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Interdisciplinarité
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Dossier
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L’émergence d’une histoire
environnementale interdisciplinaire
Une approche conjointe de l’Holocène tardif
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Adam Izdebski, Kevin Bloomfield, Warren J. Eastwood,
Ricardo Fernandes, Dominik Fleitmann, Piotr Guzowski,
John Haldon, Francis Ludlow, Jürg Luterbacher, Joseph G. Manning,
Alessia Masi, Lee Mordechai, Timothy P. Newfield,
Alexander R. Stine, Çetin Şenkul et Elena Xoplaki
L’histoire, en tant que discipline, traverse une phase de transition. D’une part, de
nouveaux types d’indices (palynologiques, dendrologiques, glaciologiques, ostéologiques, archéogénétiques, etc.) sont disponibles, mais beaucoup d’historiens
demeurent réticents à les utiliser, faute d’avoir été formés pour le faire. D’autre
part, la situation mondiale actuelle, particulièrement critique, marquée par des
changements climatiques et des perturbations écosystémiques sans précédent ainsi
que par l’émergence (non sans lien avec ces dérèglements) de maladies hautement
transmissibles, incite à se tourner vers le passé, à la recherche de parallèles signifiants et de boussoles susceptibles de nous guider. Des professionnels d’autres
disciplines – notamment de la médecine, des sciences de l’environnement et de
l’économie – se sont attelés à cette tâche en proposant au grand public des « leçons
historiques ». Les historiens, quant à eux, participent encore trop peu souvent aux
débats sur les défis du présent et le futur de la planète qui en découle, alors même
que ceux-ci captivent l’opinion et contribuent effectivement à tracer les contours
de notre avenir.
Pour remédier à cette situation, les historiens doivent s’emparer des nouveaux indicateurs et des perspectives disciplinaires et théoriques sur le passé qui
ont émergé au cours des décennies récentes. Par ailleurs, ils doivent défendre la
pertinence de ce que l’on pourrait appeler, dans une perspective évolutionniste, le
passé récent – à savoir la période allant de l’Antiquité à la révolution industrielle –
pour apporter des réponses aux questions majeures qui occupent aujourd’hui
nombre d’esprits. Les auteurs du présent article, huit historiens et huit spécialistes de sciences naturelles, souhaitent participer à cet effort en réfléchissant à la
Annales HSS, 77-1, 2022, p. 11-58, 10.1017/ahss.2022.114
© Éditions de l’EHESS
11
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manière dont les premiers peuvent engager le dialogue avec les disciplines des
seconds. Par souci de concision, cette contribution se concentre sur les sciences de
la Terre, branche des sciences naturelles avec laquelle l’histoire a entretenu, depuis
longtemps, les interactions les plus fortes, tout en reconnaissant l’influence, parfois
importante, qu’exercent de nombreux autres champs des sciences naturelles sur la
discipline – par exemple, la recherche sur l’ADN ancien (archéo-génétique) et les
sciences cognitives1.
D’un point de vue géologique, et selon les échelles de temps utilisées dans
les sciences de la Terre, l’immense majorité des historiens travaillent sur l’Holocène
tardif, soit environ les trois derniers millénaires. Le début de cette ère coïncide
avec l’émergence des « civilisations classiques » aux deux extrémités de l’Eurasie
et en Méso-Amérique, dans la vallée de l’Indus et dans d’autres régions, lesquelles
ont donné naissance à des processus socio-économiques et politiques qui ont considérablement participé aux réussites techniques et technologiques auxquelles nous
sommes parvenus, mais aussi aux problèmes que nous connaissons aujourd’hui,
de la dérive climatique globale aux extinctions de masse de nombreuses espèces
et à l’avènement de l’Anthropocène2. L’Holocène tardif, étonnamment stable en
matière de variabilité climatique par rapport à la période précédente de la même
ère, aux ères glaciaires et interglaciaires antérieures ou encore à notre e siècle,
est la période pour laquelle nous disposons des meilleurs outils pour étudier le
passé de l’humanité. D’abondantes sources écrites, dont le volume et la qualité
s’accroissent au fur et à mesure que l’on s’approche du présent, complètent les
indices matériels laissés au cours de l’évolution humaine et relevant traditionnellement de l’archéologie, et les données paléo-environnementales collectées à partir
des « archives » de la nature et étudiées par les sciences naturelles. Ces traces
textuelles permettent de reconstruire de façon plus exhaustive le passé humain,
ouvrant la voie à des possibilités de recherche uniques et faisant de l’Holocène
tardif l’« âge des historiens ». Cette ère est étudiée sur tous les continents, dans
des centaines de départements d’histoire où les chercheurs travaillent depuis des
décennies (si ce n’est des siècles) pour expliquer les dynamiques des sociétés,
complexes, qui s’y sont développées. Ces historiens ont assurément beaucoup à
apporter au dialogue interdisciplinaire sur la place de l’humanité dans la longue
durée de l’histoire de la planète.
Si les paléosciences prennent part à ce dialogue avec leurs propres questions,
elles ne cherchent ni à se substituer à l’histoire ni à s’arroger le rôle interprétatif prééminent dans la reconstitution du passé humain. Cependant, l’apport de
12
1. Sur l’ADN ancien, voir, par exemple, Carlos Eduardo G. A et al., « Understanding
6th-Century Barbarian Social Organization and Migration through Paleogenomics »,
Nature Communications, 9-1, 2018, https://doi.org/10.1038/s41467-018-06024-4. Sur les
sciences cognitives, voir en particulier le chapitre sur la neuro-histoire de Rob B
et Daniel L S, « Neurohistory », in M. T et P. B (dir.), Debating New
Approaches to History, Londres, Bloomsbury Academic, 2018, p. 313-318.
2. Sur l’avènement de l’Anthropocène et son utilisation en tant que concept par les
historiens, voir le dossier « Anthropocène », Annales HSS, 72-2, 2017, p. 263-378.
INTERDISCIPLINARITÉ
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nouvelles sources – les données des sciences naturelles – ne saurait aller sans l’arrivée de nouvelles incertitudes. Celles-ci ont été le lot quotidien des historiens pendant des siècles, mais la mise en œuvre de nouvelles méthodologies, en particulier
via l’utilisation de données émanant des sciences naturelles, contraint la discipline
historique à devoir composer avec les incertitudes propres à ces nouveaux indicateurs scientifiques (par exemple en termes de datation ou de localisation) : quel est
leur degré de fiabilité pour l’utilisation que les historiens souhaitent en faire ? Cela
représente à la fois un défi méthodologique et une chance puisqu’en combinant
un plus large éventail de sources, avec leurs limites propres (et indépendantes),
nous avons la possibilité de reconstituer le passé de façon plus crédible tout en
atténuant les contraintes documentaires auxquelles les historiens se heurtent
traditionnellement.
Depuis plus d’une décennie, un changement de paradigme s’est opéré
concernant la nature des sources disponibles pour reconstruire le passé humain.
Au cours de cette période, les paléoscientifiques ont commencé à publier des données pertinentes pour l’histoire de l’Holocène tardif et, inévitablement, à proposer
des explications environnementales novatrices au sujet d’événements et de processus historiques majeurs3. Ce faisant, ils ont souvent cherché à prouver que leurs
données pouvaient être appliquées à des questions touchant à l’histoire humaine
et, également, à comprendre comment les sociétés passées avaient réagi aux changements environnementaux, étant peut-être davantage conscients que d’autres de
la trajectoire périlleuse des changements climatiques à venir4. Certains historiens,
en retour, se sont emparés d’une série d’indicateurs fournis par les sciences naturelles et des discussions qu’ils sous-tendent5. Cependant, pour que des données
3. Pour un travail récent et bien connu, voir Ulf B et al., « Cooling and Societal
Change during the Late Antique Little Ice Age from 536 to around 660 A. D. », Nature
Geoscience, 9-3, 2016, p. 231-236.
4. Même s’il y a eu, par le passé, des phases pendant lesquelles la discipline historique a
déjà manifesté un tel intérêt, notamment dans le contexte de l’école des Annales : voir
par exemple le numéro spécial « History and Climate: Interdisciplinary Explorations »,
The Journal of Interdisciplinary History, 10- 4, 1980. La « phase » contemporaine qui fait
l’objet de cet article se distingue par les progrès considérables en matière de portée
et de précision des données que les sciences de la nature sont capables de fournir
aujourd’hui, mais aussi par l’accès sans précédent aux archives historiques rendu possible
par la numérisation et le développement de nouvelles méthodes d’analyse du contenu.
5. Pour des exemples récents, voir notamment Nicholas P. D, Timothy P. B
et Sheryl L-B, « Kax and Kol: Collapse and Resilience in Lowland Maya
Civilization », Proceedings of the National Academy of Sciences, 109-10, 2012, p. 3652-3657 ;
Steven H et al., « Medieval Iceland, Greenland, and the New Human Condition:
A Case Study in Integrated Environmental Humanities », Global and Planetary Change,
156, 2017, p. 123-139 ; C. E. G. A et al., « Understanding 6th-Century Barbarian
Social Organization… », art. cit. ; Joseph R. MC et al., « Lead Pollution Recorded
in Greenland Ice Indicates European Emissions Tracked Plagues, Wars, and Imperial
Expansion during Antiquity », Proceedings of the National Academy of Sciences, 115-22, 2018,
p. 5726-5731 ; Dan P et al., « Geoarchaeological Evidence from Angkor, Cambodia,
Reveals a Gradual Decline Rather than a Catastrophic 15th-Century Collapse »,
Proceedings of the National Academy of Sciences, 116-11, 2019, p. 4871- 4876.
13
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A. IZDEBSKI ET AL.
scientifiques nouvellement produites soient plus amplement reconnues comme
des sources légitimes au sein de la discipline historique, à égalité avec les sources
textuelles et les vestiges de la culture matérielle, il est nécessaire d’apprendre
à les manipuler correctement, en identifiant leurs forces mais aussi en sondant
leurs limites.
Pour ce faire, les historiens doivent rechercher et promouvoir des cadres
théoriques et des stratégies de recherche qui incluent les données produites par
les sciences naturelles. Dans le contexte des sciences de la Terre, de tels cadres
et modèles ont été proposés par des historiens de l’environnement, souvent avec
l’aide de chercheurs travaillant dans les domaines de la géographie historique, de
l’écologie humaine et historique, de l’histoire économique et d’autres champs
encore. Puisant ses racines dans les mouvements de défense de l’environnement
des années 1960, l’histoire environnementale est particulièrement vigoureuse aux
États-Unis6. Néanmoins, c’est en Europe que l’interdisciplinarité est devenue
partie intégrante de la recherche en histoire environnementale, transformant ce
champ en une alliance polymorphe de chercheurs en sciences naturelles et d’historiens. Ces collaborations reflètent différentes conceptions des relations entre l’être
humain et l’environnement : si la plupart d’entre elles dérivent de l’écologie scientifique, d’autres sont issues de la discipline historique, comme le modèle des conséquences climatiques élaboré par Christian Pfister et d’autres historiens du climat
– qui s’inspire de l’histoire économique et considère les forces naturelles comme
des « influenceurs » externes de l’expérience humaine –, ou le modèle de Richard
C. Hoffmann et Verena Winiwarter, qui se concentre davantage sur les boucles de
rétroaction entre processus naturels et action humaine7. Nous ferons référence à
plusieurs de ces modèles ainsi qu’à leur mise en œuvre avant de les aborder, en
conclusion, d’un point de vue rhétorique et, pourrait-on dire, métanarratif. Reste
que l’histoire environnementale interdisciplinaire qui nous intéresse ici tend, par
essence, à être positiviste et matérialiste, aussi bien dans ses objectifs que dans son
épistémologie. Elle cherche avant tout à reconstituer les états et les phénomènes
géologiques passés et à les relier aux processus sociaux, ce qui nécessite d’établir
des chronologies solides et de procéder à des reconstructions précises.
Nous soulignerons d’abord les difficultés inhérentes aux indicateurs
paléo-environnementaux avec lesquels les historiens sont amenés à travailler et
examinerons les échelles spatio-temporelles auxquelles l’histoire environnementale interdisciplinaire peut opérer de façon pertinente. Nous présenterons ensuite
un certain nombre d’études de cas et de stratégies de recherches dont l’objectif
14
6. Grégory Q, Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
7. L’une des applications les plus classiques du modèle d’histoire climatique se trouve
dans l’article de Christian P et Rudolf B, « Social Vulnerability to Climate
in the ‘Little Ice Age’: An Example from Central Europe in the Early 1770s », Climate
of the Past, 2-2, 2006, p. 115-129. Pour l’approche de la « rétroaction », voir par exemple
l’introduction de l’ouvrage de Richard C. H, An Environmental History of Medieval
Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, ainsi que Verena W
et Martin K, Umweltgeschichte. Eine Einführung, Cologne, Böhlau, 2007.
INTERDISCIPLINARITÉ
consiste à élaborer des récits historiques en se fondant à la fois sur des preuves
écrites et sur des données issues des sciences naturelles. Qu’il s’agisse simplement
de rassembler et de discuter les différentes preuves ou de conduire des analyses
textuelles ou quantitatives complexes, les approches possibles sont nombreuses,
comme le sont leurs forces et leurs faiblesses respectives. In fine, nous examinerons
les métarécits dominants dans ce champ interdisciplinaire émergent et formulerons
quelques recommandations pour de futures études.
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Les données paléo-environnementales
du point de vue de l historien
Les sciences naturelles sont très diverses et fortement pluralistes. Il n’existe ni une
seule paléoscience (une discipline ou branche des sciences naturelles qui étudierait
le passé dans sa totalité), ni une unique histoire environnementale interdisciplinaire.
La plupart des historiens qui recourent aux sciences naturelles se spécialisent dans
une seule branche, en acquérant progressivement l’expertise nécessaire pour exploiter de manière critique les données probantes (il s’agit d’« historiens interdisciplinaires » au sens strict) ; d’autres découvrent des études spécifiques en rapport
avec une enquête historique particulière, qu’ils utilisent pour appréhender leurs
questions de recherche dans un contexte élargi (on dira de ceux-là qu’ils sont des
historiens « ouverts d’esprit », adeptes d’une « lecture large »). Dans chaque groupe
toutefois, beaucoup ignorent à quel point l’univers des sciences de la Terre – et, par
extension, celui des paléosciences – est divers, riche et hétérogène.
Parmi les méthodologies à l’interface entre l’histoire et les sciences naturelles,
c’est l’étude des changements climatiques passés qui possède la plus longue tradition
de recherche8. Dans l’histoire telle qu’elle s’écrit aujourd’hui, le changement climatique est une notion générale qui recouvre un large éventail de processus et de phénomènes se déroulant à différentes échelles spatiales et temporelles. Cela peut aller
de précipitations extrêmes sur des périodes courtes – quelques heures ou quelques
jours –, d’épisodes de sécheresse persistant pendant des semaines ou même des
années, de conditions météorologiques anormales pendant toute une saison ou plusieurs années consécutives (par exemple, dans une zone tropicale, une décennie de
moussons plus faibles que la normale suivie d’une puissante éruption volcanique),
jusqu’à des évolutions climatiques de plus long terme pour une zone donnée, selon
une échelle décennale voire séculaire (ainsi d’une tendance à l’assèchement ou
d’un refroidissement causés par un forçage externe ou par des variations internes au
système climatique). La diversité des phénomènes météorologiques et climatiques
interdit toute généralisation simpliste quant au rôle du climat dans l’histoire. Ainsi,
l’interaction entre un type de changement climatique et une société particulière (et
les écosystèmes associés) diffère toujours selon le phénomène météorologique ou
8. On peut faire remonter cette tradition à Emmanuel L R L, « Histoire et
Climat », Annales ESC, 14-1, 1959, p. 3-34.
15
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A. IZDEBSKI ET AL.
climatique considéré ou, plus exactement, selon ce que notre interprétation des données paléoclimatiques suggère à ce propos. Sans parler, bien sûr, de l’immense complexité des systèmes politique, économique et culturel singuliers qui conditionnent,
à chaque fois, la façon dont une société réagit au « changement climatique »9.
La variabilité climatique passée a laissé des traces dans les archives humaines
et naturelles ; ces dernières peuvent prendre la forme de sédiments lacustres ou
marins, de dépôts de tourbe, de spéléothèmes (stalactites ou stalagmites) dans des
grottes, d’arbres vivants ou morts, de couches de glace, etc. Correctement exploitées,
ces archives sont susceptibles de fournir un grand nombre de proxies, ou données
indirectes, c’est-à-dire d’indicateurs chiffrés, physiques ou chimiques, permettant
d’approcher les conditions environnementales passées, sans toutefois refléter directement tel ou tel paramètre climatique ou météorologique. Alors que le champ de
la paléoclimatologie s’est développé et a gagné en maturité, les données indirectes
utilisées se sont multipliées et diversifiées. Ces archives s’étant constituées à partir
de multiples processus environnementaux (naturels), elles nécessitent différentes
méthodes d’extraction et d’analyse. Pour interpréter une archive et établir une
donnée indirecte, il est souvent nécessaire, par exemple, de maîtriser la morphologie des plantes ou des animaux, de mesurer des concentrations de composés
et d’éléments inorganiques ou d’effectuer des mesures isotopiques de matériaux
organiques et inorganiques. De nombreux champs scientifiques sont concernés et
chacun d’entre eux requiert un degré élevé de spécialisation.
Les reconstructions du climat fondées sur des données indirectes, qu’elles
soient d’origine documentaire ou naturelle, contiennent leur lot d’incertitudes.
Pour le chercheur confronté à cet obstacle, l’étalonnage des données est un enjeu
crucial. En effet, puisqu’il est impossible de mesurer directement le climat du
passé, les chercheurs sont contraints d’évaluer la quantité de matière organique
et inorganique subsistante qui résulte de processus complexes, influencés par les
variables climatiques antérieures ou par d’autres phénomènes météorologiques.
