Comment se font les administrations
Philippe Bezes, Odile Join-Lambert
To cite this version:
Philippe Bezes, Odile Join-Lambert. Comment se font les administrations : Analyser des actes administratifs constituants. Sociologie du Travail, Association pour le développement de la sociologie du
travail, 2010, 52 (2), pp.133 - 150. hal-01338513
HAL Id: hal-01338513
https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01338513
Submitted on 28 Jun 2016
HAL is a multi-disciplinary open access
archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from
teaching and research institutions in France or
abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destinée au dépôt et à la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
émanant des établissements d’enseignement et de
recherche français ou étrangers, des laboratoires
publics ou privés.
Comment se font les administrations : analyser des
activités administratives constituantes
The making of bureaucracies: Analyzing “constituent”
administrative activities
Philippe Bezes a,∗, Odile Join-Lambert b
a
CNRS, centre d’études et de recherches de sciences administratives et
politiques (Cersa), 10, rue Thénard, 75005 Paris, France
b Institut de recherches économiques et sociales (IRES),
16, boulevard du Mont d’Est, 93192 Noisy-le-Grand, France
Résumé
Entre les réflexions de sociologie historique sur les transformations des administrations publiques et les
perspectives micro-sociologiques sur le travail ordinaire des fonctionnaires, cet article défend l’intérêt d’une
perspective d’analyse intermédiaire centrée sur des « activités administratives constituantes ». Au terme
d’un panorama du champ des multiples recherches sur les administrations, il propose de centrer le regard
sur des dispositifs qui donnent forme aux administrations et constituent des rouages essentiels de leurs
fonctionnements. Les activités de recrutement, de notation, de structuration de hiérarchies, de construction
de division du travail, d’inscription dans l’écrit ou de comptage gagneraient à être constituées en objets
propres d’enquêtes et étudiées pour elles-mêmes, dans leurs contextes historiques et sociaux, pour
comprendre de manière fine la manière dont se font, se pérennisent et se recomposent les administrations.
Aux jeux des échelles d’analyse, au test de la comparaison dans le temps et dans l’espace, l’article présente
l’ensemble des contributions du numéro et suggère des pistes de recherches moins linéaires des processus
historiques de bureaucratisation et de managérialisation des systèmes administratifs.
Mots clés : Administration ; Bureaucratisation ; New Public Management ; Activités administratives
constituantes ; Fonctionnaires ; Institutions
Abstract
Between studies in historical sociology on changes in public administrations and microsociological analyses of the ordinary work done by civil servants, an intermediate perspective is advocated, one centered on
∗ Auteur correspondant.
Adresses e-mail :
[email protected] (P. Bezes),
[email protected] (O.
Join-Lambert).
“constituent administrative activities”. Following a panorama of the varied researches on public
administra-tions, the proposal is made to focus on the arrangements that shape administrations
and form their essential operations. Recruitment, personnel evaluation, the division of labor, the
restructuring of hierarchies and the activities of keeping written records and statistics (writing
and counting) should be the subjects of study. When placed in their historical and social
contexts, they help us better understand how public administrations last and change. Discussing
the scale of analysis and making comparisons over time and in space, this article presents the
other contributions to this special issue. Less linear approaches are suggested for analyzing the
historical processes of the “bureaucratization” and “managerialization” of administrative systems.
Keywords: Public administrations; Bureaucratization; New public management; Constituent administrative
activities; Civil servants; Institutions
Depuis maintenant une trentaine d’années, les réformes des administrations publiques se sont
multipliées dans les pays occidentaux. Des recettes inédites d’organisation ont émergé et ont
été mises en œuvre : agences, individualisation des rémunérations, dédifférenciation des statuts
public/privé, explosion des instruments de « gouvernement à la performance », etc. Très souvent,
ces préceptes ont été construits autour d’une critique générale des règles de l’administration
« bureaucratique » – selon la caractérisation qu’en a proposé Max Weber – adoptées tout au long
du xixe siècle et qui mettaient particulièrement l’accent sur l’importance de la légalité comme
condition de l’efficacité et du traitement égal de tous. En France, la loi organique relative aux
lois de finances dite « LOLF », votée en 2001 et mise en œuvre à partir de 2006, s’est traduite
par la diffusion d’instruments assimilables aux recettes du New Public Management (NPM).
Des méthodes développées dans la sphère privée se sont ainsi diffusées dans la sphère publique,
susceptibles de « transformer profondément la notion même d’administration » en fournissant à
« la contractualisation de l’action publique l’instrument financier qui lui faisait défaut » (Supiot,
2005, p. 267). Depuis 2007, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) semble encore
accentuer la dynamique de transformation en revendiquant de faire disparaître ou de recomposer
par fusion des pans entiers d’administrations et en proposant de bouleverser les formes anciennes
de division du travail. Ces mutations ont ouvert de nombreux chantiers de recherche en France,
mais plus encore à l’international, destinés à comprendre la mutation à l’œuvre que certains ont
rapidement qualifié d’État managérial (par exemple, Clarke et Newman, 1997).
Ce numéro propose de prendre un peu de recul par rapport à ces transformations et d’interroger,
avec les outils de l’histoire et de la sociologie, la manière de les étudier sur la base de trois
convictions. La première identifie un risque de réification de l’opposition entre deux formes
administratives, bureaucratique et néo-managériale, qui débouche parfois sur des interprétations
téléologiques de « modèles ». Cette différence idéale typique est heuristique pour comprendre les
changements qui affectent l’objet mais elle doit d’abord constituer un point de départ qui nourrit
des interrogations et des recherches : comment en conserver le bénéfice sans en endosser le schématisme ? La seconde conviction pointe le risque de dilution de l’objet administratif en sciences
sociales, qui serait désormais redevable d’analyses cherchant moins à en penser la spécificité et
les formes structurantes qu’à acter les formes multiples de sa dispersion. D’une part, sous l’effet
des réformes, parce qu’on interrogerait avant tout les processus variés de sa dédifférenciation,
par réduction, privatisation, décentralisation, managérialisation, etc. D’autre part, sous l’effet des
spécialisations internes à la sociologie, parce qu’on privilégierait des analyses axées sur une
seule grille de lecture – organisations, professions, genre, travail, techniques et instruments, etc.
Est-il possible d’envisager des perspectives historiques ou sociologiques qui « intègrent » plus
qu’elles ne fragmentent ? La troisième conviction, en forme de pari au cœur du numéro, est que
les profondes remises en cause contemporaines des administrations exigent plus que jamais de
continuer à explorer et à comprendre, à des périodes historiques différentes, les manières dont se
construisent, s’institutionnalisent, bref « se font » les administrations publiques en s’intéressant
à la mise en place de dispositifs structurants qui leur donnent forme et aux pratiques qui en
découlent.
L’originalité du point de vue retenu ici réside donc dans la mise en exergue d’une voie d’analyse
possible, centrée sur l’étude historique et sociologique de ce que nous appelons des « activités
administratives constituantes ». Il s’agit d’activités articulées à des dispositifs, des assemblages
de règles, de savoirs, de techniques et de pratiques, dont la propriété est de constituer les administrations qu’elles régulent, d’en être des rouages cardinaux et de contribuer à structurer leurs
fonctionnements. Pas d’administration sans construction de dispositifs de recrutement, sans mise
en place d’une structure hiérarchique de l’autorité, sans techniques d’écriture permettant de
gouverner dans les formes et dans le droit, etc. Les contributions rassemblées dans ce numéro
proposent d’examiner, en contexte, les modalités d’invention, d’institutionnalisation et de mise
en œuvre de quelques-unes de ces activités constituantes : noter et évaluer (Odile Join-Lambert et
Yves Lochard), recruter (Émilie Biland), retranscrire sous forme écrite (Delphine Gardey), compter des fonctionnaires (Émilien Ruiz), établir des procédures objectives d’allocation de ressources
(Véronique Dimier) et détenir une expertise autonome (Edward C. Page). Les articles proposent
de comprendre comment ces activités acquièrent, avec plus ou moins de force et dans le cadre
de processus conflictuels toujours rejoués, des effets de structuration et de régulation des fonctionnements administratifs. Entre les réflexions de sociologie historique sur les transformations
contemporaines des administrations et les approches microsociologiques sur le travail ordinaire
des fonctionnaires, ce numéro ouvre la possibilité d’une perspective centrée sur des activités qui
tendent à « donner forme » aux administrations publiques.
1. Entre le macroscope et le microscope : des points aveugles dans la sociologie de
l’administration ?
