DES POMPES ET DES HOMMES
Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Autrepart »
2010/3 n° 55 | pages 39 à 56
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ISSN 1278-3986
ISBN 9782724631746
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------!Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fabrice Gangneron et al., « Des pompes et des hommes. État des lieux des pompes à motricité
humaine d'une commune du Gourma malien », Autrepart 2010/3 (n° 55), p. 39-56.
DOI 10.3917/autr.055.0039
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État des lieux des pompes à motricité humaine d'une commune du Gourma malien
Fabrice Gangneron, Sylvia Becerra, Amadou Hamath Dia
Fabrice Gangneron*, Sylvia Becerra**, Amadou Hamath Dia***
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En 1980, les Nations Unies ont proclamé pour la période 1980-1990 la
Décennie Internationale pour l’Eau Potable et l’Assainissement (DIEPA) qui visait
à augmenter la couverture en eau potable en particulier dans les pays mal pourvus,
essentiellement au sud. Dès lors, le Mali a bénéficié d’opérations de déploiement
de ressources en eau notamment en zone rurale, de forages équipés de pompes à
motricité humaine et d’adductions d’eau sommaires. Le taux national de couverture des besoins est passé de 39,2 % en 1989 à 62 % en 2003 [Direction Nationale
de l’Hydraulique ; DNH, 2006]. Dans les villages de la commune de Hombori 1,
trop petits pour recevoir des adductions, ce sont les pompes à motricité humaine
(PMH), une vingtaine en tout qui ont été installées. Bien qu’elles soient ici et là
utilisées pour abreuver quelques petits ruminants ou arroser des jardins, elles sont
conçues par les décideurs (pouvoirs publics, ONG, bailleurs de fonds) comme des
ressources en eaux de qualité, à usage prioritairement domestique. Elles ne sont
pas simplement une ressource de plus (les villages d’implantation disposent toujours d’au moins un puits, souvent de puisards, d’eaux de surface...) mais elles
introduisent une dimension socio-technique inédite. En effet, pour la maintenance
des PMH, le changement des pièces détachées contraint les utilisateurs à recourir
au marché parce qu’elles sont de fabrication industrielle et qu’elles ne peuvent
être produites localement. Aucune autre ressource en eau ne suppose cette dépendance, un puits ne risque pas de panne et l’exhaure ne nécessite qu’une corde et
une puisette dont chaque famille dispose.
* Université de Toulouse ; UPS (OMP) ; IRD ; CNRS ; LMTG ; av. Édouard Belin, F-31400 Toulouse,
France.
** Université de Toulouse ; UPS (OMP) ; IRD ; CNRS ; LMTG ; 14 av. Édouard Belin, F-31400
Toulouse, France.
*** Université de Ziguinchor, Sénégal.
1. Nous ne traitons pas ici du village chef-lieu de Hombori qui lui est équipé d’une adduction en eau
potable.
Autrepart (55), 2010, p. 39-56
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Des pompes et des hommes
État des lieux des pompes à motricité humaine
d’une commune du Gourma malien
Fabrice Gangneron, Sylvia Becerra, Amadou Hamath Dia
Ainsi faut-il mettre en place une gestion préventive spécifique des pompes
(maintenance et gestion des pannes) afin d’assurer la continuité de leur service.
Les projets d’implantations des PMH sont d’ailleurs assortis de recommandations
pour mettre en place des comités de gestion [DNH, 2002 et 2003a]. Ceux-ci sont
composés de bénévoles élus se chargeant en particulier de lever les cotisations
des usagers destinées à alimenter une « caisse de pompe » pour l’achat des pièces
détachées et à rémunérer un mécanicien réparateur.
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Cet article issu d’un travail de terrain rend compte de l’appropriation sociale
à géométrie variable de ce dispositif moderne d’accès à l’eau. Nous montrons à
l’échelle de la commune qu’entre la gestion standardisée, encadrée par les comités,
telle qu’elle est pensée par les décideurs (pouvoirs publics, structures interétatiques, ONG, bailleurs) et la réalité des pratiques, bien des différences s’observent,
depuis l’inaction totale de certains comités jusqu’à des formes originales de réappropriations de gestion, toujours plus « curatives » que « préventives ».
Nous faisons ensuite l’examen d’un cas inédit sur la commune de changement
de responsabilité en douceur entre un collectif masculin et un collectif féminin.
Un groupe de femmes du village de Seydou-Daka a saisi l’occasion de reprendre
la gestion de la PMH au moment où les hommes s’en sont dessaisis, à l’issue de
très nombreuses pannes qui ont fini par absorber la totalité des fonds de caisse
du comité.
Enfin, nous montrons qu’au-delà des politiques de décentralisation [DNH, 2002
et 2003b] et des discours de participation démocratique, la réalité des procédures
qui aboutissent à l’installation des pompes relève d’avantage du paternalisme autoritaire que d’une véritable prise en compte des besoins déclarés des usagers.
Un schéma de gestion induit par la technologie...
Sans moteur d’exhaure, les PMH sont d’un entretien facile et peu coûteux ce
qui facilite leur implantation et leur usage loin des centres urbains, dans des villages de taille modeste, au service de populations sans grandes ressources économiques. Toutefois, elles introduisent des changements techniques qui impactent
les modes de gestion et dans une certaine mesure les rapports sociaux. Pour toutes
les autres ressources en eau du sous-sol (puisards, puits modernes ou traditionnels)
l’exhaure ne requiert que des outres en cuir ou en caoutchouc, des cordes fabriquées avec des lanières de cuir ou des sacs de mil détissés et tressés, des fourches
et des poulies en bois tourné. Toutes ces matières premières sont soit puisées dans
l’environnement soit des remplois, abondants et peu coûteux dans le cas des sacs
de mil ; leurs transformations sont locales. Ainsi, la maîtrise reste aux mains des
usagers pour des coûts nuls ou modiques.
