Redécouvert à l’occasion de prospections pédestres réalisées dans le cadre du programme de recherche « Cauria, site mégalithique de Stazzona – I Stantari » (D’Anna et al., 2006a), le site protohistorique de Punta di Casteddu se trouve...
moreRedécouvert à l’occasion de prospections pédestres réalisées dans le cadre du programme de recherche « Cauria, site mégalithique de Stazzona – I Stantari » (D’Anna et al., 2006a), le site protohistorique de Punta di Casteddu se trouve dans la région du Sartenais, dans le sud-ouest de la Corse. Quelques signalements et descriptions de ce site ont été produits ces vingt dernières années (Codaccioni, 2000, p. 155-156 ; Leandri et al., 1996, p. 30-31). L’objectif du présent article est de synthétiser ces informations, de les compléter par les observations et analyses réalisées lors de prospections récentes (2009-2010) et de contextualiser chronologiquement et fonctionnellement les différentes occupations.
La Punta di Casteddu est un sommet granitique acéré, culminant à 228 m d’altitude (deux sommets secondaires à 160 et 166 m), bien visible dans le paysage et dominant depuis le nord la basse vallée de l’Ortolu et les cols menant de cette zone aux plateaux de Pastini et de Cauria, qui constituent des secteurs particulièrement bien documentés pour les époques qui nous intéressent (D’Anna et al., 2006a, 2006b, 2007a, 2007b). A plus grande échelle, on est ici dans une zone de carrefour géographique sur les voies de communication traditionnelles menant à l’Alta Rocca, au Sartenais et à la pointe méridionale de l’île (Soula, 2012a, 2012b).
Le plateau central de la Punta di Casteddu se présente sous la forme d’une terrasse vaste de 1 à 2 hectares, légèrement en pente en direction du sud-ouest. Des tronçons de terrassements en gros blocs en forment la bordure. Ils marquent des divisions internes de l’espace ainsi que de probables sections de consolidation des terrains. En contrebas de la pointe septentrionale du massif, deux habitations elliptiques à soubassement de gros blocs, de type Cuciurpula (Peche-Quilichini et al., 2012), ont été identifiées (structures 1 et 2). Ce type de maison est aujourd’hui bien connu dans le sud de l’île et apparaît comme typique des villages du Bronze final (1200-850 av. J.-C.) et du premier âge du Fer (850-550 av. J.-C.) (De Lanfranchi et al., à paraître ; Peche-Quilichini et al., 2012, à paraître 1, 2, 3). L’exploration du secteur oriental, non loin de la structure 1, a livré des vestiges témoignant de l’existence d’une seconde zone d’habitat et/ou d’activité agricole. Ces éléments sont directement reliés à plusieurs abris-sous-roche dont certains ont vraisemblablement fonctionné de pair avec l’espace domestique.
En outre, un nombre important d’abris-sous-roche montre une utilisation fréquente de ces cavités naturelles. Une bonne part d’entre eux, notamment certains livrant un mobilier important, renvoie probablement à des fonctionnalités non directement domestiques car ils sont fréquemment exigus et difficiles d’accès. La totalité des cavités du secteur occidental peut être attribuée à ce type d’utilisation.
Le mobilier collecté durant les prospections se compose très majoritairement de tessons céramiques (environ 800). Ils proviennent du secteur des habitations et des abris. L’ensemble du lot est composé de récipients montés au colombin. Les épaisseurs de paroi sont généralement assez stables sur un même vase. Les surfaçages sont assez soignés. Le brunissage est le traitement superficiel le plus fréquent. Les cuissons sont en grande majorité oxydantes, même si une minorité de vases, généralement ceux dont la matrice argileuse est la plus fine, présente un éclat noir, parfois rehaussé par polissage voire lustrage.
Plutôt que de présenter les ensembles céramiques par contexte, nous avons privilégié une approche par groupes typologiques afin de traiter la collection comme un ensemble, avant d’évoquer d’éventuelles spécificités, notamment du point de vue des associations chrono-fonctionnelles.