Nous calibrons les données indirectes – recueillies sur le terrain et analysées
en laboratoire – en les comparant à des observations modernes réalisées à partir
d’instruments météorologiques, lesquelles couvrent en général les seuls e et
e siècles. Nous obtenons ainsi des estimations de la température ou des précipitations pour des périodes spécifiques d’une année donnée. Dans certains cas,
les données indirectes permettent de reconstituer à la fois des températures et
des précipitations, fournissant dès lors des informations plus générales au sujet
des conditions hivernales ou des épisodes de sécheresse. L’incertitude chronologique constitue un autre aspect, encore plus important, sur lequel nous nous
pencherons par la suite. La fragilité des datations, d’une part, et les marges d’erreur
inhérentes au processus de reconstitution paléoclimatique (étalonnage des données), d’autre part, tendent à engendrer une incertitude « composite », à multiples
variables, avec laquelle l’historien qui utilise ces données doit composer.
16
9. Dagomar D et al., « Towards a Rigorous Understanding of Societal Responses
to Climate Change », Nature, 591-7851, 2021, p. 539-550.
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INTERDISCIPLINARITÉ
La paléoécologie – l’étude par les sciences naturelles des paysages du passé –
et la paléoclimatologie sont en butte à de nombreux défis communs, notamment
en termes de chronologie. La paléoécologie, ou science paléo-environnementale,
emploie également des approches très hétérogènes pour reconstituer le passé.
Dans la majorité des cas, les chercheurs paléo-environnementaux travaillent sur des
carottes de sédiments, soit de longs cylindres de matière organique et inorganique
(ou boue) extraits de fonds lacustres ou de tourbières qui favorisent l’accumulation de cette matière couche par couche et, partant, garantissent sa conservation
sur de longues périodes. Ces carottes peuvent être analysées à l’aide de diverses
méthodes, à commencer par la géochimie des sédiments, qui permet d’établir des
schémas d’érosion locaux et de déterminer les processus physico-biologiques responsables de la production et de l’accumulation des sédiments. Par l’amplitude de
leur variation, ces paramètres peuvent témoigner de transformations importantes
de l’écosystème local, voire du paysage tout entier, à des moments spécifiques du
passé, le plus souvent d’origine anthropique. Ces interventions humaines apparaissent par exemple à l’examen des grains de pollen conservés dans les sédiments
et produits par des plantes présentes autour des bassins sédimentaires (nos lieux
d’étude) : la palynologie permet ainsi de retracer les modifications des cultures
et des systèmes agricoles. Bien qu’elle permette d’identifier des espèces ou des
familles de plantes et de déterminer l’évolution de leur présence au fil du temps
avec un degré élevé de précision, cette méthode n’en demeure pas moins, elle aussi,
une approximation. Il est donc rare de pouvoir identifier avec certitude la signature
spatiale exacte des dynamiques de la végétation : si le pollen de certaines plantes,
comme la vigne ou les céréales, se disperse dans un rayon relativement limité, celui
d’autres végétaux, comme les oliviers ou les pins, parcourt de longues distances, ce
qui conduit souvent à un mélange de résidus locaux et régionaux dans un même
jeu de données10. Un certain nombre d’autres techniques permettent d’évaluer
l’influence humaine sur les paysages, notamment une série de biomarqueurs – des
composés organiques révélant la présence de plantes ou d’animaux dans le passé,
comme les betastanols présents dans les excréments des omnivores, en général les
porcs ou les humains11. Aucun de ces indicateurs, pris isolément, n’autorise une
mesure ou une reconstitution directe des activités humaines ou des écosystèmes
passés à l’échelle du paysage. Cependant, une fois combinés, ils rendent possibles
des approximations fiables que les historiens et les archéologues peuvent utiliser
et contextualiser à l’aide de sources écrites ou matérielles.
Les écrits que nous produisons sur le passé sont ancrés dans des lieux spécifiques et se rapportent à des périodes particulières de l’histoire. Les historiens
10. Adam I, « Palynology and Historical Research », in A. I et J. PK (dir.), A Companion to the Environmental History of Byzantium, Leyde, Brill,
2022 (à paraître).
11. Voir par exemple Robert M. D’A et al., « Climate Impacts on Human
Settlement and Agricultural Activities in Northern Norway Revealed through
Sediment Biogeochemistry », Proceedings of the National Academy of Sciences, 109-50, 2012,
p. 20332-20337.
17
A. IZDEBSKI ET AL.
utilisent le temps et l’espace pour structurer leurs récits – ils étudient un problème
spécifique dans le cadre d’un « où et quand » particulier. Dans une large mesure,
le temps et l’espace définissent également les spécialisations et les sous-disciplines
de l’histoire académique : la plupart des chercheurs sont spécialistes de certaines
aires géographiques à une époque donnée. C’est bien plus rarement le cas dans les
sciences naturelles, où la spécialisation est souvent fondée sur la méthode. En toute
logique, les historiens qui étudient la possibilité d’intégrer des données et des
idées issues des sciences naturelles dans leurs travaux commencent, la plupart du
temps, par recenser les données disponibles dans un cadre spatio-temporel précis.
Ils s’intéressent ensuite aux chevauchements entre ces données et leurs objets de
recherche pour élaborer de nouveaux récits. La fiabilité des données devient dès
lors un enjeu majeur pour pouvoir intégrer des indicateurs variés provenant de
disciplines souvent radicalement différentes. Avant d’examiner des cas d’étude
concrets – ou, plus exactement, des contextes méthodologiques dans lesquels des
communautés issues des sciences humaines et des sciences naturelles interagissent
et où les ensembles de données qu’elles produisent s’enchevêtrent –, il faut commencer par se pencher sur la façon dont les échelles temporelles et spatiales sont
conçues et utilisées dans les disciplines des sciences naturelles qui côtoient le plus
fréquemment l’histoire de l’Holocène tardif.
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n défi épistémologique relier phénom nes climatiques
et indicateurs chiffrés
18
Les phénomènes liés au climat peuvent être locaux, régionaux, hémisphériques ou
mondiaux ; ils définissent donc la « pertinence » spatiale des informations fournies
par les données indirectes. Par conséquent, le changement climatique se déroule
à des échelles d’une troublante diversité. Pour commencer, les variations affectant
l’ensemble d’un hémisphère voire la planète entière sont relativement rares – et
souvent associés à des types de forçage spécifiques, comme de fortes éruptions volcaniques tropicales ou le phénomène El Niño/Oscillation australe (ENSO). Elles se
traduisent ensuite différemment dans les climats régionaux, entraînant par exemple
des modifications des schémas pluviométriques saisonniers sur une échelle semicontinentale, en lien avec les fluctuations des moussons ou les températures de surface des océans. Enfin, en raison des variations microclimatiques et microrégionales,
les mêmes phénomènes climatiques hémisphériques, ou même régionaux, peuvent
avoir des effets locaux différenciés, voire opposés, en fonction d’un grand nombre
de facteurs, notamment les interactions terre/mer, la nature de la végétation ou la
morphologie des sols. Les températures tendent à varier de façon plus homogène à
l’échelle de zones plus étendues (souvent continentales ou sous-continentales), tandis
que les conditions hydroclimatiques (pluie, neige, humidité du sol, etc.) peuvent
osciller de manière significative à des échelles régionales ou locales.
Pour mieux saisir les questions spatiales soulevées par l’interprétation des
données indirectes, penchons-nous sur les conditions hydroclimatiques principalement hivernales au lac Nar, en Anatolie centrale. Comme nous l’avons mentionné,
INTERDISCIPLINARITÉ
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les données météorologiques contemporaines (recueillies par des instruments de
mesure) sont utilisées pour comprendre quels phénomènes climatiques les données indirectes reflètent. Elles peuvent également servir à évaluer la pertinence
spatiale de ces données, c’est-à-dire à déterminer les zones qu’elles couvrent effectivement. Les figures 1 et 2 font apparaître des corrélations spatiales statistiquement significatives entre les conditions pluviométriques automnales et hivernales
du lac Nar et celles de la zone environnante sur des échelles temporelles de trente
et soixante ans. Sur une échelle de temps d’environ une génération humaine, soit
trente ans (fig. 1), les valeurs obtenues pour le lac Nar se révèlent surtout pertinentes pour l’Anatolie centrale (avec un coefficient de corrélation de Spearman
d’environ 0,812), moins pour le reste de la région anatolienne (avec un coefficient
de corrélation d’environ 0,6) et encore moins pour la Bulgarie, la Roumanie et le
sud-ouest de l’Ukraine, où seulement la moitié des précipitations automnales et
hivernales suivent une tendance similaire à celle de la région du lac Nar. Si l’on
double l’échelle de temps, à savoir soixante ans (fig. 2), les valeurs de corrélation spatiale avec des régions situées en dehors de l’Anatolie centrale décroissent,
mais la corrélation reste tout de même statistiquement significative et, ce pour
une zone plus étendue encore – englobant le sud de la Grèce ainsi que les régions
septentrionales de l’Irak et du Levant. Cet exemple montre clairement la nécessité de prendre en compte plusieurs échelles spatiales et temporelles lorsque l’on
manie une donnée indirecte dans une analyse historique. Le cas du lac Nar peut
tout à fait être utilisé pour produire une histoire climatique de l’Anatolie centrale,
mais les tendances mises au jour ne sauraient être extrapolées à d’autres régions
de la Méditerranée, à moins d’être corroborées par d’autres données indirectes.
Il faut également garder à l’esprit que seules certaines dynamiques de long terme
sont identifiables grâce aux données indirectes (et que leur pertinence est, elle
aussi, irrégulière dans le temps13). Il ne saurait donc y avoir une histoire climatique
unique pour la Méditerranée, ni même pour la Méditerranée orientale14.
12. Le coefficient de corrélation de Spearman estime à quel point la relation entre deux
variables peut être décrite par une fonction monotone. Il s’agit d’un test de corrélation
de rang qui ne nécessite aucune hypothèse sur la distribution des données, contrairement au coefficient de Pearson qui exige des variables normalement distribuées. Il est
notamment approprié pour des variables ordinales. Le coefficient de Spearman prend des
valeurs entre -1 et +1 et la relation entre les variables est d’autant plus forte que sa valeur
est proche de -1 ou de 1. Par ailleurs, une corrélation positive signifie que lorsqu’une
variable croît, l’autre variable a tendance à croître également tandis qu’une corrélation
négative signifie que lorsqu’une variable croît, l’autre variable décroît.
13. Inga L et al., « Climatic Changes and their Impacts in the Mediterranean
during the First Millennium A.D. », in A. I et M. M (dir.), Environment
and Society in the Long Late Antiquity, Leyde, Brill, 2018, p. 65-88.
14. John H et al., « Plagues, Climate Change, and the End of an Empire: A Response
to Kyle Harper’s The Fate of Rome (1): Climate », History Compass, 16-12, 2018, https://doi.
org/10.1111/hic3.12508 ; Timothy P. N, « The Climate Downturn of 536-50 »,
in S. W, C. P et F. M (dir.), The Palgrave Handbook of Climate
History, Londres, Palgrave, 2018, p. 447- 493, en particulier p. 467- 474.
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igure
Corrélation de pearman entre les précipitations automnales
et hivernales du lac ar
-
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Note : corrélation de Spearman après élimination de la tendance et des précipitations des régions voisines pour
la période.
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La précision temporelle de la donnée indirecte dépend à son tour non pas des spécificités du phénomène climatique qu’elle représente, mais avant tout de l’archive
naturelle d’où on l’a extraite – qu’il s’agisse du fond d’un lac, d’une tourbière, des
stalagmites d’une grotte, d’un arbre, etc. Dans certains cas, les paléoclimatologistes
peuvent élaborer des reconstitutions climatiques avec une précision annuelle (en se
fondant par exemple sur les cernes des arbres) ; néanmoins, ils recourent en général
à des échelles multidécennale ou centennale dans leurs jeux de données. La distance entre les points correspondant aux valeurs d’une donnée indirecte peut donc
correspondre à une seule année ou bien à des décennies, voire à des siècles – ces
estimations temporelles étant elles-mêmes affectées d’un degré d’incertitude oscillant entre un à deux ans et plusieurs décennies.
Ces fluctuations s’expliquent par les méthodes de datation radiométriques,
comme la datation par le carbone 14 (14C) ou par les séries de l’uranium, largement
employées pour élaborer des chronologies. Les scientifiques mesurent les propriétés radiométriques d’échantillons choisis à partir de différentes profondeurs de
carottes ou de spéléothèmes qui, en raison du processus d’accumulation des sédiments, reflètent différentes « dates », ou emplacements dans le temps. À partir de
ces premières mesures, ils extrapolent afin d’élaborer un modèle âge-profondeur
INTERDISCIPLINARITÉ
igure
Corrélation de pearman entre les précipitations automnales
et hivernales du lac ar
-
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
Note : corrélation de Spearman après élimination de la tendance et des précipitations des régions voisines pour
la période.
pouvant être utilisé pour fournir une estimation de l’âge (et non pas une « date »
en tant que telle) de tous les autres échantillons. Comme tout procédé de mesure,
les méthodes radiométriques comportent une marge d’erreur. Même si cette dernière est relativement faible la plupart du temps, du fait des progrès technologiques constants, tous les matériaux ne se prêtent pas à la datation ; de plus, le
recueil d’échantillons de qualité reste aléatoire : certaines parties d’une carotte
seront par conséquent datées plus précisément que d’autres. L’incertitude chronologique inhérente aux méthodes radiométriques est en outre renforcée par la
nécessité de procéder à un étalonnage. La datation au 14C, par exemple, repose
sur la comparaison des mesures de carbone radioactif avec des dates calendaires
connues, obtenues par exemple par des méthodes dendroclimatologiques15 (fig. 3).
Le processus d’étalonnage d’une mesure radiocarbone aboutit à une incertitude
chronologique pouvant varier considérablement en fonction des segments temporels considérés, selon la présence ou non d’indicateurs temporels complémentaires – les incertitudes peuvent ainsi être plus ou moins importantes d’un
15. Relatives à l’étude des cernes annuels de croissance des arbres.
21
A. IZDEBSKI ET AL.
demi-millénaire à un autre. Cela signifie que, dans la majorité des cas, les données paléo-environnementales permettent de raisonner à l’échelle de décennies,
de demi-siècles ou même de siècles, plutôt qu’à l’échelle annuelle ou mensuelle
de l’« histoire événementielle ».
igure
emple d étalonnage radiocarbone du lac ngir en Anatolie
( ge C brut mesuré de
)
1500
âge 14C (A. P.)
1400
1300
courbe
d’étalonnage
1200
La date
radiocarbone réelle
a une probabilité
de 95 % de se situer
dans cette fourchette.
1100
âge calibré
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
600
700
652-723
(probabilité : 73 %)
800
900
740-768
(probabilité : 22,4 %)
probabilité : 95,4 %
Dates calibrées
Note : l’axe vertical montre les mesures radiocarbones (ligne jaune), avec la distribution théorique de la probabilité
(en rouge : une déviation standard, probabilité de 67 % ; en rose : deux déviations standards, probabilité de
95 %). La ligne bleue correspond à la courbe d’étalonnage radiocarbone de l’hémisphère nord. L’axe horizontal
représente la distribution de la probabilité étalonnée (en noir : une déviation standard, probabilité de 67 % ; en
gris : deux déviations standards, probabilité de 95 %).
Source : préparé avec l’OxCal v. 4.3.2, Christopher BRONK RAMSEY, « Methods for Summarizing Radiocarbon
Datasets », Radiocarbon, 59-6, 2017, p. 1809-1833 ; courbe d’étalonnage atmosphérique IntCal13, Paula
J. REIMER et al., « IntCal13 and Marine13 Radiocarbon Age Calibration Curves 0-50,000 Years cal BP »,
Radiocarbon, 55-4, 2013, p. 1869-1887.
22
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
INTERDISCIPLINARITÉ
Pour mieux comprendre ces difficultés, prenons un autre exemple, celui du lac Engir,
situé non loin du lac Nar. Les sédiments des deux lacs ont fait l’objet d’une analyse
palynologique dont les résultats, concordants, montrent que les systèmes agricoles
mixtes (combinant agriculture et élevage) se sont effondrés en Cappadoce à la fin de
l’Antiquité. C’est la date exacte de ce changement qui pose problème : tandis que les
sédiments varvés du lac Nar indiquent précisément les années 660 apr. J.-C.16, la chronologie du lac Engir se fonde sur deux dates radiocarbones (1320 ± 30 ans A. P. [avant
le présent] pour les mesures effectuées à 114,5 centimètres et 1540 ± 30 ans A. P.
pour celles prises à 175 centimètres)17. Or le changement dans les sédiments est
repérable à une profondeur de 137 centimètres : il est donc crucial d’estimer correctement l’âge de l’échantillon prélevé au niveau du 137e centimètre de la carotte.
Avec deux datations radiocarbones, une telle estimation est possible en utilisant
deux modèles âge-profondeur : la régression linéaire et l’interpolation linéaire. D’un
point de vue technique, l’interpolation linéaire est une régression linéaire progressive
consistant à interpoler des âges estimés entre des datations au carbone 14 et la surface (c’est-à-dire la date à laquelle la carotte a été prélevée au début du e siècle) ;
on utilise pour ce faire des fonctions linéaires différentes pour chacune des deux
sections de la carotte – entre les deux dates, d’une part, et entre la seconde date et
la surface, d’autre part (fig. 4). L’estimation de l’âge d’un échantillon à partir d’un
modèle âge-profondeur est une question de probabilité ; on n’obtient jamais de
données précises, mais plutôt une répartition de probabilité au fil du temps, laquelle
montre à quel endroit la date exacte (inconnue) a le plus de chance de se trouver.
Ainsi, pour l’échantillon prélevé au 137e cm, le modèle de régression linéaire (en
rouge) « disperse » cette probabilité sur trois cents ans, tandis que l’interpolation
linéaire (en bleu) restreint la répartition aux environs du e siècle apr. J.-C. – et
plutôt vers la première moitié de ce siècle. En fin de compte, le choix du modèle
dépend d’arguments mathématiques et géologiques, bien que les deux modèles ici
utilisés montrent que les effondrements du système agricole à Engir et à Nar sont
probablement contemporains. Il convient de souligner que le modèle du lac Engir
est un modèle simple (sachant qu’en général, plus le modèle est complexe, meilleur
il est). Ce type de modèle peut contenir des dizaines de dates radiocarbones et est
susceptible de comporter des ruptures ou des irrégularités importantes dans le processus de sédimentation, ce qui complique considérablement l’estimation de l’âge.
