musicien s’est considéra- Sa première mélodie sur Verlaine est le
blement diversifiée depuis ses débuts. On justement célèbre Clair de lune, avec sa partie
remarque ainsi la légèreté de Notre amour, de piano autonome et sa forme quasi continue.
l’intimité magnifique du Secret, la sentimenta- L’opus 51, avec Larmes, Au cimetière et Spleen,
lité faussement naïve de Chanson d’amour et le possède un souffle particulier ; « trois nouvelles
fantastique de La Fée aux chansons. L’opus 39 mélodies très gaies !!! », plaisante Fauré à
le confirmera : le balancement du Pays des rêves propos de ces pièces agitées et résignées, que
et le charme envoûtant des célèbres Roses d’Is- complète un peu artificiellement La Rose (Ode
pahan traduisent bien la retenue parnassienne, anacréontique). À noter que Spleen (sur un
Fleur jetée est l’un des rares emportements de poème mis en musique cette même année 1888
Fauré, tandis qu’Aurore anticipe sur sa manière par Debussy) adopte une forme continue. Plus
tardive. circonstancielles, Chanson et Madrigal sont
issues d’une musique de scène pour Shylock,
La troisième période, la plus étendue (1887- adaptation du Marchand de Venise de
1906), est celle de la pleine maturité, au lyrisme Shakespeare signée Edmond de Haraucourt,
ouvragé. Elle correspond à la fin du deuxième montée au Théâtre de l’Odéon. Pareillement,
recueil Hamelle et au troisième tout entier, publié la Sérénade du Bourgeois gentilhomme
en 1906, auxquels s’ajoute La Bonne Chanson provient d’une musique de scène pour la pièce
– point culminant de ces années-là –, soit une de Molière.
petite quarantaine de mélodies. Fait notable : Entre 1891 et 1894, Fauré montre une
l’influence du comte de Montesquiou, qui ambition nouvelle avec deux cycles sur Verlaine,
révèle Paul Verlaine à Fauré. Il en résultera dix- d’une importance capitale : les Cinq mélodies
huit mélodies jusqu’en 1894. En ce début de « de Venise » et La Bonne Chanson. À la
période symboliste, à laquelle le compositeur structuration littéraire qu’il opère (dans les deux
s’identifiera si parfaitement, Fauré musicalise cas pour narrer l’histoire d’un possible amour),
aussi Jean Richepin, Albert Samain et Henri de répond une mise en œuvre musicale appuyant la
Régnier. Ajoutons que le compositeur écrit sa cohérence, au moyen du cheminement tonal, de
tragédie lyrique Prométhée en 1900. l’organisation des tempi, de formes subtilement
agencées ou de motifs récurrents. Les
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admirables Cinq mélodies « de Venise », premier Chanson, sur Jean Dominique et Henri de
véritable cycle de Fauré, sont composées alors Régnier, souvent oubliées car exclues du recueil
qu’il est l’invité (et le soupirant) de Winnaretta Hamelle, révélatrices pourtant d’une évolution
Singer (future princesse de Polignac) dans la cité décisive dont Fauré lui-même était conscient.
des Doges. Incomparable, La Bonne Chanson
– formée de neuf mélodies dont l’égérie est cette La dernière période (1906-1921) est celle des
fois Emma Bardac – est plus organique encore, et quatre cycles La Chanson d’Ève (1906-1910),
d’un rare degré d’élaboration. La voix s’emporte Le Jardin clos (1914), Mirages (1919) et L’Horizon
d’un lyrisme presque fou, tandis que l’harmonie chimérique (1921) – outre l’anecdotique C’est
est sertie de mille détails, qui déstabiliseront la paix, composée pour un concours du Figaro
Saint-Saëns et étonneront le jeune Debussy. sur les mots d’une poète amatrice. Entre 1907 et
Parmi les pièces des années suivantes, 1912, Fauré compose aussi son opéra Pénélope.
Soir et Arpège, sur Albert Samain, sont Par ailleurs, l’infirmité auditive qui l’affecte
comme La Bonne Chanson d’une splendeur depuis 1902 le met à la torture, lui faisant
harmonique très fin-de-siècle. Prison est la désormais percevoir la musique affreusement
dernière mélodie sur un texte de Verlaine, et déformée.
Le Parfum impérissable, de forme continue, En quelques années, le langage de Fauré
la dernière sur Leconte de Lisle. Le plus doux se dépouille considérablement : l’écriture du
chemin et Le Ramier sont d’émouvants piano s’épure, les fonctions harmoniques sont
madrigaux, dont la manière faussement suspendues et la ligne mélodique, perdant
ancienne vise la simplification du discours. son caractère moteur, se rapproche du parler
Dans la forêt de septembre et La Fleur qui (intervalles conjoints et notes répétées
va sur l’eau, toutes deux sur Mendès, et le suggèrent l’influence de la déclamation du
nocturne Accompagnement, sur Samain, Pelléas et Mélisande de Debussy). Assez loin
sont représentatifs de cette même inflexion, des innovations du temps, le compositeur
autant dans l’expression apaisée, la ligne impose une modernité qui n’appartient qu’à
vocale plus horizontale et la partie pianistique lui, aux limites de l’abstraction tonale – ce que
discrète, préfigurant la dernière période. Ce l’on a pu attribuer à son affection auditive.
que confirment encore Le Don silencieux et Paradoxalement, Fauré abandonne aussi la
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conception du cycle comme un tout organique Mirages, sur des vers de la baronne Renée
unifié par des thèmes récurrents (il en subsiste de Brimont, la prosodie est plus que jamais
deux dans La Chanson d’Ève, mais plus aucun parlando, ou psalmodiée. La subtilité de
par la suite). Comme l’esthétique symboliste l’écriture se fait presque cryptique, mais Fauré
exprime une émotion détachée des faits, le cycle parvient à animer ces textes un peu longs.
fauréen se libère de toute structure obligée, L’Horizon chimérique est la dernière
chaque instant devenant sa propre fin. envolée lyrique du vieux compositeur, inspiré
Composée sur quatre ans, La Chanson par les poésies de Jean de La Ville de Mirmont,
d’Ève est d’ailleurs un « ensemble » (le mot est mort à la guerre à vingt-sept ans, et dont un
de Fauré) plus qu’un cycle, de dix mélodies, sur recueil avait paru en 1920. Habité d’évocations
des textes du poète symboliste belge Charles maritimes, ce cycle aux formes affranchies
Van Lerberghe. Du matin au crépuscule, Ève mais d’une évidente unité, chef-d’œuvre de la
au jardin d’Éden songe à la beauté du monde. mélodie française au même titre que La Bonne
Imaginée comme un pendant intériorisé à Chanson, séduit par un lyrisme immédiat, qui
La Bonne Chanson, la partition contient des traduit merveilleusement le ton exalté des
pages remarquables ; plus audacieux que jamais textes. C’est avec cette partition que Fauré fait
dans l’épure, Fauré annonce la sobriété de ses son adieu à la mélodie, après l’avoir enrichie d’un
dernières œuvres instrumentales. corpus magistral.
D’une approche plus aisée, Le Jardin clos,
sur huit textes de Van Lerberghe à nouveau, est
de moindre dimension, et d’une unité accrue.
Fauré excelle à faire vivre ces évocations d’un
lyrisme amoureux tantôt tendre ou sensuel,
toujours mystérieuses, qui se referment, comme
La Chanson d’Ève, par une belle inspiration
funèbre.
Les deux derniers cycles adoptent une
structure en quatre mouvements qui peut
rappeler celles d’œuvres instrumentales. Dans
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Titles given by Fauré are presented in square brackets, as are his alterations to the texts. The original words
are given in the endnotes.
CD1
1. [Mai] Puisque mai tout en fleur (1862?) [May] Since May all in bloom
Victor Hugo
Puisque mai tout en fleur dans les prés nous Since May all in bloom calls us to the meadows,
[réclame, come, do not cease to mingle with your soul
Viens ! ne te lasse pas de mêler à ton âme the fields, the woods, the delightful shade,
La campagne, les bois, les ombrages charmants, the nights of the full moon beside sleeping waters,
Les larges clairs de lune au bord des flots dormants, the path that ends where the road begins,
Le sentier qui finit où le chemin commence and the air, the springtime, and the vast horizon,
Et l’air et le printemps et l’horizon immense, the horizon, with which this humble, joyous world
L’horizon que ce monde attache humble et joyeux kisses the hem of heaven’s gown!
Comme une lèvre au bord de la robe des cieux !
Viens ! et que le regard des pudiques étoiles Come, and may the gaze of the modest stars,
Qui tombent sur la terre à travers tant de voiles, reaching the earth through so many veils,
Que l’arbre pénétré de parfums et de chants, may the tree filled with fragrance and song,
Que le souffle embrasé de midi dans les champs, may the burning breath of noon in the fields,
Et l’ombre et le soleil, et l’onde et la verdure, and the shade, the sun, the water, the greenery,
Et le rayonnement de toute la nature and the radiance of everything in nature,
Fassent épanouir, comme une double fleur, cause to blossom, like a double flower,
La beauté sur ton front et l’amour dans ton cœur ! the beauty on your brow and the love in your heart!
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2. [Le Papillon et la Fleur] [The Butterfly and the Flower]
La Fleur et le Papillon (1861) The Flower and the Butterfly
Victor Hugo
La pauvre fleur disait au papillon céleste : The humble flower said to the heavenly butterfly:
- Ne fuis pas ! - Do not flee!
Vois comme nos destins sont différents. Je reste, See how our destinies differ. Fixed to earth am I,
Tu t’en vas ! you fly away!
Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les Yet we love each other, we live without men
[hommes and far from them,
Et loin d’eux, And we are so alike, it is said that both of us
Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous are flowers!
[sommes
Fleurs tous deux !
Mais, hélas ! l’air t’emporte et la terre m’enchaîne. But alas! The breeze bears you away, the earth
Sort cruel ! [holds me fast.
Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine Cruel fate!
Dans le ciel ! I would perfume your flight with my fragrant breath
in the sky!
Mais non, tu vas trop loin ! – Parmi des fleurs sans But no, you flit too far! Among countless flowers
[nombre you fly away,
Vous fuyez, While I remain alone, and watch my shadow circle
Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre round my feet.
À mes pieds.
Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t’en vas encore You fly away, then return; then take flight again
Luire ailleurs. to shimmer elsewhere.
Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore And so you always find me at each dawn
Toute en pleurs ! bathed in tears!
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[Ah1] ! pour que notre amour coule des jours fidèles, Ah, that our love might flow through faithful days,
Ô mon roi, O my king,
Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes take root like me, or give me wings
Comme à toi ! like yours!
Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine ; Since I have set my lips to your still brimming cup;
Puisque j’ai dans tes mains posé mon front pâli ; since in your hands I have laid my pallid brow;
Puisque j’ai respiré parfois la douce haleine since I have breathed at times the sweet breath
De ton âme, parfum dans l’ombre enseveli ; of your soul, fragrance enveloped in shadow;
Puisqu’il me fut donné de t’entendre me dire since I have been allowed to hear you speak
Les mots où se répand le cœur mystérieux ; words in which your heart revealed its mysteries;
Puisque j’ai vu pleurer, puisque j’ai vu sourire since I have seen tears, since I have seen smiles,
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux ; your mouth on my mouth, and your eyes on mine;
Puisque j’ai vu briller sur ma tête ravie since I have seen shine upon my enraptured head
Un rayon de ton astre, hélas ! voilé toujours ; a ray from your sun, alas! always veiled;
Puisque j’ai vu tomber dans l’onde de ma vie since I have seen fall into the river of my life
Une feuille de rose arrachée à tes jours ; a petal snatched from the rose of your days;
Je puis maintenant dire aux rapides années : now I can say to the fleeting years:
– Passez ! Passez toujours ! je n’ai plus à vieillir ; Pass! Go on passing! I shall age no more.
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées ; Away with you, you and your faded flowers;
J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir ! I have in my soul a flower that none may pluck!
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Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre Your wing may strike, but not a drop will spill
Du vase où je m’abreuve et que j’ai bien rempli. from the well-filled vessel from which I drink.
Mon âme a plus de feu que vous n’avez de cendre ! my soul has more fire than you have ashes,
Mon cœur a plus d’amour que vous n’avez d’oubli ! my heart has more love than you have oblivion!
Les champs n’étaient point noirs, les cieux n’étaient The fields were not dark, the heavens were not
[pas mornes. [bleak;
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes no, the day was radiant in a boundless blue sky
Sur la terre étendu, outstretched o’er the land;
L’air était plein d’encens et les prés de verdures the air was filled with fragrance and the meadows
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures [were green
Son cœur s’est répandu ! when he saw again those places where through so
[many wounds
his heart had poured forth!
[…] […]
Hélas ! se rappelant ses douces aventures, Alas, recalling those sweet moments,
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures, looking, without entering, over the fences,
Ainsi qu’un paria, like an outcast,
Il erra tout le jour. [À2] l’heure où la nuit tombe, all day long he wandered; by the hour when night
Il se sentit le cœur triste comme une tombe, [falls
Alors il s’écria : his heart felt as heavy as the grave,
and he cried out:
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– « Ô douleur ! j’ai voulu, moi dont l’âme est troublée, “O grief! I, whose soul is troubled, wished
Savoir si l’urne encor conservait la liqueur, to know if the urn still retained its sweet liquor,
Et voir ce qu’avait fait cette heureuse vallée and see what this happy vale had done
De tout ce que j’avais laissé là de mon cœur ! with all that my heart had here left behind.
Que peu de temps suffit pour changer toutes “How quickly everything can change!
[choses ! Nature with your serene countenance, how you
Nature au front serein, comme vous oubliez ! [forget!
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses And how in your metamorphoses you break
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés ! the mysterious threads that bind our hearts!
[…] […]
Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages ! “Well then, house, garden, shady trees, forget us!
Herbe, use notre seuil ! [ronces, cachez3] nos pas ! Weeds, spoil our threshold! Brambles, overgrow
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, [our paths!
[feuillages ! Birds, sing! Streams, flow! Leaves, flourish!
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas. Those you forget will not forget you.
Car vous êtes pour nous l’ombre de l’amour même ! “For to us you are the shadow of love itself!
Vous êtes l’oasis qu’on rencontre en chemin ! You are the oasis encountered on the way!
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême You, O vale, are the supreme retreat,
Où nous avons pleuré nous tenant par la main ! » where we wept and held each other by the hand!”
[…] […]
38
5. Dans les ruines d’une abbaye (c1866) In the Ruins of an Abbey
Victor Hugo
Seuls tous deux, ravis, chantants ! Just the two of us, enraptured, singing!
Comme on s’aime ! How we love each other!
Comme on cueille le printemps How we reap the springtime
Que Dieu sème ! sown by God!
[…] […]
39
On se cherche, on se poursuit, We seek and chase each other,
On sent croître we feel your dawning
Ton aube, amour, dans la nuit grow brighter, O love, in the darkness
Du vieux cloître. of the old cloister.
Sous les piliers, les arceaux, beneath the pillars, the arches,
Et les marbres. and the marbles;
C’est l’histoire des oiseaux we’re just like the birds
Dans les arbres. in the trees.
[…] […]
40
Nous pensons à la terre We think of the land
Que nous fuyons toujours, we are always leaving behind,
À notre vieille mère, of our old mother,
À nos jeunes amours ; of our young sweethearts.
Mais la vague légère But the gentle wave
Avec son doux refrain, with its sweet refrain
Endort notre chagrin ! lulls our sorrow!
[…] […]
I– I–
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; Soon we shall plunge into cold shadows;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! farewell, vivid light of our too-short summers!
J’entends déjà tomber avec [un choc funèbre6] Already I hear the funereal thud
Le bois retentissant sur le pavé des cours. of echoing logs on the courtyard floor.
[…] […]
41
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ; I listen, trembling, to the fall of each log;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. a gallows being built makes no duller sound.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe My spirit is like the tower that falls
Sous les coups du bélier infatigable et lourd. to the remorseless blows of the battering-ram.
[…] […]
Il me semble, bercé par ce choc monotone, Rocked by those monotone blows, it seems
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque somewhere in haste they are nailing a coffin.
[part… But whose? Yesterday summer; autumn now!
Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne ! This eerie sound rings like some farewell.
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II – II –
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, I love the emerald glow of your wide eyes,
Douce beauté, mais [aujourd’hui tout7] m’est amer, my sweet, but all today is bitter for me,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre, and nothing, not your love, the boudoir, or the
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. [hearth
can compare with the sunlight on the sea.
[…] […]
42
8. [Rêve d’amour (S’il est un charmant gazon)] [Dream of Love (If there be some charming
Nouvelle chanson sur un vieil air (1864) grassy spot)]
Victor Hugo New Song to an Old Tune
43
9. [L’Absent] [The Absent One]
Sentiers où l’herbe se balance (1871) Paths of swaying grass
Victor Hugo
– Chien, veille au logis. – Pourquoi faire ? – Dog, guard the home. – For what reason?
La maison est vide à présent ! The house is empty now.
– Enfant, qui pleures-tu ? – Mon père. – Child, who is it you mourn? – My father.
– Femme, qui pleures-tu ? – L’absent. – Woman, who is it you mourn? – The absent one.
– Où [donc10] est-il allé ? – Dans l’ombre. – Where has he gone? – Into the shadow.
– Flots qui gémissez sur l’écueil, – Waves that moan against the reefs,
D’où venez-vous ? – Du bagne sombre. from where do you come? – The dark convict
– Et qu’apportez-vous ? – Un cercueil. [prison.
– And what do you carry? – A coffin.
44
10. [L’Aurore] L’Aurore s’allume (c1870) [The Dawn] The dawn is kindling
Victor Hugo
[…] […]
45
CINQ MÉLODIES « DE VENISE » (1891)
Paul Verlaine
46
12. En sourdine Muted
[Mêlons12] nos âmes, nos cœurs Let us mingle our souls, our hearts
Et nos sens extasiés, and our enraptured senses
Parmi les vagues langueurs with the hazy languor
Des pins et des arbousiers. of arbutus and pine.
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13. Green Green
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des Here are flowers, branches, fruit, and fronds,
[branches and here too is my heart that beats just for you.
Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous. Do not tear it with your two white hands
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches, and may the humble gift please your lovely eyes.
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit
[doux.
J’arrive tout couvert encore de rosée I come all covered still with the dew
Que le vent du matin vient glacer à mon front. frozen to my brow by the morning breeze.
Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée, Let my fatigue, finding rest at your feet,
Rêve des chers instants qui la délasseront. fream of dear moments that will soothe it.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête On your young breast let me cradle my head
Toute sonore encor de vos derniers baisers ; still ringing with your recent kisses;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête, after love’s sweet tumult grant it peace,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez. and let me sleep a while, since you rest.
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Puisque l’arôme insigne since the rare perfume
De ta pâleur de cygne, of your swan-like pallor,
Et puisque la candeur and since the purity
De ton odeur, of your fragrance,
15. [C’est l’extase…] C’est l’extase langoureuse [It is rapture...] It is languorous rapture
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Cette âme qui se lamente This soul which grieves
[Et14] cette plainte dormante and this subdued lament,
C’est la nôtre, n’est-ce pas ? it is ours, is it not?
La mienne, dis, et la tienne, Mine, and yours too,
Dont s’exhale l’humble antienne breathing out our humble hymn
Par ce tiède soir, tout bas ? on this warm evening, soft and low?
Si, pareille à la fleur des morts, If, like the flower of the dead,
Qui fleurit dans l’exil des tombes, which blooms in the exile of the grave,
Tu veux partager mes remords… you should wish to share my remorse,
Je t’apporterai des colombes ! I will bring you doves!
50
17. Clair de lune (1887) Moonlight
Paul Verlaine
Au calme clair de lune triste et beau, the calm light of the moon, sad and fair,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres that sets the birds dreaming in the trees
Et sangloter d’extase les jets d’eau, and the fountains sobbing in their rapture,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres. tall and svelte amid marble statues.
[…] […]
Voici que les jardins de la Nuit vont fleurir. Now the gardens of Night begin to flower.
Les lignes, les couleurs, les sons deviennent vagues. Lines, colours, and sounds begin to blur.
Vois, le dernier rayon agonise à tes bagues. See the last rays fade on your rings.
Ma sœur, entends-tu pas quelque chose mourir ?... Sister, can you not hear something die?
51
Mets sur mon front tes mains fraîches comme une Place your hands, cool as pure water, on my brow,
[eau pure, place on my eyes your hands as sweet as flowers;
Mets sur mes yeux tes mains douces comme des and let my soul, with its secret taste of tears,
[fleurs ; be like a lily at your waist, faithful and pale.
Et que mon âme, où vit le goût secret des pleurs,
Soit comme un lys fidèle et pâle à ta ceinture.
C’est la Pitié qui pose ainsi son doigt sur nous ; It is Pity that lays thus its finger on us;
Et tout ce que la terre a de soupirs qui montent, and all the sighs that rise from the earth
Il semble qu’à mon cœur enivré le racontent seem uttered to my enraptured heart
Tes yeux levés au ciel, si tristes et si doux. by your sad sweet eyes raised to the skies.