A contrario, pour changer les pièces détachées hors d’usage il faut accéder au
marché. De fabrication industrielle, elles ne peuvent ni être issues de l’environnement local ni être fabriquées localement. Notons ainsi deux conséquences :
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Des pompes et des hommes
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– la nécessité de thésauriser pour couvrir les frais de remplacement des pièces
détachées, impliquant le paiement pour l’accès à la ressource
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Le canevas de fonctionnement implique « l’appropriation des ouvrages par
les bénéficiaires » [DNH, 2006), c’est-à-dire une gestion locale et autonome faisant appel à un « triangle d’or » composé d’un exploitant qui doit collecter
l’argent, d’un artisan réparateur et d’un fournisseur de pièces détachées [DNH,
2002 ; DNH, 2003a]. Ni l’État, ni aucune structure administrative n’en contrôle
sa gestion 2. L’exploitant peut être un privé, mais la rentabilité d’une telle installation est des plus incertaines, aussi la DNH prévoit-elle que le gestionnaire puisse
directement émaner du collectif des usagers, soit sous forme d’une association
villageoise, soit d’un comité de gestion.
Sur notre terrain, seuls des comités assurent la gestion des pompes et leur organisation répond à un schéma « clé en main ». Ils sont invariablement composés de
membres élus : un président, un trésorier et un secrétaire. Ils peuvent s’adjoindre les
services d’un gardien qui verrouille la pompe le soir et la déverrouille le matin, parfois
celui de collecteurs de fonds. Par contre il n’y a pas d’« hygiénistes 3 » comme évoqué
dans le département de Tillabéri au Niger [Olivier de Sardan et Dagobi, 2001]. Tous
sont bénévoles sauf le gardien. La principale tâche du comité est de lever des cotisations, non pas au seau comme cela se fait ailleurs [Olivier de Sardan et Dagobi, 2001 ;
Hounménou, 2006] mais sur une base forfaitaire, généralement à hauteur de 150 CFA/
mois et par famille. Selon la formule standard, le suivi des cotisations implique un
cahier des comptes où sont consignés le nom des usagers et l’état de leur paiement.
... mais des modes de gestion revisités par les utilisateurs
Les séjours que nous avons effectués de 2007 à 2009 ont montré un taux de
panne d’environ 50 % assez proche du bilan que dressent Châtelet et Louvel (1995)
qui relèvent un taux de fonctionnement de 60 % sur l’ensemble du pays. Certaines
étaient en panne depuis quelques semaines ou quelques mois, d’autres depuis plus
d’un an, voire depuis plusieurs années. En général, les usagers et le comité de
gestion (lorsqu’il existe) le déplorent mais ils se disent économiquement démunis
pour assurer les dépenses nécessaires à la réparation.
Dans tous les cas, la gestion des PMH emprunte des voies non prévues, souvent
au coup par coup, ex post plutôt qu’ex ante. Remarquons brièvement deux grands
types de pratiques de gestion, toutes deux éloignées du schéma préconstruit par
2. Toutefois la commune a un rôle d’animation, de veille et d’information. Elle doit sensibiliser les
usagers à la nécessité de la gestion préventive des PMH, à organiser des cotisations pour faire face aux
charges d’exploitation (DNH, 2002 ; DNH, 2004). Notons que le service public de l’eau ne peut être exercé
en régie directe par les communes maîtres d’ouvrage (Loi no 02-006 portant code de l’eau, 2002) qui doivent
le confier soit au secteur privé soit aux usagers (DNH, 2003a).
3. En général des femmes, chargées de nettoyer les abords de la PMH.
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– le recours à un mécanicien et à ses savoirs constitués hors du champ social
villageois, savoirs professionnalisés et appointés
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Les « comités fantômes »
À l’installation d’une PMH, les services de l’État (DNH), la structure interétatique Liptako-Gourma 4 ou l’ONG qui a mené l’opération met en place un comité
de gestion. Dans chaque village concerné, les responsables en titre du comité se
plaisent à montrer au visiteur le contrat écrit où sont consignés leur nom et leur
fonction. Mais au-delà des titres de président, de trésorier et de secrétaire, dans bien
des cas aucune fonction n’est véritablement activée. Quelquefois, les membres du
comité témoignent de tentatives de mise en place de cotisations lors de l’installation
de la pompe, mais passé l’enthousiasme des premiers temps, en quelques mois les
recettes se réduisent à néant. Deux types de discours émergent à l’égard du paiement.
Le premier, clair mais minoritaire consiste à dire « on n’a pas l’habitude
d’enlever l’argent » (chef de village de Horé Séno) qui est une fin de non-recevoir :
il n’est pas question de payer pour avoir de l’eau. Ce discours est toutefois
complexe puisqu’il admet aussi la nécessité de payer pour le changement des
pièces détachées. Il sépare l’usage de l’eau au quotidien, c’est « l’eau pour tous »,
un « don de Dieu », donc une ressource non marchande et le coût de la maintenance dont chacun conçoit finalement la nécessité de payer pour les réparations.
Le second discourt, le plus répandu fait appel à la faiblesse contributive des
usagers. La mise en paiement est un principe formellement acquis mais « le
manque de moyens » ou la « cohabitation avec des pauvres » (chef de village de
Sory-Kouéré) rend le paiement aléatoire.
Mais si l’on ne peut nier la faiblesse contributive de ces populations dont les
trois-quarts vivent en dessous du seuil de pauvreté 5 [CSA, 2006], elle n’explique
peut-être pas tout. Les usagers font des choix économiques qui relèguent le paiement de l’eau au second plan par rapport à d’autres dépenses. Par simple comparaison une mesure de thé pour une consommation unique coûte 100 FCFA (soit
en cas de consommation quotidienne 20 fois le prix annuel de l’eau de pompe),
l’achat annuel d’un mouton pour la Tabaski est de l’ordre de 25 000 FCFA 6 (soit
13 fois le coût annuel) dont les consommations sont généralisées 7.
4. L’autorité du Liptako-Gourma est une structure interétatique entre le Mali, le Burkina Faso et le
Niger destinée à mettre en valeur les ressources naturelles, notamment les ressources en eau de la région
frontalière des trois États.
5. Sur l’ensemble du pays, le rapport national sur le développement humain au Mali fait un état des lieux à
peine meilleurs que sur la commune, « sur les 12,32 millions de Maliens en 2006, 5,84 millions avaient une dépense
annuelle moyenne inférieure à 157,920 FCFA correspondant au seuil de pauvreté » (PNUD, 2008).
