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dynamique sociale des sources et flux des nouvelles », Sur le journalisme, About journalism, Sobre jornalismo [En ligne], Vol 2, n°1-2013, mis en ligne le 15 avril 2013.

La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles Introduction ÉRIC LAGNEAU Journaliste, chercheur EHESS Institut Marcel Mauss [email protected] JÉRÉMIE NICEY Maître de conférences Université de Tours Communication, Information, Médias (EA 1484) [email protected] MICHAEL PALMER Professeur émérite Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 Communication, Information, Médias (EA 1484) [email protected] FRANCK REBILLARD Professeur des universités Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 Communication, Information, Médias (EA 1484) [email protected] epuis plusieurs décennies déjà, les recherches sur le journalisme ont été invitées à quitter une conception trop étriquement médiacentrée, afin d’intégrer davantage le rôle des sources (Schlesinger, 1990). Celles-ci, loin d’être statiques ou uniques, sont au contraire à considérer comme actives et plurielles, souvent engagées dans des stratégies conflictuelles à propos de l’offre et de l’accès aux médias et, in fine, de constitution de l’information journalistique. Elles alimentent ainsi des flux de nouvelles, dont la technologisation et la mondialisation croissantes au fil des époques (Mattelart, 2000) ont connu une accélération ces dernières années avec le développement de l’internet (George, 2011). Sites web et réseaux socionumériques se sont ainsi rapidement ajoutés à la palette des supports imprimés, audiovisuels, et télématiques, de diffusion des nouvelles. Dans le même temps, ils ont aussi constitué des espaces d’expression pour des individus ou des vecteurs de communication pour des organisations (entreprises, administrations, associations), susceptibles de devenir des sources pour les médias tout en leur donnant aussi les moyens de contourner sur l’internet les habituels gate-keepers de l’espace public médiatique (Cardon, 2010). D Pour citer cet article Référence électronique Eric Lagneau, Jérémie Nicey, Michael Palmer, Franck Rebillard, « La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles », Sur le journalisme, About journalism, Sobre jornalismo [En ligne], Vol 2, n°1 - 2013, mis en ligne le 15 avril 2013. URL : http://surlejournalisme.com/rev 2 Eric Lagneau, Jérémie Nicey, Michael Palmer, Franck Rebillard - La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles La situation s’est donc complexifiée, comme l’illustre de façon assez emblématique l’emploi en français du terme « fil ». Autrefois réservé aux dépêches d’agences vendues aux médias et désormais en partie accessibles sur le Web, ce terme désigne aussi les messages sur Twitter émanant d’individus comme d’organisations, parmi lesquelles les médias. Pour autant, si la situation a ainsi évolué dans sa forme, il n’en reste pas moins une constante sur le fond : sources et flux sont entremêlés au travers de la constitution des nouvelles. Si les sources nourrissent les flux de nouvelles, réciproquement les flux charrient de nouvelles informations qui sont autant de sources potentielles pour les nouvelles à venir. Ce serait ainsi une erreur conceptuelle de séparer ces éléments, de les assigner à un amont et à un aval de l’objet-journalisme, de céder au risque naturalisant porté par la métaphore aquatico-fluviale de l’information (Neveu, 2009). Car la question des sources et flux des nouvelles renvoie assurément à des dynamiques sociales. D’une part, l’activité journalistique de sélection de l’information repose sur une négociation avec les différents protagonistes en lutte pour franchir le gatekeeping, dont dépend l’accès au statut de nouvelle. Cette dernière, d’autre part, est elle-même diffusée par de multiples voies au sein de la société, socialement et historiquement structurées, conditionnant dans bien des cas sa reprise par d’autres médias. Ainsi, la relation sources-nouvelles-flux, loin d’être linéaire et unidirectionnelle, repose sur une dynamique complexe traversant le journalisme de part en part. Afin d’appréhender le premier débat clairement, nous commencerons par définir les termes qui la composent, pour mieux souligner leur interdépendance. Celle-ci a été approchée à partir de plusieurs courants de recherche, dont nous rendrons compte par la suite. Enfin, nous reviendrons sur les articles composant la suite de ce dossier pour en donner quelques illustrations empiriques et contemporaines. NOUVELLES, SOURCES, FLUX : ÉLÉMENTS DE DÉFINITION Définir les nouvelles, et par extension le journalisme, ne nécessite pas de grands développements dans une revue qui s’adresse à des chercheurs spécialistes de ces objets. Nous le ferons donc ici simplement pour clarifier notre propos et, surtout, pour montrer les enjeux qui peuvent être reliés aux deux autres termes de notre question : sources et flux. La définition la plus basique que l’on peut donner des nouvelles est sans doute celle d’informations en lien avec l’actualité. Dès le XIIe siècle, le mot « nouvelle » s’emploie dans le sens de « récit d’une histoire récente », avant de désigner l’« annonce d’un événement » (XIIIe s.), puis ce que l’on apprenait par la rumeur publique (1549) et par le travail des « nouvellistes » (1620) ; les nouvelles deviendront enfin les infos diffusées par divers canaux (1659), au premier rang desquels les journaux (1759) (Palmer, Nicey, 2011 : 212-214). C’est ainsi ce rapport à l’actualité, avec toutefois des périodicités plus ou moins longues (depuis les « flashs » d’information à la radio jusqu’aux magazines hebdomadaires, mensuels voire semestriels), qui distingue la représentation journalistique d’autres