16. Ann E et al., « Historical Landscape Change in Cappadocia (Central Turkey):
A Palaeoecological Investigation of Annually-Laminated Sediments from Nar Lake »,
The Holocene, 18-8, 2008, p. 1229-1245.
17. Çetin Ş et al., « Late Holocene Environmental Changes in the Vicinity of
Kültepe (Kayseri), Central Anatolia, Turkey », Quaternary International, 486, 2018,
p. 107-115.
23
A. IZDEBSKI ET AL.
0
igure
Mod le ge-pro ondeur d une carotte de sédiments du lac ngir
et distribution de la probabilité de l ge estimé
cm de pro ondeur
Interpolation linéaire
profondeur (cm)
100
50
Régression linéaire
150
137 cm
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
700
800
0,012
137 cm
0,003
distribution de la probabilité
600
2000
0,000
0,012
0,006
137 cm
500
1500
1000
0,000
distribution de la probabilité
500
500
600
700
800
Note : le modèle représenté en bleu est celui de l’interpolation linéaire entre points de données ; en rouge, celui de
la régression linéaire et de la distribution de la probabilité de l’âge estimé à 137 cm de profondeur (l’échantillon
montrant la transition entre l’agriculture de la fin de l’Antiquité et l’abandon des terres du début de l’époque
médiévale). Sur le graphique du haut, les lignes vertes représentent les deux mesures radiocarbones avec leur
distribution de probabilité, plus la surface de la carotte (début du XXIe siècle). Les lignes bleue et rouge montrent
la meilleure estimation unique de l’âge pour chaque profondeur de carotte dans chaque modèle âge-profondeur ;
les zones en bleu et en rose donnent à voir la distribution de la probabilité de 95 % de l’estimation de l’âge dans
chaque modèle âge-profondeur. Les deux graphiques du bas montrent à quoi ressemble en réalité la distribution de
la probabilité pour une section spécifique de la profondeur de la carotte (ici, 137 cm de profondeur), en fonction
du modèle (en bleu : interpolation linéaire ; en rouge : régression linéaire).
Source : graphiques réalisés à l’aide de la modélisation âge-profondeur du programme CLAM, Maarten BLAAUW,
« Methods and Code for ‘Classical’ Age-Modeling of Radiocarbon Sequences », Quaternary Geochronology, 5-5,
2010, p. 512-518. Les dates radiocarbones proviennent de Çetin ŞENKUL et al., « Late Holocene Environmental
Changes in the Vicinity of Kültepe (Kayseri), Central Anatolia, Turkey », Quaternary International, 486, 2018,
p. 107-115.
24
Un retour à l’historiographie permet de placer ce problème dans un autre contexte :
celui de la façon dont les dernières générations d’historiens ont pensé le temps.
À n’en pas douter, la transformation en cours de l’histoire en tant que discipline,
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
INTERDISCIPLINARITÉ
à laquelle s’ajoutent les récents progrès des paléosciences, peut également se lire
comme une redéfinition de la structure braudélienne du temps historique. L’échelle
(infra)centennale et régionale de la plupart des données paléo-environnementales
correspond exactement au niveau de changement de la « moyenne durée » qui
est, selon Fernand Braudel, la temporalité de l’histoire sociale et économique18.
En outre, la disponibilité croissante des données paléo-environnementales rend
aujourd’hui possible de « traduire » des phénomènes environnementaux qui relevaient auparavant de la « longue durée » (soit l’échelle à laquelle aucun changement perceptible par l’homme n’a lieu) en moyenne durée. En somme, il devient
désormais réalisable de discerner des tendances climatiques ou, pour reprendre
les termes d’Emmanuel Le Roy Ladurie, des « conjonctures climatiques »19, marquées par des changements se produisant à un rythme relativement rapide, entre
deux générations, voire plus rapidement encore. Cela ne signifie pas qu’il n’existe
aucun processus de longue durée au sens braudélien, ni que les histoires environnementales se déroulent uniquement à cette temporalité intermédiaire. Disons
plutôt que les processus sont définis par leur rythme, et non par leur spécificité : la
dimension environnementale accompagne le social et l’économique aussi bien que
le politique et le culturel, quelle que soit l’échelle sur laquelle les phénomènes
que nous étudions se produisent.
Dans cette logique, certains participants à des débats plus contemporains
sur la longue durée ont suggéré qu’il était nécessaire, afin de travailler efficacement sur des perspectives historiques de plus long terme, de déconstruire ou de
subdiviser la longue durée en échelles temporelles plus fines. Une telle refonte
devait permettre de mieux comprendre les processus sociaux qui constituent la
base des tendances centennales20. On ne s’étonnera pas que les historiens français
de l’école des Annales aient proposé des stratégies similaires il y a déjà trente ans,
lorsqu’ils tentaient de trouver une solution aux impasses de l’histoire quantitative :
la solution la plus couramment adoptée a consisté à appréhender les événements
spécifiques de la microhistoire comme des modèles pour analyser des phénomènes
de plus grande échelle21. Dans cette perspective, une étude quantitative doit donc
18. Fernand B, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II,
Paris, Armand Colin, 3 vol., 1949 ; id., « Histoire et Sciences sociales. La longue durée »,
Annales ESC, 13- 4, 1958, p. 725-753.
19. Terme employé pour la première fois dans un article publié il y a plus de cinquante ans : Emmanuel L R L, « Aspects historiques de la nouvelle climatologie », Revue historique, 225-1, 1961, p. 1-20.
20. Christian L, « Longue durée et profondeurs chronologiques », Annales HSS,
70-2, 2015, p. 359-365.
21. La « question des échelles d’analyse » était l’une des préoccupations majeures au
moment de la « crise » des Annales dans les années 1980 : « Histoire et sciences sociales.
Un tournant critique ? », Annales HSS, 43-2, 1988, p. 291-293. Pour un traitement plus
complet du débat sur les niveaux « micro » et « macro » des échelles d’observation dans
l’historiographie française, voir Jacques R, « Micro-analyse et construction du social »,
in J. R (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Éd. du Seuil,
1996, p. 15-36 ; id., « Paysage par gros temps », in A. R et S. S (dir.), La forza
delle incertezze. Dialoghi storiografici con Jacques Revel, Bologne, Il Mulino, 2016, p. 353-369.
25
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
A. IZDEBSKI ET AL.
associer une approche de long terme avec une méthode plus microhistorique ou,
à tout le moins, avec une méthode plus qualitative adoptant une résolution plus
fine22. Or, avec la profusion des données paléo-environnementales, les historiens
ne sont plus cantonnés à combiner des approches quantitatives et qualitatives
venant de la discipline historique elle-même : ils peuvent désormais intégrer à leurs
travaux des preuves produites en dehors des sciences humaines. Croiser différents
types de données indirectes environnementales avec des preuves archéologiques
ou textuelles permet non seulement de réduire la gamme des interprétations possibles, mais aussi d’en limiter la portée chronologique et géographique.
Les chercheurs travaillant au croisement de l’histoire, d’une part, et de
l’archéologie et de la géologie, d’autre part, ont été les premiers à être confrontés
à ce défi. Il y a vingt ans, par exemple, l’historien du paysage et archéogéographe
Gérard Chouquer estimait que les différentes disciplines, au lieu d’être cantonnées
à l’étude de certaines « couches » de temporalité bien définies – depuis le passé
(plus) profond des géologues jusqu’à l’espace humain et naturel contemporain
des géographes –, devraient toutes collaborer, en réunissant les ressources à leur
disposition, de manière à travailler sur certains objets transversaux aux échelles
spatio-temporelles les plus adaptées23. Les approches paléoscientifiques ont fait
des progrès si considérables au cours de la dernière décennie, tant pour l’éventail des phénomènes qu’elles sont capables de reconstituer que pour la précision
chronologique de leurs méthodes, qu’un tel programme est désormais possible.
De nombreux problèmes auxquels les générations précédentes d’historiens – pionnières de la collaboration avec les sciences de la Terre – ont dû faire face sont peu
à peu résolus et l’on peut raisonnablement espérer, du fait de l’intérêt croissant
des sciences de la Terre pour les origines de l’Anthropocène, qu’une synergie plus
efficace encore se développe à l’avenir entre les chercheurs des sciences humaines
et des sciences de la Terre.
Afin d’illustrer les gains heuristiques permis par de tels rapprochements,
nous allons maintenant exposer comment cette interdisciplinarité est aujourd’hui
mise en pratique, en nous concentrant sur les trois types d’étude les plus courants
26
22. De telles approches ont également été proposées au sein de la tradition de l’école des
Annales, si l’on pense au travail du laboratoire d’archéologie et d’histoire environnementale de Gênes, dirigé par Diego Moreno. Dans ce cas, un travail historique détaillé, en
particulier dans le domaine de la géographie historique, constitue une nouvelle base pour
l’interprétation de découvertes archéologiques et de données paléo-environnementales.
Voir par exemple Giulia B, Roberta C, Diego M et Anna Maria
S, « Les cultures temporaires, entre longue durée et chronologie fine (Montagne
ligure, Italie) », in C. R et R. V (dir.), Cultures temporaires et féodalité. Les rotations
culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses
universitaires du Midi, 2014, p. 235-258 ; Valentina P, Carlo Alessandro M
et Diego Teodorico M, « Multi-Proxy Record of Environmental Changes and
Past Land Use Practices in a Mediterranean Landscape: The Punta Mesco Cape
(Liguria – Italy) between the 15th and 20th Century », Quaternary International, 463,
2018, p. 376-390.
23. Gérard C, L’étude des paysages. Essais sur leurs formes et leur histoire, Paris,
Errance, 2000, p. 170-175.
INTERDISCIPLINARITÉ
permettant, dans le domaine de l’histoire environnementale, de nourrir la recherche
historique avec des données issues des sciences naturelles : les études à grands
traits de type enquête, les études quantitatives plus ciblées et les études textuelles
interdisciplinaires.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
es études de type enqu te mettre en relation des eu
de données disparates
Les études de type enquête ont été les premiers exemples d’histoire environnementale interdisciplinaire. On peut les décrire comme des tentatives de contextualiser
historiquement des données issues des sciences naturelles, lesquelles ont parfois
été produites bien antérieurement ou sur une longue période, et souvent indépendamment des questionnements historiques traditionnels (on pense par exemple à
la chute de l’Empire romain d’Occident ou à la guerre de Trente Ans). En d’autres
termes, il s’agit d’études où les historiens travaillent avec les scientifiques ayant fourni
ces données et qui cherchent a posteriori à leur conférer un sens (et une portée)
historique. Au cours des deux dernières décennies, la plupart de ces enquêtes ont
été consacrées à l’histoire du climat24. Ce modèle initial comprenait fréquemment
un volet « marketing », important quoique problématique, puisque l’histoire servait
principalement à élargir l’application d’un projet de sciences naturelles classique
et attirer l’attention sur celui-ci. C’est pourquoi ces études reflètent non seulement
l’usage par des historiens de « produits » scientifiques, mais aussi l’utilisation par
les sciences (ou plutôt par les chercheurs en sciences naturelles) de l’histoire pour
valider leurs affirmations et conférer à leurs conclusions une plus grande portée25.
Ces risques d’instrumentalisation méritent d’être soulignés, dans la mesure où les
projets interdisciplinaires tout comme l’utilisation et l’interprétation des données
scientifiques peuvent provoquer des tensions considérables, voire des luttes de
pouvoir. Lorsqu’ils collaborent avec les paléoscientifiques, les historiens se trouvent
parfois engagés dans des débats qui ne leur sont guère voire pas familiers. Ils courent
24. Les plus exhaustives sont probablement deux études portant sur la fin de l’Antiquité :
Michael MC et al., « Climate Change during and after the Roman Empire:
Reconstructing the Past from Scientific and Historical Evidence », The Journal of
Interdisciplinary History, 43-2, 2012, p. 169-220 ; John H et al., « The Climate and
Environment of Byzantine Anatolia: Integrating Science, History and Archaeology »,
The Journal of Interdisciplinary History, 45-2, 2014, p. 113-161. On peut aussi citer :
U. B et al., « Cooling and Societal Change during the Late Antique Little Ice
Age… », art. cit. L’étude de type enquête peut également être mise en œuvre sur une
plus grande échelle, même au sein d’une monographie historique ; pour un exemple
développé, voir Adam I, A Rural Economy in Transition: Asia Minor from Late
Antiquity into the Early Middle Ages, Varsovie, Taubenschlag Foundation, 2013. Pour un
exemple récent de l’application à grande échelle de cette approche, voir Lee M
et al., « The Justinianic Plague: An Inconsequential Pandemic? », Proceedings of the National
Academy of Sciences, 116-51, 2019, p. 25546-25554.
25. Kristina S, « The New Environmental Fall of Rome: A Methodological
Consideration », The Journal of Late Antiquity, 12-1, 2019, p. 211-255.
27
A. IZDEBSKI ET AL.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
alors le risque d’exagérer l’importance historique d’un jeu de données, de négliger
le travail critique sur les sources ou de sous-estimer les limites de toute exégèse,
si plausible soit-elle. L’histoire n’est pas à l’abri d’un mésusage et le travail des
historiens d’une interprétation erronée26. Mais la réciproque est également vraie :
les scientifiques peuvent, en toute ignorance, intervenir et même prendre position
à propos de sujets suscitant d’intenses débats historiographiques, en conférant à
une interprétation donnée l’avantage d’être appuyée par les données « objectives »
des sciences naturelles.
Un exemple récent révèle bien les faiblesses, mais aussi les forces d’une telle
approche27. Nombre d’auteurs du présent article ayant été impliqués dans cette
enquête, menée en 2016, nous sommes paradoxalement bien placés pour y revenir
sous un angle critique ! La Sicile, objet de ladite étude, est un terrain particulièrement fertile pour appréhender les relations entre climat et société avant l’ère
industrielle, d’une part, et entre données historiques et données environnementales, d’autre part. L’île, riche en traces humaines, écrites et matérielles, se trouve
dans une région caractérisée par une vulnérabilité accrue aux changements climatiques contemporains. On dispose donc d’un grand nombre de données – produites
depuis plusieurs années par des chercheurs en sciences naturelles, des archéologues et des historiens – pouvant être rassemblées afin de renouveler l’écriture de
l’histoire environnementale de la Sicile sur la longue durée.
La Sicile a connu une situation singulière tout au long du premier millénaire de notre ère. Dès la fin du e siècle av. J.-C., l’île devient une province
romaine et ce jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident, au e siècle ; après
un intermède ostrogoth, elle est intégrée à l’Empire romain d’Orient. La Sicile
est ainsi restée dans le giron de la Rome impériale jusqu’à la conquête arabe du
28
26. De nombreux exemples existent, comme une étude relatant la présence de traces de
pollution au plomb dans une carotte glaciaire du Groenland – très probablement liées à
la production d’argent dans la péninsule Ibérique et en France durant l’Antiquité et le
haut Moyen Âge – qui a servi à reconstituer le supposé PIB de Rome, bien que l’étude
elle-même n’aille pas au-delà des inférences sur la croissance économique romaine
(J. R. MC et al., « Lead Pollution Recorded in Greenland Ice… », art. cit.).
Un autre exemple, encore plus parlant peut-être, est fourni par la base de données
« Digitizing Historical Plague », mise en ligne en 2012 par une équipe formée majoritairement de scientifiques du climat : l’outil repose sur une lecture positiviste d’un
catalogue incomplet et centré sur l’Europe occidentale d’épidémies de peste à la fin
de la période médiévale et au début de l’époque moderne, publié dans les années 1970
et qui n’était pas destiné à être utilisé comme un jeu de données quantitatif complet
sur la peste européenne à l’époque préindustrielle : voir l’article de Ulf B et al.,
« Digitizing Historical Plague », Clinical Infectious Diseases, 55-11, 2012, p. 1586-1588,
fondé sur l’ouvrage de Jean-Noël B, Les hommes et la peste en France et dans les pays
européens et méditerranéens, Paris/La Haye, Éd. de l’EHESS/Mouton, 2 vol., 1975. Depuis
sa publication, et en particulier depuis mars 2020, ce jeu de données a servi de base à de
nombreux articles sur l’épidémiologie, la démographie et les conséquences économiques
de la peste noire et des épidémies de peste postérieures en Europe.
27. Laura S et al., « Climate, Environment and Society in Southern Italy during
the Last 2000 Years: A Review of the Environmental, Historical and Archaeological
Evidence », Quaternary Science Reviews, 136, 2016, p. 173-188.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
INTERDISCIPLINARITÉ
e siècle. Au cours de cette période, le climat de l’île a été marqué par des changements de longue durée, suffisamment significatifs pour modifier la productivité
agricole locale. L’étude en question, menée par une équipe de chercheurs issus des
sciences sociales et des sciences naturelles, s’est penchée sur l’interaction entre
les changements climatiques et les processus socio-écologiques dans la Sicile de
l’Antiquité tardive28. En examinant les aspects méthodologiques de ce travail, nous
espérons montrer de manière plus approfondie comment historiens et chercheurs
en sciences naturelles combinent différents types de données dans le but d’élaborer des scénarios de changement socio-écologique, dont ils évaluent ensuite la
plausibilité grâce à une étude de type enquête.
Cette recherche multidisciplinaire s’est fondée, au départ, sur une étude multiindicateurs d’une carotte de sédiments prélevée dans le fond du lac de Pergusa, situé
dans le centre-est de l’île29. Cette carotte de sédiments, ou « colonne de boue », a été
échantillonnée au moyen de diverses approches analytiques. L’usage de plusieurs
méthodes scientifiques appliquées à la même carotte a permis d’éviter toute incertitude concernant la relation chronologique entre les différents résultats obtenus.