6. Notons toutefois que des témoignages font état d’impossibilités de payer le mouton ou de son
remplacement par le sacrifice d’une chèvre.
7. Les choix économiques sont enchâssés dans des rapports sociaux ce qui limite la fongibilité de
certaines dépenses : l’achat du mouton pour la Tabaski est un acte hautement social quasi-incompressible
tandis que le paiement pour l’eau n’est pas une priorité socialement unanimement admise.
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les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds, celles, virtuelles de « comités fantômes » et celles de comités véritablement impliqués chez lesquels la
« débrouille » est toujours de mise.
Notons de plus que les choix des membres du comité de gestion ne satisfont
pas à des critères de compétences. Tous sont des hommes, souvent âgés, n’ayant
pas la charge au quotidien de l’approvisionnement qui revient aux femmes (épaulées par les enfants des deux sexes). Leur bénévolat et l’absence d’avantages
matériels (pas de gratuité sauf exception) ne les motivent pas à faire pression sur
les mauvais payeurs, la paix sociale prime sur une gestion rigoureuse : « on ne se
fâche pas avec la famille ! 8 » ! Les tensions et inimitiés qu’engendrerait une pression assidue sur les mauvais payeurs ne seraient compensées par aucun avantage.
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Dans le cas de ces « comités fantômes », la pompe reste en usage libre tant
qu’elle peut fournir le précieux liquide. Faute de ressources financières, lorsque
survient une panne, le dépannage n’est alors ni immédiat ni systématique. Les
usagers de la commune qui disposent d’une relative diversité de ressources en eau
les mettent simplement plus à profit. D’ailleurs, même lorsque la pompe fonctionne ils utilisent les autres qui ne sont pas à proprement parler des ressources
alternatives ou de « repli » comme le suggèrent Olivier de Sardan et Elhadji
Dagobi à Tillabéry [2001], mais de ressources parallèles.
Les comités actifs
L’organisation effective de la gestion, qu’elle respecte ou non les formes instituées est finalement minoritaire : elle concerne neuf des dix-neuf PMH recensées.
Certains villages n’ont pas à proprement parler de comité mais exercent un suivi
plus ou moins persévérant sous la responsabilité du chef de village et disposent
d’une caisse (Oualam, Garmi, Béria, Kigna) alimentée par des cotisations aux
rentrées irrégulières.
De véritables comités, c’est-à-dire où les responsables en titre sont peu ou prou
actifs, la commune n’en compte pas plus de quatre peut-être cinq dont trois sont
dans le Wami (cf. carte de la commune). C’est la zone la plus peuplée de la
commune après son chef-lieu, composée d’un chapelet de villages qui pratiquent
à la fois l’élevage, des cultures pluviales de mil et maraîchères irriguées ou de
décrue. Les ressources en eau tant traditionnelles que modernes garantissent leur
autonomie d’un bout à l’autre de l’année. Desservi par une route goudronnée en
1985, le Wami est le siège d’un marché hebdomadaire relativement actif. L’économie y est peut-être ainsi plus monétarisée qu’ailleurs et leurs habitants plus
disposés à assumer les paiements.
Le fonctionnement et la pérennité du comité dépendent de l’implication d’un
notable charismatique, tirant sa légitimité d’une position reconnue, imam ou chef
de village (comme à Dakakouko, Agoufou ou à Beria, comme ce fut le cas un
temps à Seydou-Daka). Pourtant le processus de désignation des responsables
piloté par les bailleurs et les animateurs locaux soucieux d’une gestion
8. Au sens large. La parenté relie généralement, à différents degrés les membres du cœur de village
souvent issus des mêmes lignages.
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Des pompes et des hommes
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Dans la commune, une forte tradition de migration économique saisonnière à
destination des grandes villes du pays conduit à de longues absences des hommes,
après les récoltes, d’octobre/novembre jusqu’en début juillet. Ce sont pour partie
ceux-là mêmes qui composaient les comités. Aussi, après des expériences malheureuses de responsables absentéistes, certains villages ont élu des membres
sédentaires à même d’exercer leur charge d’un bout à l’autre de l’année.
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La collecte ordinaire des contributions financières
Le président et/ou le trésorier ont la charge des rentrées d’argent, ils sont
éventuellement secondés par des collecteurs de quartier ou par le gardien. En
principe, aucune gratuité n’a cours, ni pour les membres du comité, ni pour les
usagers réguliers extérieurs au village. Seuls les « étrangers » de passage n’ont
pas à s’acquitter de cotisations.
Pour surmonter les difficultés à lever les cotisations, les trésoriers (lorsqu’ils
prennent très au sérieux leur fonction, lorsqu’ils ne craignent pas de perdre quelque
allié) ont des moyens de faire pression sur les mauvais payeurs, ils font notamment
appel à l’« honneur » : un chef de famille qui refuse le paiement ne sera plus
écouté lors des assemblées de village. Cet ostracisme de circonstance semble
conduire les réticents à accepter de cotiser. D’autre part, les contributeurs sont
aussi soumis à la pression de leurs épouses, bien plus impliquées qu’eux dans
l’usage de cette ressource à vocation prioritairement domestique. Par ailleurs, des
arrangements consistent à surseoir au paiement jusqu’aux récoltes, rare moment
de l’année où, grâce aux ventes de mil, les usagers ont quelques rentrées d’argent.
Dans tous les cas et même lorsque les responsables du comité affirment que
les cotisations rentrent régulièrement, ils évoquent toujours un fonds de caisse
extrêmement faible (sans toutefois le quantifier) au regard de ce qu’un simple
calcul pourrait supposer. Par exemple, dans un même entretien, le chef de village
de Garmi affirme que les cotisations entrent, qu’il n’y a de gratuité pour personne,
qu’il n’y a pas eu de pannes depuis l’installation de la PMH (en 2000), mais que
la caisse « n’a pas beaucoup d’argent ».
