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La justice environnementale comme équité

2013, Ecologie & politique

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LA JUSTICE ENVIRONNEMENTALE COMME ÉQUITÉ La politisation des conflits environnementaux en République populaire de Chine Richard Balme Presses de Sciences Po | « Écologie & politique » 2013/2 N° 47 | pages 63 à 75 ISSN 1166-3030 ISBN 9782724633160 © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2013-2-page-63.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- La justice environnementale comme équité La politisation des conflits environnementaux en République populaire de Chine richarD balMe Résumé – Cet article explore les développements de la politique de l’environnement en République populaire de Chine sous l’angle de la justice environnementale. Alors que l’étendue des atteintes à l’environnement et leurs impacts économiques et sociaux sont relativement bien renseignés, les implications politiques des conflits environnementaux sont moins précisément connues. L’article montre que les développements de la législation, des mobilisations protestataires, des procédures de consultation publique et des actions en justice ont introduit des évolutions significatives dans les procédures de l’action publique environnementale en Chine au cours de la dernière décennie. Même si ces innovations restent locales et sont loin de renverser la situation de l’environnement en Chine, elles représentent des changements significatifs dans les interactions entre les parties prenantes de la politique environnementale. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) KeywoRds – China, environmental policy-making, environmental justice. Les questions environnementales posent assurément des défis redoutables aux responsables politiques de la République populaire de Chine (RPC). Les impacts de la pollution et de la dégradation de l’environnement sur la production agricole, la pénurie d’eau, la santé publique et la croissance économique sont en effet considérables et relativement bien renseignés. De plus, tant la taille de la population chinoise que l’intensité du développement du pays influencent l’environnement global, comme en témoigne le fait que la Chine soit devenue depuis 2007 le premier émetteur de dioxyde de carbone au monde. Les politiques environnementales chinoises ont donc une importance cruciale à la fois au niveau national et au niveau international. Sur le plan intérieur, elles font face à d’épineuses questions susceptibles d’affecter profondément la relation et même de créer ou d’alimenter une situation de défiance entre la population et les autorités publiques. La gestion des risques environnementaux met effectivement en jeu la capacité de l’État à assurer une dimension de plus en plus importante de la sécurité civile. Les accidents environnementaux et les ÉCOLOGIE & POLITIQUE n° 47/2013 © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) mots clés – Chine, politiques de l’environnement, justice environnementale. AbstRAct – This paper explores developments in environmental policy-making in China under the angle of environmental justice. While the extent of environmental damages and their social impacts are relatively well known, the political implications of environmental conflicts are less documented. The paper shows that the developments of legislation, collective action, public participation and litigation, served as converging factors to allow for some significant improvements in environmental policy-making procedures over the last decade. Although these innovation remained local, and far from reversing the general state of the environment in China, they introduced significant changes in the patterns of interaction among relevant policy stakeholders. Les écologies politiques aujourd’hui (5) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) conséquences les plus dramatiques de la pollution pour les populations révèlent aussi des comportements de négligence ou de cynisme qui nourrissent un profond sentiment d’injustice, en particulier lorsque ces situations demeurent sans réparation. La façon dont les questions environnementales sont conflictualisées et traitées par l’action publique est donc de première importance pour la situation politique en Chine, car elle est au cœur de l’exercice des compétences de l’État en matière de sécurité et de justice, et donc de la construction de la confiance entre les citoyens et leurs institutions. Cet article a pour objectif de dresser un bilan de la situation des droits environnementaux en Chine, d’analyser les interactions politiques qui entourent ces derniers et de discuter leurs implications pour le système politique chinois. L’étude se fonde sur des entretiens réalisés avec des fonctionnaires, des activistes et des experts, ainsi que sur la documentation recueillie dans plusieurs provinces chinoises (municipalité de Pékin, provinces du Yunnan, du Gansu et du Zhejiang) entre 2008 et 2011. La justice environnementale signifie ici la production, la mise en œuvre et la défense des droits liés à la protection et à l’accès aux biens environnementaux 1. Ces droits incluent aussi bien les droits de propriété et la réglementation des industries que la législation relative à la gestion des ressources environnementales, des déchets polluants, des