L’analyse des sédiments a notamment porté sur le pollen – utilisé pour reconstituer
le couvert végétal et l’histoire agricole – et les isotopes de l’oxygène (δ18O) – permettant de mesurer la pluviométrie hivernale puisque, dans le cas du lac de Pergusa,
la proportion de ces différents isotopes est corrélée aux précipitations et à l’évaporation. La carotte a été datée au 14C et un modèle âge-profondeur relativement solide
a été mis au point, qui a donné lieu à une incertitude chronologique (ou intervalle de
confiance) d’environ cinquante ans pour le pollen et pour les isotopes. Des données
paléoclimatiques et des relevés de pollen déjà existants pour d’autres sites en Sicile
et en Italie du Sud ont également été pris en compte afin d’étendre la portée spatiale de l’étude. Pour quantifier les processus socio-économiques, les auteurs se sont
appuyés sur des données numismatiques (présence de pièces de l’Empire romain
d’Orient en Sicile) ainsi que sur les données d’enquête archéologique (nombre
d’établissements ruraux) ; ils ont aussi fait référence à d’autres matériaux archéologiques – poterie principalement – dans leurs interprétations finales (fig. 5).
L’étude a conclu à une quadruple corrélation sur une période de trois cents
ans (s’étalant de la moitié du e siècle à la moitié du e siècle) entre : (1) une
hausse des précipitations hivernales, attestées par les mesures des isotopes de
l’oxygène ; (2) l’absence de preuve d’une quelconque expansion de la population arboricole, qui aurait normalement dû se produire dans la région pendant les
périodes marquées par une hausse de l’humidité (c’est-à-dire sans les interférences
humaines caractéristiques de cette période) ; (3) une extension de la culture des
céréales et de l’olivier, visible grâce aux données sur le pollen ; (4) une augmentation sensible de la densité des établissements ruraux entre la moitié du e siècle
et au moins la moitié du e siècle.
28. Ibid.
29. Une étude multi-indicateurs utilise différentes techniques analytiques pour examiner
des matériaux de la même carotte de sédiments, ce qui permet de reconstituer un plus
grand nombre de variables environnementales.
29
A. IZDEBSKI ET AL.
igure
onnées paléo-environnementales du lac de ergusa avec données
numismatiques et données relatives au établissements rurau en icile
200
400
600
1000
800
Années
plus humide
18
1
V-PDB ‰
2
δ O
plus sec
isotopes
de Pergusa
60
plantes 40
arboricoles
% 20
Olea
Quercus
10
pollen de
Pergusa
%
céréales 10
type
%
Secale
6
%
Pièces
byzantines
découvertes
4
Sicile
2
(par an)
haut
Moyen Âge
haut
Moyen Âge
zone de
Sofiana
100
20
zone de
Calatino
Moyen
Âge
40
époque
byzantine
nombre 60
de sites
Empire tardif
80
fin du
Haut-Empire
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2
Empire
tardif
6
fin du
Haut-Empire
14
nombre 10
de sites
Empire tardif
18
330 fondation de Constantinople
619 perte de l’Égypte par Byzance
827 début de la conquête arabe de la Sicile
30
Source : adapté de Laura SADORI et al., « Climate, Environment and Society in Southern Italy during the Last
2000 Years: A Review of the Environmental, Historical and Archaeological Evidence », Quaternary Science
Reviews, 136, 2016, p. 173-188 ; figure modifiée d’après Adam IZDEBSKI et al., « Realising Consilience: How
Better Communication between Archaeologists, Historians and Natural Scientists Can Transform the Study of
Past Climate Change in the Mediterranean », Quaternary Science Reviews, 136, 2016, p. 5-22.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
INTERDISCIPLINARITÉ
Selon les auteurs, l’augmentation des précipitations hivernales (1) aurait dû favoriser
à la fois l’expansion de l’agriculture et l’anthropisation du paysage (2 et 3) ainsi
que le développement des établissements ruraux (4), en particulier sur les terres
habituellement sèches et peu fertiles de l’île. Or, si les relations temporelles entre
les phénomènes (1), (2) et (3) ne font guère de doute, puisqu’ils sont reconstitués
à partir de la même carotte de sédiments, la corrélation avec le phénomène (4)
reste problématique. La datation des établissements ruraux dépend en effet des
typo-chronologies de céramiques, dont la précision peut varier entre des décennies
et des siècles. De plus, les typo-chronologies sont susceptibles d’être modifiées en
fonction des progrès de la recherche sur les céramiques anciennes30. L’association
entre les phénomènes (1) et (2) et le phénomène (4) n’est donc guère plus qu’un
tableau brossé à grands traits, reposant sur une association chronologique approximative et sur le lien causal supposé entre la hausse du nombre de sites ruraux et
le développement des activités agricoles.
L’étude interdisciplinaire sur la Sicile a replacé cette expansion économique rurale potentiellement liée à une oscillation du climat dans le contexte
d’un phénomène assez bien connu : la croissance contemporaine des marchés des
céréales en Méditerranée orientale, en Italie et en Afrique du Nord dans le sillage de la fondation de Constantinople en 330 apr. J.-C.31. Surtout, les auteurs
ne sont pas allés jusqu’à affirmer qu’il existait un lien causal fort entre climat,
environnement et société, malgré la corrélation temporelle relativement importante entre les phénomènes climatiques, environnementaux et humains observés : ils ont en effet admis que des facteurs humains, comme la fondation de
Constantinople et ses conséquences, étaient en eux-mêmes suffisants pour expliquer les changements socio-écologiques visibles, à savoir les phénomènes (2), (3)
et (4). Si le climat a pu avoir une influence sur ces développements, son rôle n’a
pas été nécessairement causal. Il a plutôt fourni un contexte favorable au développement efficace de certains processus socio-économiques. Dans ce sens, le climat
peut être vu comme un élément amplificateur et facilitateur d’un changement
socio-écologique discernable.
Les auteurs ont observé un autre fait intéressant, à savoir la séquence formée
par : (a) une baisse des précipitations hivernales à partir de la fin du e siècle ;
(b) une contraction de la culture céréalière, précédée par une hausse de court terme
de la culture du seigle, plus résistante à la sécheresse, ce qui a entraîné un abandon
des terres et une expansion des surfaces boisées ; (c) une démonétarisation du territoire ; (d) un déclin de l’importance politique de la Sicile dans l’Empire romain
30. Philip B, Once Upon a Time in the East: The Chronological and Geographical Distribution
of Terra Sigillata and Red Slip Ware in the Roman East, Oxford, Archaeopress, 2015 ; David
K. P, « Regional Survey and the Boom-and-Bust Countryside: Re-Reading the
Archaeological Evidence for Episodic Abandonment in the Late Roman Corinthia »,
International Journal of Historical Archaeology, 14-2, 2010, p. 215-229 ; Andrew B et al.,
« Measuring Chronological Uncertainty in Intensive Survey Finds: A Case Study from
Antikythera, Greece », Archaeometry, 55-2, 2013, p. 312-328.
31. Domenico V, « Fra Egitto ed Africa, fra Roma e Costantinopoli, fra annona e
commercio. La Sicilia nel Mediterraneo tardoantico », Kokalos, 43/44, 1997, p. 33-72.
31
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
A. IZDEBSKI ET AL.
d’Orient, qui aboutit à la conquête de l’île par les souverains arabes d’Afrique
du Nord. Comme dans l’exemple précédent, la relation chronologique entre les
phénomènes (a) et (b) est assurée, puisque les données proviennent de la même
carotte de sédiments. Les données numismatiques présentent également un degré
élevé de précision chronologique32. Par ailleurs, comme le notent les auteurs, la
diminution des dépôts de pièces en Sicile pourrait avoir été liée à des processus
économiques et politiques s’inscrivant dans la démonétarisation générale de l’économie byzantine et la perte d’intérêt du gouvernement impérial pour l’île33.
En revanche, le lien temporel entre les phénomènes (a) à (c) et le phénomène (d) (la conquête arabe de l’île) reste difficile à saisir. Une séquence chronologique d’événements (à l’instar d’une corrélation temporelle) ne suffit pas à établir
un lien causal entre eux, et les auteurs de l’étude n’ont pas été en mesure de
rassembler d’autres preuves pour étayer l’hypothèse selon laquelle la détérioration
climatique aurait affaibli le système socio-économique byzantin de l’île et provoqué sa défaite lors de la conquête arabe. Cette conquête a été, au demeurant, très
graduelle, s’étalant sur près d’un siècle : le contexte politico-militaire byzantin,
d’une part, et la situation politique locale (en Italie), d’autre part, suffisent sans
doute à expliquer à la fois la prise du pouvoir par les Arabes et le rythme très lent
auquel celle-ci s’est produite. Il n’y a pas eu à proprement parler d’« effondrement », mais plutôt un lent processus de conquête et de transformation socioéconomique, qui pourrait avoir été déclenché en partie par un changement du
régime des précipitations hivernales de la région, amorcé à la fin du e siècle et
au début du e siècle.
Cette étude de cas illustre le potentiel autant que les risques d’une
approche purement quantitative, que les scientifiques paléo-environnementaux
ont tendance à favoriser en encourageant les historiens et les archéologues à fournir des « chiffres » permettant à des reconstitutions paléoclimatiques et paléoenvironnementales, par essence quantitatives, d’être associées à des sources écrites,
de nature souvent qualitative. Des études comme celle-ci peuvent révéler des
cooccurrences et des séquences intrigantes, ou à l’inverse une absence de lien temporel, entre des phénomènes climatiques, environnementaux et sociaux, mais elles
montrent leurs limites dès lors qu’il s’agit d’établir des relations causales plausibles.
32
32. Cela n’est cependant vrai que si l’on prend seulement en considération la chronologie de la mise en circulation des monnaies : certaines pièces peuvent être utilisées
pendant des périodes bien plus longues et il est difficile d’estimer globalement la durée
de leur circulation. Pour une discussion plus approfondie de cette question, voir Marcus
P, « Currency in Seventh-Century Syria as a Historical Source », Byzantine and
Modern Greek Studies, 28-1, 2004, p. 13-31.
33. Comme le font remarquer les auteurs, cela pourrait s’expliquer par la baisse de la
productivité agricole de la Sicile, si cruciale pour le gouvernement impérial dans sa lutte
pour se maintenir face au califat : L. S et al., « Climate, Environment and Society
in Southern Italy… », art. cit., p. 182. Voir également John H, « Some Thoughts
on Climate Change, Local Environment, and Grain Production in Byzantine Northern
Anatolia », in A. I et M. M (dir.), Environment and Society in the Long Late
Antiquity, op. cit., p. 200-206.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
INTERDISCIPLINARITÉ
Si ces approches constituent une première étape intéressante pour qui veut étudier
les liens entre climat et société, elles ne peuvent toutefois, en raison du caractère parcellaire et hétérogène des différents types de données, apporter le genre
de réponse que les historiens ou les spécialistes de l’environnement recherchent
souvent. Il n’est donc pas encore possible de déterminer à quel point des jeux de
données créés dans le cadre de projets divers et menés dans des optiques différentes peuvent être utilisés à d’autres fins. Ce rappel à la prudence est d’autant
plus de mise que ces jeux de données sont régulièrement inclus dans de nouveaux
projets, souvent sans que soit menée une réelle réflexion sur les avantages et les
inconvénients d’une telle démarche. Du reste, lorsque cette inclusion concerne
une enquête de facture similaire, la réutilisation n’est généralement pas si problématique. En revanche, lorsque des données provenant d’un champ spécifique sont
mobilisées pour répondre à des interrogations dans un autre champ et qu’en passant de l’un à l’autre, elles sont détachées de leur contexte originel de recherche,
d’importantes questions d’interprétation se posent et les conclusions peuvent s’en
trouver faussées.
Afin d’améliorer cette approche combinatoire, il convient de s’assurer que
tous les types de preuves réunis – historiques, archéologiques, environnementales,
etc. – opèrent sur les mêmes échelles spatiales, sociales et temporelles. La chose
est loin d’être simple, car les différents jeux de données résultent fréquemment
d’analyses disparates et les produits finaux n’ont pas été véritablement conçus pour
coïncider. Il en va de même dans le domaine des paléosciences. La plupart des
scientifiques ne recueillent qu’une partie des données qu’ils utilisent pour arriver à
leurs conclusions, le reste étant constitué par un volume conséquent d’informations
existantes. L’apport d’un nombre plus important de données présente un intérêt
évident, notamment celui de faciliter des analyses à plus grande échelle et même,
de manière générale, de favoriser l’interdisciplinarité ; le danger est néanmoins
grand, pour les auteurs, de perdre le contrôle des données utilisées et de voir la
précision de leurs études amoindrie. L’une des solutions à ce problème consiste à
inviter les spécialistes pertinents à participer à l’étude, ce qui peut certes rendre
la recherche plus complexe, poser des problèmes logistiques et ralentir le déroulement du projet. Au demeurant, cette stratégie interdisciplinaire ne résout pas tout :
les chercheurs tendent à être contraints par la nature de leurs preuves, si bien que
comparer et tester des séries temporelles calibrées différemment pour chercher
des corrélations revient à comparer des variables incomparables. Pour qu’une telle
approche soit réellement efficace, il faudrait que ces études résultent d’ateliers
consacrés à des questions de recherche spécifiques, inscrites dans un cadre spatiotemporel clair. L’idéal serait de mettre en place davantage d’équipes interdisciplinaires permanentes, qui puissent se consacrer à la restructuration des données déjà
existantes et, lorsque cela est nécessaire, à la production de nouvelles données bien
calibrées entre elles.
33
A. IZDEBSKI ET AL.
Mis re et richesse de la quantification
et de l in érence statistique
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Les observations hydrométéorologiques, atmosphériques ou astronomiques délibérément établies, continues et systématiques (par exemple, des relevés de phénomènes
potentiellement pertinents pour le climat tels que les taches solaires, les aurores ou les
voiles de poussière) sont très prisées, en particulier pour la période pré-instrumentale
et le début de la période instrumentale – soit, en ce qui concerne l’Europe, la période
précédant le e siècle et le début des relevés météorologiques systématiques sur le
continent. Parmi ces sources, on trouve des journaux météorologiques, parfois tenus
par des professionnels qualifiés, mais surtout rédigés par des amateurs passionnés.
Ces documents contiennent des terminologies fixes pour décrire les phénomènes
climatiques, leur intensité et leur durée, manifestant l’effort, de la part de leurs
auteurs, de limiter la subjectivité de leurs descriptions. Si des journaux de ce type
existent en Europe dès la fin de la période médiévale34, des observations environnementales systématiques ont eu cours ailleurs, dans d’autres contextes, souvent
institutionnels, à l’instar des journaux astronomiques babyloniens, qui perdurent du
e siècle au er siècle av. J.-C.35, et des relevés du nilomètre égyptien.
Parce qu’elle peut facilement être traduite en données quantitatives, cette
documentation a fait progresser notre compréhension des changements climatiques du passé et de leurs conséquences sur les sociétés36. Mais cette progression
a également été rendue possible par des sources plus qualitatives : ainsi, certaines
34
34. Christian P et al., « Daily Weather Observations in Sixteenth-Century Europe »,
Climatic Change, 43, 1999, p. 111-150 ; Urs G et al., « A Method to Reconstruct Long
Precipitation Series Using Systematic Descriptive Observations in Weather Diaries:
The Example of the Precipitation Series for Bern, Switzerland (1760-2003) », Theoretical
and Applied Climatology, 87, 2007, p. 185-199 ; Stephen O’C et al., « A Weather
Diary from Donegal, Ireland 1846-1875 », Weather, 76-12, 2021, p. 385-391.
35. Joost H, Reinhard P et Bas L, « Climate, War and Economic
Development: The Case of Second-Century BC Babylon », in R. J. S,
B. L et J. L. Z (dir.), A History of Market Performance: From Ancient
Babylonia to the Modern World, Londres, Routledge, 2015, p. 128-148 ; Johannes H,
John S et Kathryn S (dir.), Keeping Watch in Babylon: The Astronomical Diaries
in Context, Leyde, Brill, 2019.
36. Elles ne sont néanmoins pas à l’abri d’éventuels biais. Par exemple, elles échouent
souvent à saisir des changements de long terme dans des conditions climatiques ambiantes
moyennes, en particulier si ces tendances se manifestent sur une période excédant la
durée de vie d’observateurs individuels. Voir, sur ce point, l’introduction de Raymond
B et Philip D. J, « Climate since A.D. 1500 », in R. B et P. D. J (dir.),
Climate since A.D. 1500, Londres, Routledge, 1995, p. 1-16 ; M. J. I, D. J. U
et G. F, « The Use of Documentary Sources for the Study of Past Climates »,
in T. M. L. W, M. J. I et G. F (dir.), Climate and History: Studies in
Past Climates and Their Impact on Man, Cambridge, Cambridge University Press, 1981,
p. 180-213. En effet, on rencontre la même difficulté pour reconstituer des changements
de long terme à l’échelle de siècles ou de millénaires à partir d’échantillons de cernes
d’arbres qui, pris individuellement, couvrent des périodes temporelles plus courtes :
INTERDISCIPLINARITÉ
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annales et chroniques médiévales contiennent des relevés de conditions météorologiques extrêmes, d’événements politiques et de comportements sociaux dont
des chercheurs ont pu quantifier la fréquence et la magnitude37. Les sources de
type annales ont souvent été écartées par les scientifiques, entre autres parce
qu’elles se concentrent sur des phénomènes particuliers, d’une rare intensité, et
ne permettent pas une reconstitution annuelle complète des conditions moyennes.
Conscient de ces limites, E. Le Roy Ladurie pensait toutefois qu’« il serait absurde,
hypercritique, de rejeter a priori l’information événementielle », et que l’historien
qui agirait de la sorte « refuserait l’évidence des textes et récuserait arbitrairement
des témoins valables »38. L’appel a été entendu : ces sources sont désormais plus
fréquemment utilisées, en association avec des archives naturelles, afin de tester
des hypothèses spécifiques concernant les changements climatiques passés et la
vulnérabilité des sociétés, en particulier pour les périodes médiévales, pour lesquelles les autres sources sont moins abondantes en comparaison39.
Le corpus des annales irlandaises du Moyen Âge fournit un exemple de récit fiable
des principaux événements historiques du pays, dont la relation commence à partir
du e siècle apr. J.-C. pour s’interrompre seulement au e siècle, sous l’effet des
bouleversements liés à la colonisation anglaise40. Ces textes recensent, de manière
crédible, pas moins de 65 « phénomènes de froid » extrême pendant cette période
(fig. 6). Les informations fournies peuvent être rapportées à la chronologie des
éruptions volcaniques explosives qui ont entraîné d’importantes retombées de
sulfate atmosphérique sur la calotte glaciaire du Groenland et peuvent donc être
identifiées par des mesures du sulfate dans les carottes de glace extraites de la
région. Ce recoupement révèle l’influence majeure, pendant plus d’un millénaire,
de l’activité volcanique explosive sur le climat de la région de l’Atlantique nord-est,
à laquelle appartient l’Irlande41.