Une caisse multi-usages
Loin des schémas préconstruits qui imposent la rigueur d’une gestion préventive des pannes, la caisse de pompe est une véritable ressource financière aux
usages multiples. Par exemple, les villageois se doivent de recevoir dignement les
personnalités de passage (élu, marabout...) par des dépenses de réception. Pour ce
9. Olivier de Sardan et Elhadji Dagobi (2001) vont plus loin : « là où elles ont réellement eu lieu, les
élections ont très souvent été une formalité pour satisfaire aux exigences des animateurs de projets... En
fait, parfois les noms avaient fait l’objet d’accords préalables (souvent sur proposition du chef) ».
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« démocratique », « efficace » et « transparente » de la ressource semble éloigner
les chefs de villages (toujours soupçonnés d’autocratie) des comités de gestion 9.
faire, ils puisent dans la caisse du comité de pompe 10 et ce, sans qu’il soit question
de remboursement ultérieur. Dans le village de Seydou-Daka, chaque année elle
est mise à contribution pour sacrifier un animal et organiser une cérémonie en
début d’hivernage afin de faire venir la pluie. Ces réaffectations d’une partie des
fonds de caisse ne sont pas considérées comme des malversations dans la mesure
où elles participent à des usages ordinaires, d’intérêt commun : les recettes sont
un bien à redistribuer.
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La caisse de pompe est parfois considérée comme une « banque de prêt » aux
particuliers. C’est en général durant la saison sèche, après les récoltes que certains
villageois empruntent sur quelques mois pour faire du petit commerce. Cette pratique est, là encore, moralement acceptée même si les règles d’attribution sont
opaques et les sommes allouées méconnues. Les autres villageois sont d’ailleurs
informés lors des assemblées mais ils ne prennent pas part aux décisions qui restent
entre les mains des gestionnaires.
Du fait d’une gestion toujours entourée d’un certain flou (personne ne sait la
somme exacte en dépôt, personne ne connaît le montant des sorties), les responsables
de la caisse (président et/ou trésorier) se trouvent rarement indemnes de rumeurs de
détournement à des fins personnelles. Cette situation rappelle ce qu’observent
d’autres auteurs au Niger et au Sénégal [Olivier de Sardan, 2001 ; Dia, 2006]. Calomnies et/ou réalités, les rumeurs circulent d’autant mieux qu’elles sont alimentées par
ceux qui sont exclus des prêts 11. L’enjeu pour les membres du comité n’est donc
pas tant l’accès continu à la ressource en eau pour tous que le contrôle de la circulation de l’argent qui peut prendre la forme de détournements. Ainsi, l’unité villageoise, telle que l’on pourrait l’entendre en terme de communauté de destin ou de
communauté d’intérêt ne permet pas d’épuiser la complexité des liens, y compris
des rapports de pouvoirs et des jeux d’acteurs décrits par Olivier de Sardan en terme
d’« arène locale » [1999, 2000] toujours quelque peu obscure. Les agences de développement et les bailleurs sous estiment en effet les phénomènes de différentiations
internes, de conflits d’intérêts qui conduisent certains villageois en position de responsabilité à capturer une partie des fonds qu’ils ont en gestion.
Le cahier des comptes, « c’est dans la tête ! »
La forme standard de gestion par un comité implique un suivi consigné sur un
cahier des comptes avec les noms des familles cotisantes, l’état de leurs cotisations, les dépenses pour les honoraires du gardien et celles pour la maintenance
de la pompe. Pourtant, aucun village équipé de pompe n’en dispose. Difficile
d’ailleurs d’imaginer qu’il en soit autrement, sur la commune tant l’alphabétisation
des adultes reste marginale 12 sachant de plus que les membres du comité sont
10. Au même titre que dans la « caisse des vieux » et dans la « caisse des femmes » lorsqu’elles
existent.
11. Pour des raisons de solvabilité ou parce qu’étant exclus de réseaux clientélistes.
12. Aucune statistique sérieuse ne permet d’en prendre la mesure. La Cellule de Planification du
Ministère de l’Agriculture (CPS/MA, 2006) annonce un taux d’alphabétisation de 0,11 % sur la commune.
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Des pompes et des hommes
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généralement désignés parmi les anciens, sans partage avec des plus jeunes ayant
été scolarisés.
Toutefois, chacun se satisfait de la gestion sans écrit et les membres du comité
affirment connaître de mémoire l’état des paiements de tous les usagers, cette
mémoire étant en principe régulièrement activée lors des assemblées de village.
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Quand survient la panne : incertitudes et improvisations
Lorsque survient la panne, le processus indiqué consiste à avertir puis recevoir
le mécanicien qui diagnostique la panne. Il dispose d’un tableau récapitulant les
pièces de la pompe avec leur prix. Il se fait payer pour leur achat et pour sa
prestation (10 000 FCFA), se rend au chef-lieu de cercle (Douentza à 150 km) ou
de région (Mopti à 210 km) puis revient faire la réparation. Même dans ce cas
idéal, lorsque tous les acteurs sont réactifs, que l’argent est disponible ainsi que
les pièces détachées, l’arrêt de la pompe ne peut pas être inférieur à 4 jours, mais
dans les faits, elle reste en panne bien plus longtemps.
L’improvisation est toujours de mise, parce qu’en général les fonds nécessaires
à la réparation sont insuffisants ou nuls, parce que le mécanicien/réparateur en
titre basé à Hombori-village est peu mobile (pour l’approvisionnement en pièces
détachées et pour se rendre dans les villages) et enfin parce que les PMH ne sont
qu’une ressource en eau parmi d’autres : elles sont considérées comme vraiment
indispensables uniquement en fin de saison sèche.
La collecte exceptionnelle
Rares sont les pannes nécessitant le remplacement de pièces détachées dont le
coût peut être assumé par la caisse de pompe. Le plus souvent le chef de village ou
les responsables du comité lancent un appel à cotisation mais les fonds récoltés ne
constituent en général qu’un appoint, pour les raisons déjà invoquées (faiblesse contributive et résistances). Les ONG 13 entrent alors en scène et, selon leur périmètre
d’action assurent le complément en numéraire ou procèdent elles-mêmes à la réparation. Accessoirement, quelques donateurs locaux (maire de Hombori), de passage
(touristes à Dari en particulier où une PMH est installée à proximité d’un campement)
ou quelques jeunes de retour de migration saisonnière apportent leur obole. Il y a
aussi les réseaux familiaux de ceux qui agissent à distance depuis les grandes villes
du pays où ils sont installés, voir même depuis l’étranger. Ils peuvent être localement
une véritable planche de salut comme à Kiri où le frère du chef de village habite en
France et a su lever les fonds pour réparer une pompe en panne depuis plus d’un an.
