Cécile Carrier
Les statues de la route de Beaucaire à Nîmes
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Abstract : The group of roman statues found route de Beaucaire in Nîmes presents a quite
particular interest because it testifies of the presence of a local workshop working in the city during the
2nd century AD. From a stylistic and thematic point of view, these statues form two groups stemming
from the same workshop but from two differents hands ; the one can be dated in the first half or the
middle of the 2nd century, the other one of the second half or the end of the 2nd century. Although
questioned, the funeral destination of these two groups seems to be able to be confirmed as long by
the analysis of archaeological data that by the analysis of statues.
Lors de travaux d’ aménagement effectués à Nîmes en 1958, au n° 135 route de Beaucaire, pour la création de la
rue Aimé-Jacquerod, a été mise à jour une construction antique comblée de matériels divers. Parmi ce matériel se
trouvaient huit statues dans un bon état de conservation, toutes réalisées en pierre des Lens, le matériau local. Dès
leur découverte, elles ont fait l’ objet de plusieurs mais trop brèves publications et ont été depuis oubliées1.
Ce groupe d’ une grande importance par le nombre, les dimensions, la qualité, les types statuaires utilisés,
mérite toute notre attention dans le cadre d’ une étude sur l’ art provincial romain. Une analyse plus poussée des
statues permettra de préciser l’ identification et la datation de chaque pièce et de pouvoir cerner les groupes qu’ elles
constituent, comprendre leur fonction et enfin de les restituer dans leur contexte architectural2.
Les statues de nymphes
Deux statues féminines drapées debout forment des pendants symétriquement opposés3. Fragmentaires toutes
les deux, elles sont cependant complémentaires et nous permettent de restituer l’ aspect originel de la figure et leur
hauteur restituée d’ environ 1,45 m. Elles ont la tête légèrement tournée sur un côté, le torse de face, une jambe
placée en avant avec le pied posé sur la demi-pointe, l’ autre jambe fléchie. Un bras est placé le long du corps, la
1. Gallet de Santerre 1958, p. 23-28, 4 fig. ; Lassalle 1958, p. 288-290, 6 fig. ; Duval 1959, p. 381 ; Gallet de Santerre 1959, p. 469-473, 10 fig. ;
Lassalle 1959, p. 81-82, 6 fig. ; Gallet de Santerre 1961, p. 209-212, 6 fig. ; Hatt 1966, p. 54, ph. IVe ; Benoit 1969, p. 101 ; Varène 1970, p. 92-125 ;
Lassalle 1977-1979, p. 73-88 ; Kolling 1982, p. 21-25, 4 ph., Raynaud 1982-1983, p. 135-148, 7 fig. ; V. Lassalle dans Darde et al. 1990, p. 170-172, 4
ph. ; Bessac 1996, p. 55, fig. 26 ; Fiches, Veyrac dir. 1996, notice 405, p. 394-396, fig. 302-304.
2. Le dossier a été repris à l’ occasion des travaux du Nouvel Espérandieu, Nîmes en cours de réalisation. Voir en complément Carrier 2008.
3. Nîmes, Musée archéologique, inv. 958-2-5 et 958-2-6, H. = 0,95 et 1,20 m.
actes du xe colloque international sur l’art provincial romain, p. 95 à p. 104
C. Carrier • Les statues de la route de Beaucaire à Nîmes
Ο Fig. 1. Nymphe inv. 958-2-5 (Cl. A. Chéné, Ph. Foliot, CCJ,
CNRS, Aix-en-Provence, nég. 144876).
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Ο Fig. 2. Nymphe acéphale inv. 958-2-6
(Cl. Cécile Carrier).
