Traduire l’organisation de l’administration locale au Portugal
Maria da Conceição Varela, Universidade do Minho, Portugal
I.
Introduction
Le problème abordé ici reflète une préoccupation permanente dans le cadre de
ma recherche en linguistique et traductologie juridique, mais aussi dans le cadre de
l’orientation que je fais de stages en traduction juridique pour la paire de langues
Portugais et Français. Les stages en traduction juridique en question sont des stages en
traduction du droit administratif, en l’occurrence des collectivités territoriales; ils sont
effectués par des étudiants portugais de 4ème année de leur formation universitaire –
d’avant Bologne - en Langues Etrangères Appliquées, au Centre d’Études Juridiques
de l’Université du Minho (CEJUR), au Portugal, université à laquelle je suis rattachée
comme enseignante de la Langue française et chercheur.
L’orientation ou suivi de ces stages s’opère en équipe avec un Professeur de
Droit administratif de l’Université du Minho, M. António Cândido de Oliveira,
spécialiste en Droit des collectivités territoriales et comparatiste reconnu pour ce qui est
des droits administratifs portugais et français, entre autres. Il est également – donnée ici
importante - l’auteur du texte/objet de stage, texte de départ de la traduction du
Portugais vers le Français, intitulé As mudanças do sistema de governo local em
Portugal, consultable au Centre d’Études Juridiques de l’Université du Minho
(CEJUR), en version Portugaise ainsi que dans sa version Française.
Ce texte, qui est un essai sur les collectivités locales portugaises et leur
gouvernement, a constitué l’objet du stage en traduction juridique, du Portugais vers le
Français, de Melle Cátia Dias Petejo, de 4ème année de Langues Etrangères Appliquées
pour l’année universitaire 2005/06. Il exemplifie bien certains des problèmes et défis
récurrents posés aux stagiaires/traducteurs ainsi qu’aux traducteurs professionnels par la
traduction juridique vers le Français de l’organisation administrative locale au Portugal,
à savoir la correspondance ou non correspondance de la division administrative du
territoire et la subséquente complexité à la traduction de l’information conceptuelle
contenue dans la terminologie originale.
428
Cet essai revêt, en outre, deux caractéristiques considérables. La première étant
que son auteur en est précisément l’un des deux orienteurs du stage, facilitant ainsi
l’aide à la traduction par l’accès immédiat du stagiaire/traducteur à l’auteur du texte à
traduire. La deuxième caractéristique étant que, selon le classement des trois catégories
de textes juridiques élaboré par J.-Cl-Gémar1, l’objet de stage configure ici un texte de
la doctrine du droit, perçu par Gémar “comme un texte littéraire qui exige des
compétences en traduction particulières”. J’ajouterai personnellement que cette
catégorie de texte maintient la difficulté lexicale, sémantique et culturelle, comme nous
pourrons le vérifier, et semble aussi plus marquée par langue courante et moins
imprégnée peut-être des contraintes linguistiques et textuelles des lois, des règlements,
des jugements, des contrats, des formulaires administratifs, entre autres.
Notre réflexion commencera par la présentation des structures d’organisation
administrative au Portugal et en France -- on ne parle pas ici de pays francophones --,
afin de mieux comprendre les structures et termes de départ dont la traduction en
français pose très souvent problème, à savoir les structures de base Município et
Freguesia, pour lesquels on décrira, en second lieu, quelques-unes des propositions de
traduction récurrentes en Français.
L’analyse de quelques aspects de ces propositions de traduction pour Município
et Freguesia constitue la troisième partie de notre réflexion qui conclut sur les
implications de quelques-uns des problèmes de traduction sous-jacents aux (ou révélés
par les) propositions de traduction en Français des deux notions et termes retenus en
Portugais; implications, d’une part, dans le schéma de la communication verbale, puis,
d’autre part, en amont, dans les besoins de la formation des traducteurs juridiques dans
le
domaine
particulier
du
droit
administratif,
et
ce
pour
mieux
gérer
l’intercompréhension globale.