13. Nous avons repéré notamment la NEF, CCONG, Forage Mali, Mali Aqua Viva, LACIM qui contribuent en particulier au suivi des PMH.
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Cette gestion qui fait appel à la mémoire et l’oral, aussi sérieuse et socialement
acceptée qu’elle puisse être, rend son contrôle illusoire et risque ainsi de faciliter
le clientélisme et les éventuels appétits de détournements.
Des pompes et des hommes
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Le mécanicien
Acteur clé au centre du système, les compétences du mécanicien-réparateur,
sa réactivité, ses émoluments et ses conditions d’exercice déterminent le bon
déroulement des dépannages. Les formations professionnalisantes qu’il suit le légitiment en principe dans sa fonction. Il est pourtant contesté dans ses diagnostics
et des témoignages rapportent qu’il n’excelle pas dans sa charge de réparateur
(Beria, Oualam, Dakakouko, Seydou-Daka) et le coût de ses interventions est
estimé trop élevé par les usagers (Dakia, Doungouri, Dakakouko).
Au-delà des contestations dont il est la cible, force est de constater les
contraintes liées à sa tâche. Soumis aux extrêmes difficultés à se faire payer les
pièces de rechange, il est contraint à faire preuve d’inventivité pour repousser le
plus possible les échéances des dépenses lourdes. Il soude, colle, remploie toute
sorte de matériaux mais ce sont à chaque fois des pis-aller. De plus il rencontre
les pires obstacles à assurer ses déplacements. La commune est traversée d’une
unique route carrossable (cf. carte), la plupart des accès se font par la brousse sur
des pistes médiocres. Sans véhicule, il doit emprunter ou louer une moto, voir un
âne. N’étant pas salarié, il doit donc faire supporter ses coûts de transport aux
villageois. Enfin, lorsque les villageois acceptent une dépense lourde qui nécessite
l’achat d’une pièce détachée, ceux-ci doivent assurer en plus du prix de la pièce,
les frais de transport jusqu’à Douentza ou Mopti ainsi que les repas qu’il lui faut
bien prendre durant son voyage. Qu’il soit ou non astucieux et sérieux, il est donc
soumis à des contraintes qui l’exposent aux critiques.
Certains villages insatisfaits choisissent d’ailleurs de le contourner, comme à
Dakia et Dakakouko dans le Wami qui préfèrent la « débrouille » à ses services.
Ces villages recourent aux services de deux jeunes qui se sont appropriés « sur le
tas » les compétences nécessaires aux dépannages. Ils ont endogénéïsé des savoirs
techniques par la pratique à tel point qu’ils proposent désormais leurs services
appointés à d’autres villages. Contournant le mécanicien, ils lèvent quelques-uns
des obstacles majeurs à l’efficacité du service : à proximité et personnellement
impliqués ils sont plus réactifs et n’exigent pas les mêmes rémunérations.
D’autres villages s’en remettent directement aux ONG qui ont la maîtrise technique, telle la Near East Foundation en particulier.
Entre dysfonctionnements et réappropriations
Le fonctionnement réel de la chaîne des acteurs impliqués dans la gestion des
PMH est toujours hors cadre par rapport au schéma d’organisation formel (triangle
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Finalement, sans organisation administrative à l’échelle de la commune, le
salut des villageois passe par l’intégration informelle des notables dans des réseaux
sociaux d’acteurs exogènes en capacité d’apporter leur soutien, or certains villages
en sont totalement dépourvus.
Fabrice Gangneron, Sylvia Becerra, Amadou Hamath Dia
d’or de la DNH). La gestion, essentiellement ex post et au coup par coup permet
néanmoins, là où l’eau de la pompe est incontournable de réparer aux moments
des plus forts besoins. Doit-on alors conclure à des dysfonctionnements ? Nul
doute au regard des procédures standard, voire de la continuité incertaine du service de la ressource. La réponse est plus complexe au regard des règles sociales
qui président à la vie collective au sein du village où notamment les questions
d’argent sont inséparables des questions sociales.
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En effet, à quoi sert l’argent de la caisse de pompe s’il reste inutilisé dans
l’attente d’une hypothétique panne alors que les besoins en numéraire des populations sont permanents ? L’argent qui dort n’est-il pas inutile, n’est-il pas mieux
employé lorsqu’il est prêté pour faire du commerce, pour financer l’achat d’un
animal ou recevoir un notable ? D’ailleurs, un trésorier qui voudrait se conformer
au schéma prévu aurait du mal à supporter la pression sociale de ceux qui sont
en besoin d’argent. Les liens de solidarité et sans doute de clientélisme priment
sur une gestion standard. Ainsi la logique des pratiques est-elle hybride, l’argent
circule pour les besoins de villageois et il est en partie récupérable pour financer
les pannes, malgré d’évidentes « évaporations ».
En tout cas, les réaffectations multiples de l’argent de la caisse de pompe
témoignent de ce que Polanyi (1975) appelait l’encastrement 14 de l’économie dans
les liens sociaux, ce que Gentil a désigné par l’expression « d’imbrication entre
l’économie et le social » [Gentil, 1988]. Il est normal de prêter l’argent de la
caisse, il est normal de l’utiliser pour recevoir des dignitaires de passage ou pour
l’achat d’un animal à sacrifier car il en va de l’honneur ou de la prospérité du
village. Loin des règles strictes de gestion qui entendent mettre à distance toutes
les questions sociales de l’économie, ce constat renvoie à l’inséparabilité des dynamiques économiques et sociales et au fonctionnement holistique des sociétés
rurales sahéliennes. On comprend alors la nécessité de remettre en cause une
vision sous-socialisée [Baron et Soubias, 2004] de l’économie des ressources en
eau.