Depuis une vingtaine d’années, les travaux sur l’administration ont connu un regain particulièrement important. Dans les années 1980, la sociologie et surtout la science politique françaises
ont pu être jugées « oublieuses de leur administration » (Dreyfus, 2002) en raison, notamment,
du succès d’approches importées en France comme l’analyse des politiques publiques dont les
effets ont été largement de dissoudre les institutions administratives dans les approches organisationnelles et polycentrées (Bezes et Pierru, 2009). Mais l’état des recherches depuis 15 ans
témoigne d’un renouveau considérable des enquêtes et des perspectives. C’est le cas en histoire
où l’ouverture à l’analyse du droit (Baruch, 1997), à l’économie (Margairaz, 1991) et aux rapports
public–privé (Fridenson, 1989, 2000), mais aussi à la sociologie et à l’anthropologie a encouragé
les historiens à adopter de nouvelles démarches de recherche, confrontant les pratiques et les
représentations au cadre institutionnel (Baruch et Duclert, 2000 ; Baruch, 2007). D’autres historiens, à partir d’une approche cherchant à définir les origines de l’État industriel et actionnaire,
s’interrogent sur les notions d’intérêt général et de service public, mettant en évidence des pratiques matérielles et discursives décalées par rapport aux perceptions des juristes (Margairaz et
Dard, 2005). Ce dynamisme s’est également développé en sociologie et en science politique et a
permis de renouer avec la fécondité du champ de recherches qui s’était particulièrement étendu
dans les années 1960–1970 dans la mouvance des enquêtes de Michel Crozier (1966). Sur la scène
internationale, les recherches apparaissent encore plus florissantes dans leur nombre et la diversité
de leurs approches, pour deux raisons notamment : l’existence d’un champ professionnel dédié
sans équivalent en France – la Public Administration – ; l’effet de l’incessant flux de réformes
remettant en cause les « bureaucraties wébériennes » au nom du NPM qui génère, dans le champ
académique, de multiples analyses.
La contrepartie de cet activisme a pris la forme d’un formidable élargissement des objets
et d’un inévitable éclatement des paradigmes. Ces recherches sur l’administration peuvent être
schématiquement présentées comme relevant de cinq grands ensembles de recherches en sciences
sociales, distinctes dans leurs démarches d’enquête et le choix de leurs objets. Elles apportent
chacune des éclairages heuristiques pour la compréhension des processus de construction des institutions administratives, mais génèrent aussi des biais d’analyse qui gagneraient à être compensés
par des stratégies de recherche visant à combiner ces prismes.
La manière dont prennent forme les systèmes administratifs relève au premier chef, de
travaux de sociologique historique ou de recherches menées dans le cadre des travaux de
Public Administration, centrés sur les effets de transformations de l’institution administrative
et de ses règles constituantes. Implicitement ou, le plus souvent, explicitement, ces recherches
macro- ou meso-sociologiques sont sous-tendues par une opposition idéale-typique inspirée
des perspectives wébériennes. Selon ce canon, les politiques de réforme de l’administration
reflèteraient, du xixe siècle aux années 1950, l’invention et la mise en place de règles
d’administration dite « bureaucratique » (Weber, 1995 [1922], 2004 [1904]), s’opposant aux
formes antérieures d’administration dite « patrimoniale ». Plusieurs travaux comparatifs de sociologie historique analysent ces processus de bureaucratisation. Ils montrent que des principes
communs – impersonnalisation, service de l’État, recrutement sur la base de compétences, organisation de la carrière, etc. – se sont progressivement imposés. Au cours du xixe siècle, des décisions
successives en faveur de la professionnalisation de l’administration – recrutement par concours,
protections institutionnelles pour les agents, codification de procédures et de hiérarchies – favorisent la stabilisation de règles générales mais sous des formes institutionnelles différentes selon
les systèmes administratifs nationaux, aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne ou au Japon
(Skowronek, 1982 ; Silberman, 1993 ; Shefter, 1994 ; Dreyfus, 2002). Ces réformes sont l’objet
de conflits importants entre ceux, d’une part, qui les défendent – hauts fonctionnaires réformateurs, professions libérales, journalistes, entrepreneurs économiques, représentants des classes
moyennes, mouvements des droits civiques – et d’autre part, les partis politiques désireux de
maintenir l’accès aux positions administratives et les mécanismes clientélistes de distribution
de places dans l’administration, les seconds étant hostiles à la promotion de règles favorisant
l’autonomie et la professionnalisation de l’administration.
Depuis 30 ans, ces recherches à vocation historique ont significativement évolué en raison des
transformations qui affectent les systèmes administratifs : désormais, les politiques de réforme
administrative renvoient plus volontiers à la remise en cause affichée mais progressive des règles
antérieures au profit de nouveaux arrangements institutionnels, notamment inspirés, à partir des
années 1980, des préceptes d’un autre ensemble idéal-typique, le NPM (Hood, 1991 ; Merrien,
1999). Ce « puzzle doctrinal » appliqué aux administrations publiques recycle des raisonnements
tirés des théories économiques – théorie de l’agence, théorie des coûts de transaction, théorie
du Public Choice – et des prescriptions issues des vulgates du management des organisations
afin de promouvoir de nouvelles façons de faire fonctionner les systèmes administratifs. Comme
l’idéal-type bureaucratique, le modèle néo-managérial n’est évidemment pas mis en œuvre de
manière uniforme, comme en témoignent de nombreux travaux européens ou américains, qui
analysent la façon dont les principes et recettes du NPM sont progressivement introduits, adoptés
et diffusés dans les pays occidentaux selon des modalités et des temporalités variables (pour
quelques exemples, Pollitt, 1990 ; Schwartz, 1994 ; Hood et Lodge, 2006 ; Pollitt et Bouckaert,
2004 ; Suleiman, 2005 ; Bezes, 2009).
L’intérêt de ces recherches est ainsi de faire jouer, empiriquement, les modèles typiques
de développement historique de la rationalisation administrative (cf. Kalberg, 2002 explicitant
l’approche de Max Weber, pp. 175–191) et de favoriser la mise au jour des enjeux qui sous-tendent
leur développement. Les limites de ces perspectives sont aussi évidentes. En privilégiant les enjeux
d’adoption de règles ou de formes d’organisation générales et transversales, supposées communes
à l’ensemble des organisations administratives, elles ont aussi parfois laissé dans l’ombre les
évolutions d’une grande partie des groupes et organisations qui constituent l’administration au
quotidien : ministères sectoriels, groupes d’appartenance à des corps, bureaux, métiers, professions, etc. Ce qui est gagné dans la caractérisation des formes sociales administratives dominantes
fait perdre en précision dans l’exploration de la diversité administrative.
Un deuxième ensemble de travaux, particulièrement fécond en France dans la mouvance de
la socio-histoire, fonde son analyse de la construction des bureaucraties et de l’État managérial
sur les mises en forme savantes de savoirs et de savoir-faire administratifs. À l’image des études
portant sur la diffusion des idéologies ou de modèles d’organisation ou de management des
firmes (Bendix, 1956 ; Guillen, 1994 ; Cohen, 2003 ; Cochoy, 1999), les réflexions portent ici
sur la formalisation et la codification en « doctrine », en « savoirs d’État » voire en discipline
académique d’un ensemble souvent épars de principes, de techniques et d’idées relatives au
« bon » fonctionnement des administrations publiques. Sciences de gouvernement (Ihl et al., 2003 ;
Delmas, 2006), sciences camérales (Laborier, 2008), science communale (Payre, 2008), public
administration (Saunier, 2003) ou science managériale étudiée dans sa dimension généalogique
et historique (Ihl, 2007), ou plus contemporaine sous la forme du management public (Bezes,
2009) constituent autant de productions des bureaucraties, de leurs praticiens ou des experts qui
les auscultent, à différents moments historiques. Permettant de porter le regard sur les processus
d’importation et d’exportation des préceptes de bonne administration entre États et sur les circuits
nationaux et internationaux des expertises, ces travaux sont cependant toujours confrontés au
problème du rapport de ces formalisations aux pratiques réelles. Quand bien même ces savoirs
sont toujours dits « pratiques » parce qu’ils revendiquent de réguler les comportements et les
organisations, leur rapport aux mises en œuvre1 et l’intensité avec laquelle ils les influencent
restent matière à débat. Les démarches de recherches qui en résultent se différencient fortement
selon qu’elles mettent l’accent sur la construction et la légitimation scientifique de ces savoirs ou
qu’elles cherchent à évaluer leurs effets réels de structuration des activités administratives.
Par contraste, un troisième ensemble d’approches est caractérisé par une idée force : les administrations se transforment au concret de bien d’autres manières que sous l’effet des incessantes
entreprises de réforme, parfois symboliques, souvent plus limitées dans les pratiques qu’elles
ne le proclament dans les discours. Des formes de changement variés liées aux évolutions des
groupes qui composent les administrations apparaissent tout aussi fondamentales et significatives
de mutations sur le long terme : évolutions sociales et démographiques des recrutements et des
hiérarchies, transformations des modalités de groupement au sein de l’administration et des représentations de l’avenir professionnel, transformations des rapports sociaux et politiques entre les
catégories d’acteurs, etc. Ces recherches portent avant tout sur les groupes de fonctionnaires, qu’il
s’agisse par exemple des receveurs des postes ou des facteurs (Join-Lambert, 2001 ; Cartier, 2003 ;
1
Cf. le compte-rendu de J.-C. Thoenig à la fin de ce numéro.
Demazière et Mercier, 2003), des fonctionnaires de guichet (Dubois, 1999 ; Weller, 1999 ; Siblot,
2006), des policiers (Monjardet, 1996), policières (Pruvost, 2008) ou commissaires de police
(Ocqueteau, 2006), des aides soignantes (Arborio, 2001) et personnels des hôpitaux (Chevandier,
2009), des fonctionnaires travaillant « sur autrui » (Dubet, 2002), des fonctionnaires des préfectures (Spire, 2005), des agents territoriaux (Bellanger, 2008), des fonctionnaires intermédiaires
comme les percepteurs ou les gradés de préfecture (Le Bihan, 2008) ou des élites administratives
(Charle, 1987 ; Rouban, 2000 ; Eymeri-Douzans, 1999, 2001). Ces travaux se rejoignent dans
leurs perspectives pour mettre en contexte les identités professionnelles, tout en mettant l’accent
sur la spécificité des appartenances à l’État ou sur l’influence des réformes sur les groupes professionnels (Linhart, 2007 ; Gervais, 2007). Ils soulignent l’importance des itinéraires sociaux,
géographiques et professionnels des agents ainsi que les effets de leurs appartenances sexuées.