19. [Prison] Le Ciel est par-dessus le toit (1894) [Prison] The sky above the roof
Paul Verlaine
La cloche, dans le ciel qu’on voit, The bell, in the sky that you see,
Doucement tinte. gently rings.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit A bird, on the tree that you see,
Chante sa plainte. plaintively sings.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, My God, my God, life is there,
Simple et tranquille. simple and serene.
Cette paisible rumeur-là That peaceful murmur there
Vient de la ville. comes from the town.
52
– Qu’as-tu fait, ô toi que voilà – O you, what have you done,
Pleurant sans cesse, weeping without end,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, say, what have you done
De ta jeunesse ? with your young life?
Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre, Let us weep for our sorrows, each for his own.
Une larme tombe, puis une autre, A tear falls, and then another.
Toi, qui pleures-tu ? Ton doux pays, You, why do you weep? For your sweet homeland,
Tes parents lointains, ta fiancée. your faraway family, your betrothed.
Moi, mon existence dépensée I, for my existence wasted
En vœux trahis. on broken vows.
Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre. Let us weep for our sorrows, each for his own.
Une larme tombe, puis une autre. A tear falls, and then another.
Semons dans la mer ces pâles fleurs. Let us scatter on the sea these pale flowers;
À notre sanglot qui se lamente to our sobbing lament
Elle répondra par la tourmente it will respond with a storm
Des flots hurleurs. of howling waves.
[…] […]
Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre. Let us weep for our sorrows, each for his own.
Une larme tombe, puis une autre. A tear falls, and then another.
Peut-être toi-même, ô triste mer, Perhaps you yourself, O sad sea,
Mer au goût de larme âcre et salée, sea tasting of acrid, salty tears,
Es-tu de la terre inconsolée are the unconsoled earth’s
Le pleur amer. bitter weeping.
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21. Au cimetière (1888) In the Cemetery
Jean Richepin
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Combien plus malchanceux How much more unfortunate
Sont ceux are they
Qui meurent à la mé, who die at sea,
Et sous le flot profond and beneath deep waters
S’en vont drift
Loin du pays aimé ! far from their beloved land!
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22. [Spleen] Il pleure dans mon cœur… (1888) [Spleen] Tears fall in my heart…
Paul Verlaine
Je dirai la Rose aux plis gracieux. I shall speak of the rose with its graceful folds.
La Rose est le souffle embaumé des Dieux, The rose is the fragrant breath of the gods,
Le plus cher souci des Muses divines ! the most tender care of the divine Muses!
Je dirai ta gloire, ô charme des yeux, I shall speak of your glory, O delightful sight,
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Ô fleur de Kypris, reine des collines ! O flower of Cypris, queen of the hills!
Tu t’épanouis entre les beaux doigts You unfold between the lovely fingers
De l’Aube écartant les ombres moroses ; of Dawn, as she dispels the gloomy shadows;
L’air bleu devient rose, et roses les bois ; the blue air turns rosy, and rosy the woods;
La bouche et le sein des [vierges18] sont roses ! the lips and breast of maidens are rosy!
Heureuse la vierge aux bras arrondis Happy the maiden with shapely arms
Qui dans les halliers humides te cueille ! who gathers you in the damp thickets!
Heureux le front jeune où tu resplendis ! Happy the young brow that you adorn!
Heureuse la coupe où nage ta feuille ! Happy the cup in which your petals float!
Ruisselante encor du flot paternel, When, streaming still from the paternal waters,
Quand de la mer bleue Aphrodite éclose Aphrodite emerged from the blue sea,
Étincela nue aux clartés du ciel, glistening naked in the brightness of the sky,
La Terre jalouse enfanta la rose ; the jealous Earth gave birth to the rose;
Et l’Olympe entier, d’amour transporté, and all Olympus, transported by love,
Salua la fleur avec la Beauté ! greeted the flower together with Beauty!
La note d’or que fait entendre the golden note of the horn
[Le19] cor dans le lointain des bois, in forests far away,
Mariée à la fierté tendre blended with the tender pride
Des nobles Dames d’autrefois ; of noble Ladies of long ago;
57
Avec cela le charme insigne and then - the rare charm
D’un frais sourire triomphant of fresh, triumphant smile,
Éclos dans des candeurs de cygne flowering in swan-like innocence
Et des rougeurs de femme-enfant ; and the blushes of a child-bride;
Des aspects nacrés, blancs et roses, a nacreous sheen of white and pink,
Un doux accord patricien : a sweet patrician harmony –
Je vois, j’entends toutes ces choses all these things I see and hear
Dans son nom Carlovingien. in her Carolingian name.
Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore, Since day is breaking, since dawn is here,
Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut since hope, having long eluded me, would now
[bien return to me and my imploring,
Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore, since all this happiness will truly be mine,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
[…] […]
Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes I shall, guided by your fair eyes’ gentle glow,
[douces, led by your hand in which I place my trembling
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main, [hand,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de walk stright ahead, on mossy paths
[mousses or boulder-strewn and stony tracks.
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;
[…] […]
58
Et comme, pour bercer les lenteurs de la route, And while, to ease the journey’s languid pace,
Je chanterai des airs ingénus, je me dis I shall sing some simple airs, I tell myself
Qu’elle m’écoutera sans déplaisir sans doute ; that she will surely hear me without displeasure;
Et vraiment je ne veux pas d’autre Paradis. and truly I crave no other paradise.
26. [La lune blanche luit dans les bois] [The white moon gleams in the woods]
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27. [J’allais par des chemins perfides] [I walked along treacherous ways]
Nul bruit, sinon son pas sonore, No sound, save his own footfall,
N’encourageait le voyageur. encouraged the traveller.
Votre voix me dit : « Marche encore ! » Your voice said: “Walk on!”
Mon cœur craintif, mon sombre cœur My fearful heart, my heavy heart,
Pleurait, seul, sur la triste voie ; wept, lonely along the sad road;
L’amour, délicieux vainqueur, love, that charming conqueror,
Tant votre image, à jamais chère, so deeply does your ever-dear image
Habite en ce cœur tout à vous, inhabit this heart that is wholly yours,
[Ce21] cœur uniquement jaloux this heart, whose sole desire
De vous aimer et de vous plaire ; is to love you and please you.
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Et je tremble, pardonnez-moi And I tremble, forgive me
D’aussi franchement vous le dire, for telling you so frankly,
À penser qu’un mot, un sourire to think that one word, one smile
De vous est désormais ma loi, from you is henceforth law to me,
Et qu’il vous suffirait d’un geste, and that one gesture would suffice,
D’une parole ou d’un clin d’œil, one word, one single glance,
Pour mettre tout mon être en deuil to plunge my whole being in mourning
De son illusion céleste. from its heavenly illusion.
Mais plutôt je ne veux vous voir, But I would sooner not see you –
L’avenir dût-il m’être sombre however dark the future might be
Et fécond en peines sans nombre, and full of untold grief –
Qu’à travers un immense espoir, could I not, through an immense hope,
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Tourne ton regard que noie Turn your gaze drowned
L’aurore dans son azur ; in the blue of dawn;
– Quelle joie – What delight
Parmi les champs de blé mûr ! – among the fields of ripened corn! –
Dans le doux rêve où s’agite Into the sweet dream where still asleep
Ma mie endormie encor... my love is stirring ...
– Vite, vite, – Make haste, make haste,
Car voici le soleil d’or. – for here’s the golden sun.
30. [Donc, ce sera par un clair jour d’été] [So, on a bright summer day it shall be]
Donc, ce sera par un clair jour d’été : So, on a bright summer day it shall be:
Le grand soleil, complice de ma joie, the great sun, my partner in joy,
Fera, parmi le satin et la soie, shall make, amid the satin and the silk,
Plus belle encor votre chère beauté ; your dear beauty lovelier still;
Le ciel tout bleu, comme une haute tente, the sky, all blue, like a tall canopy,
Frissonnera somptueux à longs plis shall quiver sumptuously in the long folds
Sur nos deux fronts heureux qu’auront pâlis above our two happy brows, grown pale
L’émotion du bonheur et l’attente ; with pleasure and expectancy;
Et quand le soir viendra, l’air sera doux and when evening comes, the breeze shall be soft
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles, and play caressingly about your veils,
Et les regards paisibles des étoiles and the peaceful stars looking down
Bienveillamment souriront aux époux. shall smile benevolently on man and wife.
62
31. [N’est-ce pas ?] [Is it not so?]
[…] […]
N’est-ce pas ? nous irons gais et lents, dans la voie Is it not so? Happy and unhurried we’ll follow
Modeste que nous montre en souriant l’Espoir, the modest path where Hope directs us with a
Peu soucieux qu’on nous ignore ou qu’on nous [smile,
[voie. little caring if we are neither known nor seen.
Isolés dans l’amour ainsi qu’en un bois noir, Isolated in love as in a dark wood,
Nos deux cœurs, exhalant leur tendresse paisible, our two hearts, breathing gentle love,
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir. shall be two nightingales singing at evening.
[…] […]
Sans nous préoccuper de ce que nous destine With no though of what Destiny
Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas, has in store, we shall walk along together,
Et la main dans la main, avec l’âme enfantine hand in hand our souls like those of children
De ceux qui s’aiment sans mélange, n’est-ce pas ? whose love is unalloyed, is that not so?
L’hiver a cessé : la lumière est tiède Winter is over, the light is soft
Et danse, du sol au firmament clair. and dances up from the earth to the clear sky.
Il faut que le cœur le plus triste cède The saddest heart must surrender
À l’immense joie éparse dans l’air. to the great joy that fills the air.
[…] […]
63
J’ai depuis un an le printemps dans l’âme For a year I have had spring in my soul,
Et le vert retour du doux floréal, and the green return of sweet May,
Ainsi qu’une flamme entoure une flamme, like flame encircling flame,
Met de l’idéal sur mon idéal. adds an ideal to my ideal.
Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne The blue sky prolongs, heightens, and crowns
L’immuable azur où rit mon amour. the steadfast azure where my love smiles.
La saison est belle et ma part est bonne The season is fair and my lot is happy
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour. and all my hopes are at last fulfilled.
Que vienne l’été ! que viennent encore Let summer come! Let autumn
L’automne et l’hiver ! Et chaque saison and winter come too! Each season
Me sera charmante, ô Toi que décore will delight me, O You graced with
Cette fantaisie et cette raison ! imagination and good sense!