Edward R. C et al., « The ‘Segment Length Curse’ in Long Tree-Ring Chronology
Development for Palaeoclimatic Studies », The Holocene, 5-2, 1995, p. 229-237.
37. Voir par exemple M. MC et al., « Climate Change during and after the Roman
Empire », art. cit. ; Sébastian G et al., « Climatic and Societal Impacts of a ‘Forgotten’
Cluster of Volcanic Eruptions in 1108-1110 CE », Scientific Reports, 10, 2020, https://doi.
org/10.1038/s41598-020-63339-3 ; Günter B et al., « Current European Flood-Rich
Period Exceptional Compared with Past 500 Years », Nature, 583-7817, 2020, p. 560-566.
38. Emmanuel L R L, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion,
[1967] 2020, p. 474.
39. Cette rareté a été constatée depuis longtemps : Hubert H. L, Climate, History and
the Modern World, Londres, Routledge, 1995. Pour des exemples importants d’une telle
utilisation, voir Michael MC, Paul E. D et Paul A. M, « Volcanoes
and the Climate Forcing of Carolingian Europe, A. D. 750-950 », Speculum, 82- 4, 2007,
p. 865-895 (ainsi que l’annexe statistique de Nick Patterson) ; Christian P et al.,
« Winter Air Temperature Variations in Western Europe during the Early and High
Middle Ages (AD 750-1300) », The Holocene, 8-5, 1998, p. 535-552.
40. Daniel MC, The Irish Annals: Their Genesis, Evolution and History, Dublin, Four
Courts Press, 2008.
41. Francis L et al., « Medieval Irish Chronicles Reveal Persistent Volcanic Forcing
of Severe Winter Cold Events, 431-1649 CE », Environmental Research Letters, 8-2, 2013,
http://dx.doi.org/10.1088/1748-9326/8/2/024035.
35
A. IZDEBSKI ET AL.
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igure
36
age des Annales d
de
lster couvrant la période allant
apr -C
Note : dans la partie entourée, on peut lire « K1. Ianair ». Il s’agit de l’abréviation des « calendes de janvier »,
c’est-à-dire le 1er janvier, date qui marque le début de chaque liste d’entrées annuelle. Le texte souligné en pointillé
donne la date de l’Anno Domini en chiffres romains tandis que le texte souligné d’un trait continu fait référence à
la première entrée historique pour l’année 856 (la date mentionnée dans le manuscrit, 855, est incorrecte). L’entrée
rapporte qu’« il y avait beaucoup de glace et de gel si bien que l’on pouvait traverser les principaux lacs et cours
d’eau d’Irlande à pied ou à cheval à partir du neuvième jour des calendes de décembre [23 novembre 855] et
jusqu’au septième jour des ides de janvier [7 janvier 856]. Une année orageuse et rude ».
Source : Annals of Ulster, manuscrit 1282, Trinity College Dublin, fol. 42r. Image reproduite avec l’aimable
autorisation du Board of Trinity College Dublin.
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INTERDISCIPLINARITÉ
Des traces de froid extrême, en décalage avec la relative douceur du climat maritime
irlandais, ont été relevées dans les sources écrites (avec la mention, notamment,
d’épisodes de gel et de neige ou des descriptions générales de conditions froides)
et quantifiées par type, fréquence et saisonnalité. Pour établir des correspondances
significatives – c’est-à-dire la succession suffisamment rapprochée de deux phénomènes pour suggérer une relation causale possible –, il a fallu évaluer la précision
des chronologies respectivement fournies par les carottes glaciaires et les chroniques des annales, ainsi que les échelles de temps des processus atmosphériques
et climatiques pertinents – en particulier le temps de transport du sulfate vers le
Groenland et le temps de latence entre les éruptions et leurs conséquences climatiques. Au terme de l’examen, il apparaît que 37 épisodes de froid (soit 56,3 %
des épisodes recensés) se sont produits quelques années seulement après la date
d’une éruption, ce qui laisse penser que l’activité volcanique a joué un rôle non
négligeable dans le déclenchement de ces épisodes, aux répercussions considérables
sur la société irlandaise42. Il en ressort aussi, il est vrai, que le climat irlandais a pu
connaître des refroidissements extrêmes sans que l’activité volcanique en ait été
la cause. Cependant, lorsqu’elle existe, la corrélation est très forte : la probabilité
qu’un tel niveau de cooccurrence soit dû au hasard est quasiment nulle (0,03 %),
renforçant les arguments en faveur de la réalité du lien apparent.
Par ailleurs, la plupart des épisodes de froid consignés dans les annales l’ont
été en hiver, qu’ils aient été associés ou non à des éruptions. La documentation
écrite permet donc de mieux comprendre les répercussions historiques de l’activité
volcanique : les archives naturelles (biologiques) telles que les cernes des arbres
n’offrent en général que des indications sur le climat du printemps et de l’été – soit
la période de croissance active des végétaux. Comme l’ont souligné certains chercheurs, les « archives naturelles » ne doivent pas automatiquement primer sur les
archives humaines dans les études sur les interactions entre les hommes et l’environnement43 : l’exemple irlandais montre combien les deux ensembles doivent
être considérés comme complémentaires. Pour ce faire, il est toutefois nécessaire
d’approcher ces ressources (et les possibilités qu’elles offrent) de façon impartiale,
de s’efforcer d’identifier leurs forces et faiblesses respectives et d’avoir confiance
dans ce que chaque discipline a à apporter. Pour quantifier de manière crédible les
éléments présents dans les annales irlandaises, il a par exemple fallu comprendre
l’histoire de ces textes. En effet, en raison de leur généalogie croisée ou d’erreurs
commises par les scribes, un même événement peut être enregistré deux fois ou
plus. Saisir les raisons qui incitaient à enregistrer les conditions météorologiques
s’est également révélé essentiel pour repérer les relevés dont la véracité pouvait
être mise en doute : il importait ainsi de se demander comment les événements
42. Voir Bruce M. S. C et Francis L, « Climate, Disease and Society in
Late-Medieval Ireland », Proceedings of the Royal Irish Academy, 120C, 2020, p. 159-249 ;
Donnchadh Ó C, « Ireland c. 800: Aspects of Society », in D. Ó C (dir.),
A New History of Ireland, vol. 1, Prehistoric and Early Ireland, Oxford, Oxford University
Press, 2005, p. 549-608.
43. John M, « AD 536 – Back to Nature? », Acta Archaeologica, 89-1, 2018, p. 91-111.
37
A. IZDEBSKI ET AL.
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climatiques extrêmes étaient perçus et par les scribes, et par leur lectorat (notamment comme des présages ou des vecteurs d’une punition divine) ; il fallait aussi
déterminer si leurs exagérations voire leurs inventions pouvaient s’expliquer par
des motifs politiques, rhétoriques ou théoriques44. Alors que des travaux antérieurs
ont fait l’objet de critiques légitimes pour n’avoir pas suffisamment prêté attention
à ces questions45, l’expertise historique est aujourd’hui considérée comme fondamentale lorsque l’on utilise des traces écrites pour reconstituer le climat46. Le cas
des annales irlandaises le démontre de façon limpide : si tous les relevés douteux
avaient été considérés comme fiables et que les doublons n’avaient pas été détectés, on aurait comptabilisé 181 épisodes de froid extrême, soit 178,5 % de plus que
le chiffre corrigé47.
Dans des études comme celle consacrée à l’Irlande, les historiens se placent,
avec leurs sources et leurs méthodes, au service des questions posées par les sciences
de la nature. Un autre exemple – il s’agit cette fois-ci d’une étude sur l’Égypte
ancienne menée conjointement par un historien et un climatologue historique48 –
met en évidence l’utilisation d’archives naturelles et le recours à la quantification et
à la modélisation statistique pour répondre à des questionnements d’historiens au
sujet de la causalité. La quantification de l’activité socio-économique et la prise en
compte d’événements majeurs pour l’une des périodes les plus richement documentées de l’Égypte ancienne, à savoir la dynastie lagide (305-30 av. J.-C.), ont permis à
la fois de tester des hypothèses classiques et de frayer des nouvelles pistes concernant l’influence historique des variations des conditions hydroclimatiques.
L’Égypte constitue un excellent laboratoire pour l’étude des relations entre
l’homme et l’environnement. En effet, la faible pluviométrie générale qui caractérise la région a induit une forte dépendance au Nil pour l’irrigation et la culture de
décrue, rendant la société égyptienne particulièrement vulnérable aux répercussions hydroclimatiques du forçage volcanique. L’injection d’aérosols sulfatés dans
38
44. Francis L, « Utility of the Irish Annals as a Source for the Reconstruction of
Climate », thèse de doctorat, Trinity College Dublin, 2011 ; Daniel MC et Aidan
B, « Astronomical Observations in the Irish Annals and their Motivation », Peritia,
11, 1997, p. 1- 43 ; Mark W, Fiery Shapes: Celestial Portents and Astrology in Ireland
and Wales, 700-1700, Oxford, Oxford University Press, 2010.
45. De telles critiques ont souvent été formulées à l’encontre du travail d’Hubert
H. Lamb et Gordon Manley (même si le caractère précurseur de leur travail a été souligné) : Astrid E. Ogilvie et Graham Farmer, « Documenting the Medieval Climate »,
in M. H et E. B (dir.), Climates of the British Isles: Past, Present and Future,
Londres, Routledge, 1997, p. 112-134.
46. Rudolf B et al., « Historical Climatology in Europe: The State of the Art »,
Climatic Change, 70, 2005, p. 363- 430.
47. Francis L et Charles T, « STEAM Approaches to Climate Change,
Extreme Weather and Social-Political Conflict », in A. G et C. T (dir.),
The STEAM Revolution: Transdisciplinary Approaches to Science, Technology, Engineering, Arts,
Humanities and Mathematics, New York, Springer, 2019, p. 33-65.
48. Joseph G. M et al., « Volcanic Suppression of Nile Summer Flooding Triggers
Revolt and Constrains Interstate Conflict in Ancient Egypt », Nature Communications, 8,
2017, https://doi.org/10.1038/s41467-017-00957-y.
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INTERDISCIPLINARITÉ
la stratosphère à la suite d’éruptions explosives entraîne des déséquilibres énergétiques à court terme affectant le système climatique : en modifiant la réflexion
des rayons du Soleil, de tels événements peuvent conduire non seulement à des
refroidissements intenses en surface, à l’échelle hémisphérique ou planétaire (c’est
ce mécanisme qui est responsable, au moins partiellement, des hivers rigoureux en
Irlande), mais aussi à des changements du cycle hydrologique. Les données instrumentales et la modélisation climatique suggèrent que les grandes éruptions tropicales tendent à faire baisser les précipitations globales moyennes (principalement
du fait d’un refroidissement qui réduit l’évaporation), tandis que les éruptions dans
des latitudes plus élevées de l’hémisphère nord peuvent également contribuer à
réduire le contraste thermique entre le nord et le sud, contraste qui entraîne la
migration vers le nord des vents de la mousson estivale porteurs d’humidité. C’est
un facteur clef pour la crue estivale du Nil, alimentée principalement par les pluies
de la mousson africaine sur les hauts plateaux éthiopiens. Avant la construction
de barrages, au e siècle, les pluies de la mousson déclenchaient la crue du Nil
à la hauteur d’Assouan, à la frontière sud de l’Égypte, à partir du début du mois
de juin. Les niveaux les plus élevés étaient atteints en août et en septembre et la
décrue s’amorçait en général à la fin du mois d’octobre, date à laquelle les semis
commençaient49.
La période ptolémaïque a été un tournant dans l’histoire de l’Égypte.
Elle coïncida avec l’émergence de nouveaux cadres politiques et économiques,
notamment l’établissement d’une nouvelle capitale à Alexandrie, rapidement
devenue l’un des plus grands centres urbains du monde méditerranéen. Le blé
à grain nu, relativement vulnérable à la sécheresse, était l’une des principales
cultures de l’Égypte à cette époque, adaptée au goût de l’élite grecque et destinée
à fournir un marché méditerranéen plus large50. De nouvelles institutions fiscales,
la diffusion de la monnaie, le développement des banques et le fermage des impôts
permirent à l’Égypte d’exercer un contrôle plus serré de sa productivité agricole
déjà fameuse, en autorisant l’État à extraire davantage de surplus de son territoire51. Des conflits majeurs entre l’Égypte et son principal rival, le royaume séleucide en Asie occidentale, dominèrent les relations interétatiques au cours des e
et e siècles av. J.-C.52. Généralement considérée comme le plus riche et le plus
accompli des États hellénistiques successeurs de l’empire d’Alexandre le Grand
(et correspondant également à la plus longue dynastie de l’histoire égyptienne),
49. Fekri A. H, « Historical Nile Floods and Their Implications for Climatic
Change », Science, 212, 1981, p. 1142-1145 ; Luke O et al., « High-Latitude Eruptions
Cast Shadow over the African Monsoon and the Flow of the Nile », Geophysical Research
Letters, 33-18, 2006, https://doi.org/10.1029/2006GL027665 ; Brian Z et Alan R,
« Winter Warming and Summer Monsoon Reduction after Volcanic Eruptions in Coupled
Model Intercomparison Project 5 (CMIP5) Simulations », Geophysical Research Letters,
43-20, 2016, p. 10920-10928.
50. Joseph G. M, The Last Pharaohs: Egypt Under the Ptolemies, 305-30 BC, Princeton,
Princeton University Press, 2010, p. 117-164.
51. Ibid.
52. John D. G, The Syrian Wars, Leyde, Brill, 2010.
39
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l’Égypte ptolémaïque connut des troubles croissants à la fin du e siècle av. J.-C. :
rongée par un désordre social intermittent mais grandissant et soumise à la pression
de Rome, alors en pleine expansion, elle devait aussi faire face à l’hostilité persistante de ses rivaux séleucides et à des tensions internes liées, au moins en partie,
à la croissance démographique.
Dans l’étude présentée ici (fig. 7), le lien entre l’histoire politique et économique de l’Égypte ptolémaïque et l’activité volcanique explosive a pu être établi
grâce, à la fois, à l’intégration de données sur le forçage volcanique fournies par des
carottes de glace, à l’utilisation de la modélisation climatique et à des preuves tirées
d’inscriptions et de papyrus anciens. Les auteurs ont commencé par comparer les
niveaux de la crue estivale, enregistrés principalement par le célèbre nilomètre de
l’île de Roda, près du Caire, avec les dates des éruptions volcaniques explosives,
obtenues à partir de l’étude de carottes de glace, entre 622 et 1902. Ils ont ainsi mis
en évidence une baisse persistante de la crue estivale après des éruptions tropicales
ou extratropicales. Cette corrélation est étayée par les données de sortie des modèles
climatiques, qui montrent que les principales éruptions du e siècle ont été suivies
par un assèchement du bassin-versant du Nil (fig. 7a et 7b). Afin de confirmer que
le même phénomène caractérisait la période ptolémaïque, des indicateurs qualitatifs extraits de papyrus et d’inscriptions ont été utilisés pour établir un classement
qualitatif de la crue annuelle sur une échelle ordinale53. Il en ressort bien que la
qualité de la crue tendait à être plus faible les années où se produisait une éruption.
On peut donc faire l’hypothèse d’un lien de causalité plausible entre les éruptions
et les événements historiques marquants de l’Égypte ptolémaïque.
Cette approche a également permis de comparer la chronologie des éruptions volcaniques répétées avec celle d’événements historiques récurrents, partant
de repérer des associations temporelles statistiquement significatives. En raison,
entre autres, de la qualité des sources documentaires égyptiennes, les grandes
incertitudes de datation susceptibles de faire obstacle à ce genre d’analyse ont
été réduites au minimum ; dans le même temps, l’histoire du forçage volcanique
a été précisée grâce à la synchronisation récente des données extraites à partir de
plusieurs carottes de glace54. Parmi les événements historiques récurrents aptes à la
datation, on compte notamment dix révoltes contre les souverains lagides55.
40
53. Ce classement a été adapté de Danielle B, Le fisc et le Nil. Incidences des
irrégularités de la crue du Nil sur la fiscalité foncière dans l’Égypte grecque et romaine, Paris,
Éd. Cujas, 1971.
54. Michael S et al., « Timing and Climate Forcing of Volcanic Eruptions for the Past
2,500 Years », Nature, 523-7562, 2015, p. 543-549 ; Matthew T et Michael S,
« Volcanic Stratospheric Sulfur Injections and Aerosol Optical Depth from 500 BCE to
1900 CE », Earth System Science Data, 9-2, 2017, p. 809-831.
55. Ces dix dates de révoltes (ou plus précisément, ces dates de débuts de révolte potentiels) ont été choisies par J. G. M et al., « Volcanic Suppression of Nile Summer
Flooding Triggers Revolt… », art. cit., d’après les travaux d’Anne-Emmanuelle V,
Les révoltes égyptiennes. Recherches sur les troubles intérieurs en Égypte du règne de Ptolémée III
à la conquête romaine, Louvain, Peeters, 2004.