Les ateliers de sculpture régionaux : techniques, styles et iconographie
main tenant un pan de la partie postérieure du rabat. L’ autre bras est relevé à hauteur de la tête stabilisant une
amphore sur l’ épaule. Les iris ont été creusés en cupule et les pupilles incisées. La coiffure est composée de cheveux
longs et ondulés, tirés en arrière et enroulés en un bandeau épais. Le vêtement se compose d’ une robe de dessous à
rabat et kolpos, attachée aux épaules par un cabochon. À l’ arrière, le vêtement est représenté en grands plis stylisés
et en aplat. Le mouvement du drapé et l’ attitude du corps manquent de souplesse et donnent aux statues un côté
hiératique peu naturel. L’ utilisation du foret pour le rendu du drapé, du visage, de l’ amphore, suggère une datation
de la première moitié ou du milieu du IIe siècle apr. J.-C.
Ces deux statues représentent des nymphes mais elles n’ ont pas été prévues pour servir de fontaine. Le type
statuaire utilisé s’ inspire de deux types issus de l’ art classique grec. Des représentations de péplophores du Ve siècle,
nous retrouvons le vêtement avec un épais kolpos et le rabat plus long à l’ arrière, la même position hiératique
frontale, le même geste de la main qui tient un pan du drapé postérieur, comme nous pouvons le voir sur les
statues de Danaïdes de la Villa dei Papiri4 et la péplophore du Museo Nazionale Romano5. La disposition du drapé
de chaque côté des jambes rappelle les représentations de Nikè et de Victoire issues de la statue de Paionios6.
L’ aspect général des figures de Nîmes fait penser plus particulièrement au type de la Nikè d’ Antioche et de la
Nikè d’ Aphrodisias, dont l’ original est daté du IVe siècle av. J.-C.7. Les deux nymphes de Nîmes sont directement
comparables aux deux statues féminines trouvées dans une nécropole d’ Aquilée où elles servaient d’ acrotère au
monument (sacellum, mausolée ?) des Aquatores Feronienses8 et identifiées à des nymphes ou à des Aureae.
Les statues de silènes
Selon la même composition que les deux statues de nymphes, deux statues de silènes forment une paire en
pendants symétriquement opposés. La statue la mieux conservée, de dimensions naturelles9, montre le silène
allongé, accoudé sur son bras droit posé sur une outre, une jambe au sol l’ autre légèrement fléchie. Le visage est
marqué de rides, d’ aspect rude, avec les arcades sourcilières osseuses, la racine du nez proéminente, le nez camus
tout tordu, l’ échancrure nasale particulièrement forte. Le personnage porte une moustache très dense et une barbe
composée de six anglaises courtes et bien creusées placées de chaque côté du menton. Les oreilles ont une forme
animale, pointue. La tête est ceinte d’ une mitra et, à l’ arrière, nous découvrons les feuilles d’ une couronne végétale.
Le corps, corpulent, présente un aspect adipeux avec les pectoraux mous, des plis graisseux sur la hanche et le
flanc, le ventre bedonnant et flasque. Le silène esquisse le geste pour se servir à boire avec la main droite qui saisit
l’ embout verseur de l’ outre et la main gauche approchant une coupe.
4. Herculanum, bronze, époque augustéenne, Naples, Museo Archeologico Nazionale.
5. Rome, inv. 49492, marbre, H. = 0,12 m, de Rome, Monumento a Vittorio Emanuele.
6. Olympie, Musée, marbre parien, Olympie, 1875, en face du côté Est du temple de Zeus, H. = 1,98 m, H. totale d’ origine = 2,16 m, avec la pointe
des ailes = 2,90 m. Datée vers 420 av. J.-C.
7. Voir l’ ouvrage de A. Gulaki sur les modèles issus des représentations de Nikè, Gulaki 1981. Afyon, Musée, inv. 339, Antioche, dans les ruines
du propylée, marbre, H. = 0,91 m, époque tibérienne. Aphrodisias, nymphée, marbre, début du règne d’ Hadrien.
8. Aquilée, Museo Archeologico, inv. 418, H. = 0,70 m et Trieste, Musée, inv. 8500, H. = 0,85 m, de la nécropole Est d’ Aquilée, calcaire local de
Aurisina. Beschi 1980, p. 346, fig. 303, seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. : Gulaki 1981, p. 204-205, milieu Ier siècle apr. J.-C.