En cernant les contours sociaux d’une catégorie de fonctionnaires et ses évolutions, ils restituent
la manière dont les fonctionnaires actualisent leurs rôles compte tenu des ressources qui sont les
leurs. Ces groupes professionnels sont le plus souvent analysés sous l’angle d’une tension entre
leur « unité » de fonction et de groupe construit et la « diversité » sociale des individus, d’autant
plus grande pour des administrations dont les fonctionnaires sont répartis sur l’ensemble du territoire national. Au groupe globalisé de « fonctionnaires » ou de « corps » succèdent ainsi des
catégories plus spécialisées, mobiles et évolutives, symboles d’une société où les administrations
sont fortement différenciées et technicisées. Les fonctionnaires sont ici clairement décrits dans
une position intermédiaire dont la différenciation bureaucratique est un enjeu, entre l’État qu’ils
incarnent, leurs itinéraires sociaux personnels qui les ramènent à leur « corps social » (Dubois,
1999) et les usagers de la « société civile » avec lesquels ils interagissent. L’administration dans ses
groupes constitutifs apparaît ainsi bel et bien comme une production sociale. C’est là le caractère
heuristique et les multiples apports de ces travaux.
Ces perspectives rejoignent un quatrième ensemble de recherches en histoire, sociologie ou
science politique qui analysent les administrations à partir des interdépendances multiples qu’elles
nouent avec les acteurs avec lesquels elles sont en interaction – hommes politiques, hauts fonctionnaires, organismes supra-nationaux, institutions privées telles que les entreprises, les associations
ou les syndicats ouvriers et professionnels. Geste classique dans les travaux fondateurs de la
sociologie des organisations appliquée aux administrations qui examinent les « relations avec les
notables » (Worms, 1966 ; Grémion, 1976), ce mode d’analyse a été largement repris et systématisé dans de nombreuses recherches récentes. Certaines examinent les institutions administratives
comme « prises » dans les réseaux d’acteurs qui les influencent (pour cette démarche appliquée au
Conseil national économique, Chatriot, 2002 ; pour un exemple sur une administration à géométrie
variable comme celle du ministère du Travail en France, cf. Chatriot et al., 2006 ; Join-Lambert,
2007 ; pour un exemple récent sur une bureaucratie internationale, Cayet, 2010 ; pour un classique,
Selznick, 1949). D’autres insistent sur la construction de leur plus ou moins grande autonomie
dans le cadre de leurs réseaux de dépendance qu’il s’agisse des exécutifs, des partis politiques ou
des groupes d’intérêt (Carpenter, 2001). D’autres encore s’intéressent aux processus d’étatisation
et aux modalités changeantes de construction de « frontières » entre des administrations d’État
et des groupes sociaux (Buton, 2009) ou valorisent des perspectives qui mettent l’accent sur les
échanges internationaux d’expertise au cœur de leurs fonctionnements (Rodgers, 1998).
Dans une cinquième perspective,2 particulièrement influencée par la sociologie du travail ou
les approches ethnographiques, des recherches privilégient, de manière plus micro-sociologique,
2
Pour une présentation différemment organisée de ces travaux, voir : Jeannot, 2008.
la description et l’analyse des activités quotidiennes accomplies par les agents, en lien avec les
usagers, avec les politiques publiques qu’ils développent ou avec les dispositifs techniques et matériels dans lesquels ils se trouvent enchâssés. Le point commun de ces travaux est de ne pas partir
de groupes professionnels constitués mais plutôt de positions et/ou de situations de fonctionnaires
dans la production de l’action publique. Dans un certain nombre de cas, dans le prolongement
du travail séminal de Michael Lipsky analysant les street-level bureaucrats (Lipsky, 1980), ces
recherches accordent une attention particulière à l’analyse des relations et interactions de guichet. Elles mettent notamment l’accent sur les micro-effets des politiques de modernisation et les
contraintes qu’elles génèrent sur les relations entre fonctionnaires et usagers (Demazière, 1992 ;
Warin, 1993 ; Weller, 1998, 1999 ; Dubois, 1999 ; Warin, 2002 ; Maynard-Moody et Musheno,
2003) ou analysent, plus largement, les formes d’appropriation, de pouvoir discrétionnaire et
d’autonomie dans la mise en œuvre de textes réglementaires. Avec des perspectives un peu différentes, d’autres enquêtes valorisent plutôt l’analyse du travail de fonctionnaires situés dans des
positions privilégiées pour comprendre la production de certaines politiques publiques (Deroche
et Jeannot, 2004), qu’il s’agisse d’inspecteurs (Lascoumes, 1994), d’agents en situation hiérarchique intermédiaire dans la police (Monjardet, 1996) ou en préfecture (Spire, 2005) ou de cadres
assurant des formes élaborées de coordination (Jeannot, 2005). L’analyse de leurs activités constitue alors une entrée pour comprendre l’action de l’État. Enfin, certaines recherches mettent plus
volontiers l’accent sur les mutations technologiques et sociétales affectant le travail administratif
et le sens que les agents lui donnent. En descendant au plus près du travail ordinaire et routinier de
l’administration et en le décrivant avec les cadres de la sociologie pragmatique, elles mettent en
exergue « l’encastrement » des phénomènes administratifs dans des réalités sociales mais surtout
matérielles et techniques qui les traversent et les informent largement (Gardey, 1999 ; Weller,
1999 ; Hanique, 2004 ; Buton, 2008). L’intérêt du sociologue se tourne ici vers les micro-activités
d’écriture, de calcul, de qualification, d’agencement, de coordination, de manipulation physique
de textes et de documents ou de traitement de cas. Le travail des agents des caisses de sécurité
sociale est ainsi analysé par Jean-Marc Weller (1999) à travers les multiples opérations cognitives
et techniques qui lui donnent consistance. L’administration devient alors redevable de « routines et
de façons ordinaires de raisonner » qui ne différencient plus véritablement ses pratiques de celles
développées dans d’autres organisations : « le travail du bureaucrate n’est guère différent [de celui
des ingénieurs ou des chercheurs décrits par Bruno Latour, NdA] : lui aussi doit mobiliser des
êtres hétérogènes incarnés par des textes, des ordinateurs, des fichiers, des personnes. Lui aussi
doit s’efforcer de constituer un “réseau” en mesure de décrire la situation de l’usager » (Weller,
1999, p. 107).
Ces cinq ensembles, qu’il ne faut bien sûr pas homogénéiser à l’excès, portent chacun un regard
spécifique sur l’objet administratif, sous-tendu par des hypothèses et des concepts différents : la
structuration historique des formes administratives ; les savoirs d’administrations ; les modalités
multiples d’appartenance individuelle ou collective à l’État et leurs effets ; les interactions nouées
dans la production des politiques publiques ; le travail voire l’activité, au concret, des agents
publics. Du premier au cinquième ensemble se dessine un mouvement centré vers des perspectives de plus en plus microsociologiques, dont les apports indéniables en termes de richesse de
description du réel font aussi parfois perdre de vue les interrogations sur les formes qui structurent
l’administration. Sous l’effet des grilles de lecture retenues, l’institution administrative court le
risque de s’effacer derrière les savoirs qui la représentent, les groupes sociaux qui la composent,
les fonctionnements concrets, les régulations autonomes, les pratiques ordinaires de ses membres
et ses interactions avec l’environnement, au risque de devenir un acteur parmi d’autres dans un
tissu sans couture de relations entre acteurs publics et acteurs privés. Ce sur quoi insiste de manière
certainement trop typifiée le premier ensemble de recherches disparaît progressivement et parfois
totalement dans le cinquième ensemble. Sur un mode plus radical et sans nul doute provocateur,
n’est-ce pas B. Latour qui reconnaît, pour décrire les pratiques ordinaires de travail du droit par
les magistrats, le paradoxe d’avoir construit son ethnographie du Conseil d’État en « laissant de
côté l’État » et en « extrayant le travail du droit de l’institution comme un physiologiste aurait pu
extraire la moelle épinière d’un chien, en sachant parfaitement qu’elle n’est pas tout l’animal »
(Latour, 2002, p. 271). Le microscope fait perdre de vue la forme observée. Cette tendance à la déspécification n’est pas propre aux travaux sur l’administration3 mais, comme pour d’autres objets,
elle peut poser un problème de connaissance à un moment historique où se diffusent massivement
de nouvelles manières d’organiser les administrations publiques. Plus que jamais, cependant, les
recherches doivent aussi appréhender les effets tangibles de ces nouvelles recettes sur les activités
des agents publics, d’où la nécessité de conserver des démarches centrées sur les pratiques.