1
À savoir: 1) les actes d’intérêt public tels que les lois et les règlements, les jugements et les
actes de procédure, 2) les actes d’intérêt privé tels que les contrats, les formules administratives
ou commerciales, les testaments et les conventions collectives et 3) les textes de la doctrine.
429
II.
Présentation des structures d’organisation administrative
II.1. au Portugal
L’Article 6 de la Constitution de la République Portugaise stipule que « l’Etat
est unitaire et respecte dans son organisation les principes de l’autonomie des pouvoirs
locaux et de la décentralisation démocratique de l’administration publique ».
Selon une ancienne tradition centralisatrice, le pouvoir central portugais détient,
aujourd’hui encore, nombre de prérogatives sur les collectivités territoriales, et celles-ci
ont une autonomie très limitée.
La division administrative du Portugal comprend plusieurs échelons. Notons tout
d’abord qu’il existe une distinction entre le continent, composé de 5 régions
administratives -- sans attribution financière ni aucune représentation élue --, et les
régions autonomes (Madère et les Açores), les seules à détenir de réelles attributions.
Viennent ensuite, par ordre décroissant, les Distritos -- au nombre de 18 --, et les près
de 308 Municípios, échelon immédiatement inférieur aux Distritos. Finalement, la plus
petite unité au niveau local est la Freguesia – au nombre de 4252 --, structure qui
correspond à l’ancienne paroisse française, en l’occurrence la paroisse civile.
Afin de mieux comprendre ces différents échelons, rappelons quelques brèves
caractéristiques – organes et compétences, entre autres --, à propos de chacun d’entre
eux :
- Les régions autonomes ont des compétences très larges ; elles détiennent un
statut politico-administratif particulier, et de ce fait possèdent des organes de
gouvernement propres représentés par l’Assemblée Législative Régionale et le
Gouvernement Régional. Chaque région autonome possède un Président du
Gouvernement Régional nommé le représentant du Président de la République dans sa
région autonome ; il est nommé par le Ministre de la République et sur proposition du
gouvernement, du Conseil d’Etat et de l’Assemblée Législative Régionale.
- Les Distritos, qui ont surtout des compétences de coordination, regroupent un
ou plusieurs Municípios , et ne sont pas autonomes financièrement. Ils constituent un
échelon territorial de moindre importance. Ils sont dirigés par le gouverneur civil -- luimême nommé par le Ministre de l’intérieur -- qui représente l’autorité du pouvoir
430
central. Chaque Distrito possède un Conseil Consultatif (composé du gouverneur civil,
de quatre membres de l’assemblée de district et des quatre citoyens qualifiés dans des
domaines précis), qui émet des avis, ainsi qu’une Assemblée de Distrito (composée des
présidents des conseils municipaux, des présidents d’assemblée municipale et d’un
président de comité paroissial de chaque assemblée municipale). Le gouvernement
dispose d’un pouvoir de tutelle a posteriori sur les Distritos.
- Les structures de base de l’organisation territoriale au Portugal dont la
traduction nous intéresse ici sont les Municípios et les Freguesias.
a) Le Município est l’échelon local qui possède le plus de prérogatives. Il
a des compétences qui s’étendent à de nombreux domaines. Ses représentants sont élus
directement par la population, et se réunissent au sein d’une assemblée composée de
membres élus pour quatre ans au suffrage universel direct, et également des présidents
de la Freguesia . Cette Assemblée Municipale peut approuver les décrets et règlements ;
elle vote les taxes municipales et approuve les emprunts. Elle peut aussi voter une
motion de censure contre l’exécutif de la mairie. À cet échelon administratif, il existe
aussi un conseil exécutif, appelé « Camara municipal », composé de membres élus au
suffrage universel direct pour quatre ans. Le mandat du Maire est également de quatre
ans.
Le gouverneur civil des Distritos possède un pouvoir de tutelle a posteriori sur les
municipalités.
b) Les Municípios sont divisés en Freguesias ; celles-ci disposent de
compétences propres (l’entretien des voies publiques, les travaux publics, la mise en
oeuvre du recensement électoral et la gestion des biens propres.] et de compétences
partagées avec les municipalités (en matière de développement local et de protection de
l’environnement ; en matière de salubrité et de santé, de protection de l’enfance et du
troisième âge, de culture, d’éducation et de sport).
