Sous la monarchie de Juillet, les orateurs politiques sont aussi des « orateurs personnels ». L'expression est de Delphine de Girardin1. Ils parlent à l'auditoire de toute leur âme mise à nu. Rien à voir avec aujourd'hui, où l'éloquence...
moreSous la monarchie de Juillet, les orateurs politiques sont aussi des « orateurs personnels ». L'expression est de Delphine de Girardin1. Ils parlent à l'auditoire de toute leur âme mise à nu. Rien à voir avec aujourd'hui, où l'éloquence politique, certes héritière de cette intrusion du privé dans l'espace public si féconde à l'époque romantique, offre seulement une vision dégradée de ce qu'un Guizot, un Lamartine ou encore un Louis Blanc étaient capables de faire. Mais vous ne devez pas imaginer que tous les orateurs romantiques parlaient comme Malraux (on a dans l'oreille quelque chose de très ampoulé, n'est-ce pas ?) ou, s'ils le faisaient, vous ne vous en seriez pas le moins du monde rendu compte parce qu'étant homme ou femme de 1830, vous aussi, vous auriez eu le sentiment que les orateurs personnels vous parlaient directement au coeur, et avec le coeur, seulement. 2L'éloquence dont il sera ici question concerne, de plus, un type particulier d'hommes politiques. Elle concerne les orateurs parlementaires rentrés au bercail, dans leur circonscription ou dans leur arrondissement. Elle concerne les orateurs qui soufflent enfin, les orateurs qui peuvent, en toute quiétude, parler à des gens qui les aiment et qu'ils aiment en retour pour cette raison même. Et donc, il n'y a point de lyrisme parlementaire à percevoir dans leurs discours, mais il y a à entendre un idéal lyrique transporté à « un balcon de campagne »-l'expression est de Lamartine-ou encore, un idéal oratoire amoureux de la politique vécu à l'image d'un banquet idéal pendant le siècle. Aujourd'hui on en connaît seulement la méchante caricature qu'en faisait Flaubert dans sa Correspondance au sujet de la campagne pour la Réforme électorale pendant l'année 1847. La campagne mène directement aux journées de Février 18482. Avec Lamartine-dont nous faisons ici le représentant de tous ces orateurs sensibles et romantiques qui, fourbus par la dernière session parlementaire, rentrent au berceau de leur engagement originel, au berceau de leurs plus intimes convictions-il ne s'agit pas même de banquets mais seulement de bonnes petites et paisibles assemblées de province au sein desquelles le « tintement sensible de la voix de l'homme intime, du poète, s'entend en lieu et place d'une voix rationalisante et raisonneuse qui serait émise au moyen d'une bouche intéressée et cynique3 ». À Mâcon, l'orateur romantique abandonne l'éloquence parlementaire. Il parle même contre elle pour se faire entendre de ceux qui aiment la belle éloquence et ...
DUPART, Dominique. Éloquence sensible, éloquence à la Jean-Jacques : un idéal lyrique transporté sur un balcon de campagne ou les Discours familiers de Lamartine In : Les Formes du politique [en ligne]. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2010 (généré le 16 octobre 2020). Disponible sur Internet : <
http://books.openedition.org/pus/2562>. ISBN : 9791034404964. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.pus.2562.