64
© Palazzetto Bru Zane / LIbrary of the French Academy in Rome - Villa Medici
65
CD2
1. Au bord de l’eau (1875) On the Bank of a Flowing Stream
Sully Prudhomme
S’asseoir tous deux au bord [du23] flot qui passe, To sit together on the bank of a flowing stream,
Le voir passer ; to watch it flow;
Tous deux, s’il glisse un nuage en l’espace, together, if a cloud glides by,
Le voir glisser ; to watch it glide;
À l’horizon, s’il fume un toit de chaume, on the horizon, if smoke rises from thatch,
Le voir fumer ; to watch it rise;
Aux alentours si quelque fleur embaume, if nearby a flower smells sweet,
S’en embaumer ; to savour its sweetness;
[…] […]
Entendre au pied du saule où l’eau murmure To listen at the foot of the willow, where water
L’eau murmurer ; [murmurs,
to the murmuring water;
Ne pas sentir, tant que ce rêve dure, not to feel, while this dream passes,
Le temps durer ; the passing of time;
Mais n’apportant de passion profonde but feeling no deep passion,
Qu’à s’adorer, except to adore each other,
Sans nul souci des querelles du monde, with no cares for the quarrels of the world,
Les ignorer ; to know nothing of them;
Et seuls, [tous deux24] devant tout ce qui lasse, and alone together, seeing all that tires,
Sans se lasser, not to tire of each other,
Sentir l’amour, devant tout ce qui passe, to feel that love, in the face of all that passes,
Ne point passer ! shall never pass!
66
2. Ici-bas [!] (1874) Here Below[!]
Sully Prudhomme
Ici-bas tous les lilas meurent, Here below, all the lilacs die,
Tous les chants des oiseaux sont courts, all birdsong is but brief;
Je rêve aux étés qui demeurent I dream of summers that last
Toujours... forever!
Ici-bas, tous les hommes pleurent Here below, every man is grieving
Leurs amitiés ou leurs amours, some lost love or friendship;
Je rêve aux couples qui demeurent I dream of relationships that endure
Toujours... forever!
67
L’un est l’Art, et l’autre l’Amour. One field is Art, and the other Love.
– Pour rendre le juge propice, – To gain the judge’s favour
Lorsque de la stricte justice when the terrible day
Paraîtra le terrible jour, of final judgement dawns,
68
Si tu veux savoir, Sylvie, If you wish to know, Sylvie,
Pourquoi j’aime à la folie why to distraction I love
Tes yeux brillants et langoureux ? your bright and dreamy eyes,
Je te le dirai, Sylvie, I will tell you, Sylvie:
C’est que sans toi dans la vie that without you in my life,
Tout pour mon cœur my heart feels naught
N’est que douleur ! but sorrow!
69
En [déshabillé blanc26], In their simple white dresses,
Les jeunes demoiselles the young girls stroll
S’en vont sous les tonnelles beneath the arbours
Au bras de [leur galant27] ; on their lovers’ arms;
La lune langoureuse the languorous moon
Argente leurs baisers casts silvery light
Longuement appuyés, on their lingering kisses.
Hélas ! j’ai dans le cœur une tristesse affreuse. But alas, a terrible sadness afflicts my heart!
70
La voix de ton amant Your lover’s voice
A dissipé ton rêve, has dispelled your dream;
Je vois ton rideau blanc I see your white curtain
Qui tremble et se soulève, quiver and lift,
D’amour signal charmant ! a charming sign of love!
Descends sur ce tapis de mousse Come down to this mossy carpet,
La brise est tiède encor, the breeze is still warm,
Et la lumière est douce, and the light is mellow.
Accours, ô mon trésor ! Come quickly, my treasure!
J’aime tes yeux, j’aime ton front, I love your eyes, I love your brow,
Ô ma rebelle, ô ma farouche, O my rebel, O my wild one,
J’aime tes yeux, j’aime ta bouche I love your eyes, I love your mouth
Où mes baisers s’épuiseront. where my kisses shall dissolve.
J’aime ta voix, j’aime l’étrange I love your voice, I love the strange
Grâce de tout ce que tu dis, charm of all you say,
Ô ma rebelle, ô mon cher ange, O my rebel, O my dear angel,
Mon enfer et mon paradis ! my inferno and my paradise!
J’aime tout ce qui te fait belle, I love all that makes you beautiful
De tes pieds jusqu’à tes cheveux, from your feet to your hair,
Ô toi vers qui montent mes vœux, O you the object of all my vows,
Ô ma farouche, ô ma rebelle ! O my wild one, O my rebel!
71
[J’aime tes yeux, j’aime ton front, [I love your eyes, I love your brow,
Ô ma rebelle, ô ma farouche, O my rebel, O my wild one,
J’aime tes yeux, j’aime ta bouche I love your eyes, I love your mouth
Où mes baisers s’épuiseront.] where my kisses shall dissolve.]
72
Par un matin d’automne, One autumn morning
Elle vient et s’étonne, she comes and is amazed
De voir les bois déserts : to find the woods deserted.
Avec les hirondelles with the swallows,
Ses amis infidèles her unfaithful friends
Avaient fui [dans29] les airs. had flown away on the wind.
Des jardins de la nuit s’envolent les étoiles, From the gardens of the night the stars take wing,
Abeilles d’or qu’attire un invisible miel, golden bees lured by invisible honey,
Et l’aube, au loin tendant la candeur de ses toiles, and the distant dawn, stretching its innocent veils,
Trame de fils d’argent le manteau bleu du ciel. weaves silver threads into the sky’s blue mantle.
Du jardin de mon cœur qu’un rêve lent enivre From the garden of my heart, enraptured by a
S’envolent mes désirs sur les pas du matin, [dream,
Comme un essaim léger qu’à l’horizon de cuivre, my desires take wing as morn approaches,
Appelle un chant plaintif, éternel et lointain. like a light swarm called to the copper horizon
by a plaintive song, everlasting and distant.
73
Ils volent à tes pieds, astres chassés des nues, They fly to your feet, stars banished from the skies,
Exilés du ciel d’or où fleurit ta beauté exiled from the golden heavens, where your beauty
Et, cherchant jusqu’à toi des routes inconnues, [thrives,
Mêlent au jour naissant leur mourante clarté. and, seeking to reach you by unknown paths,
mingle their fading light with the dawning day.
Que le vent qui te sèche May the wind that withers you,
Ô pauvre fleur, O poor flower,
Tout à l’heure si fraîche just now so fresh
Et demain sans couleur ! and tomorrow faded,
– Que le vent qui te sèche, – may the wind that withers you
Sèche mon cœur ! wither my heart!
74
11. Le Pays des rêves (1884) The Land of Dreams
Armand Silvestre
J’ai taillé dans l’azur les toiles I have fashioned from the blue skies
Du vaisseau qui nous portera, sails for the boat that will carry us
Et doucement nous conduira and gently will lead us
Jusqu’au verger d’or des étoiles. to the golden orchard of the stars.
J’ai taillé dans l’azur les toiles I have fashioned from the blue skies
Du vaisseau qui nous conduira. sails for the boat that will carry us.
Mais combien la terre est lointaine But how far away is the land
Que poursuivent ses blancs sillons ! that with its white wake it pursues!
Au caprice des papillons Let us ask the capricious butterflies
Demandons la route incertaine : how to find the uncertain route.
Ah ! combien la terre est lointaine Ah, how far away is the land
Où fleurissent nos visions ! where our visions blossom!
Vois-tu : – le beau pays des rêves You see, the beautiful land of dreams
Est trop haut pour les pas humains. is too high for human steps.
Respirons à deux les jasmins, Together let us breathe the scent of the jasmines,
Et chantons encor sur les grèves. and let us sing again on the sandy shore.
– Vois-tu : du beau pays des rêves You see, only love knows the paths that lead
L’amour seul en sait les chemins. to the beautiful land of dreams.
75
12. Les Roses d’Ispahan (1884) The Roses of Isfahan
Charles Marie René Leconte de Lisle
Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse, The roses of Isfahan in their mossy sheaths,
Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l’oranger the jasmines of Mosul, the orange blossom
Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins have a fragrance less fresh and a scent less sweet,
[douce, O pale Leilah, than your soft breath!
Ô blanche Leïlah ! que ton souffle léger.
Ta lèvre est de corail, et ton rire léger Your lips are of coral and your light laughter
Sonne mieux que l’eau vive et d’une voix plus rings brighter and sweeter than running water,
[douce, than the blithe wind rocking the orange-tree
Mieux que le vent joyeux qui berce l’oranger, [boughs,
Mieux que l’oiseau qui chante au bord d’un nid de than the singing bird by its mossy nest…
[mousse.
[…] […]
Ô Leïlah ! depuis que de leur vol léger O Leilah, ever since on light wings
Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce, all kisses have flown from your sweet lips,
Il n’est plus de parfum dans le pâle oranger, the pale orange-tree fragrance is spent,
Ni de céleste arôme aux roses dans leur mousse. and the heavenly scent of moss-clad roses…
[…] […]
Oh ! que ton jeune amour, ce papillon léger, Oh! may your young love, that airy butterfly,
Revienne vers mon cœur d’une aile prompte et wing swiftly and gently to my heart once more,
[douce, to scent again the orange blossom,
Et qu’il parfume encor [la fleur ] de l’oranger,
33
the roses of Isfahan in their mossy sheaths!
Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse !
76
13. Nell (1878) Nell
Charles Marie René Leconte de Lisle
Ta rose de pourpre à ton clair soleil, Your crimson rose in your bright sunshine,
Ô Juin, étincelle enivrée ; O month of June, glows with rapture;
Penche aussi vers moi ta coupe dorée : incline to me too your golden cup:
Mon cœur à ta rose est pareil. my heart is like your rose.
Sous le mol abri de la feuille ombreuse From the light cover of the shady leaves
Monte un soupir de volupté : rises a sigh of pleasure:
Plus d’un ramier chante au bois écarté, ring-doves in the secluded wood,
Ô mon cœur, sa plainte amoureuse. O my heart, are plaintively singing of love.
Que ta perle est douce au ciel [enflammé34] How sweet is your pearl in the fiery sky,
Étoile de la nuit pensive ! pensive star of the night!
Mais combien plus douce est la clarté vive But how much sweeter is the vivid brightness
Qui rayonne en mon cœur charmé ! that shines forth in my enchanted heart!
La chantante mer, le long du rivage, The soughing sea, along the shore,
Taira son murmure éternel, will cease its perpetual murmur,
Avant qu’en mon cœur, chère amour, ô Nell, ere, dear love, O Nell, your image
Ne fleurisse plus ton image ! will cease to bloom in my heart!
77
Car j’ai vécu n’ayant qu’un dieu, For I have lived having only one god,
L’astre qui luit et qui féconde. the Sun that beams and brings fertility,
Et c’est dans son linceul de feu and in its fiery shroud
Que je veux m’en aller du monde ! I wish to depart this world!
Automne au ciel brumeux, aux horizons navrants, Autumn of misty skies and heartbreaking horizons,
Aux rapides couchants, aux aurores pâlies, of swift sunsets and pale dawns,
Je regarde couler, [comme35] l’eau [du torrent36], I watch flow by, like torrential water,
Tes jours faits de [mélancolie37]. your days imbued with melancholy.