catastrophes naturelles ou des risques pour la santé liés à la qualité de l’environnement. Bien que l’environnement soit souvent considéré comme un bien public « pur » (l’écosystème terrestre, la stabilité du climat), la politique environnementale est en pratique constituée d’une mosaïque de situations impliquant la production de biens publics locaux (la qualité des zones résidentielles, la protection des espaces sauvages, ainsi que l’évitement ou l’atténuation d’externalités négatives résultant de la pollution ou des risques naturels). Or, l’accès aux biens environnementaux est éminemment conditionné par des facteurs résidentiels conjugués à des clivages de classes, ethniques et sociaux. La dure réalité de la hiérarchie spatiale urbaine et internationale révèle que l’idée d’une égalité absolue d’accès aux biens environnementaux reste un horizon utopique. Sous cet angle distributif, la justice environnementale reste nécessairement très imparfaite 2. C’est plutôt dans la construction de ces inégalités en objet de litige et de conflit, et dans leurs modes de résolution et de réparation, qu’il faut chercher l’éventuelle élaboration d’une justice environnementale. Cette perspective qui lie la justice distributive et l’équité procédurale (au sens large) s’inscrit dans le prolongement de la théorie rawlsienne de la justice. Nous nous intéresserons aux dimensions comportementales de la justice 1. T. Hayward, Constitutional Environmental Rights, Oxford University Press, Oxford, 2005 ; D. Schlosberg, Defining Environmental Justice. Theories, Movement and Nature, Oxford University Press, Oxford, 2007 ; H. M. Osofsky, « Learning from Environmental Justice. A New Model for International Environmental Rights », <papers.ssrn.com>. 2. Y. Secret et N. Johnstone (dir.), The Distributional Effects of Environmental Policy, Organisation de coopération et de développement économiques, Paris, 2006. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 64 La justice environnementale comme équité 65 environnementale en Chine, et montrerons comment la convergence des progrès de la législation, des mobilisations, de la participation dans les décisions publiques et de l’action en justice a permis une amélioration significative de la politique environnementale chinoise au cours des dix dernières années. Bien que locales, ces innovations ont introduit de nouveaux schèmes d’interactions parmi les acteurs des politiques publiques. Leurs effets à long terme dépendront néanmoins de l’engagement des dirigeants de la RPC envers des formes de développement plus durables, et des conditions politiques de leur mise en œuvre. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) L’image de la RPC comme le « plus grand pollueur du monde » suggère que les autorités chinoises sont peu enclines à reconnaître les problèmes environnementaux du pays et à adopter une politique adaptée à ces enjeux. Cette hypothèse est pourtant erronée : la RPC dispose aujourd’hui d’un cadre législatif comparable à bien des égards à celui des pays développés 3. Au tout début du processus international en matière environnementale, la RPC a envoyé une délégation à la conférence de Stockholm en 1972 ; c’est dans le sillage de la création du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) que fut organisée la première conférence nationale sur l’environnement à Pékin en 1973. En 1982, un bureau de la Protection de l’environnement fut créé et placé sous la tutelle du ministère de la Construction rurale et urbaine et de la Protection de l’environnement. En 1984, ce bureau, toujours sous la même tutelle, fut renommé agence nationale de la Protection de l’environnement (National Environmental Protection Agency, NEPA). En 1998, la NEPA obtint un statut ministériel et devint l’administration d’État de la Protection de l’environnement (Guojiahuanbaozongju, ou en anglais : State Environmental Protection Administration, SEPA). En 2005, la SEPA lança un programme de comptabilité verte de l’économie nationale (connu sous le nom de politique du « PIB vert ») et une stratégie d’évaluation environnementale, dont l’objectif était d’évaluer l’impact en termes d’environnement et de pollution des projets de développement avant l’étape de la prise de décision. En mars 2008, à la suite de diverses réformes, la SEPA fut promue au rang de ministère de la Protection de l’environnement (MPE, HuanjingBaohuhu). L’application des réglementations et des programmes établis par le ministère dépend de bureaux de la Protection de l’environnement (BPE) provinciaux, régionaux ou municipaux. Sur le plan législatif, la Constitution de 1978 faisait déjà référence à l’environnement en disposant que « le pays devra protéger l’environnement et les ressources naturelles et empêcher la pollution et autres dangers pour la 3. J. Liu et J. Wang, China’s Environment, China Intercontinental Press, Pékin, 2010 ; J. Boyce, S. Narain et E. Stanton (dir.), Reclaiming Nature. Environmental Justice and Ecological Restoration, Anthem Press, Londres, 2007 ; E. Laurent, « Environmental Justice and Environmental Inequalities. A European Perspective », Document de travail de l’OFCE, n° 2010-05, mars 2010. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Des lois environnementales aux droits environnementaux ? Les écologies politiques aujourd’hui (5) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) population ». La nouvelle Constitution de 1982 en vigueur aujourd’hui a repris les mêmes formulations, et plusieurs de ses articles (9, 10, 22 et 26) mentionnent l’environnement et fondent la législation qui lui est consacrée. La Loi sur la protection de l’environnement a été adoptée en 1979 et promulguée dix ans plus tard, après une période d’essai prévue par la loi. Elle a été complétée par un ensemble de lois spécifiques sur la pollution provoquée par les déchets solides, la pollution atmosphérique, la pollution aquatique, l’environnement marin, la pollution sonore, la pollution radioactive, la préservation de l’eau, la sylviculture, les prairies, la protection des animaux sauvages, l’agriculture, les ressources énergétiques ou encore les énergies renouvelables. Bien que, comme dans la plupart des pays, la Constitution ne définisse pas l’environnement comme un droit fondamental des citoyens, l’intégration de l’environnement dans la législation a eu de profondes implications. Parmi ces divers développements législatifs, la RPC a édicté en 2003 une Loi sur l’évaluation de l’impact environnemental. L’adoption de cette loi a permis de réaliser un pas important en faveur de la protection de l’environnement, tant par son contenu que par la référence explicite aux « droits environnementaux publics et individuels » qu’on y trouve. Elle dispose également que « l’État encourage les collectivités concernées, les experts et le grand public à participer à l’évaluation de l’impact environnemental de façon appropriée ». La loi a également affirmé le principe de l’obligation d’information : « En ce qui concerne les projets susceptibles d’avoir des effets négatifs sur l’environnement et d’affecter directement les droits et les intérêts environnementaux, le fonctionnaire en charge de la planification devra organiser une audition ou faire usage de tout autre moyen lui permettant de connaître l’opinion des unités concernées, des experts et du grand public vis-à-vis de la première version du rapport d’évaluation de l’impact environnemental, et cela avant de soumettre le projet à approbation. » En d’autres termes, la loi a rompu, du moins en principe, l’approche strictement technocratique d’une gestion environnementale réservée aux experts et a rendu possible la participation du public à la fabrique des politiques environnementales (voir infra). Sur un autre plan, l’Assemblée nationale populaire (l’Assemblée législative de la RPC) a modifié la Loi sur la prévention et le contrôle de la pollution aquatique ; l’article 7 de la loi a introduit le concept de « compensation écologique » en concevant pour la première fois que la protection de l’environnement pouvait éventuellement conduire à un conflit d’intérêts. Le principe de compensation écologique était utilisé depuis 1999, bien avant son introduction dans la loi, dans le programme de reforestation (« Des terres agricoles à la forêt ») pour compenser la perte de revenu des fermiers. Cette politique concerne aujourd’hui vingt-cinq provinces et 32 millions de foyers ruraux ; 132 milliards de yuans ont été mobilisés par le gouvernement central entre 1999 et 2009. Au-delà de ce programme, la SEPA a publié un document (une « opinion ») spécifiant les principes de base et les lignes directrices de la compensation écologique. Le document entérine le principe du « pollueur-payeur », en désignant les promoteurs des projets de développement comme responsables du coût des mesures de protection, et en prévoyant que l’utilisation des ressources naturelles peut © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 66 La justice environnementale comme équité 67 ouvrir un droit à d’éventuelles mesures de compensation. D’autres expériences ont été menées dans certains secteurs comme celui de la gestion de l’eau. Un mécanisme de compensation a par exemple été établi pour l’utilisation des ressources hydrauliques entre Pékin et la province du Hebei qui l’environne, entre les localités en aval et en amont du fleuve Dong dans le Guangdong, ou le long du Xin’anjiang dans la province du Zhejiang. La compensation écologique est appliquée non sans difficultés, en particulier lorsqu’il s’agit de définir le montant et la durée de la compensation. Mais l’expérience de la compensation pour résoudre des conflits d’intérêts en matière de gestion des ressources entre le gouvernement et les citoyens, ou entre les localités, est un développement important. L’inscription de ce principe dans la loi et dans les documents officiels a facilité l’émergence de controverses sur les politiques environnementales et a aussi ouvert la voie à l’action juridique en la matière. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Il est évident que ces progrès législatifs et institutionnels n’ont jusqu’à présent pas réussi à transformer substantiellement la situation environnementale en Chine, et que les citoyens chinois doivent souvent faire face à des situations caractérisées par des injustices environnementales criantes. Pourtant, en dépit du caractère fortement bureaucratisé du gouvernement, des mouvements sociaux font régulièrement irruption et changent en certaines occasions le cours de la politique environnementale. Plusieurs cas, tels que les manifestations en 2007 à l’encontre de la construction d’un complexe pétrochimique produisant du paraxylène (PX) à Xiamen, dans la province de Fujian, ont attiré une attention considérable au cours des dix dernières années. Le projet en question a tout d’abord été retardé, puis transféré dans la péninsule de Gulei, à Zhangzhou, à la suite d’une ample mobilisation de la population 4. Nous nous intéresserons ici à un autre cas célèbre relatif à un projet hydroélectrique. Au vu du besoin croissant de la Chine en énergie et de la nécessité de diversifier ses sources d’énergie du fait des engagements liés au changement climatique, la RPC a lancé des projets hydroélectriques gigantesques, dont le plus connu est le barrage des Trois Gorges sur le fleuve Yangzi Jiang. Cette politique implique la construction d’une centaine d’autres barrages, dont certains sont monumentaux. La province du Yunnan est dotée de grandes ressources hydrauliques : le Yangzi Jiang, le Lancang Jiang (Mékong) et la rivière Nu (Salouen) traversent son territoire. Trente-trois barrages y sont actuellement en construction. Les projets, souvent localisés sur les territoires de minorités ethniques, ont de graves répercussions sur l’habitat et l’héritage culturel de ces dernières. Ils impliquent des déplacements de population, qui sont des processus difficiles à gérer. Ils affectent aussi gravement les écosystèmes. Ils créent enfin un facteur de risque particulièrement important dans ces régions exposées aux 4. B. Pedroletti, « Mobilisation publique en Chine contre l’implantation d’une usine chimique », Le Monde, 4 juin 2007. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Les mobilisations pour la justice environnementale Les écologies politiques aujourd’hui (5) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) tremblements de terre. La province du Yunnan rassemble donc tous les ingrédients pour que des conflits de haute intensité y éclatent. Sans surprise, des confrontations et des manifestations opposant les habitants et les compagnies hydroélectriques s’y déroulent fréquemment et sont violemment réprimées par les forces de l’ordre. Les médias, qui couvrent pourtant généralement de façon très active les problèmes environnementaux, sont strictement tenus à l’écart des manifestations. Dans la grande majorité des cas, la population dispose de capacités de mobilisations restreintes, et les barrages sont construits après un processus difficile de confrontation, de déplacement de la population et de transformations irrémédiables des cours d’eau 5. Dans le cas de la rivière Nu, les ONG ont pourtant été capables d’arrêter la construction de treize barrages sur le point d’être construits. La mobilisation a été lancée et coordonnée par l’ONG Green Watershed et son directeur, Yu Xiagang 6. La controverse a débuté en 2003 ; bien qu’elle ne soit toujours pas résolue aujourd’hui, il est probable que les travaux ne soient pas entrepris au cours du 12e plan quinquennal (2012-2017). Green Watershed a employé une stratégie d’alliance avec d’autres ONG et de publicisation intensive de l’enjeu dans les médias. L’ONG a également essayé de mobiliser des soutiens à Pékin par le biais des partis démocratiques qui siègent à la Conférence consultatie politique du peuple chinois 7, de façon à contourner les pressions locales des responsables politiques de la province du Yunnan, et pour alerter la commission nationale pour le Développement et la Réforme (National Development and Reform Commission, NDRC) 8 et le Premier ministre Wen Jiabao. Critiquant l’absence de diffusion d’information lors de l’évaluation d’impact environnemental des projets, elle a été capable de mener une contre-expertise et de la transmettre au Premier ministre. Le tremblement de terre de Wuchuan en 2008 et les controverses sur la construction du barrage des Trois Gorges ont certainement changé les perceptions du gouvernement central : la localisation des treize barrages sur une ligne de faille sismique a conduit Wen Jiabao à repousser le projet et à commander d’autres études 9. L’issue de cette mobilisation est remarquable dans le sens où la rivière Nu est le seul cours d’eau chinois dont le cours principal n’a pas été affecté à ce jour par les grands projets hydroélectriques 10. La dynamique n’a pas remis en cause l’engagement massif du gouvernement chinois en faveur de l’énergie hydroélectrique. Mais ce succès n’est pas seulement symbolique. La mobilisation est 5. Travail de terrain dans la province du Yunnan, août 2009 et juillet 2011. 6. Entretien à Kunming, 28 juillet 2011. 7. Les partis démocratiques regroupent les huit organisations ayant fait alliance avec le Parti communiste chinois lors de la guerre civile. Ils sont aujourd’hui formellement représentés au sein de la Conférence consultative du peuple chinois et soutiennent le leadership du Parti. 8. La commission nationale pour le Développement et la Réforme, qui a succédé à la commission de la Planification d’État, est l’organe de conception et de coordination des politiques économiques et sociales, placé sous le Conseil des affaires de l’État et l’autorité directe du Premier ministre. 9. Pour plus de détails sur les premières étapes du processus, voir A. C. Mertha, China’s Water Warriors. Citizen Action and Policy Change, Cornell University Press, Ithaca, 2008. 10. Des barrages de taille réduite ont néanmoins été construits sur des affluents de la rivière Nu. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 68 La justice environnementale comme équité 69 © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) La participation publique et la fabrique des politiques environnementales Avec l’entrée en vigueur de la loi de 2003, l’organisation d’auditions publiques est devenue obligatoire pour que les évaluations d’impact environnemental (EIE) des grands projets de construction soient validées et, in fine, que ceux-ci obtiennent une autorisation administrative. De nouvelles interactions politiques ont vu le jour avec ce changement procédural significatif en matière de droits environnementaux. En 2004, la construction de la ligne de haute tension de Xishangliu a été entreprise illégalement par la Compagnie d’électricité de Pékin, sans qu’une EIE ait été réalisée à ce stade. Non seulement la ligne allait affecter les paysages du palais d’Été avoisinant (un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998), mais un grand nombre de quartiers résidentiels et d’institutions éducatives allaient également être placés à proximité d’un champ de radiations électromagnétiques intenses. Le 13 août 2004, le BPE de Pékin organisait une audition publique au sujet de l’EIE finalement conduite rétrospectivement par la compagnie d’électricité. Le rapport, qui avait été réalisé par une agence choisie et payée par la Compagnie d’électricité de Pékin, concluait à la viabilité du projet et à l’absence de risques significatifs pour la population. Après l’audition, des membres du public ont formulé par écrit une requête formelle 11. X. Lei, « China’s Environmental Activism in the Age of Globalization », Asian Politics & Policy, vol. 3, n° 2, avril 2011, p. 207-224. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) parvenue à arrêter un processus de décision particulièrement autoritaire pour les populations concernées et, par conséquent, à mettre en place puis à défendre une situation de justice environnementale locale. La justice environnementale en Chine est précisément constituée par la difficile conquête de positions éminemment relatives et provisoires. La mobilisation autour de la rivière Nu invite à considérer la justice environnementale comme la création d’opportunités de changement établissant des configurations sociales et environnementales plus équitables ou moins injustes. Les controverses environnementales provoquent l’organisation et la mobilisation d’une trame de la société civile faite d’entrepreneurs de politiques publiques, d’ONG dûment observées par le pouvoir, d’experts à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, et des populations locales concernées qui s’engagent dans des comportements de protestation. L’activisme environnemental est apparu en Chine dans la seconde moitié des années 1990 11. Cette société civile environnementale faiblement institutionnalisée, dynamique et changeante qui se déploie entre la société, le gouvernement et le Parti communiste, est exposée à des procédures administratives tatillonnes et aux aléas d’un contrôle politique intermittent mais arbitraire. Elle est néanmoins devenue un élément essentiel de politisation des conflits et de développement de l’action publique environnementale en Chine. Les écologies politiques aujourd’hui (5) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) auprès de la SEPA pour contester la validité du rapport. Cette requête ayant été rejetée, les plaignants ont intenté un procès auprès du tribunal de Haidian pour contester l’approbation du projet par le BPE de Pékin. L’affaire a duré quatre ans, jusqu’à ce que la cour intermédiaire numéro 1 rejette le second appel le 15 décembre 2009. Dans une autre affaire, en mars 2005, l’universitaire Zhang Zhengchun, après avoir observé des ouvriers poser un câblage imperméable en plastique au fond du lac de l’ancien palais d’Été à Pékin, mit en ligne sur le site people.com.cn un article décrivant l’opération comme un « désastre écologique dévastateur ». Ce texte allait provoquer un scandale médiatique et une ample réaction du public. Le 1er avril, la SEPA ordonnait à l’administration de l’ancien palais d’Été d’arrêter les travaux et de procéder à une EIE suivie d’une audition sur la base des résultats du rapport d’évaluation. L’audition fut en fait réalisée avant la livraison du rapport. À partir des opinions exprimées par le public, la SEPA demanda à l’université Tsinghua de réaliser l’EIE. Le 5 juillet de la même année, l’administration acceptait les conclusions du rapport et ordonnait à l’administration de l’ancien palais d’Été d’acter les changements nécessaires. Ce cas a joué comme un détonateur pour la participation du public dans le domaine de la protection de l’environnement. Bien que l’organisation de l’audition n’ait pas été parfaite, pour la première fois, la plus haute autorité publique en matière de protection de l’environnement ordonnait une audition publique. Un an plus tard, en 2006, la SEPA publiait les « mesures temporaires pour la participation du public aux évaluations d’impact environnemental 12 ». Les habitants de Liulitun ont par la suite eux aussi remis en cause le BPE de Pékin, en demandant à la SEPA de réexaminer l’approbation de l’étude d’impact d’une usine d’incinération de déchets ; ils soulignaient le caractère inapproprié de la localisation du projet et les errements de la procédure de consultation du public. La SEPA a émis une décision en juin 2007 imposant une nouvelle consultation avant que la décision de débuter les travaux ne soit prise. Les procédures de consultation publique associées aux études d’impact ne sont évidemment pas la panacée des politiques environnementales. Elles offrent cependant au public une voie d’accès aux politiques publiques qui lui permet d’exprimer ses préférences, mais surtout un levier légal pour contester les abus et, dans certains cas, infléchir ou renverser la prise de décision 13. 