41
Conséquences des éruptions volcaniques sur la crue du il
et sur le royaume ptolémaïque
Note : graphique a) : moyenne d’ensemble de la réponse des précipitations moins évaporation (P-E) à cinq éruptions volcaniques du XXe siècle dans les résultats du modèle
d’intercomparaison de modèles couplés 5 (CMIP5). La réponse est la moyenne P-E au cours de la première saison estivale (mai à octobre) contenant ou suivant l’éruption,
rapportée aux cinq étés précédant l’éruption. Seules les anomalies statistiquement significatives au niveau 5 % sont représentées. La zone délimitée en vert représente le bassin du
Nil. Graphique b) : moyennes des hauteurs annuelles de la crue estivale du Nil enregistrées au nilomètre islamique corrélées aux dates – estimées à partir de carottes glaciaires –
de 60 éruptions majeures entre 622 et 1902 apr. J.-C. (présentées sous forme d’écart par rapport à la moyenne des années sans éruption volcanique). L’écart moyen de la hauteur
de la crue pour les soixante années où une éruption s’est produite est représenté au point 0 sur l’axe horizontal ; les années 1 à 8 représentent l’écart moyen de la hauteur de la
crue pour chacune des huit années suivant l’éruption, et les années -1 à -8 l’écart moyen de la hauteur de la crue pour chacune des huit années précédant l’éruption. La zone
colorée indique l’intervalle de confiance bilatéral de 90 %, estimé à l’aide de la loi t de Student. Les hauteurs de la crue estivale du Nil sont en moyenne 22 cm plus basses les
années où une éruption s’est produite (p < 0,01). Graphique c) : dates de déclenchement des révoltes internes contre le pouvoir de la dynastie ptolémaïque corrélées aux dates de
16 éruptions volcaniques (représentées à l’année 0 sur l’axe horizontal ; les années 1 à 8 représentent les huit années suivant l’éruption et les années -1 à -8 les huit années précédant
l’éruption), à l’exclusion d’une période tampon de huit ans au début et à la fin de la période considérée, à savoir 305-30 av. J.-C. Les points indiquent des valeurs statistiquement
significatives, estimées à l’aide du test exact de Barnard. La ligne verte en pointillé représente le seuil de confiance de 95 %, également estimé à l’aide du test exact de Barnard.
Source : figures et légendes adaptées de Joseph G. MANNING et al., « Volcanic Suppression of Nile Summer Flooding Triggers Revolt and Constrains Interstate Conflict in
Ancient Egypt », Nature Communications, 8, 2017, https://doi.org/10.1038/s41467-017-00957-y.
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igure
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Or trois d’entre elles ont commencé au cours d’une année durant laquelle une
éruption s’est produite et cinq autres dans un délai de deux ans après une année
marquée par une éruption (fig. 7c). D’autres catégories d’événements peuvent être
considérées dans la même optique. Sur les neuf périodes durant lesquelles le conflit
entre l’Égypte ptolémaïque et le royaume séleucide a cessé, trois coïncident avec
une année ayant connu une éruption, deux autres se situent dans un délai de deux
ans après une éruption et une troisième dans un délai de trois ans ; par ailleurs,
deux des neuf décrets sacerdotaux ont été émis au cours d’une année marquée
par une éruption et un autre au cours de l’année suivant une éruption. Dernière
observation : la vente de terres héréditaires, dont on suppose depuis longtemps
qu’elle est le symptôme de difficultés économiques56, puisque les familles sont
normalement réticentes à se séparer de leurs propriétés, connaît en moyenne une
flambée pendant plusieurs années après les éruptions57.
Ce qui frappe, donc, c’est la coïncidence répétée entre un petit nombre
d’événements dont on connaît précisément la date : éruptions volcaniques, révoltes
internes et cessation (probablement liée) des campagnes militaires extérieures,
tentatives pour réaffirmer ou maintenir l’ordre politique par le biais de décrets
sacerdotaux promulgués au nom des souverains ptolémaïques et fréquence accrue
des ventes de terres58. Certes, on ne peut exclure que cette conjonction, aussi rapprochée soit-elle, ne soit rien de plus que le fruit du hasard. Néanmoins, la probabilité que l’association entre les dates des éruptions volcaniques et ces événements
soit purement aléatoire a été envisagée et elle se trouve être faible (de l’ordre de
5 %, voire considérablement moins, dans tous les cas)59.
Afin d’illustrer l’utilité des modèles statistiques pour saisir les interactions
entre climat et sociétés du passé, peut-être faut-il aller plus loin. Considérons
l’association observée entre le déclenchement des révoltes contre le pouvoir ptolémaïque, documenté par les papyrus, et les dates des éruptions volcaniques connues
grâce aux carottes de glace polaires. Cette corrélation, quelle que soit sa force,
n’exclut pas la possibilité qu’une éruption et une révolte se produisent parfois
durant la même année, de manière totalement fortuite. La question statistique qu’il
faut alors se poser est la suivante : le nombre de correspondances observées dans la
42
56. Joseph G. M, Land and Power in Ptolemaic Egypt: The Structure of Land Tenure,
Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
57. On a trouvé la trace de 84 ventes datées avec suffisamment de précision. Pour plus
de détails, voir J. G. M et al., « Volcanic Suppression of Nile Summer Flooding
Triggers Revolt… », art. cit.
58. En tenant compte de quelques incertitudes mineures concernant les dates de déclenchement des révoltes et des éruptions. Un essai avec une liste plus complète (bien
que potentiellement moins précise) de possibles déclenchements de révoltes a été
effectué et il a été constaté qu’une association statistiquement significative s’observait
encore. Voir Francis L et Joseph G. M, « Revolts under the Ptolemies:
A Paleoclimatological Perspective », in J. J. C et J. G. M (dir.), Revolt and
Resistance in the Ancient Classical World and the Near East: The Crucible of Empire, Leyde,
Brill, 2016, p. 154-171.
59. J. G. M et al., « Volcanic Suppression of Nile Summer Flooding Triggers
Revolt… », art. cit.
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réalité est-il inhabituel ? Pour répondre à cette interrogation, il suffit d’élaborer un
modèle probabiliste permettant de calculer le nombre de correspondances auquel
on pourrait s’attendre s’il n’y avait pas de réelle association entre ces événements.
Les auteurs de l’étude ont donc procédé à des « simulations » qui ont réattribué, de
manière randomisée, une nouvelle date à chaque éruption entre 305 et 30 av. J.-C.
et compté le nombre de correspondances entre le déclenchement des révoltes et
les dates réattribuées aux éruptions, en répétant ce processus un million de fois afin
de produire une répartition de référence aléatoire60. Puisque le nombre de correspondances observées dans la réalité excède le nombre de correspondances dans
98 % de ces simulations, on peut en conclure qu’il y a une probabilité supérieure
à 98 % qu’une association réelle existe entre le déclenchement des révoltes et les
éruptions volcaniques : en d’autres termes, l’association ne tient pas du hasard et
la correspondance observée est « statistiquement significative » à un niveau de
confiance de 98 %.
Ce test permet aux auteurs de l’étude d’affirmer l’existence d’un lien causal
entre les éruptions volcaniques et le déclenchement des révoltes. Ils reconstituent à
partir de là une chaîne de conséquences qui pourrait s’énoncer de la sorte : l’activité
volcanique a eu une incidence hydroclimatique démontrable sur le Nil ; ces variations de la crue ont influé sur la productivité agricole égyptienne ; la baisse significative des rendements des cultures aurait provoqué des pénuries alimentaires,
des hausses de prix, la crainte de famines, des difficultés à s’acquitter des impôts
levés par l’État, un abandon des terres et une migration des populations vers les
centres urbains pour y trouver de l’aide ; ces bouleversements ont alors pu conduire
à des révoltes, en particulier lorsque le contexte général – notamment les tensions
ethniques continues entre les Égyptiens natifs et les élites grecques, mais aussi les
mobilisations militaires coûteuses – aggravait une situation déjà tendue61. Reste à
acquérir une compréhension plus fine de ce contexte, qui a certainement connu des
fluctuations au cours des trois siècles (ou presque) de domination lagide.
D’autres enchaînements causaux liant les éruptions aux révoltes sont également envisageables, selon que les premières sont considérées comme la cause
directe ou indirecte des secondes. Les éruptions pourraient, par exemple, avoir
déstabilisé la société égyptienne en provoquant un brusque refroidissement, entraînant une diminution des récoltes et une hausse de la mortalité animale. Une autre
hypothèse est encore possible : en voilant ou en modifiant le rayonnement solaire,
les éruptions auraient conduit à des désordres nourris par des interprétations religieuses locales – la poussière volcanique en suspension pouvant être interprétée
comme un signe de la colère divine. Par ailleurs, ces liens de causalité variaient en
intensité en fonction des interventions humaines qui tantôt les atténuaient, tantôt
les renforçaient. Ainsi, l’aggravation des tensions sociales provoquée par la baisse
des rendements agricoles pouvait être limitée par des baisses d’impôts, l’imposition
60. Ibid., p. 7.
61. Ces conditions, qui peuvent également être considérées comme apportant une contribution « causale », ont pour effet de rendre l’association entre l’activité volcanique explosive
et les révoltes « causale de manière probabiliste » plutôt que « de manière déterministe ».
43
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de prix plafonds pour les denrées alimentaires, des interdictions d’exporter, des
greniers d’État ou encore par l’importation en urgence de céréales. C’est d’ailleurs
pourquoi tous les événements volcaniques survenus durant la période ptolémaïque
ne sont pas associés à une révolte : l’Égypte lagide est manifestement parvenue à
résister à certains chocs hydroclimatiques causés par les éruptions.
Les désordres sociaux de la période se caractérisent par de fortes variations
en intensité, en durée et en étendue. Parmi les épisodes de révolte identifiés, certains semblent avoir concerné toute l’Égypte et duré une vingtaine d’années, alors
que d’autres apparaissent comme plus brefs et localisés. Or cette variabilité ne saurait être appréhendée avec un modèle explicatif trop simple, faisant des révoltes
la conséquence mécanique des chocs climatiques. Faut-il alors essayer de corréler
l’intensité des révoltes avec la sévérité des événements climatiques ? Certaines
éruptions se traduisaient seulement par des troubles ponctuels et locaux de la crue
du Nil, tandis que d’autres entraînaient des années de sécheresse affectant toute
la vallée du fleuve et déclenchaient des famines aiguës. L’ampleur des troubles
aurait varié en fonction du dérèglement climatique. Toutefois, l’analyse de la documentation écrite invite à compliquer ce scénario : des défaillances de la crue assez
localisées ont ainsi pu causer un sentiment de panique et d’appréhension parmi les
habitants qui se souvenaient des précédentes crises, comme l’atteste le décret de
Canope de 238 av. J.-C.62. Dans les deux cas, on peut faire l’hypothèse que le stress
résultant de la défaillance de la crue a agi comme un facteur amplificateur des tensions ethniques existantes dans certaines régions d’Égypte63. Il reste par conséquent
un important travail de fond à réaliser sur les sources historiques pour compléter les
approches historico-statistiques et approfondir leur interprétation. En revenant aux
documents, les historiens peuvent affiner leur compréhension des révoltes égyptiennes, indépendamment des données paléoclimatiques. Ils peuvent également
examiner leur extension géographique – la topographie pouvant jouer un rôle dans
le degré de vulnérabilité d’une région donnée face à la baisse de la crue du Nil – et
les ventiler en différentes catégories afin de mettre en évidence des associations
plus précises entre événements historiques et chocs hydroclimatiques.
Les approches illustrées par les études sur l’Irlande et sur l’Égypte restent
relativement rares dans l’ensemble du domaine de l’histoire environnementale64.
Ce genre d’enquête est pourtant riche de potentialités compte tenu de l’attention
croissante portée à la construction de données quantitatives et aux méthodes
44
62. Stefan P, Das Dekret von Kanopos (238 v. Chr.). Kommentar und historische
Auswertung eines dreisprachigen Synodaldekretes der ägyptischen Priester zu Ehren Ptolemaios’ III.
und seiner Familie, Munich, K. G. Saur, 2004.
63. F. L et J. G. M, « Revolts under the Ptolemies », art. cit.
64. Pour des aperçus récents d’études sur le lien entre climat et société prenant également en compte les préoccupations au sujet du déterminisme environnemental et
des approches quantitatives et statistiques, voir Bas J. P. B et al., « Climate and
Society in Long-Term Perspective: Opportunities and Pitfalls in the Use of Historical
Datasets », WIREs Climate Change, 10-6, 2019, https://doi.org/10.1002/wcc.611 ; Fredrik
C L, Andrea S et Heli H, « Climate and Society in
European History », WIREs Climate Change, 12-2, 2021, https://doi.org/10.1002/wcc.691.
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spécialisées permettant de les analyser ; il ouvre donc le champ à des modes de
raisonnement réservés jusqu’à maintenant aux sciences sociales et appliqués à des
sociétés contemporaines aux données abondantes. Certes, ces approches ont leurs
limites et soulèvent des interrogations. Comme Aryn Martin et Michael Lynch
l’ont fait remarquer, « bien que ce soit un exercice simple lorsqu’on l’envisage de
manière abstraite, dans certains cas, compter peut être compliqué, discutable et
porter à conséquence sur le plan social. Les jugements catégoriels déterminent
ce qui compte comme cas éligible, exemple ou donnée, et ces catégories peuvent
être source de difficultés et controversées65 ». Dans le domaine de la climatologie
historique, la catégorisation et la quantification d’informations historiques (en particulier qualitatives) sont réductrices par essence66. Le codage d’événements ou
de phénomènes (qu’il s’agisse d’une sécheresse ou d’une famine, par exemple)
en fonction de catégories rigides, incapables d’englober toutes leurs dimensions,
s’accompagne forcément d’une perte de nuance et de contexte67.
Il n’existe aucun moyen de saisir parfaitement le contenu pertinent de
sources écrites complexes. C’est pourquoi, même si les preuves écrites ne sont
pas forcément quantifiables, on peut légitimement employer cette approche pour
« faire parler » un texte, à condition de prendre en compte le contexte de création
de la source pour étayer des analyses quantitatives. Comme le montrent les études
consacrées à l’Irlande et à l’Égypte, cette approche présente des avantages bien
réels. Pour en tirer pleinement parti, il est nécessaire de faire preuve d’une certaine
ouverture d’esprit, afin d’apprécier aussi bien ses potentialités que ses limites, et
d’avoir conscience qu’elle complète d’autres approches historiques plus établies
plutôt qu’elle ne les concurrence68.
65. Aryn M et Michael L, « Counting Things and People: The Practices and
Politics of Counting », Social Problems, 56-2, 2009, p. 243-266, ici p. 243 (les auteurs
soulignent).
66. Ce problème dépasse la climatologie historique. Par exemple, dans le contexte de la
prolifération de l’histoire sérielle (ou histoire quantitative) dans l’historiographie française
du e siècle, plusieurs figures majeures du mouvement ont souligné « l’impossibilité
de conclure ». C’est le cas de Bernard Lepetit, qui employait cette expression dans un
article de synthèse, paru en 1989, où il se référait à des historiens « quantitatifs », comme
François Furet, ayant dressé le même constat deux décennies plus tôt : Bernard L,
« L’histoire quantitative. Deux ou trois choses que je sais d’elle », Histoire & mesure, 4-3/4,
1989, p. 191-199, ici p. 193. Cette observation rappelle les critiques, plus récentes, adressées
à l’approche « cliométrique » en histoire économique (c’est-à-dire se cantonnant à l’analyse
des données quantitatives du passé) : Francesco B, The Poverty of Clio: Resurrecting
Economic History, Princeton, Princeton University Press, 2011. En effet, les cliométriciens
ont été accusés de ne pas être concluants et parfois de « plaquer » des théories élaborées
a priori sur les preuves historiques avant d’analyser les données elles-mêmes.
67. Il est quelquefois difficile de savoir quand un phénomène doit être considéré comme
un « événement », par opposition à un « processus », et cela influe sur la manière de
catégoriser et de quantifier le phénomène en question.
68. Pour un exemple de cette complémentarité entre la cliométrie et l’histoire économique,
voir Joshua L. R, « The Good of Counting », in J. L. R (dir.),
Quantitative Economic History: The Good of Counting, Londres, Routledge, 2008, p. 1-7, ici p. 2.
45
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Réinterpréter les sources te tuelles
des données scientifiques
la lumi re
Les deux types de pratiques interdisciplinaires décrits ci-dessus ont en commun
d’avoir été appliqués à des situations dans lesquelles les données issues des sciences
naturelles pouvaient, d’une manière ou d’une autre, bénéficier de l’apport de
sources textuelles ou matérielles, habituellement réservées aux historiens. Les deux
approches diffèrent cependant par leur manière d’appliquer des méthodes quantitatives et d’organiser leur raisonnement en conséquence. Reste maintenant à
examiner la démarche intellectuelle symétrique, c’est-à-dire lorsque les sources
textuelles conservent un rôle prééminent mais voient leur interprétation influencée par les données scientifiques. Le premier exemple concerne l’Italie à la fin
de l’Antiquité et a trait aux sources littéraires ; le second s’intéresse à la Pologne
à l’époque médiévale et repose sur une documentation économique et juridique.
Nous constaterons que, dans les deux cas, les nouvelles données paléoclimatiques
ou paléoécologiques disponibles ont amélioré notre compréhension de certaines
sources écrites que les historiens utilisaient pourtant depuis très longtemps.
Commençons par l’Antiquité tardive et le cas italien. Dans les années 1980,
des scientifiques ont mis en relation des archives naturelles enregistrant une puissante éruption volcanique au milieu du e siècle avec des sources écrites à la même
époque évoquant apparemment l’obscurcissement atmosphérique qui s’en est
ensuivi69. Selon certains, la dépression climatique associée à l’éruption, désignée
comme l’« événement de 536 » (date à laquelle les répercussions ont commencé
à se faire sentir), a eu un effet considérable sur les sociétés de tout l’hémisphère
nord70. Les informations fournies par certaines données environnementales indirectes, notamment des analyses de carottes de glace polaires et de longues séries
dendroclimatologiques, ont alimenté un flux régulier d’études revisitant et réinterprétant les sources textuelles et archéologiques à la lumière de ces nouveaux
46
69. Voir Richard B. S et Michael R. R, « Volcanic Eruptions in the
Mediterranean before AD 630 from Written and Archaeological Sources », Journal of
Geophysical Research, 88-B8, 1983, p. 6357-6371. Les auteurs ont rassemblé et recontextualisé des textes de quatre auteurs de la Méditerranée antique tardive qui ont tous évoqué,
de manière accessoire, des dérèglements climatiques et météorologiques étranges ; une
fois rapprochées, ces références ont permis d’inférer une puissante éruption volcanique.
Les traces d’un refroidissement post-éruption dans les données dendrologiques ont été
trouvées par M. G. L. B, « Dendrochronology Raises Questions about the Nature
of the AD 536 Dust-Veil Event », The Holocene, 4-2, 1994, p. 212-217. Des différences
de datation apparentes ont été résolues dans M. S et al., « Timing and Climate
Forcing of Volcanic Eruptions… », art. cit. Pour une synthèse récente, voir T. P. N,
« The Climate Downturn of 536-50 », art. cit., p. 452- 463.