9. Nîmes, Musée archéologique, inv. 958-2-7, L. = 1,23 m.
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C. Carrier • Les statues de la route de Beaucaire à Nîmes
Ο Fig. 3. Silène inv. 958-2-7 (Cl. Musée archéologique de Nîmes, nég. 10454).
De la seconde statue, il ne reste que deux fragments. Le premier est composé d’ une partie des jambes et du
bassin, l’ ensemble en mauvais état de conservation10. Le second présente une partie du profil droit avec l’ oreille
animale et une mèche en anglaise de la barbe ; ce fragment, disparu aujourd’ hui, est connu grâce à une photographie
conservée dans les archives du Musée de Nîmes11.
Le type statuaire est issu de la période hellénistique et se divise en deux groupes : les silènes accoudés sur l’ outre
comme ceux de Nîmes et d’ Arles12 et celui de Trieste13, les silènes endormis comme ceux de Caere14. Les silènes de
Nîmes et d’ Arles sont identiques mais ceux d’ Arles ont été prévus pour servir de fontaine, ce qui n’ est pas le cas
pour les silènes de Nîmes.
Plusieurs caractéristiques similaires aux statues des silènes et des nymphes font penser qu’ elles sont issues d’ un
même atelier. L’ anatomie est parfois succincte comme le dessin des articulations peu détaillé. Nous pouvons noter
le manque de soin dans la finition, par exemple l’ absence de travail sur le crâne ou l’ absence de séparation entre les
doigts, entre les bras et le torse ce qui alourdit la figure. Le rendu reste plus géométrique avec le passage d’ un plan
10. Nîmes, Musée archéologique, réserve Cœur, inv. 958-2-8, L. = 0,78 m.
11. Nîmes, autrefois au Musée archéologique, inv. 958-2.
12. Arles, Musée départemental Arles antique, inv. F.AN.92-00-537 et F.AN.92-00-459, Arles, théâtre, marbre, L. = 1,62 et 1,06 m, Ier siècle apr. J.-C.
Carrier 2005-2006, p. 381-382 fig. 25-26.
13. Trieste, Museo Civico, inv. 3138, marbre, Trieste, théâtre, époque flavienne, L. = 0,94 m.
14. Rome, Musei Vaticani, Museo Gregoriano Profano ex-Lateranese, inv. 9962 et 9949, marbre grec, Caere, théâtre, première moitié du Ier siècle
apr. J.-C., L. = 1,35 et 1,28 m.
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Les ateliers de sculpture régionaux : techniques, styles et iconographie
à un autre qui laisse deviner le bloc de pierre. Enfin, plusieurs éléments complémentaires permettent de suggérer
qu’ elles font partie d’ un même ensemble comme la présentation en pendants symétriquement opposés, la position
frontale, les mêmes dimensions grandeur nature, l’ utilisation du même matériau local.
De plus, comme les statues de nymphes, les silènes peuvent être datés de la première moitié ou du milieu du IIe
siècle apr. J.-C. avec une utilisation modérée du foret, principalement au niveau du visage pour les yeux, la bouche
et les mèches de la barbe.
Les statues de chèvres
Deux chèvres acéphales, grandeur nature, sont représentées couchées, les pattes repliées sous le corps 15. Le
traitement du pelage permet d’ avancer une datation de la première moitié du IIe siècle. Un grand nombre de
similitudes les rapproche des statues des nymphes et des silènes comme la position en pendants symétriquement
opposés, l’ utilisation du matériau local, le travail au foret utilisé avec parcimonie, les dimensions grandeur nature.
Nous pouvons noter également l’ anatomie peu détaillée et figée, par exemple la stylisation des pattes postérieures,
l’ absence de séparation entre les différents éléments du corps, la simplification dans le rendu des pattes, l’ aspect
massif coupé par plan.