12. J. Zhang, « Plight of the Public », Chinadialogue, 19 juillet 2011, <www.chinadialogue.net>. 13. Pour une analyse plus détaillée de la participation du public aux politiques publiques dans la RPC, voir, en chinois, D. Cai (dir.), Public Participation. A Framework for the Risk Society, China Law Press, Pékin, 2009. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 70 La justice environnementale comme équité 71 © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Les progrès de la législation environnementale et la multiplication des conflits environnementaux ont logiquement mené à l’expansion des litiges environnementaux dans la RPC. Selon Gao Jie, le nombre d’affaires liées à l’environnement est passé entre 1998 et 2008 de 96 à 1 509 pour les cas civils et de 1912 à 10 075 en ce qui concerne les affaires pénales. Aucune augmentation des litiges administratifs n’a en revanche été décelée au cours de la même période 14. De grands espoirs ont été placés dans cette évolution puisque le contentieux juridique est un puissant facteur de l’application de la législation et, par extension, des lois environnementales. De façon plus importante encore, le recours à la justice est aussi un instrument important des ONG et de la société civile pour le développement d’une politique environnementale « par le bas », sur la base d’interactions entre les intérêts en jeu dans la protection de l’environnement et les réglementations et législations en vigueur. Le contentieux confère aux droits environnementaux leur réalité empirique. Mais en dépit de progrès substantiels, le recours à la justice se heurte toujours à d’importants obstacles. La reconnaissance des victimes de la pollution a indéniablement progressé. Le premier Centre d’assistance juridique aux victimes de la pollution (CAJVP) a été créé par le professeur Wang Cangfa en 1998. En 2005, la Fédération de l’environnement de Chine (All-China Environment Federation, ACEF), qui dépend du MPE, a créé un autre centre d’assistance juridique. Des indemnisations ont été obtenues pour les victimes dans plusieurs cas. On peut voir dans la procédure entamée par un groupe de mytiliculteurs au tribunal maritime de Tianjin après une marée noire, à l’issue de laquelle ils ont reçu 12 millions de yuans, un exemple récent de ce processus. Les procédures légales mettent aussi parfois en lumière les lacunes ou les incohérences de la législation et peuvent conduire à des révisions législatives. L’affaire de Tianjin a ainsi été l’objet d’une discussion au cours du processus de réforme de la loi portant sur la responsabilité civile. Le cas a probablement joué un rôle dans la révision de l’article 68 de cette loi, qui a élargi le rang des accusés à qui les plaignants peuvent réclamer des dommages et intérêts. Le recours à la justice sert aussi régulièrement de levier pour provoquer une réponse des autorités politiques en forçant les gouvernements locaux à agir, ou encore en alertant les échelons supérieurs de gouvernement sur des problèmes locaux 15. Les issues positives ne sont cependant pas légion. Nombreuses sont les affaires d’atteintes à l’environnement qui n’aboutissent jamais dans les tribunaux, ou dont les plaignants ne parviennent pas à obtenir gain de cause. Les 14. Gao Jie, cité par S. Lubman, « Strengthening Enforcement of China’s Environment Protection Laws », The Wall Street Journal, 22 mars 2010. 15. A. Wang, « Green Litigation in China Today », Chinadialogue, 18 juillet 2011, <www.chinadialogue.net>. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) L’action en justice : la contestation de la définition de l’intérêt public Les écologies politiques aujourd’hui (5) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) tribunaux acceptent rarement les affaires et reconnaissent difficilement les preuves d’atteinte à la santé. Les sanctions pour non-respect de la législation environnementale sont insuffisantes. Les parties civiles sont rarement indemnisées convenablement, et certains crimes environnementaux sont sanctionnés administrativement alors qu’ils devraient l’être pénalement 16. De nombreux observateurs soulignent que la collusion entre le pouvoir économique et le pouvoir politique au niveau local, le manque d’indépendance des tribunaux locaux et la faiblesse des instruments d’application de la législation (contrôles et sanctions) sont des obstacles majeurs à une mise en œuvre adéquate des politiques et de la législation environnementales 17. De façon globale, si la mise en œuvre de la politique environnementale par l’application de la législation s’est significativement améliorée grâce à la convergence de facteurs politiques, sociaux et environnementaux, d’importantes variations régionales sont observables, les régions côtières s’impliquant davantage dans la mise en œuvre des politiques que celles de