2. Comment se fait l’administration ? Pour une sociologie d’« activités administratives
constituantes »
C’est au creuset des angles morts des champs de recherche identifiés et de leurs questionnements que se situe ce numéro. Il s’agit d’interroger la possibilité de combiner les apports
d’approches « par le bas » centrées sur les groupes ou les pratiques sans renoncer pour autant aux
acquis macrosociologiques des perspectives qui étudient les processus généraux de construction/reconstruction des administrations et la stabilisation de leurs formes sociales. Pour le faire,
le numéro propose de déplacer le regard vers ce que nous proposons d’appeler des « activités
administratives constituantes ». Recruter, évaluer pour promouvoir, mobiliser une expertise
distinctive, compter les fonctionnaires, construire des procédures autonomes d’allocation de
ressources ou enregistrer des débats sous une forme écrite disponible pour tous sont autant
d’activités structurant les fonctionnements administratifs. Elles véhiculent des valeurs et des
représentations – le mérite, la compétence, la publicité des débats, la transparence de l’État ou son
impersonnalité. Elles sont porteuses de règles – de recrutement, d’avancement, d’organisation,
techniques d’écriture ou de comptage, formes d’expertise – et diffusent des normes destinées à
réguler les fonctionnements et les comportements du milieu administratif. Elles participent, enfin,
à structurer, sur la durée, ces administrations en leur permettant de contribuer à la fabrication
de politiques publiques et en satisfaisant, plus ou moins, les attentes que placent en elles les
acteurs politiques. Le questionnement commun aux contributions du numéro porte donc sur la
manière dont se déploient, au concret, des dispositifs de rationalisation dans des administrations
publiques variées – nationale, sectorielle, territoriale, européenne – mais aussi sur les formes
sociales stabilisées et constitutives qu’ils génèrent et contribuent à entretenir, qu’elles soient
bureaucratiques, néo-managériales ou hybrides.
Pour caractériser ces activités administratives constituantes, on peut d’abord se référer à deux
définitions analytiques proposées l’une par le philosophe John Searle, l’autre par le politiste
Theodore J. Lowi. Pour J. Searle, des règles sont dites « constitutives » dans la mesure où elles
ont pour caractéristique de constituer l’activité même qu’elles régulent (Searle, 1972 ; pour une
3 Cette évolution a été bien identifiée et critiquée en sociologie de la connaissance sur l’économie de la santé par
Benamouzig (2005) dont nous reprenons ici l’argument général à l’origine de mises en perspective qui font suite à un
séminaire collectif. Voir en sociologie économique, François, 2008 ; en sociologie des professions, Champy, 2009 et sur
le champ des recherches de sociologie de l’État, de l’administration et de l’action publique, Bezes et Pierru, 2009. Pour
des visées proches, voir les débats en sociologie des sciences, Shinn et Ragouet, 2005 ; Berthelot, 2008.
discussion récente, Morin, 2009). Autrement dit, elles régulent des types de comportements qui
n’existeraient pas sans elles et rendent possible des pratiques qui font intrinsèquement partie de
l’institution en question et qui lui donnent forme. Théodore J. Lowi (1985) a également caractérisé la dimension « constitutive ou constituante » d’une règle, d’une politique ou d’une activité
qui définissent des règles sur les règles, dont les effets attendus sont de structurer formellement
une autorité, des pouvoirs, des compétences officielles, des ressources d’action et des rapports
sociaux et politiques. Bref, d’imposer des règles générales à une institution donnée et de produire
des représentations de l’ordre légitime. Ces activités constituantes ont donc vocation à organiser
l’administration et à la structurer comme telle. Sont-elles, et en quoi, propres aux administrations
publiques ? La réponse à cette question n’est pas simple si l’on admet, avec Max Weber, que les
formes d’organisation bureaucratiques ne sont pas spécifiques à l’État (Weber, 2004 [1904]) et
si l’on fait le constat, à l’aune des réformes récentes, que les recettes d’organisation du secteur
privé sont importées dans la sphère publique via la diffusion du NPM. Confrontés à l’introduction
massive de la contractualisation dans le droit et aux arrangements hybrides qu’elle rend possible
– sur le recrutement ou la promotion des personnels par exemple – des juristes s’interrogent sur
la spécificité de la chose publique : soit dans une perspective d’anthropologie juridique, pour en
(re)fonder le socle (Supiot, 2005) en défendant la référence symbolique à l’État comme « Tiers
garant » ; soit dans une perspective d’inspiration foucaldienne, en démontant les mises en scène
du droit administratif décrit comme une « constitution imaginaire de l’administration » (Caillosse,
2008). En science politique, d’autres auteurs rappellent, classiquement, que les modes publics
d’administrer sont structurés par des contraintes spécifiques (Wilson, 1989) : finalités politiques
extérieures aux bureaucraties, impératif de redevabilité parce que les administrations publiques
sont placées dans des chaînes de gouvernance démocratique, force structurante des contraintes
légales, non affectation des gains monétaires de l’organisation à ses membres, attentes fortes
d’impartialité et d’égalité de traitement, etc. Cette interrogation importante ne saurait être résolue
dans ce numéro par une formule générale. À la lumière des travaux qui insistent sur l’importance
de la dimension normative des institutions incarnées dans les fins générales qu’elles servent
(Friedland et Alford, 1991 ; Heclo, 2008), les six contributions du numéro proposent cependant
des réponses empiriques mais convergentes. Les activités administratives constituantes examinées ici font toutes référence à des desseins normatifs, éthiques et politiques qui « font » les
administrations, conformément aux intuitions d’une anthropologue comme Mary Douglas (2004)
sur ce qui « fait » l’institution : rendre possible la publicité des débats parlementaires, condition
de la démocratie ; recruter de manière impartiale des agents compétents ; promouvoir au mérite ;
allouer des ressources de manière impersonnelle et efficace ; rendre des comptes en comptabilisant le nombre de fonctionnaires ; revendiquer la maîtrise d’une expertise spécifique. Comme le
montrent les articles, ces activités n’ont donc pas seulement une fonction dans le pilotage interne
des organisations administratives : elles sont aussi traversées par les valeurs légitimes de la sphère
politique et parfois influencées par les attentes et les interventions des élus à leur endroit.
Cette piste de recherche n’est évidemment pas radicalement inédite, dans une décennie où les
sciences sociales, américaines notamment, n’ont cessé de réhabiliter la place des institutions :
des formules originales articulent, chacune à leur manière, les dimensions historique, culturaliste,
politique, professionnelle, organisationnelle ou d’action collective pour penser l’institution4 . Ces
perspectives ont trouvé de nombreux échos dans les recherches françaises (2003–2004; Lacroix
4 Pour des vues générales différemment situées sur les néo-institutionnalismes, voir : Hall et Taylor, 1996 ; Pierson et
Skocpol, 2002 ; Schneiberg et Clemens, 2006.
et Lagroye, 1992 ; Bezes et al., 2005 ; Lagroye, 2006 ; Fossier et Monnet, 2009 ; très récemment,
Boltanski, 2009), après tout à la source de la première sociologie, durkheimienne, des institutions
(Lallement, 2004). Au sein du vaste paysage des études néo-institutionnalistes, des historiens
américains de l’administration ont récemment défendu la nécessité de développer des démarches
de recherche qui articulent mieux les perspectives micro-sociologiques et les considérations de
macro-sociologie historique en prenant comme objet des « actes fondateurs » (formative acts)
(Skowronek et Glassman, 2007). D’autres, politistes, invitent à « repenser les règles constitutives »
(Sheingate, 2010) ou à analyser les politiques publiques comme des « institutions programmatiques » qui influencent les choix ultérieurs et les interactions sociales en délimitant les options
à venir et les coûts et bénéfices qui leur sont attachées (Jacobs, 2010). Sur la base d’une discussion des travaux de l’anthropologue cognitiviste Roy d’Andrade, Ann Swidler, une sociologue
culturaliste, insiste sur la nécessité d’appréhender les institutions comme des « patterns of constitutive rules », suggérant ainsi de tenir ensemble l’étude des règles constituantes et les régulations
des pratiques qu’elles induisent (Swidler, 2001). En France, Pierre Maclouf, dans un article
programmatique sur le centenaire du ministère du Travail, définit une piste de recherche convergente en insistant sur ce que produit de spécifique l’administration du Travail – surveiller les
lois du travail, prévenir les conflits – par rapport à ce que fait l’administration de la Sécurité
sociale – elle produit des « Caisses » – alors que ces deux administrations ont été réunies au cours
de l’histoire (Maclouf, 2001). Dans un ouvrage associant sociologues et historiens, l’auteur a
tenté de décrire, sur l’histoire de l’administration du Travail, « ce qui est mis en forme dans
l’agir des hommes par leurs règles d’action » (Maclouf, 2006) en posant qu’il existe, au sein
de l’administration, une « unité d’action », fondée sur le « système de la charge » dans lequel
« l’ensemble du travail est [. . .] réparti au long des échelons hiérarchiques, sans pour autant
se décomposer » (Maclouf, 2007). Dans une toute autre perspective, Delphine Gardey (2008)
propose d’analyser les « arts de faire » (écrire, calculer, copier, classer, etc.) qui façonnent les
activités de gouvernement et de gestion des firmes et des administrations publiques et alimentent
les dispositifs de production et de traitement d’information. À travers une perspective d’histoire et
d’anthropologie des technologies, des savoirs et des groupes professionnels de l’information, elle
montre comment ces opérations de mécanisation sont au cœur des fonctionnements et des modes
d’administration.