Une caractéristique bien particulière est que ces Freguesias peuvent
représenter une ville ou un village, ou bien encore un quartier d’une ville. Ses organes
sont l’Assemblée et le Comité de Freguesia. Les Freguesias permettent d’assurer une
meilleure représentation de la population dans la division administrative territoriale. Le
gouverneur civil du Distrito possède un pouvoir de tutelle a posteriori sur les Freguesias.
431
Précisons également que les membres de l’Assemblée de Freguesia (qui établit les taxes et
administre les eaux publiques) sont élus au suffrage universel direct à la proportionnelle
pour quatre ans. Le comité exécutif de la Freguesia, appelé « Junta de Freguesia », est élu
par l’Assemblée de la Freguesia pour quatre ans, et met en oeuvre les décisions de
l’Assemblée.
II.2. en France
Les collectivités territoriales de la République Française sont des structures
administratives, distinctes de l’administration de l’Etat, qui doivent prendre en charge
les intérêts de la population d’un territoire précis. Suite à la rédaction issue de la
révision de la Constitution Française du 28 mars 2003, article 72, les collectivités
territoriales sont : les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut
particulier, et les collectivités d’outre-mer.
Quoique diverses, ces collectivités territoriales ont quelques principes communs
tels que la participation des citoyens à la vie des collectivités territoriales, l’élection des
organes, l’association aussi des citoyens à la vie quotidienne municipale par les
consultations et les référendums locaux.
La collectivité territoriale est dotée de la personnalité morale ; elle détient des
compétences propres et exerce un pouvoir de décision.
La commune est la collectivité territoriale de base de l’organisation
administrative française qui intéresse ici pour notre réflexion concernant la traduction
des structures de base portugaises : Município et Freguesia.
La première particularité à retenir réside dans le grand nombre de celles-ci : 36
800, dont beaucoup d’entre elles de taille très petite -- plus de 30 000 communes ont
moins de 2 000 habitants, et plus de 22 000 d’entre elles ont moins de 500 habitants.
La commune est administrée par un organe élu, le Conseil Municipal, dont
l’exécutif est le maire (exécutif communal).
L’objectif principal de notre réflexion n’étant pas la comparaison -- encore
moins exhaustive -- des organes et compétences de structures d’organisation
administrative des territoires portugais et français, comme seul pourrait et saurait le
faire un juriste comparatiste, nous n’entrerons ni dans le détail des compétences
traditionnelles – liées en grande partie à la représentation qui est faite de l’Etat --, ni
432
dans celui les compétences décentralisées de la commune. Cette perspective pourtant,
reconnaissons-le, enrichirait très certainement notre réflexion.
III.
Propositions de traduction en Français des structures de base de
l’organisation administrative au Portugal Município et Freguesia (relevé
d’occurrences)
Les traductions ou simple verbalisation en Français (sans donc faire mention du
terme portugais) répertoriées dans cette partie III - de notre étude - sont associées à leur
source et organisées selon 4 groupes: a) les auteurs francophones, b) les auteurs
portugais, c) les bases de données terminologiques et textuelles (un exemple portugais
et l’autre des institutions européennes) et finalement d) les dictionnaires, en
l’occurrence les seuls que peuvent consulter les stagiaires/traducteurs à l’Université du
Minho, ainsi que la plupart des professionnels de la traduction (juridique) au Portugal.
a) Des auteurs francophones qui verbalisent la réalité administrative
portugaise proposant les termes portugais souvent accompagnés de leur
traduction en Français :
-Alain Delcamp2
- Município (PT 3) >4 Commune (FR 5)
(Freguesia : sans occurrence dans l’oeuvre consultée).
- François Guichard6
- Concelho (PT) > Municipalité (FR)
- Freguesia est référé en Portugais, sous la forme d’emprunt.
- Sylvie Bansard7 fait des propositions de traduction quelque peu confuses.
2
Cf. “Éléments pour un dictionnaire de la décentralisation », In Alain Delcamp (sous la direction de), Les
collectivités décentralisées de l’Union Européenne, en coédition avec le CNFPT, « Les études de La documentation
française », 1994.