activités de représentation du monde (représentation artistique, scientifique, etc.). Ce critère fondé sur l’activité n’est toutefois pas suffisant pour objectiver le journalisme (voir notamment Ruellan, 2007) et donc les nouvelles. En effet, les membres du groupe professionnel des journalistes, que leur appartenance à ce groupe soit autoproclamée (ex : déclarations publiques) ou reconnue statutairement (ex : carte d’identité professionnelle), tiennent à distance des individus exerçant une activité pourtant proche en apparence : journalistes d’entreprise, journalistes institutionnels (travaillant pour des organisations publiques), et plus récemment journalistes amateurs. Si ces derniers ont tant bien que mal été tolérés à mesure que leur production était intégrée par des médias professionnels (souvent des sites web dits participatifs), les deux premiers restent relégués à la frontière symbolique du monde du journalisme. L’argument principal alors invoqué est celui du manque d’objectivité, une valeur pourtant attachée de façon fluctuante au journalisme selon les différentes époques ou les différents lieux (Brin et al., 2004). Toujours est-il que cette frontière symbolique autour du journalisme est maintenue. Elle est une des raisons qui poussent les organisations privées et publiques à déployer des stratégies de communication pour être sources d’une représentation journalistique parée de sa valeur d’objectivité. En sus de cet apport symbolique, est recherchée également la puissance médiatique de captation de l’attention des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes, dans un environnement précisément saturé de flux de nouvelles. Des sources plurielles mais toujours actives Le discours journalistique est marqué par une forte interdiscursivité (Mouillaud, Tétu, 1989) qui, sous la forme de discours externes et rapportés (interviews, citations, extraits de documents...), fait ainsi apparaître clairement les sources de l’article Sur le journalisme - About journalism - Sobre jornalismo - Vol 2, n°1 - 2013 3 ou du reportage. Mais, plus subrepticement, les matériaux fournis par les sources peuvent concourir à la confection de nouvelles sans être explicitement mentionnés (Lewis et al., 2008). Quel que soit le cas de figure, les nouvelles sont donc la plupart du temps des composites, qui s’appuient sur des matériaux eux-mêmes construits par des acteurssources que l’on peut regrouper en trois grandes catégories. Première catégorie d’acteurs : les simples témoins d’un fait retenu comme événement par les médias. Les quidams ayant assisté à la scène (accident, crime, etc.) sont alors interrogés par les journalistes qui vont retranscrire leurs propos ou y faire allusion. Lorsque l’événement médiatique dure et prend la forme d’un media hype qui agrège d’autres sujets d’actualité sur plusieurs jours (Wien, Elmelund-Praestekaer, 2009), le témoin et son discours factuel laissent progressivement la place à l’expert et à son discours de commentaire, recueilli par les journalistes. Témoins et experts sont donc la plupart du temps des sources sollicitées par les journalistes. Toutefois, concomitamment au développement de l’internet, ces individus peuvent aussi entreprendre des démarches actives de transmission de leurs connaissances (connaissance de la situation et connaissances savantes) auprès des médias : dépôt et envoi de vidéos amateurs prises au moment de catastrophes naturelles ; création de blogs de chercheurs et transmission de leurs réactions à l’actualité par les réseaux socionumériques qui, dans certains cas qualifiés de façon révélatrice de personal branding, empruntent beaucoup aux stratégies professionnelles de communication des organisations. Précisément, la seconde catégorie d’acteurs se caractérise en tant que source par le fait de viser la promotion médiatique de ses idées, ou de ses biens et services. Il ne s’agit pas ici d’une promotion commerciale qui passerait par les encarts publicitaires, mais bien d’une insertion plus fine dans l’espace rédactionnel du média. Afin de se glisser ainsi au sein de l’énonciation journalistique, les organisations ont depuis les années 1970 sophistiqué leur arsenal de relations publiques (Miège, 1996) jusqu’à conduire des opérations directement orientées vers les médias : relations-presse, communiqués et conférences de presse, etc. Ces organisations défendent des intérêts parfois antagonistes, comme par exemple entre firmes du secteur nucléaire, ministères en charge de l’écologie et organisations non gouvernementales sur les questions d’environnement. Elles doivent par conséquent rivaliser d’ingéniosité pour capter l’attention des médias, révélant à cette occasion leur maîtrise des attendus et des codes journalistiques (Neveu, 1999). 4 La troisième et dernière catégorie d’acteurs, mais pas la moindre, est celle des pairs. Les sources des nouvelles proviennent en effet souvent d’autres professionnels du journalisme. Pour certains d’entre eux, les journalistes agenciers, ce rôle de source est pleinement assumé et se situe même au cœur de leur métier. Pour d’autres en revanche, notamment les journalistes exerçant dans les médias audiovisuels d’information continue, cette situation de médiasource était moins prévue au départ mais s’est largement développée. Les sites web sommés de produire une « information chaude » avec des moyens limités (Boczkowski, 2010) ont accentué ce processus de news monitoring ou news tuning (Quandt, 2008). Certes une telle tendance existait déjà depuis fort longtemps dans tout type de médias, si l’on pense par exemple à la consultation de la concurrence au moment de la conférence de rédaction. Elle s’est sans doute intensifiée avec la mise en place de rédactions « intégrées » ou bi-médias (presse et Web) dans lesquelles, physiquement, trônent de plus en plus de larges écrans diffusant la production des transnationales de l’information. Des flux démultipliés mais toujours structurés Cette dernière remarque nous rappelle la multiplication des flux de nouvelles au sein des sociétés contemporaines. Pour autant, on aurait probablement tort d’en conclure à un phénomène radicalement nouveau — Zola redoutait déjà en 1888 « le flot déchaîné de l’information à outrance » (Palmer, Nicey, 2011 : 24) ; d’autres le redoutent dans l’Angleterre du XVIIe siècle — et d’y voir une profusion anarchique. Les flux de nouvelles, entendus comme les circuits pris par la diffusion et la dissémination d’informations d’actualité, reposent sur des supports matériels (distribution des journaux papier, transmission de bits par réseaux informatisés, ...) tout autant qu’ils peuvent être informels (échanges verbaux entre sources et journalistes, conversations autour de l’actualité entre amis ou sur le lieu de travail, etc.). Le développement du numérique a facilité la matérialisation, plus exactement la textualisation (Després-Lonnet, Cotte, 2005), d’une partie de ces échanges auparavant informels. Il en résulte donc certainement un surcroît de flux de nouvelles sur support matériel, mais sans que l’on puisse dire si l’ensemble des flux (flux tant matériels qu’informels) a connu, lui, une augmentation globale. Une chose est en tout cas sûre, sur laquelle il faut insister : les flux de nouvelles, qu’ils soient informels ou portés par des supports matériels, ne se déploient jamais de façon autonome. Leurs circuits sont toujours dépendants de l’environnement Eric Lagneau, Jérémie Nicey, Michael Palmer, Franck Rebillard - La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles historique et social dans lequel ils s’insèrent. Cela est vrai pour les échanges informels à propos de l’actualité : depuis le milieu du XXe siècle et des travaux empiriques pionniers, on sait que la circulation de l’information au sein de la société n’est pas massive et univoque, mais transite par des réseaux de sociabilité établis (Lazarsfeld, Katz, 1955). Quant aux réseaux de transmission des nouvelles, du télégraphe aux réseaux informatisés en passant par la radio et la télévision, leur déploiement, là encore, a été façonné par les différents contextes politiques, économiques et sociaux présidant à leur apparition (Flichy, 1995). De façon plus générale, on peut ainsi considérer que les flux de nouvelles sont structurés historiquement, géographiquement, socialement, à chaque fois qu’ils sont activés par les différents acteurs. Au sein de cette dynamique d’ensemble, les acteurs en position de source jouent un rôle important : la nouvelle évolue notablement au gré des sources mobilisées et, en retour, le média ayant diffusé la nouvelle devient lui-même une source. Il y a ainsi rarement — jamais ? — une source unique et originelle, mais plusieurs sources cumulatives. Et leur ordre de succession dépend de la structuration de chaque flux de nouvelles, au sein desquelles on peut percevoir certaines régularités (agences comme organes de validation de la nouvelle, médias prescripteurs, notamment). PENSER LA RELATION ENTRE SOURCES ET FLUX Cette dynamique d’interdépendance entre sources et flux de nouvelles peut être pensée à partir de plusieurs approches. Nous en retiendrons ici trois principales, sans prétendre à l’exhaustivité, mais en considérant leur capacité à envisager conjointement sources et flux. La première approche prend d’emblée une focale internationale car sa problématique est avant tout géopolitique. Sous l’égide d’une économie politique critique de la communication, les flux de nouvelles à travers le monde, qui restent concentrés sur les zones géographiques des États dominants, sont interprétés comme un décalque de l’inégalité des échanges entre pays et continents. L’ordre mondial de l’information se superpose alors à l’ordre économique et géopolitique. L’analyse de la production des transnationales de l’information, agences de presse puis médias d’information en continu, révèle alors leur rôle-clé de source — au sens propre comme au figuré — de ces inégalités. Faut-il dire ici, du reste : « source » ou « fournisseur », lui-même pris dans un jeu de plus en plus complexe d’offres et d’interactions, de retro-actions ? La seconde approche est de nature sociologique. Elle convoque toutefois des courants théoriques assez différents. Dans les premières observations ethnographiques des rédactions, plusieurs travaux empiriques se sont ainsi attachés à décrire les matériaux mobilisés par les journalistes dans leur travail ainsi que les contraintes rendant la relation avec les sources souvent asymétrique. Dans une veine pragmatiste, des recherches plus récentes ont néanmoins montré avec plus de nuances la multitude de ces situations et les grammaires des relations afférentes (Lemieux, 2000). Mais c’est surtout du côté d’une sociologie plus holiste qu’une analyse englobant sources et flux a pu se faire plus systémique. À partir du concept de champ journalistique, la concurrence interne entre médias, aimantée par les médias dominants (commerciaux ou de diffusion restreinte mais à la grande légitimité symbolique) a été perçue comme favorisant une forme de suivisme, une « circulation circulaire de l’information » (Bourdieu, 1996). Enfin, une troisième approche est apparue, qui revient toutefois surtout à revisiter les modèles initiaux de la diffusion de l’information. La différence réside ici surtout dans la méthode, puisque l’essor de l’internet a non seulement procuré de nouveaux terrains mais aussi une disponibilité de données empiriques pour des analyses outillées par le numérique. La matérialité nativement