l’intérieur. De même, la convergence est fragile dans la mesure où le suivi par le gouvernement central de la mise en œuvre des politiques est intermittent et inégalement réparti sur le territoire, et tend à fléchir lorsque les intérêts économiques sont trop directement affectés par les mesures environnementales 18. Les caractéristiques intrinsèques du système politique chinois – pas de séparation formelle des pouvoirs et fusion sociologique entre le Parti et les institutions publiques – aboutissent régulièrement à une politisation des litiges environnementaux 19. L’action en justice ne conduit donc pas nécessairement à une issue équitable. Nous avons pu observer cette problématique dans la province du Yunnan. En juin 2008, le lac Yangzonghai, une source d’eau potable pour environ 26 000 personnes au sud-est de Kunming, s’est révélé être fortement pollué par de l’arsenic. L’enquête du BPE de la province du Yunnan a déterminé que la compagnie commerciale et industrielle Chengjiang Jinye, un fabriquant d’engrais, était à l’origine de cette pollution. Cette entreprise, située dans la ville de Yuxi (canton de Chengjiang), avait en effet trois chaînes de production utilisant de l’arsenic, dans lesquelles d’importants problèmes avaient été décelés. D’une part, des analyses réalisées un an auparavant avaient mis au jour des taux d’arsenic dans la principale matière première utilisée par Jinye, le concentré de sulfure de zinc, plus de dix fois supérieurs à ceux autorisés. D’autre part, aucune mesure ne fut prise pour empêcher l’arsenic de polluer l’eau recyclée. Des déchets solides contenant de forts résidus d’arsenic ont également été trouvés. Entre 2002 et 2008, l’entreprise a reçu à six reprises des amendes pour avoir enfreint la législation environnementale. Même si 16. C. Wang, « Chinese Environmental Law Enforcement. Current Deficiencies and Suggested Reforms », Vermont Journal of Environmental Law, vol. 8, 2006-2007, p. 160-192. 17. S. Lubman, op. cit. ; R. Stern, « On the Frontlines. Making Decisions in Chinese Civil Environmental Lawsuits », Law and Policy, vol. 32, n° 1, 2010, p. 1-179 ; C. Wang, op. cit. ; A. Wang, op. cit. 18. B. Van Rooij et C. Wing-Hung Lo, « Fragile Convergence. Understanding Variation in the Enforcement of China’s Industrial Pollution Law », Law and Policy, vol. 32, n° 1, 2010, p. 14-37. 19. R. Stern, op. cit. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 72 © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) l’amende maximale de 100 000 yuans (environ 14 650 dollars américains) a été imposée à la compagnie à plusieurs reprises, ce montant restait dérisoire par rapport à ses profits. L’usine fut fermée le 17 septembre 2008. En octobre de la même année, douze fonctionnaires locaux (dont le maire adjoint de la municipalité de Yuxi, où se situe le siège de l’entreprise accusée) ont été démis de leurs fonctions pour faute grave. Le gouvernement a commencé des actions de nettoyage, qui ont permis de diminuer le niveau d’arsenic dans l’eau du lac de 0,128 à 0,111 mg par litre, soit un taux plus de dix fois supérieur au taux réglementaire en matière d’eau potable, et plus de deux fois supérieur au taux réglementaire des eaux de surface de classe I à III. L’élimination de la pollution ne sera possible qu’au bout de longues années et un investissement financier considérable. En avril 2009, trois cadres de Jinye ont été traduits en justice puis condamnés par le tribunal du canton de Chengjiang. L’affaire est donc, à première vue, un cas « positif » de justice environnementale où les pollueurs et les fonctionnaires locaux ont pu être sanctionnés. La réalité est cependant plus ambiguë. Le gouvernement provincial du Yunnan a réagi rapidement à la pollution du lac Yangzonghai. L’usine a cependant été fermée et les fonctionnaires démis de leur fonction avant le début du procès. La fermeture de l’usine a conduit au licenciement de ses 380 salariés. Lorsque nous avons rencontré Ma Jun, un avocat de Kunming s’occupant d’affaires criminelles importantes et ayant défendu les trois cadres de l’entreprise mis en cause, il nous a expliqué la stratégie de la défense, qui a contesté les preuves fournies par le ministère public : s’il est indéniable que Jinye avait pollué le lac pendant des années sans que le gouvernement soit capable de l’en empêcher, la hausse du niveau d’arsenic dans l’eau a été si soudaine et si massive qu’elle peut difficilement être attribuée au fonctionnement régulier de l’entreprise, ni même à un accident dans l’usine 20. La présence d’arsenic dans les lacs pourrait être d’origine naturelle : elle peut en effet ponctuellement atteindre des niveaux exceptionnels après un accident géologique. L’argument de la défense a été appuyé par un rapport de l’académie chinoise des sciences du Sichuan indiquant que la pollution à l’arsenic du lac Yangzonghai était probablement d’origine naturelle, et provenait vraisemblablement du tremblement de terre de Wenchuan en 2008. Quelle qu’ait été la véritable source de la pollution, le procès a été une composante de la réponse des pouvoirs publics à la crise environnementale locale. Comme souvent, il a légitimé une décision politique plus qu’il n’a représenté un canal ouvrant la voie à un procès véritablement indépendant de justice environnementale. La création de cours environnementales en RPC représente un autre développement remarquable 21. Formellement, ces dernières sont soit des chambres spécialisées au sein des cours populaires intermédiaires (Huanbaoshenpanting) ou des cours locales (Huanbaofating), soit quelquefois des tribunaux à part 20. Entretien à Kunming, 28 août 2009. 