3
Sigle adopté pour le terme en Portugais.
4
Symbole adopté ici pour signaler la proposition de traduction.
5
Sigle adopté pour le terme en Français.
6
François Guichard, “Racines et évolution de l’administration territoriale”, Finisterra, XXXII, nº 63, 1997, pp. 167178, http://www.ceg.ul.pt/finisterra/numeros/1997-63/63_18.pdf
7
Sylvie Bansard, L’organistaion des collectivités locales en Europe , Collection “Essais”, Éditions de “La lettre du
Cadre territorial” – S.E.P.T., Voiron, 2002.
433
Dans un premier temps du chapitre XII de son ouvrage -- chapitre consacré au
Portugal --, elle traduit
- Municípios (PT) > Municipalités (FR)
- Freguesias (PT) > Communes (FR).
Puis, elle abdique des termes portugais et de leur traduction en Français,
poursuivant la description des collectivités locales au Portugal par l’introduction des
termes français “Commune” et “Paroisse”.
- Et Sur le site Internet du Sénat8, en France, on désigne les collectivités
territoriales portugaises de base directement en Français, par “Les communes et les
paroisses, subdivisions des communes”.
b) Des auteurs portugais qui verbalisent en Français la réalité
administrative portugaise en référant ou pas les termes portugais:
- Jorge Bacelar Gouveia9 énonce en Français les deux collectivités locales
portugaises “les communes” et “les paroisses”, sans mentionner les termes portugais.
- le site de l’Ambassade du Portugal en France, traduit
- Município (PT)> Municipalité (FR)
- Freguesia (PT)> Paroisse (FR).
- António Cândido de Oliveira, auteur du texte portugais / objet du stage en
traduction juridique mentionné en introduction, a proposé à la stagiaire/traductrice les
termes français
- Commune (FR) pour traduire Município (PT),
- et Paroisse (FR) pour Freguesia (PT).
Il s’agit de fait de la traduction des termes portugais qu’il utilise dans ses
nombreuses publications en Français10.
8
Site Internet du Sénat en France : http://www.senat.fr/lc/lc24/lc246.html
9
Jorge Bacelar Gouveia, Des collectivités en attente de région, In Alain Delcamp (sous la direction de), Les
collectivités décentralisées de l’Union Européenne, en coédition avec le CNFPT, « Les études de La documentation
française », 1994.
434
c) Des bases de données terminologiques et textuelles qui, pour ces
deux collectivités locales, proposent simultanément les termes dans
les deux langues.
- sur le site Eur-lex, l’on peut constater en pages de double visualisation
(Portugais et Français, dans ce cas) au moins quatre propositions de traductions
possibles:
1) Município (PT) > Commune (FR)
Freguesia (PT) > Section de commune (FR) 11
2) Concelhos (PT)> Communes (FR)
Freguesias (PT) > Localités (FR) 12
3) Freguesias (PT) > Communes (FR) 13
4) Concelho (PT)> Commune (FR)
Freguesia (PT)> Paroisse (FR)14.
- sur le site de la Base de Données Terminologique et Textuelle, de
l’Assemblée Nationale Portugaise (Assembleia da República),
- Município (PT) est traduit par Municipalité (FR)
- Freguesia (PT )est traduit par Commune (FR) 15.
10
Citons un exemple: António Cândido de Oliveira, « L’ Évolution de la fonction publique: vers une
européanisation ? Rapport portugais », Annuaire européen d’administration publique XXVI 2003, Presses
Universitaires d’Aix –Marseille, 2004.
11
Décision de la Commission du 25 septembre 2001, Journal Officiel des Communautés Europénnes du 15.11.2001.
L298/1
[http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2001:298:0001:0478:FR:PDF]
Decisão da Comissão de 25 de Setembro de 2001, Jornal Oficial das Comunidades Europeias de 15.11.2001. L298/1
[http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2001:298:0001:0478:PT:PDF]
12
Demande d’enregistrement, double visualisation, Eur-lex, 2007/12/19,
[http://eurlex.europa.eu/Notice.do?mode=dbl&lang=pt&lng1=pt,fr&lng2=bg,cs,da,de,el,en,es,et,fi,fr,hu,it,lt,lv,mt,nl,pl,pt,ro,sk,
sl,sv,&val=461772:cs&page=1&hwords=freguesia%7E
13
Ibidem.