Comment analyser ces activités administratives constituantes ? Placer la focale sur elles ne
revient pas à les traiter comme des dispositifs donnés une fois pour toutes ou à les considérer comme des institutions « totales ». Il s’agit, au contraire, de les penser comme les résultats
composites de processus historiquement situés à travers lesquels elles acquièrent une force contraignante, mais relative, de structuration des pratiques. Bref, ces activités ne constituent pas des
institutions absolument cohérentes et homogènes. Elles sont composées d’assemblages plus ou
moins disparates ou intégrés de techniques, de règles, de groupements professionnels, de savoirs,
qui ont chacun une temporalité propre et s’articulent de diverses manières – complémentaire
et « renforçante » (D. Gardey), désajustée (É. Ruiz, V. Dimier, É. Biland), différenciée selon les
groupes au sein d’un même secteur (O. Join-Lambert, Y. Lochard), voire désarticulée (E.C. Page).
Leurs effets « constituants » sont donc inégaux. On peut suivre ici les perspectives tracées par des
historiens tel que Paul André Rosental (2003, 2007), qui parle « d’intelligence » pour désigner
les constructions historiques simultanées entre institutions, politiques et savoirs dans la constitution de la statistique ou de la démographie, ou tels que Karen Orren et Stephen Skowronek
qui utilisent la notion d’« intercurrence » pour désigner les phénomènes de structuration institutionnelle par des ordonnancements multiples en action (Orren et Skowronek, 1996). C’est la
prise en compte des liens qui se construisent simultanément entre techniques, savoirs, groupes
et institutions qui détermine le degré d’institutionnalisation de ces dispositifs et la force de leur
constitution.
Les activités administratives constituantes sont contraignantes mais elles ouvrent aussi des
marges de manœuvre et des formes d’appropriation parce que les acteurs sont souvent en conflit
autour de leur signification et de leur mise en œuvre. Les règles constituantes ne sont jamais
dénuées d’ambiguïté (Sheingate, 2010) : elles sont souvent incomplètes, entrent en concurrence
avec d’autres règles parfois contradictoires de sorte qu’elles sont l’objet d’interprétation, de
réorientation, de stratégies de contournement, etc. Pour utiliser une métaphore, ces activités
mettent en place des « cloisons » pour les administrations publiques : elles orientent fortement
les déplacements mais on y circule « entre » et leur degré de contrainte est variable. Pour
autant, elles « font tenir » et façonnent les administrations en organisant leurs fonctions structurantes – recrutement, avancement, enregistrement, comptage, allocation, expertise. Les auteurs
du numéro portent leur regard sur la mise en place et les effets de ces rouages intermédiaires de
la machinerie administrative, mais ne préjugent pas de leur efficacité : ils soulignent comment
l’administration se construit, se re-produit et parfois se recompose dans le temps à travers
eux.
La réflexion sur la longue durée est un autre point commun des contributions du numéro.
Elles apportent des éclairages sur les processus d’institutionnalisation (Zucker, 1987 ; Clemens
et Cook, 1999) des activités administratives constituantes et offre des décalages stimulants sur
les temporalités traditionnellement retenues pour analyser la montée en puissance du paradigme
néo-managérial. Certains auteurs font démarrer cette cristallisation dans les années 1980 (Pollitt,
1990) ; d’autres dans les années 1960 avec les prémisses de la Rationalisation des choix budgétaires
(RCB) et l’essor de techniques donnant corps aux usagers et aux publics (Laufer et Paradeise,
1982 ; Bezes, 2009) mais il est permis, comme le suggèrent des travaux récents d’historiens
(Cohen, 2003 ; Descamps, 2007), de remonter plus avant ce fil généalogique. L’histoire des conditions de développement des activités administratives constituantes, proposée dans ce numéro,
montre bien l’influence et la matérialisation de principes et de recettes légitimes à certaines
périodes mais suggère aussi des temporalités plus fines à l’œuvre. Le premier apport des textes rassemblés est ainsi de mettre en évidence des micro-temporalités liées aux formes d’appropriations
« par le bas » des dispositifs et aux pratiques évolutives dont ils sont l’objet. Les articles donnent
à voir des processus souvent souterrains de négociation des usages des règles par les individus et
les groupes, qui font que le contenu de dispositifs en apparence stables change, alors même que
les catégories juridiques restent identiques (pour une parution récente dans cette perspective, cf.
Schor, 2009). Le fait que la signification du recrutement, de la notation, de la mesure du travail, du
comptage des fonctionnaires ou de l’expertise, n’ait pas été stable ni cohérente sur la durée dans les
différentes administrations – administration de la Statistique, de la Culture, administrations territoriale, nationale et européenne – ne constitue pas un obstacle mais au contraire l’objet même des
articles. Le deuxième apport des textes nuance, dans le temps et dans l’espace, l’opposition idéale
typique entre administration bureaucratique et managériale. En déplaçant les lignes, les articles
offrent des éléments pour enrichir et complexifier les temporalités d’invention et d’adoption de
principes et de règles qu’on catégorise aujourd’hui peut-être trop vite comme néo-managériaux.
La spécificité de la période 1962–2008 ouverte par l’arrivée de la RCB et l’émergence d’une
nouvelle rationalité récemment mise en évidence (Bezes, 2009) s’en trouvent ainsi réinterrogées.
O. Join-Lambert et Y. Lochard montrent par exemple que la notation des fonctionnaires, initialement fondée sur des critères comportementaux, intègre dès les années 1950 des critères de plus en
plus précis de mesure de l’activité de travail, à une période qui n’a pas vu encore éclore la doctrine
néo-managériale. É. Ruiz montre judicieusement que le souci de compter les fonctionnaires ne
date pas des années NPM ou même des années 1960 mais émerge au début du xxe siècle. E.C. Page
propose aussi une réévaluation des perspectives historiques : il n’est pas certain que les réformes
néo-managériales affectant les compétences attendues des hauts fonctionnaires soient véritablement à l’origine de la recomposition de leur pouvoir et du déclin de leur expertise sur une politique
publique. Il va jusqu’à nous inviter à douter que ce fondement ait jamais constitué un ressort du
pouvoir bureaucratique. Delphine Gardey donne au contraire à voir la pérennité d’une composante
de l’idéal type wébérien : la place des technologies de l’écrit dans la structuration des fonctions
administratives (pour la thèse d’ensemble qu’elle défend, cf. Gardey, 2008). É. Biland identifie
bien la présence actuelle d’un nouveau registre managérial d’évaluation valorisant l’implication
au travail, l’autonomie et l’adaptabilité dans la sélection par concours dans la fonction publique
territoriale. Mais elle montre qu’il s’hybride avec celui de la fonction publique d’État ainsi qu’à
d’autres logiques antérieurement mises en place, valorisant la proximité aux élus ou, au contraire,
la compétence professionnelle.
Aux jeux des échelles d’analyse (Revel, 1995), et en soumettant les activités administratives
constituantes au test de la longue ou moyenne durée, de la comparaison entre les périodes et de leur
propre robustesse, ce numéro veut montrer que le choix d’une focale emboîtant les perspectives
macro et micro permet de produire des résultats originaux sur la spécificité des rouages des
administrations publiques et sur les formes contrastées de leur institutionnalisation.
3. Noter, recruter, retranscrire les débats, compter les fonctionnaires, allouer des
ressources, construire une expertise : des activités constituantes qui façonnent les
administrations
Chacune à leur façon, à partir de perspectives théoriques et disciplinaires spécifiques (histoire,
sociologie, science politique), parfois de manière contre-intuitive, les six contributions de ce
numéro offrent des vues empiriques sur plusieurs activités administratives constituantes. Les
deux premières contributions sont centrées sur des dispositifs de gestion des personnels – noter,
recruter – ; les deux suivantes concernent des technologies administratives liées à la diffusion
de la parole et de l’information en régime démocratique – publiciser les débats parlementaires,
compter les fonctionnaires – ; les deux dernières privilégient des dispositifs de rationalisation des
pratiques au cœur de la production de politiques publiques – allouer des ressources sur une base
impersonnelle, structurer une expertise.
Dans une perspective d’anthropologie administrative, O. Join-Lambert et Y. Lochard proposent
d’abord une généalogie interne de l’activité de notation et de promotion dans l’administration
d’État et s’intéressent aux dispositifs d’appréciation du mérite des fonctionnaires. Ils étudient
ainsi des procédures concrètes d’évaluation, de notation et d’avancement de deux catégories
d’agents du ministère de la Culture, les conservateurs et les gardiens de musée, sur près d’un
siècle. En explicitant les rapports entre les acteurs qui participent à la notation et en étudiant
les modalités de son inscription institutionnelle, l’article montre comment celle-ci constitue un
dispositif de classement et de mesure des « mérites » et comment elle oblige, aussi, des niveaux
hiérarchiques, sociaux et culturels opposés à coopérer : elle se construit comme un outil de relation entre des groupes que tout sépare et qu’elle fait tenir ensemble. Sa mise en œuvre, bien
distinctes selon les deux catégories, produit aussi des enjeux symboliques pour les acteurs. Sans
nier l’existence de rapports de force ni l’absence de symétrie entre le haut et le bas de la hiérarchie,
des hommes et des femmes ont pu partager ce qui les séparait car les cadres de référence étaient
explicités. En décrivant les étapes d’un processus d’organisation des carrières, l’article tente
ainsi de mieux caractériser le rapport entre l’État employeur et les fonctionnaires5 (Freyssinet,
2005).