Sur l’aile des regrets mes esprits emportés, My thoughts, borne away on the wings of regret,
– Comme s’il se pouvait que notre âge renaisse ! – – as though our time could come round again! –
Parcourent, en rêvant, les coteaux enchantés roam in reverie the enchanted hills,
Où jadis sourit ma jeunesse. where long ago my youth once smiled.
78
Je sens, au clair soleil du souvenir vainqueur, In the bright sun of triumphant memory
Refleurir en bouquet les roses déliées I feel untied roses reflower in bouquets,
Et monter à mes yeux des larmes, qu’en mon cœur, and tears rise to my eyes, which in my heart
Mes vingt ans avaient oubliées ! at twenty had been forgotten!
79
Notre amour est chose éternelle Our love is something everlasting,
Comme tout ce qu’un dieu vainqueur like everything that a victorious god
A touché du feu de son aile, has touched with his fiery wing,
Comme tout ce qui vient du cœur, like everything that comes from the heart,
– Notre amour est chose éternelle. – Our love is something everlasting.
17. [Les Berceaux] Le Long du quai (1879) [The Cradles] Along the quay
Sully Prudhomme
Le long du quai les grands vaisseaux, Along the quay the great ships,
Que la houle incline en silence, listing silently with the surge,
Ne prennent pas garde aux berceaux pay no heed to the cradles
Que la main des femmes balance. rocked by women’s hands.
Mais viendra le jour des adieux ; But the day of parting will come,
Car il faut que les femmes pleurent, for it is decreed that women shall weep,
Et que les hommes curieux and that men with questing spirits
Tentent les horizons qui leurrent. shall seek enticing horizons.
Et ce jour-là les grands vaisseaux, And on that day the great ships,
Fuyant le port qui diminue, leaving the dwindling harbour behind,
Sentent leur masse retenue shall feel their hulls held back
Par l’âme des lointains berceaux. by the soul of the distant cradles.
80
18. [Le Secret] Mystère (1881) [The Secret] Mystery
Armand Silvestre
Je veux que le matin l’ignore Would that the morn were unaware
Le nom que j’ai dit à la nuit, of the name I told to the night,
Et qu’au vent de l’aube, sans bruit, and that in the dawn breeze, silently,
Comme une larme il s’évapore. it would vanish like a tear.
Je veux que le jour le proclame Would that the day might proclaim it,
L’amour qu’au matin j’ai caché, the love I hid from the morn,
Et, sur mon cœur ouvert penché, and poised above my open heart,
[Comme un grain d’encens il l’enflamme39]. like a grain of incense kindle it.
Je veux que le couchant l’oublie Would that the sunset might forget,
Le secret que j’ai dit au jour the secret I told to the day,
Et l’emporte, avec mon amour, and would carry it and my love away
Aux plis de sa robe pâlie ! in the folds of its faded robe!
81
Pour toucher son cœur inhumain To touch her unfeeling heart
[Je41] chante ma peine cruelle, I sing of my cruel suffering,
– Et, bien qu’elle me soit rebelle, and although she resists me,
C’est pour moi le plus doux chemin ! it is for me the sweetest path!
Avec son chant doux et plaintif, With its soft and plaintive call,
Ce ramier blanc te fait envie : that white ring-dove makes you envious;
S’il te plaît l’avoir pour captif, if you wish to have it as your captive,
J’irai te le chercher, Sylvie. I will go and fetch it for you, Sylvie.
Mais là, près de toi, dans mon sein, But here, close to you, in my breast,
Comme ce ramier mon cœur chante : my heart calls like that ring-dove;
S’il t’en plaît faire le larcin, if you would like to steal it away,
Il sera mieux à toi, méchante ! cruel one, it will be better off as yours!
Pour qu’il soit tel qu’un ramier blanc, For it to be like a white ring-dove,
Le prisonnier que tu recèles, the prisoner that you detain,
Sur mon cœur, oiselet tremblant, upon my heart, a trembling little bird,
Pose tes mains comme deux ailes. place your hands like two wings.
82
SHYLOCK (1889)
Edmond Haraucourt
Oh ! les filles ! Venez, les filles aux voix douces ! Oh, girls! Come, girls with sweet voices!
C’est l’heure d’oublier l’orgueil et les vertus, ‘tis time to forget pride and virtues,
Et nous regarderons éclore dans les mousses, and come to the mossy banks
La fleur des baisers défendus. there to enjoy forbidden kisses!
Les baisers défendus, c’est Dieu qui les ordonne. Forbidden kisses, they are God’s command!
Oh ! les filles ! Il fait le printemps pour les nids, Oh, girls, he made the springtime for loving,
Il fait votre beauté pour qu’elle nous soit bonne, and your beauty to be enjoyed,
Nos désirs pour qu’ils soient unis. and our desires for them to be united.
[…] […]
Oh ! [filles42] ! Hors l’amour rien n’est bon sur la Oh, girls! Besides love, there is nothing good
[terre, [on earth,
Et depuis les soirs d’or jusqu’aux matins rosés and from the gold of evening to the pink flush
Les morts ne sont jaloux, dans leur paix solitaire, [of morn,
Que du murmure des baisers ! the dead, alone in the silence of the grave, are jealous
only of the murmur of kisses!
83
Pour marraine elle eut Astarté, Astarte was her godmother,
Pour patronne elle a la Madone, the Madonna her patron saint,
Car elle est belle autant que bonne, for she is as fair as she is kind,
Celle que j’aime ! the one I love!
I– I–
84
II – II –
Mais d’un fin bouleau de la sente, But a slender birch by the path,
Une feuille, un peu rousse, frôle a reddish leaf brushes
Ma tête et tremble à mon épaule ; my head and quivers on my shoulder –
C’est que la forêt vieillissante, for the ageing forest,
Sachant l’hiver, où tout avorte, knowing that winter, when all withers,
Déjà proche en moi comme en elle, is already close for me as for her,
Me fait l’aumône fraternelle bestows on me the fraternal gift,
De sa première feuille morte ! of its first dead leaf!
24. [La Fleur qui va sur l’eau] [The Flower on the Water]
La Belle dans la nuit et la fleur qui va sur l’eau The Fair Lady in the Night and the Flower on
(1902) the Water
Catulle Mendès
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D’un souffle farouche With a savage blast,
L’ouragan hurleur the howling storm
Lui baisa la bouche kissed her mouth
Et lui prit la fleur ! and snatched the flower!
86
25. Accompagnement (1902) Accompaniment
Albert Samain
Comme de longs cheveux peignés au vent du soir, Like long hair combed by the evening breeze,
L’odeur des nuits d’été parfume le lac noir. the scent of summer nights perfumes the black lake.
Le grand lac parfumé brille comme un miroir. The great perfumed lake gleams like a mirror.
[…] […]
Là-bas la lune écoute, accoudée au coteau, Over there the moon, against the hillside, listens
Le silence qu’exhale en glissant le bateau… to the silence of the gliding boat…
Trois grands lys frais-coupés meurent sur mon Three large fresh-cut lilies die on my cape.
[manteau.
Vers tes lèvres, ô Nuit voluptueuse et pâle, Is it their soul or mine that reaches out
Est-ce leur âme, est-ce mon âme qui s’exhale ? to your lips, O pale and voluptuous Night?
Cheveux des nuits d’argent peignés aux longs Hair of silver nights combed by tall reeds…
[roseaux…
87
Comme la lune sur les eaux, Like the moon on the waters,
Comme la rame sur les flots, like the oar on the waves,
Mon âme s’effeuille en sanglots ! My soul sheds itself in sobs!
Or Dieu lui dit : Va, fille humaine, Now God says to her: Go, daughter of man,
Et donne à tous les êtres and bestow on all beings
Que j’ai créés, une parole de tes lèvres, that I have created a word from your lips,
Un son pour les connaître. a sound that we might know them by.
88
Et Ève s’en alla, docile à son seigneur, And Eve went, obedient to her Lord,
En son bosquet de roses, into her rose grove,
Donnant à toutes choses bestowing on all things
Une parole, un son de ses lèvres de fleur : a word, a sound from her flower-like lips:
Chose qui fuit, chose qui souffle, chose qui vole… on all that runs, that breathes, that flies…
Cependant le jour passe, et vague, comme à l’aube, Day meanwhile passes, and hazy, as at dawn,
Au crépuscule, peu à peu, Eden sinks slowly to sleep
L’Éden s’endort et se dérobe in the twilight and steals away
Dans le silence d’un songe bleu. in the silence of a blue dream.
La voix s’est tue, mais tout l’écoute encore, The voice is hushed, but everything still hearkens,
Tout demeure en [l’attente47] ; waiting in expectation;
Lorsque avec le lever de l’étoile du soir, when with the rising of the evening star,
Ève chante. Eve sings.
[…] […]
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Quelle merveille en nous à cette heure ! How we marvel at such a moment!
Des paroles depuis des âges endormies words that had slumbered for aeons
En des sons, en des fleurs, finally come to life on my lips
Sur mes lèvres enfin prennent vie. as sounds, as flowers.
Depuis que mon souffle a dit leur chanson, Since my breath uttered their song,
Depuis que ma voix les a créées, since my voice created them,
Quel silence heureux et profond what deep and blissful silence
Naît de leurs âmes allégées ! is born from their unburdened souls!
90
29. [Comme Dieu rayonne] [How radiant is God]
L’aube blanche dit à mon rêve : The white dawn says to my dream:
Éveille-toi, le soleil luit. awake, the sun is shining.
Mon âme écoute, et je soulève My soul listens, and I raise
Un peu mes paupières vers lui. my eyes a little towards it.
91
Et mon âme, comme une rose And my soul, like a rose
Tremblante, lente, tout le jour, that is trembling and listless all day,
S’éveille à la beauté des choses, awakens to the beauty of things,
Comme mon cœur à leur amour. as my heart awakens to their love.
[…] […]
Et tu descends par des pentes douces And you descend by the gentle banks
De fleurs et de mousses, of flowers and moss
Vers l’océan originel, towards the primeval ocean,
Toi qui passes et vas, sans cesse, et jamais lasse you who come and go, without cease or fatigue,
De la terre à la mer et de la mer au ciel. from the land to the sea and from the sea to the sky.
[…] […]
92
32. [Veilles-tu, ma senteur de soleil ?] [Are you awake, my fragrant sun?]
Sent-il que j’étends les bras, Does he sense that I reach out my arms,
Et que des lys de mes vallées and that my voice – which he cannot hear –
Ma voix qu’il n’entend pas is fragrant
Est embaumée ? with lilies from my valleys?
93
33. [Dans un parfum de roses blanches] [Amid the scent of white roses]
[…] […]
Une voix qui chantait, tout à l’heure, murmure. A voice which sang but now, now murmurs.
Un murmure s’exhale en haleine, et s’éteint. A murmur is breathed, and dies away.