21. A. Wang et J. Gao, « Environmental Courts and the Development of Environmental Public Interest Litigation in China », Journal of Court Innovation, vol. 3, n° 1, 2010, p. 37-50. 73 © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) La justice environnementale comme équité Les écologies politiques aujourd’hui (5) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) entière au niveau local 22. Une bonne vingtaine de ces cours ont été instaurées dans les provinces du Huizhou, du Jiangsu, du Yunnan, du Fujian et du Guizhou. Leurs règles leur permettent de traiter toutes les affaires environnementales, qu’elles soient civiles, administratives ou criminelles. Certaines d’entre elles se sont également dotées de structures de suivi dans l’application des peines. La majorité de ces cours a été établie à la suite d’un accident environnemental important comme la pollution de lacs affectant l’approvisionnement en eau potable d’un grand nombre de gens. Bien que le nombre d’affaires traitées varie significativement d’une cour à l’autre, ces dernières se sont beaucoup développées. La stature des cours de Guyang (province du Guizhou) et de Wuxi (province du Jiangsu) a gagné en importance grâce à leur traitement de certaines affaires. En 2007, dans l’affaire opposant le bureau d’administration du réservoir et des deux lacs de Guyang à l’entreprise Guizhou Tianfeng Chimie, le tribunal a innové en acceptant qu’une administration publique poursuive civilement un pollueur. Le tribunal a également enjoint au fabricant d’engrais d’arrêter de contaminer les sources d’eau potable avec ses déchets, et a abaissé le niveau de preuves requises dans ce genre de cas en acceptant celles relatives à la violation des normes sur la qualité de l’eau, sans requérir d’éléments démonstratifs sur les atteintes à la santé de la population, où les facteurs de causalité sont souvent difficiles à établir. Par ailleurs, dans l’affaire opposant Zhu Zhengmao et la Fédération environnementale de Chine à l’entreprise Jiangyin Port Container, la cour environnementale de Wuxi a créé un précédent en acceptant une organisation environnementale comme partie civile 23. Audelà des cours environnementales, le litige administratif opposant l’ACEF au bureau administratif du Sol et des Ressources de Quingzhen a été le premier à être accepté par un tribunal chinois avec une organisation environnementale en tant que plaignant. La cour intermédiaire de Guiyang a également diffusé un ensemble de documents prévoyant expressément que les parquets, les autorités environnementales et les ONG environnementales puissent intenter une action en justice. En mai 2009, la cour suprême provinciale du Yunnan a publié un document édictant les règles locales prévoyant la possibilité de l’action en justice au nom de l’intérêt public 24. Même si elles demeurent locales, ces innovations sont substantielles. Elles ont d’abord établi l’environnement comme un motif de litige juridique légitime et important ; elles ont aussi introduit de véritables innovations judiciaires et sont plus ouvertes au public et à la société civile, un fait remarquable dans le cadre du système judiciaire chinois. Si elles sont insuffisantes pour renverser une situation où les atteintes à l’environnement et à la santé restent importantes et globalement peu sanctionnées, elles ont créé une arène dans laquelle les conflits environnementaux peuvent s’exprimer et ont ouvert un chemin pour 22. Le système judiciaire chinois repose sur quatre niveaux de juridiction : les tribunaux locaux, les cours intermédiaires, les cours suprêmes provinciales et la Cour suprême populaire. 23. Le litige a finalement été résolu par la médiation. 24. A. Wang et J. Gao, « Environmental Courts… », op. cit. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 74 La justice environnementale comme équité 75 les changements ultérieurs. Il reste toutefois à se demander si le contentieux environnemental servira dans les années qui viennent à habiller une politique environnementale conduite sous l’autorité du seul pouvoir exécutif, ou si celleci sera un instrument de changement pour faire face de façon plus interactive, pluraliste et équitable aux conflits environnementaux. Les premières pierres pour avancer dans cette direction semblent aujourd’hui posées, mais le chemin reste à parcourir. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) r i c h a r D b a l M e est professeur et directeur scientifique du Master in International Public Management à l’École des affaires internationales, et chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po. Il est aussi professeur invité à l’École de politiques publiques et management de l’université Tsinghua à Pékin. Il enseigne l’analyse des politiques publiques, la politique comparée et les relations internationales. Il a notamment publié, avec Didier Chabanet, European Governance and Democracy. Power and Protest in the European Union (Rowman & Littlefield, 2008) et, avec Brian Bridges, Europe-Asia Relations. Building Multilateralisms (Palgrave Macmillan, 2008).