70. Ce point suscite une controverse : voir Joel D. G (dir.), The Years without Summer:
Tracing A.D. 536 and Its Aftermath, Oxford, Archaeopress, 2000 ; U. B et al.,
« Cooling and Societal Change during the Late Antique Little Ice Age… », art. cit. ;
Kyle H, The Fate of Rome: Climate, Disease, and the End of an Empire, Princeton,
Princeton University Press, 2017.
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indicateurs71. De la même façon, des textes historiques disparates ont été collationnés pour documenter un événement climatique, à propos duquel les paléosciences
apportent un éclairage contextuel supplémentaire.
De façon significative, les débats autour des répercussions de l’éruption
– leur portée et leur ampleur – ont été tranchés en se fondant presque exclusivement sur les preuves paléoscientifiques72. Les sources textuelles n’ont pas
bénéficié de la même attention73. Pourtant, la lecture attentive d’un document
célèbre vient sensiblement modifier le cadre narratif associé à l’événement, tout
en restant compatible avec les réalités climatiques connues par l’apport des autres
disciplines. C’est à l’homme politique latin Cassiodore (v. 485-v. 580) que l’on
doit la plus riche description de l’événement 536, conservée dans ses Variae, qui
rassemblent sa correspondance alors qu’il se trouvait au service de la monarchie
ostrogoth, à la tête du pays entre 493 et 55374. À première vue, les lettres corroborent une interprétation catastrophiste. On y apprend que le Soleil n’a plus sa
luminosité habituelle et que les températures ont été fraîches pendant près d’une
année75. Le cycle des saisons lui-même a été bouleversé : « nous avons eu un hiver
sans orages, un printemps sans temps mitigé, un été sans vagues de chaleur76 »,
explique l’auteur. Comprenant que les cultures ne pousseront pas dans ces conditions, Cassiodore ordonne l’ouverture de greniers d’État pour écarter le risque
d’une famine imminente77.
Si le texte semble refléter le pouvoir implacable du climat sur la société prémoderne, il faut se garder de le prendre au pied de la lettre. Dans la longue liste des
désastres environnementaux que l’on trouve dans les écrits de Cassiodore, certains
71. R. B. S et M. R. R, « Volcanic Eruptions in the Mediterranean before
AD 630… », art. cit. Pour une perspective globale sur l’éruption, du Yucatán à la Chine,
voir les articles rassemblés dans J. D. G, The Years without Summer, op. cit. : sans le
cadre volcanique, rien ne relierait des sujets aussi disparates que l’épistolographie romaine
et l’hydraulique maya. Pour une discussion sur le contexte climatique et philosophique
du récit par Cassiodore de l’événement de 536, voir K. H, The Fate of Rome, op. cit.,
p. 251-252 ; pour une discussion plus générale sur l’événement, ibid., p. 249-259. La
bibliographie sur l’événement de 536 est importante et s’enrichit régulièrement : voir
les travaux récents de K. Harper et de T. P. Newfield pour davantage de références.
72. Samuli H, Phil D. J et Keith R. B, « Dark Ages Cold Period:
A Literature Review and Directions for Future Research », The Holocene, 27-10, 2017,
p. 1600-1606 ; Samuli H, Phil D. J et Keith R. B, « Limited Late Antique
Cooling », Nature Geoscience, 10- 4, 2017, p. 242-243 ; J. H et al., « Plagues, Climate
Change, and the End of an Empire », art. cit.
73. Pour une exception, voir Antti A, « The Mystery Cloud of 536 CE in the
Mediterranean Sources », Dumbarton Oaks Papers, 59, 2005, p. 73-94.
74. C, Variae, XII, 25 ; pour une traduction en anglais, voir C,
The Variae: The Complete Translation, trad. par M. S. Bjornlie, Oakland, University of
California Press, 2019, p. 493- 495. Sur le contexte historique et littéraire, voir M. Shane
B, Politics and Tradition between Rome, Ravenna and Constantinople: A Study of
Cassiodorus and the Variae, 527-554, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
75. C, Variae, XII, 25, 2.
76. C, Variae, XII, 25, 3 ; C, The Variae, op. cit., p. 494.
77. C, Variae, XII, 25, 6.
47
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A. IZDEBSKI ET AL.
sont tirés de récits antérieurs d’anomalies similaires. En observant que l’étrange
nuage a duré « pendant presque toute une année », l’écrivain reprend en fait mot
pour mot une expression de Pline l’Ancien, qui relate le seul autre exemple documenté d’une atténuation prolongée du rayonnement solaire78, en 43 av. J.-C., peu
de temps après l’assassinat de Jules César79. Un autre élément de la description
catastrophiste de Cassiodore – comment « l’air chargé de neige […] bloque la chaleur du soleil et détourne la vue de la faiblesse humaine80 » – s’inspire librement
d’un autre récit fort célèbre, la Vie de César, où Plutarque évoque le passage d’une
comète après la mort de César : « […] puis l’obscurcissement de la lumière du
soleil. Car, pendant toute cette année, le disque solaire fut pâle : il n’avait pas de
rayonnement à son lever, et la chaleur qui en émanait était faible et languissante ;
aussi l’air restait-il épais et lourd, faute d’une température assez élevée pour le
raréfier81 ». Que de telles allusions intertextuelles aient été des sortes de tropes
dans la littérature latine doit nous mettre en garde contre la tentation de les utiliser
comme des preuves directes.
Dans ces conditions, évaluer avec précision les répercussions de l’éruption
de 536 sur le climat et la société en Italie s’apparente à une mission impossible ; il
faut se contenter d’une observation générale : des dérèglements environnementaux ont été identifiés à cette date. Les reconstitutions des événements et des
processus climatiques du passé doivent être appréciés à l’aide de preuves scientifiques. Le recours à des textes historiques, en particulier ceux qui accordent une
grande place à la rhétorique et à l’artifice, est une entreprise à hauts risques, car
ces écrits précisent rarement la durée, la portée et l’intensité des phénomènes
qu’ils décrivent. Cependant, l’interprétation de ces textes se trouve enrichie grâce
à des informations que seules les paléosciences peuvent apporter. Dans la lettre
de Cassiodore, les références intertextuelles traduisent en réalité un effort pour
transformer un événement sans précédent en un fait compréhensible, à travers
l’utilisation d’un cadre familier puisé dans la culture littéraire romaine. Pour le
moment, la nouvelle recherche interdisciplinaire s’est essentiellement attachée
à comprendre l’effet du climat sur les populations humaines. Or il importe de
48
78. C, Variae, XII, 25, 2 ; C, The Variae, op. cit., p. 494. P ’A,
Histoire naturelle, II, 98. La même expression se retrouve en latin chez Cassiodore (Quod
non eclipsis momentaneo defectu, sed totius paene anni agi niholiminus constat excursu) et Pline
(Fiunt prodigiosi et longiores solis defectus, qualis occiso dictatore Caesare et Antoniano bello
totius paene anni pallore continuo).
79. Sur la comète de César, voir John T. R et A. Lewis L, The Comet of 44 B.C.
and Caesar’s Funeral Games, Atlanta, Scholars Press, 1997. À l’image de l’événement
de 536, les dérèglements climatiques constatés en 43 av. J.-C résultaient probablement
d’une éruption volcanique, possiblement celle du volcan Okmok situé en Alaska, dans
les îles Aléoutiennes : voir Joseph R. MC et al., « Extreme Climate after Massive
Eruption of Alaska’s Okmok Volcano in 43 BCE and Effects on the Late Roman Republic
and Ptolemaic Kingdom », Proceedings of the National Academy of Sciences, 117-27, 2020,
p. 15443-15449.
80. C, Variae, XII, 25, 5 ; C, The Variae, op. cit., p. 494.
81. P, César, LXIX, 4 ; traduction française tirée de P, Vies parallèles,
trad. par B. Latzarus, t. 4, Paris, Classiques Garnier, 1950, p. 276.
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INTERDISCIPLINARITÉ
se demander comment les auteurs anciens ont parlé du climat, et l’étude des
sources littéraires constitue probablement l’un des meilleurs moyens d’envisager
cette question.
Le second exemple tend à aboutir aux mêmes conclusions à partir de l’examen de sources documentaires, a priori exemptes, pour une large part, de l’intertextualité qui caractérise (et parfois fausse) les sources littéraires. Déplaçons-nous
cette fois en Grande-Pologne (Wielkopolska), berceau de l’État polonais instauré
dans la seconde moitié du e siècle. Pendant des siècles, cette région a été l’une
des plus peuplées, des plus développées et des plus riches du pays. L’histoire
économique de la Grande-Pologne (et de la Pologne en général) a fait l’objet de
nombreuses études, notamment sur le début de l’époque moderne. Néanmoins, le
nombre limité de traces écrites représente un obstacle de taille. Les sources administratives, tels les registres fiscaux ou les inventaires des propriétés, ne sont en effet
apparues qu’au e siècle. La documentation disponible sur le haut Moyen Âge
est encore plus limitée : il existe bien un inventaire des fouilles archéologiques
d’objets du début de la période médiévale en Grande-Pologne, mais il concerne
surtout les centres proto-urbains, alors que les activités économiques dominantes
de la région étaient l’agriculture et l’élevage82.
Pour reconstituer le réseau des établissements ruraux et l’état de l’économie rurale à l’époque médiévale, les historiens ont fait appel à une documentation spécifique : les « privilèges de location ». Ces textes, qui consignaient
les règles gouvernant les relations entre propriétaires et paysans, apparaissent
au e siècle, au début de la colonisation allemande en Grande-Pologne83.
Des recherches récentes ont établi que le e siècle constitue à cet égard une
période clef puisque des chartes de l’époque recensent une augmentation significative de nombre de villages déjà existants ou nouvellement établis84. Par conséquent, c’est devenu un lieu commun d’affirmer que le réseau de villages en
Grande-Pologne – toujours discernable aujourd’hui dans certaines zones, avec sa
disposition régulière de champs et de maisons – résulte de changements intervenus au cours des e et e siècles85. Des villages furent alors transférés au
droit allemand ; parallèlement, les techniques agricoles se modernisaient dans les
exploitations environnantes.
82. Archaeologiczne Zdje˛ie Polski, http://www.nid.pl ; Ryszard M, Metodyka
archeologicznych badań powierzchniowych, Varsovie, Państ. Wydaw. Naukowe, 1980.
83. Jan M. P, « The Medieval Colonization of Central Europe as a Problem of
World History and Historiography », in N. B (dir.), The Expansion of Central Europe
in the Middle Ages, Londres, Routledge, 2017, p. 215-236.
84. Teodor T, Pocza˛tki kolonizacji wiejskiej na prawie niemieckim w Wielkopolsce (12001333), Poznań, Drukiem K. Miarki, 1924 ; Konstanty Jan H, Zmiany krajobrazu i rozwój osadnictwa w Wielkopolsce od XIV do XIX wieku, Lviv, Kasa im. Rektora
J. Mianowskiego, 1932 ; Karol Sń, « Wsie na prawie niemieckim w Wielkopolsce
w latach 1333-1370 », Roczniki Historyczne, 37, 1971, p. 1-36.
85. Antoni G, « Krajobraz naturalny i rozwój osadnictwa. Organizacja społeczna
i rozwój gospodarstwa wiejskiego », in J. T (dir.), Historia Wielkopolski do roku 1795,
Poznań, Wydawnictwo Poznańskie, 1969, p. 254-261, ici p. 256.
49
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A. IZDEBSKI ET AL.
Toutefois, bien que ces privilèges de location aient créé une sorte de réalité
juridique, ils ne représentent rien de plus qu’un plan ou une intention d’établir un
nouveau village ou de moderniser un village existant. Ils ne prouvent nullement
que ces plans aient été mis en œuvre, immédiatement ou même plus tard86. De plus,
ces textes ne documentent pas la chronologie de l’évolution démographique et
économique d’un village ni les moments de crise : ils se contentent de recenser
les actes juridiques pertinents. Ces limites, inhérentes à la typologie documentaire conservée, peuvent néanmoins être contournées en recourant à des archives
environnementales et en menant des recherches historico-environnementales
conjointes.
Un projet récent sur la Grande-Pologne, associant histoire et paléoécologie, a
pris la forme de micro-études, comprenant une recherche paléoécologique multiindicateurs conduite à partir de matériaux extraits de tourbières de la région87.
En mettant l’accent sur des moments charnières de son histoire politique et économique, en mêlant archives historiques et environnementales et en recourant à des
méthodes propres aussi bien aux sciences humaines qu’aux sciences de la nature,
cette recherche a modifié notre compréhension du déroulement de la colonisation
de la région à la fin de la période médiévale. La fréquence des dates radiocarbones
obtenues (plus d’une par siècle) a permis en particulier de mieux saisir la dynamique coloniale. Après analyse des données environnementales, la transition vers
le droit allemand évoqué dans les sources écrites apparaît ainsi moins rapide que
les historiens l’avaient affirmé auparavant et, également, décalée dans le temps.
Les données palynologiques témoignent non seulement d’une déforestation graduelle, mais aussi d’une hausse, tout aussi graduelle, de la proportion des pollens
issus de plantes cultivées, en particulier des céréales (fig. 8).
La tourbière de Kazanie dans le centre de la Grande-Pologne est un bon
exemple de ce développement lent et progressif. Bien que la plupart des sites
ruraux environnants aient été établis ou réorganisés conformément au droit allemand aux e et e siècles, ce n’est qu’à partir du e siècle que l’on observe
une augmentation significative de l’activité économique humaine induite par le
développement de l’agriculture. C’est à ce moment-là que la population a augmenté notablement et que les techniques agricoles ont probablement été modernisées, avec l’introduction de l’assolement triennal et d’outils plus avancés, tels
que la charrue et la herse en fer, ainsi que la mise en place d’un nouveau schéma
d’organisation des champs. La part des pollens issus de céréales dans les échantillons collectés pour l’étude n’a dépassé 1 % de manière permanente qu’à la fin
du e siècle, avant de progresser tout au long du e siècle, pour atteindre 3 %.
Ces relevés impliquent que la colonisation débutée aux e et e siècles ne
50
86. Stanisław Kś, Przywileje prawa niemieckiego miast i wsi małopolskich XIV-XV wieku,
Wrocław, Instytut Historii Polskiej Akademii Nauk, 1971, p. 111.
87. Sambor Cń et al., « Environmental Implications of Past Socioeconomic
Events in Greater Poland during the Last 1200 Years: Synthesis of Paleoecological
and Historical Data », Quaternary Science Reviews, 259, 2021, https://doi.org/10.1016/j.
quascirev.2021.106902.
INTERDISCIPLINARITÉ
igure
éveloppement des établissements rurau en
rande- ologne
Part en % des pollens
issus de céréales dans
la tourbière de Kazanie
3
2
1
0
Nombre de nouveaux
établissements autour de
la tourbière de Kazanie
4
3
2
1
0
Nombre de nouveaux
établissements
en Grande-Pologne
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600
300
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0
15
t1
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1
1
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-1
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55
1
Note : le graphique du haut a été élaboré à partir des données palynologiques, ceux du milieu et du bas à partir des
données des chartes de privilèges de location. Le graphique du milieu reflète le voisinage immédiat du site montré
dans le graphique supérieur, c’est-à-dire la tourbière de Kazanie, près de Pobiedziska, en Grande-Pologne ; le
graphique du bas correspond aux données pour toute la région.
Source : adapté de Jan HŁADYŁOWICZ, Zmiany krajobrazu i rozwój osadnictwa w Wielkopolsce od do
wieku, Lviv, Kasa im. Rektora J. Mianowskiego, 1932, p. 109-227 ; Sambor CZERWIŃSKI et al., « Znaczenie
wspólnych badań historycznych i paleoekologicznych nad wpływem człowieka na środowisko. Przykład ze stanowiska
Kazanie we wschodniej Wielkopolsce », Studia Geohistorica, 7, 2019, p. 59, 63 ; Sambor CZERWIŃSKI et al.,
« Environmental Implications of Past Socioeconomic Events in Greater Poland during the Last 1200 Years:
Synthesis of Paleoecological and Historical Data », Quaternary Science Reviews, 259, 2021, https://doi.
org/10.1016/j.quascirev.2021.106902, p. 8.
51
A. IZDEBSKI ET AL.
concernait pas des groupes de population importants. Les villages modernisés ou
nouvellement implantés étaient relativement petits et leur potentiel économique
et démographique ne s’est développé que lentement, sur une longue période,
avant d’atteindre un pic au e siècle88.
L’ajout de sources environnementales conduit donc à réviser, de manière
non négligeable, la vision historiographique traditionnelle de la colonisation allemande : alimentée dans une large mesure par la croissance démographique naturelle, l’expansion rurale fut graduelle en Grande-Pologne. Comme pour les textes
littéraires latins discutés plus haut, l’incorporation de données produites par les
sciences naturelles mène soit à une interprétation complètement nouvelle des
sources textuelles, soit à l’accréditation d’une hypothèse existante aux dépens
d’autres – dont certaines, élaborées pendant des décennies, ont longtemps eu cours
dans la recherche historique traditionnelle. Avec la précision et la pluralité croissantes des données paléoscientifiques, il devient désormais envisageable d’accéder
à une compréhension plus exhaustive et plus solide du passé. L’ambition de cet
article est d’aider à catalyser et à faciliter ce processus89.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
Élaborer des récits historiques dans des environnements
interdisciplinaires
Dans sa monographie parue en 1967, Histoire du climat depuis l’an mil, E. Le Roy
Ladurie concluait que, sur le long terme, les conséquences du climat sur les humains
semblaient minimes et difficiles à détecter90. Aujourd’hui, après cinquante ans de
recherche, cette opinion apparaît comme exagérément sceptique, à tout le moins
réductrice, pour ne pas dire solipsiste. En réalité, E. Le Roy Ladurie se méfiait des
interprétations simplistes qui auraient pu être tirées de son livre. Près de trente-cinq
ans plus tard, alors que la crise climatique mondiale poussait le grand public et les
chercheurs à s’intéresser à nouveau au rôle du climat dans les affaires humaines, l’historien français proposa des conclusions bien différentes : dans les trois volumes de
son Histoire humaine et comparée du climat, parue en 2004, il n’hésitait plus à souligner
le rôle de la variabilité climatique dans l’histoire humaine91. D’une certaine façon,
52
88. S. Cń et al., « Environmental Implications of Past Socioeconomic Events… »,
art. cit. Il faut noter que la même équipe de recherche a démontré qu’une colonisation à grande échelle aux retombées écologiques importantes pouvait avoir eu lieu en
l’espace d’une génération dans des circonstances particulières, lorsque les capacités
financières et institutionnelles existaient : voir Mariusz L et al., « How
Joannites’ Economy Eradicated Primeval Forest and Created Anthroecosystems
in Medieval Central Europe », Scientific Reports, 10-1, 2020, https://doi.org/10.1038/
s41598-020-75692-4.