94
Île d’oubli, ô Paradis ! Isle of oblivion, O paradise!
Quel cri déchire, dans la nuit, What cry in the night cracks
Ta voix qui me berce ? your voice that cradles me?
Viens, ô douce vague qui brille Come, gentle wave that shines
Dans les ténèbres ; in the darkness:
Emporte-moi dans ton néant ! bear me off into your void!
Viens, brise-moi comme une fleur d’écume, Come, break me like a flower of foam,
Une fleur de soleil à la cime a speck of sun in the crest
Des eaux, of the waves,
[…] […]
95
Et comme d’une amphore d’or and like a golden amphora’s
Un vin de flamme et d’arôme divin, flaming wine of heavenly fragrance,
Épanche mon âme pour my soul
En ton abîme, pour qu’elle embaume into your abyss, that it might perfume
La terre sombre et le souffle des morts. the dark earth and the breath of the dead.
96
La Messagère, autograph manuscript
© BnF · Gallica
97
CD3
1. Lydia (c1870) Lydia
Charles Marie René Leconte de Lisle
Lydia, sur tes roses joues, Lydia, onto your rosy cheeks
Et sur ton col frais, et [si49] blanc, and your neck, so fresh and so pale,
[…] [Roule étincelant50] your hair when you unbind it,
L’or fluide que tu dénoues. cascades, shining like liquid gold.
Le jour qui luit est le meilleur ; The day now dawning is the best;
Oublions l’éternelle tombe. let us forget that we are not immortal.
Laisse tes baisers de colombe Let your gentle, dove-like kisses
Chanter sur [ta lèvre51] en fleur. sing upon your flowering lips.
98
2. Chanson du pêcheur (Lamento) (1872?) Song of the Fisherman (Lament)
Théophile Gautier
99
Je n’aimerai jamais Never with such love
Une femme autant qu’elle. shall I love another.
Que mon sort est amer ! How bitter is my fate!
Ah ! sans amour, s’en aller sur la mer ! Ah, without love, to set out to sea!
Dieu dont la lyre est d’or, The god with the golden lyre,
O fils du grand Zeus ! O son of great Zeus!
Sur le sommet de ces monts neigeux, On the summit of those snowy mountains,
Toi qui répands sur tous les mortels d’immorales you who reveal to all mortals the eternal and
[oracles ; [infallible oracles;
Je dirai comment tu conquis le trépied fatidique I will tell how you conquered the prophetic tripod
[gardé par le dragon [guarded by the dragon,
Quand de tes traits tu mis en fuite le monstre when with your darts you put to flight the dreadful
[affreux aux replis tortueux. [reptile with its monstrous coils.
O Muses de l’Hélicon aux bois profonds, O Muses of Helicon with its deep forests,
Filles de Zeus retentissant, daughters of loud-thundering Zeus,
Vierges aux bras glorieux fair-armed maidens,
Venez par vos accents charmer le dieu come and with your song beguile the god
Phébus votre frère à la chevelure d’or, Phoebus, your brother with the golden tresses,
Le dieu qui, sur les flancs du Parnasse, the god who, on the slope of Parnassus,
Parmi les belles Delphiennes, escorted by the fair maidens of Delphi,
Sur la roche à double cime monte vers le cristal pur on the twin-peaked crag, set out
Des eaux de Castalie, for the limpid streams of Castalia,
Maître étincelant du mont à l’antre prophétique. as he attended to the mountain oracle.
100
Venez à nous, enfants d’Athènes, Come to us, children of Athens,
Dont la grande cité, grâce à Pallas, whose great city, thanks to Pallas,
La déesse au bras vainqueur, goddess of vanquishing power,
Reçut un sol ferme, inviolable. received a firm, inviolable foundation.
Sur les autels brille la flamme, On the altars burns the flame
Qui des jeunes taureaux consume les chairs. that consumes the flesh of bullocks.
Vers le ciel monte l’encens d’Arabie… Arabian incense-smoke rises to the heavens...
Le doux murmure des flûtes The sweet murmur of the flutes
Sonne en chants modulés, sounds in modulated songs,
Et la cithare d’or, la cithare aux doux sons, and the golden, the sweet-sounding kithara
Répond aux voix qui chantent les hymnes. responds to the voices in the songs of praise.
[O Muses de l’Hélicon aux bois profonds, [O Muses of Helicon with its deep forests,
Filles de Zeus retentissant, daughters of loud-thundering Zeus,
Vierges aux bras glorieux fair-armed maidens,
Venez par vos accents charmer le dieu come and with your song beguile the god
Phébus votre frère à la chevelure d’or, Phoebus, your brother with the golden tresses,
Le dieu qui sur les flancs du Parnasse the god who, on the slope of Parnassus,
Parmi les belles Delphiennes, escorted by the fair maidens of Delphi,
Sur la roche à double cime monte vers le cristal pur on the twin-peaked crag, set out
Des eaux de Castalie, for the limpid streams of Castalia,
Maître étincelant du mont à l’antre prophétique.] as he attended to the mountain oracle.]
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4. Sérénade du Bourgeois gentilhomme (1893) Serenade from Le Bourgeois Gentilhomme
Molière
Je languis nuit et jour et [ma peine54] est extrême. I languish night and day and my suffering is extreme,
Depuis qu’à vos rigueurs vos beaux yeux m’ont ever since your lovely eyes subjected me to your
[soumis ! [harshness!
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, If thus you treat, fair Iris, one who loves you,
Hélas ! que pourriez-vous faire à vos ennemis ! alas! how would you treat your enemies?
5. Rencontre Meeting
J’étais triste et pensif quand je t’ai rencontrée, I was sad and pensive when I met you,
Je sens moins aujourd’hui mon obstiné tourment. today I feel less my persistent pain;
Ô dis-moi, serais-tu la femme inespérée, O tell me, could you be the long hoped-for woman,
Et le rêve idéal poursuivi vainement ? and the ideal dream pursued in vain?
Ô passante aux doux yeux, serais-tu donc l’amie O passer-by with gentle eyes, could you be the friend
Qui rendrait le bonheur au poète isolé, to restore the lonely poet’s happiness,
Et vas-tu rayonner, sur mon âme affermie, and will you shine on my steadfast soul
Comme le ciel natal sur un cœur d’exilé ? like native sky on an exiled heart?
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Une mystérieuse et douce sympathie A mysterious and gentle sympathy
Déjà m’enchaîne à toi comme un vivant lien, already binds me to you like a living bond,
Et mon âme frémit, par l’amour envahie, and my soul quivers, overcome by love,
Et mon cœur te chérit sans te connaître bien. and my heart, without knowing you well, adores you.
Mais n’espérez pas que mon âme But do not expect my soul
S’arrache à ses âpres douleurs, to tear itself from bitter sorrow,
Et, se dépouille de sa flamme nor to shed its passion
Comme le printemps de ses fleurs ! as springtime sheds its flowers!
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7. Adieu Farewell
Comme tout meurt vite, la rose How swiftly all things die, the rose
Déclose, in bloom,
Et les frais manteaux diaprés and the cool dappled mantle
Des prés ; of the meadows;
Les longs soupirs, les bien-aimées, long-drawn sighs, loved ones,
Fumées ! all smoke!
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8. [Le Don silencieux] (1906) [The Silent Gift]
Jean Dominique [Marie Closset]
Je mettrai mes deux mains sur ma bouche, pour taire I will place my two hands over my mouth, to silence
Ce que je voudrais tant vous dire, âme bien chère ! what I would so love to tell you, my dearest soul!
Je mettrai mes deux mains sur mes yeux, pour cacher I will place my two hands over my eyes, to hide
Ce que je voudrais tant que pourtant vous cherchiez. what yet I would so love you to seek.
Je mettrai mes deux mains sur mon cœur, chère vie, I will place my two hands over my heart, dear love,
Pour que vous ignoriez de quel cœur je vous prie ! that you may ignore its earnest pleas!
Et puis je les mettrai doucement dans vos mains, Then gently I will place in yours these two hands,
Ces deux mains-ci qui meurent d’un fatigant the hands of one burdened with great sorrow!
[chagrin !...
Elles iront à vous, pleines de leur faiblesse, They will come to you, full of their weakness,
Toutes silencieuses et même sans caresse, all silent and even without a caress,
Lasses d’avoir porté tout le poids d’un secret weary of having borne all the weight of a secret
Dont ma bouche, [et] mes yeux et mon [front55] of which my lips, and my eyes, and my brow would
[parleraient. [speak.
Elles iront à vous, légères d’être vides, They will come to you, light because empty,
Et lourdes d’être tristes, tristes d’être timides ; heavy because sad, sad at being shy;
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9. Chanson (1906) Song
Henri de Régnier
106
LE JARDIN CLOS (1914)
Charles Van Lerberghe
[…] […]
Que ton âme calme et muette, may your calm and silent soul,
Fée endormie au jardin clos, like a fairy slumbering in a secret garden,
En sa douce volonté faite having attained its sweet desire,
Trouve la joie et le repos. find joy and repose.
11. Quand tu plonges tes yeux dans mes yeux When your eyes look deep into my eyes
Quand tu plonges tes yeux dans mes yeux, When your eyes look deep into my eyes,
Je suis toute dans mes yeux. I am, all of me, in my eyes.
107
[Si58] tu frôles mes cheveux, If lightly you touch my hair,
Je n’existe plus qu’en eux. I exist no longer, only there.
108
Et, jusqu’à la dernière sœur, And your sisters, to the very last,
Toutes tremblent, tes lèvres touchent all tremble, your lips touch
Leurs lèvres, l’éclair de ta bouche their lips, and your kiss, like lightning,
Éclate jusque dans leur cœur. thrills through them to the very heart.
13. Je me poserai sur ton cœur I shall settle upon your heart
[Je me poserai sur ton cœur [I shall settle upon your heart,
Comme l’oiseau sur la mer.] like a bird on the sea.]
Quoique tes yeux ne la voient pas, Though your eyes see her not,
[Pense59], en ton âme, qu’elle est là, think, in your soul, that she is there
Comme autrefois divine et blanche. as in the past, divine and pale.
109
Sur ce bord reposent ses mains. Her hands rest upon this bank,
Sa tête est entre ces jasmins ; her head is among the jasmine;
Là, ses pieds effleurent les branches. there, her feet lightly touch the boughs.
[…] […]
110
Pensivement, d’un geste lent, pensively, and slowly,
En longue robe, en robe à queue, in her long, flowing gown,
Sur le soleil au rouet blanc on the sun with its white spinning wheel,
À filer de la laine bleue, spinning blue wool,
16. Il m’est cher, Amour [le bandeau] It is dear to me, Love [the blindfold]
Qui donc a délié dans l’ombre Who then in the shadows has let down
Le faix d’or de mes longs cheveux ? my heavy golden tresses?