Faisant le bilan de l’état des PMH, nous disions en début de texte que 50 %
d’entre elles étaient régulièrement hors d’usage. Deux points doivent être ici mentionnés. Le premier est issu d’une certaine complexité paysagère de la commune
(bas-fonds, mares naturelles sur sols colmatés, reliefs, sous-sol imperméable...)
que les populations ont su mettre à profit, façonnant ainsi une remarquable diversité de ressources en eau à même d’éviter leur dépendance à une ressource
unique 15. Le second est celui de l’importance de la saisonnalité. Durant l’hivernage et les mois qui suivent, les eaux de surface (mares naturelles, mares
14. En Anglais « embeddedment », concept élaboré par Karl Polanyi (1975) et remanié notamment
pas Marc Granovetter trouve sur notre terrain une application éclairante.
15. Nous avons construit une typologie multicritère des ressources en eau de la commune, elle intègre
des indicateurs environnementaux et des indicateurs socio-techniques. Elle a fait émerger une remarquable
diversité locale des ressources en eau qui participe largement à un moment ou à un autre de l’année à
satisfaire les besoins des usagers. Ces travaux sont en cours de publication.
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aménagées) et de sub-surface (citernes, retenues, fontaines) sont abondantes. Ces
ressources sont multi-usage, aussi les populations les utilisent-elles préférentiellement, même pour les usages domestiques parce qu’elles sont faciles d’accès (pas
d’effort d’exhaure à la corde ou de pompage manuel) et qu’elles sont gratuites.
Aussi, si l’on regrette la défaillance des PMH, certaines ne restent hors service
que durant les mois d’abondance. À la limite, une panne de pompe en saison des
pluies peut être considérée comme une forme de gestion car les dépenses pour sa
réparation ne se feront que lorsqu’elle sera vraiment utile.
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Seydou-Daka : prise de pouvoir des femmes ou renoncement
des hommes ?
Seydou-Daka est un des villages Songhaï du Wami (cf. carte) d’environ 300
personnes 16. Il dispose d’une mare à quelques centaines de mètres des habitations
qui s’assèche vers le mois de décembre, d’un puits moderne en limite de tarissement en fin de saison sèche, et d’une PMH.
Brève histoire de la pompe villageoise
La PMH est installée depuis 1996 dans le cadre d’un programme des Nations
Unies 17. Un comité de gestion est immédiatement mis en place, composé d’un
président, d’un trésorier et d’un surveillant. Les premières années le paiement des
cotisations est semble-il respecté. La collecte d’argent se fait lors des assemblées
de village.
Durant 9 ans, aucune panne n’est à déplorer, aussi, l’argent est comme ailleurs
employé à d’autres fins : prêts, réceptions, sacrifices pour faire venir la pluie en
particulier. De discrètes critiques circulent sur des détournements supposés et sur
le favoritisme pratiqué par le comité, les uns bénéficiant de prêts et les autres non.
Entre 2000 et 2003, Les deux personnages clés, le trésorier et le président
décèdent, alors le comité commence à se désorganiser et les rentrées de cotisations
se font plus aléatoires.
Passées les 9 années, la pompe commence à connaître ses premières pannes.
10 à 13 pannes sont tant bien que mal réparées, d’abord grâce à l’argent de la
caisse de la pompe, puis, ne suffisant plus la « caisse des femmes », destinée à
lancer un projet de jardins potagers est alors mise à contribution. Vidée elle aussi,
le village se trouve sans pompe et sans argent depuis juin 2008. Le comité de
16. Seydou-Daka n’a pas d’existence administrative, seul l’ancien village parent perché de Gallou est
reconnu. Il s’est éclaté depuis une cinquantaine d’années en plusieurs villages de plaine dont celui de
Seydou-Daka. Aussi n’avons-nous pas de recensement précis, nous avons dû évaluer la population du
village en relevant le nombre de familles et leur composition sur la base des déclarations des villageois
eux-mêmes.
17. Informations partielles fournies par SIGMA (Système d’Information Géographique du Mali, 2008)
de la DNH.
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Des pompes et des hommes
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Fabrice Gangneron, Sylvia Becerra, Amadou Hamath Dia
Passage de flambeau en douceur sur fond d’enjeux asymétriques
Les 4 femmes au centre d’un microprojet de jardinage ont alors décidé de
reprendre en charge la réparation et de constituer ensemble un nouveau comité.
Cette initiative est totalement originale sur la commune où tous les membres des
comités sont des hommes.
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Le point de vue des femmes est simple, elles tiennent particulièrement à l’eau
de la pompe parce qu’elles ont la charge de l’approvisionnement en eau domestique et qu’elles souhaitent utiliser cette eau pour les jardins. Elles préfèrent la
pompe au puits car il est plus pénible de puiser l’eau au puits 18 avec corde et
puisette que de pomper, et puis, « c’est l’eau de la pompe qui est meilleure 19 »
d’après l’une d’elles. De plus, elles regrettent la gestion dilettante des hommes
qui, plus mobiles que les femmes sont fréquemment absents du village, notamment
en saison sèche durant laquelle ils partent régulièrement en migration saisonnière.
Pour elles, l’obligation du paiement pour le service de l’eau de la pompe est
largement compensée par la facilité d’exhaure à la pompe.
L’attachement des hommes à l’égard de la pompe est d’un autre ordre, il a
moins à voir avec la disponibilité d’une ressource en eau de qualité qu’avec les
possibilités qu’une caisse régulièrement alimentée conçue comme banque de prêt
pour eux-mêmes ou des proches peut leur permettre. Tant que la caisse avait de
l’argent et qu’il circulait, les hommes en faisaient leur affaire, les femmes ni
consultées ni associées à la gestion étaient toujours tenues à l’écart. La pompe
était gérée par le cercle étroit du comité, il diffusait les informations sur l’état des
comptes au seul collectif des chefs de familles, « il y avait un mur, parce que les
hommes n’acceptent pas que les femmes sachent ce qu’il y a en eux » dit l’une
des nouvelles membres du comité. Dès lors que la caisse a été vide, l’intérêt que
portaient les hommes du comité à la gestion de la PMH s’est largement érodé.