É. Biland étudie une autre activité constituante des administrations publiques : le développement des concours de recrutement et leurs fonctionnements concrets, en l’occurrence dans la
fonction publique territoriale depuis les années 1960. Loin d’en faire un dispositif homogène,
elle en souligne au contraire le caractère hybride mais en montre aussi les effets structurants.
Les concours se caractérisent ici par la cohabitation de principes de recrutement au mérite et
de mécanismes propres aux collectivités locales (présence des élus dans le jury, focalisation sur
la « culture territoriale », liste d’aptitude, relative autonomie des concours par rapport à la gestion des ressources humaines des collectivités territoriales) mais sont aussi influencés de manière
croissante par des recettes néo-managériales. L’article montre que les concours occupent une
place encadrée et restreinte dans l’accès à la fonction publique territoriale, tout en soulignant que
leur institutionnalisation repose en partie sur la fonction qu’ils remplissent et les croyances qu’ils
entretiennent : ils assurent la reproduction d’une forme de méritocratie assise sur des dispositifs
de « domestication du politique » et apportent un ciment culturel permettant de donner une unité à
des emplois dont les titulaires dépendent de nombreux employeurs. Cette institutionnalisation est
« ambiguë » parce qu’elle superpose des pratiques différenciées : les enjeux en termes d’exigences
bureaucratiques, de politisation, de contrainte de gestion ou d’avancement font l’objet de dosages
différents selon les trois catégories de fonctionnaires A, B et C étudiés. Sur la durée, la réalité des pratiques concourantes semble correspondre à une montée des règles pour les emplois
intermédiaires, tout en maintenant de la souplesse pour certains petits emplois et ceux du sommet.
D. Gardey, pour sa part, rend compte de l’émergence et de la perpétuation d’une institution
administrative au cœur des fonctionnements politiques de l’Assemblée nationale sur près d’un
siècle et demi : la publicité des débats et le travail de celles et ceux, fonctionnaires sténographes,
qui la rendent possible. Nourrie de perspectives d’anthropologie politique, sa démarche originale
tient ensemble la sociologie des techniques et la sociologie des groupes professionnels pour montrer comment les technologies d’écriture et de retranscription des débats, portées en pratique et
incarnées par les sténographes parlementaires, donnent corps et forme au principe de publicité
au fondement du fonctionnement démocratique. C’est en produisant de la certification – et non
simplement de la retranscription – que les secrétaires des débats « produisent » cette administration particulière qu’est le Parlement. Insistant sur le temps long, l’article établit que, malgré les
changements de composition du personnel qui fragilise l’institution, le compte rendu des débats
continue à la maintenir, jusqu’à la réforme de 2004 qui affecte ce corps. En l’occurrence, c’est
l’autonomisation statutaire progressive du groupe des sténographes et rédacteurs des débats, adossée à la maîtrise « virtuose » des techniques de transcription, qui font tenir et institutionnalisent
la publicité des débats parlementaires.
Mettant l’accent sur l’activité de « compter les fonctionnaires », É. Ruiz analyse l’invention et
la difficile consolidation d’une statistique des agents de l’État en France, de la fin du xixe siècle
aux années 1930. À partir de la généalogie d’un « savoir sur l’État » qui n’est pas encore constitué
en « savoir d’État », il met à jour ce qui alimente la critique constitutive de la bureaucratie : la
dénonciation du nombre de ses agents, jugé à la fois toujours excessif et insuffisamment connu.
Si l’activité de comptage des fonctionnaires est encore embryonnaire et marginale au début du
xxe siècle – elle ne devient constituante que dans le contexte des réformes néo-managériales
– elle constitue pourtant un « lieu commun » des représentations politiques des bureaucraties dont
5
Ce que les spécialistes des relations professionnelles ont, à maintes reprises, tenté. Cf. (Desmarais et al., 2007).
l’article propose de démonter le processus de construction et d’entretien. Il montre comment
sa structuration repose sur quatre dynamiques ayant chacune leur temporalité propre : les jeux
politiques électoralistes ; la stabilisation délicate de techniques et de connaissances statistiques ;
la construction d’une expertise professionnelle sur le sujet dans le champ de la statistique ;
des politiques publiques intempestives de réduction des effectifs, paradoxalement non fondées
sur les données statistiques existantes. L’originalité de l’analyse, sur 40 ans, est de montrer
comment se recompose la structure rhétorique autour de justifications changeantes – les peurs
du fonctionnarisme, de la dépopulation, d’un syndicalisme public, la réduction des dépenses
publiques, l’importance des relations nouées par les statisticiens au sein d’instances tant nationales
qu’internationales, constituant un « milieu professionnel » – qui alimentent l’enjeu du recensement
des fonctionnaires, dont le nombre est toujours supposé insuffisamment connu. La perspective
adoptée permet d’apprécier les multiples enjeux et dynamiques au cœur du dénombrement des
forces étatiques.
L’article de V. Dimier met l’accent sur un autre dispositif constituant : la mise en place de
mécanismes « objectifs », impersonnels et efficaces de sélection et d’attribution d’aides aux pays
en développement au centre du fonctionnement de la DG Développement de la Commission
européenne. Elle étudie ainsi les processus inaboutis de bureaucratisation des modes d’allocation
des subsides qui visent à remettre en cause les formes initiales, patrimoniales et arbitraires. La
contribution prend en compte trois dimensions de structuration de cette activité administrative
constituante : des savoirs empruntant à l’économie puis au NPM qui alimentent les réformes au
nom de principes de transparence et d’efficacité ; des alliances politico-administratives défendues
par des hauts fonctionnaires outsiders au sein de la DG – les Anglais, en l’occurrence, extérieurs
aux pratiques patrimoniales mises en place par les Français et qui souhaitent entrer dans le
jeu en rationalisant les pratiques – ; les évolutions organisationnelles liées aux élargissements
européens qui entraînent une modification des rapports de pouvoir entre les coalitions existantes.
Tout se passe comme si les réformateurs cherchaient à construire une bureaucratie wébérienne, dépatrimonialisée et dé-personnalisée, en important des instruments du NPM, précisément conçus
comme des recettes alternatives au modèle bureaucratique.
Sur un mode paradoxal presque contrefactuel par rapport à la thèse défendue dans le numéro,
la contribution d’E.C. Page « teste », pour la période contemporaine, la validité empirique d’un
« acquis wébérien » – le caractère constituant de l’expertise pour le pouvoir administratif. À partir
d’une enquête portant sur 52 processus de fabrication/rédaction d’arrêtés ou de décrets par des
fonctionnaires dans plusieurs pays européens, il brosse trois « tableaux vivants » très contrastés
dans lesquels les fonctionnaires détiennent rarement une expertise propre et n’en tirent pas véritablement de pouvoir ou, a minima, d’influence. L’expertise ne constituerait donc pas nécessairement, dans les faits, un pilier central faisant tenir l’administration. Les résultats sont déstabilisants
mais invitent à des reformulations fécondes d’hypothèses. Ce qui constitue la bureaucratie tiendrait plus au rôle d’intermédiaires de ces petits hauts fonctionnaires qu’on pourrait dire « experts
de second rang » c’est-à-dire mobilisateurs et traducteurs de savoirs détenus par d’autres. La
contribution d’E.C. Page nous invite à nous interroger sur la pérennité du « mythe » associant la
bureaucratie à la détention d’une expertise à ce point évident que les sciences sociales ne le questionneraient plus. Si l’article ne propose pas d’explication à l’institutionnalisation et l’entretien
de cette croyance, il montre, en revanche, que si l’expertise ne « fonde » pas concrètement
l’administration, elle en demeure pourtant un pilier symbolique important et peut-être entretenu.
Ainsi, l’identification d’un objet spécifique, les « activités administratives constituantes »,
diversement opérationnalisées dans les six contributions, proposent des pistes de recherche et
des modes opératoires possibles. Le dossier est bien sûr loin d’épuiser la perspective esquissée.
D’autres activités administratives constituantes mériteraient d’être étudiées : par exemple, la mise
en place d’un système de classification des emplois publics ou de modes centralisés de rémunération, la structuration des hiérarchies, l’organisation de la division du travail ou les mécanismes
concrets d’autonomisation de la sphère administrative publique par rapport à la sphère privée. La
réflexion sur la manière « intégrée » d’étudier ces activités peut également être poursuivie sur un
mode exploratoire. Chacune à sa manière, les contributions du numéro montrent le profit qu’il y
a à tenir ensemble des dimensions complémentaires : savoirs et instruments au cœur de l’activité,
groupes professionnels porteurs de rationalisation, usages différenciés de dispositifs constituants,
représentations symboliques produites par ces derniers et alimentant des « mythes » activés et
structurants – mérite, expertise, croissance non maîtrisée des effectifs – etc. Bien d’autres pistes
pourraient être suivies. Les interactions concrètes, et les hiérarchies qu’on peut établir entre elles
en fonction des périodes, d’une administration ministérielle à une autre, d’un pays à un autre,
d’une fonction publique à une autre, du secteur privé – grandes entreprises notamment – au secteur public, d’un circuit d’experts internationaux à des administrations nationales – discrètement
abordées dans certains articles – mériteraient d’être plus systématiquement développées, en les
liant toujours aux « actes en pratique ». Loin de constituer un point d’aboutissement, ce numéro
suggère qu’un angle de recherche complémentaire à ceux qui existent déjà est possible. Aux
jeux des échelles d’analyse, au test de la comparaison dans le temps et dans l’espace, il voudrait
suggérer que des pistes d’analyses moins linéaires des processus historiques de bureaucratisation
et de managérialisation des systèmes administratifs sont encore à explorer en sciences sociales.
