Toute société grecque était étroitement attachée à son territoire et au paysage qui le caractérisait. Les cités revendiquaient un territoire propre, s'ancraient dans son sol et leurs citoyens s'identifiaient à ce territoire (Guettel-Cole...
moreToute société grecque était étroitement attachée à son territoire et au paysage qui le caractérisait. Les cités revendiquaient un territoire propre, s'ancraient dans son sol et leurs citoyens s'identifiaient à ce territoire (Guettel-Cole 2004, 1, 7). Le paysage spécifique de chaque cité semble avoir marqué les habitants par sa morphologie, son aspect, ses particularités. Parmi les éléments constituant le paysage, l'eau était peut-être le plus important selon les critères grecs : tout comme le sol, l'eau provenant des sources territoriales constituait une référence pour la formation de l'identité locale (Guettel-Cole 2004, 194) ; son impact sur les sociétés s'exprimait à plusieurs niveaux dans leur fonctionnement et dans leur espace. Dans une tentative de saisir tout cela à partir de la réalité des vestiges archéologiques, il m'a semblé utile de réunir, dans le cadre d'une recherche plus générale encore inédite, les données disponibles concernant une cité précise, Abdère en l'occurrence. Mon objectif est de croiser ces données afin de déceler des relations, des interférences et des nuances dans les croyances, ainsi que dans les pratiques en différents domaines et dans le fonctionnement d'ensemble de la cité. Ici, je me limiterai à l'étude d'un exemple, la tombe d'une jeune fille, afin de détecter des liens entre le monde religieux et le monde funéraire, en faisant attention de ne pas projeter un monde sur l'autre. Cette démarche s'appuie sur le fait que les nécropoles nous offrent des informations plus précises et plus individualisées concernant la population d'une cité ancienne que les sanctuaires de la même cité. Dans la cité d'Abdère, ville construite dans la partie est de l'embouchure du Nestos, sur une ancienne péninsule, l'eau est particulièrement présente tant par la mer que par le fleuve. Le Nestos a été, sans doute, à l'origine de la prospérité de cette cité grâce à l'agriculture, mais également à l'origine de la destruction de la ville archaïque par ses crues. Selon les études paléographiques récentes (Syrides et Psilovikos 2004, 351-59), les changements continus du lit du Nestos 2 et l'interaction terre-mer ont fini par faire du côté ouest de la chora d'Abdère, bordée auparavant par une baie, un paysage marécageux et lacustre. Ce paysage (que l'excursion à Abdère vous a permis de découvrir vous-mêmes) évoque, comme je le développe ailleurs, l'importance possible d'un culte d'Artémis dans cet espace, son lien profond avec le milieu humide étant bien connu. Nous savons déjà qu'Artémis était honorée à Clazomènes 3 et à Téos, les deux métropoles d'Abdère. Nous connaissons aussi les liens étroits et continus qu'Abdère avait su garder avec sa métropole Téos (Herrmann 1981 ; SEG 31 [1981] 985 ; Graham 1992, 44-73 ; Loukopoulou et Parissaki 2004, 305-310), où Artémis avait Dionysos pour parèdre (Lévêque et Séchan 1970, 296). Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement Abdère, nous avons des mentions concernant le culte d'Artémis et des monnaies sur lesquelles elle fut représentée au revers (Chryssanthaki 1995, 171). 4 Cette divinité secourable et redoutable, gardienne des confins, des « eschatiai », ces terres instables en modification continue, là où les frontières entre le sauvage et le civilisé s'avèrent 1 Mes remerciements les plus chaleureux vont à Y. Morizot, F. Poplin et J.-F. Lauginie, pour avoir lu ce texte et m'avoir aidée par leurs conseils précieux et leurs corrections. 2 Str. 7 fr. 43 : Οὐ μένει δ' ὁ Νέστος ἐπὶ ταὐτοῦ ῥείθρου διὰ παντός, ἀλλὰ κατακλύζει τὴν χώραν πολλάκις. 3 Graf 1985 : à Clazomènes furent honorés : Zeus, Poséidon, Athéna, Artémis, Apollon, Hermès, Dionysos, Déméter, Asclépios, Héraclès, Méter, Hermotimos, Agamemnon, les dieux égyptiens, puis l'empereur. 4 Je remercie vivement l'auteur de m'avoir donné accès à son mémoire inédit.