14
Rapport spécial no 7/2006, accompagné des réponses de la Commission (2006/C 282/01),
double visualisation (PT-FR), Eur-lex,
http://eurlex.europa.eu/Notice.do?mode=dbl&lang=pt&lng1=pt,fr&lng2=cs,da,de,el,en,es,et,fi,fr,hu,it,lt,lv,mt,nl,pl,pt,sk,sl,sv,
&val=436102:cs&page=1&hwords=freguesia%7E]
15
Base de Dados Terminológica e Textual, Assembleia da República
http://terminologia.parlamento.pt/pls/TER/terwinter.home
435
- sur le site de la base de données européenne, IATE
16
, Base
Terminologique Multilingue de l’UE, il est proposé plusieurs traductions, en fonction
du “Domaine associé à la recherche” - Vie politique, Droit, Relations Internationales,
etc :
- Município (PT) > commune (Droit Adm) (FR),
> communauté urbaine (Urbanisme, Construction,
Droit Adm) (FR)
> district communal (Droit Adm) (FR);
- Freguesia (PT) >section de commune (Droit Adm) (FR)
> district communal (Droit Adm) (FR)
> Paroisse (Droit Adm) (FR).
d) Le nombre réduit de Dictionnaires bilingues Portugais- Français, et
Français-Portugais, à la disposition des stagiaires/traducteurs à
L’Université du Minho, font les propositions suivantes:
- Domingos de Azevedo17
- Município (PT) > Municipalité (FR) (traduction proposée aussi
pour Municipalidade (PT))
- Freguesia (PT) > Paroisse (FR) (traduction proposée également
pour le terme Paróquia (PT)).
- Maria Paula Gouveia Andrade, dans son Dictionnaire Portugais-Français et
Français-Portugais18, fréquemment actualisé, ne fait mention d’aucun de ces termes, ni
même dans la dernière version en date de 2008 de son dictionnaire bilingue.
Ce relevé d’occurrences n’a nullement pour objectif d’évaluer telle ou telle
proposition de traduction. La démarche ici n’est même pas comparative; le but est
simplement exploratoire, dans ce sens que l’on a cherché à comprendre la raison de la
16
IATE (Inter Active Terminology For Europe) http://iate.europa.eu/iatediff/SearchByQueryEdit.do
17
Domingos de Azevedo, Grande Dicionário, Português-Francês, Bertrand Editora, 11ª edição, Venda Nova, 1998.
Maria Paula Gouveia Andrade, Dicionário Jurídico Português- Francês, Francês-Português, Quid Juris Sociedade
Editora, Lisboa, 2008.
18
436
difficulté à la traduction juridique manifestée par les stagiaires et traducteurs
professionnels dans ce domaine, ainsi que la profusion souvent constatée des
propositions de traduction, pour les termes Freguesia et Município.
L’on sait que la division administrative du territoire français étant très différente
de celle du territoire portugais, la non correspondance des termes et des notions oblige à
un effort redoublé dans la recherche des instruments d’aide à la traduction (du type:
dictionnaires bilingues et unilingues, glossaires, etc) ou dans la consultation de sources
informatisées variées (du type: bases de données terminologiques ou textuelles, textes
parallèles sur des sites institutionnels, nationaux ou européens) ou bibliographiques
traditionnelles sur support papier (relevant de la matière et des domaines juridiques
concernés). Pourtant, la fiabilité théorique des instruments d’aide ou sources pour la
traduction ici répertoriés s’avère de degré faible, en raison de la multiplicité de
traductions et de la divergence d’interprétation des notions et des termes que révèle cet
amalgame de traductions.
L’on sait également, par l’expérience professionnelle dans la recherche et
l’orientation faite de stages en traduction, et surtout par l’incontestable compétence du
juriste comparatiste António Cândido de Oliveira qui est confronté et approfondit
depuis longtemps ces problèmes de correspondances juridiques, que Freguesia et
Município se traduisent en Français par “Paroisse” et “Commune”, respectivement.