numérique de l’internet offre ainsi la possibilité de retracer ces circuits à grande échelle, et en particulier de voir si les internautes ordinaires se substituent aux médias professionnels comme sources sur les réseaux socionumériques, ou encore d’identifier quels sites sont prescripteurs sur le Web. L’ordre mondial de l’information : la géopolitique des nouvelles vue de l’économie politique de la communication. Longtemps marqué par le contexte géopolitique d’où il devait surgir, le débat sur le nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC/NWICO), au cours des années 1970-80, laissa au moins un document dont on se réclamera encore longtemps — à savoir le rapport dit MacBride, Voix multiples, un seul monde. Un débat plus récent, autour du sommet mondial de l’information (SMSI/WSIS), au tournant des années 1990-2000, fut également marqué par le contexte géopolitique — et, ajoutons-le, géo-économique et géo-technique — de l’époque, mais il ne laissa pas de texte d’une résonance comparable. Dans les années 1970-80, les décolonisations étant terminées, pour l’essentiel, et le clivage EstOuest depuis la deuxième guerre mondiale s’atté- Sur le journalisme - About journalism - Sobre jornalismo - Vol 2, n°1 - 2013 5 nuant quelque peu, s’amplifiaient les revendications du Sud face au Nord. L’information, elle, étant d’un enjeu géo-stratégique vital, une véritable cacophonie d’interprétations du sens du terme se faisait entendre. À la polysémie du mot « communication » s’ajoutait celle de l’« information ». Mais deux traits en ressortaient : la perception que l’information était une denrée aussi importante, mettons, que l’eau (ce qui pouvait amplifier la métaphore aquatique déjà mentionnée), et le sentiment qu’un seul acteur transnational — les agences de presse ou d’information, en l’occurrence — semblait à lui seul symboliser les enjeux du débat. Le monde occidental se trouvait être le siège des principales agences diffusant l’information internationale de par le monde, agences tenues pour responsables d’un déséquilibre de l’information : elles inonderaient le Sud en informations qui ne l’intéressent guère, et elles déformeraient en les noircissant, les nouvelles du Sud diffusées dans l’hémisphère nord. En somme le document précité, connu largement sous le nom de « rapport MacBride » (officiellement le Rapport de la Commision internationale d’étude des problèmes de la communication), les documents préparatoires et les recommandations et déclarations aux alentours, deviendront des artefacts d’un véritable débat civilisationnel. Dans l’acronyme NOMIC — Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication — la notion d’un « ordre » était tout aussi mal perçue que les termes « information » et « communication » étaient polysémiques. Nous étions à une époque où le terme de « propagande » était à proscrire pour tous, ou presque, mais où l’information pour les uns pouvait être synonyme de « promotion intéressée » pour les autres ; par ailleurs, était ancrée la notion d’information mais également un récit des faits lié à une tradition positiviste et à une vision pluraliste des médias. Déjà se multipliaient les références à la société de la connaissance et, dans un tout autre registre, à une économie de l’information où — pour ne citer que le rapport Porat (1977) — on affirmait que plus de la moitié de la main d’œuvre américaine était impliquée dans le « travail de l’information ». Toujours est-il que les agences précitées — news-agencies — étaient tenues par certains qui s’exprimaient dans les débats organisés parfois sous l’égide de l’UNESCO, comme les transnationales acheminant jusqu’à 80 % des informations qui circulaient de par le monde. On dénonçait ce qui fut qualifié d’un oligopole, sans tenir compte de facteurs tels que la concurrence entre ces agences et les coûts, alors conséquents, des réseaux de collecte et de transmission. À l’époque, certes, le nombre d’agences et de télévisions nationales était en expansion, mais leur rôle de vecteur de nouvelles « officielles » de même. En fait, ce débat sur 6 le NOMIC se produisait peu avant que la multiplication de chaînes de télévision diffusées par satellite et qu’encore d’autres progrès des télécommunications allaient modifier de fond en comble la donne informationnelle. En somme, on mit la focale sur l’information — le contenu — au moment même où la technologie et l’économie devaient s’avérer plus déterminantes que jamais. Notons, toutefois, que le débat attira l’attention sur le nombre très réduit d’organisations internationales — radios, télévision, agences… — qui, en effet, servaient de plaque tournante des informations qui circulaient à travers la planète (Boyd-Barrett, Palmer, 1981). Contenu, contenant, réseaux, équipements, production, traitement, diffusion, interactions avec les publics-récepteurs… se devaient d’être pensés dans leur ensemble, mondialement. Il y avait déjà une surabondance informationnelle — même si, dans de vastes régions du monde, celle-ci était contrôlée, orientée, censurée ; par la suite devait s’opérer une multiplication des producteurs de l’information ainsi que des réseaux et des technologies facilitant des échanges multi-directionnels, passant ou non par les médias dits traditionnels (Paterson, Sreberny, 2004 ; Frau-Meigs et al., 2012). De l’asymétrie sources-journalistes à la circulation circulaire de l’information : l’approche sociologique du journalisme Il ne saurait être question de résumer en quelques lignes les apports de plusieurs décennies de sociologie du journalisme à l’analyse des processus de fabrication et de diffusion de l’information. On se contentera ici d’en pointer quelques résultats importants pour notre objet. Loin de se cantonner à une