Références
Arborio, A.M., 2001. Un personnel invisible. In: Les aides-soignantes à l’hôpital. Anthropos, Paris.
Baruch, M.O., 1997. Servir l’État français. In: L’administration en France de 1940 à 1944. Fayard, Paris.
Baruch, M.O., 2007. L’empire des fonctionnaires du milieu. Le Mouvement social 218, 5–11.
Baruch, M.O., Duclert, V., 2000. Serviteurs de l’État. In: Une histoire politique de l’administration française, 1875–1945.
La Découverte, Paris.
Bellanger, E., 2008. Villes de banlieues, personnel communal, élus locaux et politiques urbaines en banlieue parisienne
au xxe siècle. Créaphis, Grâne.
Benamouzig, D., 2005. La santé au miroir de l’économie. Puf, Paris.
Bendix, R., 1956. Work and Authority in Industry : Ideologies of Management in the Course of Industrialization. University
of California, Berkeley.
Berthelot, J.M., 2008. L’emprise du vrai. In: Connaissance scientifique et modernité. Puf, Paris.
Bezes, P., 2009. Réinventer l’État. In: Les réformes de l’administration française. Puf, Paris.
Bezes, P., Pierru, F., 2009. Les dé-liaisons dangereuses, Les trajectoires croisées de la sociologie de l’État, de l’analyse
des politiques publiques et de la science administrative, Un essai de comparaison francoaméricaine. Communication
présentée au dizième congrès de l’AFSP, Section thématique no 14, Grenoble.
Bezes, P., Lallement, M., Lorrain, D., 2005. Les nouveaux formats de l’institution. Introduction. Sociologie du travail 47
(3), 293–300 [Numéro thématique].
Boltanski, L., 2009. De la critique, Précis de sociologie de l’émancipation. In: Le pouvoir des institutions. Gallimard,
Paris, pp. 83–128.
Buton, F. (Ed.), 2008. Dossier : l’observation historique du travail administratif. Genèses 72, 2–3.
Buton, F., 2009. L’administration des faveurs : l’État, les sourds et les aveugles (1789–1885). Presses Universitaires de
Rennes, Rennes.
Caillosse, J., 2008. La constitution imaginaire de l’administration. Puf, Paris.
Carpenter, D.P., 2001. The Forging of Bureaucratic Autonomy, Reputations, Networks and Policy Innovation in Executive
Agencies (1862–1928). Princeton University Press, Princeton.
Cartier, M., 2003. Les facteurs et leurs tournées : un service public au quotidien. La Découverte, Paris.
Cayet, T., 2010. Rationaliser le travail ? Le Bureau international du travail et la modernisation économique durant l’entredeux-guerres. Presses Universitaires de Rennes, Rennes [à paraître].
Champy, F., 2009. La sociologie des professions. Puf, Paris.
Charle, C., 1987. Les élites de la République, 1880–1900. Fayard, Paris.
Chatriot, A., 2002. La démocratie sociale à la française : l’expérience du Conseil national économique 1924–1940. La
Découverte, Paris.
Chatriot, A., Join-Lambert, O., Viet, V. (Eds.), 2006. Les politiques du Travail (1906–2006). Acteurs, institutions, réseaux.
Presses universitaires de Rennes, Rennes.
Chevandier, C., 2009. L’hôpital dans la France du xxe siècle. Perrin, Paris.
Clarke, J., Newman, J., 1997. The Managerial State: Power, Politics and Ideology in the Remaking of Social Welfare.
Sage, London.
Clemens, E.S., Cook, J.M., 1999. Politics and Institutionalism: Explaining Durability and Change. Annual Review of
Sociology 25, 441–466.
Cochoy, F., 1999. Une histoire du marketing. In: Discipliner l’économie de marché. La Découverte, Paris.
Cohen, Y., 2003. Fayol, un instituteur de l’ordre industriel. Entreprises et histoire 34, 29–67.
Crozier, M. (Ed.), 1966. L’administration face aux problèmes du changement, Introduction. Sociologie du travail 8 (3),
225–226.
Delmas, D., 2006. Instituer des savoirs d’État. In: L’Académie des sciences morales et politiques au xixe siècle.
L’Harmattan, Paris.
Demazière, D., 1992. Le chômage en crise ? La négociation des identités des chômeurs de longue durée. Presses universitaires de Lille, Lille.
Demazière, D., Mercier, D., 2003. La tournée des facteurs, Normes gestionnaires, régulations collectives et stratégies
d’activité. Sociologie du travail 45 (2), 237–258.
Deroche, L., Jeannot, G., 2004. L’action publique au travail. Octares, Toulouse.
Descamps, F., 2007. La création du Comité central d’enquête sur les coûts et rendements des services publics 1946–1950.
Revue française d’administration publique hors série, 27–43.
Desmarais, C., Jeannot, G., Louvel, S., Pernot, J.M., Saglio, J., Ughetto, P., 2007. Gestion des personnels publics :
évolutions récentes et perspectives. La Revue de l’Ires 53 (1), 111–137.
Douglas, M., 2004. Comment pensent les institutions ? La Découverte, Paris.
Dreyfus, F., 2002. À la recherche du temps perdu : la science politique française oublieuse de l’administration publique :
à propos de « Notre État ». Politix 15 (59), 171–194.
Dubet, F., 2002. Le déclin de l’institution. Le Seuil, Paris.
Dubois, V., 1999. La vie au guichet : relation administrative et traitement de la misère. Economica, Paris.
Eymeri-Douzans, J.M., 1999. Les gardiens de l’État, Une sociologie des énarques de ministère. Thèse de doctorat en
science politique, vol. 3. Université de Paris-I, Paris.
Eymeri-Douzans, J.M., 2001. La fabrique des énarques. Economica, Paris.
Fossier, A., Monnet, É. (Eds.) 2009. Les institutions, mode d’emploi. Tracés 17, 7–28 (éditorial du numéro thématique :
Que faire des institutions ?).
François, P., 2008. Sociologie des marchés. Armand Colin, Paris.
Freyssinet, J., 2005. Le travail dans la fonction publique, un continent peu exploré. Le Mouvement social 212, 5–10.
Fridenson, P., 1989. Les organisations, un nouvel objet. Annales, économies, sociétés, civilisations 44 (6), 1461–1477.
Fridenson, P., 2000. Pour une histoire de l’État contemporain comme organisation. Cahiers du Centre de recherches
historiques 25, 149–156 (Organiser et s’organiser, Histoire, sociologie, gestion).
Friedland, R., Alford, R.R., 1991. Bringing Society Back. In: Powell, W.W., DiMaggio, P. (Eds.), Symbols, Practices
and Institutional Contradictions. The New Institutionalism in Organizational Analysis. University Press of Chicago,
Chicago, pp. 232–263.
Gardey, D., 1999. Mécaniser l’écriture et photographier la parole, Utopies, monde du bureau et histoires de genre et de
techniques. Annales, histoire, sciences sociales 54 (3), 587–614.
Gardey, D., 2008. Écrire, calculer, classer, Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines
(1800–1940). La Découverte, Paris.
Gervais, J., 2007. Former des hauts fonctionnaires techniques comme des managers de l’action publique, L’identité
managériale, le corps des Ponts et Chaussées et son rapport à l’État. Politix 20 (79), 101–123.
Grémion, P., 1976. Le pouvoir périphérique, Bureaucrates et notables dans le système politico-administratif français. Le
Seuil, Paris.
Guillen, M.F., 1994. Models of Management, Work, Authority and Organization in a Comparative Perspective. University
of Chicago Press, Chicago.
Hall, P.A., Taylor, R.C.R., 1996. Political Science and the Three New Institutionalism. Political Studies 44 (5), 936–957.
Hanique, F., 2004. Le sens du travail, Chronique de la modernisation au guichet. Éditions Érès, Ramonville-Saint-Agne.
Heclo, H., 2008. On Thinking Institutionaly. Paradigm Publishers, London.
Hood, C., Lodge, M., 2006. The Politics of Public Service Bargains: Reward, Competency, Loyalty and Blame. Oxford
University Pres, Oxford.
Hood, C., 1991. A Public Management for All Seasons? Public Administration 69 (1), 3–19.
Ihl, O., 2007. Le mérite et la République. In: Essai sur la société des émules. Gallimard, Paris.
Ihl, O., Kaluszynski, M., Pollet, G. (Eds.), 2003. Les sciences de gouvernement. Economica, Paris.
Jacobs, A.M., 2010. Policymaking as Political Constraint: Institutional Development in the US Social Security Program.
In: Mahoney, J., Thelen, K. (Eds.), Explaining Institutional Change, Ambiguity, Agency and Power. Cambridge
University Press, Cambridge, pp. 94–131.
Jeannot, G., 2005. Les métiers flous. In: Travail et action publique. Octares, Toulouse.
Jeannot, G., 2008. Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? Inventaire des recherches sur l’activité des agents
publics. Revue française de science politique 58 (1), 123–140.