Ο Fig. 4. Chèvre inv. 958-2-4 (Cl. Musée archéologique de Nîmes, nég. 10456).
15.
Nîmes, Musée archéologique, réserve Cœur, inv. 958-2-4 et 958-2-3, L. = 0,98 et 0,94 m.
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C. Carrier • Les statues de la route de Beaucaire à Nîmes
Les six statues représentant deux nymphes, deux silènes et deux chèvres font donc probablement partie du
même groupe décoratif daté de la première moitié ou du milieu du IIe siècle et issu du même atelier local qui a
cherché à copier au mieux des types iconographiques romains bien diffusés dans l’ Empire.
La statue de berger
La statue masculine acéphale, de dimensions
naturelles, représente un homme drapé assis sur un
rocher16. Placé en position frontale, le personnage
a le bras droit baissé le long du corps avec la main
tenant une syrinx et le bras gauche fléchi dont la main,
aujourd’ hui fragmentaire, devait tenir le pedum placé
juste en dessous. L’ homme est vêtu d’ une tunique
courte à manches et d’ un manteau qui lui couvre le
torse et attaché sur l’ épaule droite par un cabochon.
Des jambières couvrent les jambes tout en faisant bien
ressortir l’ anatomie musclée du personnage. Enfin,
des chaussures aux semelles épaisses sont entièrement
lacées jusqu’ au bas des mollets où les liens dessinent un
nœud d’ Héraclès. Plusieurs animaux accompagnent le
berger. L’ un, dans un très mauvais état de conservation,
est blotti dans son giron. Quelques traces de poils longs
au niveau de la cuisse et de la queue et la forme générale
suggèrent un chevreau. Sous les pieds du personnage, à
sa gauche, sont placés un chien avec la queue en panache
et qui laisse voir les crocs face à un serpent acéphale qui
sort d’ un trou pratiqué dans le rocher. Toujours sous les
pieds du berger mais du côté droit se trouve un lézard.
La face arrière, sculptée succinctement, présente le torse
drapé du manteau et le rocher.
Ο Fig. 5. Berger inv. 958-2-1
(Cl. Musée archéologique de Nîmes, nég. 10451).
Deux identifications ont été proposées jusqu’ à
présent pour ce personnage mais aucune n’ est totalement
satisfaisante. La présence du pedum et du chien font
penser à Silvain, mais celui-ci apparaît toujours, quelles
que soient les variantes, nu sous un manteau court
portant une corbeille de fruits et une branche de pin17.
16. Nîmes, Musée archéologique, inv. 958-2-1, H. = 1,33 m, H. berger (de l’ épaule droite au pied droit) = 0,87 m.
17. Voir notamment LIMC VII, s.v. “Silvanus” (A. Kossatz-Deissmann 1994).
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Les ateliers de sculpture régionaux : techniques, styles et iconographie
La syrinx et le pedum sont aussi les attributs de Pan mais le dieu est toujours représenté nu18. La position assise
sur un rocher, les animaux groupés autour du personnage et le vêtement rappellent également les représentations
d’ Orphée. Plusieurs différences contredisent cependant cette identification comme l’ absence de l’ instrument à
cordes et des animaux sauvages et la présence de la syrinx et de l’ animal blotti dans le giron.
La statue de Nîmes peut donc être considérée soit comme une interprétation locale ou personnelle d’ un de
ces trois personnages, soit comme la représentation d’ un simple berger sans référence mythologique particulière.
Nous pouvons noter la présence des trois animaux en rapport avec la symbolique de la mort et de la vie après
la mort : le chien guide le mort dans l’ autre monde, le serpent a le pouvoir de vie et de mort, auquel s’ ajoute le
symbole de régénération, dévolu également au lézard, tous deux symboles chtoniens par excellence. Nous pouvons
donc penser que la statue a bien une fonction funéraire.