sociologie de la profession, la sociologie du journalisme s’est d’emblée intéressée très concrètement au travail journalistique, et notamment aux circuits de l’information et aux choix rédactionnels opérés par les professionnels, mettant en évidence leur rôle de « gate-keeper ». Dans son étude pionnière, David Manning White (1950) analysait ainsi le manière dont un « telegraph editor » d’un quotidien d’une ville de 100 000 habitants du Midwest, chargé de la confection des pages nationales et internationales du journal, sélectionnait un dixième des dépêches des trois agences américaines de l’époque. Mais il faut attendre les années 1970 et le développement, aux États-Unis d’abord, d’une sociologie du « newsmaking » d’inspiration socioconstructiviste et souvent critique, pour que se multiplient les observations ethnographiques dans les rédactions qui vont enrichir la compréhension des dynamiques sociales à l’œuvre dans la production des nouvelles et inciter à dépasser une approche trop binaire (l’information passe/ ne passe pas) des choix journalistiques. Par- Eric Lagneau, Jérémie Nicey, Michael Palmer, Franck Rebillard - La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles mi ces travaux, Herbert Gans (1980) a par exemple consacré une étude détaillée à la newsworthiness (valeur informative aux yeux des journalistes, qui se rapproche de la notion de « sensation de l’actualité » proposée par Gabriel Tarde dès 1898) en observant le travail de quatre rédactions (CBS, NBC, Time, Newsweek). L’un des points forts de son analyse est de montrer que les chances d’un événement de se voir transformé en information par les journalistes ne dépendent pas seulement de son attractivité (« suitability ») par rapport à leurs attentes et celles de leur(s) public(s) mais aussi d’une économie du traitement journalistique qui le rend plus ou moins coûteux pour eux en fonction des facilités d’accès (« availability »). Et Gaye Tuchman (1978) a insisté sur la nécessaire prise en compte par l’analyste de la manière dont les médias sont structurés et se déploient pour organiser la couverture d’une actualité fortement liée aux activités plus ou moins régulières d’institutions reconnues (« Newsnet »), pointant par exemple des effets liés au rubricage. La notion même de « news-value » apparaît dans une conférence à New York du journaliste Julian Ralph en 1892. Le grand paradoxe de ces intrusions sociologiques dans les salles de rédaction a ainsi été de pointer l’importance du rôle joué par des acteurs externes, les sources, surtout les plus institutionnelles, aussi bien pour le choix de l’information que pour sa vérification ou pour son cadrage. S’il est un résultat solidement établi en la matière par la sociologie du journalisme, c’est bien cette dépendance des journalistes par rapport aux sources institutionnelles, et l’invitation dès lors à sortir du piège du médiacentrisme pour comprendre les mécanismes de production des nouvelles (Schlesinger, 1990). D’intéressantes controverses, notamment entre Stuart Hall (Hall, 1978) et Philip Schlesinger (Schlesinger et Tumber, 1995) sur la notion de « définisseurs primaires », ont néanmoins conduit à adopter, sur ces questions aussi, une approche dynamique. Même les sources les plus institutionnelles doivent développer des stratégies actives pour gagner l’attention des journalistes car elles se heurtent souvent à des résistances de leur part et à la concurrence d’autres sources rivales (Derville, 1997). S’est dès lors développée une riche littérature sur les relations complexes entre les journalistes et leurs sources, et leurs subtiles grammaires (Lemieux, 2000), et plus particulièrement sur les rapports entre les « associés-rivaux » que sont les journalistes et les communicants (Legavre, 2007). Mais les observations ethnographiques ont également mis en évidence la manière dont les nouvelles cheminent d’une rédaction à l’autre. Pierre Bourdieu (1996) a trouvé la formule la plus frappante pour évoquer ce phénomène en parlant de « circulation circulaire de l’information ». Au point de départ, il y a ce constat que « les journalistes qui au demeurant ont beaucoup de propriétés communes, de condition, mais aussi d’origine et de formation, se lisent les uns les autres, se voient les uns les autres », autrement dit, que les premiers lecteurs (auditeurs, téléspectateurs…) des journalistes sont les autres journalistes, avec souvent des mécanismes de veille relativement élaborés (revue de presse, systèmes d’alertes…). C’est ainsi que la logique de concurrence conduit paradoxalement à une homogénéisation de la production journalistique, les « petites différences » si importantes aux yeux des professionnels s’effaçant in fine derrière les « énormes ressemblances ». Il en résulte, pour Bourdieu, une « énorme bouillie homogène qu’impose le cercle (vicieux) de l’information circulant de manière circulaire entre des gens qui ont en commun — il ne faut pas l’oublier —, d’être soumis à la contrainte de l’audimat ». Le mérite de la métaphore est d’inviter à étudier au plus près les mécanismes concrets de cette circulation, à rechercher des circuits préférentiels de l’information et à identifier des médias plus prescripteurs que d’autres. Pour Bourdieu, c’est à partir d’une analyse globale du champ journalistique et du poids des médias commerciaux dominants (TF1 notamment) dirigés par la logique de l’audimat qu’une telle étude devait être menée. Mais d’autres approches conduisent à des résultats assez concordants sur le phénomène d’homogénéisation des contenus comme le montre par exemple l’étude réalisée plus d’une décennie plus tard par Boczkowski (2010) dans un contexte géographique et temporel différent, marqué par la montée en puissance d’Internet. Un