Le fait est que le Município portugais présente beaucoup de similitudes avec la
Commune française, dans la division du territoire, dans les organes élus et dans les
compétences de ceux-ci. Ce qui pose normalement moins de difficulté dans la
traduction de cette structure du Portugais vers le Français. Le problème est que la
grande majorité des Communes françaises a la dimension des Freguesias portugaises, et
ne connaissent aucune autre subdivision. Seules les grandes communes françaises –
Paris, Lyon et Marseille - ont exceptionnellement besoin, de par leur dimension, d’une
subdivision, qui est en fait une structure très proche des Freguesias portugaises, mais
que l’on n’appelle plus aujourd’hui Paroisses, mais bien Arrondissements. Or, toutes les
Communes portugaises, quelque soit leur taille et à l’exception de Corvo, ont une
subdivision administrative proche des subdivisions appelées autrefois Paroisses, dans
l’Ancien Régime français, d’où l’équivalence ici retenue, ainsi que le terme19.
19
Le rapprochement des termes issu des fonctions des structures administratives quasi identiques dans les deux
cultures, portugaise et française, peut sembler anachronique et irrecevable pour le lecteur (notamment juriste)
français, de même que pour le traducteur. Dans ce cas , l’emprunt semble une alternative adéquate au service de la
437
L’on propose parfois aussi cette traduction en français “Paroisse civile”, qui
suppose du traducteur une compréhension de la notion, l’adoption et élargissement de
l’équivalence fonctionnelle par l’actualisation et l’adaptation -- dans l’ajout de l’adjectif
“civil” – du terme français vieilli à la réalité portugaise .
Quant aux traductions courantes -- pour Freguesia -- de “Section de Commune”,
“District Communal”, “Localité” et même “Commune”, il doit s’agir très probablement
d’une confusion de concepts, et/ou de la non maîtrise de l’organisation administrative
des deux pays. La Commune et la Paroisse, on l’a vu, sont des structures distinctes, avec
des organes et des compétences différents. “Section de Commune” a pour définition,
dans le Grand Robert de la Langue Française, une “personne morale qui possède et qui
gère des biens publics affectés à l’utilité collective des habitants demeurant sur une
portion déterminée d’une commune (Mil. XXe)”20. “District Communal” ne figure pas
dans ce dictionnaire; il y figure l’expression proche “District urbain”, dont la définition
est “groupement administratif de communes formant une même agglomération;
groupement administratif des communes voisines (1959)”21. En ce qui concerne
“Localité”, c’est un mot de la langue courante qui signifie “petite agglomération”. Tout
comme “Municipalité”, du reste, souvent proposé comme traduction française de
Município. “Municipalité” est une expression ignorée de la loi, en France 22, mais qui est
fréquemment employée dans le langage courant des Français, pour désigner les organes
d’une commune: le conseil municipal et l’exécutif (le maire et ses adjoints). Le terme ne
peut donc pas traduire Município.
La traduction française “Communauté urbaine” pour Município est de même
inadéquate; il s’agit, en Français, d’une “agglomération de communes, dans le cadre de
la Coopération Intercommunale dans les grandes agglomérations”.
IV.
Analyse de quelques aspects des propositions de traduction
En fait, la difficulté linguistique, dans le texte objet du stage – comme dans d’autres
textes de nature identique traduits par des traducteurs professionnels --, ne réside pas
traduction/communication de la non-correspondance des réalités, reléguant, le cas échéant, l’explication du contenu
conceptuel et le rapprochement terminologique – Freguesia et Paroisse (civile) -- au statut de note de bas de page.
20
LE GRAND ROBERT DE LA LANGUE FRANÇAISE, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, Deuxième édition, Tome VIII, Raiso- Sub, 1988.
21
LE GRAND ROBERT DE LA LANGUE FRANÇAISE, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, Deuxième édition, Tome III, Couv-Ento, 1988.