89. Pour un autre exemple récent d’une approche similaire, voir Martin B, « Die
Magdalenenflut 1342 am Schnittpunkt von Umwelt- und Infrastrukturgeschichte »,
NTM Zeitschrift für Geschichte der Wissenschaften, Technik und Medizin, 27-3, 2019, p. 273-309.
90. E. L R L, Histoire du climat depuis l’an mil, op. cit.
91. Id., Histoire humaine et comparée du climat, Paris, Fayard, 3 vol., 2004-2009.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
INTERDISCIPLINARITÉ
il s’agissait là d’un retour à des positions défendues par la génération d’historiens
actifs pendant les premières décennies du e siècle, tels Ellsworth Huntington aux
États-Unis ou Franciszek Bujak en Pologne92. Plus généralement, ces revirements
révèlent en creux les tensions auxquelles sont soumis les historiens qui prennent
le parti de décrire les aspects « naturels » de l’histoire : il est facile de les assigner,
même contre leur gré, à de grands récits idéologiques prédéterminés.
Dans la plupart des études sur le climat, le métarécit qui s’impose dépend
souvent de la discipline – des sciences humaines ou des sciences de la nature –
surplombante dans l’analyse93. Pour comprendre les luttes qui se jouent autour de
la définition d’un métarécit légitime, il est utile d’aborder brièvement les principaux tropes rhétoriques qui dominent le champ émergent de l’histoire environnementale interdisciplinaire – au sens d’Hayden White, à savoir la métaphore, la
métonymie, la synecdoque et l’ironie94. Jusqu’à récemment, le catastrophisme et
le déterminisme faisaient office de figures rhétoriques majeures dans l’histoire du
changement climatique. Leur représentation réductrice tenait de la métonymie :
fondés sur une cause unique et des arguments mécanistes, ces récits s’organisaient
selon une intrigue tragique. De telles narrations ont bien souvent pour objectif
de remuer les consciences de leurs lecteurs et de les encourager à agir95. C’est
pourquoi, même s’ils peuvent être trompeurs en ordonnant le passé selon une
trame rigide et en se focalisant sur une fin inéluctable, le catastrophisme et le
déterminisme ne sont pas sans intérêt. Ils peuvent être déployés dans des narrations historiques afin de susciter l’action, et c’est sans surprise que ces métarécits
tendent à dominer dans les histoires dont les auteurs appartiennent aux disciplines
des sciences de la nature : ces derniers ne sont-ils pas les plus conscients des changements climatiques en cours et de la gravité de la crise environnementale dans
laquelle nous sommes entrés96 ?
Bien entendu, l’usage métonymique du catastrophisme n’est que l’un des
nombreux tropes à la disposition des historiens du climat (H. White en décrit
quatre, tout en soulignant qu’il en existe probablement davantage). C’est pourquoi
un champ parvenu à maturité comme l’histoire environnementale ne devrait pas se
limiter à un seul trope, un seul arc narratif, pour raconter le passé. Aujourd’hui, un
92. Ellsworth H, Civilization and Climate, New Haven, Yale University Press,
[1915] 1924 ; Franciszek B, Nauka, społeczeństwo, historia, Varsovie, Państ. Wydaw.
Naukowe, 1976.
93. Voir à ce sujet Adam I et al., « Realising Consilience: How Better
Communication between Archaeologists, Historians and Natural Scientists Can Transform
the Study of Past Climate Change in the Mediterranean », Quaternary Science Reviews,
136, 2016, p. 5-22.
94. Hayden W, Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe,
Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1973.
95. Ibid.
96. Bien entendu, ces approches ont désormais droit de cité dans la discipline historique
et suscitent une attention considérable de la part du grand public. Voir en particulier
Ronnie E, The Collapse of the Eastern Mediterranean: Climate Change and the
Decline of the East, 950-1072, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, et K. H,
The Fate of Rome, op. cit.
53
A. IZDEBSKI ET AL.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
métarécit alternatif a ainsi le vent en poupe : la « résilience ». Ce discours d’escorte
tient de l’ironie, si ce n’est de la synecdoque. Celle-ci se caractérise par un mode
de présentation qui tend à prendre la partie pour le tout (les récits de résilience
ayant pour objectif de présenter des perspectives holistiques à partir de cas précis) ;
elle combine un argument organiciste (la résilience mettant en avant l’unité plutôt
que le conflit entre l’homme et la nature) et une idéologie conservatrice (la résilience étant souvent utilisée pour renforcer les politiques néolibérales au nom de
la capacité de rebond de l’humanité). Et puisque l’on a ici affaire à une synecdoque dont la dramaturgie penche du côté de la comédie (avec un happy end ), on ne
s’étonnera pas que les récits de résilience fassent généralement preuve d’un optimisme prudent. Compte tenu des changements climatiques que connaît la planète,
cette tonalité optimiste peut dérouter les auteurs de ces récits eux-mêmes, si bien
que les études valorisant la résilience sont souvent précédées d’un avertissement
invitant le lecteur à ne pas se laisser griser par un excès d’optimisme et à ne pas
sous-estimer la gravité de la crise.
La résilience a fait son apparition dans le discours académique en tant que
méthode pour évaluer les répercussions, passées et présentes, du climat et de la
variabilité climatique sur les populations humaines en s’éloignant de sa définition
originale qui se concentrait, dans un premier temps, sur l’ingénierie et, dans un
deuxième temps, sur les systèmes écologiques97. Sur le fond, la résilience cherche
à mesurer la stabilité et la durabilité d’un système confronté à différents facteurs
de stress menaçant son équilibre ; la résilience du système correspond ainsi à sa
« résistance au changement98 ». Appliqué à l’histoire environnementale, le concept
a le plus souvent été utilisé pour étudier les effets de l’environnement sur l’État et
les institutions socio-économiques à différentes échelles, de l’empire au village99.
54
97. Sur les origines de la résilience dans le domaine de l’écologie, voir C. S. H,
« Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Review of Ecology and Systematics,
4, 1973, p. 1-23. Sur l’utilité du concept appliqué aux sociétés humaines, voir Carl F,
« Resilience: The Emergence of a Perspective for Social-Ecological Systems Analyses »,
Global Environmental Change, 16-3, 2006, p. 253-267.
98. Il existe de nombreuses définitions de la résilience, mais « la tendance à comprendre
la résilience comme la résistance au changement est omniprésente dans la littérature » :
Lennart O et al., « Why Resilience Is Unappealing to Social Science: Theoretical
and Empirical Investigations of the Scientific Use of Resilience », Science Advances, 1- 4,
2015, http://dx.doi.org/10.1126/sciadv.1400217, ici p. 2.
99. Voir, entre autres, Adam I, Lee M et Sam W, « The Social
Burden of Resilience: A Historical Perspective », Human Ecology, 46-3, 2018, p. 291-303 ;
Elena X et al., « Modelling Climate and Societal Resilience in the Eastern
Mediterranean in the Last Millennium », Human Ecology, 46-3, 2018, p. 363-379 ; Elena
X et al., « The Medieval Climate Anomaly and Byzantium: A Review of Evidence
on Climatic Fluctuations, Economic Performance and Societal Change », Quaternary
Science Reviews, 136, 2016, p. 229-252 ; Elena X et al., « Hydrological Changes
in Late Antiquity: Spatio-Temporal Characteristics and Socio-Economic Impacts in
the Eastern Mediterranean », in P. E, J. G. M et K. V (dir.),
Climate Change and Ancient Societies in Europe and the Near East: Diversity in Collapse and
Resilience, Cham, Palgrave Macmillan, 2021, p. 533-560 ; Tamara L, « A Viewpoint
on Eastern Mediterranean Villages in Late Antiquity: Applying the Lens of Community
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INTERDISCIPLINARITÉ
L’action du climat sur les sociétés passées s’est fait sentir à plusieurs niveaux :
formation et déclin des États, productivité agricole, configuration et densité des
implantations, etc. Les sociétés résilientes sont celles qui, en quelque sorte, sont
parvenues à résister aux tempêtes et à s’adapter aux nouvelles réalités tout en préservant leurs attributs sociaux fondamentaux (tels que définis par l’observateur ou
le chercheur moderne). Si le catastrophisme a occupé une place majeure dans les
publications des sciences de la nature sur l’histoire climatique et dans les ouvrages
d’histoire environnementale s’adressant au grand public, il n’a jamais été hégémonique : comparables à la théorie de la résilience, les interprétations structuralistes
de la relation entre l’environnement et l’histoire humaine sont ainsi parmi les plus
anciennes à avoir eu cours dans le champ, puisqu’elles remontent aux premières
publications d’E. Le Roy Ladurie100. Bien qu’ils évitent les tendances déclinistes
des récits de type catastrophiste, les récits fondés sur la résilience entretiennent
néanmoins l’idée selon laquelle le climat agit et les humains réagissent en fonction. Même les adaptations et les améliorations réussies restent des réactions à des
stimuli extérieurs. Jusqu’à présent, la plupart des recherches interdisciplinaires se
sont donc concentrées sur la compréhension des effets du climat sur les populations humaines.
Les sciences humaines et sociales ont soumis à une critique radicale l’approche socio-écologique de la résilience, en montrant comment elle participait à
défendre le statu quo néolibéral existant : toute action aurait pour enjeu de renforcer
les systèmes existants pour qu’ils puissent mieux affronter les crises environnementales, au lieu de chercher à changer le système qui les a engendrées. Les précédents
historiques de sociétés résilientes (à l’aune de l’analyse historique) ne doivent pas
être instrumentalisés aujourd’hui pour légitimer le maintien d’un régime socioéconomique destructeur de la vie sur Terre. Par conséquent, dans un monde
contemporain globalisé dominé par l’idéologie néolibérale, les métarécits de la
résilience et leur usage optimiste de la synecdoque (selon lequel des parties d’un
système peuvent résister aux crises environnementales) apparaissent pour ce qu’ils
sont : une position conservatrice (défendant le maintien de l’ordre existant) et non
libérale (insoucieuse des êtres humains affectés par la dérive climatique). Voilà une
autre raison pour laquelle les récits de la résilience ne doivent pas devenir hégémoniques dans le champ de l’histoire environnementale interdisciplinaire, nonobstant
les appels répétés à abandonner les récits catastrophistes101.
Resilience Theory », Studies in Late Antiquity, 4-1, 2020, p. 44-75. En 2018, la revue Human
Ecology a consacré un numéro spécial à la question de la résilience historique vis-à-vis
de la pression climatique : voir l’article introductif de John H et Arlene R,
« Society and Environment in the East Mediterranean ca 300-1800 CE: Problems of
Resilience, Adaptation and Transformation. Introductory Essay », Human Ecology, 46-3,
2018, p. 275-290.
100. E. L R L, Histoire du climat depuis l’an mil, op. cit.
101. Pour des exemples les plus récents, voir B. J. P. B et al., « Climate and
Society in Long-Term Perspective », art. cit. ; F. C L, A. S
et H. H, « Climate and Society in European History », art. cit.
55
A. IZDEBSKI ET AL.
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En fin de compte, nous ne devons rejeter ni les récits métonymiques du catastrophisme ni les récits de la résilience usant de la synecdoque, mais plutôt nous
efforcer d’identifier leurs forces et leurs faiblesses respectives et de continuer à
expérimenter leur utilisation pour écrire une histoire environnementale réellement
interdisciplinaire. Plus le champ sera conscient de ces intrications théoriques et
rhétoriques, plus il deviendra facile de mélanger les tropes, d’en inventer de nouveaux et de porter le message – aussi fort sur le plan social que riche sur le plan
intellectuel – dont notre époque a besoin.
56
En guise de conclusion, il faut insister sur le fait que l’histoire environnementale
interdisciplinaire dont cet article a dressé le portrait ne modifie ni le rôle ni la
fonction des récits historiques traditionnels. Nous nous contentons de suggérer aux
chercheurs, lorsque cela est pertinent, d’incorporer différents types de preuves – et
leurs interprétations – dans leurs travaux. La pertinence des paléosciences se révèle
étonnamment vaste, au point que toutes les questions historiques, ou presque,
pourraient bénéficier de leur apport.
Les principales difficultés que soulève cette incorporation sont pratiques
et théoriques plutôt que financières. Si de nombreuses questions de recherche
dans le domaine socio-environnemental requièrent effectivement des projets à
grande échelle, et donc un financement des agences de recherche nationales ou
européennes, plusieurs études novatrices ont vu le jour grâce à des réseaux et à
une collaboration de terrain. Ainsi que l’illustrent la plupart des cas évoqués ici, il
a souvent suffi qu’un géologue commence par produire des données intéressantes,
puis qu’il sollicite un historien capable de l’aider à les contextualiser. La plupart du temps, les vrais obstacles à cette interdisciplinarité se trouvent au sein de
nos champs respectifs. L’histoire en tant que discipline institutionnalisée n’est
pas encore habituée à voir des chercheurs arpenter les périodes et les régions en
essayant de tirer parti de l’expertise d’équipes entières afin de traiter des questions de recherche socio-environnementale. Bien que la discipline s’enorgueillisse
globalement de ces entreprises, qui démontrent sa vitalité et sa pertinence aux
yeux du grand public, les historiens préfèrent trop souvent rester dans les limites
de leurs structures « tribales » et rejettent tacitement les nouvelles habitudes
et valeurs académiques ainsi que l’ouverture, pourtant le prérequis de l’histoire
interdisciplinaire. Ces chercheurs retranchés dans le fortin de leur discipline, tout
habitués qu’ils sont à contrôler la narration comme les données, continuent fréquemment de ne pas apprécier à sa juste valeur le travail d’équipe menant à des
publications conjointes, dans lequel c’est la synergie de plusieurs auteurs, plutôt
que la contribution bien délimitée d’un individu, qui crée une plus-value intellectuelle. Si la discipline historique, et en particulier le champ de l’histoire environnementale préindustrielle, veut éviter l’obsolescence programmée ou une sorte
d’antiquarisme hors d’âge, elle doit résolument s’ouvrir au co-autorat et au travail
collectif avec des expertises diverses, pratique qui est d’ores et déjà monnaie courante dans les sciences de la nature et même dans la discipline sœur de l’histoire,
l’archéologie. Dans cette optique, la meilleure stratégie consiste peut-être à revoir
INTERDISCIPLINARITÉ
l’éducation et la formation des historiens qui s’intéressent à l’environnement, afin
qu’ils apprennent à manier les sources écrites et les données scientifiques avec
prudence. Moyennant quoi, et compte tenu de la multiplication des approches
du passé, l’avenir de l’histoire, en tant que discipline et aventure intellectuelle,
s’annonce radieux.
Adam Izdebski
Max Planck Institute for the Science of
Human History (Allemagne)
Jagiellonian University in Kraków
(Pologne)
Kevin Bloomfield
Cornell University (États-Unis)
Warren J. Eastwood
British Institute of Archaeology at Ankara,
The British Academy (Royaume-Uni)
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
Ricardo Fernandes
Max Planck Institute for the Science of
Human History (Allemagne)
University of Oxford (Royaume-Uni)
Masaryk University (République tchèque)
Jürg Luterbacher
Justus-Liebig-Universität Gießen
(Allemagne)
Joseph G. Manning
Yale University (États-Unis)
Alessia Masi
Max Planck Institute for the Science of
Human History (Allemagne)
Sapienza Università di Roma (Italie)
Lee Mordechai
Hebrew University Jerusalem (Israël)
Timothy P. Newfield
Georgetown University (États-Unis)
Dominik Fleitmann
University of Basel (Suisse)
Alexander R. Stine
San Francisco State University
(États-Unis)
Piotr Guzowski
University of Białystok (Pologne)
Çetin Şenkul
Süleyman Demirel Üniversitesi (Turquie)
John Haldon
Princeton University (États-Unis)
Elena Xoplaki
Justus-Liebig-Universität Gießen
(Allemagne)
Francis Ludlow
Trinity College Dublin (Irlande)
Traduction d’Antoine Heudre
* Cet article est l’aboutissement d’un colloque de la Climate Change and History Research
Initiative qui a eu lieu à Princeton en mai 2017. Joseph G. Manning, Alexander R. Stine et
Francis Ludlow remercient la National Science Foundation (NSF) des États-Unis pour
l’importante bourse qui les a aidés à financer leurs travaux (bourse n° 1824770 CNH-L,
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A. IZDEBSKI ET AL.
https://doi.org/10.1017/ahss.2022.114 Published online by Cambridge University Press
« Volcanism, Hydrology and Social Conflict: Lessons from Hellenistic and Roman-Era
Egypt and Mesopotamia »). F. Ludlow tient aussi à remercier le Harvard University
Center for the Environment pour la bourse « Ziff Environmental » dont il a bénéficié
et l’Initiative for the Science of the Human Past at Harvard pour la bourse de recherche
qui lui a été accordée. Piotr Guzowski remercie le Programme national pour le développement des humanités du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science
de la République de Pologne pour le financement accordé pour la période 2016-2019.
A. R. Stine a également bénéficié de deux bourses de la NSF (AGS-1903674 et ICER1824770). Elena Xoplaki remercie l’Académie d’Athènes et le « Réseau national de
recherche sur le changement climatique et son impact » grec (projet 200/937), ainsi que
les projets NUKLEUS et ClimXtreme du ministère fédéral allemand de l’Enseignement
et de la Recherche et le projet EM-MHeatwaves du Service allemand des échanges
académiques (DAAD). L’ensemble des auteurs remercient Niklas Luther de la JustusLiebig-Universität Gießen pour les calculs et l’élaboration des figures 1 et 2.
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