éclairage un peu différent sur les phénomènes de suivisme et d’emballement médiatique est également proposé par une sociologie de la mise en visibilité médiatique, d’inspiration pragmatiste, qui analyse les « chaînes de traduction » qui vont de l’événement réel à son public et met en évidence le rôle toujours prépondérant joué par les agences d’information (Lagneau, 2010). Le fait est que sans nécessairement adopter un point de vue systémique (défendu également par Mathien, 1992) de nombreux travaux s’efforcent de retracer à partir d’études empiriques le cheminement des informations pour tenter de mettre en évidence des carrières médiatiques typiques. L’information en réseau : le renouveau des méthodes, outillées par le numérique, d’analyse de la diffusion de l’information. L’analyse de la diffusion de l’information a été au coeur des premiers grands travaux empiriques sur les médias de masse. Les recherches conduites à partir des années 1940 autour de Paul Lazarsfeld à Columbia ont progressivement mis en évidence Sur le journalisme - About journalism - Sobre jornalismo - Vol 2, n°1 - 2013 7 le caractère graduel de la propagation des informations dans la société. Contrairement à l’idée première d’une influence uniforme des messages médiatiques auprès de l’ensemble de la population, il est désormais bien connu que les flux de nouvelles s’accomplissent en deux temps (two-step flow of communication), touchant en priorité des personnes surexposées aux médias, des leaders d’opinion qui à leur tour retraduisent ces informations auprès de leur entourage. Cette conception réticulaire de la diffusion de l’information en société, montrant l’appropriation des nouvelles par des échanges informels au sein des divers cercles de sociabilité (famille, amis, travail), de façon complémentaire à leur transmission directe par les médias, a accompagné de nombreux travaux dans les années 1960 et de façon moindre dans les années 1970 (DeFleur, 1987). Ces travaux, fréquemment consacrés à des événements médiatiques de forte ampleur ou à des « breaking news », tout en constatant des régularités dans les circuits sociaux de diffusion de l’information, ont parfois aussi amené à relativiser le rôle des leaders d’opinion. Une des premières études de ce type (Deutschmann, Danielson, 1960) établit ainsi que, dans la localité de Lansing (Michigan), la crise cardiaque du président Eisenhower en 1955 a été connue à 82 % par les médias et donc à 18 % par des relations personnelles, quand ces taux passaient respectivement à 77 % et 23 % pour l’annonce du lancement du satellite Explorer 1 en 1958. Le résultat de cette étude est cité par Everett Rogers dans son ouvrage sur la diffusion des innovations (2003 : 75-77). Rogers souligne de façon plus globale les parentés de telles approches avec ses propres modèles conceptuels en sociologie de l’innovation : rôle-clé des early adopters, aux propriétés finalement assez voisines des opinion leaders, et courbes « en forme de S » représentant la diffusion, par étapes, des innovations dans la société. Cet essaimage transdisciplinaire va caractériser assez durablement l’approche réticulaire de la diffusion sociale de l’information. Certes des travaux sur la news diffusion continuent à exister dans les années 1980 et 1990, et même parfois de grande envergure comme par exemple l’analyse comparative de la diffusion, dans douze pays, de l’information sur le meurtre du Premier ministre suédois Olof Palme, atteignant un niveau de sophistication certain dans la prise en compte conjointe de la nature de l’événement, des structures sociales et des systèmes médiatiques nationaux (Rosengren, 1987). Mais entre temps, les acquis de la diffusion des nouvelles issues de la sociologie des relations interpersonnelles ont été surtout recyclées dans le marketing et le courant du « word of mouth » (bouche à oreille), avant de connaître un renouveau concomitant du développement de l’internet et de l’autoproclamée « new science of networks » (Mellet, 2009). 8 Cet alliage hétéroclite entre la sociologie des réseaux sociaux et l’informatique, mais aussi la physique fractale et la théorie mathématique des graphes, s’est développé dans les années 2000. La visée pan-disciplinaire de la nouvelle science des réseaux, avancée sur un ton quasi-révolutionnaire par certains de ses promoteurs (voir par exemple Newman et al., 2006) semble toutefois s’être un peu atténuée depuis. Plutôt qu’un renversement de paradigme scientifique, elle débouche de façon plus modeste sur des innovations méthodologiques, parfois regroupées sous l’appellation de digital methods (Rogers, 2010), qui cherchent à tirer profit des données nativement numériques de l’internet pour analyser ce dernier. Les traces d’usages et contenus archivés sur l’internet permettent en effet de fournir des corpora à l’échelle inédite, notamment dans le domaine de l’étude des médias. Parallèlement à cette opportunité méthodologique, l’internet se trouve aussi être un lieu où des modalités de communication différentes de celles des médias de masse sont apparues : blogs, wikis et autres sites dits participatifs, plateformes de réseaux socionumériques. Ainsi, sur le plan théorique, avec cette possibilité pour les internautes de disposer de nouveaux outils pour publier et relayer l’information, l’hypothèse a pu être émise d’une réinclusion des réseaux sociaux dans l’espace médiatique (Domingo et al., 2008). C’est dans un tel contexte que des recherches se sont multipliées ces derniers temps. Leurs résultats sont fort nombreux et il est impossible de les résumer ici, tout comme leurs approximations méthodologiques qui dans bien des cas les fragilisent aussi (voir Rebillard, 2011 pour plus de détails). Par rapport à cette somme imposante