22
Site Vie publique: un portail pour le citoyen http://www.vie-publique.fr/
438
dans le caractère normatif ou contraignant du texte juridique - soit la nature-même du
droit et son caractère limitatif -, ni même dans ses composantes stylistiques et
morphosyntaxiques.
Ici, le problème essentiel de la traduction est la non correspondance des réalités
dans le temps et dans l’organisation de l’espace socio-politique des deux pays, ainsi que
le défi posé simultanément par la méthodologie de recherche qui pousse à l’exhaustivité
et fiabilité des ressources d’aide à la traduction, et par la nécessité d’une approche
pluridisciplinaire de la traduction juridique.
Pour surmonter la difficulté, la méthodologie de recherche et de travail en trois
temps proposée par Gémar23 semble effectivement ici la plus efficace: d’abord la lecture
et analyse du texte (1), ensuite le relevé des termes et notions inconnus (2) -- en
l’occurrence Freguesia et Município --, puis la recherche d’équivalents (3), recherche
qui fait un long cheminement avant d’en arriver aux sources ultimes que sont les
dictionnaires bilingues généraux ou juridiques, ainsi que les bases de données
généralistes qui décontextualisent, on le sait, les entrées. La priorité doit être donnée
aux encyclopédies juridiques unilingues en langue de départ et en langue d’arrivée. La
priorité doit également concerner les sources normatives, toujours selon la terminologie
de Gemar24, à savoir “les textes provenant de la législation” sur le domaine juridique à
traduire, là aussi, tant en langue de départ qu’en langue d’arrivée. Et ceci avant de
passer, finalement, aux sources secondaires et variées que représentent les textes de la
doctrine, les éternels dictionnaires unilingues et bilingues, les glossaires, les bases de
données informatisées, les documents-types, entre autres, qui sont d’accès plus rapide et
massifié, donnant lieu à des résultats diversifiés et surprenants quand ils sont consultés
comme sources uniques et immédiates, comme le prouvent les traductions relevées plus
haut pour les deux notions et termes portugais à l’étude.
Il est vrai que ces étapes de recherche occupent beaucoup de temps, un temps
précieux rarement imparti aux stagiaires et traducteurs (juridiques) professionnels. Il est
23
Arts, méthodes et techniques de la traduction juridique.
[http://www.tradulex.org/Hieronymus/Gemar.pdf]
24
“Les sources normatives comprennent les textes provenant de la législation - source de droit par excellence tant en
common law qu’en droit civil (les lois, les règlements, les décrets, etc.). Elles incluent aussi les textes de
jurisprudence - source principale de droit en common law - qui constituent une source fiable de documentation pour
le traducteur. Parmi les sources secondaires, c’est-à-dire les sources de droit moins contraignantes, Gémar mentionne
les documents provenant de la coutume et de la doctrine, les répertoires, les lexiques, les vocabulaires unilingues,
bilingues ou multilingues, les contrats types, etc. Le traducteur doit également consulter des sources variées telles que
des actes notariés, des contrats, des formulaires types, des procès-verbaux d’audience, etc. » Ibidem, p.26.
439
vrai aussi, à l’instar d’un juriste, comparatiste de surcroît, que l’on a l’impression
d’exiger du stagiaire et traducteur une compétence très vaste, voire multidisciplinaire
presque impossible dans la formation, mais nécessaire dans le processus de traduction,
par l’acte forcé et momentané de la recherche conduisant à la production d’UNE
traduction, rigoureuse autant que possible juridiquement et linguistiquement. L’idéal,
dans les différentes branches du droit et les différents systèmes juridiques serait de
traduire en collaboration avec un juriste comparatiste, pour la langue source et la langue
cible, du domaine juridique en question. À défaut du collaborateur, la bibliographie
comparative aide à surmonter la difficulté extrême de cette perspective de l’exigence
pluridisciplinaire.
Par compétence pluridisciplinaire, on entend ici les contenus juridiques et non pas
les valeurs, les principes et les attitudes du monde juridique qui nous renverraient à la
question complexe de la culture juridique25 qui, tant dans la forme que dans le fond, a
pourtant, elle aussi, des conséquences sur la communication, en l’occurrence la
traduction.
V.