Cette statue de berger présente des caractéristiques de l’ atelier local à l’ origine des statues précédentes comme
les mêmes rendus de l’ anatomie et des drapés, la même approche des sujets plus stylisés et expressifs que détaillés,
le même type de modelé, le même travail du bloc de pierre par face. Par contre, elle s’ en différencie par l’ anatomie
plus succincte, le corps plus massif, une rigidité plus importante, la stylisation des traits, le travail par face beaucoup
plus accentué, autant d’ éléments qui permettent de supposer le travail d’ un autre ouvrier. De plus, l’ utilisation plus
fréquente du foret et l’ aspect beaucoup plus fouillé de la matière suggèrent une datation plus tardive, de la seconde
moitié ou de la fin du IIe siècle.
La tête masculine
La dernière statue est une tête masculine imberbe au visage marqué par de nombreuses rides très creusées19.
Le personnage est émacié avec les joues creuses et le cou maigre faisant ressortir en fort relief les tendons. Les
arcades sourcilières, fortement arquées, sont incisées pour marquer les sourcils. Les yeux, à la paupière supérieure
très arrondie, ont les iris incisés et les pupilles creusées en lunule. La chevelure est composée de petites mèches
courtes peu épaisses, peignées vers l’ avant pour masquer la calvitie avancée sur le front et les tempes. Il s’ agit de
la représentation d’ un homme déjà âgé, avec un regard immense et fixe, les traits très marqués. L’ anatomie n’ est
pas toujours bien respectée comme les rides trop creusées placées en symétrie ou les tendons du cou dessinés de
façon beaucoup trop rapprochée par rapport au naturel. Dès sa découverte, cette tête a été unanimement identifiée
comme le portrait d’ un défunt. Suite à la présentation de la statue au Xe colloque international sur l’ art provincial
romain en mai 2007 et sur la suggestion de Renaud Robert, les recherches se sont tournées vers les statues de
personnages âgés représentés dans leur activité quotidienne, pêcheurs, paysans, marchands, etc. La tête de Nîmes
correspond bien à ces types statuaires toujours réalisés de manière presque caricaturale avec les traits forcés et
l’ expression grimaçante. D’ un point de vue stylistique et typologique, elle peut être rapprochée de la statue de
berger présentée précédemment, mais rien ne laisse penser qu’ elles appartenaient à une seule et même statue. Par
contre, les deux statues formaient peut-être une paire.
18. Voir par exemple LIMC VIII, s.v. “Pan” (J. Boardman 1997). Pour le type polyclétéen voir A. Linfert dans Polyklet 1990, p. 601-603.
19. Nîmes, Musée archéologique, inv. 958-2-2, perdue, H. = 0,22 m.
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C. Carrier • Les statues de la route de Beaucaire à Nîmes
Les statues retrouvées route de Beaucaire
semblent donc former deux groupes qui
s’ échelonnent sur deux périodes et probablement
issus du même atelier local. Les statues de
nymphes, de silènes et de chèvres sont datées
de la première moitié ou du milieu du IIe siècle.
La statue du berger et la tête masculine de la
seconde moitié ou de la fin du IIe siècle.
Contexte de la découverte
Ο Fig. 6. Tête masculine inv. 958-2-2
(Cl. Musée archéologique de Nîmes, nég. B884).
Le quartier de la Route de Beaucaire à Nîmes
se situe dans la périphérie Est de la ville antique,
où se trouve une importante nécropole. Les
statues ont été découvertes dans une cavité sise
dans une construction datée du Haut-Empire,
qui n’ a pas pu être identifiée ni sa fonction
déterminée. Dans cette cavité, ont été également
découverts des fragments de verrerie et de
poterie datés des Ier et IIe siècle apr. J.-C., des
fragments d’ architecture appartenant à deux
monuments funéraires et enfin un dépotoir
domestique daté, grâce aux monnaies, des
années 357-365 apr. J.-C.