Toute ceinte d’étreintes sombres, Quite surrounded by dark embraces,
Je plonge en des vagues de feu. I plunge into waves of fire.
111
17. Inscription sur le sable Inscription on the Sand
Toute, avec sa robe et ses fleurs, Here, entirely, with her gown,
Elle, ici, redevint poussière, her flowers, she returned to dust,
Et son âme emportée ailleurs and her soul, carried away,
Renaquit en chant de lumière. was reborn as a song of radiance.
[…] […]
112
Moi, ma nuit au sombre voile As for me, my darkly veiled night
N’a, pour charme et pour clarté, has, as charm and brightness,
Qu’une fleur et qu’une étoile : but one flower and one star:
Mon amour et ta beauté ! my love and your beauty!
La nuit descend du haut des cieux, Night falls from the sky,
Le givre au toit suspend ses franges, frost hangs its fringes along the roofs.
Et, dans les airs, le vol des anges And the flight of angels in the sky
Éveille un bruit mystérieux. creates a mysterious sound.
L’étoile qui guidait les mages The star that led the Magi
S’arrête enfin dans les nuages, stops at last in the clouds,
Et fait briller un nimbe d’or and casts a golden halo
Sur la chaumière où Jésus dort. above the cottage where Jesus sleeps.
Alors, ouvrant ses yeux divins, Then, opening His divine eyes,
L’enfant couché dans l’humble crèche, from His crib of fresh hay
De son berceau de paille fraîche, the Child, lying in the humble manger,
Sourit aux nobles pèlerins. smiles at the noble pilgrims.
Eux, s’inclinant, lui disent : – Sire, They, bowing down, address Him: Sire,
Reçois l’encens, l’or et la myrrhe, receive the incense, gold and myrrh,
Et laisse-nous, ô doux Jésus, and allow us, gentle Jesus,
Baiser le bout de tes pieds nus. to kiss the tips of your naked feet.
113
Comme eux, ô peuple, incline-toi, Bow down like them, O people,
Imite leur pieux exemple, follow their devout example,
Car cette étable, c’est un temple, for this stable is a temple,
Et cet enfant sera ton roi ! and this Child shall be your king.
Si la voix d’un enfant peut monter jusqu’à Vous, If a child’s voice can rise up to thee,
Ô mon Père, my Father,
Écoutez de Jésus, devant Vous à genoux, listen to Jesus, kneeling before thee
La prière ! in prayer!
Si Vous m’avez choisi pour enseigner vos lois If thou hast chosen me to teach thy laws
Sur la terre, on earth,
Je saurai Vous servir, auguste Roi des rois, I will be able to serve thee, august King of kings,
Ô Lumière ! O Light!
Ne m’abandonnez pas, donnez-moi la douceur Do not abandon me, give me the necessary
Nécessaire, kindness
Pour apaiser les maux, soulager la douleur, to ease pains and relieve suffering
La misère ! and poverty!
114
Révélez-Vous à moi, Seigneur en qui je crois Reveal thyself to me, O Lord, in whom I trust
Et j’espère : and hope:
Pour Vous je veux souffrir et mourir sur la croix, for thee I am willing to suffer and die on the cross,
Au calvaire ! on Calvary!
Pendant qu’ils étaient partis pour la guerre, While they were away at war,
On ne dansait plus, on ne parlait guère, we gave up dancing, we hardly spoke,
On ne chantait pas, we did not sing.
Mes sœurs, c’est la paix ! La guerre est finie, Sisters, we are at peace! The war is over.
[Dans la paix bénie, courons au-devant In this blessed peace,
De nos chers soldats.60] let us run to meet our dear soldiers.
[…] […]
[Et joyeusement, toutes, en cadence, And joyfully, all of us, keeping time,
Nous irons vers eux, en dansant la danse61] we shall go towards them, dancing
Qu’on danse chez nous. the dance we dance at home.
[…] […]
Nous les aimerons ! La guerre est finie We shall love them! The war is over.
Ils seront aimés, dans la paix bénie, They shall be loved, in blessed peace,
Sitôt leur retour. as soon as they return.
Pour avoir chassé la horde germaine For having expelled the Germanic horde,
Ils auront nos cœurs, au lieu de la haine they shall have our hearts – instead of hate,
Ils auront l’amour. they shall have love.
115
MIRAGES (1919)
Renée de Brimont
Ma pensée est un cygne harmonieux et sage My mind is a swan, harmonious and gentle,
qui glisse lentement aux rivages d’ennui slowly gliding along the shores of ennui
sur les ondes sans fond du rêve, du mirage, on the fathomless waters of dream and illusion,
de l’écho, du brouillard, de l’ombre, de la nuit. of echo, of mist, of shadow and darkness.
[…] […]
Il glisse, roi hautain fendant un libre espace, He glides, proud king, cutting his path,
poursuit un reflet vain, précieux et changeant, in pursuit of a vain reflection, precious and fleeting,
et les roseaux nombreux s’inclinent [quand62] and the many reeds bow as he passes,
[il passe, dark and silent, before a silver moon;
sombre et muet, au seuil d’une lune d’argent ;
Et des blancs nénuphars chaque corolle ronde And each round corolla of the white water-lilies
tour-à-tour a fleuri de désir [et63] d’espoir... in turn has flowered with desire and hope...
Mais plus avant toujours, sur la brume et sur l’onde, but ever onward, on the mist and the water,
vers l’inconnu fuyant, glisse le cygne noir. glides the black swan towards the elusive unknown.
Or j’ai dit, « Renoncez, beau cygne chimérique, And I said: Renounce, handsome, deluded swan,
à ce voyage lent vers de troubles destins ; this slow journey towards unclear destinies;
nul miracle chinois, nulle étrange Amérique no miraculous China, no far-off America
ne vous accueilleront en des havres certains ; will welcome you in safe havens;
116
les golfes embaumés, les îles immortelles the fragrant gulfs, the immortal isles
ont pour vous, cygne noir, des récifs périlleux ; hold for you, black swan, perilous reefs;
demeurez sur les lacs où se mirent, fidèles, remain on the lakes, which faithfully reflect
ces nuages, ces fleurs, ces astres, et ces yeux. » these clouds and flowers, these stars, these eyes.
[…] […]
[…] […]
Alors – au fond du Passé bleu – Then in the depths of the blue Past,
mon corps mince n’était qu’un peu my slight body was but a slip
d’ombre mouvante ; of moving shadow;
sous les lauriers et les cyprès beneath the laurels and cypresses,
j’aimais la brise au souffle frais I loved the cool-blowing breeze
qui nous évente... that fans us.
117
J’aimais vos caresses de sœur, I loved your sisterly caresses,
vos nuances, votre douceur, your subtle hues, your mildness,
aube opportune ; timely dawn;
et votre pas souple et rythmé, and your lithe and rhythmic step,
nymphes au rire parfumé, ye nymphs, pale as the moon,
au teint de lune ; with your sweet laughter;
[…] […]
118
24. Jardin nocturne Nocturnal Garden
Nocturne jardin tout rempli de silence, Nocturnal garden suffused with silence,
voici que la lune ouverte se balance now the full moon is drifting
en des voiles d’or fluides et légers ; in light, flowing veils of gold;
elle semble proche et cependant lointaine... it seems close and yet distant...
Son visage rit au cœur de la fontaine Its face is smiling in the heart of the fountain
et l’ombre pâlit sous les noirs orangers. and the shadows pale beneath the dark orange-trees.
Nul bruit, si ce n’est le faible bruit de l’onde No sound, save the faint sound of water
fuyant goutte à goutte au bord des vasques rondes, trickling from the rim of the round basins,
ou le bleu frisson d’une brise d’été, the gentle shiver of a summer breeze,
furtive parmi des palmes invisibles... furtive among invisible palms...
Je sais, ô jardin, vos caresses sensibles, I know, O garden, your tender caresses,
et votre languide et chaude volupté ! and your warm and languid delight!
Je sais votre paix délectable et morose, I know your exquisite, brooding peacefulness,
vos parfums d’iris, de jasmins et de roses, your scents of iris and jasmine and roses,
vos charmes troublés de [désirs64] et d’ennui... your attractions troubled by desire and ennui...
Ô jardin muet ! – L’eau des vasques s’égoutte O silent garden! The water drips from the basins
avec un bruit faible et magique... J’écoute with a faint and magical sound... I listen
ce baiser qui chante aux lèvres de la Nuit. to that kiss, singing on the lips of the Night.
[…] […]
119
Vase svelte, fresque mouvante et souple, Slender vessel, graceful and ever-changing image,
danse, danse, paumes vers nous tendues, dance, dance, with palms outstretched towards us,
pieds étroits fuyant, tels des ailes nues slender feet flying like bare wings
qu’Éros découple... uncoupled by Eros...
Sois la fleur multiple un peu balancée, Be the multiple flower gently swaying,
sois l’écharpe offerte au désir qui change, be the scarf offered to fickle desire,
sois la lampe chaste, la flamme étrange, be the chaste lamp, the wondrous flame,
sois la pensée ! be thought!
[…] […]
Danse, danse au chant de ma flûte creuse, Dance, dance to the song of my hollow flute,
sœur des Sœurs divines. – La moiteur glisse, sister of the divine Sisters. Perspiration trickles,
baiser vain, le long de ta hanche lisse... a vain kiss, along your smooth hip...
Vaine danseuse ! vain dancer!
Dans un sommeil que charmait ton image In sleep made sweet by a vision of you
Je rêvais le bonheur, ardent mirage, I dreamed of happiness, fervent illusion,
Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore, your eyes were softer, your voice pure and ringing,
Tu rayonnais comme un ciel éclairé par l’aurore ; you shone like a sky that was lit by the dawn;
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Hélas ! triste réveil des songes, Alas, sad awakening from dreams!
Je t’appelle, ô nuit, rends-moi tes mensonges ! I summon you, O night, give me back your
Reviens, radieuse, [delusions;
Reviens, ô nuit mystérieuse ! return, in radiance,
return, O mysterious night!
[…] […]
121
28. Barcarolle (1873) Barcarolle
Marc Monnier
[…] […]
122
29. Sérénade toscane (1878?) Tuscan Serenade
Anon., translated into French from the Italian
by Romain Bussine
Sous ta fenêtre en vain ma voix expire. Beneath your window, my voice goes unheard,
Et chaque nuit je redis mon martyre, and each night I express my suffering anew,
Sans autre abri que la voûte étoilée. with no shelter but the starry vault.
Le vent brise ma voix et la nuit est glacée ; The wind breaks my voice and the night is so cold:
Mon chant s’éteint en un accent suprême, my song dies away on a final cadence,
Ma lèvre tremble en murmurant, je t’aime. my lips quiver, as I whisper “I love you”.