de travaux, et surtout au vu du caractère émergent de ce secteur de recherche, le mieux sera par conséquent ici de plutôt pointer les pistes suivies par rapport à la problématique des sources et flux de nouvelles. Ainsi, à propos de l’information en ligne, plusieurs recherches ont cherché à voir si de nouvelles modalités de diffusion et de dissémination de l’information apparaissaient avec les possibilités offertes aux internautes de davantage intervenir dans le flux des nouvelles. De premières recherches se sont penchées sur le rôle des blogueurs en tant que sources et relais des informations. Ainsi, de façon emblématique, une recherche menée en Corée du Sud (Im et al., 2011) s’inscrivant explicitement dans la continuité des travaux sur la news diffusion, propose le concept de news seed afin de mieux mettre en relief la possibilité offerte aux blogueurs de publier des nouvelles ou de se saisir de nouvelles produites par les médias professionnels pour les re-diffuser une fois transformées. Cette recherche, qui comme beaucoup d’autres fait référence aux théorisations Eric Lagneau, Jérémie Nicey, Michael Palmer, Franck Rebillard - La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles post-modernes sur la participatory culture ou la spreadability des media viruses (Jenkins, 2009), aboutit à des conclusions contrastées. Les nouvelles semblent subir des transformations particulièrement nombreuses sur l’internet, mais sans que l’on puisse juger de leur degré de nouveauté en l’absence de données similaires dans les enquêtes antérieures1. Surtout, les courbes de diffusion observées sur l’internet semblent très proches de celles déjà connues à l’époque des seuls médias de masse (courbes en S). Par la suite, les recherches se sont focalisées sur les plateformes de réseaux socionumériques. Ces travaux, souvent marqués par un certain gigantisme empirique, aspirent les centaines de milliers voire millions de données numériques présentes sur ces plateformes (messages échangés, profils des comptes utilisateurs, liens établis entre comptes ou vers des sites web etc.) en espérant ainsi retracer des circuits sociaux de diffusion de l’information, de façon bien plus exhaustive que par les méthodes précédemment employées (questionnaires, entretiens). Les travaux portant sur Facebook, plateforme la plus communément utilisée, s’intéressent ainsi à la sociabilité autour de l’information en ligne, aux membres les plus influents en la matière et aux modèles de propagation afférents. Avec Twitter, plateforme aux fonctionnalités plus en phase avec la dimension d’actualité des nouvelles, la question des sources au sein du flux est davantage présente. Dans cette perspective, des chercheurs (Asur et al., 2011) ont par exemple avancé, à propos des sujets d’actualité les plus discutés sur Twitter, que les informations issues des comptes portant le nom d’organisations médiatiques de premier plan (CNN, New York Times, Reuters, BBC, entre autres) étaient les plus citées. Une telle affirmation doit cependant, là encore, être prise avec précaution car elle repose sur une méthode purement quantitative fondée sur l’intitulé des comptes Twitter et non sur une enquête sociologique permettant de vérifier l’identité de leurs détenteurs. Reste qu’elle rejoint d’autres constats soulignant la prééminence des médias professionnels, de façon plus globale, dans les flux des nouvelles sur l’internet. Les plus illustres de ces médias ne se privent d’ailleurs pas de souligner leur capacité à alimenter les flux d’informations, telle la chaîne CNN qui en 2002 prit pour slogan publicitaire : « Maintenant, vous n’avez plus à suivre les nouvelles, ce sont elles qui vous suivent » (Palmer, Nicey, 2011 : 120). Au-delà de l’étude du rôle des internautes dans la diffusion de l’information, les méthodes numériques ont été également employées pour analyser les flux de nouvelles entre sites professionnels. Le modèle des hubs and authorities, un des modèles fondateurs de la nouvelle science des réseaux pour caractériser la structure du Web entre principaux sites référenceurs et sites référencés, a par exemple été aménagé pour examiner le flux des nouvelles en ligne (Weber, Monge, 2012). Il débouche empiriquement sur une articulation quelque peu attendue entre les principales agences comme sources (Reuters, Associated Press), les sites de grands quotidiens comme authorities (New York Times, Los Angeles Times), et les portails et agrégateurs comme hubs (Google News, Yahoo News). Ainsi les méthodes appuyées sur le numérique se voient-elles utilisées pour analyser ce qui constituait autrefois les flux formels de nouvelles, et pas seulement les flux informels à mesure que ces derniers se superposent avec les premiers. Il faut noter aussi que les méthodes appuyées sur le numérique à propos des flux de nouvelles connaissent des applications audelà de l’information en ligne, tout simplement parce que les nouvelles diffusées sur d’autres supports (papier et audiovisuel) sont progressivement numérisées. Ainsi, c’est en s’appuyant sur la base de données Factiva d’archives de journaux, sur une période longue de 2005 à 2011, que le projet PulseWeb a pu notamment retracer trois grands flux de nouvelles à propos du thème de la sécurité alimentaire dans la presse internationale (Cointet et al., 2011). En s’appuyant sur les données de Factiva mais aussi sur les fils RSS des grands quotidiens nationaux à travers le monde, le projet GeoMedia réalise une analyse de la médiatisation des différentes régions du monde (Grasland et al., 2012) qui n’est pas sans rappeler les problématiques relatives à l’ordre mondial de l’information. Quant au projet OT-Media2, son ambition est de constituer une base de données transmedia, rassemblant des