Join-Lambert, O., 2001. Le receveur des postes. In: Entre l’État et l’usager (1944–1973). Belin, Paris.
Join-Lambert, O. (Ed.), 2007. Numéro spécial Centenaire du ministère du Travail. Travail et emploi, no 110, avril–juin,
no 111, juillet–septembre.
Kalberg, S., 2002. La sociologie historique comparative de Max Weber. La Découverte, Paris.
Laborier, P. (Ed.), 2008. Les sciences camérales : activités pratiques. Puf-CURAPP, Paris.
Lacroix, B., Lagroye, J. (Eds.), 1992. Le président de la République. Usages et genèse d’une institutions. Presses de
Sciences Po, Paris.
Lagroye, J., 2006. La vérité dans l’Église catholique. Contestations et restauration d’un régime d’autorité. Belin, Paris.
Lallement, M., 2004. Penser les institutions : paradigmes d’hier, débats d’aujourd’hui. Sociologia del Lavoro 93 (Suppl.),
62–75.
Lascoumes, P., 1994. L’Éco-pouvoir, Environnements et politiques. La Découverte, Paris.
Latour, B., 2002. La fabrique du droit. In: Une ethnographie du Conseil d’État. La Découverte, Paris.
Laufer, R., Paradeise, C., 1982. Le prince bureaucrate. In: Machiavel au pays du marketing. Flammarion, Paris.
Le Bihan, J., 2008. Au service de l’État. In: Les fonctionnaires intermédiaires au xixe siècle. Presses universitaires de
Rennes, Rennes.
Linhart, D. (Ed.), 2007. Les différents visages de la modernisation du service public. La Documentation française, Paris.
Lipsky, M., 1980. Street-level Bureaucracy, Dilemmas of the Individual in Public Services. Russell Sage Foundation, New
York.
Lowi, T.J., 1985. The State in Politics: The Relation Between Policy and Administration. In: Noll, R.G. (Ed.), Regulatory
Policy and The Social Sciences. University of California Press, Berkeley, pp. 67–110.
Maclouf, P., 2001. L’« administration publique du Travail » comme objet de connaissance, perspectives pour l’histoire du
ministère du Travail. Revue française des affaires sociales 2, 121–139.
Maclouf, P., 2006. « L’emploi » du Travail 1914–2006. In: Chatriot, A., Join-Lambert, O., Viet, V. (Eds.), Les politiques
du Travail (1906–2006). Presses universitaires de Rennes, Rennes, pp. 215–232.
Maclouf, P., 2007. Fonctionnaires au Travail : bureaucratie et personnalité au ministère du Travail dans la période de son
cinquantenaire. Travail et emploi 110, 47–76 (numéro spécial Centenaire du ministère du Travail).
Margairaz, M., 1991. L’État, les Finances et l’Économie : histoire d’une conversion 1932–1982. Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, Paris.
Margairaz, M., Dard, O. (Eds.), 2005. Le service public, l’économie, la République (1780–1960). Revue d’histoire moderne
et contemporaine 52 (3), 5–9.
Maynard-Moody, S., Musheno, M., 2003. Cops, Teachers, Counselors: Stories from the Front Lines of Public Service:
Narratives of Street-level Judgement. University of Michigan Press, Ann Arbor.
Merrien, F.X., 1999. La nouvelle gestion publique : un concept mythique. Lien social et politiques 41, 95–103.
Monjardet, D., 1996. Ce que fait la police. In: Sociologie de la force publique. La Découverte, Paris.
Morin, O., 2009. Y-a-t-il des règles constitutives ? Tracés 17, 109–126.
Ocqueteau, F., 2006. Mais qui donc dirige la police ? Sociologie des commissaires. Armand Colin, Paris.
Orren, K., Skowronek, S., 1996. Institutions and Intercurrence : Theory Building in the Fullness of Time. In: Shapiro, I., Hardin, R. (Eds.), Political Order (Nomos XXXVIII). New York University Press, New York, pp. 111–
146.
Payre, O., 2008. Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalités providence. CNRS Éditions, Paris.
Pierson, P., Skocpol, T., 2002. Historical Institutionalism in Contemporary Political Science. In: Katznelson, I., Milner,
H.V. (Eds.), Political Science: the state of the discipline. Norton & Company, New York.
Pollitt, C., 1990. Managerialism and the Public Service, The Anglo-American Experience. Blackwell, Oxford.
Pollitt, C., Bouckaert, G., 2004. Public Management Reform, A Comparative Analysis (second edition). Oxford University
Press, Oxford.
Pruvost, G., 2008. De la « sergote » à la femme flic. In: Une autre histoire de l’institution policière (1935–2005). La
Découverte, Paris.
Revel, J., 1995. L’institution et le social. In: Lepetit, B. (Ed.), Les formes de l’expérience, Une autre histoire sociale.
Albin Michel, Paris, pp. 63–84.
Rodgers, D.T., 1998. Atlantic Crossings, Social Politics in a Progressive Age. The Belknap Press of Harvard University
Press, Cambridge.
Rosental, P.A., 2003. L’intelligence démographique, Sciences et politiques des populations en France (1930–1960). Odile
Jacob, Paris.
Rosental, P.A., 2007. L’argument démographique, Population et histoire politique au xxe siècle. Vingtième siècle 95,
3–14.
Rouban L, 2000. Les Préfets de la République 1870–1997. Cahiers du CEVIPOF no 26, Centre de recherches politiques
de Science Po, Paris. http://www.cevipof.msh-paris.fr/publications/cahiers/CahierDuCEVIPOF26.pdf.
Saunier, P.Y., 2003. Administrer le monde ? Les fondations philanthropiques et la Public Administration aux États-Unis
(1930–1960). Revue française de science politique 53 (2), 237–255.
Schneiberg, M., Clemens, E.S., 2006. The Typical Tools for the Job: Research Strategies in Institutional Analysis.
Sociological Theory 24 (3), 195–227.
Schor, P., 2009. Compter et classer, Histoire des recensements américains. Éditions de l’EHESS, Paris.
Schwartz, H., 1994. Small States in Big Trouble, State Reorganization in Australia, Denmark, New Zealand and Sweden
in the 1980s. World Politics 46 (4), 527–555.
Searle, J.R., 1972. Les actes de langage. In: Essai de philosophie du langage. Hermann, Paris.
Selznick, P., 1949. TVA and the Grass Roots. In: A Study in the Sociology of Formal Organization. Universiy of California
Press, Berkeley.
Shefter, M., 1994. Political Parties and the State. In: The American Historical Experience. Princeton University Press,
Princeton.
Sheingate, A., 2010. Rethinking Rules: Creativity and Constraint in the US House of Representatives. In: Mahoney,
J., Thelen, K. (Eds.), Explaining Institutional Change, Ambiguity, Agency and Power. Cambridge University Press,
Cambridge, pp. 168–203.
Shinn, T., Ragouet, P., 2005. Controverses sur la science. In: Pour une sociologie transversaliste de l’activité scientifique.
Raisons d’agir, Paris.
Siblot, Y., 2006. Faire valoir ses droits au quotidien. In: Les services publics dans les quartiers populaires. Presses de
Sciences Po, Paris.
Silberman, B.S., 1993. Cages of Reason, The Rise of the Rational State in France, Japan, The United States and GreatBritain. Chicago University Press, Chicago.
Skowronek, S., 1982. Building a New American State, The Expansion of National Administrative Capacities (1877–1920).
Cambridge University Press, Cambridge.
Skowronek, S., Glassman, M. (Eds.), 2007. Formative Acts, American Politics in the Making. University of Pennsylvania
Press, Philadelphia.
Spire, A., 2005. Étrangers à la carte. In: L’administration de l’immigration en France (1945–1975). Grasset, Paris.
Suleiman, E., 2005. Le démantèlement de l’État démocratique. Le Seuil, Paris.
Supiot, A., 2005. Homo Juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du droit. Le Seuil, Paris.
Swidler, A., 2001. Talk of Love, How Culture Matters. The University of Chicago Press, Chicago.
Thelen, K., Chanteau, J.P., Ragot, X., Lordon, F., Boyer, R., 2003–2004. Dossier : Les institutions et leur changement.
L’Année de la régulation, Économie, Institutions, Pouvoirs 7, 13–206.
Warin, P., 1993. Les relations de service comme régulations. Revue française de sociologie 34 (1), 69–95.
Warin, P., 2002. Les dépanneurs de justice, Les « petits fonctionnaires » entre qualité et équité. LGDJ, Paris.
Weber, M., 1995 [1922]. Économie et société. Presses-Pocket (Agora), Paris. (1e édition allemande 1922).
Weber, M., 2004 [1904]. Œuvres politiques (1895–1919), Chapitre « Parlement et gouvernement dans l’Allemagne
réorganisée ». Albin Michel, Paris, pp. 307–455.
Weller, J.M., 1998. La modernisation des services publics par l’usager : une revue de littérature (1986–1996). Sociologie
du travail 40 (3), 365–392.
Weller, J.M., 1999. L’État au guichet : sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics.
Desclée de Brouwer, Paris.
Wilson, J.Q., 1989. Bureaucracy. Basic Books, New York.
Worms, J.P., 1966. Le préfet et ses notables. Sociologie du Travail 8 (3), 249–275.
Zucker, L.G., 1987. Institutional Theories of Organization. Annual Review of Sociology 13, 443–464.