Les formes basses sont bien représentées. Il s’agit de profils classiques au Bronze final et perdurant au début de l’âge du Fer. Les vases hémisphériques ou tronconiques ouverts de structure simple constituent également l’une des catégories les plus fréquentes. Leur chronologie est ici centrée sur la fin de l’âge du Bronze. Le troisième type majoritaire est constitué des jarres biconiques articulées et munies d’un col évasé et segmenté. Il s’agit là d’un élément de vaisselle particulièrement diffusé dans le sud de la Corse au Bronze final. Sont également signalés des récipients subcylindriques verticaux, des vases ovoïdaux fermés munis ou non d’un court col, des pots à profil en S et une bouteille à col large. Ces types sont tous attribuables au Bronze final. Un seul décor en creux a été répertorié : une cannelure horizontale portée sur un changement d’inflexion, typique du Bronze final. Le lot inclut également des ajouts plastiques, dont le plus caractéristique est une anse prolongée de cordons lui donnant un aspect de protomé d’animal cornu. Ces éléments sont typiques de la première moitié du premier âge du Fer et concernent généralement des contextes associés à des valeurs symboliques évidentes (dépôts funéraires et de fondation, Peche-Quilichini, 2010a). L’ensemble céramique de Punta di Casteddu inclut donc exclusivement du mobilier daté entre le milieu du Bronze final et le milieu du premier âge du Fer (Peche-Quilichini, 2009, à paraître 1 ; Peche-Quilichini et al., à paraître 1). Malgré sa constitution par ramassage superficiel et zoné, il semble homogène. La spatialisation des données tendrait à accorder aux abris du secteur nord-ouest du massif un fonctionnement plus précoce que celui du secteur des habitations, avec une distribution de vestiges attribuables au premier âge du Fer autour de ces dernières alors que les tessons qui semblent plus caractéristiques de la fin du IIe millénaire proviennent des abris. Deux occupations a priori fonctionnellement différenciées seraient donc également chronologiquement différées, bien que partiellement contemporaines.
Si l’interprétation des deux structures ovalaires formées de blocs de granit en tant qu’habitations ne peut plus aujourd’hui être sujette à caution (De Lanfranchi et al., à paraître ; Milletti et al., 2012 ; Peche-Quilichini et al., 2012, à paraître 1, 2, 3), la question de l’utilisation des abris reste ouverte. Leur typologie et leur superficie varient fortement. Certains, vastes (jusqu’à près de 30 m²), sont bas de plafond ; d’autres sont réduits à d’étroits corridors peu praticables ; plusieurs présentent un espace appréciable. Tous livrent du mobilier céramique. Les récipients de stockage sont absents, ce qui est assez étonnant en regard de données obtenues en d’autres cavités de l’île. A l’exception de quelques récipients de gabarit moyen, la vaisselle inclut uniquement des petits vases. Pour certaines cavités pouvant être qualifiées d’anfractuosités plutôt que d’abris-sous-roche, la fonction habitative et/ou liée à un caractère fonctionnel d’un habitat voisin, est souvent à exclure en raison de l’exiguïté. Dès lors, la possibilité d’une considération de cette partie du site comme un regroupement de caveaux sépulcraux peut être envisagée.
En Corse, l’utilisation funéraire des abris remonte au Mésolithique, caractérise tout le Néolithique/Bronze ancien et perdure tout au long de l’âge du Fer. Aucun contexte sépulcral n’est connue sur l’île entre le Bronze ancien 2 et le milieu du premier âge du Fer, à l’exception d’une utilisation du coffre de Cuntrasarda (Peche-Quilichini, à paraître 1). Dans ce contexte historiographique lacunaire, l’adoption massive, de la part des groupes du sud de la Corse, du prototype nord-italique du vase biconique à court col évasé, apporte peut-être un élément de réponse. En Piémont, Ligurie et Toscane, à partir du Bronze récent 2 / Bronze final 1, se diffuse le rite de l’incinération, suivie d’une collecte des cendres dans une urne biconique à rebord ouvert, du même type que les récipients contemporains découverts sur tous les sites corses. En ce sens, si les infiltrations culturelles nord-italiques ont dépassé le simple cadre de l’imitation matérielle et ont touché des sphères ancrées plus profondément dans les considérations socio-cultu(r)elles des communautés du sud de la Corse, rien n’interdit de penser que l’introduction, même partielle, du rite crématoire ait pu toucher cette partie de l’île vers 1250/1150 av. J.-C., au moment de la diffusion de ces pratiques dans tout l’espace nord-tyrrhénien. Punta di Casteddu pourrait donc illustrer une forme de syncrétisme entre un rite exogène et la tradition millénaire de placer les défunts dans les grottes naturelles. A ce titre, la reconnaissance d’une urne provenant du site voisin de Punta Campana, qui présente un décor proche de ceux développés sur les contenants cinéraires des nécropoles proto-Golasecca du Piémont, est particulièrement éloquente. Ces conclusions demeureront cependant hypothétiques tant que des fouilles précises ne seront pas menées sur des gisements susceptibles d’appartenir à ce courant.