Je ne peux plus chanter ! I can sing no longer!
Ah ! daigne te montrer ! daigne apparaître ! Ah, deign to show yourself! Deign to appear!
Si j’étais sûr que tu ne veux paraître Were I sure that you will not appear,
Je m’en irais, pour t’oublier, demander au sommeil I would go away and forget you, and ask sleep
De me bercer jusqu’au matin vermeil, to soothe me until the rosy dawn,
De me bercer jusqu’à ne plus t’aimer ! soothe me until I love you no more!
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30. [Seule !] Dans un baiser, l’onde (1871) [Alone!] With a kiss, the wave
Théophile Gautier
Dans un baiser l’onde au rivage With a kiss, the wave to the shore
Dit ses douleurs; expresses its sorrows;
Pour consoler la fleur sauvage, to comfort the wild flower
L’aube a des pleurs; the dawn has tears;
Le vent du soir conte sa plainte the evening breeze makes its moan
Aux vieux cyprès, to the old cypress trees,
La tourterelle au térébinthe the turtle-dove to the terebinth
Ses longs regrets. voices its endless regrets.
Aux flots dormants, quand tout repose, To the sleeping waves, when all
Hors la douleur, but pain is at rest,
La lune parle, et dit la cause the moon speaks, and explains the reason
De sa pâleur. for its pallor.
Ton dôme blanc, Sainte Sophie, Your white dome, Hagia Sophia,
Parle au ciel bleu, speaks to the blue sky,
Et, tout rêveur, le ciel confie and dreamily the sky confides
Son rêve à Dieu ! its dream to God.
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31. Arpège (1897) Arpeggio
Albert Samain
Quand la fleur du soleil, la rose de Lahor, When the flower of the sun, the rose of Lahore,
De son âme odorante a rempli goutte à goutte, has filled drop by drop from her fragrant soul
La fiole d’argile ou de cristal ou d’or, the phial of clay, of crystal or of gold,
Sur le sable qui brûle on peut l’épandre toute. it may all be spilled out on the burning sand.
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Les fleuves et la mer inonderaient en vain The rivers and the sea would flood in vain
Ce sanctuaire étroit qui la tint enfermée ; the narrow sanctuary that held it confined:
Il garde en se brisant son arôme divin, it loses in shattering none of that heavenly fragrance,
Et sa poussière heureuse en reste parfumée. and its blissful dust retains that perfume.
Puisque par la blessure ouverte de mon cœur Since through my heart’s open wound
Tu t’écoules de même, ô céleste liqueur, likewise you flow, O heavenly fluid,
Inexprimable amour qui m’enflammais pour elle ! ineffable love which fired me with passion,
Qu’il lui soit pardonné, que mon mal soit béni ! may it be forgiven, and may my pain be blessed!
Par de là l’heure humaine et le temps infini Beyond this human life and infinite time,
Mon cœur est embaumé d’une odeur immortelle ! my heart is fragrant with an immortal perfume!
La mer est infinie et mes rêves sont fous. The sea is boundless and my dreams are wild.
La mer chante au soleil en battant les falaises The sea sings in the sun, as it beats the cliffs,
Et mes rêves légers ne se sentent plus d’aise and my light dreams are overjoyed
De danser sur la mer comme des oiseaux soûls. to dance on the sea like drunken birds.
Le vaste mouvement des vagues les emporte, The waves’ vast motion bears them away,
La brise les agite et les roule en ses plis ; the breeze ruffles and rolls them in its folds;
Jouant dans le sillage, ils feront une escorte playing in their wake, they will escort the ships,
Aux vaisseaux que mon cœur dans leur fuite a suivis. whose flight my heart has followed.
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Ivres d’air et de sel et brûlés par l’écume Drunk with air and salt, and stung by the spume
De la mer qui console et qui lave des pleurs, of the consoling sea that washes away tears,
Ils connaîtront le large et sa bonne amertume ; they will know the high seas and the bracing brine;
Les goélands perdus les prendront pour des leurs. lost gulls will take them for their own.
Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse I have embarked on a ship that reels
Et roule bord sur bord et tangue et se balance. and rolls and pitches and rocks.
Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ; My feet have forgotten the land and its ways;
Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences the lithe waves have taught me other rhythms,
Plus belles que le rythme las des chants humains. lovelier than the tired ones of human song.
À vivre parmi vous, hélas ! avais-je une âme ? Ah! did I have the heart to live among you?
Mes frères, j’ai souffert sur tous vos continents. Brothers, on all your continents I’ve suffered.
Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent I want only the sea, I want only the wind
Pour me bercer, comme un enfant, au creux des lames. to cradle me like a child in the trough of the waves.
Hors du port qui n’est plus qu’une image effacée, Far from the port, now but a faded image,
Les larmes du départ ne brûlent plus mes yeux. tears of parting no longer sting my eyes.
Je ne me souviens pas de mes derniers adieux... I can no longer recall my final farewells…
Ô ma peine, ma peine, où vous ai-je laissée ? O my sorrow, my sorrow, where have I left you?
[…] […]
127
35. [Diane, Séléné] [Diana, Selene]
Diane, Séléné, lune de beau métal, Diana, Selene, moon of beautiful metal,
Qui reflètes vers nous, par ta face déserte, reflecting on us, from your deserted face,
Dans l’immortel ennui du calme sidéral, in the eternal tedium of sidereal calm,
Le regret d’un soleil dont nous pleurons la perte. the regret of a sun whose loss we lament.
36. [Vaisseaux, nous vous aurons aimés] [Ships, we shall have loved you]
Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ; Ships, we shall have loved you to no avail,
Le dernier de vous tous est parti sur la mer. the last of you all has set sail on the sea.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes The sunset bore away so many spread sails,
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts. that this port and my heart are forever forsaken.
La mer vous a rendus à votre destinée, The sea has returned you to your destiny,
Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas. beyond the shores where our steps must halt.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ; We could not keep your souls enchained,
Il vous faut des lointains que je ne connais pas. you require distant realms unknown to me.
Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre. I belong to those with earthbound desires.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi, The wind that elates you fills me with fright,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère, but your summons at nightfall makes me despair,
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi. for within me are vast, unappeased departures.
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Gabriel Fauré © Palazzetto Bru Zane / Leduc collection
129
Endnotes
1 “Oh”. 24 “Heureux”.
2 “Vers”. 25 “Des”.
3 “Ronce, cache”. 26 “Déshabillés blancs”.
4 “Pleine jadis”. 27 “Leurs galants”.
5 “Purs ébats”. 28 “Leur zèle”.
6 “Des chocs funèbres”. 29 “Par” .
7 “Tout aujourd’hui”. 30 “Haut”.
8 “Brûle”. 31 “Du jasmin”.
9 “Ferme”. 32 “Loin”.
10 “S’en”. 33 “Les fleurs”.
11 “Fait”. 34 “Parfumé”.
12 “Fondons”. 35 “Avec”.
13 “Cri”. 36 “Des torrents”.
14 “En”. 37 “Mélancolies”.
15 “Parles”. 38 “Le chemin”.
16 “Ce”. 39 “Ainsi qu’un grain d’encens l’enflamme”.
17 “Ce”. 40 “Rebelle”.
18 “Nymphes”. 41 “J’y”.
19 “Un”. 42 “Les filles”
20 “Les”. 43 “Des”.
21 “Mon”. 44 “Vivace”.
22 “Puis”. 45 “Dans”.
23 “D’un”. 46 “De”.
130
47 “Attente”.
48 The two stanzas are reversed in the original poem.
49 “Plus”.
50 “Que le lait coule étincelant”
51 “Tes lèvres”.
52 “S’étend”.
53 “Comme”.
54 “Mon mal”.
55 “Cœur”.
56 “Tes”.
57 “Dans”.
58 “Quand”.
59 “Sache”.
60 “Allons au devant dans la paix bénie de nos chers
Poilus”.
61 “Nous les bercerons, avec sa cadence / Et nous
danserons avec eux la danse”.
62 “Lorsqu’[il]”.
63 “Ou”.
64 “Désir”.
65 “Bonne”.
66 The Muses, so described by the poetess Sappho.
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PALAZZETTO BRU ZANE
CENTRE DE MUSIQUE ROMANTIQUE FRANÇAISE
Le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique The vocation of the Palazzetto Bru Zane – Centre
romantique française a pour vocation de de musique romantique française is to favour the
favoriser la redécouverte du patrimoine rediscovery of the French musical heritage of the
musical français du grand XIXe siècle (1780- years 1780-1920 and obtain international recog-
1920) en lui assurant le rayonnement qu’il nition for that repertory. Housed in Venice in a
mérite. Installé à Venise, dans un palais de palazzo dating from 1695, specially restored for
1695 restauré spécifiquement pour l’abriter, ce the purpose, the Palazzetto Bru Zane – Centre
centre est une réalisation de la Fondation Bru. de musique romantique française is a creation of
Il allie ambition artistique et exigence scienti- the Fondation Bru. Combining artistic ambition
fique, reflétant l’esprit humaniste qui guide les with high scholarly standards, the Centre reflects
actions de la fondation. Les principales activités the humanist spirit that guides the actions of
du Palazzetto Bru Zane, menées en collabo- that foundation. The Palazzetto Bru Zane’s main
ration étroite avec de nombreux partenaires, activities, carried out in close collaboration with
sont la recherche, l’édition de partitions et de numerous partners, are research, the publi-
livres, la production et la diffusion de concerts à cation of books and scores, the production and
l’international, le soutien à des projets pédago- international diffusion of concerts, support for
giques et la publication d’enregistrements educational projects and the production of
discographiques. recordings.
bru-zane.com
Bru Zane Classical Radio – the French Romantic music webradio:
bru-zane.com/fr/classical-radio
Bru Zane Mediabase – digital data on the nineteenth-century French repertory:
bruzanemediabase.com
Bru Zane Replay – streaming videos of concerts and staged productions:
bru-zane.com/replay
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Il Tempo che rapisce la Verità, Sebastiano Ricci
Palazzetto Bru Zane © ORCH_Chemollo
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134
cyrille-dubois.fr
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Enregistré par Little Tribeca du 1er au 3 juillet et du 10 et 17 août 2020, et du 14 au 16 juin 2021 à la
Salle Colonne, Paris
Direction artistique, prise de son : Ignace Hauville
Montage : Ignace Hauville assisté de Lucas Joseph
Mixage et mastering : Ignace Hauville
Enregistré en 24 bits/96kHz
Production exécutive : Little Tribeca
Tristan Raës joue un piano Steinway & Sons modèle D · Préparation et accord : Bastien Herbin
AP284 Little Tribeca ℗ 2022 Little Tribeca © 2022 Little Tribeca [LC] 83780
1 rue Paul Bert, 93500 Pantin
apartemusic.com
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also available
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