Victor Lassalle suggérait que ces statues
pouvaient être issues d’ un décor de villa ou de
jardin et non pas de la nécropole20. Cependant
les nymphes, les silènes et les chèvres appartiennent à la sphère dionysiaque habituellement présente dans les
décors funéraires. Il en est de même pour les statues de genre comme le berger ou la tête masculine. La proposition
de Victor Lassalle se heurte également à un certain nombre d’ obstacles. Par exemple, les autres éléments retrouvés
dans le comblement appartiennent à un contexte funéraire. Pourquoi les statues seraient-elles les seuls objets ne
venant pas de la nécropole ? Pourquoi n’ auraient-elles pas été jetées ailleurs avec des restes du décor de villa ou
de jardin dont elles auraient fait partie ? Ensuite, dans les alentours, seuls des vestiges funéraires ont été retrouvés,
mais aucun vestige de villa, et les quelques jardins sont de dimensions trop modestes pour accueillir un tel décor21.
Enfin, nous pourrions suggérer que les statues étaient rattachées à un décor de villa ou de jardin situé beaucoup
plus loin. Mais, dans ce cas, pourquoi les statues auraient-elles été transportées de si loin simplement pour être
20. Dans Darde et al. 1990, p. 171-172.
21. Voir notamment aux n° 74-76 route de Beaucaire, Fiches, Veyrac dir. 1996, p. 396 n° 407.
102
Les ateliers de sculpture régionaux : techniques, styles et iconographie
jetées là ? La pierre des Lens ne sert pas de chaux donc il ne peut s’ agir d’ un dépôt de chaufournier. Si l’ on pense à
un cas de réemploi, pourquoi transporter de lourdes statues sur une si grande distance alors qu’ elles pouvaient être
cassées sur place et remployées directement.
Il semblerait que l’ appartenance des statues au contexte de la nécropole et leur destination funéraire restent
encore aujourd’ hui l’ hypothèse la plus logique et la plus probable.
Interprétation et conclusion
Le groupe des deux nymphes, des deux silènes et des deux chèvres ont pu constituer le riche décor d’ un monument
funéraire particulièrement imposant datant de la première moitié ou du milieu du IIe siècle et appartenant à un
notable de la ville de position aisée. Un portrait du défunt représenté en togatus devait accompagner les autres
statues, soit sous forme de relief sur la paroi principale du tombeau, soit sous forme d’ une statue en ronde bosse
peut-être placée avec les autres. Nous pouvons noter qu’ il y avait largement la place d’ exposer cet ensemble sur le
monument funéraire restitué par Pierre Varène à partir de fragments d’ architecture retrouvés dans la même cavité :
il s’ agit d’ un baldaquin sur plan carré (L. = 4,34 m) élevé sur un haut podium22.
Quant aux deux autres statues, le berger et la tête masculine, il existe deux possibilités : soit elles ont complété
le groupe précédent lors d’ aggiornamenti en l’ honneur de nouveaux défunts de la famille soit elles appartiennent à
un autre monument funéraire de la nécropole.
Ces tombeaux richement décorés, symboles de réussite sociale, viennent rejoindre une liste déjà longue de
monuments découverts en Narbonnaise comme le mausolée des Iulii à Glanum daté de la seconde moitié du
Ier siècle av. J.-C., couvert de reliefs et comportant deux statues de togati. Plus récemment, deux mausolées sont
sortis de terre à Orange en 1999, daté de la fin du Ier siècle av. J.-C. pour l’ un et du début du Ier siècle apr. J.-C. pour
l’ autre.
La découverte de la route de Beaucaire enrichit nos connaissances sur les activités artisanales de la ville de
Nîmes en confirmant la présence d’ un atelier de sculpture durant le IIe siècle apr. J.-C. et de percevoir son activité
sur un long laps de temps. Elle illustre aussi le développement florissant de la société nîmoise avec des notables qui
optent jusque dans leurs tombeaux pour des apparats en adéquation avec les modes romaines.
22. Varène 1970, p. 92-102.
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C. Carrier • Les statues de la route de Beaucaire à Nîmes
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