C’est cette asymétrie d’enjeux qui a permis aux femmes de prendre la main.
C’est sans doute parce qu’elles n’entendent pas contester les prérogatives masculines que le passage de flambeau a pu s’effectuer sans heurt. L’argent ne constituant pour elles qu’un moyen d’avoir de l’eau alors qu’il est pour eux un enjeu à
part entière. Aussi, la décision des femmes de reprendre la charge de la gestion
est autant un abandon masculin qu’une conquête féminine ce qui finalement ne
bouscule pas fondamentalement les conventions des rapports de sexes. Ainsi
aujourd’hui, hommes et femmes confondus s’accordent à considérer que les
femmes gèrent mieux que les hommes, qu’elles sont plus que les hommes capables
de relancer les mauvais payeurs et qu’elles sont plus rigoureuses.
18. Sa profondeur est estimée à 23 m selon la base de donnée SIGMA (2008).
19. Ce n’est pas partout le cas dans la commune. Certaines eaux de mares sont préférées aux eaux
des pompes fréquemment jugées « salées » ou « amères ».
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gestion en place, uniquement constitué d’hommes a finalement décidé de verrouiller la pompe et de repousser sa réparation sine die.
Notons toutefois que le nouveau comité de gestion n’est pas totalement féminisé, en effet les femmes ont installé un homme à la présidence. Peut-être est-ce
une condition implicite de l’acceptation et de légitimation du nouveau comité ?
En tout état de cause, les femmes le justifient simplement : les hommes ont une
plus grande facilité à se déplacer qu’elles-mêmes. Ce privilège est un avantage
pour les besoins de la pompe, il permet au nouveau président d’aller chercher
lui-même le mécanicien à Hombori, d’aller acheter les pièces détachées...
Des pompes versus des puits
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Depuis la transition démocratique de 1991-1992 20 et les lois de décentralisation
qui ont suivi, le caractère co-construit des décisions publiques, partage de responsabilités, concertation et participation [Dia et al., 2008] sont devenus des principes
fondateurs de l’action publique. La décentralisation « ...est censée être une école
d’apprentissage de la démocratie, permettant aux citoyens d’exercer depuis la
base leurs responsabilités politiques » [Djiré, 2004].
Les programmes d’aide à l’accès à l’eau « basés sur la demande et intégrant
les aspects techniques et participatifs... » [DNH, 2003b] ou l’on « ne prend en
compte que les besoins exprimés par les bénéficiaires sous forme de demande »
[DNH, 2002] laissent donc entendre une implication massive des populations dans
les processus de réflexion et de réalisation des projets d’aménagement. Pourtant,
au-delà des textes légaux qui mettent en scène les populations, en s’appuyant
conjointement sur les nouveaux jeux politiques (notamment avec les élections
locales et les lois de décentralisation) et sur la légitimité des chefferies de village,
force est de constater que les installations de PMH sur la commune, qui se généralisent au détriment des puits, relèvent d’un processus essentiellement exogène
où la concertation et la décision partagée n’ont absolument pas cours.
Expression démocratique ou Deus ex machina ?
Bien sûr, les chefs de village font des demandes d’équipement auprès du maire
ou de tous ceux qui veulent bien les entendre, mais là s’arrête la participation
villageoise. Le processus qui aboutit à l’installation d’une pompe est sans lien
avec leur demande. D’abord, ils ne demandent jamais de PMH mais des puits, et
parfois ils ne demandent rien. « Le village n’a rien demandé » entend-on à Horé
Séno, « Franchement, cette fois on n’a rien demandé... “Ils” sont venus par surprise ! ... “Ils” sont simplement venus et “ils” se sont mis à travailler » dit le chef
de village de Oualam. « Ils » ou les « projets » sont anonymes pour les villageois
20. Entre 1989 et 1991 des contestations secouent le régime autoritaire de Moussa Traoré. En 1991,
une partie de l’armée se désolidarise du gouvernement qui au sein d’un comité de coordination associant
des civils réclame et obtient le multipartisme en 1992 et l’élection au suffrage universel présidentielle dont
Alpha Oumar Traoré sort vainqueur le 26 avril de la même année. Cet évènement constitue en cela un cas
original de coup d’État militaire (janvier 1991) car le pouvoir a été rapidement remis aux civils, on le retient
sous le nom de « transition démocratique ».
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Des pompes et des hommes
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Fabrice Gangneron, Sylvia Becerra, Amadou Hamath Dia
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Au-delà des discours de « participation » et de « responsabilisation », les usagers restent des destinataires, agis plus qu’agissants, agents dominés selon une
terminologie bourdieusienne plus qu’acteurs, ils sont maintenus souvent en toute
bonne foi dans un attentisme quasi-divinatoire. Tout se passe comme si les « projets » tombaient du ciel, au hasard et sans prévenir. Ils n’ont aucun levier à
actionner pour contrôler, même à la marge leur approvisionnement en eau issu
des institutions extérieures. Alors qu’ils décident de la réalisation des ressources
dites traditionnelles (mares aménagées, puisards, citernes, retenues, fontaines,
puits traditionnels), qu’ils en maîtrisent tout le processus de fabrication (techniques
et matériaux) ainsi que leur gestion, pour les PMH, ils ne sont que des cibles dont
on juge des besoins depuis l’extérieur. Le renouvellement de l’action publique
censé favoriser l’autonomie et la responsabilité locale ne semble pas encore avoir
détrôné le paternalisme souvent autoritaire qui préside encore à l’aide au développement [Lecomte et Naudet, 2000].
Attentes non satisfaites et satisfactions non attendues
Quelquefois les villageois ont exprimé leur satisfaction à l’installation d’une
PMH tant ils espéraient une ressource pérenne et facile d’usage, mais « en ce
temps ils n’avaient pas d’expérience, ils ne connaissaient pas les conséquences de
la pompe » dit le chef de village de Seydou-Daka, premier village équipé du
Wami. Après 13 ans de pratique il estime qu’un puits aurait bien mieux convenu
à leurs besoins : un puits est simple de gestion et n’a pas de panne. Mais lorsqu’on
est destinataire d’une action publique et que l’on n’a aucun capital économique,
social ou culturel mobilisable pour négocier, la négociation se résume à accepter
ce que l’on propose. Si « Je vous ai demandé une montre, un bracelet quoi, vous
me donnez une montre de poche, j’ai une montre, qu’est-ce que je peux dire ? »
déclare le frère du chef de village de Gonta.