Conclusion
En conclusion, l’on dira que, suivant la définition du discours fournie par Jean
Dubois et al.26 et la définition du discours juridique proposée par Gérard Cornu27, à
savoir “le discours juridique est la mise en œuvre de la langue, par la parole, au service
du droit”, force est de reconnaître que le vocabulaire juridique – au même titre, on l’a
vu, que les caractéristiques stylistiques et morphosyntaxiques – revêt son importance
dans la mise en action et la compréhension de la langue du droit, et fait par conséquent
partie intégrante du discours juridique, contrairement à la position défendue par G.
Cornu28.
Ce discours participe du “schéma de la communication verbale, plus
généralement du procès linguistique -- tel que le présente Roman Jakobson29 --, en en
25
Voir à cet effet les travaux de Lawrence Friedman, professeur et chercheur à l’Université de Stanford.
“ Le discourse est le langage mis en action, la langue assume par le sujet parlant”, In Jean Dubois et al.,
Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1989.
27
Gérard Cornu, Linguistique juridique, 3ème édition, Montchrestien, 2005.
28
Ibidem.
29
Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, I. Les fondements du langage, Édition de Minuit, Paris, 1963,
p.214.
26
440
modifiant certains éléments comme le code et le référent. Idée également défendue par
G. Cornu.
En effet, l’auteur/émetteur – initié -- du texte juridique portugais à traduire par
le stagiaire ou traducteur est – dans le texte à l’origine de cette réflexion - un juriste
comparatiste du Droit administratif portugais et français, entre autres. Il émet à un
potentiel lecteur/destinataire français du territoire français – lecteur/destinataire supposé
également initié - un énoncé ou message dont le code et le référent - sont modifiés dès
l’émission (toujours selon G.Cornu) par l’introduction d’apports spécifiques que sont,
pour le code, la langue courante imbriquée dans la langue de spécialité du droit, et, pour
le référent, les réalités ordinaires confondues aux réalités juridiques.
L’énoncé ou message, ici discours administratif, par l’exemple concret d’un
message écrit juridique, qui n’est pas créateur de droit, mais plutôt un message associé
à la réalisation du droit dans la démarche intellectuelle qui décrit et explique le droit
dans son application, doit être transposé, par la médiation du sujet stagiaire ou
traducteur qui est simultanément destinataire premier du message initial et réémetteur
de ce “même”, voire “nouveau” message. Ce sujet médiateur devrait, mais peut aussi ne
pas dominer entièrement le code, ni le référent, dans la mesure où il s’agit d’un
destinataire intermédiaire non initié, du moins au sens où le sont l’émetteur et le
destinataire final du message. On l’a vu par l’amalgame des occurrences en Français
relevées pour la traduction de Freguesia et Município. Ce constat est tout à fait possible.
J’en conclurai donc, au-delà des propos de G. Cornu, qu’il y a, dans le procès de
communication de la traduction, une double modification du code et du référent; la
modification relevée par G. Cornu certes, mais aussi celle introduite par l’opération
traduisante et supposée inexistante, mais qui “interrompt” de fait le traditionnel schéma
de la communication pour le reprendre en vue de la gestion de l’intercompréhension
entre émetteur et destinataire qui sont, paradoxalement, eux-mêmes séparés par deux
langues, soit au moins deux codes et deux référents distincts. D’où l’idée du schéma de
la traduction, en communication, qui a introduit la notion de recodage du message30.
L’idéal, en fait, serait que ces constatations aient des effets sur la formation des
traducteurs juridiques, traditionnellement ciblée sur des combinaisons de langues. Or,
dans l’objectif de réduire au minimum “la distance” pouvant exister entre le texte source
et le texte d’arrivée, par la complexité que recèle l’acte de médiation du traducteur -30
Jean Dubois et al., Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1989.
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dans le schéma de la communication verbale --, cette formation devrait être également
ciblée sur des systèmes juridiques, sur des branches du droit, et sur des types de textes à
traduire. Au même titre que devrait être stimulée et davantage ciblée la production de la
documentation juridique, comme par exemple les outils lexico-terminologiques et
textuels en branches du droit et langues comparées (par paires).
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