nouvelles numérisées issues aussi bien de la presse que de la radio, de la télévision et du Web. Son objectif est ainsi d’étudier les flux des nouvelles à l’échelle de la totalité du paysage médiatique français et d’identifier notamment les principaux médias prescripteurs du gatekeeping et de la reprise de l’information, dans une démarche qui rejoint les préoccupations traditionnelles de la sociologie du journalisme. Ainsi, on le voit, les méthodes numériques viennent en appui à des problématiques qui traversent l’ensemble de la question des sources et flux des nouvelles. Au-delà de la seule diffusion de l’information, elles peuvent nourrir par des données empiriques les deux autres approches de la géopolitique des nouvelles et de l’approche sociologique du journalisme. QUELQUES ILLUSTRATIONS CONTEMPORAINES Les trois approches présentées précédemment ont plusieurs décennies d’existence. Elles restent toutefois très présentes dans les recherches actuelles comme en témoignent les articles composant ce dossier. Leurs auteurs exercent dans différents pays Sur le journalisme - About journalism - Sobre jornalismo - Vol 2, n°1 - 2013 9 (États-Unis, France, Portugal, Royaume-Uni), correspondant à la visée de la revue de couvrir les recherches sur le journalisme dans trois grandes aires linguistiques. Les médias observés sont eux aussi fort variés, de la presse quotidienne aux sites web d’actualité, en passant par les agences d’information y compris audiovisuelles. Pourtant, ces recherches partagent un certain nombre de référents et, surtout, se situent bel et bien dans l’une ou plusieurs des trois grandes approches des sources et flux des nouvelles précédemment identifiées. Le texte de John Jirik se réfère explicitement aux enjeux du Nouvel ordre mondial de l’information, rendant compte de façon détaillée de la littérature sur la géopolitique des nouvelles, revue de littérature qui a été seulement esquissée dans cette introduction. Son travail consacré au service TV de Reuters défend la thèse d’une persistance de la domination des informations en provenance et à propos des pays occidentaux, malgré quelques infléchissements en direction des pays dits émergents. Le travail de Sonia Lamy est lui aussi d’une facture assez classique, mais cette fois à propos des relations entre les journalistes et leurs sources. Les stratégies de communication des organisations non gouvernementales sont étudiées par le biais de la place qui leur est faite dans les colonnes d’un quotidien portugais d’importance. Un des résultats de l’analyse consiste à montrer que la négociation du gatekeeping entre journalistes et sources est fortement dépendante de l’actualité (crise humanitaire, problème environnemental). La recherche de Sylvain Parasie et Éric Dagiral revient elle aussi sur l’asymétrie caractérisant les re- lations entre les journalistes et les sources. Il est ici question d’une possible opportunité contemporaine de l’internet résidant dans la mise à disposition de données, essentiellement produites par des administrations. Le traitement informatique de ces données peut en effet fournir un appui supplémentaire aux journalistes et même les amener à contourner leurs interlocuteurs institutionnels habituels que sont les services de police, de santé, etc. L’analyse d’Emmanuel Marty et d’Annelise Touboul porte aussi sur le journalisme en ligne. S’intéressant toutefois moins au travail des journalistes qu’à leurs productions éditoriales, les deux chercheurs emploient des méthodes outillées par le numérique pour analyser la succession chronologique d’un vaste corpus d’articles. Ceci permet aux auteurs d’objectiver pour le Web une tendance à la circulation circulaire de l’information, dont les acteurs peuvent être identifiés. Un dernier texte est l’œuvre de Chris Paterson, un des spécialistes des transnationales de l’information (agences de presse, chaînes d’information en continu) dont les nombreux travaux empiriques ont permis de suivre l’évolution de l’ordre mondial de l’information. Sa contribution, qu’il considère lui-même de l’ordre de l’essai plus que de l’article scientifique, est plus originale. D’abord parce que son terrain ici, l’Afrique subsaharienne, est plus rarement étudié. Ensuite et surtout parce que les éléments recueillis laissent penser que les réseaux de communication numériques, internet et téléphonie mobile, pourraient favoriser une diffusion de l’information véritablement alternative aux flux et sources et nouvelles structurant habituellement cette région du monde. NOTES 1. Les individus étaient interrogés sur leur connaissance d’une nouvelle et leur éventuelle transmission à d’autres, mais leur activité de transformation de la nouvelle n’était pas mesurable. 10 2. OT-Media est un projet d’Observatoire Transmedia soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR 2010 CORD 01506), auquel participent deux des coordinateurs de ce dossier. Eric Lagneau, Jérémie Nicey, Michael Palmer, Franck Rebillard - La dynamique sociale des sources et flux des nouvelles RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Asur, S., Huberman, B. A., Szabo, G. et Wang, C., 2011, « Trends in Social Media : Persistance and Decay », Eprint arXiv, 1102.1402, [http://www.hpl.hp.com/research/scl/ papers/trends/trends_web.pdf] Boczkowski, P. J., 2010, News at Work : Imitation in an Age of Information Abundance, Chicago, The University of Chicago Press. Bourdieu, P., 1996, Sur la télévision, Paris, Liber/Raisons d’Agir. Boyd-Barrett, O. et Palmer, M., 1981, Le trafic des nouvelles. Les agences mondiales d’information, Paris, Alain Moreau. Brin, C., Charron, J. et De Bonville, J. (Éds.), 2004, Nature et transformation du journalisme. 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