Le dialogue entre usagers et décideurs ne prend pas véritablement corps, il
laisse dans l’ombre un réel désajustement entre l’offre de ressource et les besoins
tels qu’ils sont pensés par les usagers. Pour eux une ressource en eau est multifonctionnelle, qu’il s’agisse de mares ou de puits : l’eau sert à la fois aux animaux,
à tous les usages domestiques ainsi qu’à l’irrigation de potagers. Les décideurs
ambitionnent quant à eux de livrer une ressource qui garantisse au mieux un
approvisionnement en eau domestique de la meilleure qualité possible et à des
coûts raisonnables. Selon ces critères, la PMH est toute indiquée, mais cette
approche à la fois sanitaire et technicienne fait l’économie d’une réflexion sur les
transformations des règles sociales d’usages des ressources en eau. L’avantage de
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qui ignorent la plupart du temps tout des acteurs et des processus qui ont conduit
à choisir leur village pour y implanter une PMH. Exceptionnellement, le processus
est mieux connu et mieux maîtrisé par les usagers. Dans les cas où l’opérateur
est une ONG qui a des habitudes locales, alors on sait la nommer, nommer les
intervenants et l’on relate comment, de concert avec les villageois ont été décidés
la nature de l’infrastructure et le lieu d’implantation.
Des pompes et des hommes
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Dans l’ordre des justifications invoquées par les pouvoirs publics et les bailleurs, la santé occupe la première place et les PMH sont les mieux à même d’y
répondre. En effet, elles sont installées sur des forages plus profonds que les puits
ce qui limite les risques d’infiltration jusqu’à la nappe des polluants chimiques et
biologiques. Elles sont fermées hermétiquement par une dalle de béton, aucun
objet ne risque ainsi d’y tomber 21. Mais au-delà de cet argument en faveur des
PMH, la question du coût d’installation semble déterminante. Selon les conditions
de terrain, un mètre linéaire de forage équipé coûte entre 6 0000 et 100 000 FCFA
et entre 600000 et 800 000 FCFA pour les puits busés. Aussi pour atteindre des
objectifs quantitatifs en lien avec les ambitions de la DIEPA la préférence va
presque exclusivement aux forages 22.
Conclusion
Nos observations du taux de panne extrêmement élevé des PMH, des contournements des règles de gestion et des formes de réappropriation peu orthodoxes
doivent être reconsidérées, non pas sous l’angle trop simplificateur d’une impréparation des populations aux règles strictes de gestion des PMH, mais comme une
relation complexe et asymétrique entre des normes de gestion endogènes et exogènes. Les effets sont de l’ordre de l’hybridation des pratiques parce que l’eau de
pompe n’est pas totalement un bien marchand, pas totalement un bien communautaire, pas totalement un bien public, mais à la croisée de ces statuts comme
l’ont souligné C. Baron et A. Isla [2006]. Mais les changements qu’impliquent
leurs implantations constituent une rupture, puisqu’imposées de l’extérieur selon
des règles de gestion étrangères aux pratiques locales [Bonnassieux et al., 2003],
rupture technique et normative dont les conséquences conduisent parfois à leur
abandon. Les bailleurs, politiques, administratifs et aménageurs, traversés par la
vision prométhéenne et sous-socialisée d’un progrès technique continu n’en ont
pourtant pas pris la mesure. Le changement technique n’est pas un processus
neutre qui se plaque simplement du dehors sur les sociétés, il est, comme l’affirme
J. J. Salomon « autre chose et plus que les seules technologies à partir desquelles
il s’accomplit » [Salomon, 1992].
Poussant encore un peu notre réflexion, rappelons que si la politique d’implantation de ces pompes et les lois de décentralisation ne sont pas directement liées,
21. Des animaux tombent dans les puits, surtout dans les puits traditionnels qui n’ont pas de margelle :
animaux domestiques (jeunes de petits ruminants) ou des animaux sauvages (batraciens, rongeurs) qui
rendent l’eau impropre à la consommation.
22. Les objectifs touchent aussi les normes quantitatives de desserte, de 40 l/jour/personne révisées à
la baisse lors du 3e atelier national d’évaluation de la DIEPA qui passent à 20 l/jour/personne pour l’hydraulique villageoise (DNH, 2003b).
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disposer de cette ressource pérenne ne compense pas les désordres que génèrent
des règles d’accès spécifiques (cotisations continues, thésaurisation sans réaffectations, gestion préventive, transformation des rapports de pouvoir...) par trop
éloignées des pratiques locales où en particulier l’eau est généralement gratuite.
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elles sont concomitantes et leurs principes d’autonomie et de responsabilisation
leur sont communs. Les usagers des PMH doivent comme il est dit plus haut,
assumer l’ensemble des tâches affairant à leur gestion, mais dans les faits, les
PMH augmentent l’hétéronomie des usagers à l’égard de l’extérieur : les matériaux
fabriqués ailleurs sont achetés, les savoirs constitués ailleurs sont monnayés, les
règles du jeu viennent de l’extérieur. Or, faiblement dotés en capital économique,
sans capital social mobilisable sur la scène politique et administrative, les usagers
n’ont pour l’heure que peu de maîtrise de ces règles du jeu. Ainsi peut-on conclure
à une contradiction entre ce qui est visé dans les textes (lois, directives, plans,
projets) et ce qui, de fait se produit sur le terrain : nous sommes face à la fabrique
d’une dépendance croissante et non pas d’une autonomie accrue des populations
locales à l’égard en particulier des financeurs de projets et des opérateurs locaux.
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Des pompes et des hommes
Fabrice Gangneron, Sylvia Becerra, Amadou Hamath Dia
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Distribution spatiale des PMH de la commune de Hombori.
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